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POLITIQUE MACHIAVEL

LES NOUVEAUX PRINCES

PAR ADRIEN PIRONET

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Qu’ont en commun François Mitterrand, Vladimir Poutine ou bien encore, Silvio Berlusconi? Ils ont un certain nombre de similitudes. En revanche, le point absolu de comparaison est qu’ils ont fait preuve d’une certaine longévité au pouvoir. C’est l’objectif du Prince selon Machiavel. Mais qu’on ne s’y méprenne, le chemin est tout sauf tranquille… Nous proposons de revenir sur les grands principes de cette œuvre majeure de la politique pour ensuite tenter de dénicher quelques personnalités belges qui collent avec les préceptes du machiavélisme.

Le Prince de Machiavel

Contextualisons le sujet avant d’illustrer l’œuvre de Machiavel de visages belges. La toute première chose, en préambule, est de casser cette association du mot «machiavélisme» aux adjectifs sournois, et de surcroit, à tout ce qui se rapporte à la méchanceté. C’est assez différent de la réalité. Ici, nous emploierons ce terme uniquement pour désigner la doctrine de l’auteur.

Parlons d’emblée brièvement du contexte et de son auteur. Nicolas Machiavel [1469-1527] est un penseur, homme politique de la renaissance italienne. À l’époque, la «botte» est un territoire composé de nombreux petits États. C’est notamment le cas de Florence, berceau de Machiavel. Il reçoit une éducation en adéquation avec l’époque: étude des auteurs grecs et enseignement humaniste. Il semble très intéressé par la quête du savoir et de la connaissance. Dès son plus jeune âge, il accède à des fonctions publiques de haut rang. Cela lui permet de voyager en Europe occidentale et d’y accomplir de nombreuses missions pour la puissance florentine. L’année 1512 marque le retour des Médicis aux rênes du pouvoir, ceux-ci chassent César Borgia et Machiavel, ayant travaillé pour le régime fraichement renversé, est emprisonné, torturé et finalement exilé par la puissante famille. Il faut croire que les plus grands livres sont écrits en captivité, puisqu’il prend sa plume et décide de rédiger «Le Prince» [1513].

Il nous est difficile d’aborder l’entièreté de cette pièce maîtresse de Machiavel, toutefois abordons-en les grands principes. Il est un fait que cet ouvrage se veut un guide plutôt pratique, empirique et descriptif pour tout homme d’État. L’exercice du pouvoir, en plus d’être périlleux, n’est pas accordé à n’importe quel mortel. Il faut donc relever d’habilité et peaufiner sans cesse des stratégies afin de conserver son pouvoir le plus longtemps possible.

Afin d’arriver à ce saint Graal, de la pérennité aux commandes d’un pays, Machiavel présente plusieurs axes. En effet, il faut: primo, assurer son pouvoir face à ses semblables, et secundo, face à ses voisins.

Le premier pivot se concentre ainsi sur un ensemble de conseils de diplomatie. On peut y apprendre à gérer les relations avec les autres principautés. Ce premier axe est à combiner avec le suivant afin d’assurer ses arrières sur tous les plans.

Le deuxième pivot, semble le plus intéressant lorsque l’on se concentre sur la politique intérieure, c’est son guide du «bon dirigeant». En effet, Machiavel décrit entre autres «comment les princes doivent tenir leurs promesses» ou bien «comment un prince doit se comporter pour acquérir de l’estime». C’est-à-dire comment agir chez soi, dans sa politique intérieure.

Enfin, le dernier pivot, se concentre sur la guerre, à la foi sur le plan des affrontements juridiques mais aussi armés.

Or, chacun est responsable de la création de sa propre chance. C’est pour cela qu’en complément de ces conseils, Machiavel pense que le bon dirigeant doit être intrinsèquement doté de deux qualités fondamentales: la virtù et la fortuna.

Dans sa conception antique, la première correspond à la force, voyez-y plutôt un synonyme de qualités personnelles, c’est l’habilité. La seconde est associée à la notion de hasard et de chance, que l’on pourrait presque rattacher à la notion de Providence. Notion qui était par exemple chère au dictateur de l’Allemagne nazie. Il est certain que ces deux qualités ne s’exercent pas l’une sans l’autre. On peut donc résumer ces conceptions: il faut savoir saisir les opportunités en dépit des aléas de l’existence.

Préoccupé par la situation politique de l’époque, il adresse ouvertement son œuvre à Laurent de Médicis. Il est clair que Machiavel tente de se réhabiliter en offrant tous ses conseils au dirigeant florentin. Or, il était loin de se douter que son œuvre deviendrait un must dans la catégorie politique. Avec le recul historique nécessaire, on se rend compte de l’admiration de Machiavel pour César Borgia, qui, finalement, se rapproche le plus des caractéristiques de ce dirigeant idéal.

Malgré ce que l’on pourrait croire, l’auteur n’est pas un chaud partisan du pouvoir autocratique. Au contraire, on apprend dans son livre «Discours sur la première décade de Tite-Live» qu’il privilégie la démocratie. Il met l’accent sur l’intelligence collective à gouverner, c’est en quelque sorte le précurseur de l’idée du Contrat social. Après tout, qui mieux que le peuple sait ce qui est bon pour lui? Il faut toutefois tempérer cette position avec la raison d’État prônée dans «Le Prince». Le bien public – mais aussi la conservation du pouvoir – étant alors supérieur à la légalité et parfois même à la morale: les moyens importent peu pourvu que l’on arrive à ses fins. C’est à ce titre que cet ouvrage majeur sera très mal considéré par l’Église et que naîtra le terme «machiavélique» pour désigner notamment les personnes dépourvues de morale.

À la recherche du Prince charmant…

Maintenant que la majeure partie de son œuvre est explicitée, intéressons-nous aux nouveaux Princes. Pour une question de simplicité, et afin de mettre un nom sur cet «idéal du machiavélisme», nous préférerons dire le Prince pour désigner les qualités décrites par l’auteur florentin. Ces Princes sont nombreux, mais voici un petit top 3 personnel des sommités belges incarnant cet idéal:

Elio Di Rupo: l’Astre wallon

Si la longévité politique avait un prénom, ce serait certainement celui d’Elio (à ne pas confondre avec Hélios, dieu grec du soleil). Tout d’abord docteur en chimie, il a rapidement choisi la politique, où il a occupé – entre autres – les postes suivants: bourgmestre de Mons durant 18 années ; 3 fois ministre-président ; 3 fois vice-premier ; 1 fois premier ministre; et enfin président de parti, ne l’oublions pas. Et ce n’est pas encore terminé! En effet, Di Rupo, à 68 ans, a accepté de redevenir Premier citoyen wallon.

Plus la durée au pouvoir est longue, et plus l’exercice devient fragile. Malgré tout, Elio Di Rupo a su s’imposer sur le long terme au sein du paysage belge. Son ascension sur la scène politique en 1999 >>

a été une suite logique incontournable de la notoriété de Di Rupo.

On peut dire que le jeune fils d’immigrés italiens a clairement saisi les concepts de virtù et de fortuna. Certains disent qu’en Italie Machiavel est une lecture obligatoire pour les politiciens du pays, cela s’applique-t-il également aux enfants d’Italiens?

Bart De Wever: le Marionnettiste anversois

Habituellement, pour le Prince, l’objectif classique est d’accéder au pouvoir et d’y rester. Or ici, Bart De Wever n’a jamais occupé de fonction exécutive dans un gouvernement. On peut avancer plusieurs pistes: une entrée au gouvernement est parfois – cela dépend des personnalités – un quitte ou double pour la popularité.

Or, le pouvoir ne s’exerce pas uniquement dans un gouvernement. On sait qu’en Belgique, il existe un certain partage des compétences, à la fois entre l’État fédéral et les entités fédérées. Au-delà de ça, il existe, si nous pouvons le dire ainsi, des «petits dirigeants» comme les bourgmestres et gouverneurs de province. C’est à cet échelon qu’il s’illustre.

Le pouvoir, il le connait donc bien: tout d’abord bourgmestre d’Anvers depuis 7 années et président de la NVA depuis 16 années, il occupe des places de choix dans le processus décisionnel. Il joue le marionnettiste de la Flandre. Régner sur Anvers, c’est quand même s’occuper de la commune la plus peuplée, puisqu’elle comptabilise plus de 500.000 administrés. En comparaison, la république de Florence, de l’époque de Machiavel, comptait environ 100.000 habitants.

Depuis l’arrivée de De Wever à la présidence de la NVA, ses résultats électoraux ont explosé. Il est terminé le temps où il fallait s’allier avec le CD&V afin d’obtenir un score décent, désormais la Nieuw-Vlaamse Alliantie se suffit à elle-même. Ce qui permet à Bart De Wever d’être nommé informateur en 2010. On peut dire qu’il a su profiter des circonstances mais qu’il possède également un certain talent pour avoir relevé son parti.

Deviendra-t-il le patron du théâtre flamand dû à une scission du pays ou bien sortira-t-il des coulisses pour monter sur scène? Qui sait ce que le destin réserve encore à Bart De Wever…

Charles Rogier: le Recordman du 16 rue de la Loi

Il nous faut certainement dépoussiérer ce nom, qui aujourd’hui ne trouve plus écho que dans une partie de la population. Rogier, «[un] homme généreux et sympathique» fut Premier ministre de la Belgique durant 5614 jours, à savoir un peu plus de 15 années. Une première fois de 1847 à 1852 et ensuite de 1857 à 1868 sous Léopold Ier. C’est le premier à former un gouvernement «homogène». C’est-à-dire que l’exécutif étatique n’est composé que de ministres issus de la famille libérale.

Dès 1840, il s’impose déjà comme chef naturel au mouvement par son autorité et son expérience des dossiers, étant donné qu’il avait lui-même été membre du gouvernement provisoire de 1830! Il faut dire que la révolution belge est «the place to be» à cette époque, c’est le moment idéal pour entrer dans l’Histoire.

Le premier gouvernement Rogier, donc 100% libéral, est marqué par plusieurs éléments: l’abaissement du cens, permettant davantage d’électeurs (surtout la petite bourgeoisie des villes) ; la loi sur l’enseignement moyen (1850) afin d’organiser – et fatalement de renforcer l’emprise étatique – l’enseignement sous l’autorité civile ; ou encore, la loi sur les grosses successions dans l’optique de contrer le déficit budgétaire.

Le second gouvernement Rogier voit se produire un fait atypique pour nos yeux contemporains. Effectivement, le chef du gouvernement s’occupe également du portefeuille de l’Intérieur. Ce second passage aux rênes de l’exécutif permet une nouvelle fois d’affaiblir les catholiques à l’aide de lois sur le temporel des cultes.

Lorsqu’en 1867, Napoléon III se heurte à un refus des puissances européennes face à son offre d’achat du Luxembourg, c’est la Crise luxembourgeoise. Après cela, Rogier s’efface petit à petit au profit de Frère-Orban, ministre des Finances qui prend davantage d’ampleur.

Qui pourra se vanter d’arriver à détrôner le recordman du 16? Si notre premier candidat n’avait pas déjà 69 ans, on aurait pu penser à lui. En attendant, voyons ce que fera le jeune et populaire Premier De Croo.

Malgré que l’œuvre de Machiavel ait déjà un âge avancé, elle demeure une pièce majeure dans les écrits politiques au même titre que l’«Art de la guerre» de Sun Tzu et bien d’autres. Finalement, c’est un peu une énigme du monde moderne. Applicable de manière universelle aux quatre coins du globe, il n’en demeure pas moins énigmatique et sujet à de nombreuses interprétations. De nombreux dirigeants antérieurs à l’époque auraient certainement voulu pouvoir bénéficier de cet ouvrage, c’est la chance que nous avons depuis 1532. Certains l’ont appliqué au pied de la lettre, d’autres en ont fait la préface, c’est le cas du dictateur Mussolini ou plus récemment Silvio Berlusconi. En tout cas, toutes ces personnes auront la chose suivante en commun: rien ni personne n’est éternel, tôt ou tard un Prince devra quitter le pouvoir. La question est de savoir comment laisser son empreinte dans l’Humanité? 

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