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INTERNATIONAL MOYEN-ORIENT

LA CRISE IRAN VS ÉTATS-UNIS:

UN DUEL AU SOLEIL QUI N’EN FINIT PAS

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PAR THOMAS FOUCART

3 Janvier 2020. Coup de tonnerre: deux hauts dignitaires iraniens sont tués par le tir d’un drone sur ordre du président américain. Une guerre semble se dessiner à l’horizon… Depuis le retrait des USA de l’accord du nucléaire en 2018, les tensions n’ont cessé de s’accumuler plongeant le golfe Persique dans l’angoisse. Les Grands de ce monde se tiennent sur leurs gardes mobilisant leurs corps diplomatiques, leurs services de renseignement et leurs forces armées.

À l’époque médiévale, les combattants s’affrontaient à cheval ou à pied avec des lances, des épées. Aujourd’hui, les militaires se font la guerre avec des drones et des missiles guidés par satellite. Un parfait exemple de ce type est l’exécution du major-général Qassem Soleimani et de son bras droit Abou Mehdi Al Mouchad Al Chaabi, le 3 janvier 2020. Le premier était le commandant en chef des forces Al-Quods, une unité d’élite spécialisée dans le combat non-conventionnel ; le second était le chef d’un groupe de combat irakien fidèle à Téhéran, les Kataeb Hezbollah. Un tel acte est bien évidemment une quasi déclaration de guerre. Désormais un point de bascule a été franchi dans les relations entre les deux pays... risquant d’embraser le Moyen Orient.

Comment la situation a pu à ce point s’envenimer? Depuis quelques années, le Moyen Orient est devenu une poudrière. Le but de cet article est de passer en revue les éléments déclencheurs, l’histoire des relations entre les deux pays des années 50 jusqu’au début des années 80, les causes directes et profondes ainsi que les conséquences.

Les étincelles qui embrasent la poudrière Les éléments déclencheurs sont tout d’abord une série de sabotages de navires dans le golfe Persique imputés à l’Iran en juin et juillet 2019. Le mois suivant, les Iraniens attaquent des installations pétrolières en Arabie Saoudite. L’inscription par Trump des gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes durant cette période n’arrange pas les choses. Enfin, d’octobre à mi-décembre, des émeutes se déroulent en Irak. La jeunesse irakienne proteste contre une situation économique et sociale dégradée et le ras le bol de l’ingérence iranienne. Les tensions montent encore d’un cran. Le 31 décembre, des mouvements fidèles à Téhéran s’attaquent à l’ambassade américaine. Pour les Américains, c’est la provocation de trop. Ce sont les évènements de ces derniers mois qui ont poussé le président américain et la partie de son administration «anti-Iran», avec à sa tête Mike Pence et Michael Pompeo, à frapper directement l’État iranien.

Une histoire d’amour qui se finit mal Il faut le savoir, les relations entre l’Iran et les États-Unis n’ont pas toujours été aussi chaotiques. Dans les années 50, en pleine guerre froide, les États-Unis se rapprochent de l’Iran pour contrer l’expansion communiste. Mais, en 1953, après un coup d’état, la CIA place Mahammad Reza Pahlavi à la place du premier ministre de l’époque, Mohamed Mossadegh. Ce dernier s’était attiré les foudres de Washington après avoir décidé de mettre en place une politique de nationalisation contraire aux intérêts américains.

De 1953 à 1979, le Chah – le roi – Pahlavi gouverne. Les deux pays coopèrent sur le plan économique, militaire et diplomatique. Durant cette période, l’Iran est le meilleur allié des USA dans la région. Mais le Chah règne tel un monarque autoritaire. Les libertés se durcissent. Ce climat de tension aboutit à la révolution de 1979. Mahammad Reza Pahlavi préfère alors s’exiler en Amérique du Nord. Il laisse la place à l’ayatollah – chef religieux – Rouhollah Khomenei, un conservateur antioccidental, qui va nommer un gouvernement provisoire avec comme président un libéral pro-occidental Mehdi Bazargan. Ce dernier décide de continuer les relations entre les deux pays.

Mais tout bascule le 4 novembre 1981, lorsque des étudiants et les gardiens de la révolution prennent d’assaut l’ambassade américaine et font 52 otages. La capture de ceux-ci fait office de monnaie d’échange contre la livraison de la personne du Chah. Finalement une solution est trouvée: les otages sont libérés contre les biens de Reza Pahlavi. Quelque temps plus tard, des documents démontrant des collusions entre les deux pays contre l’URSS sont révélés au grand jour. Cet «Irangate» force Mehdi Bazargan à quitter le pouvoir laissant Khomenei seul gouverner. Les Américains perdent leur seul allié dans la région.

Les causes de l’embrasement… … Venger l’honneur C’est probablement cet évènement de novembre 1981 qui a réellement décidé Donald Trump de passer à l’action et de menacer d’attaquer 52 sites culturels…. Un nombre bien symbolique. Outre le fait que l’actuel président soit connu pour être irréfléchi, la prise d’otages reste, quarante ans plus tard, une véritable blessure à vive, une gigantesque claque portée contre la toute puissance américaine. Avec la frappe du 3 janvier, M. Trump peut se vanter d’avoir fait mieux qu’Obama qui avait éliminé Ben Laden. Il peut sans doute même s’enorgueillir d’avoir lavé l’honneur de l’Amérique.

… La bombe A Le développement de l’arme atomique fournit en soi une justification plus que suffisante pour expliquer la frappe. Déjà en 2000, l’Iran voulait se munir de la toute-puissante bombe A. En 2006, une série de sanctions sur les activités pétrolières, les ventes d’armes et les transactions financières ont été appliquées pour empêcher les Iraniens de développer l’arme atomique. Le pays a été paralysé pendant presque dix ans. Mais en 2015, coup de théâtre, les pays du conseil de sécurité de l’ONU décident de renégocier l’accord sur le nucléaire. De 2015 à 2018, l’Iran a eu le droit de posséder des stocks d’uranium pour des usages civils, de conserver un tiers de leurs centrifugeuses et a eu l’obligation de subir des examens de la part de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Jusqu’ici tout va bien… La situation est assez stable. Mais l’élection de Donald Trump en 2016 change la donne. Il met le doigt sur le point faible de l’accord: les avoirs iraniens à l’étranger risquent de servir à financer les troupes de Bachar Al Assad et les milices chiites du Hezbollah, ennemi d’Israël donc des États-Unis. De facto, les USA sortent de l’accord. Les Iraniens menacent de recommencer leur essai nucléaire, jouant avec les nerfs des Américains. Le début d’une escalade s’est fait sentir…

28 les Puritains évangélistes. Il espère gagner des points dans les sondages en affirmant avoir tué un dangereux terroriste qui avait organisé des attaques contre l’ambassade américaine à Bagdad. Le paradoxe est que ce «terroriste» avait pris part à la lutte contre Daesh et se trouvait à Bagdad pour trouver une solution pacifique…

… Affaiblir l’ennemi La cause la plus profonde de l’attaque du 3 janvier est de réduire la puissance iranienne avec laquelle l’Amérique ne pourrait s’entendre. Il n’y en effet rien de commun entre une Amérique puritaine chrétienne et une république théocratique islamique chiite... L’affaiblissement de l’ancienne Perse mettrait bien à mal leurs alliés russes, turques et chinois, rivaux des USA. La chute du régime des Mollahs ouvrirait la porte du détroit d’Ormuz dont l’Iran garde jalousement l’entrée ouvrant de nouvelles perspectives aux alliés saoudiens, omaniens et koweitiens de l’Amérique dans la région.

Les conséquences de l’explosion de la poudrière… … Venger Soleimani La conséquence à laquelle tout le monde s’attendait est une série de frappes très mesurées sur la base militaire d’Ain AlAssad et d’autres installations militaires, assez fortes pour venger l’honneur du défunt Soleimani, assez faibles pour ne pas pousser Washington à contre-attaquer.

… L’union sacrée Le peuple iranien et la classe politique, auparavant divisés à cause des sanctions économiques, sont unis, prêts à en découdre. Les funérailles des deux hauts gradés iraniens, le 7 janvier, ont été l’objet d’une énorme manifestation dans les rues de Téhéran, du jamais vu depuis la mort de l’Ayatollah Khomenei. Le général Soleimani et son bras droit sont devenus des martyr, morts pour leur pays.

à l’économie américaine. Trump force la main de ces alliés saoudiens, koweitiens et omaniens, qui pour se sentir protégés, accueillent les militaires américains dans une vingtaine de bases militaires ou les invitent à se fournir en matériel. Comme c’est le cas de l’Arabie Saoudite qui achètent des armes en échange de pétrodollars. La hausse de demande de matériel fournit des emplois dans les états qui risqueraient de basculer dans le camp démocrate aux prochaines élections.

… Une guerre? Un conflit ouvert serait la pire chose qui puisse arriver dans la région. Une guerre provoquerait une terrible inflation en Belgique via une augmentation du prix du pétrole. Mais sans doute y a-t-il peu de chances qu’une guerre se déclenche. Primo, le relief de l’Iran ne se prête pas à une opération amphibie. Secundo, Trump est un président nationaliste mais pas interventionniste. Il n’osera pas engager les GI’s dans un conflit qui pourrait se révéler un nouveau Vietnam. D’autant que le président s’était engagé à ne plus envoyer des contingents militaires américains en opérations à l’étranger. Tertio, une guerre risquerait de toucher Israël. Sa capitale, Tel Aviv, bien qu’à plus de 2000 km de Téhéran, est à la portée de missiles balistiques iraniens.

Les relations entre les États-Unis et l’Iran ont connu, à la manière d’une sinusoïde, des hauts et des bas… mais plus de bas que de hauts. Quoi qu’il en soit plus d’un mois après ces évènements, il n’y a plus eu d’escarmouches de cette importance entre nos deux protagonistes. Cette phase estelle le signe «du calme avant la tempête»? L’escalade pourrait être encore plus importante à cause des manifestations en Iran, du calendrier électoral américain et de l’avancement du programme nucléaire iranien… Qui pourrait désamorcer la poudrière? La France de Macron avait déjà tenté quelque chose lors de la sortie de l’Amérique de l’accord sur le nucléaire en 2019. La Russie de Poutine, seul pays osant discuter avec tout le monde, pourrait arriver à calmer les ardeurs des deux pays et à trouver une solution pacifique. Affaire à suivre… 

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