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Introduction

Village de germs-sur-i’oussouet, à l’arrière-plan, sommet du Montaigu.

(14) Prat M.-C. Montagnes et vallées d’Andorre. vallées adjacentes. Au niveau du bassin d’Argelès, en contrebas de la partie ouest du massif du Montaigu, l’épaisseur de glace dépassait ainsi 700 m.

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Plus au nord, et aussi bien vers l’ouest comme vers l’est, se trouvent des vallées profondément entaillées par les torrents. C’est ainsi que s’expliquent la vallée en V du gave d’Isaby, creusée dans les schistes du Dévonien quand ce torrent descend vers le gave de Pau, mais aussi les gorges du Néez, les vallées très profondes des cours supérieurs du Louey et de l’Arrabère dans le bois de Lappart, creusées à la faveur de petites failles transversales nord-sud, avec des intercalations de calcaires à encrines. De tels débouchés torrentiels aux déclivités vertigineuses accentuent, par leur accessibilité très aléatoire, le caractère sauvage des abords du Montaigu. Enfin, la vallée de Lesponne, auge glaciaire étroite dans les mêmes terrains dévoniens, mais aussi dans les granodiorites, ménage un accès plus aisé.

Toutefois le cœur des estives autour du Montaigu conserve dans les parties hautes des espaces plus plans, même si inclinés par l’orogénie pyrénéenne. Il s’agit des plaas 14, surfaces d’érosion aux formes de reliefs mûrs portées en hauteur lors de l’orogénie pyrénéenne et disséquées ensuite soit par les glaciers, soit par les torrents. Les parties subsistantes ménagent de vastes espaces de pâturages. La microtoponymie exprime de tels dispositifs avec les mentions en gascon de taules / tables, et tauletas / tablettes. Chacune des unités formant des ensembles d’estives, commandées par une ou plusieurs cabanes.

L’étroit liseré sédimentaire du Mésozoïque/ Secondaire, apparaît avec les calcaires aux couches très relevées de la partie nord. Les escarpements calcaires qui gardent les accès nord des estives du

Carte n° 2. structure et géomorphologie du massif du Montaigu. Carte dessinée par Marie-Claire Prat.

focus n ° 1

les inondations du printemps 2013

L’hiver 2012-2013 ne fut pas très rigoureux: le seul épisode froid survint même à la fin de l’automne, au début du mois de décembre.

En revanche dès le mois de janvier la neige tomba en abondance, avec des cumuls extraordinaires qui allèrent même jusqu’à empêcher le fonctionnement des télésièges dans de nombreuses stations de ski de la partie centrale: Cauterets, Barèges, Formigal, Artouste, Candanchu. Les chutes de neige devaient se poursuivre en début de printemps et dans la station du Tourmalet les cumuls atteignirent même les douze mètres! En même temps, le printemps fut frais et pluvieux, tout particulièrement au mois de juin, avec des pluies régulières qui ne manquèrent pas de saturer les sols. Les températures, restées basses, aussi bien sur la chaîne que sur les piémonts, versant nord comme versant sud, contrarièrent l’évaporation. Tous les lacs de barrage étaient remplis à ras bord.

Le 16 juin 2013, date facile à mémoriser puisque ce fut la fête des Pères, éclate brutalement une sévère canicule aussi bien en montagne que sur les piémonts. On enregistre 29,8 °C à Laruns et Luz-Saint-Sauveur, alors que la veille le mercure n’y avait pas dépassé 21,6 °C. Un grand soleil brille sur toute la partie sommitale des Pyrénées centrales, dans les Pyrénées garonnaises plus à l’est, ainsi que sur le versant aragonais. Le manteau neigeux fond à toute vitesse, mais les eaux ne s’infiltrent guère, car les sols sont déjà gorgés et les nappes phréatiques très chargées. Dans les vallées, les appareils hydrographiques se gonflent de ces eaux grisbleu caractéristiques des fontes de neige. De plus, on opère des délestages sur les barrages déjà remplis.

C’est alors que les 17 et 18 juin 2013 s’abattent sur les Pyrénées des pluies diluviennes consécutives à l’installation d’un flux de sud-ouest: températures douces, pluies abondantes, tièdes et continues deux jours durant sur les deux versants de toute la haute montagne. Le résultat ne se fait pas attendre: des inondations d’une soudaineté inouïe et d’une rare violence se déclenchent alors. D’abord sur le versant sud des Pyrénées, mais aussi dans toute l’Espagne jusqu’à la côte méditerranéenne. Ensuite sur le versant nord, d’où dévale un véritable mur d’eau qui va enfler toute la journée du lundi, puis le mardi.

Les Pyrénées présentent alors un paysage d’apocalypse: débordement des appareils hydrauliques, affouillement des berges des cours d’eaux, ce qui libère des tonnes de matériaux morainiques, de terre arable, d’arbres, mais aussi des blocs et des cailloux enfouis sous la végétation et qui vont, à leur tour, servir de munitions pour affouiller nouvelles berges et lits d’inondation, avant de se déposer en aval, là où ils se trouveront. Des ponts sont arrachés comme des fétus de paille, tout le bâti installé dans le lit majeur des torrents et rivières est emporté: campings, lotissements, pavillons individuels, zones industrielles ou artisanales, déchèteries, parkings, routes et voirie. Le chemin de fer entre Pau et Lourdes est emporté sur 1600 mètres au niveau de Coarraze.

C’est une immense submersion qui affecte les Pyrénées du centre, une morphogenèse en action qui redessine, à vue d’œil, les paysages. La submersion affecte les parties basses des villages, des bourgs et des villes. À Lourdes, la ville basse et les sanctuaires sont sous les eaux. Les véhicules, le mobilier urbain, les matériaux et les objets de la vie quotidienne sont emportés pêlemêle par cette immense chasse d’eau.

Des terrains agricoles, des jardins potagers, des granges anciennes, des arbres d’alignement disparaissent du paysage en quelques instants. C’est une masse boueuse, noirâtre, composite aléatoire de cailloux, de végétaux, objets de toutes sortes, qui recouvre tout, se déverse sur les piémonts et poursuivra sa course vers la mer et l’océan le mercredi et le jeudi. Il faut y ajouter le bruit infernal, cataclysmique, qui accompagne l’écoulement, amplifié en montagne par les versants de vallées.

La catastrophe est mise en image en temps réel, d’abord sur les réseaux sociaux et l’Internet, très vite ensuite sur les médias aussitôt accourus, avec focalisation des reportages sur Lourdes et sur le Lavedan, à tel point que certaines vallées se sentirent alors oubliées, comme Cauterets, il est vrai coupée de l’aval par destruction de la RD 920 au niveau du Limaçon.

À Lourdes, le gave devait continuer à couler très noir jusqu’au 24 juin, puis gris jusqu’au début du mois de juillet.

Fortes accumulations de neige, à l’origine.

partie ii

Chronique des estives: les Communautés paysannes et les ressources de l’altitude

Dès avant l’histoire et l’écrit, hommes et troupeaux fréquentent et modèlent les espaces d’altitude. Aux anciennes hypothèses sur les origines néolithiques du pastoralisme, fondées sur les découvertes d’objets isolés et de quelques vestiges ayant une finalité funéraire certaine ou supposée, ont succédé des connaissances plus précises issues des travaux de paléopalynologie et de fouilles archéologiques de sites pastoraux. Actuellement, la fréquentation humaine de la montagne depuis 7000 ans est un fait avéré, même si ces nouvelles approches ont été appliquées ailleurs qu’au Montaigu 59. En attendant de nouvelles études, il faut se contenter de prospections de surface ou de découvertes ponctuelles sur d’anciens sites miniers pour éclairer le passé ancien de ce massif.

Mais en s’intéressant au « temps d’avant le temps 60 », quelques récits, conservés dans les sociétés locales, racontent comment, à l’origine, un évènement permit aux hommes de gagner l’accès à la haute montagne et de s’y établir. Les récitants se présentent alors soit comme les héritiers du héros, qui gagna le droit d’entrée à l’estive, soit comme les imitateurs d’une famille légendaire, qui vécut en permanence dans les montagnes, mais fut contrainte de les abandonner sans retour devant la première arrivée de la neige.

(59) Rendu C. et al. Estives d’Ossau…

(60) Vernant J.-P. L’Univers, les dieux, les hommes.

(69) Plus détaillée que les éléments de la légende, un chant racontant la descente de la montagne par Millaris et ses troupeaux a été collectée par Xavier Ravier, entre 1956 et 1962, et publié par Pirèna Imatéria, 2014, Mémoria en partatge, volume 1. la famille de Milharis ne retourna dans la montagne. Celle-ci fut alors occupée par les hommes, qui durent, à leur tour, se soumettre aux rigueurs de la saison qui les en chasseraient 69. Si l’entrée dans les estives est toujours fixée collectivement, généralement au 21 juin, en revanche la descente est laissée à l’appréciation de chacun. Mais la raréfaction de la ressource herbagère et le risque, toujours possible, d’une neige précoce amènent les éleveurs à ne pas trop tarder dans la saison.

La tombe de Milharis à la croix de Béliou.

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