Ceci est un tas d'apriori tenaces

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Ceci est un tas d’a priori tenaces.





A PRIORI

I

l y a des ces croyances largement répandues qu’aucun ne veut vraiment vérifier. C’est confortablement dissimulé derrière une idée toute faite, que l’on donne à une vision unique, subjective et biaisée, la valeur de Vérité. Par fainéantise d’esprit, on fait preuve de xénophobie spatiale. La terre est plate, si l’on ne prend pas la peine d’en faire le tour. Ce qui est indépendant de l’expérience est dangereux, c’est s’enfermer dans le cliché.




PERIPHERIQUE Ligne de démarcation approuvée par un garde fou élitiste du soi-disant bon goût architectural . Au delà n’est que débauche esthétique, pauvreté programmatique et territoire léthargique.



BANLIEUE De proprets pavillons bien rangés, de menaçantes barres bétonnées. De larges étendues cultivées que ponctuellement, balafrent quelques pylônes. Un vrombissement sourd et ambiant. Des boites sans parole de tôle et d’acier, des champs d’asphalte stériles et vides. Archétype périurbain. Un espace de neutralisation à la dimension cathartique. Il permet au centre d’assurer sa fonction de centre en le soulageant des programmes qu’il ne peut intégrer. Ce n’est ni un hybride, ni une chimère, mais une entité à part entière. En termes koolhassien, on parlerait de Junkspace1. Parce que sa nature est indéterminée, que son identité est instable, on y jette mais lui ne rejette rien. Il assume l’hétérogénéité des éléments incompatibles au centre qu’il assimile en absorbant leurs différences respectives. L’indéfinition comme aptitude, le sans qualité comme typologie. Poser le Junkspace en synonyme c’est se complaire dans un état périphérique et médiocre. Si la Banlieue est socialement indéterminée, elle est fonctionnellement hyper déterminée. Si la Banlieue est un sans qualité élitiste, c’est une qualité populaire. Banlieue, entre-deux dont on souligne la laideur, dont on constate la non particularité, dont on néglige le potentiel.

1. Rem Koolhaas, Junkspace (Harvard Guide to Shopping), Taschen, 2001



MONOPOLY « La piste du grand Monopoly étant décrite, il nous faut maintenant en apprendre les règles du jeu. Les acteurs de l’urbanisme commercial ont compris très tôt que le réseau routier construit ces trente dernières années aux franges des villes françaises induisait un changement d’échelles territoriales et financière. Des terrains plus vastes, à moindre coût, accessibles et visibles, vont permettre d’élaborer, non pas des projets d’extension des villes, mais des produits urbanistiques clés en mains »1 Ce n’est pas une toile sans araignée2, mais une toile extensible au sein de laquelle de multiples arachnides agissent selon leurs propres stratégies qui s’étalent en dessinant un territoire discontinu et fragmenté. Étaler, c’est créer des échelles où chaque élément prend un sens différent selon le référentiel dans lequel il se place. On insert l’objet dans un contexte toujours plus étendu, toujours plus large, toujours plus global. L’infrastructure, et pas seulement la route, a été le vecteur de cette conquête spatiale. C’est un Monopoly dont les situations sont aujourd’hui, quarante ans plus tard, figées. Ainsi la Banlieue n’est pas le produit de la recette ville centre. Et c’est en admettant la responsabilité d’instances, acteurs et facteurs autres que ce qui mènent à la continuité urbaine, que l’on peut être capable de lire la discontinuité périurbaine.

1. David Mangin, La ville franchisée, Editions de la Villette, 2004 2. Rem Koolhaas, Junkspace (Harvard Guide to Shopping), Taschen, 2001



KITSCH > Conserver le charme de Montgeron, grâce à la valorisation de sa qualité architecturale1. On mystifie l’ancien, les pierres d’antan deviennent de précieuses reliques et le moindre arbre d’alignement, un paisible centenaire échappé de la Mère Sénart. Autant d’objets usés qui racontent ce que la municipalité veut leurs faire raconter. On flatte l’œil du consommateur-citoyen à grand renfort d’actions certifiées “Patrimoine”. Ainsi, on décrète par arrêté munipal, les écrins dont on retarde la ruine, le vieux Montgeron, l’ancien Vigneux, et l’on y flambe le foncier, celui fièrement historique, comme celui environnant étiqueté pavillons-dortoirs. Acharnement thérapeutique sur les ruines de ce qui fut deux siècles plus tôt un village, messieurs les Elus, sachez, que cette époque n’est plus. Et c’est cette nostalgie lucrative qui débute ce PLU. Célébrer l’aspect plutôt que la chose elle même.

1. Plan Local d’Urbanisme, ville de Montgeron, 2012



GO GREEN > Une ville plus durable, grâce à l’augmentation d’espaces verts protégés, et des espaces boisés classés1. Un équilibre parfait entre les sphères économiques, sociales et écologiques. Verte Trinité empreinte d’idéalisme. Etre durable, c’est sortir du référentiel nombriliste et agir pour les générations futures. Laisser un héritage exploitable derrière soi. Effet de serre, fonte des glaces et pathétique dérive d’un ours polaire vers un avenir incertain. Sauvons la Terre, le papier dans la Jaune. Merci. Manipulation culpabilisante de grande échelle qui vise d’une part à déléguer une fraction des opérations alors effectuées par des entreprises spécialisées à l’individu-citoyen, et d’une autre à simuler le besoin d’une architecture soutenable certes, mais surtout soutenue par des lobbies privés. Le durable c’est un de ces mots-valise, auquels chacun donne le sens qu’il souhaite afin de justifier une action louable ou non sur le long terme. Le durable c’est proposer une stratégie capable de répondre aux variations d’une situation donnée et ce, selon un temps déterminé. Le durable c’est être conscient de son impact futur certes, mais immédiat également. Le durable, ce n’est pas seulement une affaire sylvestre.

1. Plan Local d’Urbanisme, ville de Montgeron, op. cit.



ASPHYXIE L’état de blase, c’est l’acceptation consciente que l’on prétend inconsciente d’une situation. Attitude contre productive qui conduit à l’échelle d’un territoire à son asphyxie. Cliché aussi méprisant que persistant d’une banlieue malade devant lequel le service d’urbanisme d’une ville-dortoir se plie laissant aux promoteurs privés le soin d’ajouter quelques tonnes de bétons, ça et là. Un sentiment d’habitude qui s’installe en une familiarité monotone auquel s’ajoute l’on ne sait quoi d’irritant, cette pointe d’agacement qui opère la bascule entre l’ordinaire et le chiant. Si la mécanique publique est rouillée, alors dérouillons la, si le cliché est profondément installé, alors contredisons-le.



LAIDEUR « Un journal hebdomadaire de la capitale a consacré un article qui se référait explicitement au monde périurbain de ce pays en relevant sa mocheté (Télérama n°3135). Nous avons compris bien sûr, que l’usage de l’adjectif « moche », renvoyait pour ce journal humaniste, à une provocation destinée à remuer les consciences assoupies, trop habituées à vivre au milieu de ces enseignes publicitaires, bâtiments commerciaux informes, couleurs criardes, ronds points, hypermarchés, etc. Mais nous avons aussi été troublés par ce jugement de classe qui faisait de notre zone périurbaine un monde évaluable à la seule mesure esthétique de leur monde à eux. Qui sont-ils, ces journalistes centralisés pour décrété la laideur de notre périurbanité ? Qui sont-ils pour porter ce jugement, qui en suggérant de raser notre cadre de vie pour reconstruire je ne sais quel Eden, le rend indigne d’être étudié comme une tribu amazonienne ou une secte dangereuse? 1» Non, ceci n’est pas un territoire malade.

1. Eric Chauvier, Contre Télérama, Alli, 2011






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