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ENVIRONNEMENT

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LA MINE DE DEMAIN SE TROUVE EN VILLE: VERS UNE VALORISATION DES DÉCHETS ÉLECTRONIQUES

PAR KEVIN KARENA

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Notre époque est marquée par l’essor de la technologie et une course effrénée à la consommation sinon à la surconsommation. La ruée compulsive à l’acquisition du dernier smartphone est un exemple éloquent. Au rythme de l’innovation et du marketing, il est sans cesse question d’obtenir ce qui se fait de nouveau et de mieux. N’est-il pas temps d’inverser la tendance?

Au niveau mondial, les téléphones sont en moyenne remplacés tous les 21 mois selon un rapport de Statista sur la fréquence de changement des GSM. Il se vend plus de 50 smartphones toutes les secondes à tel point que la croissance des utilisateurs de mobiles est plus rapide que la croissance de la population mondiale. Les mobiles obsolètes sont jetés et occasionnent, de fait, une quantité astronomique de déchets électroniques.

Le succès de la vague des smartphones a un coût social et environnemental trop souvent négligé. L’objet technologique, qui est devenu l’extension de notre main, nécessite pour sa fabrication plus de 40 métaux dont les tristement célèbres minerais du sang en République démocratique du Congo. L’écosystème se retrouve traumatisé, le degré de pollution évolue de façon funeste et la population locale est réduite à un travail épouvantable.

Nous vivons un cycle qui voit les ressources se raréfier et l’extraction de certains métaux revêtir de sombres facettes. Nous prenons plus de risques, creusons toujours plus profondément à travers la croûte terrestre pour des résultats en constante dégradation. Et si nous pouvions obtenir de meilleurs résultats sans mettre des vies en danger, sans même qu’il soit nécessaire de creuser? En Belgique, la quantité de téléphones enfouis dans nos tiroirs est estimée à plus de 3 millions d’unités soit l’équivalent de ce qu’on peut appeler une montagne de métaux précieux.

À titre illustratif, une mine rentable contient 5 grammes d’or par tonne de minerai tandis qu’une tonne de cartes électroniques en contient en moyenne pas moins de 200 grammes, soit une concentration en or 40 fois supérieur à une mine traditionnelle.

Nos déchets électroniques comme ceux issus de nos téléphones mobiles sont d’une grande valeur. Grâce au minage urbain, leur recyclage donne progressivement naissance à une industrie au poids économique important qui s’inscrit dans une logique d’économie circulaire.

Le concept est intéressant en ce sens qu’il transforme nos villes en centre de production minière. Les déchets électroniques, perçus comme un fardeau de notre ère digitale, sont en fait une opportunité insoupçonnée. Nous voilà face à un gigantesque potentiel permettant un approvisionnement en métaux plus responsable.

Au-delà des impératifs d’efficience et de réduction de l’impact environnemental, il subsiste la question géostratégique de la dépendance de l’Europe en

approvisionnement de matières premières critiques.

Umicore est une entreprise belge parmi les plus actives au monde en matière de recyclage de métaux précieux. Elle a mainte fois tenté de sensibiliser les citoyens à se débarrasser de leur vieux téléphone sans rencontrer le succès escompté. Elle opte désormais pour nouvelle stratégie en s’alliant au groupe de télécommunications Proximus, sensible aux défis environnementaux, pour relever le défi de la prise de conscience directe et à grande échelle. Une association qui veut promouvoir le recyclage et les mines urbaines. Catherine Bals nous en dit plus sur les initiatives du Groupe Proximus. Elle est à la tête des départements réputation et durabilité. Du point de vue de la réduction de l’impact environnemental, ses équipes promeuvent une dynamique de confiance, d’inclusivité et d’accessibilité. Une attention particulière est portée sur la réalisation des ambitions 2030 du net zéro et la réduction de l’empreinte carbone.

Vous avez lancé la campagne «Don’t miss the call». Quel est l’objectif derrière cette stratégie? Nous avions commencé par proposer des appareils à faible consommation d’énergie et au cycle de vie prolongé. La production de smartphones représente jusqu’à 90% de sa consommation totale d’énergie, contre 10% pour son utilisation. Avec les mines urbaines la production globale de gsm est moins énergivore et plus circulaire. L’extraction des matières premières contenues dans 100.000 téléphones portables produit 316 tonnes de CO₂ et 12.750 tonnes de déchets toxiques en moins que la production de ces matières par l'exploitation minière traditionnelle. Elle consomme aussi 25,4 millions de litres d'eau de moins. Notre campagne «Don’t miss the call» est une façon d’assumer nos responsabilités et de conscientiser les Belges aux bonnes habitudes du recyclage de vieux téléphones portables. L’objectif est de récolter 100.000 vieux GSM dans les différents points de collecte. Ce dépôt se fait en échange d’un bon d’achat de 10 à 350 euros. Extraire les matières de nos vieux appareils nous évite de puiser des ressources naturelles limitées. Grâce au minage urbain, nous rendons un grand service à l'homme et à la nature. Cette campagne est également l'occasion de récolter des fonds pour Eight, une organisation belge qui lutte contre la pauvreté dans les villages aux abords des mines classiques.

Le recyclage est une tendance qui a le vent en poupe. En matière de smartphone, nous sommes capables de recycler plus de 90% des matériaux, cependant seul 5 à 8% des téléphones portables sont recyclés chaque année. Quelle est votre analyse?

C’est un constat problématique. Chez Proximus depuis quelques années déjà, nous louons et reprenons les décodeurs pour capter plus facilement la masse de déchets électroniques qui se dégage après usage. Ces décodeurs reviennent puis subissent les mises à jour et les remises à niveau nécessaires afin de pouvoir ensuite être remis dans la chaine de distribution sans avoir été des sources de pollution excessive. Ce travail a déjà été réalisé sur 2 millions d’unités. C’est quelque peu différent du minage urbain car il s’agit de récolter pour reconditionner et prolonger la vie et non pas de démanteler pour exploiter les matières premières.

Proximus s’est investi dans une expérience de sensibilisation au sein des écoles avec le projet GoodPlanet Belgium. Comment cela se déroule-t-il avec les jeunes générations? Il s’agit d’une collecte de GSM qui se déroule dans les écoles secondaires. L’émulation qui nait entre les écoles poussent les jeunes à essayer de déposer un maximum de vieux téléphones à recycler. En échange, les écoles sont récompensées par du matériel ICT. Les jeunes sont sensibles à la problématique et adoptent sans grande difficulté les bons réflexes. Ils participent à leur échelle à l’exploitation progressive des mines urbaines. Valoriser les matières premières de nos vieux smartphones ou leur donner une seconde vie est une culture qui va devoir s’installer plus largement au sein de nos sociétés pour réaliser un changement de paradigme et accompagner la transition numérique d’un impact environnemental positif.

Il semble désormais évident que notre exploitation des ressources naturelle ne pourra plus se poursuivre en l’état. Nous usons excessivement des cadeaux de la nature sans lui laisser le temps de nous en procurer de nouveau. Or, nous sommes en mesure de donner une deuxième, troisième, sinon quatrième vie aux précieuses ressources que nous offre la planète. Le «reconditionnement» de GSM est une solution pour laquelle nous optons de plus en plus. Il ne s’agit pas d’un téléphone d’occasion mais bien d’un appareil répondant aux critères de qualité du neuf. Le GSM reconditionné est en pratique comme neuf avec un avantage non négligeable: son prix est nettement moins élevé. L’engouement pour cette merveille technologique ne s’estompera pas, mais nous pouvons redéfinir le paradigme, amoindrir le sinistre impact social ainsi que la désolante et disgracieuse empreinte environnementale dû au processus de fabrication des smartphones. Embrayer le pas d’une consommation plus responsable, d’une exploitation plus intelligente et plus empathique est à portée de main. Une vision ambitieuse pour notre avenir commun serait que le refurbishment, le recyclage des matériaux électroniques et les impératifs de durabilité s’imposent comme norme. Nous pouvons faire le choix d’un avenir où l’innovation ne se fera pas au détriment de la planète. Les choses durent toujours plus longtemps lorsque nous faisons l’effort d’en prendre soin! 

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