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« Une sorte de prétention pleine d’humilité. » Plus de dix ans après son précédent album, l’atypique duo qui œuvre dans la scène post-punk et cold wave française depuis presque trente ans se révèle plus vif que jamais avec Chants de ruines, sept morceaux tendus et mordants au sens dramatique intact.
A
lors qu’un simple EP devait être publié en 2020, c’est bien un album à part entière que Phil K. et Toy dévoilent finalement en 2022, après une dizaine d’années que le chanteur décrit comme « difficiles, traversées de beaucoup de doutes, d’interrogations et de remises en question mais aussi de beaucoup d’envies ». Si le groupe n’a jamais cessé d’exister, donnant de nombreux concerts, c’est l’apport du bassiste Romain Falcoz, qui avait déjà participé au précédent album, Les pierres blanches, qui a déclenché de nouvelles idées et ainsi amorcé la composition de Chants de ruines. Composé de cinq membres à son origine, AinSophAur a depuis dix-sept ans trouvé sa stabilité sous la forme d’un duo, grâce à une « complicité musicale
AinSophAur vers la lumière illimitée JESSICA BOUCHER-RÉTIF
et intellectuelle » que souligne Philippe K. Les deux musiciens se sont cependant bien entourés pour cet album, puisque c’est Pascale Le Berre, ex-claviériste du groupe Marc Seberg, nom incontournable de l’âge d’or de la cold wave française, qui s’est chargée de la production et du mixage. Connaissance de Philippe, elle est venue un jour lui proposer de travailler pour AinSophAur. « Je n’en revenais pas qu’elle vienne nous chercher ! », s’étonne-t-il encore, comme Toy : « Pour nous, fans de Marc Seberg depuis longtemps, nous retrouver à travailler avec l’une d’entre eux : quelle surprise et quel honneur ! » Pleinement impliquée, la musicienne a également joué sur l’album, explique le guitariste : « Elle l’a fait à l’ancienne : elle prend le truc à bras-le-corps, propose ses modifications, ses arrangements, prend son clavier, sa guitare et voilà ! » Légèrement moins sombre que ses prédécesseurs et porteur de textes plus directs, Chants de ruines suit en cela la trajectoire tracée par le groupe à travers son nom même, issu de la Kabbale et désignant la lumière illimitée, celle qui représente l’élévation spirituelle ultime. Surtout, l’album confirme la volonté de ses auteurs de ne pas se laisser enfermer dans un registre post-punk ou cold wave trop fermé, notamment en intégrant dans sa musique des éléments electro et dub, un genre qu’ils ont toujours aimé « depuis qu’[ils étaient mômes] ». « Même si nos références sont parfois évidentes, nous avons toujours cherché à être nous-mêmes. C’est une sorte de
FRACTALE
prétention pleine d’humilité » analyse Toy. Toujours en français et autobiographiques, les textes de Philippe sont traversés par les thèmes récurrents des relations humaines et de la difficulté à accorder sa confiance, des questions qui l’habitent au quotidien. Comme le conclut le morceau “L’autre” : « Presque arrivé au bout, il te restera toujours cette idée : Mais l’autre, qui est-il ? » i dainsophaur.free.fr
Chants de ruines Manic Depression Records Solide vétéran du rock noir made in France, AinSophAur n’a rien perdu de sa nervosité et de son audacieuse singularité, comme en témoigne cet album dont la force incisive s’attarde dans l’oreille, bien après l’écoute. L’originalité du duo réside dans sa capacité à aller chercher dans des territoires inattendus de subtiles touches nuançant l’essence entre post-punk, cold wave et rock gothique de sa musique : dans l’electro et dans le dub, genre dont il tire tout le potentiel sombre. L’humeur d’ensemble, cependant, tend à s’éclaircir et c’est une certaine rage rentrée qui l’emporte sur la désespérance au fil de ces compositions portant les textes sans concession et la voix profonde de Phil K.
LONGUEUR D’ONDES N°96 33