L’Événement de la vérité

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L’Év nement de la v é érité

LOUBATIÈRES
PIERRE LE COZ

Tout est si loin à présent, tout est si vague, brumeux et tremblant dans l’ineffable distance du temps qu’on ne sait plus au juste ce qu’est devenu ce « quatorzième contrepoint » de L’Europe et la Profondeur… sinon peutêtre qu’il s’(in)achevait sur ce mot de « scripturaire » qui, associé à celui d’« (impérative) nécessité », disait au moins dans quelle dimension s’était engagé son scripteur-et-« rêveur définitif » : celle que tout « homme debout » (homo erectus) a loisir d’ouvrir pourvu qu’il soit un seul instant visité de cette idée « simple et bizarre » de tourner son regard vers-le-haut et, en la saisie pensive d’un tel « lointain d’étoiles et de nuages », d’être frappé-de/par l’éclair de la sur-venue, brutale et silencieuse, de cet « Événement de la vérité ». Aussi le livre que je commence à présent devra-t-il prendre pour unique motif, tel un tableau qui tenterait de peindre le rien et son « blanc », le ciel et ses nuages, la nuit et ses astres – toujours : le mouvement de ce qui passe et, en tel passage, s’attarde et dure – ; et cela de telle façon que ce qui, à la fin, demeure, en ce mode anti-littéraire, sur la page soit l’écriture même de cette « permanence voyageuse » des choses : par quoi aussi cet Événement de la vérité ne sera rien d’autre, à son tour, que la tentative d’un « dire » de l’« éviden(ce) de Dieu », c’est-à-dire de cela qui, en le mouvement oxymorique d’une telle (divine) auto-monstration, constitue en réalité tout le « mystère du monde ». Car Dieu, sans doute, « est mystère », mais le plus mystérieux en ce mystère c’est que sa véritable essence réside non en le fait, comme le croient les littérateurs, qu’Il Se « cacherait », plutôt en celui qu’Il ne cesse au contraire, sous la forme de cette évidence des choses qui « sont ce qu’elles sont », de Se manifester : l’écart entre cette « éviden(ce) de Dieu » et le mystère de Sa manifestation n’étant rien d’autre que ce que nous avons pris coutume d’appeler le temps. En ce sens, comme je l’ai montré dans mon précédent Bruit du temps, le « péché originel » de toute littérature consiste à interpréter ce monde comme une « énigme à résoudre » – i. e. : à se mettre en quête, comme le fait le préfet de police de La Lettre volée de Poe, de la cachette où « Dieu » pourrait bien se dissimuler –, alors que la bonne méthode en ce genre d’affaire « simple et bizarre » est celle, scripturaire, du « poète et logicien » Dupin qui lui, parce qu’il a au moins compris ceci que le monde

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n’est aucune « énigme (à résoudre) » : seulement un « mystère (à noter) »

– i. e. : parce qu’il a au moins compris que Dieu, loin de « se cacher », ne cesse au contraire de « se montrer » –, trouve la Lettre parce qu’il ne la cherche pas – tandis que le préfet-littérateur, lui, ne la trouve pas parce qu’il la cherche (parce qu’il croit que « Dieu se cache ») – ; et qui ne comprend dès lors que, pour être en mesure de rédiger quelque chose comme un Événement de la vérité, c’est cette « méthode »-là, non tant littéraire que scripturaire, qu’il faut illustrer : c’est-à-dire celle qui consiste à prendre pour point de départ (d’une telle entreprise-et-rédaction) le fait brut et d’expérience de cette « éviden(ce) de Dieu » – qu’un seul « regard-vers-lehaut » et son « ciel » peut à tout instant raffermir et conforter :

Un homme, quand la vie n’est que fatigue, un homme Peut-il regarder en haut, et dire : tel

Aussi voudrais-je être ? Oui (…)

Où l’on comprend que la « fatigue » dont il est question dans ces vers du « En bleu adorable » de Hölderlin est celle que communique aux littérateurs la vaine recherche de la résolution de l’énigme du monde – l’impossible « trouver-de » la cachette de Dieu – ; alors qu’il suffit d’un seul « regarder en haut » pour, cette « (littéraire) fatigue », la révoquer et la dénoncer… en le mouvement de ce que le même Hölderlin appelle un « se mesurer avec le Divin » :

(…) Tant que dans son cœur Dure la bienveillance, toujours pure L’homme peut avec le Divin se mesurer Non sans bonheur. Dieu est-il inconnu ?

Est-il, comme le ciel, évident ? Je le croirais Plutôt. Telle est la mesure de l’homme.

; et mouvement dont on comprend dès lors qu’il n’exige de son scripteur – celui engagé par exemple dans l’entreprise de la rédaction de cet Événement de la vérité – qu’un seul et peu ou prou immobile « agir » : celui d’un « se-tenir-debout » sous le ciel, exposé à toutes ses « saisons » et autres « phénomènes », selon, météorologiques ou stellaires, et, en un tel (scripturaire) « tenir-bon », n’être que le témoin de cette « vérité » dont l’« Événement » sur-vient chaque fois que se manifeste, en ce mode à la fois abso-

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lument simple et infiniment mystérieux, cette « éviden(ce) de Dieu ». Il s’agit donc pour un tel scripteur de se contenter de laisser passer sur lui, en ce mode à la fois paresseux et passionné : rêveur et « pensif-attentif », les « saisons du ciel » ; et cela de telle façon que, pour rédiger son impossible ouvrage, il n’ait plus qu’à recopier, sur sa page quotidienne, le mouvant manuscrit des nuages : par quoi vient cette vérité de la « situation » des scripteurs de n’être au mieux que les plagiaires du ciel ; mais « plagiaires » dont le « plagiat » s’avère au bout du compte de bien meilleure tenue (littéraire) que toutes les « inventions » et autres « trouvailles » des littérateurs : pour ce que ceux-ci s’épuisent à résoudre une (inexistante) « énigme du monde »… tandis que ceux-là, ayant toujours-déjà compris qu’il n’y a à l’œuvre en ce monde aucune « énigme » : seulement du « mystère », se contentent de « noter ce qui est » et, par de telles « notations en bas de page » (du livre du ciel), s’approchent bien mieux que tous les « préfets de police » de la littérature de l’essence en réalité toujours scripturaire de cette « littérature » même.

Le temps ici n’est donc rien d’autre que l’écart qui sépare l’« éviden(ce) de Dieu » du mystère de Sa manifestation : ses « ineffable distance »/« impensable dimension » étant en vérité tissées de cet oxymore « évidence »/« mystère » qui explique aussi pourquoi les choses, lorsqu’elles nous apparaissent, le font généralement en le mouvement de cette « permanence voyageuse » qui est comme la signature de leur « entrée-en-présence » (si les choses ne « passaient » pas, elles ne pourraient « être » non plus). Il faut donc croire que ce qui est ici appelé l’« activité de scripturature » n’est rien d’autre à son tour que l’exploration de cet « écart », mais exploration qui s’opère, non tant en le mode d’une sorte de plongée, selon, dans l’avoir-été ou dans l’à-venir du « temps », qu’en celui d’une inspection de ses rouages les plus secrets ; et « inspection » qui n’a finalement besoin, pour être menée à bien, que de ce toujours même « regarder-vers-le-haut » qui, par ouverture de « tout ce lointain d’astres et de nuages », approprie/fait correspondre le scripteur à son essence la plus profonde : celle du « bailleur-aux-nuages (ou aux étoiles) » qu’il est en vérité depuis que, il y a plus d’un million d’années, il s’est « redressé sur ses pattes arrières » et, en une telle érection d’un « singe-poète » à peine identifié par cette tardive (paléo)anthropologie sous le nom d’erectus, a uni en un éclair pensif-pratique le proche au lointain, le terrestre au céleste, l’humain au divin, etc.

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Et « tel est l’homme » que depuis, malgré tant de vicissitudes endurées dans le cours, selon, de son é-volution ou de son in-volution : malgré tant de « fatigue », il n’a pu faire autrement que de toujours désirer revenir-à ce premier « regard-vers-le-haut » qui avait décidé en un instant de la suite de toute son « histoire » – du destin entier de son « espèce » – : celle du tisseur sans relâche et obstiné de ce « fil de lumière » (Hegel) entre les pôles pré-cités ; et « fil » dont le nom de la circulation est donc « activité de scripturature »… comme celui de son élément le « dire » simple de la sur-venue de cet « Événement de la vérité » : ce que j’ai pu aussi appelé, dans mon précédent ouvrage, le temps du rêve ; c’est-à-dire le « temps » consacré par le scripteur-et-bailleur-aux-nuages à cette étrange activité consistant à rendre-témoignage-à… cette « vérité » (la grandeur d’une « époque (littéraire) » se mesurant donc à la plus ou moins grande préséance accordée à ce « temps »là sur les autres – ceux par exemple dévolus aux tâches plus spécifiquement « économiques » – : ce qui on le comprend, à cette aune, ne laisse rien augurer de très bon de la nôtre). Mais où l’on voit aussi par là que ce mot de « vérité » ne doit pas ici être entendu au sens de quelque fixation, forcément statique, d’un « sens des choses » : plutôt en celui, dynamique, de cela qui fait que ces « choses » ont loisir d’entrer-en-présence ; ce pourquoi cette « vérité », pour « venir-dans » le monde, ne peut prendre que la forme, non pas de quelque « dire » peu ou prou monolithique et littéraire, mais plutôt celle, souple et scripturaire, d’un « Événement ». Par quoi aussi ce qui est appelé le « temps du rêve », loin d’être quelque fuite « hors du réel », est en réalité celui d’une scrutation passionnée par les scripteurs-et-« rêveurs définitifs » de ce « réel » même qui, lorsqu’il « arrive » : ce qui n’est pas si fréquent que cela, le fait en le mouvement, justement, de la sur-venue de cet « Événement de la vérité » ; dont une des caractéristiques est de rendre soudain visible l’essentielle tonalité de futilité dans laquelle baigne, sans le savoir, l’existence de tous ces gens qui, précisément, se flattent de ne « rêv(er) jamais » (Céline) : alors que, s’ils le faisaient un peu plus (« rêver »), c’est à cet instant peut-être qu’ils deviendraient les « gens sérieux » qu’ils se figurent être ! Le « temps du rêve », si du moins il est pratiqué en ce mode scripturaire, est donc celui de l’illustration de la pensée-la-moinsfutile/la-plus-sérieuse : pour ce que la rigueur mise en œuvre par celle-ci ne cherche pas tant à « fixer un sens » – celui par exemple de (ce mot de) « réel » – qu’à, ce « sens », le faire circuler ; et cela jusqu’à parvenir à l’examen de l’autre question, elle réellement décisive et essentielle, du « sens » (du mot) de « vérité » : étant clair que, si quelque chose comme du « réel » peut

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arriver dans le monde, c’est parce que toujours est à l’œuvre en cette « arrivée » la « sur-venue de » cet « Événement-de la vérité ». La bonne question en ce genre d’« affaire (de la pensée) » – cf. notamment, sur ce sujet, mes analyses de l’œuvre du romancier de S.F. Dick – étant donc, non pas celle d’un « qu’est-ce qui est réel : interrogation toujours peu ou prou futile, mais bien plutôt celle d’un « qu’est-ce qui est vrai ? » : le passage de « littérature » à « scripturature » s’effectuant lorsque, via l’engagement par un auteur dans la dimension de ce « temps du rêve », celui-ci « saute » de l’une à l’autre et, en un tel « devenir-scripteur » de cet auteur, a loisir de « partager la pensée de Dieu » (S. Hawking), c’est-à-dire celle d’un « Créateur » qui, pour « créer » ce monde, a choisi, entre tant de « réels » possibles, le seul susceptible d’être vrai. Par quoi l’on comprend aussi que, si ce « monde » fut sans doute toujours « réel », ce n’est que très récemment – avec l’apparition en son « univers » peu ou prou désolé-ennuyé d’une créature capable-de « rendre-témoignage-à » cette « vérité » – qu’il est devenu « vrai » ; et « devenir-vrai » qui, ne pouvant/devant jamais cesser, exige de chaque « époque littéraire » le lever, parmi tant d’auteurs englués dans cette tonalité d’in-signifiance (caractéristique des travaux relatifs à la seule « interprétation du réel »), d’un scripteur qui lui va empêcher la retombée de ce monde « vrai » dans l’univers (seulement) « réel » qui l’avait précédé.

« Monde vrai » et « univers réel » : c’est dans les plus grands silence et discrétion – Nietzsche dit : « à pas de colombe » – qu’est survenu, il y a environ un million d’années : la gloire d’erectus, l’Événement immense, sous le signe duquel, tout sapiens que nous soyons désormais, nous vivons encore, du passage du second au premier ; mais passage qui, à chaque « époque littéraire », doit être ré-actualisé par le « scripteur de service » –celui qui accepte d’« aller au charbon » d’une telle entreprise époquale – ; et scripteur au moins lucide en ceci qu’il comprend très bien qu’un tel « Événement » peut très bien et à tout instant, si l’on pousse un peu trop loin le bouchon dans le sens de cette « insignifiance littéraire », s’inverser : ce qui nous ferait retomber, par repoussement dans l’oubli de ce « monde vrai », dans l’ennuyeux-sinistre « univers réel » qui l’avait précédé. Et tel est bien le danger qui nous menace présentement : que nous allions si loin dans cette dimension d’insignifiance et de confusion achevée qu’est notre présente époque qu’à la fin, en le processus de cette « dissolution de la vérité » caractéristique de nos « temps de détresse », nous perdions de vue

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notre essence de « témoin de la vérité » et devenions par là, non pas peutêtre des animaux, mais des machines, c’est-à-dire ces « objets » qui, parce que faisant sur la « pensée » et le « langage » la toujours même donne « cybernétique », seront incapables d’être saisis-de cet « Événement de la vérité »… qui pourtant, par le simple « regarder-vers-le haut » d’un singe debout il y a un million d’années, avait donné naissance à toute « pensée » et tout « langage » ; si bien aussi que seulement tenter de rédiger, en ce mode scripturaire, quelque chose comme un ouvrage intitulé L’Événement de la vérité, n’est rien de moins que s’opposer au devenir-machine, déjà bien engagé, de l’« être » humain ; et combien de « littérateurs » aujourd’hui autour de nous, pour ne plus écrire que sous le signe de cette pensée très particulière qu’est celle de type « cybernétique », ne sont-ils pas déjà devenus, bien que se barbouillant à tout propos du mot d’« humain », de telles « machines » ? Car c’est aujourd’hui partout et à chaque instant que le « monde vrai » recule devant l’« univers réel » : celui que prétend nous imposer, en ce mode « amalécite », la présente domination « absolument moderne » ; et « univers réel » qui, s’il devait l’emporter (lui aussi) « absolument », signifierait la victoire totale et définitive de la « littérature » sur la « scripturature – et aussi bien : la fin, en ce mode de la fixation du/d’un sens, de toute « humanité de l’homme » – ; dont tous les « romans-yaourts » et autres « petits traités » produits à la chaîne par l’actuel système éditorial-médiatique nous donnent déjà, en leur « insignifiance » même, un aperçu particulièrement significatif et saisissant. L’in-signifiance ici, ce n’est pas tant la perte du/d’un « sens » : dont se désole par exemple le littérateur Millet, que la fixation, en cette forme uniquement « littéraire » : dont se barbouille, sans jamais songer à en interroger la notion, le même, de ce « sens » ; et « fixation » qui, si elle devait l’emporter absolument, ne signifierait rien d’autre que la fin de l’aventure humaine – et aussi bien celle de la « vie du sens » (c’est-à-dire, on l’a vu, de sa « circulation » entre les pôles de proche-et-lointain, terrestre-et-céleste, humain-et-divin, etc.) – : celle de cette créature « bizarre » qui il y a un million d’années, en l’éclair inaugural d’un premier « regarder-vers-le-haut », avait fait passer l’« étant » en sa totalité du stade de ce (morne-ennuyeux) « univers réel » à celui d’un (passionnant-délicieux) « monde vrai ». Car la « vérité », comme sans doute l’espace ou le temps, n’a pas toujours existé : étant elle aussi le fruit d’un processus de pensée qui, s’il venait à s’interrompre : à se fixer en cette forme « littéraire » (on dit aussi « scientifique »), pourrait très bien faire que sa « notion » disparaisse entièrement du monde (qui, dès lors, n’en serait plus

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tout à fait un : plutôt un « univers ») ; et que serait alors un tel (non-)monde où « la vérité n’aurait plus d’amis » (Debord), c’est-à-dire : plus de « témoins » (de la sur-venue de son « Événement ») ? Très probablement : un « univers » où tout serait « réel »… mais où rien ne serait plus vrai – un univers uniquement peuplé de « machines » (qui pourrait même « se piquer de »… littérature) – ; et c’est très probablement aussi pour conjurer le spectre d’un tel « à-venir (de la littérature) » – mais « à-venir » qui, on le comprend, dépasse infiniment la niaise et parcellaire question du devenir de la stricte discipline « littéraire » (qui s’en soucie ?) – que les scripteurs continuent de « scripturer » : parce que eux, contrairement aux littérateursmachines », n’ont en vue que l’autre question, elle proprement fondamentale dans la perspective de la poursuite ou non de cette « aventure humaine », du destin de cette vérité qui, si elle se retire du monde, nous plongera tous tant que nous sommes – scripteurs comme littérateurs : humains comme machines – au désert de cette in-signifiance réalisée que préfigure déjà l’insigne pauvreté des présentes productions « littéraires » ; et productions qui ne doivent plus servir qu’à masquer, en la forme de ce simulacre de toute « littérature », le processus bien plus essentiel de la dissolution effective – non tant d’ailleurs par mensonge que par futilité (celle qui serine aux tristes habitants de cette « époque littéraire »-spectaculaire que « tout est égal » et que « rien ne vaut rien ») – de cette vérité.

Une sorte de guerre silencieuse – dont l’enjeu n’est rien de moins que la disparition ou non de cette « notion de vérité » – s’est donc engagée entre ceux qui veulent continuer de témoigner-de son « Événement » et ceux qui pensent in petto que, de cette « (notion de) vérité », on pourrait après tout fort bien se passer ; et guerre dont le coup d’envoi – la très effective « déclaration » – a eu lieu il y a déjà plus de deux mille ans au cours de cet échange fameux entre le « Dieu du temps » et son infortuné juge romain « frotté-de » culture philosophico-littéraire :

– Je suis venu pour témoigner de la vérité.

– Qu’est-ce que la vérité ?

; et qui ne voit que, depuis, nous ne sommes en réalité jamais sortis d’un tel « débat » entre « témoins-de (cette vérité) » et ceux qui, en ce mode peu ou prou sophistico-cynique, s’efforcent d’en repousser dans l’oubli la

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(toujours dérangeante) « notion » – entre scripteurs et littérateurs – ; sauf qu’à présent, au désert d’insignifiance où nous a jetés l’« époque littéraire »

– Pilate étant comme passé, dans l’intervalle, du statut de fonctionnaire (de l’Empire) à celui d’éditeur influent (de la domination) –, les scripteurs et « amis-de-la-vérité », étant désormais systématiquement « empêchés » de remplir leur fonction de « témoins-de » celle-ci, n’ont d’autre choix, pour échapper aux « persécutions littéraires » menées contre eux, que d’aller se réfugier dans d’autres catacombes (scripturaires) : ce que j’ai pu appeler, dans le tome éponyme de mon « grand récit », des « ateliers du silence » ; et « ateliers » dont on comprend qu’ils sont les derniers lieux de cette terre et de son « paysage littéraire » ravagé où quelque chose comme une résistance à toute cette (littéraire) dévastation peut s’organiser. C’est une « recherche extrême » qui, en de tels lieux souterrains-clandestins est mise en œuvre, et recherche qui ne doit désormais plus rien attendre du système éditorialmédiatique mis en place par une domination dont le but à présent clairement affiché est de maintenir l’ensemble des publications d’une « époque (littéraire) » entière dans cette tonalité d’in-signifiance (scripturaire), caractéristique de tout « univers réel » avant que n’entre en scène, il y a un million d’années, le « monde vrai » qui, par « rendu-témoignage-à » son Événement de la vérité, allait, cet « univers-réel »-littéraire, le bouleverser de fond en comble. Si bien aussi que, si dans un autre million d’années on se souvient encore de cette « planète », c’est uniquement parce que, le temps d’un éclair : celui de ce « regard-vers-le-haut » porté par un de ses plus infimes-négligeables habitants, elle aura été le lieu précaire et comme miraculeux de la sur-venue d’un tel « Événement (de la vérité) » : celui que la présente « époque littéraire » s’efforce aujourd’hui de repousser dans l’oubli… par « grand remplacement » de « monde vrai » par « univers réel ». Il faut donc, pour s’opposer à ce « grand remplacement » (au sens que je dis), tenter d’imaginer un temps où cet « Événement » n’avait pas encore eu lieu – ce qui revient peu ou prou à tenter d’imaginer (si cela est possible) un « temps »… où le temps lui-même n’avait pas commencé ! – : une Terre qui dormait du lourd sommeil de l’in-signifiance de tout – quand les nuages passaient pour rien et les étoiles brillaient pour personne – ; et Terre dont les grands événements de son « avoir-été » – sa formation, l’apparition du « phénomène » de la vie à sa surface, l’émergence puis la fin des dinosaures, etc. – n’avaient été que des songes vite dissipés : puisque même quelque chose comme la notion d’un tel « avoir-été » n’avait pas été inventée (c’est nous qui, parce que dépositaires de toute « vérité », donnons rétro-specti-

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vement substance, en les re-plaçant dans la perspective d’un tel « avoirété », à ces « grands événements »). Ce qui revient encore à dire que les scripteurs sont ceux-là qui, à chaque époque, selon, littéraire ou… géologique – : en continuant obstinément de vouloir témoigner-de cet « Événement de la vérité » –, réveillent l’« étant » en sa totalité de son « sommeil (dogmatique) » d’in-signifiance et, en l’accomplissement têtu d’une telle tâche (époquale-ontologique), font que le « monde vrai » ainsi, par leurs lointains ancêtres erectus, une première fois con-figuré, ne retombe pas dans le morne-ennuyeux « univers réel » dans lequel, si tout déjà, sans doute, « arrivait », rien n’avait vraiment commencé ; ce qui peut aussi expliquer pourquoi, chaque fois qu’un de ces scripteurs se met en tête de rédiger un « grand récit », celui-ci ne peut faire autrement, à partir d’un moment, que d’épouser la forme peu ou prou canonique-archaïque d’un récit des origines : c’est-à-dire d’un ouvrage essayant de revenir, non tant à l’origine, selon, « des espèces » ou « de l’univers », qu’au « commencement du monde (vrai) »… et, par suite, à l’Événement très particulier qui a fait surgir en un éclair pensif ce « monde vrai » – réveillé de tout « univers réel »-endormi (dans son sommeil d’in-signifiance). Et qui ne voit que l’entrée-dans l’écriture-de ce présent Événement de la vérité constitue précisément ce moment où la spirale du sens de mon « grand récit » – celui jusque-là intitulé L’Europe et la Profondeur – se met, telle une fugue qui, après avoir été aussi loin que possible dans son « développement » reviendrait à son thème initial, à épouser la forme d’un tel « récit des origines » : comme s’il avait fallu à son scripteur les dix-mille pages d’écriture serrée de cette Profondeur… pour comprendre enfin qu’il était là, tout près et si intime, le « commencement » qu’il poursuivait depuis le « début » (de ce même « grand récit ») ?

« Univers réel » et « monde vrai » : la véritable origine – qui ne correspond donc à aucun « début » : plutôt au « commencement » que je dis –a dû avoir lieu quand, en le mouvement de la sur-venue de cet « Événement de la vérité », on est (presque) subrepticement passé de l’un à l’autre ; mais passage qui, bien qu’arrivé « à pas de colombes », a pourtant constitué l’événement le plus important – et peut-être même : le premier à (vraiment) « sur-venir » – de toute l’« histoire » de cet univers – qui d’ailleurs, parce que, tout en étant déjà « réel », n’était pas encore « vrai », n’en avait jusquelà jamais eu aucune (c’est nous qui, parce que forts de notre invention de la « notion de temps », projetons sur ce « passé » vague et indistinct de

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l’univers la catégorie, somme toute fort récente, d’un « avoir-été »… et par suite celle de quelque chose comme une « histoire-de » l’univers) – ; par quoi un véritable « récit des origines », avant de s’intéresser à de (supposés) « événements » tels que le Big Bang, ou la formation de la Terre, ou l’apparition de la vie sur celle-ci, etc., doit d’abord se focaliser-sur la naissance du temps – qui n’a donc pas toujours « existé » –… et même, plus profondément, sur ce mystérieux passage d’« univers réel » à « monde vrai » qui a constitué le véritable « commencement de tout » : ce qu’on a coutume, en effet, d’appeler « origine » ; mais « origine » dont on comprend aussi qu’elle ne correspond à aucun « début » situé dans le temps (puisque ce « temps » n’avait pas « commencé » !) : si bien aussi peut-être que rédiger quelque chose comme un « récit des origines » – celui qui s’intitulerait par exemple L’Événement de la vérité – suppose de la part de son scripteur, non pas de plonger-en la dimension de ce temps : puisque d’invention relativement « récente », mais plutôt de tenter de correspondre, dans le présent d’une telle rédaction (de ce « récit des origines ») à ce qui, de cette « origine », est, d’une certaine façon, encore-toujours en venue… vers nous les scripteurs et autres « rêveurs définitifs ». Où l’on comprend aussi en quoi consiste l’« erreur » de tous ces littérateurs qui, pour écrire eux aussi leur propre « récit des origines » – où les équations ont seulement remplacé les phrases (mais c’est toujours, si l’on y songe, de la « littérature ») – vont chercher infiniment loin dans le gouffre de l’espace-et-du-temps ce qui, en réalité, est tout proche et comme « frappant à leur porte » : cette « origine » même qui, pour être « racontée », n’a nullement besoin de télescopes orbitaux et autres « chantiers de fouilles » en Afrique australe (ou orientale). Pour ce qu’écrire un tel « récit des origines » suppose, non de revenir au début de l’« univers réel » – qui, de toute façon, se dérobera toujours à nos investigations –, mais, en (r)ouvrant par un seul « regarder-vers-le-haut », toute dimension de « lointain », de (ré)éditer l’expérience du commencement du « monde vrai » ; et expérience qui, n’étant rien d’autre que celle de cet « Événement de la vérité », (re)commence en réalité tous les jours ; par quoi cette « origine », loin d’avoir eu lieu une fois « il y a très longtemps », vient en vérité à nous à chaque instant : tout se passant comme si c’était « à chaque instant » que se (re)dépliaient « devant l’attente de nos yeux » les dimensions, toujours jeunes et neuves, d’espace et de temps. Ce que l’on peut encore exprimer en disant que la « Création du monde » a lieu chaque matin que le ciel fait… lorsque sa lumière, déchirant les ténèbres grises et indistinctes de l’« univers réel », (r)amène par un premier rayon

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trouant en un éclair silencieux – celui-là même de cet « Événement de la vérité » – toute cette con-fusion qui précède l’aube un peu de « vrai » sur ce monde ; mais « vrai » suffisant pour que chaque chose (de ce monde) se (re)mette à correspondre-à son « ce-qu’elle-est » et, par un tel passage de « réel » à « vrai », (re)couvre sa singularité (de chose qui n’« est » que dans la mesure où elle « est ce qu’elle est »… et pas « autre chose »). Ce que j’appelle ici l’« Événement de la vérité » n’est donc rien d’autre que ce processus – dont le spectacle de l’aube n’est bien sûr qu’une image un peu plus « parlante » et colorée : « enluminure » ou « illumination » (au sens rimbaldien) – par lequel chaque chose, comme touchée par le doigt de cette « lumière du vrai », se (re)met, après ce temps de nuit et d’in-distinction, à « être ce qu’elle est » : affirmation qui peut sonner comme une formidable évidence/sublime banalité – comment les choses pourraient-elles être « autre chose que ce qu’elles sont » ? –, mais affirmation dont le « celava-de-soi », pourtant, mérite d’être interrogé à fond et en premier par tout scripteur désireux de rédiger quelque chose comme un (nouveau) « récit des origines ». Où l’on retrouve ici encore, par la précision de cet « en premier », l’idée – déjà avancée dans mon précédent Bruit du temps (au moment justement de l’introduction de cette notion, opposée à celle de « littéraire », de « scripturaire ») – que ce même « scripturaire » et son illustration ne sont rien d’autre finalement qu’une question de préséance… accordée à cet « Événement de la vérité » sur tous les autres (« événements ») –à son « commencement » sur tous les « débuts » – ; et « préséance » qui explique notamment pourquoi tout ouvrage de facture authentiquement « scripturaire » ne peut prendre à partir d’un moment que la forme d’un « récit des origines »… qui lui-même, à partir de ce même « moment » : celui donc de la séparation rédhibitoire entre « littérature » et « scripturature » – entre ouvrages qui toujours s’efforcent de (re)venir à un « début » et ceux qui se contentent de laisser-venir à eux un/le « commencement » –, ne peut en effet prendre pour titre que celui de ce (présent) Événement de la vérité. Si bien aussi que, pour un scripteur : c’est-à-dire pour un auteur ayant enfin apostasié toutes les catégories de ce « littéraire », entrer dans l’entreprise de la rédaction d’un tel Événement, c’est, comme je l’annonçais déjà dans ce Bruit du temps, prendre le risque (littéraire) de ne plus écrire que des platitudes du genre de celles, déjà ébauchées plus haut, de ce « les choses

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sont ce qu’elles sont » et autre « le temps passe » ; mais « platitudes » dont on comprend aussi, dès lors, qu’elles sont, sous leur apparence de « dire d’évidences », les formulations s’approchant peut-être le mieux de ce qui est ici appelé l’« origine » : au sens où cette « origine » n’est rien d’autre que le nom de la (divine) « éviden(ce) » qui a présidé, en le mouvement d’une séparation rédhibitoire entre « univers réel » et « monde vrai », à tout « commencement » – « Création » –… de ce « monde » même ; et « éviden(ce) » à laquelle, si l’on veut écrire quelque chose comme un (nouveau) « récit des/de l’origine », il faut bien toujours re-venir : au risque, on l’a vu, de rédiger un livre, selon, parfaitement « plat » – ce qui serait tout de même un comble pour l’(ex-)auteur de cet « Europe et la Profondeur » –… ou alors totalement illisible – un de ces ouvrages dont Kafka disait qu’ils sont « plus faits pour être écrits que pour être lus » – ; mais « risque » qui, dans les deux cas : platitude et/ou illisibilité, ne saurait réellement effrayer un « (authentique) scripteur » : pour ce que celui-ci, ayant apostasié définitivement toutes les catégories du « littéraire » : celles qui justement s’efforcent de prévenir un tel « risque », ne cherche plus qu’à s’enfoncer toujours plus avant dans ce « pays de formes grises » où il sait sûrement que l’origine a sa tanière et aussi bien, sous la forme d’un « dire-de » telles « évidences », sa nocturne racine ; et qui, ayant compris cela, ne voudrait pas, en une telle exploration de la « dimension de ce (pur) scripturaire », progresser toujours plus profondément… jusqu’à déboucher, en lâchant la bride à sa plume, au cœur de ce « royaume des évidences » (qui ne le sont en vérité que lorsqu’on les observe « de l’extérieur » : c’est-à-dire du seul point de vue – étroit, mesquin et limité (toujours peu ou prou « narcissique ») – du « littérateur ») ? Par quoi aussi, à partir d’un moment, « scripturer » et interroger le « cela-va-de-soi » de telles « évidences » viennent comme deux activités « sœurs » qui, plus on avance en l’inspection de leur rapport mystérieux, et plus le livre qui, en le mouvement d’une telle « inspection de l’inouï » (Rimbaud), s’écrit… finit par réaliser pratiquement le (scripturaire) oxymore d’un ouvrage qui, plus il dit de « platitudes », et plus il devient… illisible ; son but étant atteint lorsque son lecteur commence à comprendre que ces platitude et illisibilité ne sont en réalité que les deux facettes d’une même « vérité » plus haute : celle qui est ici appelée « origine » ; et « vérité » qui fait clairement voir (à ce lecteur) que rien n’est plus mystérieux, s’il consent seulement à s’arrêter un instant sur le « cela-va-de-soi » de leur (prétendue) évidence, que de telles « platitudes » (qui ne le sont en réalité que du point de vue « littéraire » – jamais :

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« scripturaire »). Par quoi l’on comprend aussi qu’écrire quelque chose comme ce « récit des origines » – dont j’entreprends ici la rédaction sous le titre (lui aussi peu ou prou oxymorique) d’Événement de la vérité – ne suppose de la part de son scripteur que de prendre au sérieux des affirmations que la littérature regarde ordinairement comme de « (sublimes) platitudes » et, bien loin d’essayer, comme le préconise justement cette « littérature », de s’en préserver, de tenter au contraire de « creuser » en ce mode a-byssal-scripturaire leur « cela-va-de-soi » – que par exemple « les choses sont ce qu’elles sont » ou que « le temps passe » –… et cela jusqu’à leur faire avouer les gouffres qu’elles recèlent, et gouffres par où bée, en le mode du « dire silencieux » de son évidence, cette « origine » même ; et qui ne voit que, dans une telle « perspective » : en se contentant d’en suivre la « fuyante (simple et bizarre) », partir seulement de la phrase qui pose (tranquillement) que « les choses sont ce qu’elles sont »… peut très bien conduire son « (innocent) scripteur » infiniment loin dans la direction de cette « profondeur » qui bée en réalité sous une telle « platitude » ; mais platitude qui n’est « plate » que du fait qu’elle est la première « vérité » que les littérateurs, pour rédiger leur propre « récit des origines », commencent par écarter : alors qu’en son « dire-de (l’évidence) » résidait justement, exposée dans « la pleine lumière (de cette évidence) », cette « origine » même.

En cela ce qui est ici appelé « Événement de la vérité » n’est rien d’autre que le mouvement par lequel la chose est ramenée à son « évidence de chose telle qu’elle est (et pas autrement) » ; si bien que rédiger quelque chose comme un « récit des origines » – qui s’intitulerait justement L’Événement de la vérité –, c’est ne rien faire d’autre également que (d)écrire ce mouvement qui, partant de la chose revient-à la chose, et, en le « dire » de la « (de)scription » d’une telle trajectoire orbiculaire, explorer l’intervalle qui toujours se creuse entre la chose et elle-même ; et intervalle qui est celui-là même qu’on a coutume d’appeler le temps ; ce pourquoi aussi tenter de « dire » l’« origine » suppose que ce « dire » épouse la forme d’un « récit (de cette origine) » : par quoi ce « récit (de l’origine) » devient à son tour rien de moins que l’ origine du temps , c’est-à-dire de la dimension par laquelle la chose, en ce mouvement orbiculaire de volte-face, doit passer (« devenir ») pour se retrouver « face-à » son « ce qu’elle est (et pas autrement) » – « face-à » sa vérité – ; et voilà pourquoi aussi sans doute le titre de tout « récit des origines » ne peut être que celui de cet « Événement de

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la vérité » : pour ce que cette « vérité », lorsqu’elle vient (si elle vient), ne peut le faire qu’en la forme d’un « Événement », qui est la forme ordinaire, le rendu-sensible (au « cœur humain »-disant), de la manifestation de la dimension de ce temps. Rédiger quelque chose comme un « récit des origines », c’est donc toujours raconter une histoire ; mais « histoire » qui aurait (eu) lieu, non pas en quelque lointain et peu ou prou « mythologique » –car même la théorie du Big Bang est encore de la mythologie (seulement scientifique) – « avoir-été », mais en réalité tous les jours et à chaque instant : chaque fois que (re)vient nous frapper-et-saisir, de son éclair silencieuxpensif, cet « Événement de la vérité » qui fait que, parce que « le temps passe », les « choses sont (aussi) ce qu’elles sont » (et nous voilà revenus aux « banalités de base » énoncées plus haut). Tout se passant ici comme si, pour empêcher que le « monde vrai » où nous séjournons – i. e. : le monde où les choses sont « vraies » (et pas seulement « réelles ») – ne retombe dans l’informe-et-ennuyeux d’un « univers réel », il fallait qu’à chaque « époque littéraire » un scripteur recommence le long travail (scripturaire) de la rédaction d’un (nouveau) « récit des origines » : c’est-à-dire explique à ses « frères humains »-littérateurs, tel le détective Dupin au préfet de police de Poe, que cette origine, qu’ils vont, dans leurs propres « récits (des origines) », chercher si loin dans les gouffres de l’espace et du temps, a en réalité lieu tout près et à chaque instant : en le mouvement de cet « Événement de la vérité » qui, chaque jour et comme « à leur porte », (re)fait correspondre toutes choses de ce « monde-vrai » à leur « ce qu’elles sont » – à leur évidence de « choses qui sont ainsi et pas autrement » (ce qui, si l’on y songe, n’est jamais gagné : nullement garanti) –… et, en le dire (scripturaire) d’une telle « (cor)respondance) », empêche ce « mondevrai » de retomber dans l’ennui et la vulgarité d’un « univers » qui ne serait que « réel » : c’est-à-dire d’un « univers » dans lequel, si tout « arriverait », rien, faute de « vérité » à l’œuvre en lui, ne signifierait. Et telle est bien toute l’« affaire » – que Dupin qualifierait probablement de « simple et bizarre » – de la pensée : « simple » par ce qu’il ne s’agit en celle-ci que de « dire des évidences », mais « bizarre » parce que rien, si l’on y songe froidement : en « poète et mathématicien », n’est plus mystérieux que ces « évidences »… dont « l’aller-de-soi »… ne va justement, si l’on se donne seulement la peine de questionner à fond leur (apparente) platitude-et-banalité, jamais « de soi » ! La chose la plus étonnante en ce « monde vrai », c’est que les choses, tout en « passant », demeurent ce qu’elles sont – ce que j’ai pu appeler plus haut leur « permanence voyageuse » – ;

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mais « demeurer » qui paradoxalement, pour « demeurer », a besoin d’un tel « passer » ; c’est-à-dire besoin de ce mouvement par lequel, à chaque instant, les choses sont reconduites-à leur « ce qu’elles sont » – à leur évidence de « choses qui sont ainsi (et pas autrement) » – ; et « évidence » qui, si l’on y songe profondément, constitue tout le mystère de ce « monde (vrai) » : l’erreur commune de tous les littérateurs étant, on l’a vu, d’envisager ce « monde » sous les espèces d’une énigme à résoudre – à commencer donc par celle de son « origine » (de la « cachette » où « Dieu » pourrait bien se dissimuler) – ; et, par un tel présupposé fait, comme « sans y penser », sur ce monde, de toujours manquer ce qui est plus haut que toute « énigme » : le mystère de ce monde… qui lui n’est ni soluble ni in-soluble : seulement « mystérieux » en la forme de l’exposition en pleine lumière – celle donc du « vrai » – de l’évidence de ses choses. Par quoi l’activité de « scripturature » obtient la préséance sur celle de « littérature » : parce que elle, pour écrire son propre « récit des origines », a compris cette chose toute simple que, pour procéder à une telle rédaction, il fallait ne jamais quitter l’œuf de cette « origine » – au risque, on l’a vu, de ressasser infiniment des platitudes et autres « banalités de base » –, tandis que sa (littéraire) rivale, elle, pour rédiger ce même « récit des origines », a commencé par, ces « platitudeset-banalités », tout de suite et d’entrée en écarter l’examen – celui donc de « l’aller-de-soi » de leurs « évidences » – : se condamnant par là à manquer toujours cette « origine » – à chercher partout la cachette d’un « Dieu » qui, parce qu’« évident », ne se cache en réalité nulle part – ; tandis que les scripteurs eux, parce qu’ayant au moins compris ceci que l’examen de tels « aller-de-soi (de l’évidence des choses) » est la condition préalable à toute rédaction de quelque chose comme un « récit des origines » – traduit « théologiquement » : parce qu’ayant au moins compris ceci que « Dieu », bien loin de « se cacher », ne cesse au contraire de « se montrer » (même si cette (divine) auto-monstration constitue en même temps la chose la plus mystérieuse qui soit) –, ont loisir d’assister, comme « en direct » et au seuil de la porte (de leur « maison de scripturature »), à la (sur-)venue vers eux… de cette « origine » même. Et voilà comment aussi, bien que tous les deux désireux de rédiger un « récit des origines », tandis que le littérateur ne saurait commettre que des « petits traités » (peu ou prou toujours in-signifiants), le scripteur, lui, est en mesure de rédiger quelque chose comme un « grand récit » dont l’ultime contrepoint s’intitulerait « L’Événement de la vérité » : puisque c’est là, pour une époque littéraire : la nôtre, le seul titre que puisse prendre un tel « récit des origines ».

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L’« origine » ne peut sans doute être « dite » – à tout le moins : en l’acception d’une fixation de sens (de ce mot d’« origine ») –, mais elle peut être racontée : ce pour quoi toute tentative du « dire (de cette origine) » épouse nécessairement la forme d’un « récit (de celle-ci) » ; et « récit » qui lui-même, à son tour, ne peut prendre que la forme du « (d)écrire » d’un tel « Événement de la vérité » : puisque celui-ci n’est rien d’autre que le mouvement par lequel tout chose est reconduite-à son « origine » et, en une telle « volte-face », se trouve être enfin « ce qu’elle est (et pas autre chose) ». Ce qui est ici appelé le « monde vrai » est donc un monde, en cela toujours différent de l’« univers » platement « réel », où chaque chose correspond à son « origine » ; ce pour quoi aussi, en un tel « monde », du temps est à l’œuvre – ce qui n’est pas le cas de l’« univers réel » (où le « temps », peut-être, passe… mais sans jamais signifier ) – : puisque ce « temps », on l’a vu, n’est rien d’autre que la dimension dans/par laquelle la chose en-vient-à correspondre-à son « ce qu’elle est » – Hegel disait : « la dimension où advient la vérité de la chose » –… et, par suite, l’élément où peut se déployer/être raconté quelque chose comme un « récit des origines ». Ce qui nous amène à cette conclusion que le « temps de l’origine » – en réalité : cet écart entre la chose et sa « vérité » (et non pas quelque lointain et mythologique « avoir-été » où l’origine « aurait eu lieu ») – n’est rien d’autre que l’origine du temps : ce pour quoi il ne peut « y avoir du temps » que dans un « monde (toujours-déjà) vrai » – jamais dans un « univers (seulement) réel » (i. e. : où les choses ne correspondent/« coïncident » pas avec leur « ce qu’elles sont ») – ; le « temps », son « ineffable dimension », venant par là, non pas comme cela qui s’opposerait à la « vérité de la chose » – la croyance à une telle opposition ayant, dès ses débuts, constitué comme le « péché originel » de toute « pensée philosophique » –, mais, bien au contraire, comme cela qui, en le mouvement de cet « Événement de la vérité », autorise la sur-venue en ce monde – dès lors : « vrai » –… de ces « vérité (de la chose) »/« origine (de ce monde) ». Si bien aussi que rédiger quelque chose comme un (nouveau) « récit des origines » – qui dès lors, pour cette époque, ne peut en effet, ou le comprend aussi « dès lors », que s’intituler « L’Événement de la vérité » (seul changeant, pour chaque « époque (littéraire) », le titre d’un toujours même « récit des origines ») –suppose de la part de son scripteur de se focaliser uniquement sur la question du rapport mystérieux que toujours entretiennent « temps » et « vérité » ;

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et « rapport » qui se dit notamment, comme on l’a déjà ébauché plus haut, en l’oxymore de cette « permanence voyageuse (des choses) » – comment les choses, tout en « passant », peuvent-elles « demeurer » (et réciproquement) ? – ; et « oxymore » qui reçoit lui-même sa « résolution » de la considération (pensive) de ce « fait » que c’est parce que, dans un « monde vrai », les « choses sont ce qu’elles sont (et pas autre chose) » que, en ce même « monde », il peut y avoir quelque « chose » (qui n’en est aucune) comme du « temps » – et réciproquement : que c’est parce que, dans tout « monde vrai », il y a toujours à l’œuvre du « temps » que les « choses (de ce monde) » sont ce qu’elles sont (que ce monde est un « monde vrai » et non quelque vague et peu ou prou insignifiant « univers réel ») – ; par quoi l’on comprend aussi que le véritable objet d’une telle méditation/rédaction (de tout « récit des origines ») ne peut être que cette « réciprocité » même (entre « temps » et « vérité »). Car si la « vérité » est cet « Événement », il vient naturellement que, pour « sur-venir », elle a besoin du « temps », c’est-àdire de cette « dimension » par laquelle, en l’empruntant (en le mouvement d’un mûrissement ), les choses ont loisir d’« être ce qu’elles sont » – ce « monde », d’être « vrai » – ; et (toujours) « réciproquement » : si le temps est bien l’élément d’un tel « mûrissement », alors, pour se déployer/déplier-en l’(ineffable) dimension qu’il « est », il a besoin de cette « vérité (des choses) » ; « temps » et « vérité »/« voyage » et « permanence » n’étant donc ici que les deux composantes – en apparence opposées mais en réalité secrètement tournées l’une vers l’autre (en le mode de cette « réciprocité ») – de ce toujours même « Événement de la vérité ». Et si donc il y a à l’œuvre en ce monde un « secret » – qui n’est aucune « énigme (de ce monde) » : puisque ce « secret » est toujours-déjà connu de tous –, celui-ci « gît » (Follain) uniquement en ce fait d’expérience que les choses, pour « demeurer »en leur « permanence » : en leur « ce qu’elles sont », doivent « voyager » : c’est-à-dire toujours être « passées » comme au tamis de cette (mystérieuseineffable) dimension que nous appelons (peut-être après tout faute de mieux) le « temps » ; par quoi l’on comprend aussi que, dans l’oxymore de cette « permanence voyageuse (des choses) », le mot qui en réalité fait le plus signe-vers cette dimension du « temps » est, non pas comme on pourrait le croire, celui de « voyage », mais bien celui de « permanence » : puisqu’en effet, en ce monde où « tout passe », la seule « chose » qui « demeure »… c’est ce passage même (du « temps »). Le temps « a » son (unique) « vérité »

son oxymorique « permanence » – dans son « passage », mais « paradoxalement » – en réalité : « réciproquement » –, c’est ce « passage » même qui

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confère, en le mouvement d’un « devenir (de) ce qu’elles sont », leur unique vérité aux choses – leur « permanence (en ce mode “voyageur”) » – ; et « vérité » qui, s’il ne passait pas toujours en ce « monde vrai » quelque « chose » (qui n’en est aucune) comme du « temps », resterait pour ainsi dire lettre morte – « littérature » quand elle n’est pas vivifiée-par la « scripturature » – : ce qui fut sans doute le cas dans l’« univers réel » – « quand » les choses « étaient » déjà sans doute (mais pas encore nécessairement « ce qu’elles sont ») – qui « précéda » la Création du « monde vrai » – quand « la terre, dit le premier verset du plus fameux de tous les “récits de l’origine”, était vague et vide (et que) les ténèbres couvraient l’abîme » – ; ce qui donne, traduit ici par mes soins : quand l’univers, n’étant encore que « réel » : sans être « vrai », ne pouvait être en effet que « vague et vide » –i. e. : privé, non tant d’« être », que de la signification (de cet « être ») –… et cela parce que les « ténèbres » (d’une telle in-signifiance) n’avaient pas encore été déchirées par l’éclair – celui du fameux fiat lux de ce même « récit » – de cet « Événement de la vérité ».

« Dieu » – à tout le moins : celui « juif » de cette Genèse – serait-il ce « Créateur » parce qu’il est d’abord ce scripteur ; c’est-à-dire cet « auteur » (du monde) qui, en séparant résolument « littérature » de « scripturature », aurait fait passer l’« étant » en son entier du statut d’« univers réel » –

« vague et vide » (de sens) – à celui de « monde vrai » – où les choses ont enfin ce loisir d’« être ce qu’elles sont (et pas autre chose) » – : restant alors, si l’on veut être soi-même en mesure de rédiger quelque chose comme un (nouveau) « récit des origines » : l’ouvrage que j’écris présentement, à identifier le (divin) modus operandi – la « méthode » (qu’il ne s’agirait plus dès lors que d’imiter : de « plagier ») – par lequel on passe d’« univers réel » (« vague et vide ») à « monde vrai » (bourré de « sens ») ; et passage dont a vu plus haut que, pour s’opérer, il n’exige qu’une seule chose : la « survenue », en le mouvement d’un (re)conduire-les-choses-à leur « ce qu’elles sont », d’un (premier) « Événement de la vérité »… qui constitue donc le véritable « commencement (du monde) » – son « origine » et pas seulement son « début » – ; par quoi vient aussi l’essentielle différence entre « univers réel » et « monde vrai » : pour ce que, tandis que le premier ne fait jamais au mieux que « débuter », le second lui commence ; mais alors de quelle façon (par quel modus operandi ) ? Réponse : en se contentant d’introduire/initier dans tout ce « vague et vide » de l’univers réel – qui

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peut aussi bien être en très grand nombre : cf. la récente théorie scientifique des « multivers » – quelque chose de l’ordre du sens, c’est-à-dire du « vrai », c’est-à-dire encore, comme on vient de le voir, du temps : puisque cette dimension n’est rien d’autre que celle qui, par l’emprunt de son (oxymorique) « permanence », permet aux choses d’être (enfin) « ce qu’elles sont » – pour dire vite : d’être « vraies » – ; et voilà pourquoi aussi sans doute « commencement (du monde) » et « origine (du temps) » ne peuvent que « co-ïncider » : parce que « raconter » l’un, c’est « dire » l’autre (et réciproquement) ; même si, également, une telle « co-ïncidence », si elle n’est examinée qu’en mode littéraire-vulgaire (et non scripturaire), introduit, dans tout « récit des origines » : lorsque celui-ci est rédigé par un littérateur, une confusion entre début et commencement : celle qu’on retrouve notamment dans le plus récent des « récits des origines » – cette « théorie », encore « littéraire, trop littéraire », du Big Bang – ; et confusion qui explique pourquoi, parvenus (presque) tout au bout de leur voyage en direction du « temps zéro » de l’« univers réel », les auteurs de celle-ci tombent sur un « mur » – dit « de Planck » – ; et cela parce qu’ils n’ont pas compris que le « début (de leur univers) » n’est pas le « commencement (du monde) » : parce que toujours leur échappe ce fait que ce qu’ils appellent le « temps » – rien d’autre pour eux qu’une morne-littéraire « succession de maintenants » (tous identiques l’un à l’autre) – est en réalité constitutif de la « vérité (des choses et autres phénomènes) » qu’ils poursuivent pourtant inlassablement : puisque ce « temps » comme on l’a vu, loin d’être cela qui fait que les choses « passent » (en, donc, se « succédant »), est en réalité cela qui fait que les « choses sont ce qu’elles sont » – c’est-à-dire : « vraies » (et pas seulement « réelles ») – ; et confusion entre vérité et réalité/commencement et début qui expliquent aussi pourquoi, à partir d’un moment de leur remontée en direction de l’« origine » (ce que du moins ils prennent pour telle), ils ne comprennent plus rien à ce que, à la proximité la plus immédiate de ce « temps zéro » (de leur univers), ils découvrent dans la plus grande perplexité (littéraire-scientifique) : pour ce qu’ici, à cet « instant » : celui donc infinitésimal du « temps de Planck », leurs catégories (elles aussi : « litttéraires-scientifiques ») perdent tout simplement pied ; par quoi leur (littéraire) « récit des origines » tourne à une générale-pensive « confusion philosophique »… qui ne peut bien sûr que renforcer encore, en ce monde « scientifique », la tonalité d’insignifiance qui signe notre (présente) « époque littéraire » ; et cela, non tant par défaut de ressources intellectuelles : de « talent », que par absence de claire vision de ce qui, en ce genre d’affaires

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« simples et bizarres », est réellement en jeu : rien de moins que l’examen de ce rapport entre « temps » et « vérité » ; et examen qui, parce qu’il est la première chose que, dans la rédaction de leur (propre) « récit des origines », les littérateurs commencent par écarter, les condamne, tels le préfet de police de Poe, à toujours chercher sans jamais trouver (alors que les scripteurs eux, pour écrire ce même « récit des origines », adoptent la méthode (dupinienne) à peu près inverse : celle qui consiste à « trouver » d’abord… et à « chercher » – à écrire – ensuite).

S’établit donc ici une sorte de « chiasme » entre les deux couples de « temps-et-vérité » et de « permanence-et-passage » :

permanence passage ; et schéma qui explique pourquoi c’est parce que la « vérité du temps » réside en son « passage » que ce « temps » a pouvoir de faire que les choses, si elles veulent bien accepter de faire l’épreuve sur elles d’un tel « passage », « demeurent (ce qu’elles sont) » ; et réciproquement : c’est parce que la « vérité », lorsqu’elle vient, le fait toujours en le mouvement d’un « Événement », que ces mêmes choses, tout en « demeurant », peuvent aussi « passer » ; et effectuant pratiquement par là l’oxymore de cette « permanence voyageuse »… dont l’autre nom, si l’on suit les flèches de notre « chiasme », est donc « Événement de la vérité ». Le « temps » est donc cela qui, en appropriant les choses à leur « vérité », fait que celles-ci peuvent « être ce qu’elles sont » – i. e. : leur confère, en ce mode « voyageur », leur « permanence (de choses qui sont ce qu’elles sont) » – ; mais réciproquement : la « vérité » est cela qui, parce que toujours venant en le mouvement de son/un « Événement », fait que le « temps » a loisir de « passer » : par quoi le premier « Événement de la vérité » qui sur-vient est celui « de » la vérité de ce temps ; et vérité qui, on l’a vu, réside tout entière en le « passage » (de ce temps) » : ce pour quoi aussi dire que « les choses sont ce qu’elles sont » – « fin mot » de toute « vérité » – et/ou dire que « le temps passe »

– « fin mot » de toute « temporalité » – revient au Même, c’est-à-dire à la (toujours-même) « éviden(ce) de Dieu »… dont c’est seulement la mani-

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festation – dans le cours de laquelle se séparent « temps » et « vérité »/« passage » et « demeurer »/« voyage » et « permanence », etc. – qui est « mystérieuse ». C’est parce que la « vérité du temps » réside en son « passage » que cette « vérité », lorsqu’elle sur-vient à son tour, ne peut le faire qu’en le mouvement d’un/son « Événement »… qui devient par là le premier de tous (les « événements ») : celui-là même de ce « passage du temps » –quoique « premier » bien sûr à prendre ici, non pas au sens (platement) chronologique, mais à celui d’une préséance (en ce mode « scripturaire ») – ; et « préséance » qui est notamment celle, dans tout ouvrage authentiquement « scripturaire », de tout « commencement » sur tout « début » : dont on a vu plus haut qu’elle (cette « préséance ») était la condition préalable à toute rédaction de quelque chose comme un (véritable) « récit des origines » ; c’est-à-dire à un « récit » dont le (seul) sujet serait, en le mouvement d’un raconter du toujours-même « roman de l’origine », cette co-appartenance entre « temps » et « vérité » ; et « co-appartenance » qui fait que, sitôt qu’on se met à parler de l’un, on ne peut faire autrement aussi que de se mettre à « dire » l’autre (et « réciproquement ») : pour ce que le « dire du temps », à partir d’un moment de l’écriture de quelque chose comme un « récit des/de (l’)origine », renvoie nécessairement au « dire de la vérité » ; et « renvoi » qui lui-même peut seul expliquer ce « mystère des mystères » : ce fait « (infiniment) simple et bizarre » que les choses, pour « demeurer »/« être ce qu’elles sont », doivent « passer », doivent « voyager » (« changer »). La « vérité » est, non ce « dire » plus ou moins monolithique : cette « fixation de/du sens », mais bien cet « Événement » : premier motif d’étonnement… sauf que derrière celui-ci il y en a un autre auquel, à moins d’être le scripteur de cet Événement de la vérité, on pense beaucoup moins souvent : que la première « vérité » qui (sur-)vient en le mouvement d’un tel « Événement »… c’est celle du « dire » du « passage du temps » ; par quoi l’on doit croire que ce « dire » a très probablement constitué l’origine de tout langage (humain) et, peut-être, la première phrase qui ait jamais été prononcée par la « créature disante » : celle de ce « le temps passe » et temps qui, en un tel « passage », fait que les « choses sont ce qu’elles sont » (probablement : la deuxième phrase) ; et quelle est donc la première chose qui soit réellement apparue « digne d’être dite » à notre lointain ancêtre erectus… et « métaphysicien » ? Heidegger par exemple, dans son Introduction à la métaphysique, pense pour sa part que le premier mot de tout langage (humain) fut celui d’« être », mais un mot ou même plusieurs ne font pas un langage, chose articulée – seulement un vocabulaire – ; et qu’est-ce donc alors, il y

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a un million d’années autour des bivouacs d’erectus, a mis en branle ce que nous appelons la « syntaxe », cette manière qu’a l’homme, en faisant se succéder des mots sonores dans l’air, de faire des phrases, c’est-à-dire de tisser du sens (se déployant alors dans cette « ineffable dimension » que nous nommons le « temps ») ? Que le langage soit cette « activité humaine » qui se déploie dans le temps, cela sans doute tout le monde peut le comprendre ; mais qu’est-ce qui au juste, dans cette « activité langagière », a besoin du temps ? Non pas le vocabulaire – qui n’a besoin que d’un instant : celui de la nomination des choses (du « dire-de » leur « vérité ») –, plutôt la syntaxe qui elle d’évidence, pour construire/tisser dans l’air ses phrases, doit « passer-par » cette dimension que « dit » (si mal) ce petit vocable de « temps » – dont on ne sait au juste, après même un million d’années, ce qu’il peut bien dans l’instant de son « dire »… vouloir « dire » (puisque le temps n’est aucune « chose » qu’on puisse nommer, désigner) – ; par quoi cette syntaxe, pour « commencer », a bien dû se risquer à faire servir le langage – c’est-à-dire en réalité le proto-langage dont disposait à cette époque la créature « (proto-)disante » : le vocabulaire – à « autre chose » que le « dire des choses »… dont la « vérité » (de choses) se laissait « dire » sans manières et instantanément : à commencer par cette chose étrange, « simple et bizarre », dont la « vérité » résidait précisément en ce fait que, n’étant que « passage » et « voyage », elle n’en avait pas vraiment une ; et « chose » que depuis nous avons pris coutume d’appeler le « temps » –même si, dès le début, une telle nomination a dû sembler très insuffisante aux premiers hommes (et sans doute l’est-elle encore, toujours…) – : il faut donc croire que la syntaxe, cette « branche du langage » qui se déploie dans le cours du « temps », est apparue pour tenter de pallier cette « insuffisance (langagière) » ; étant clair que, tant qu’on se contente de prononcer dans l’instant le mot de « temps », on ne dit sans doute pas grand chose de cette « chose » – de sa « vérité » (de « chose » qui n’en est aucune) – ; mais si par exemple, pour mieux s’approcher du sens mystérieux-oxymorique de ce petit vocable, on inscrit celui-ci dans une phrase – comme celle par exemple de ce « le temps passe » –, c’est-à-dire dans une « succession » de mots qui, pour produire du sens, a besoin de se déployer dans cette « dimension du temps », alors quelque chose de plus précis de la « vérité » mystérieuse-oxymorique de ce « temps » – de cette « chose » dont la « vérité » réside tout entière en un passage/voyage (et « chose » qui donc n’en est pas vraiment une) – est saisi. C’est donc on le voit par le même mouvement que la syntaxe apparaît – que la première phrase est forgée

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et que la « vérité des choses » – celle que disait en ce mode « instantané » le seul vocabulaire (et mode qui était largement suffisant tant que le langage n’avait pas à « dire » la « chose-temps ») – vient soudain comme un « Événement » (et non plus une simple nomination) ; par quoi l’on comprend aussi que l’affirmation (peu ou prou) « philosophique » qui pose que « le langage est le propre de l’homme » mérite d’être ici sérieusement bémolisée : car ce n’est pas le « langage » qui constitue « l’humanité de l’homme » –les animaux, je crois, en ayant un aussi : disposant à tout le moins, eux aussi, d’un vocabulaire –, mais, à l’intérieur de ce langage, bel et bien la syntaxe, et « syntaxe » qui apparaît/est « inventée » (par l’homme) lorsque celui-ci comprend que le seul « vocabulaire » est peu ou prou impuissant à « dire la vérité »… de la « chose-temps » : c’est-à-dire, on l’a vu, à « exprimer », en le mode « instantané » d’une pure – quoique, dans le cas de cette « chose-temps, très insuffisante – nomination, l’oxymore que « dit »/est le sens de ce mot de « temps » – cette « chose » bizarre qui, tout en « passant », demeure (et réciproquement) – ; et oxymore qui, pour être déroulé : exposé ou « raconté », a besoin d’une phrase.

Par quoi aussi, avec l’apparition/invention de cette « syntaxe » : de ce langage (dit) « articulé », les deux pôles de notre (présente) méditation –ceux de ce « temps » et de cette « vérité » – sont pour jamais associés : comme le sont désormais, dans le langage (sitôt qu’il devient « humain » – i. e. : donc : « articulé »), « vocabulaire » et « syntaxe » – mots et phrases – ; étant clair ici que, tandis que les mots, en leur (pure) nomination (des choses), font signe-vers la (notion de) « vérité » (de celles-ci), les phrases elles, par leur art d’entrelacer les mots : en le mode d’une succession sonorepensive qui produit-du/« fait… sens », nous entretiennent/viennent nous « parler »… de l’autre « notion-du » temps. Par quoi l’on comprend aussi que cet « Événement de la vérité » – dont la méditation fait l’objet du présent ouvrage – est en réalité toujours-déjà inscrit dans le « langage (humain) » – expression qui n’est donc pas un pléonasme pour ce que ce « langage », contrairement à celui « animal »/non-articulé, est le seul à « savoir » associer vocabulaire et syntaxe, mots et phrases, vérité et temps, etc. – ; si bien aussi que rédiger quelque chose comme un « récit des origines » – qui s’intitulerait alors et donc : très nécessairement-logiquement, L’Événement de la vérité – suppose peut-être ne rien faire d’autre que d’aller chercher, au sein même de ce langage : « humain » et, on l’a vu, très parti-

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culier, la trace d’une telle « inscription » : c’est-à-dire celle de cela que j’appelle ici la « dimension du (pur) scripturaire » ; et « dimension » dont les illustration/exploration – comme je l’ai déjà avancé depuis longtemps (depuis même l’écriture de mon précédent Bruit du temps) –… permettraient seules de rédiger quelque chose comme un/cet Événement de la vérité. Tout se passant ici comme si, par l’association qu’il (re)tisse à chaque instant, entre vocabulaire et syntaxe : mots et phrases, ce « langage (humain) » avait gardé mémoire, en ses rouages les plus intimes, du surgissement initial de cet « Événement (de la vérité) » ; ce pourquoi, de ce même « Événement », j’ai pu dire aussi que, loin de n’avoir « eu lieu » qu’une seule fois « il y a très longtemps », il sur-vient en réalité à chaque instant : à tout le moins chaque fois qu’un scripteur, lointain héritier de cet erectus qui inventa la syntaxe, inscrit une phrase sur la page de son (immense) manuscrit et, par une telle « inscription » (en ce mode donc, non tant littéraire, que scripturaire), re-vient à l’« origine » – par conséquent : « scripturaire » – de ce « langage (humain) »… dont on vient de voir que la véritable signature réside en cette invention de la syntaxe ; et invention qui, elle-même, a été rendue nécessaire par le souci, de la part d’une créature « proto-disante »/« pré-humaine » (qui ne disposait encore – en cela peu différente des autres espèces « animales » – que d’un « vocabulaire »), de rendre-compte-de cet oxymore – justement inscrit dans ce même « Événement de la vérité » : comment le temps, tout en « passant », fait-il pour « demeurer » (et aussi bien (ou mieux) : comment « quelque chose », dont la « vérité » réside en ces passage/voyage, a-t-il « en même temps », ce-pendant, ce pouvoir d’accorder leur « permanence » – leur « vérité (de choses) » –… aux autres « choses ») ? – ; et oxymore dont on comprend aussi que, pour être seulement exposé/déroulé (en ce mode peu ou prou « spéculatif »), il a besoin d’une phrase. Par quoi, ce qui a donné naissance au « langage (humain) » – i. e. : à l’invention de la syntaxe (cet art de « faire des phrases ») – : à savoir cette mise en relation entre « vérité » et « temps » (mots et phrases), se retrouve, sous l’expression-titre (de mon présent ouvrage) : celui de cet Événement de la vérité, à la fin : ce qui est justement la manière dont procède tout « commencement » (digne de ce nom) ; et « commencement » qui lui-même, parce que n’étant jamais un « début » : notion encore « littéraire, trop littéraire », n’a trait qu’à cette « dimension du scripturaire » que je dis (ici) ; et « dimension » qui seule a capacité, sous ces expression-titre d’« Événement de la vérité », à embrasser dans une même perspective, celle d’un regard que pourra alors « rassem-

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bler » une phrase , ces deux « notions » en apparence antagonistes de « temps » et de « vérité »/« passage » et « demeurer »/« voyage » et « permanence », etc. : par quoi écrire quelque chose comme ce (présent) Événement de la vérité… re-vient bien à rédiger, pour une « époque littéraire » : la nôtre, un (nouveau) « récit des origines ».

La question, on le voit, est toujours la même : celle portant sur cette mystérieuse/oxymorique « permanence voyageuse » des choses – dont le « reflet », au miroir du temps, est celle antisymétrique (quoique tout aussi mystérieuse/oxymorique) du « voyage permanent » de ce temps (de son « flux » incessant et irrépressible) – : comment les choses, tout en demeurant « ce qu’elles sont », font-elles pour passer ? – traduction « au miroir » : comment le temps, tout en ne pouvant faire autrement que « passer », s’arrange-t-il pour « demeurer (ce qu’il est » : ce pur « passage » justement) ? – ; et question/étonnement doubles qui ne peut recevoir de réponse que de, précisément, la mise-en-miroir des deux notions de « temps » et de « vérité /« passage » et « demeurer »/« voyage » et « permanence » : c’est-à-dire de la rédaction pratique d’un « récit des origines » qui prendrait alors pour titre – ce « miroir » même : scripturaire et non courtisan (anti-littéraire) – celui de ce (présent) Événement de la vérité. La « vérité » des choses réside généralement en leur « permanence » : cela qui fait qu’elles « demeurent (ce qu’elles sont) » ; mais voici qu’il en vient une, le temps, dont la vérité, réside, elle, en un/son passage (permanent) : cette sorte d’« exception ontologique » – une « chose » dont la vérité réside, non en une permanence, mais en un passage – donnant naissance au langage « articulé », c’est-àdire à un langage qui, à côté d’un vocabulaire : qui demeure dans l’instant, dispose aussi désormais d’une syntaxe : cela qui, du langage, se déploie dans le temps et, en un tel déploiement (scripturaire), engendre/produit des phrases… dont la première qui fut jamais énoncée fut sans doute celle, peu ou prou pléonastique, de ce « le temps passe » ; mais « phrase » qui, immédiatement après avoir été prononcée, n’a pu que renvoyer son locuteur à cette autre – à laquelle, probablement, il n’avait jamais pensé avant (parce qu’elle lui semblait relever de ces « évidences qui vont sans dire ») – que « les choses sont ce qu’elles sont » ; par quoi l’« exception ontologique » que constitue le temps – cette « chose » (qui n’en est pas tout à fait une) dont la vérité réside en un passage (la permanence en l’« in-cessant » de ce passage) – fait soudain venir les autres choses – celles dont la vérité réside

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en une permanence : en un « demeurer (de ce qu’elles sont) » – comme le plus profond des mystères… et plus particulièrement le « cela-va-de-soi » de l’évidence de ces « choses (qui-sont-ce-qu’elles-sont) » comme, désormais, la première question digne d’être examinée : comment font-elles les choses pour, tout en « passant », s’arranger pour « demeurer-ce-qu’-elles-sont » ?

Et question dont on comprend aussi que sa seule formulation – sa « phrase » – fait instantanément passer son locuteur – son « scripteur » – d’« univers réel » – où le temps n’a pas « commencé » (tout au plus : « débuté ») – à « monde vrai » – où cette fois-ci ce même temps ne cesse plus de… « passer » – ; par quoi l’on comprend aussi que, pour basculer de l’un à l’autre : de la morne-ennuyeuse « éternité » du premier au flux passionné-précipité du second, il n’a suffi que d’une question – que d’une « phrase » – ; mais « phrase », question… qui ont en un instant changé la face de l’« étant » en sa totalité : ont soudain con-figuré l’« univers réel » – où tout « arrivait » mais où rien ne « sur-venait » (parce que rien, en réalité, ne « signifiait »)

– en un « monde vrai » – le champ (l’« espace ») où, désormais, ne survenait plus que cet « Événement de la vérité » (et commandant/portant tous les autres (« événements ») : ceux qui ne font qu’« arriver » (qu’« advenir ») – ; et institution (« fondation ») d’un tel « monde vrai » qui a fait de l’innocent locuteur de ces « petite phrase »/« bête question » – « comment les choses font elles… », etc. – la créature « disante-pensante » que nous avons coutume, depuis, d’appeler l’« homme » : ce « vivant » qui se distingue des autres « vivants » – appelés dès lors : « animaux » – par ce fait qu’il s’étonne de « choses » – d’« évidences » – qui, pour les autres espèces « vont-de-soi » – ne méritent certes pas d’être examinées/questionnées – ; et « évidences » dont la première d’entre elles – en quelque sorte : la plus « évidente » de toutes (et par suite, en réalité, la plus mystérieuse) – est constituée par ce fait, dite par cette phrase… que « les choses sont ce qu’elles sont » : la belle affaire (mais « affaire » dont on comprend aussi, tout de suite, qu’elle est celle-là même – première et centrale : ayant la préséance (scripturaire) sur toutes les autres – « de la pensée ») ! Bien sûr, on peut reprendre toute cette « histoire » – celle donc de la naissance du temps, de l’homme, du « monde vrai », etc. – en se contentant de la « raconter » –ce que ne manquent pas de faire nombre de (présents-récents) « récits des origines » – du seul point de vue du langage : par cette « explication » (qui a aujourd’hui, dans certains milieux, le vent en poupe), que cette « origine » ne serait elle-même qu’un « effet » de celui-ci – un effet de langage (dit-on dans ces mêmes « milieux ») – ; un peu comme si l’homme, ce (supposé)

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« possédé du langage », était tombé dans le piège de sa propre création (langagière) – était devenu l’instrument de sa propre « invention » – et, en une telle « chute-dans » la parole – et plus précisément : « dans » la syntaxe – s’était mis à se poser toutes sortes de questions peu ou prou « oiseuses » – s’était mis à s’étonner-devant toutes sortes de « choses » (qui n’étaient en réalité étonnantes que pour lui : que parce qu’il était ce « disant ») – ; mais « questions (oiseuses) »/étonnements (devant certaines « évidences ») qui, en vérité, lui étaient dictés, non par le « réel » qui l’entourait : d’où il avait surgi, mais par le seul langage : cette « activité » dont il se croyait l’inventeur et le maître… mais dont, en réalité, il était devenu comme la « créature » (le « possédé » donc). Et rien en effet n’empêche de souscrire à une telle (re)présentation des choses – à un tel (« littéraire ») récit des origines – ; sauf que, même si celui-ci est correct, il n’en reste pas moins que ces « questions » et autres « étonnements », une fois qu’ils ont été formulés : mis en phrases, demeurent… et que, donc, on ne peut plus faire comme s’ils n’avaient jamais été – ne serait-ce qu’une fois dans le cours des âges (et suggérés/« dictés » donc par ce seul langage) – soulevés ; et par exemple, pour revenir à cette question portant-sur le fait « étonnant-évident » que « les choses sont ce qu’elles sont », il est tout à fait possible qu’elle ne nous ait été inspirée que par le seul langage, mais à présent, quoique nous fassions : que nous l’écartions carrément ou que nous la faisions passer pour simple « effet de langage », elle demeure à jamais posée : étant pour ainsi dire plus « originelle » que le (langagier) médium dont elle s’est servie pour surgir (l’homme est peut-être, après tout, cette créature possédée/instrumentalisée-par le langage… mais alors de quoi, à son tour, le langage est-il luimême l’instrument : de quelle mystérieuse « puissance » qui désire que soit « dite »/questionnée – fût-ce en ce (toujours très insuffisant) mode syntaxique-langagier – son évidence ?).

Il importe donc assez peu, dans une telle perspective – on le comprend dès lors : purement scripturaire –, que la question du « comment les choses font-elles pour, tout en passant, demeurer (ce qu’elles sont) ? » – et question dont a vu qu’elle est celle, « en miroir » et antisymétrique, de l’autre question du « comment le temps fait-il pour, tout en « demeurant (ce qu’il est) », passer ? » –… soit ou non le fruit d’un « effet de langage » : puisque désormais, que nous le voulions ou pas : l’examinions ou non, elle est là pour jamais devant nous : s’opposant de toute façon au renvoi (en ce mode

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Cet Événementdela vérité,quinzièmetomede L’Europeetla Profondeur, peut d’abordêtreabordéparsonlecteurcommeunesortede «blocde puremétaphysique» –oùilseraitnotammentprocédéauxanalysesdesnotionsde «monde(con-figuré)et d’univers(in-différencié)», voireà cellesde «(strict)littéraire»etde«(pur)scripturaire» introduitespar l’auteurdans lecoursde l’écrituredesontomeprécédent, Le Bruitdutemps –;mêmesi, comme d’habitudedansle «grand récit »dePierreLeCoz,se sontglissées, danslesintersticesdetellesméditations,souventabyssaleset vertigineuses, desconsidérations relevant,elles,de l’actualitélapluspratiqueetlaplus brûlantedenotretemps :c’estainsiqu’ontrouveranotamment,danscet Événement,unelongueetpeuouprouétonnanteanalyseconsacrée àcette révoltedes «Giletsjaunes»…quiéclatajustementdanslemomentdela rédactionde l’ouvrage. Toutsepassantcommesi,plusle «scripteur »de celui-ci s’efforçaitdesecantonneraustrictdomaine «philosophique»,plus son «époquesienne»,parledéclenchementdecertains «Événements», toujoursimprévisiblesetin-opinés,leramenait àcette véritéque,silapenséenecherchepasà opérer danssonsiècle,sonillustrationestparfaitement vaineetdénuéedetous «(réels)motifs».Eneffet,qu’ellesedéveloppeenles diversmodes,selon,dece «métaphysique»,oudece «théologique», voire dece «politique»,etc.,cettepenséenepeutfaireautrement,pouropérer unteldéploiementdesesthèses,quedetoujourssenourrir-de/revenir-à cette «vérité»…dont «l’Événement »luiestprécisémentfourniparce qui,dans l’époquequiestlasienne, ad-vient concrètement.Silarédactionde l’«océantextuel »decetteimmense Profondeur aquelquesens,celui-cine peuttrouversessourceetdirectionquedans l’attention, àlafoisdétachée etpassionnée,queson «scripteur »apporte àceux,grandsoupetits,dontil estlecontemporain ?Etsicette «vérité »a quelquechancede venirdansle monde,ellenepeutlefairequ’en épousantlemouvement,nontant d’une «révélation »que d’une effectuation…deson «Événement »-même –dont lesacteursdecetempssont,enquelquerangpolitiqueouphilosophique danslesquelsilsserangent, d’abordles témoins.

PierreLeCozestnéen1954.Sespremierstextesontparuen1993 danslarevueN.R.F.Ilapubliédepuisdenombreuxlivres:poésies, romans,récitsdevoyageetessais.Il afaitparaîtreauxÉditions LoubatièresunevasteSomme, L’EuropeetlaProfondeur,dontleprésent ouvrageestla «continuationpard’autresmoyens».

ISBN978-2-86266-806-2

©Museumof ModernArt, NewYork

9 782862 668062

Kasimir Malevitch(1879-1935), Carréblancsurfondblanc, huilesurtoile,1918.
29€
www.loubatieres.fr

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