Rapport d'études Lou Papelier - étudiante à l'ENSAVT

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Rapport d’études 2015 Lou Papelier, encadrée par Denyse Rodriguez Tomé.


Couverture : Plan d’Arc 1600 par l’architecte Denys Pradelle. Pradelle Denys, Urbanisme et architecture contemporaine en pays de neige, Atelier d’architecture en Montagne, 2002

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École d’architecture à Marne-la-Vallée de la ville & des territoires

Les arcs, Mode d’emploi pour la conception d’une station intégrée. Lou Papelier, élève en troisième année à l’École d’architecture de la Ville & des Territoires de Marne-la-Vallée, encadrée par Denyse Rodriguez Tomé.

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J’ai débuté mes études en architecture dans l’École de la Ville et des Territoires à Marne-la-Vallée avec la volonté d’explorer une facette de ce domaine qui m’intéressait particulièrement : le rapport entre architecture et paysage. C’est un métier où l’Homme façonne son environnement, le modifie, le dégrade ou au contraire le met en valeur. L’ « environnement », voilà un mot qui régit la plupart des projets de leurs conceptions jusqu’à leurs exécutions. Seulement, l’architecture ne se conçoit pas seule : elle est résultante d’un regard porté par plusieurs personnes, avec des visions dissonantes ou conjointes, c’està-dire la résultante physique d’une multitudes de réflexions abstraites et de visions diverses. Comment fabriquer de l’architecture en liant existant et imaginaire ? Mon regard s’est tourné vers un projet particulier, la station de haute altitude : Les Arcs, de sa naissance jusqu’à nos jours. Ce sujet m’a interpellé pour plusieurs raisons. Premièrement, en tant que future architecte, il m’a paru intéressant d’explorer les liens entre les différents acteurs d’un même projet et leurs impacts au travers d’un ensemble architectural marquant. Deuxièmement, les Arcs sont façonnés entre autres par l’architecte Charlotte Perriand qui y achève sa carrière et ses derniers travaux, personnage féminin pour qui j’éprouve beaucoup d’admiration. Dernièrement, j’ai eu l’opportunité de dialoguer avec Roger Godino, aménageur, et sa vision retranscrite de vive voix m’a paru très enrichissante pour démarrer ma propre réflexion.

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INTRODUCTION P.09 I. LES MOYENS déployés POUR FAIRE DU PROJET. P.13 a) Une politique nouvelle visible à grande et à petite échelle, celle des Arcs. - Politique du Plan Neige mise en place sur l’ensemble du territoire français. - Une étude de marché révélatrice d’une société nouvelle. b) Aspect économique et politique des Arcs. - La fusion des communes, le début de l’aventure des Arcs. - Acheter, conserver et faire évoluer : l’aspect financier. II. L’ORGANISATION AU SEIN D’UNE EQUIPE D’ARCHITECTES ÉCLECTIQUES. P.21 a) Une architecture en adéquation avec sa structure managériale. - Les directives données par Roger Godino. - L’application réelle. b) Une étonnante équipe de concepteurs - Des relations de longues dates… Mais pas seulement. - Charlotte Perriand, un souffle nouveau. III. Une unité architecturale résultant d’une importante cohésion. P.29 a) Stations intégrées : une nouvelle approche de l’architecture en montagne. - Rappel des différentes générations. - Le terme « intégré » sous deux forme : la culture et l’architecture. b) Passage à la quatrième génération, les raisons d’un renouveau. - Création des lois montagnes par Valery Giscard d’Estaing. CONCLUSION P.35 Annexe P.37 - Entretien de Godino Roger, le vendredi 13 février 2015 (Paris) - Entretien de Godino Roger, le mardi 12 mai 2015 (Paris) - Biographies des différents noms cités durant le rapport d’études Bibliographie P.66 Remerciements P.69 7


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INTRODUCTION Ce rapport d’études traite des Arcs 1600,1800 et 2000, construits entre 1968 et 1979. Cette station intégrée évoque la notion de « loisir », ce terme même évolue fortement à la fin des années 1930 grâce à la politique du Front populaire qui pousse les citoyens à exercer une activité au-delà du travail en leur offrant les premiers congés payés et les première vacances saisonnières. Ce déclenchement fabrique de tous nouveaux modes de vie, de nouvelles pensées et de nouveaux usages, le territoire se voit changé et une nouvelle architecture émerge dans des zones jusqu’ici peu ou pas exploitées : le littoral avec les stations balnéaires et la montagne avec les stations de ski. C’est cette seconde architecture qui m’a particulièrement intéressée. Le projet des Arcs débute en 1961 lorsque Roger Godino rencontre Robert Blanc, le premier est co-fondateur de l’Insead (Institut européen d’administration des affaires) et le second guide de montagne à Courchevel. Les caractères et parcours disparates de ces deux hommes vont leur permettre de se lancer dans une grande aventure dans le village de Bourg-Saint-Maurice et de Hauteville-Gondon (Savoie). Ces deux hommes ne sont pas des constructeurs et ils feront appel à une dizaine d’architectes pour les soutenir dans ce projet, « une famille » d’après Roger Godino. Cette motivation a permis d’innover dans plusieurs domaines : les liens hiérarchiques, le management, la gestion d’une équipe, les activités touristiques, et les techniques industrielles et constructives, entre autres. Ces innovations rendent l’architecture significative et la station intégrée marque une rupture entre un avant et un après. La rapidité, la quantité et la qualité, parfois très critiquées, ont poussé à la fabrication de nouvelles architectures encore visibles aujourd’hui. Comment s’est fabriqué le projet des Arcs ? En quoi peut-on parler d’architecture « intégrée » ? Quels sont les liens, échanges et relations entretenus entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre dans la deuxième moitié du XXème siècle ? Quels ont été les moyens mis en œuvre pour la fabrication de cette station ? Pour débuter ce rapport d’étude il m’a semblé important de me reporter aux définitions des termes « maîtrise d’ouvrage » et « maîtrise d’œuvre » :

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Godino Roger, biographie en annexe

2 Blanc Robert, biographie en annexe « Robert Blanc », Wikipédia, mise en ligne : 02/02/15, (consultation : 23/05/15), http:// fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Blanc

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Maîtrise d’ouvrage : « On appelle maîtrise d’ouvrage l’entité porteuse du besoin, définissant l’objectif du projet, son calendrier et le budget consacré à ce projet. Le résultat attendu du projet est la réalisation d’un produit, appelé ouvrage […] Elle maîtrise l’idée de base du projet, et représente à ce titre les utilisateurs finaux à qui l’ouvrage est destiné. Ainsi, le maître d’ouvrage est responsable de l’expression fonctionnelle des besoins mais n’a pas forcément les compétences techniques liées à la réalisation de l’ouvrage. » Maîtrise d’œuvre : « Le terme maîtrise d’œuvre désigne l’entité retenue par le maître d’ouvrage afin de réaliser le projet dans les conditions de délais, de qualité ainsi que de coûts fixés par le dit projet, le tout conformément à un contrat. […] Elle est l’auteur du projet et assure la direction des travaux » Par conséquent, nous distinguons clairement leurs différences et leur complémentarité : l’un, maître d’ouvrage, est le commanditaire qui possède et finance le projet, l’autre, maître d’œuvre, est le dessinateur et/ou constructeur. Il apporte son savoir technique et ses compétences manuelles. L’un ne peut pas travailler sans l’autre et réciproquement. Pour clarifier les événements importants du projet des Arcs, il m’a fallu reconstituer les relations entre Roger Godino et les acteurs ayant influencé la conception. Pour quelles raisons se sont-ils rencontrés et par quel intermédiaire ? Ce diagramme (page de droite) est le résultat des recherches dans les ouvrages auxquels je me suis référée ainsi qu’aux entretiens qui ont eu lieu avec Roger Godino. Il s’agit d’une liste non exhaustive, cependant, elle retrace les principaux protagonistes. Plusieurs de ces noms reviendront au fil de la lecture, c’est pourquoi, il me parait important d’initier ce rapport d’étude par cette illustration qui permet d’aborder en amont les relations professionnelles et amicales qui gravitent autour de Roger Godino.

« Maitre d’oeuvre / Maitre d’ouvrage » Wikipédia, dernière modification : 13/04/15 (consultation : 20/04/15), http://fr.wikipedia.org/wiki/MaAEtrise_ douvrage

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Architectes

Animateurs

Complément

Pierre Faucheux Jean Prouvé Alain Taves Robert Rebutato Besoin professionnel

Charlotte Perriand (Le Corbusier)

Guides de Montagne

Francis Crouzet Charpentier au Val d’Isère

Atelier d’architecture en Montagne

Bernard Taillefer

Denys Pradelle

Albert Poulain Joseph Romanet Roger Arnaud

Maurice Michaud

Daniel Chevalier

Alain Bardet

Lycée Chamberry

Séjour à Courchevel

Guy Rey Millet

Robert Blanc

Gaston Regairaz

Yvon Blanc

Roger Godino Directeur de la Cimarc raisons politiques : S.E.A.T.M

Jean-Luc Margot-Duclot

Emile Allais Elèves de l’Insead

Industriel DG de St-Gobain

Fernand Koos

José Bidegain

Marc Lotigie

Maire de Bourg-St-Maurice

Jean-François Mengeon

Ministre du plan chargé de l’affaire de la Ravoire

Michel Rocard DG du Crédit Agricole

Collaborateur

Maire de Hauteville-Gondon

Jean Paul Huchon

Louis-Eugène Mangin

Antoine Bimet

Caisse des Dépots

Jean-Pierre Sonois

Président de la République de 1981-1995

François Mitterrand

Crédit Lyonnais

Jean-Maxime Lévêque

Finances

Politiques 11


De gauche à droite : Jean-Pierre Sonois (directeur de la Caisse des Dépôts), Bernard Taillefer (architecte), Roger Godino (entrepreneur) et Robert Blanc (guide de montagne)

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I. Les moyens déployés pour faire du projet a) Une politique nouvelle visible à grande et à petite échelle, celle des Arcs. La construction des Arcs et, à plus large échelle, l’édification des stations dites intégrées s’inscrit dans une logique de développement national. En effet, en 1945 la France sort de la Seconde Guerre Mondiale. Le pays, en crise, est dans l’optique d’une reconstruction. Cette période va s’étaler sur de nombreuses années et l’Etat français souhaite véhiculer de nouvelles valeurs en promouvant les richesses touristiques de son territoire1. Les paysages montagneux sont ainsi exposés au monde entier et les bienfaits de l’altitude sont revendiqués. En 1964 l’Etat français met en place le « Plan Neige », ou plus précisément , Emile Allais2. C’est un grand skieur alpin et premier médaillé français aux championnats mondiaux qui participe au service de la S.E.A.T.M3 (Services d’Etude et d’Aménagement de la Montagne), d’après un ouvrage de Vincent Vlès3. Il s’agit d’une politique de logement visant à aménager des massifs, qu’importe lesquels, pour y installer un tourisme de masse et pour que les Français apprennent à consacrer une semaine de ski par an. Cette politique n’aurait pas été envisageable sans les mesures du Front populaire en 1936 consistant à rendre le travail moins prenant grâce aux congés payés et aux vacances saisonnières. L’Etat, pour mettre en place le Plan Neige, emploie de grands moyens : il facilite l’expulsion des habitants pour accélérer l’acquisition des terrains puis il octroie des prêts à taux réduits pour rendre le marché plus attractif auprès des aménageurs. De plus, il oblige que le propriétaire des terrains à construire soit le même que celui qui possède la prise en charge des remontées mécaniques pour developper conjointement le rapport quantité d’habitants et flux sur le domaine skiable. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir apparaître de nouveaux noms de jeunes promoteurs, comme celui du français Roger Godino ou de l’autrichien Pierre Schnebelen5, le premier, maitre d’ouvrage des Arcs (Savoie) et première station intégrée de France, de Borovetz (Bulgarie) et de Valle Nevada (Chili) et le second, promoteur immobilier de la station de Lavachet, de Val Claret, de Tignes et de Val Thorens (Savoie). Dès 1958, une étude de marché est établie par le gouvernement français. A cette époque, ils recensent cent mille skieurs en 1968, au lancement des Arcs, le nombre est de un million. Les études indiquent qu’en 1980 il y aurait quatre millions de skieurs, ce que l’expérience a vérifiée. Dès lors, il est demandé la fabrication de 350 000 lits en haute

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Allais Emile, biographie en annexe.

« Juridique et institution : Le plan Neige », Montagne Leaders, mise en ligne : 13/02/2015, (consultation 01/05/2015), http://www. montagneleaders.fr/reportages/juridique-etinstitution-le-plan-neige

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2 S.E.A.T.M est un service de la Direction du Tourisme au sein du Ministère chargé du Tourisme. Il apporte également son aide à l’Agence Française de l’Ingénierie Touristique (A.F.I.T.) et conduit pour elle des programmes d’ingénierie touristique propres à la montagne et à ses filières. « Un service, des missions, des études techniques et prospectives, un suivi économique, une équipe pluridisciplinaire », S.E.A.T.M, mise en ligne : 01/01/15, (consultation : 29/04/15), http://www.documentation.eaufrance. fr/entrepotsOAI/AERMC/R40/48.pdf 3 Vlès Vincent, Le projet de station touristique, Bordeaux, Presses Univ, 1996

« Tignes et Val d’Isère : un peu d’histoire… », Skipass, mise en ligne : 14/08/06 (consultation : 28/04/15), http://www.skipass.com/blogs/ triffolet/tignes-et-val-d-isere-un-peu-d-histo.html

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montagne. De 1968 à 1980, dix stations dites « intégrées » se lancent dans cette aventure pour répondre à la demande d’une société en forte évolution, les Arcs représente 30 000 de ces lits. Le terme « intégré » apparait alors pour la première fois, il est utilisé pour définir un modèle économique et permettre le développement des stations d’hiver, il n’influe en rien l’aspect architecturale. Mais nous verrons par la suite et plus profondément l’importance de ce terme au moment de la mise en oeuvre de ces opérations. L’exemple de Courchevel est alors le dernier en date, sa construction se termine en 1945. Cette station constitue l’articulation entre la deuxième génération et la troisième car la politique d’après-guerre la citera comme exemple pour développer les stations intégrées en haute altitude. L’objectif est de construire des stations fonctionnelles dans un temps record et où tout le projet, de son budget, son management, sa construction ou encore son choix programmatique, soit « intégré ». L’ensemble est géré par peu voire une seule entité et les procédures sont les plus réactives possibles. Le but à atteindre est donc d’aller au-delà de ce qui avait été tenté à Courchevel. Roger Godino s’en explique : A Courchevel […] les pouvoirs publics ont exproprié et mis les terrains à disposition d’un promoteur qui était le département de la Savoie et qui les a vendus à des promoteurs privés et individuels. C’était de façon très classique. Il n’y a pas eu, comme moi, un réalisateur, il y a eu des réalisateurs / promoteurs. Un schéma ancien. […] Moi je considérais que ça ne pouvais pas faire de station ça, qu’il fallait croiser les disciplines.1

Godino Roger, entretien du 13/02/15, cf en annexe.

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Godino Roger, Construire l’imaginaire ou la quête inachevée d’un aménageur, Paris, H.I.D, 1996

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3 Dictionnaire encyclopédique de la langue française, Le Maxidico, Edition de la Connaissance, 1996

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Une démarche intégrée donc, regroupant autour de l’aménageur, architectes et urbanistes, montagnards et skieurs, animateurs et exploitants. L’architecture des Arcs débute par la « communication totale »2, comme l’appelle Roger Godino. Il s‘agit d’une analyse détaillée de la population étudiant ses caractéristiques socio-économiques et ses activités extra-professionnelles : ce à quoi elle aspire. C’est ainsi que l’on découvre que la notion de « loisir » n’est pas seulement un effet de mode dans ces années 1950-60 mais que c’est un réel sujet architectural qui engendre une nouvelle culture en France. On définit ce qu’est le « loisir » : « une distraction à laquelle on consacre son temps libre »3. Ainsi, pour effectuer ce-dit « loisir », il faut bénéficier d’un temps que l’on s’accorde, un moment propice à la distraction,


voire à la méditation. Explorée plus tôt auprès des architectes, ce sujet n’a jusqu’alors pas été réellement exposé chez les maîtres d’ouvrage. C’est l’occasion de faire différemment de l’existant. Nous reviendrons plus amplement sur ce sujet ultérieurement. Roger Godino rencontre Emile Allais en 1961, au commencement de l’aventure. Les deux hommes se croisent à Courchevel lors d’un séjour, Robert Blanc les présente. L’aménageur souhaite avoir confirmation quant à la qualité du site des Arcs et connait suffisamment la réputation d’Emile Allais pour prendre en compte son avis. Les commentaires sont fameux et le promoteur, Roger Godino, se sent rassuré pour poursuivre ce projet, il nous rapporte : C’est un personnage dont on tenait compte de l’opinion à l’époque et pour moi-même ça a joué un rôle dans la décision des Arcs, j’avais envie d’avoir l’opinion de Emile Allais. Il a dit tout une série de phrases toutes plus positives les unes que les autres et ça m’a conforté dans le projet, ça a déclencher ma décision. Un avis peut avoir de grandes répercutions.1 Les procédures d’expropriations et la réflexion architecturale peuvent désormais démarrer. Seulement, Roger Godino est un visionnaire et pour s’assurer du bon fonctionnement des Arcs à son ouverture, il met en place une politique publicitaire visant à vanter les activités, le personnel et les établissements de la future station. A partir de là, la « communication » devient une affaire de marketing visant à vendre des produits qui touchent le profond désir des vacanciers, par exemple le golf, le tennis, la musique. La demande croissante nécessite de démocratiser l’activité du ski, soit toucher un quinzième des Français. Créer une image forte est dès lors la priorité de la station. L’un des premiers éléments mis en place, après la voirie, sont les remontées mécaniques. Elles sont filmées et retransmises sur les chaines de télévisions nationales. Roger Godino en fait construire en grande quantité quitte à les déplacer plus tard en fonction des constructions à venir, le but étant de montrer l’ampleur de la future station et l’attractivité qu’elle engendre. L’équipe de Roger Godino souhaite marquer les esprits avec un principe allant de la communication intégrée à la station, elle aussi, intégrée. (Fig.1)

Fig.1) Campagne publicitaires de 1968 au commencement (en haut) puis 1980 (au centre) et 1988 (en bas) Di Lorenzo Thomas, « Hommage aux propriétaires des Arcs véritables pionniers », Alpissime, mise en ligne : 15/04/13, (consultation : 14/05/15), http://www.alpissime.com/blog/hommage-auxproprietaires-des-arcs-veritables-pionniers ; « Les Arcs, station de sport d’hiver », INA, mise en ligne : 01/01/1988, (consultation : 14/05/15), http:// www.ina.fr/video/PUB3784090056 Godino Roger, entretien du 12/05/15, cf en annexe

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b) Aspect économique et politique des Arcs.

Fig.1) Schémas des différentes limites communales avant (1960) et après (1968) la fusion des communes. Aujourd’hui, les trois Arcs appartiennent à la même commune et créés un domaine d’une superficie de vingt trois hectares regroupant hameaux existants, stations et pistes de ski. Schémas repris du documentaire de Bosquet Sophie, Calop Guillaume, Les Arcs l’esprit pionnier, Chalet Pointu, EPIC les Arcs Bourg Tourisme, INA, 2013

Décret n°67819, Lecture du 20 novembre 1968, Conseil d’Etat, Bourg-Saint-Maurice et de Hauteville-Gondon

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Godino Roger, Réenchanter le travail : pour une réforme du capitalisme, Paris, La Découverte, 1967

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Pouillon Fernand, Mémoire d’un architecte, Paris, Edition du seuil, 1968 3

Terme emprunté à Bataillon Nicolas, Dupouyx Guilhem, Duplantier Martin, Tricot Clément, Mémoire d’un architecte / Fernand Pouillon, IAUT, Bordeaux , p.46

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La construction des Arcs débute en 1966 après bien des années de réflexions et une vraie difficulté d’expropriation. Malgré les procédures facilitant la saisie d’un bien immobilier et foncier grâce au Plan Neige, Roger Godino ne parvient pas à obtenir les parcelles facilement. Pour permettre les négociations auprès des maires de Bourg-Saint-Maurice et Hauteville-Gondon, il leur fait parvenir le plan projeté des éventuelles infrastructures routières du projet. Celles-ci ne reliant pas HautevilleGondon à Arc 1800, il faut obligatoirement passer par Bourg-SaintMaurice pour accéder aux stations. Cette information bouleverse la commune de Hauteville-Gondon qui, par conséquent, ne bénéficie pas des avantages de la construction et ne récolte aucun touriste. C’est alors que Bourg-Saint-Maurice et Hauteville-Gondon fusionnent pour ne former plus qu’une commune1. Cette fusion permet alors à l’ancien maire de Bourg-Saint-Maurice, Jean François Mengeon, d’être décisionnaire des parcelles vendues, et rapidement il est surnommé Le Maire de la route par les villageois. La commune emprunte auprès des banques l’argent nécéssaire à la construction des infrastructures et elle s’engage à réunir tous les terrains nécessaires à la constructions des bâtiments, si Roger Godino s’engage à réaliser le nombre de lits souhaités dans un temps donné et surtout à rembourser l’emprunt dont il est question à l’issue de la construction. (Fig.1) Pour acheter les parcelles et pour construire les Arcs, Roger Godino a besoin de capitaux importants. Seulement, d’après lui, le capitalisme ne permet pas toujours d’établir le lien entre inventeur et détenteur, et s’il le permet c’est de façon limitée et surveillée. Selon ce réformateur du capitalisme2, le problème est que les banques préfèrent avoir affaire « à des sociétés lambdas » selon son expression, possédant le pouvoir et par conséquent la décision définitive du projet, plutôt qu’à l’inventeur lui-même. Cette décision a pour but de limiter la liberté de l’inventeur afin que celui-ci ne soit pas seul décideur. Cela a été le cas pour l’architecte Fernand Pouillon3 qui, en prenant le rôle du maitre d’ouvrage et de maitre d’œuvre, en a perdu son habilitation à la maîtrise d’œuvre - même si cette affaire reste un véritable « casse tête »4 aux yeux des avocats qui s’en sont occupés et des historiens d’aujourd’hui qui poursuivent les recherches. Seulement, Roger Godino, ayant fait ses études à l’Ecole Polytechnique puis à l’Université d’Harvard, sait manier la législation française et a côtoyé celle des Etats-Unis. Il veut conserver le pouvoir jusqu’au


lancement des trois stations tout en imposant ses vues en matière d’urbanisme et d’architecture, et par chance, il est un maitre d’ouvrage éclairé. C’est pourquoi il collabore avec Fernand Koos et Marc Lotigie pour inventer un nouveau système financier nommé le SMA (Système du club des Montagnes des Arc). Ces deux derniers sont d’anciens élèves de Roger Godino à l’Insead1 (Institut européen de l’administration des affaires), école dont celui-ci a été, en 1952, le cofondateur, dans le but d’enseigner le « management de l’innovation ». Le système est simple, le SMA regroupe deux entités : la Sofima (Société de Financement du Club des Montagnes des Arc) et la Cimarc (Compagnie Internationale des Montagnes des Arc). Elles sont, toutes deux, des entités dites holding qui contrôlent la majorité du capital. L’ensemble des constructions des Arcs voit le jour grâce aux emprunts faits aux banques. L’aménageur achète au compte goutte les parcelles aux communes, désormais fusionnées, pour construire la station. Il emprunte au fur et à mesure qu’il trouve des investisseurs prêts à lui acheter des appartements par lot ou par unité et la banque prête tant qu’il arrive à trouver de futurs propriétaires. La formule permet ainsi d’apporter du capital - environ 20 millions de francs - et une liste de candidats prêts à l’acquisition immobilière d’un bien. C’est à ce moment précis qu’apparait un personnage capital dans la construction des Arcs : Le colonel Louis-Eugène Mangin2, il deviendra un véritable collaborateur. A cette époque il a 50 ans et suffisamment d’expérience pour traiter des problèmes juridiques et administratifs. Son passé d’administrateur des colonies militaires de Madagascar, Guinée, Sénégal et Algérie lui a accordé une bonne connaissance des mécanismes de l’administration publique. Ancien résistant, fils du général Mangin, sa carrière est liée à des cabinets ministériels gaullistes. Les deux hommes collaborent main dans la main. Roger Godino nous explique : Louis-Eugène Mangin avait une grande connaissance de l’administration, du pouvoir public en général - il était beaucoup plus âgé que moi - donc je l’ai embauché pour nous aider à gérer certains problèmes, notamment les problèmes compliqués de relations entre les communes, les départements, le gouvernement et la société. Moi j’ai un peu été un pilier de ses relation, relations dont j’avais beaucoup besoin. Il a été mon bras droit sur cette partie là de l’aventure.3

L’Insead est une école privée de management, fondée en 1957 par Georges Doriot, Claude Janssen et Olivier Giscard d’Estaing. Source : Insead, Wikipédia, dernière modification : 26/01/2015, (consultation : 22/04/2015), http://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_europ_ administration_des_affaires

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Mangin Louis-Eugène, biographie en annexe

Godino Roger, entretien du 12/05/15, cf en annexe

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Mais le succès de la formule finit par trouver ses limites, l’augmentation du capital découle de publicités importantes et celles-ci apparaissant comme étant du démarchage, la COB (Commission des Opérations de Bourse) interdit rapidement le système. L’objectif étant de réunir 100 millions de francs, chose non réalisable, le projet se voit alors modifié. A ce moment précis, le Crédit Lyonnais est prêt à accorder des crédits, et propose deux options : soit d’accorder de l’argent pour l’achat immédiat des terrains, soit d’entrer dans le capital de la SMA qui perdrait ainsi le pouvoir au profit d’une « technocratie bancaire », selon les termes de Roger Godino. Ce dernier choisit la première proposition, quitte à modifier les ambitions initiales du projet et à faire du para-hôtelier c’est-à-dire à faire de l’immobilier locatif, comme toutes les stations préexistantes. Le pacte est signé, les terrains sont achetés et la construction des trois stations démarre grâce au mince capital apporté par Roger Godino La construction est compliquée au vue du budget serré et des ambitions lourdes de l’aménageur. Mais les décisions ne sont prises que par ce dernier et il équilibre les dépenses en fonction de la rentabilité des stations une fois mise en service. La formule du locatif permet un réel avantage pour le propriétaire, il rentabilise son achat après quelques années de location. Seulement, le marché devient de plus en plus compétitif et rapidement l’engrenage se complexifie. En 1982 il ne reste plus qu’une solution, passer de 31 millions, capital existant, à 100 millions au risque de perdre le management, les stations des Arcs étant toutes terminées. En 1987, le capital de la SMA atteint 103 millions, non sans mal. 1

Bidegain José, biographie en annexe

Saint-Gobain est une entreprise française spécialisée dans la production, la transformation et distribution de matériaux. Fondée en 1665 par Jean-Baptiste Colbert (1619–1683) sous le nom de Manufacture royale des glaces. « Saint-Gobain », Wikipédia, dernière modification : 03/05/15, (consultation : 23/05/15), http://fr.wikipedia.org/ wiki/Saint-Gobain

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Huchon Jean Paul, biographie en annexe

Fondateur du PSU (Parti Socialiste Unifié) en 1960 et candidat à l’élection présidentielle de 1969, Michel Rocard a rejoint le Parti socialiste en 1974, et sera notamment ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire de 1981 à 1983 dans le gouvernement de Pierre Mauroy, puis premier ministre de François Mitterand de 1988 à 1990. « Michel Rocard », Wikipedia, dernière modification : 07/04/15, (consultation : 28/04/15), http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Rocard

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Pour obtenir cet argent faramineux, Roger Godino contacte un proche: José Bidegain1, un économiste renommé. Co-fondateur de l’enseigne L’Oréal aux côtés de François Dalle, il est considéré comme l’un des piliers du modernisme du patronat français. Il reprend l’entreprise Saint-Gobain2 en 1978. Jose Bidegain va faire se rencontrer Roger Godino et Jean-Paul Huchon3, directeur de la banque du Crédit Agricole. Il est directeur du cabinet du ministre Michel Rocard4 entre 1981 et 1985, avant de prendre la direction de cette dernière. Cette banque possède l’avantage de se tourner vers l’investissement touristique et de croire en ce type de projet. De plus, elle a déjà eu a traiter des Arcs suite aux inondations de la Ravoire quelques années plus tôt, quand Michel Rocard, alors Ministre du Plan, en avait la charge. Les négociations sont complexes et les élections législatives de mars 1986, dont le changement de majorité parlementaire amène


à la nomination de Jacques Chirac comme premier ministre, mettent alors la SMA sous les charges financières. Finalement, en 1988, Michel Rocard prend la place de Premier ministre, et en l’espace d’un an, un compromis est trouvé : le Crédit Lyonnais, dirigé par Jean-Maxime Lévêque, et la Caisse de Dépôts, dirigée par Jean Pierre Sonois, sont prêts à reprendre le fardeau. Rapidement, le Crédit Agricole demande à participer et la SMA n’est plus dans les mains de Roger Godino. Il quitte la direction pour devenir conseiller auprès du premier Ministre, Michel Rocard, sous le second septennat de François Mitterand. Aujourd’hui la Caisse des Dépôts est toujours majoritaire et lors d’un entretien Roger Godino confie : Depuis, elle1 s’est désintégrée, depuis que je suis parti la loi du capitalisme s’est imposée et la Caisse des Dépôts s’est rendue compte qu’il y avait des morceaux plus rentables que d’autres alors, comme diraient les capitalistes, ils ont « sortie de la valeur ». Ils se sont débarrassés des éléments moins rentables pour se concentrer sur les éléments rentables. Ils ont revendu un certain nombre de commerces, dont une grosse erreur : les skis shops. Alors actuellement, vous êtes aux Arcs et vous n’avez plus de cinéma, c’est une catastrophe ! Chacun fait son beurre ou fait faillite dans son coin, il n’y a pas d’organisation générale. J’ai beaucoup critiqué ça. La philosophie des stations intégrées c’est comme un gros bateau qui va sur la mer et qui forme un ensemble avec un même moteur, une même coque et toutes les activités sur le bateau. Ce n’est pas un ensemble de petits trucs indépendants qui se courent les uns après les autres. Les trois quart des faillites que l’on a connu c’était ça : il n’y avait pas d’intégration. La philosophie elle est là et ça se retrouve au niveau des professions, des métiers, au niveau de la construction et de l’architecture. J’étais pas spécialement un promoteur immobilier j’étais pas là spécialement pour gagner de l’argent sur l’immobilier, j’étais là pour gagner de l’argent sur l’ensemble de la station donc je n’avais pas l’attitude d’un promoteur.2

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Elle désigne : la station des Arcs.

2 Entretien de Godino Roger, le 12/05/15, cf en annexe

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De gauche à droite : Jean Luc Margot Duclot (directeur de la Cimarc), Charlotte Perriand (architecte), Roger Godino (entrepreneur), Jean-Pierre Sonois (directeur de la Caisse des Dépôts) et Bernard Taillefer (architecte)

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II. L’ORGANISATION AU SEIN D’UNE EQUIPE D’ARCHITECTES ECLECTIQUES. a) Une architecture en adéquation avec sa structure managériale. Comme le dit Roger Godino, il n’est pas un promoteur et n’en a pas le comportement. Alors, il aspire à d’autres processus de création qu’un maître d’ouvrage classique, c’est pourquoi, les Arcs ont été une révolution managériale. Roger Godino a permis de faire évoluer un système cloisonné en un principe diffus et continu. A partir de 1961, il réunit périodiquement et inlassablement entre trente et quatre-vingtdix acteurs du projet, architectes, banquiers, actionnaires, pouvoirs publics, etc., pour exposer les difficultés en cours et leurs résolutions. Il utilise, d’après ce qu’il peut nous en rapporter, un langage simple, clair et direct en utilisant des chiffres comme éléments irréfutables. Il pratique une transparence à tous les niveaux lui évitant, en partie, de nombreux malentendus ou objections. Cette stratégie est gagnante : en ne cachant aucune difficulté, chaque acteur peut dialoguer librement avec son voisin et inversement. Ainsi le projet prend de l’envergure très rapidement, les chiffres augmentent, le capital avec. Roger Godino affirme que, durant cette période, l’architecture et l’urbanisme auprès de Bernard Taillefer et de Charlotte Perriand sont ses loisirs tandis que son travail consiste au développement des Arcs, à entretenir des relations saines entre les pouvoirs publics et les établissements financiers tout en motivant l’équipe. L’organisation managériale au sein de l’équipe d’architectes et du maitre d’ouvrage tient d’un savoir-faire nouveau et expérimental pour l’époque. Elle se base sur plusieurs règles permettant de tenir le cap et d’assurer un bon déroulement des opérations. Finalement, le projet architectural découle d’une pédagogie solide et d’une écoute sensible pour gérer les nombreux hommes et femmes qu’il nécessite et inclut. Il faut dire que les stations intégrées résultent, selon l’architecte et directeur de l’Atelier d’Architecture en Montagne Denys Pradelle : […] d’une maitrise foncière initiale, d’une maitrise de l’ouvrage unique, souvent assortie d’une unique maitrise d’œuvre, depuis la conception jusqu’à l’exécution de la station …1 …ce que facilite d’autant plus la cohésion architecturale et humaine. 21


Roger Godino décortique le processus managériale des Arcs en cinq points énumérés ci-dessous, il applique de façon stricte ce qu’il enseigne à l’Insead : Premièrement, le management se base sur l’écoute et l’explication. Roger Godino déclare : Il n’est pas possible de conduire un groupe d’homme et de femmes vers un objectif commun s’ils n’y adhèrent pas profondément individuellement et collectivement. Et pour cela il faut que le combat soit le leur. Il faut donc leur faire partager la valeur de l’objectif. […] Pour obtenir ce résultat, le chef d’entreprise ne doit pas avoir peur de discuter avec son personnel en profondeur et pour cela il faut qu’un dialogue s’installe en confiance.2 La pire attitude est de ne pas prendre en compte les commentaires du personnel, ce serait perdre de leur confiance et geler le projet architecturale, tel un corps inanimé, jusqu’aux conflits internes de l’équipe. Deuxièmement, la formation est une préoccupation permanente. La formation permet de valoriser celui qui est formé, de l’enrichir et ainsi d’augmenter sa motivation au sein du groupe. Chacun se forme grâce aux autres, ils développent des liens au point de pouvoir s’échanger les rôles : les connaissances de l’un sont les connaissances de l’autre. Le dialogue s’installe et ils peuvent échanger sur leur projet respectif. Troisièmement, il ajoute : Le social est une question au cœur de l’entreprise3

Pradelle Denys, Atelier d’Architecture en Montagne, Urbanisme et architecture contemporaine en pays de neige, Libris, 2002, p.14

1

Godino Roger, Construire l’imaginaire… op. cit., p.189

2

3

Ibid., p.190

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Le social s’intègre au processus de productivité par la motivation qu’il entraîne, c’est-à-dire que l’individu se sent dans une aventure humaine où sa place est indispensable pour la réalisation du projet. Il est comme un vrai partenaire. Quatrièmement, les objectifs de l’entreprise doivent être en harmonie avec l’intérêt général. A n’importe quelle échelle, l’architecte, le cadre, l’actionnaire, l’habitant doivent y trouver leur propre intérêt pour approuver le projet. C’est l’élément le plus compliqué à mettre en place car il est le plus variable.


Cinquièmement, l’international est une dimension pédagogique indispensable, toujours d’après Roger Godino. C’est un véritable leitmotiv dans une politique qui tend à la mondialisation, il est important de garder à l’esprit la dimension culturelle pour en faire une richesse et pour promouvoir le projet à plus grande échelle que celle réduite au site ou à la nation. Le choc des cultures est une dimension pédagogique extrêmement complexe et, s’il n’est pas pris en compte architecturalement parlant, il doit y avoir un minimum de connaissances de la part des créateurs, ce qui explique la construction de la station de Borovetz en Bulgarie et Valle Nevada au Chili pour promouvoir à grande échelle les principes élaborés d’abord aux Arcs. D’ailleurs, il expose : On a réappliqué les principes qu’on avait découvert avec les Arcs. Si vous allez à Santiago et que vous avez le temps d’aller jusqu’à Valle Nevada vous retrouverez les Arcs.1 Ce processus est réalisable grâce à une organisation managériale minutieuse exposée ci-dessus par Roger Godino. Seulement, elle n’est que théorique et ce chef d’entreprise met en pratique son enseignement à l’Insead. C’est pourquoi la construction des Arcs s’est déroulée de trois façons différentes : Premièrement, à Arc 1600, de manière très expérimentale en décernant une parcelle pour deux architectes sans contraintes particulières et en progressant grâce à des échanges réguliers. D’ailleurs, il n’est pas étonnant de voir apparaître le surnom de « laboratoire architectural » lors qu’une revue d’époque parle d’Arc 1600. Puis, à Arc 1800, de façon plus hiérarchisée en chapeautant une équipe grâce à deux responsables : Bernard Taillefer sur la partie urbaine et Charlotte Perriand sur l’architecture d’intérieur. Puis la dernière, à Arc 2000, où un concours interne a eu lieu. Cependant, d’après Roger Godino, ce concours était vain : Il n’y a eu aucun concours sauf sur l’arc 2000, pour voir si on pouvait retrouver autre chose, et puis ça ne m’a servi à rien. Jean Prouvé m’a fait un projet, qui à mon avis, n’était pas réalisable, en tout cas par moi. Bernard Taillefer m’a fait un autre projet et c’est celui-là qui l’a remporté. Seule mon équipe d’architectes pouvait répondre au concours, seulement, il n’y avait pas de grades, ils étaient libres et autodidactes.1 Godino Roger, entretien du 12/05/15, cf en annexe

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Finalement, la gestion du projet et des relations humaines s’est faite de façon empirique et expérimentale. Malgré un savoir-faire important de la part du maître d’ouvrage, il a su s’adapter au contexte et aux réclamations des architectes pour constituer trois modes de management différents allant de Arc 1600 en 1966 jusqu’à Arc 2000 en 1979.

Godino Roger, entretien du 13/02/15, cf en annexe

1

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b) Une étonnante équipe de concepteurs L’aventure débute sans aucune expérience architecturale de la part de Roger Godino, il innove sur l’aspect managérial et se repose sur les personnes qui lui sont proches d’un point de vue architectural. Cependant, il souhaite briser les frontières entre architecte et urbaniste. Tout le travail urbanistique est fait par Guy Rey Millet1, Gaston Regairaz2 et Alain Bardet, à l’aide des commentaires de Robert Blanc, guide de montagne et connaisseur des lieux. Ils ont tous les trois une solide expérience due à leur pratique d’architecte à l’Atelier d’Architecture en Montagne. Gaston Regairaz et Roger Godino se sont rencontrés au lycée Chambéry en Savoie et n’ont jamais perdu contact. Cette amitié est le moteur de leur confiance et va permettre la rencontre avec les deux autres hommes : Guy Rey Millet et Alain Bardet. Les choix urbains sont décisifs, ils sont le succès ou l’échec de la future station. Gaston Regairaz et Guy Rey Millet font le choix stratégique des trois plateaux à urbaniser : l’un sur le site de Pierre Blanche (Arc 1600), le deuxième sur le site du Chantel (Arc 1800) et le troisième sur le plateau des Dailles et de la Morraine (Arc 2000) Tous les bâtiments sont construits sur la pente ou en rupture de pente, c’est l’objectif premier pour permettre de concevoir une architecture innovante. Le second objectif est de limiter toutes les voitures en contrebas, pour marquer la rupture avec l’espace piéton. Roger Godino est un visionnaire qui croit énormément en ce projet et qui souhaite coûte que coûte marquer les esprits et marquer son temps. D’après lui, pour faire parler des Arcs dans les médias il faut faire appel à des architectes de renom prêts à bouleverser les esprits en proposant une nouvelle image de la montagne, cela permettant aussi d’agiter la curiosité des touristes et d’augmenter les ventes. Cependant, il doute de la capacité de l’Atelier d’Architecture en Montagne à relever le défi et demandera à Denys Pradelle de lui proposer d’autres membres pour l’équipe. Ce dernier se rend à l’ensemble des expositions de la galerie Steph Simon à Paris pour dénicher Charlotte Perriand et le reste de son équipe : Pierre Faucheux, Alain Taves, Robert Rebutato et Jean Prouvé. Lors de l’entretien du 13 février 2015, Roger Godino nous expose : D’ailleurs, au lancement, j’ai connu Charlotte Perriand grâce à mes architectes qui avaient commencés un premier immeuble qui, je trouvais personnellement, ressemblait beaucoup à Courchevel,

1

Rey Millet Guy : biographie en annexe

2

Regairaz Gaston : biographie en annexe

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on ne va tout de même pas recommencer un Courchevel ! Alors j’ai demandé quelqu’un d’original… Charlotte. 65 ans.1 Une fois dans l’équipe, elle se démarque rapidement au point de devenir une des têtes du projet. Elle prend l’initiative d’organiser des séminaires, et à l’instar de Roger Godino, de faire dialoguer les architectes entre eux. Sa vision permet des discussions dépassants ce que proposait le maître d’ouvrage et ouvre les yeux sur d’autres problématiques et solutions. Gaston Regairaz rapporte : Godino avait une vision économique ce qui explique la série de plan masses que l’on avait fait avec l’équipe avant que ce ne soit validé. Charlotte lui a permis d’évoluer de façon importante, avec Prouvé. Elle lui a montré qu’il était possible de construire de la qualité sans trop de coût grâce à la répétition.2 De plus, elle déniche Bernard Taillefer au début de l’aventure. C’est un menuisier, ébéniste et charpentier qui possède une grande connaissance sur le matériau bois. Il rentre dans l’équipe et, tout comme Charlotte Perriand, il se démarque au point de construire à lui seul : La résidence de le Rive (Arc 1600), l’Hôtel du Golf, la galerie marchande, les Mirantins (Arc 1800) et la résidence de l’Aiguille Rouge (Arc 2000). Par ailleurs, il gère la partie urbanistique des Arc 1800 et 2000. Les architectes apportent un savoir-faire que le maitre d’ouvrage ne possède pas et lorsque les deux se complètent, comme cela a été le cas pour Roger Godino, Charlotte Perriand et le reste de l’équipe, alors chacun tire des aspects positifs des autres. La volonté de rompre les hiérarchies pousse les personnes à se questionner sur leur rôle dans le projet, les métiers sont bouleversés. Finalement, quel est le rôle de l’architecte ? Donne-t-il une réponse architecturale sans équivoque ? Roger Godino définit ce métier ainsi :

Godino Roger, entretien du 13/02/15, cf en annexe

1

Parole de Gaston Regairaz, citation extraire du documentaire de Bosquet Sophie, Calop Guillaume, Les Arcs l’esprit pionnier, Chalet Pointu, EPIC les Arcs Bourg Tourisme, INA, 2013.

Pour moi, l’architecte n’est pas celui qui dessine tout et qui décide tout, c’est celui qui au contraire est capable de mettre en forme des idées qui peuvent venir d’ailleurs.

2

3 Godino Roger, entretien du 12/05/15, cf en annexe

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Cela montre l’importance du rôle de l’architecte, il fabrique la synthèse grâce aux opinions, à son savoir et au contexte. Il réunit un ensemble infini de facteurs et tire le meilleur de cet ensemble pour fabriquer de


l’architecture, mieux que cela, pour changer les esprits et aller au-delà des conventions. Roger Godino ajoute : Chaque réalisation était le résultat d’une agitation collective dans laquelle on retrouvait tous les métiers.3

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« Il faut avoir vécu dans cette ambiance d’amitié et de conspiration musicale pour saisir toutes les harmoniques de cette communauté d’un nouveau style » Pierre Drouin à propos de l’Académie de Musique des Arcs, Le Monde, 1970.

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III. Une unité architecturale résultant d’une cohésion. a) stations intégrées : une nouvelle approche de l’architecture en montagne. On classe généralement quatre types de stations mais la nuance est plus subtile qu’elle n’y parait. Les dates de construction de chacune des stations sont rapprochées, ce qui les lie dans une chronologie fluide et évolutive. Les premières stations de montagnes, dites de première ou seconde génération1, ont été les stations thermales, comme Saint-Gervais, Luchon, Bagnères et le Mont-Dore. Ce sont des architectures sans architectes. Il s’agit alors de territoires colonisés par des locaux et visités par de rares Anglais qui, pendant leur temps libre, viennent résider et recruter des guides locaux pour faire du ski alpin. Mais, très rapidement cette tendance prend de l’essor à Chamonix (France, Savoie), à Grindelwald (Suisse), à Zermatt (Suisse), à Courmayeur et à Cortina (Italie). On observe ainsi dès 1924 les premiers Jeux Olympique en France. Cette notoriété pousse à d’autres activités comme la luge, le patinage, la randonnée et parfois l’alpinisme, on découvre aussi des casinos et des théâtres d’altitudes, une autre façon de générer de la culture au sein de la société. Cette évolution a permis à certaines stations un réel changement d’échelle, ce qui dénature dès lors le bourg initial, le paysage présent et le mode d’utilisation des lieux. L’organisation urbanistique s’est faite de façon successive, voire empirique. Les stations de troisième génération2 sont un nouveau départ partant sur des principes modernistes. Une architecture totale dans laquelle tous les services sont regroupés, le but étant de vivre en adéquation totale avec notre lieu de vie : ces notions, issues des réflexions présentées par Le Corbusier, sont fortement exploitées à cette époque. On y perçoit, en contrebas les parkings en rupture avec la zone piétonne grâce aux bâtiments. L’architecture devient de plus en plus proche de celles des immeubles collectifs visibles dans les grandes villes européennes. L’ancien village préexistant, si il y en avait un, est noyé ou détruit pour laisser place à la station. On leur reprochera de créer un cadre de vie artificiel, coupé des habitants locaux, rapportant peu à l’économie régionale, et aussi, qu’elles soient souvent désastreuses pour l’environnement. Il est intéressant d’observer le schéma établi par Denys Pradelle résumant le fonctionnement des stations intégrées.

Quelques exemples : Chamonix (Alpes du Nord, Haute-Savoie - 1042m - 3275m), La Clusaz (Alpes du Nord, Haute-Savoie, 1100m - 2600m), Le Revard / Savoie Grand Revard (Alpes du Nord, Savoie, 1050m - 2050m), Megève (Alpes du Nord, Haute-Savoie, 1050m - 2350m), Morzine (Alpes du Nord, Haute-Savoie, 1000m - 2466m), SaintGervais (Alpes du Nord, Haute-Savoie, 1150m - 2525m), Serre Chevalier (Alpes du Sud, Hautes Alpes, 1200m - 2800m), Villard-de-Lans (Alpes du Nord, Isère, 1050m - 2050m), Courchevel (Alpes du Nord, Savoir, 1350m - 2738m), Les Deux-Alpes (Alpes du Nord, Isère, 1650m - 3600m), Méribel (Alpes du Nord, Savoie, 1100m - 2952m), Alpesd’Huez (Alpes du Nord, Isère, 1850m - 3300m)

1

Quelques exemples : Avoriaz (Alpes du Nord, Haute-Savoie, 1800m - 2460m), Flaine (Alpes du Nord, Haute-Savoie, 1600m - 2500m), Les Arcs (Haute Savoie, 1600m, 1800m - 2000m), Isola 2000 (Alpes du Sud, Alpes Maritimes, 2000m - 2610m), La Plagne / Plagne Centre (Alpes du Nord, Savoie, 1250m - 3250m), Le Corbier (Alpes du Nord, Savoie, 1550m - 2265m), Les Menuires (Alpes du Nord, Savoie, 1450m - 2850m), Tignes (Alpes du Nord, Savoie, 1550m - 3450m), Val Thorens (Alpes du Nord, Savoie, 2300m - 3230m)

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Il généralise les cas et montre le développement constructif et économique de celles-ci (Fig.1)  Fig.1) Schéma par Denys Pradelle montrant la création des stations intégrées. Les étapes constructives sont les suivantes : Lits touristiques et personnels pour loger les équipes puis création des infrastructures lourdes puis édification des stations, suite logique. Mais il est important de retenir la rapidité de rentabilité : 5 à 6 ans pour une quantité de lits incroyable. Il s’agit d’un processus identiques pour toutes les stations construites entre 1968 et 1980. Pradelle Denys, Atelier d’Architecture en Montagne, ...op.cit., p.14

Les stations de quatrième génération1, dites « stations-village », se sont emparées des critiques négatives établies jusqu’alors sur les stations-intégrées pour fabriquer un urbanisme totalement opposé. Elles cherchent un consensus entre modernité et tradition pour renouer avec l’ambiance village. Il s’agit de nombreux chalets côte à côte mitant l’espace sur une surface importante. Des opérations de grande envergure faciles à construire car chaque élément s’ajoute les uns aux autres sur un terrain accidenté. Seulement, elles s’avèrent peu rentables, n’offrant pas de variété et s’adressant à un type de population aisée dont le mode de vie n’est pas courant.

Quelques exemples : Montchavin-Les-Coches (Alpes du Nord, Savoie, 1250m - 3250m), Valfréjus (Alpes du Nord, Savoie, 1550m - 2737m), Valmorel (Alpes du Nord, Savoie, 1400m - 2550m)

1

Dictionnaire encyclopédique de la langue française, Le Maxidico, Edition de la Connaissance, 1996

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N’oublions pas, avant de poursuivre ce rapport d’étude, que l’utilisation du terme « intégré » date de la politique du Plan Neige. Ce terme est emprunté à un modèle économique, il n’est pas une expression architecturale dictée. La définition du mot « intégré » est : « Qui est incorporé dans un ensemble ; dont les éléments forment un tout homogène »2. Cette définition n’offre pas de figuration et seuls les architectes, urbanistes et ingénieurs sont décideurs quant à la mise en œuvre de ce terme. Dans le cas des Arcs, l’architecture cherche à allier modernisme et fonctionnalité coûte que coûte. L’espace est pensé en fonction des nouveaux modes de vies pour « intégrer » l’utilisateur à l’architecture, à la fois par le biais de ses activités extérieures mais aussi par son utilisation quotidienne de son habitacle. Le terme « intégré » est donc décortiqué sous deux forme : la culture et l’architecture. Premièrement, la station a pour but d’offrir aux touristes les moyens de s’enrichir humainement.


Pour l’aménageur, l’essentiel du message peut se définir ainsi : Offrir, à la montagne, dans un cadre d’une grande beauté, une occasion de développement personnel, sportif et culturel …1 …ceci se traduisant par une conception urbanistique et architecturale innovante. L’animation, au sens étymologique du terme « De anima » signifiant : air ou « animus » représentant le « souffle d’esprit », est l’élément déclencheur pour une société nouvelle, celle du loisir. Charlotte Perriand disait elle-même : J’aime la montagne profondément, je l’aime parce qu’elle m’est nécessaire. Elle a été de tout temps le baromètre de mon équilibre physique et moral.2 Et c’est précisément cet équilibre que l’équipe d’architectes et leur aménageur, Roger Godino, cherchent à transmettre à leur visiteurs. L’architecture fusionne entièrement avec l’usage. Le grand public est surpris par l’utilisation peu courante des lieux, comme l’emploi des toits pour diverses activités en fonction des saisons. Chaque surface des bâtiments est habitée. Cette occupation de l’espace met en valeur la montagne de façon à ce que l’homme se ressource face à la nature. (Fig.1) Par ailleurs, il n’est pas étonnant de voir que le premier bâtiment construit à Arc 1600 est le théâtre de la Coupole, symbole même de la culture. Il s’agit d’un édifice au centre de la station constitué d’une salle de conférence et d’une piscine intérieure et extérieure. La forme en demi-sphère évoque l’abri et permet d’envelopper les rassemblements pour une meilleure acoustique, et le matériau bois - plus précisément l’utilisation du lamellés collés - rend l’espace chaleureux et tamisé. L’Académie de Musique et de Danse est formée dans cet espace et certains touristes font des kilomètres pour observer une représentation de l’orchestre dans son bâtiment originel. Roger Godino reprend la forme triangulée de la charpente, dont l’architecte est Pierre Faucheux, comme sigle des Arcs. C’est donc ce logo qui est transmis dès le départ pour mettre un point d’honneur sur la notion de culture dans l’architecture en Montagne. (Fig.2)

Fig.1) Photographies du toit de la résidence de la Cachette (Arc 1600) en hiver avec pour activité le ski (en haut) et en été avec pour activité le yoga (en bas) Barsac Jacques, Charlotte Perriand, créer l’habitat au XXème siècle, Architecture et design image de la culture CNC, 1985

Fig.2) Coupe du théâtre de la Coupole (en haut) et extrait de la charpente du toit par Pierre Faucheux, sigle des Arcs (en bas) Godino Roger, Construire l’imaginaire… op. cit.

Godino Roger, Construire l’imaginaire… op. cit., p.100

1

Remplie de musique la coupole devenait un temple de l’art. […] Cette coupole était en quelque sorte la salle culturelle de la station.

Jousset Marie-Laure, Charlotte Perriand, cat. d’expo., Paris, centre George Pompidou, 2005, p.142

2

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J’en avais décidé la construction dès la première année pour affirmer notre volonté de faire des Arcs un lieu de culture et pas seulement de vacances.1 D’après Roger Godino, Les Arcs, grâce aux écoles de skis, aux clubs de tennis, au golf et l’important succès de l’Académie de Musique et de Danse, sont au monde du tourisme des années 1970-90 ce qu’à été le Club Méditerranée dans les année 1950-70.2 Secondement, les Arcs innovent sur l’aspect constructif. Cette innovation est engendrée par plusieurs facteurs. Premièrement, Roger Godino est un polytechnicien créateur de plusieurs industries notamment en Afrique, il possède une pensée constructive industrielle lui offrant un regard aiguisé sur les techniques contemporaines. Deuxièmement, le contexte oblige un temps de construction réduit et des coûts en adéquation avec les futurs acheteurs venant d’une classe moyenne. Troisièmement, la collaboration avec Charlotte Perriand et Jean Prouvé va permettre de faire émerger des solutions techniques nouvelles pour réaliser une architecture inédite.

Fig.1) Ci-dessus : Plan et coupe de Charlotte Perriand, 1975 (en haut) le pod préfabriqué des Arcs 1800 soulevé par grue. (en bas) Mcleod Mary, An Art of Living, Relié, 2003

Godino Roger, Construire l’imaginaire… op. cit., p.103

1

Club Méditerranée SA, connu sous le nom de Club Med, est une entreprise française cotée à la Bourse de Paris, créée en 1950 par le belge Gérard Blitz, qui commercialise principalement des séjours dans des villages de vacances, dans le monde entier. Source : « Club Med », Wikipédia, mise en ligne : , (consultation : 12/05/2015), http://fr.wikipedia.org/wiki/Club_Méditérrannée

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La plus grande innovation se trouve dans la pièce la plus réduite d’une habitation, et pourtant celle nécessitant le plus de corps d’états au moment de la fabrication, sept environ, il s’agit de la salle de bain. Dans le cas des Arcs, elle est composée de deux coques de polyesters de différentes couleurs pour à la fois créer une ambiance hors du commun, cassant la frontière entre le sol, le mur et le plafond, et résoudre d’éventuels problèmes d’étanchéité. L’ensemble est prémonté et assemblé en usine puis inséré dans le bâtiment en grue. Il est possible d’amener sept cabines par camion. C’est un bouleversement économique et technique, surtout dans des conditions difficiles dues à l’altitude, permettant au chantier d’être fini en l’espace de quelques mois. Ce pod salle de bain est accompagné de la cuisine, elle aussi pensée de façon très fonctionnelle. Charlotte Perriand, en tant que femme architecte, met un point d’honneur à ce que la cuisine devienne un élément central de l’habitation. Aujourd’hui entrée dans les mœurs, il aura fallu du temps avant d’ouvrir cette pièce. Elle s’organise en deux parties, l’une rattachée aux conduits d’eaux permettant d’y inclure le réfrigérateur et l’évier, et l’autre constituée d’un bar avec un retour légèrement plus élevé pour y cacher les éléments désagréables après le repas. Cette solution permet de faire un séjour-cuisine d’une taille réduite mais la sensation d’un espace spacieux et lumineux. (Fig.1)


Aujourd’hui, la société évoluant, les cellules classique de 27m2 de Charlotte Perriand ne répondent plus aux attentes des touristes. L’agence Arcadienne1 questionne notre mode de vie contemporain pour modifier ces habitats devenus obsolètes. La fréquentation de la station à changé, elle est devenue plus aisée et plus exigeante. Ainsi, l’agence rachète des lots de cellules, étage par étage, pour y modifier les peintures et les matériaux des années 1970 et parfois même en alliant deux appartements l’un à l’autre pour augmenter les surfaces habitables. Les salles de bains préfabriquées, sont réadaptées pour convenir aux futures dimensions de l’appartement et au nombre d’habitants. Cependant, l’agence assure ne pas perdre la touche Perriand en rééditant son mobilier et en remaniant l’espace avec subtilité. Cinquante ans après construction les Arcs, pourtant optimisées en fonction de l’usage des utilisateurs, deviennent dépassées. Roger Godino se justifie : La société française a énormément changé, nous avons maintenant une classe moyenne, voire basse, qui ne peut pas se payer d’appartement. Tandis que nous avons, à contrario, une classe riche qui cherche des appartements luxueux et spacieux. Et ce déséquilibre se fait de plus en plus. […] On construit et on vend aujourd’hui des appartement de 150 m2, chose improbable à mon époque. Si je devais reconstruire les Arcs aujourd’hui, évidement que ce serait complètement autrement…2

Arcadienne est une agence d’architecture composé d’artistes, d’architectes et de chercheurs en architectures. Magrou Raphaël, « Altitude, Intervenir dans l’existant, en montagne », D’Architectures, n°226, mai 2014, p. 70-75

1

Entretien de Godino Roger, le 13/02/15, cf en annexe

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b) Le passage à la quatrième génération, les raisons d’un renouveau. Le Plan Neige participe à l’essor d’une vingtaine de stations et l’effervescence trop rapide devient incontrôlable en l’espace d’une dizaine d’années. Chaque construction est un ensemble immobilier constitué d’un grand nombre d’habitations, de commerces et d’équipements. Chaque station engendre des remontées mécaniques, un déneigement constant, un entretien forestier, une sécurité régulière, une signalétique adéquate, etc. Sans oublier qu’à chaque saison il faut réadapter la station aux événements climatiques. En quelques mots, l’aménagement frénétique de la montagne laisse des traces indélébiles et les populations locales ne profitent finalement pas de cet « or blanc ». Ce qui, au départ, devait aider des habitants et les collectivités locales à s’enrichir ne devient qu’un cauchemar d’expropriations et de détérioration de l’environnement, d’après plusieurs témoignages. Le Plan Neige prévoyait 350 000 lits mais seuls 150 000 d’entre eux seront construits. Le décret du 22 novembre 19771 suite au discours2 prononcé par Valery Giscard d’Estaing va figer les lois montagnes et réglementer les installations architecturales. Ce décret a pour but de limiter les constructions à trop grandes échelles et trouver un équilibre entre hameaux existants et « usine à ski ». Il n’apparait pas par hasard car il est écrit lors de l’édification de la dernière station intégrée, La Tania (Savoie). En plus d’être un élément normatif pour les futures constructions il sera un bouleversement pour les stations existantes. Il examine trois critères :

1 « Décret n° 77-1281 du 22 novembre 1977 approuvant la directive d’aménagement national relative à la protection et à l’amélioration de la montagne », JO du 24 Novembre 1977 page 5513, (consultation : 22/04/2015), http:// paysagesdefrance.free.fr/textes/montagne/ decrets/d77-1281.htm

« Discours du Président Valéry Giscard d’Estaing à Vallouise », Journal télévisé, FR3 (Collection : Le Journal Provence - Alpes - Côte d’Azur - Corse), Montagnes magiques, 100 ans de tourisme alpin à l’écran, INA, (consultation : 22/04/2015), http://fresques.ina.fr/montagnes/fiche-media/ Montag00047/discours-du-president-valerygiscard-d-estaing-a-vallouise.html

2

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Le développement, celui-ci doit être fait par la population et des collectivités locales. La dimension du projet doit être en adéquation avec les ressources et l’effectif présent sur les lieux de façon à ne pas créer un déséquilibre trop important pour la suite des événements. Le nombre de lits touristiques doit être réfléchi en fonction du nombre d’habitants permanents. La banalisation de l’espace construit, elle est une nécessité pour satisfaire la demande croissante de loisirs. Il faut limiter la jouissance privative de l’immobilier en montagne, les espaces sont consommés au détriment de la nature et il n’est pas possible, pour l’Etat, les capitaux publics ou les collectivités locales de racheter un système si fragmenté et si cher en entretien.


Les équipements d’infrastructures doivent être réduits pour limiter le financement des communes ou du département. Les aménageurs et promoteurs doivent y réfléchir pour proposer des modes de déplacements réduits et fonctionnels. Par conséquent, les routes doivent être limitées par souci de protéger la nature et réduire les coûts financiers. La finalité de ce décret est qu’il faut réduire l’envergure des projets pour se rapprocher de l’urbanisme existant et trouver des localisations moins coûteuses et plus respectueuses des lieux. Il ne faut pas empêcher les stations de ski, il faut les repenser. Par ailleurs, ce système à plus petite échelle permet d’offrir un plus vaste choix d’hébergements en fonction des revenus de chacun, en plus d’offrir d’autres qualités sur le plan humain et architectural. Cependant, aujourd’hui il est très compliqué, voire impossible, de construire en haute altitude - c’est-à-dire plus de 2000 mètres - des opérations immobilières. Depuis ce décret, seuls quelques chalets se sont installés sur les contours d’Arc 1600, 1800 et 2000 et leur approbation est compliquée à obtenir. Le Refuge Robert Blanc 1 construit à Arc 2000 en 1981 par Guy Rey Millet fait partie de ses exceptions. Il est un hommage au décès de ce dernier.

1

Refuge Robert Blanc, Guy Rey Millet arch, 1981

Pradelle Denys, Atelier d’Architecture en Montagne, op.cit.... p.117

Refuge du Goûter, Groupe H & Deca-laage arch, 2012

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Mevel Nadège, « Refuge du Goûter » Exé, n°16, 2014, p. 53

Plus récemment, en 2012, la commune de Saint-Gervais-les-Bains à accueilli une opération intitulée : le Refuge du Goûter2 imaginé par les agences : Groupe H et Deca-laage. Il s’agit d’une pièce architecturale réduite pouvant recevoir 120 personnes. La tendance actuelle à très largement changée, la démocratisation du ski et les politiques qui ont suivies ont réduit le nombre de skieurs français et européens. Le ski et les vacances à la montagne sont devenus prisés et seule une fine partie de la population peut devenir propriétaire, la demande à donc changé et on ne construit plus pour les mêmes utilisateurs qu’il y a 50 ans. Il y a donc moins de demande et s’il y en a, elles sont exigeantes sur les surfaces, l’implantation et les matériaux utilisés. Cela explique pourquoi nous voyons apparaître des objets architecturaux d’échelle réduite dans les montagnes françaises.

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Arc 1600

Arc 1800

Arc 2000

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Conclusion Les Arcs, ainsi que l’ensemble des stations intégrées qui les ont suivies, sont rendues possibles grâce au « Plan Neige » et grâce à l’héritage du Front populaire. Ces opérations de grandes envergures, 150 000 lits, résultent d’une politique adaptée à leurs besoins. Elles représentent l’élément physique d’un processus économique et politique et elles contribuent, de part leur conception architecturale et fonctionnelle, au changement de mode de vie des années 1960 à 1980. Le terme « intégré » dans sa définition première, « qui est incorporé dans un ensemble ; dont les éléments forment un tout homogène », influe sur la gestion, le management, le budget et sur l’architecture. Sa mise en œuvre concrète est complexe, car c’est un système fait d’une multitude d’engrenages : si l’un d’eux rompt, la machine s’arrête. Finalement, il s’agit d’un procédé lourd qui fabrique des responsabilités collectives. Comme la relevé Roger Godino : « La philosophie des stations intégrées c’est comme un gros bateau qui va sur la mer et qui forme un ensemble » 1 De plus, le procédé « intégré » réduit le projet dans sa durée. L’intervention d’un ensemble cohérent ne peut durer qu’un certain temps car chaque individu peut, à tout moment, disparaître du projet. Celui-ci n’est donc pas sécurisé en totalité. La gestion est empirique et expérimental et il faut s’adapter d’avantage que dans un système dit « classique ». Cependant, le décloisonnement hiérarchique a permis une réelle évolution des métiers liés au bâtiment. L’architecte va au-delà d’une réponse architecturale, il fabrique la synthèse d’opinions diverses et fait entrer dans le projet des paramètres nouveaux. Le décloisonnement ouvre la discussion et c’est ainsi que Bernard Taillefer, ébéniste et menuisier a l’occasion de construire la résidence de la Rive à Arc 1600. C’est une aventure humaine plus que d’être une opération immobilière. Marc Mimram écrit à ce propos quelques phrases: « les ingénieurs calculent, les entrepreneurs construisent. Cette vision totalement archaïque du monde est non seulement fausse socialement, mais elle est castratrice. L’architecture n’est pas seulement...« L’art magnifique des volumes...» [...] Il s’agit d’une science du partage. » 2

1 Godino Roger, entretien du 12/05/15, cf en annexe 2 Mimram Marc, Matière à penser, ENSAVT, 20142015

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Annexe Entretien de Godino Roger, le vendredi 13 février 2015 (Paris)

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• Pourquoi s’être lancé dans cette aventure ? Pourquoi avoir choisi l’architecte Charlotte Perriand ? • Comment s’est passée l’acquisition des terrains ? • Comment vous êtes vous organisé avec les architectes et autres acteurs du projet ? • Quels retours avez-vous eu ? Quelles sont les critiques à l’issue des Arcs ? Quelles ont été vos aides ? • Comment s’est passée la construction de Courchevel ? • Quelle place avez-vous imaginé pour la voiture, la supprimer ? Quelle gestion ? • Quelles influences ont eu les Arcs sur la commune du Bourg St Maurice ? • Quels systèmes constructifs ont été nouveaux ? • Que pensez-vous de la préfabrication aujourd’hui ? • Comment avez-vous mis en place un « cahier des charges » ? • Quelles étaient les relations qu’entretenaient les architectes entre eux ? • Comment offrir du nouveau aux touristes ? Sur quels points avez vous innové ? • Qu’est-ce que les Arcs peuvent nous apporter aujourd’hui ? Quelles leçons pouvons-nous en tirer ? Entretien de Godino Roger, le mardi 12 mai 2015 (Paris)

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• A quel point la politique du Plan Neige vous a-t-il influencé à vous lancer dans le projet ? • Pour ce « premier » Plan Neige, de quels types de normes s’agissait-il ? • Quels impacts a eu Émile Allait sur ce commencement ? • Vous avez développé votre étude de marché suite à ce commentaire ? • Qui sont ou quels types de groupe sont les actionnaires qui ont aidé le projet à décoller ? A qui avez vous acheté les parcelles pour construire ? • La fusion des deux communes a donc permis de faciliter l’expropriation ? • Pouvez vous m’en dire plus sur Louis-Eugène Mangin ? • Vous établissez 5 points importants pour manager une équipe, que pensez-vous de leur application sur les Arcs ? • Pouvez-vous m’en dire plus sur la gestion d’un personnel et de ce que l’on peut lui apporter ? • Qu’est-ce que les architectes vous ont apportés ? • Comment s’organisaient les architectes pour se cantonner au budget que vous leur imposiez ? Quelles propositions avaient-ils ? • Vous m’aviez parlé lors du dernier entretien d’un bâtiment de Jean Prouvé pour le concours d’Arc 2000, pour quelle raison n’a t-il pas retenu votre intention ? • Comment définissez-vous le terme « intégré » dans l’architecture ? Comment l’avez-vous traduit architecturalement dans les Arcs ? • Les Arcs ne sont pas vos seules constructions de station, pouvez-vous me parler des liens que vous avez entretenus avec vos architectes dans ses autres pays ? Qu’est-ce que cette expérience « inter-culturelle » vous a apporté ? Biographies des différents noms cités durant le rapport d’étude

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entretien de godino roger, le 13/02/2015 à Paris. Pourquoi s’être lancé dans cette aventure ? Pourquoi avoir choisi l’architecte Charlotte Perriand? Je suis Savoyard, j’allais faire du ski notamment à Courchevel et j’ai rencontré Robert Blanc, guide de montagne. J’étais déjà doyen de l’Insead, et je détenais des projets industriels quasiment partout, surtout en Afrique. J’ai fais des études de marché sur les stations et je me suis rendu compte de l’importance qu’allait prendre le ski. Robert Blanc m’a proposé d’exploiter un site près de chez lui, et j’ai été séduit par le lieu. J’étais persuadé que le marché était ouvert et qu’il y avait de belles choses à réaliser. D’ailleurs, au lancement, j’ai connu Charlotte Perriand grâce à mes architectes qui avaient commencé un premier immeuble qui, je trouvais personnellement, ressemblait beaucoup à Courchevel, on ne va tout de même pas recommencer un Courchevel ! Alors j’ai demandé quelqu’un d’originale… Charlotte. 65 ans. Et je l’ai embarquée comme architecte conseil et très rapidement elle s’est imposée comme étant la tête du Projet. Elle n’avait fait que des petits morceaux d’architecture et moi je lui offrais 30 000 lits. Comment s’est passée l’acquisition des terrains ? C’était une longue bataille. Il fallait passer par une déclaration d’utilité publique, puis par les communes et puis je rachetais des terrains. Il n’y a eu aucun concours sauf sur l’arc 2000, pour voir si on pouvait retrouver autre chose, et puis ça ne m’a servi à rien. Jean Prouvé m’a fait un projet, qui à mon avis, n’était pas réalisable, en tout cas par moi. Bernard Taillefer m’a fait un autre projet et c’est celui-là qui l’a remporté. Seule mon équipe d’architectes pouvait répondre au concours, seulement, il n’y avait pas de grades, ils étaient libres et autodidactes. A Arc 1600 c’était chacun son immeuble pour qu’il puisse s’exprimer puis pour Arc 1800, après l’expérimentation, je leur ai dit qu’il fallait faire des choix. Bernard Taillefer a pris le commandement sous les commentaires de Charlotte Perriand. Arc 1600 était pour moi un laboratoire, on a tout essayé et Arc 2000 C’était le début d’autre chose… Sur Arc 1800 on a développé la politique « Corbusienne-Perriand » c’est-à-dire que toute l’architecture part de l’intérieur. 41


Comment vous êtes vous organisé avec les architectes et autres acteurs du projet ? C’était pas des rendez-vous réguliers, c’était sur le terrain tout le monde dormait sur place et nous passions nos journées ensemble. C’est une conception que l’on ne trouve plus maintenant je n’avais pas de maitre d’ouvrage de maîtrise d’œuvre ou encore d’ingénieur, c’était plus un schéma industriel qu’un schéma d’architecture, toutes les procédures allaient vite. Et moi, je gérais ça un peu comme l’entrepreneur. Quels retours avez-vous eu ? Quelles sont les critiques à l’issue des Arcs ? Quelles ont été vos aides ? On avait tout le temps besoin de la Mairie, permis de construire, chacun avait son opinion mais je décidais des choix finaux. Puis sur le plan financier, les remontés mécaniques, etc. on l’a fait avec des financements communaux. Le terme de « Station intégrée » a été choisi car on abordait tous les aspects de la station, y comprit les aspects politiques, financiers, constructifs, tout le temps en partenariat avec la commune. Alors comment s’est passée la construction de Courchevel ? Les pouvoirs publics ont exproprié et mis les terrains à disposition d’un promoteur qui était le département de la Savoie et qui les a vendus à des promoteurs privés et individuels. C’était de façon très classique. Il n’y a pas eu, comme moi, un réalisateur, il y a eu des réalisateurs / promoteurs. Un schéma ancien. Ils ont innové sur la gestion de la neige, la gestion des skieurs, des horaires, ça ils ont fait un grand pas. Mais aucune innovation d’un point de vue architectural ou urbanistique, la preuve c’est que la station s’organise au bord d’une route, point. Méribel c’est différent déjà. Avant la conception qu’on se fait de l’urbanisme c’est on a des terrains, puis on y fait une route et puis des gens construisent. Moi je considérais que ça ne pouvais pas faire de station ça, qu’il fallait croiser les disciplines. Quelle place avez-vous imaginé pour la voiture, la supprimer ? Quelle gestion ? On n’a jamais considéré que les gens ne viendraient pas sans leurs voitures, c’était de l’utopie. Chez nous, on n’évite pas la voiture, on est plus subtile. Il ne faut pas bouffer le centre de la station alors on les a pensées sur la périphérie. Un funiculaire a été mis en place entre arc 42


1600 et Bourg St Maurice mais c’est avant tout pour le village, comme une offrande. Le transport a été conçu pour que ce soit un point positif, sans être une pollution visuelle. Quelles influences ont eu les Arcs sur la commune du Bourg St Maurice ? Considérable ! Au lancement, la commune a été élue le village le plus développé de France à cette époque. Nous avons créé de l’emploi, du tourisme, des restaurants, des commerces, etc. Puis la commune dessert Val d’Isère, elle été influencé par leurs constructions aussi. Quels systèmes constructifs ont été nouveaux ? Il faut faire travailler sa cervelle d’ingénieur. Du coup j’ai inventé un système « perte » très moderne. En fait mon savoir-faire industriel je l’ai adapté pour l’architecture et l’urbanisme. Par exemple, Charlotte voulait réduire la durée de construction des bâtiments, mais comment faire ? L’élément le plus consommateur de temps : la salle de bain. On a fait une salle de bain artificielle et on l’ajoute au bâtiment, même chose pour les façades. Une conception artisanale avec des méthodes industrielles, voilà le mot d’ordre. Que pensez-vous de la préfabrication aujourd’hui ? Il faut savoir s’en servir mais une chose est sûre c’est que ça a de l’avenir ! Dans la mesure où l’on cherche à faire du peu cher, il faut utiliser tous les moyens qui existent, dont la préfabrication. Les dimensions impliquent les techniques si on veut être économique. Le petit chalet à la montagne c’est pas une station, c’est tout sauf une station. C’est une réflexion purement individualiste. Je suis contre les petits chalets, c’est une catastrophe pour la voiture et pour l’architecture. Il faut résonner autrement, en exploitant de manière rentable les surfaces. Comment avez-vous mis en place un « cahier des charges » sachant que vous vouliez innover ? Nous n’avions aucune expérience. Alors au début j’ai fixé des dimensions qui me paraissaient correctes et des principes directeurs pour la partie urbanistique. Après, il me faisaient leurs propositions puis on en discutait, on évoluait. Au départ, on ne savait pas très bien 43


ce que nous voulions alors de façon empirique on expérimentait. Petit à petit, on a appris à gérer l’économie en fonction des surfaces tout en restant dans des appartements confortables. Puis à cause du baby boom, on avait des familles de 4 personnes à loger dans un unique logement. On a inventé le principe « Studio / Chambres » : les parents dans le salon et une pièce d’appoint pour les enfants. La principale innovation que Charlotte a réalisée a été la « cuisine-bar », pour que la femme qui d’habitude est essentiellement dans la cuisine, puisse échanger avec d’autres espaces comme celui du salon. Tout ce qui n’était pas beau à voir, la vaisselle sale, était sous le bar. On s’est battus pour faire passer ça ! La cuisine aujourd’hui c’est le cœur d’une maison. Comment se sont déroulées les corrections de projets ? Quelles étaient les relations qu’entretenaient les architectes entre eux ? Certes, c’était pas sans quelques disputes, mais c’était tout le temps une émulation intellectuelle. On ne lâchait jamais le projet et j’avais avec moi une équipe de très grands architectes ! Je ne suis que polytechnicien et je n’y connaissais rien à l’architecture, j’arrivais un peu comme sur la lune. Je n’avais qu’une idée en tête faire une station pour un grand nombre, pas chère et innovante. Et j’avais, comme si c’était inné, des principes similaires à ceux de Charlotte. J’étais contre la décoration et l’esthétisme, si un projet cherche à être beau c’est qu’il a des choses à cacher. Une bonne architecture c’est une synthèse des matériaux disponibles, des techniques possibles, des besoins de l’utilisateur et des goûts / tendances du contexte dans lequel elle s’ancre. Par exemple, la peinture ça ne coûte pas cher au mètre carré alors on peut émettre la notion du beau et du moche, alors que l’architecture, c’est pas rien, on ne peut pas tout se permettre. On ne s’est jamais posé la question de l’esthétique du projet, elle découlait de tout le reste ! Comme disait Charlotte « nous faisons tout, de l’urbanisme jusqu’à la petite cuillère » On construisait un bateau. Il faut qu’il flotte qu’il avance et qu’il soit confortable. Un voilier, c’est beau parce qu’il il ramasse tout le vent jusqu’à la plus fine surface de voile, et sa forme en découle. Voilà c’était ça notre philosophie. Je suis stupéfait de voir la médiocrité de ce qui ce fait aujourd’hui en montagne, ce n’est que du pastiche. On cherche à imiter des chalets typiques, alors que, dans notre contexte, ça ne rime à rien. Est-ce que ça ne correspond pas à une régression culturelle ? Il se trouve que ce que nous avons fait a plu. Lorsque je vois ce qui s’est 44


fait à Flaine avec un grand architecte : Marcel Breuer, l’homme des façades, c’est mauvais. Mais l’architecture ce n’est pas que des façades. Par conséquent ils ont pris le problème à l’envers et ils ont fait quelque chose de moins bien. Et les promoteurs m’ont dit un jour « si on avait su on aurait pris Charlotte Perriand. » Charlotte avait été très formée par Le Corbusier, elle avait toujours vécu à la montagne et elle avait un fond socialisant. C’est ce qui correspondait à mes attentes. Elle était persuadée que quelques jours à la montagne pouvaient faire changer les gens culturellement, dans leur façon de vivre. Et c’est ce que l’on a constaté plusieurs fois. Le mobilier était pensé avec le bâtiment, c’était un tout. Comment offrir du nouveau aux touristes ? Sur quels points avez vous innové ? J’avais comme vision de faire autrement. Jusque ici on faisait « l’usine à ski », comme Le Corbusier a fait la « machine à habiter ». Tout était pensé autour de l’activée : ski. J’ai eu une conception différente, je voulais favoriser les liens entre la montagne et l’Homme. Et pour cela, Il faut que le projet fonctionne été comme hiver. En fait, notre vrai architecte c’est la montagne. Par conséquent, on a développé une multitude de sports. Je m’imaginais une dimension culturelle, mais pas une consommation culturelle, plutôt un aspect spirituel entre le citadin et la nature. Par exemple, le théâtre à la coupole à Arc 1600, était là pour faire se rencontrer les vacanciers et leur offrir autre chose, par exemple la musique dont l’Académie est devenue très célèbre. Qu’est-ce que les Arcs peuvent nous apporter aujourd’hui ? Quelles leçons pouvonsnous en tirer ? J’ai eu la chance, très rare, de partir sur du vierge, mais je ne prétends pas du tout que ce que nous avons fait aux Arcs puisse servir pour l’urbanisme d’une ville d’aujourd’hui. La société française a énormément changé, nous avons maintenant une classe moyenne, voire basse, qui ne peut pas se payer d’appartement. Tandis que nous avons, à contrario, une classe riche qui cherche des appartements luxueux et spacieux. Et ce déséquilibre se fait de plus en plus. Il y a environ 10% de Français qui partent au ski, donc sur 60 millions de personnes, vous en avez 6 millions qui font du ski. Dans ce restant, il y en a 1/10ème qui sont propriétaires, ça fait 60 000 personnes de 45


classe élevée, et 9/10ème qui sont locataires. Du coup, les goûts qui dominent ont complètement changé car ce sont les propriétaires les décideurs. On construit et on vend aujourd’hui des appartement de 150 m2, chose improbable à mon époque. Et ce calcul rapide qui est fait à l’échelle de la France devrait être fait en fonction de l’Europe car c’est le même déséquilibre. Je considère que ce n’est pas une solution et que cette disparité des classes n’entraîne à rien de bon, mais ce n’est qu’un avis personnel. Si je devais reconstruire les Arcs aujourd’hui, évidement que ce serait complètement autrement, mais c’est pas dit que ce serait mieux !

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entretien de godino roger, le 12/05/2015 à Paris. A quel point la politique du Plan Neige vous a-t-il influencé à vous lancer dans le projet ? Le plan neige a créé une ambiance favorable politique et administrative surtout, mais en fait lorsque le plan neige est arrivé la plupart des projets étaient en gestation. J’ai commencé en 61, en fait il y a eu une longue approche de tout ça qui remonte au front populaire en 1936. Lorsque Léo Lagrange - Ministre de la jeunesse et des sports - a eu l’idée de développer des centres de neige pour tout le monde. Et ils se sont réunis à Val d’Isère pour déterminer ou, plutôt, ils ont pris conscience du fait qu’il y avait une possibilité de développer la montagne. Ils se sont lancés dans ce développement. Cela a abouti à Courchevel puis la guerre est arrivée. Ensuite, ça a repris sur Courchevel et puis un peu partout d’où le Plan Neige. Et on peut dire que les stations des Arcs, comme les Avoriaz, Flaine ou les Menuires font partie du même ensemble. C’est la même période et ça correspond à une donnée du marché. Donc, le Plan Neige, étant de la même époque, m’a obligé à prendre des engagements sur des normes mais qui étaient tout a fait raisonnables. C’était simplement le bon sens. Je dirais que ma réponse est que : l’ambiance du Plan Neige nous a plutôt aidés. C’est sûr. Mais attention je parle du premier Plan Neige parce que dans le temps de Giscard d’Estaing on a dit on va favoriser les stations de basses altitudes, ce qui est d’ailleurs une erreur parce que ce que j’avais prévu c’est produit : on a réussi à faire des stations basses altitude mais ça a été de nombreuses faillites pour les communes, les promoteurs, etc. tout simplement, parce que en basses altitudes en France il n’y a pas de neige, donc la durée de la saison s’est écourtée et on ne peut pas être concurrentiel. Ce deuxième Plan Neige, si je puis dire, qui était plutôt un Plan de timoré était catastrophique, mais moi ça ne m’a pas dérangé du tout, moi j’ai rien fait en dessous de 1600 mètre d’altitude. Voilà en gros ce que je peux répondre à ça. Pour ce « premier » Plan Neige, de quels types de normes s’agissait-il ? Par exemple, c’est à ce moment que l’on a créé un rapport entre le débit de remontées mécaniques et les surfaces construites. On comprend bien pour que les gens puissent skier librement il faut qu’il y est un débit de remontées mécaniques régulé en corrélation avec 47


la capacité d’hébergement. Tout ça, ça se calculait par le nombre de surface construite. Donc il y avait une notion de planification. Et en même temps de donner des limites sur des sites. Aux Arcs par exemple on donnait une limite de 15 000 lits et puis après c’est devenue 30 000 lits. Et la notion de « limite » pour une station était réfléchie selon la situation, le domaine skiable et la superficie, puis on vous on vous disait vous serez limités à tant de lit. C’est une notion normative en corrélation avec les remontées mécaniques. L’une des conséquences du plan neige qui a été en quelque sorte copiée sur ce que j’ai fait : C’est que l’on a imposé que l’aménageur soit celui qui possède les remontées mécaniques : pourquoi ? Parce que, avant les remontées étaient propriété d’un et le domaine foncier propriété d’autres, et celui qui avait le terrain attendait les remontées mécaniques pour qu’il y ait une demande de skieurs et pour qu’il y est plus d’appartements donc il attendait qu’on fasse les remontés mécaniques. Et l’autre, attendait que l’on est construit les hôtels et les appartements pour qu’il y ait des clients donc chacun attendait l’autre. C’est ce qui s’est passé à Val d’Isère, chacun attend l’autre et le développement ne se fait pas. Avant la guerre Val d’Isère avait 3000 lits et puis la guerre est arrivée et Courchevel s’est développée avec une planification : elle a fait 5000 lits tandis que Val d’Isère avait toujours 3000 lits. Et puis finalement Val d’Isère a compris la leçon ils ont fait en sorte que les remontées mécaniques soient liées avec ce qui venait de se construire et ils se sont redéveloppés. Les débits de remontées mécaniques doivent être investis par celui qui contrôle le développement immobilier. Quels impacts a eu Émile Allait sur ce commencement ? Importante, parce que Emile Allais était un garçon très rayonnant et il a fait du ski un élément très populaire et c’est un garçon avec un talent éducatif… Pédagogique même. Il a fait beaucoup pour créer les écoles de ski et les développer. C’est un personnage dont on tenait compte de l’opinion à l’époque et pour moi-même ça a joué un rôle dans la décision des Arcs, j’avais envie d’avoir l’opinion de Emile Allais. Et un jour j’allais à Courchevel, avec Robert Blanc, faire du ski, et dans le téléphérique on se retrouve nez à nez avec Emile que je ne connaissais pas mais Robert le connaissait très bien. Alors j’ai demandé à Robert de demander à Emile Allais ce qu’il pensait du site des Arcs et je savais qu’il l’avait parcouru : « Les Arcs c’est formidable, il y a de quoi faire un projet extraordinaire, … » répondit-il. Il a dit toute une série de phrases 48


toutes plus positives les unes que les autres et ça m’a conforté dans le projet, ça a un peu déclenché ma décision, si il avait dit le contraire, j’aurais fait très attention. Un avis peut avoir de grandes répercutions. Je n’avais aucune relation économique ou administrative avec lui, c’était une connaissance. Il était conseiller pour les pouvoirs publics et je connaissais l’influence qu’il avait sur ce domaine. Vous avez développé votre étude de marché suite à ce commentaire ? Et là oui, j’ai eu envie de faire une étude de marché. Ça a été la première étude de marché pour le secteur du ski. Elle était basée sur la corrélation entre la consommation et le niveau de vie. C’est ce que l’on appelle le modèle d’Engels. Si on prenait en abscisse l’évolution du revenu par tête et en ordonnée le nombre de skieurs, on s’apercevait que la courbe augmentait considérablement jusqu’à devenir une asymptote qui se stabilise. Parce que on s’aperçoit qu’il y a une limite arrivé à 10% de la population. J’ai pris conscience de l’essor qu’allait subir le ski et par conséquent que je n’allais pas avoir de concurrence. Qui sont ou quels types de groupe sont les actionnaires qui ont aidé le projet à décoller ? Il n’y en a pas eu. On avait des partenaire c’était la commune d’Hauteville-Gondon. Cette petite commune où se trouvaient les champs de neige. Et nous avons passé un contrat avec elle, elle nous laissait la liberté du développement des Arcs et nous nous engagions à construire dans les temps un minimum de lit. L’intérêt de la commune c’était de voir pousser la station car elle créait des emplois. Le village était essentiellement rural et c’est l’époque où le chômage n’existait pas mais ou par contre la migration vers les métropoles existait beaucoup. Ils partaient de l’agriculture pour travailler dans les industries. Nous avons eu un dépeuplement des campagnes, la commune perdait ses habitants : pourquoi ? Parce que les jeunes n’avaient pas d’emplois. Donc les Arcs ont été un vrai souffle pour eux. Et puis au bout d’un moment la commune s’est retrouvée trop petite pour suivre nos besoins et elle a donc fusionné avec Bourg-SaintMaurice. Celle-ci a repris les contrats sur une durée de 30 ans.

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Dans ce cas à qui avez vous acheté les parcelles pour construire ? La commune, ou plutôt les communes, se chargeaient de réunir l’ensemble du domaine pour nous le mettre à disposition mais c’était à eux de les racheter en expropriant les propriétaires, tout ça a pris un temps fou ! Une fois que les communes avaient racheté les parcelles elles nous les revendaient au fur et à mesure que l’on en avait besoin. On rachetait que les terrains sur lesquels on construisaient les pistes de ski qui sont restées du domaine public. La fusion des deux communes a donc permis de faciliter l’expropriation ? Oui, ça a surtout rendu plus facile le financement et la création de la route d’accès. On a demandé à la commune d’emprunter pour construire la route et on leur remboursait l’emprunt. C’était un accord financier en quelque sorte, mais qui ne coûtait rien aux communes puisque c’était nous qui remboursions les banques à qui elles avaient emprunté, avec les intérêts évidement. C’était un peu plus compliqué que ça… Les constructions des remontées mécaniques étaient bâties sur le fait que les commune empruntaient pour construire les remontées et puis on reversait aux communes les emprunts et en plus une redevance - 3% sur la dette - un système à la faveur des communes. Mais au bout de 30 ans les remontées mécaniques redevenaient à elles ou elles passaient une nouvelle concession. C’est tout un métier de faire tout ça, parce que si vous faites fonctionner des remontées mécaniques avec du personnel communal vous avez des tas de gens qui viennent vous demandez « vous pouvez pas embaucher mon fils ou mon mari ? » Le maire est soumis à une pression considérable alors que quand c’est une société extérieure et privée elle a des barrières. C’est une vraie gestion. Pour construire, on s’arrangeait avec les banques. Alors je faisais avec le capital qui était petit et puis surtout les emprunts bancaires, les financements de constructions immobilières. Le financement était assuré à condition que l’on soit capable de vendre les appartements. Donc nous avions deux emprunts, un auprès de la commune - pour la gestion du parcellaire et des remontées mécaniques - et un auprès des banques - pour la construction des bâtiments. Mais je n’avais pas un emprunt auprès des communes, c’est les communes elles-mêmes qui avaient un emprunt et moi je remboursais cette dette à leurs 50


places, tandis que avec l’immobilier c’est la banque qui nous prêtait de l’argent pour rembourser ensuite. Pouvez vous m’en dire plus sur Louis-Eugène Mangin ? C’était un colonel qui avait fait de la résistance et qui était un grand patron de la résistance… Puis après la résistance il a travaillé avec les différents gouvernements puis finalement en 58 quand de Gaulle est arrivé il s’est un peu retrouvé à la retraite… Donc il était disponible et il avait une grande connaissance de l’administration, du pouvoir public en général - il était beaucoup plus âgé que moi - donc je l’ai embauché pour nous aider à gérer certains problèmes, notamment les problèmes compliqués de relations entre les communes, les départements, le gouvernement et la société. Moi j’ai un peu été un pilier de ses relation, relations dont j’avais beaucoup besoin. Il a été mon bras droit sur cette partie-là de l’aventure. Suite à mes recherches, une partie reste sombre et je crains ne pas avoir parfaitement compris comment s’est déroulée la passation des Arcs et la perte de votre présidence… José Bidegain m’a aidé à trouver des actionnaires, c’était un ami. Ce qui s’est passé c’est que nous sommes arrivés en 86 et la station avait connu déjà un grand développement elle était en plein boom… Mais sur les deux première années de pouvoir de François Mitterand on a connu un ralenti et on a compris qu’il y allait avoir un retournement des taux d’intérêts, c’est-à-dire que jusqu’à présent on avait des taux d’intérêts très élevés on payait 10 à 12% de taux d’intérêt mais il y avait une inflation importante du même ordre de grandeur. Donc l’intérêt réel était faible, mettons que nous avions un taux d’intérêt de 14% réel dont 10% d’intérêt apparent soit 12% d’inflation et 2% réel… Donc c’était de l’argent qui ne coûtait pas cher et c’est pour ça que nous pouvions facilement emprunter. Mais à partir du moment où les taux réels ont grimpé, 2% à 6%, c’était devenu trop cher pour pouvoir faire se que l’on appelait des « stocks immobiliers ». Donc on ne pouvait plus utiliser le système d’emprunt on était obligé de se financer avec du capital. Donc je n’ai rien vendu mais j’ai fait une augmentation du capital. Sont rentrés des nouveaux arrivants sous certaines conditions qui rapidement étaient prêts à reprendre la majorité puisque moi j’avais un capital relativement faible. En fin de négociation quand tout ça a été fait j’ai revendu une partie de 51


mes actions. Je n’en avais plus besoin et je ne voulais pas rester dans cette société dont je n’étais plus le maître. En fait le besoin de faire rentrer des capitaux a fait que, automatiquement, la majorité passait à la propriété de ces nouveaux arrivants : le Crédit Lyonnais, le Crédit Agricole et la Caisse des Dépôts, cette dernière obtenant le plus de capital. José Bidegain a été une clef, il a joué un important rôle c’est grâce à lui que j’ai rencontré les sociétés avec lesquels j’ai passé les accords comme par exemple Général Entreprise qui fût actionnaire. Aujourd’hui c’est encore la Caisse des dépôts qui est majoritaire. Vous établissez 5 points importants pour manager une équipe : l’écoute et l’explication, l’importance de la formation, le social dans la productivité, l’intérêt général et la dimension internationale, que pensez-vous de leur application sur les Arcs ? Je n’ai pas calqué une théorie, ce n’était pas aussi clair. Après réflexion c’est plutôt le contraire, c’est que la pratique a dégagé des principes. Mais enfin c’est vrai, intuitivement j’avais besoin de certains collaborateurs internationaux, d’autres connaissant bien la construction, d’autres la finance, tout ce mélange de compétence faisait que l’on pouvait être efficace. Dans une vidéo de Jacques Barsac intitulée Créer l’habitat au XX siècle , Charlotte Perriand explique que grâce à vous elle apprend l’importance de réunir les personnes. Elle parle des séminaires qu’elle met en place pour créer la cohésion entre tous les architectes… Pouvez-vous m’en dire plus sur la gestion d’un personnel et de ce que l’on peut lui apporter ? Tous les architectes des Arcs avaient une forte personnalité. On ne pouvait pas être architecte aux Arcs sans avoir une forte personnalité. C’est des gens comme Perriand, Taillefer, Prouvé, etc. Charlotte a eu le talent de savoir rassembler tout ça et c’est ce qui l’a rendu, naturellement, « chef du groupe d’architectes » sans ce que ce soit sous forme de contrat écrit. Il n’y avait pas de hiérarchie mais elle se démarquait. Ça s’est de façon intuitive, progressive, ça a été de l’autogestion en quelque sorte. D’ailleurs, c’était la première fois qu’elle était à la tête d’un groupe. Enfin… elle avait déjà commandé une équipe au temps de Le Corbusier mais là c’était sur un ensemble beaucoup plus vaste… Donc c’était une expérience tout à fait nouvelle 52


pour elle. Mais tout à fait nouvelle pour l’époque, parce que c’était un décloisonnement de toutes les disciplines… C’est vrai, ça c’était un peu moi qui l’avais inventé. C’est une partie qui m’interpelle. Parce que ce décloisonnement faisait que chacun avait plusieurs casquettes… L’architecte n’était pas seulement architecte… Il était plus… Oui, la notion de maître d’œuvre et de maître d’ouvrage est très classique habituellement. Le maître d’ouvrage c’est le propriétaire et le commanditaire, le maitre d’œuvre c’est celui qui dit « je vais vous dessinez votre projet et vous le construire ». Alors qu’en fait dans notre cas ces fonctions là étaient mêlées, j’avais les fonctions de création… Plutôt que de dire maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, j’avais un ensemble dans lequel il y avait des architectes, des exploitants, des animateurs, etc. tous les métiers… Et je faisais participer tout le monde à cette création. Pour moi, l’architecte n’est pas celui qui dessine tout et qui décide tout, c’est celui qui au contraire est capable de mettre en forme des idées qui peuvent venir d’ailleurs. Chaque réalisation était le résultat d’une agitation collective dans laquelle on retrouvait tous les métiers. Evidement, moi je faisais une synthèse à un niveau supérieur parce qu’il fallait que ça rentre dans un budget. Il y avait une cohérence au niveau de la construction c’était Charlotte et il y avait une cohérence au niveau de l’ensemble, c’était moi, c’était moi le vrai « patron » si je puis dire… Qu’est-ce que les architectes vous ont apportés ? Ils m’ont apporté simplement le fait que je n’avais aucune formation architecturale particulière, je n’avais pas de culture architecturale donc j’étais un peu « out » par rapport à tout ça. Donc, je savais que j’avais besoin de concepteurs et de créateurs… d’ « artistes » si je puis dire. Très vite j’ai compris que la relation que je pouvais établir avec eux : c’était pas de dire « je vais choisir l’architecte je vais passer un contrat pour le payer avec un pourcentage et je vais lui laisser faire ses dessins pour lui les valider », non, « moi je vous paye, éventuellement 53


je vous donne tant par mois, et vous faite partie d’une équipe puis après c’est l’ensemble de l’équipe qui crée », j’ai cassé la relation linéaire qu’il existait entre maître d’ouvrage et maîtrise d’œuvre et je l’ai remplacée par une gestion collective dans laquelle les fonctions de création, d’imagination, d’esthétique, d’économie et les fonctions techniques se répondaient les unes aux autres et travaillaient ensemble quotidiennement. Comment s’organisaient les architectes pour se cantonner au budget que vous leur imposiez ? Quelles propositions avaient-ils ? Ils n’avaient rien à proposer, simplement je leur disais voilà « on a besoin de construire un ensemble de 250 appartements probablement à cet endroit-là faites-moi des propositions », c’est comme ça que ça se passait. Mais vous savez c’est extrêmement complexe tout ça, c’est plein d’entrées et de sorties à la fois, cela demande de la gestion financière de haut niveau, c’est plus compliqué que ça… Et ça prendrait un temps fou à vous l’expliquer. Durant mes recherches j’ai vu une vidéo de l’INA montrant Denys Pradelle dire : « Godino avait une vision économique ce qui explique la série de plan masses que l’on avait fait avec l’équipe avant que ce ne soit validé… » Oui, parce que je voulais être sûr que les plans qu’ils me proposaient rentrent dans les conditions que j’y mettais et que, par conséquent, je pouvais donner mon accord à cela. Donc lorsqu’il y avait des choses insatisfaisante je disais « revoyez votre copie, ça je n’accepte pas, ça c’est trop cher, ça je ne saurais pas le faire… » Il y a eu énormément de projets qui ont été refoulés comme ça, parfois des projets que les architectes considéraient comme très bons. Mais j’ai eu beaucoup de discussions avec eux là-dessus parce qu’il ne suffit pas qu’un projet soit considéré comme bon d’un point de vue architectural faut encore qu’on puisse le construire vraiment, qu’on puisse le financer. Et ça ne se fait pas n’importe comment… Pour qu’on puisse le financer il faut qu’il soit rentable d’une certaine façon. Par exemple quand vous construisez un hôtel, il faut donner la dimension des chambres mais en donnant la dimension des chambres vous donnez aussi des idées commerciales, vous ne pouvez pas fixer le prix n’importe comment, vous ne pouvez pas faire des chambres de luxe si elles sont trop petites… Donc le tout est de savoir en 54


manipulant l’architecture : comment faire des grandes surfaces mais à un prix moindre. Puis il y a les expositions donc on peut tirer valeur d’un bâtiment par des tas de bouts… Pas seulement par la construction mais par les choix architecturaux. Si bien qu’entre deux projets quasiment identiques l’un sera rentable, l’autre non. On ne peut pas construire un ensemble aussi vaste - de quelques milliards - si on a des idées simplement esthétiques ou bien c’est la faillite assurée. Alors moi j’ai failli avoir des ennuis lorsque mon système de financement a été mit en doute, justement en 83 quand il y a eu le préfet sur les taux d’intérêts, d’un seul coup j’ai pris conscience que je ne pourrais plus financer par emprunt, qu’il fallait du capital que je n’avais guère. Donc je me suis vite retrouvé en position de recherche d’actionnaires et c’est là que je suis petit à petit rentré en contact avec la Caisse des Dépôts. On peut se retrouver avec des circonstances politiques et économiques où les conditions ne sont plus les mêmes, il faut s’adapter. Vous m’aviez parlé lors du dernier entretien d’un bâtiment de Jean Prouvé pour le concours d’Arc 2000, pour quelle raison n’a t-il pas retenu votre intention ? Il n’était pas réalisable. Enfin, il était réalisable techniquement parlant mais non pas financièrement parlant. Parce que le projet était composé d’un certain nombre de toupies, ça ressemblait à des toupies, qui étaient posées dans un champ de neige sur des piliers. Chaque toupie représentait une vingtaine d’appartements, c’était un projet amusant qui, du point de vue architectural, était très intéressant mais personne n’aurait voulu acheter ça ! Vous n’auriez pas acheté un appartement dans un truc pareil puis les liaisons n’étaient pas assurées d’un bâtiment à l’autre. Si vous voulez, ça tenait debout visuellement mais c’était un fiasco économique. Donc moi je me suis dis « si tu te lances là-dedans tu vas à la faillite assurée ». Les gens auraient trouvé ça très bien, très drôle mais ils auraient acheté ailleurs. Non, mais fallait voir le projet, complètement futuriste ! et en plus c’était mal dimensionné ! Donc j’ai dis à Prouvé « Ecoutez, ce projet est très intéressant mais malheureusement je ne peux pas me lancer là-dedans » Un grand financier avec quelques milliards aurait pu se lancer làdedans mais il aurait placé énormément d’argent, je peux vous le dire ! Il n’était pas près de revoir ses sous. Mais Prouvé a fini par s’en rendre compte.

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Comment définissez-vous le terme « intégré » dans l’architecture ? Comment l’avezvous traduit architecturalement dans les Arcs ? Ce qui était intégré c’est… si vous voulez dans une station traditionnelle telle qu’il en existait avant la guerre, personne n’était responsable de la station dans son ensemble: un qui était responsable des hôtels, l’autres des appartements, l’autre des remontées mécaniques, etc. Des promoteurs différents qui se mettaient en concurrence les uns avec les autre. Cela marchait comme une ville, il n’y avait pas chef d’orchestre… Tandis que dans un projet, comme celui que j’ai mené, tout était intégré, l’exploitant hôtelier était le même que l’exploitant de remontées mécaniques, il y avait un seul exploitant qui avait la responsabilité de l’ensemble. C’était un vaste Club Méditerranée. C’est dans ce sens qu’elle était complètement intégrée. Depuis, elle s’est désintégrée, depuis que je suis parti la loi du capitalisme s’est imposée et la Caisse des Dépôts s’est rendue compte qu’il y avait des morceaux plus rentables que d’autres alors, comme diraient les capitalistes, ils ont « sortie de la valeur ». Ils se sont débarrassés des éléments moins rentables pour se concentrer sur les éléments rentables. Ils ont revendu un certain nombre de commerces, dont une grosse erreur, ils ont revendus les skis shops par exemple. Alors actuellement vous êtes aux Arcs et vous n’avez plus de cinéma, c’est une catastrophe ! Chacun fait son beurre ou fait faillite dans son coin, il n’y a pas d’organisation générale. J’ai beaucoup critiqué ça. La philosophie des stations intégrées c’est comme un gros bateau qui va sur la mer et qui y va ensemble avec un même moteur, une même coque et toutes les activités sur le bateau. Ce n’est pas un ensemble de petits trucs indépendants qui se courent les uns après les autres. Les trois quart des faillites que l’on a connu c’était ça : il n’y avait pas d’intégration. La philosophie elle est là et ça se retrouve au niveau des professions, des métiers, au niveau de la construction et de l’architecture. J’étais pas spécialement un promoteur immobilier j’étais pas là spécialement pour gagner de l’argent sur l’immobilier, j’étais là pour gagner de l’argent sur l’ensemble de la station donc je n’avais pas l’attitude d’un promoteur. Par exemple l’immeuble dans lequel nous sommes, (dit-il en me montrant son appartement, ndlr) je vais vous dire comment ils ont construit ça : ils avaient un terrain et ils ont demandé à un architecte de faire des plans en mettant un maximum d’appartement possible, 56


en essayant de gratter si possible sur les étages en trichant avec les lois de la commune et puis après il faut en foutre plein la vue alors on fait un grand jardin au début, à l’entrée. Là on y met de l’argent, du marbre, des arbres et puis ensuite on construit… Je vais vous le dire… Comme un HLM. Puis quand vous achetez un appartement là-dedans vous foutez tout par terre puis vous refaites toutes les pièces, moi ici j’ai tout recommencé. Avant j’en avais un à l’étage du dessus, je l’avais totalement refait. Si bien que tout le monde fait pareil, parce que tel que c’était fait initialement c’était fait pour gagner un maximum d’argent. Vous n’avez pas la même attitude si vous vendez du mètre carré pour gagner le plus possible ou si vous faites un ensemble cohérent dont le but général est de fonctionner correctement. L’architecture exprime les structures internes de l’ensemble du système et ne sont pas une contrainte externe qui est collée. Quand il y a un équilibre interne valable on est dans une espèce de vérité économique et technique qui a une force particulière et qui en plus dégage ses propres lois d’esthétique. Finalement, ce qui vrai c’est ce qui est beau. L’architecture des Arcs résulte des impératifs qu’on a donnés à la conception intérieure. Vous savez c’est une théorie « l’intégration » il y a beaucoup de gens qui pensent que c’est une bêtise qui laisse faire les choses par les lois du commerce, moi je considère que c’est un peu pour ça que l’urbanisme est en train de crever. Si les villes étaient pensées comme un ensemble intégré. On construit par des accroissements marginaux et puis par des intérêts particuliers. Vous passez boulevard Montparnasse, très intéressant, très beau, très populaire et avec énormément de bistrots, et bien les bistrots qu’est ce qu’ils font ? ils occupent les trottoirs bientôt les tables vont jusque sur la route, vous ne pouvez plus passer devant les restaurants, c’est une exploitation d’un individu qui s’approprie l’espace public. Finalement l’ambiance est cassée et personne n’y retrouve sa place ! C’est pas gérable comme ça, si il y avait un intérêt général à faire tout fonctionner ensemble ça marcherait beaucoup mieux. Si on construisait les avions comme on construit les villes, les avions ne voleraient pas ! ils seraient tellement lourds ! Donc on ne peut pas comparer les stations intégrées et les opérations immobilières classiques.

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En lisant votre ouvrage Construire l’imaginaire, j’ai cru comprendre que « l’intégration » se faisaient de deux façons : d’un point de vue culturel et d’un point de vue technique… Oui, c’est exactement ça. Charlotte Perriand avait ce don d’intégrer tout ! Son art était intégré… Mais je vous en est déjà dis beaucoup sur elle. Du point de vue de la culture, telle que je l’ai définie c’était pas une station de ski, enfin, ce n’était pas qu’une station de ski. Une station de ski c’est ce qui se faisait à l’époque, moi je voulais une station de montagne. Donc je voulais que ce soit organisé selon toutes les saisons pour que l’on puisse y vivre toute l’année. Evidement, l’hiver le ski était l’activité dominante mais l’été c’est un ensemble de gens qui prennent connaissance de la montagne et qui se ressource. D’où l’idée de dire la Musique c’est un idée importante pour le projet, c’est pour ça que j’ai immédiatement pensé à la coupole, c’est Pierre Faucheux qui nous a fait ça. Symboliquement je construis la coupole en même temps que les premiers immeubles pour bien montrer la volonté de faire place à la culture. Puis après on a développé énormément d’autres activités: le golf, la danse, etc. Toute l’architecture devait tenir compte de ça. Les Arcs ne sont pas vos seules constructions de station : Borovetz et Valle Nevada,... Pouvez-vous me parler des liens que vous avez entretenus avec vos architectes dans ses autres pays ? Qu’est-ce que cette expérience « inter-culturelle » vous a apporté ? La station du Chili, bon je connaissais bien le pays, j’ai pas appris grand chose… On a réappliqué les principes qu’on avait découverts avec les Arcs. Si vous allez à Santiago et que vous avez le temps d’aller jusqu’à Valle Nevada vous retrouverez les Arcs. Par contre Borovetz c’était bien différent parce que là c’était en milieu communiste, ce sont eux qui sont venus me chercher pour me dire « on a besoin d’une station on aimerait bien que vous nous aidiez à la construire » donc j’ai servi de conseiller. Ce n’était pas moi le maître d’ouvrage, c’était le gouvernement, j’étais consultant. Alors là j’ai appris énormément de choses, j’ai vu ce que c’était qu’un régime communiste j’ai manipulé des masses importantes à certain moment j’avais 2000 ouvriers sous ma charges : polonais, hongrois, vietnamiens, etc. J’ai vu ce régime avec toutes ses horreurs d’ailleurs et puis en même temps cette bureaucratie terrible. C’est une autre histoire très complexe !

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Architectes

Animateurs

Complément

Pierre Faucheux Jean Prouvé Alain Taves Robert Rebutato Besoin professionnel

Charlotte Perriand (Le Corbusier)

Guides de Montagne

Francis Crouzet Charpentier au Val d’Isère

Atelier d’architecture en Montagne

Bernard Taillefer

Denys Pradelle

Albert Poulain Joseph Romanet Roger Arnaud

Maurice Michaud

Daniel Chevalier

Alain Bardet

Lycée Chamberry

Séjour à Courchevel

Guy Rey Millet

Robert Blanc

Gaston Regairaz

Yvon Blanc

Roger Godino Directeur de la Cimarc raisons politiques : S.E.A.T.M

Jean-Luc Margot-Duclot

Emile Allais Elèves de l’Insead

Industriel DG de St-Gobain

Fernand Koos

José Bidegain

Marc Lotigie

Maire de Bourg-St-Maurice

Jean-François Mengeon

Ministre du plan chargé de l’affaire de la Ravoire

Michel Rocard DG du Crédit Agricole

Collaborateur

Maire de Hauteville-Gondon

Jean Paul Huchon

Louis-Eugène Mangin

Antoine Bimet

Caisse des Dépots

Jean-Pierre Sonois

Président de la République de 1981-1995

François Mitterrand

Crédit Lyonnais

Jean-Maxime Lévêque

Finances 60

Politiques


Biographies Allais Émile (1912-2012) est un skieur alpin français de renom et Gloire du sport. Il est le premier médaillé français en ski alpin, il réalise un triplé au championnat du monde en 1937 à Chamonix. De plus, il est l’inventeur de la méthode de ski française rivale de la méthode autrichienne jusqu’alors dominante dans le monde. En parrallèle, il influt sur la politique française en s’initiant dans la S.E.A.T.M (Service d’Etude et d’Aménagement Touristique de la Montagne). On a pu la voir à l’age de 100 ans descendre les pistes de Courchevel et de Megève.

Vincent Vlès, Le projet de station touristique, Presses Univ, 1996

Bidegain José (1924-1999) est industriel spécialisée dans la fabrication de chaussures, nommé en 1968, délégué général du Centre national des dirigeants d’entreprise. En 1969 il est aux côtés du patron de L’Oréal, François Dalle co-fondateur de l’association patronale Entreprise et Progrès » et considéré comme l’un des piliers de l’aile moderniste du patronat français. Entre 1978 et 1989, José Bidegain exerce des responsabilités chez BSN Gervais Danone puis à Saint-Gobain.

July Serge, « La mort de Porthos (José Bidegain) », Libération, mise en ligne 07/10/1999, (consulté le 22/04/2015), http://www.liberation.fr/ tribune/1999/10/07/la-mort-de-porthos-josebidegain

Blanc Robert nait en 1933. Il meurt accidentellement le 4 février 1980 aux Arcs. Il se fait surprendre par une tempête de neige lors d’une expédition hors pistes. Il est à la fois berger et guide de haute montagne. Il rencontre l’aménageur Roger Godino lors d’un séjour à Courchevel et ils fondent ensemble la station de ski des Arcs. Robert Blanc s’occupe de réunir une quantité incroyable de guide de montagne pour fidéliser les clients des Arcs, de plus, il supervise et gère les pistes de leur planification jusqu’à leur entretien. A sa mort, son frère, Yvon Blanc, reprend les commandes.

« Robert Blanc », Wikipédia, mise en ligne : 02/02/15, (consultation : 23/05/15), http:// fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Blanc

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Huchon Jean Paul est un haut fonctionnaire et un homme politique français membre du Parti socialiste (PS). Il est diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) et de l’École nationale d’administration (ENA) à Paris, il entre à la direction du budget en 1971 comme administrateur civil, et devient chef du bureau agriculture en 1978. Entre 1981 et 1985, il est directeur de cabinet du ministre Michel Rocard avant de prendre la direction de la Caisse nationale du Crédit Agricole. Durant la majeure partie des années 1990, il est vice-président d’un cabinet de chasseurs de têtes.

« Biographie Jean-Paul Huchon », Le Parisien, (consulté : 29/04/15), http://pratique.leparisien. fr/biographies/biographies-personnalitespolitiques/hommes-politiques/jean-paul-huchon

Godino Roger fait ses études à l’École Polytechnique puis à l’Université d’Harvard, à sa sortie, en 1954, il devient professeur puis co-fondateur de l’Insead. En parallèle, il développe la station des Arcs dont le projet débute en 1960. Dans les années 1970 il participe à de nombreuses commissions du Plan et il intervient au Conseil de Vienne. Son impact politique croissante le pousse à devenir conseillé gouvernemental aux côtés Michel Rocard en 1988, il occupe se poste durant trois ans. Puis il créer et préside le « Holding International » ou il travaille en France, en Chine, au Chili et en Russie. Plus tardivement, il créer la fondation « Roger Godino » qui subventionne des institutions d’enseignements et de formations et fonde le « Centre International Pierre Mendès » avec Michel Rocard. Il réside aujourd’hui à Paris et écrit ses mémoires. Godino Roger, Construire l’imaginaire ou la quête inachevée d’un aménageur, Paris, H.I.D, 1996

Mangin Louis Eugène, Le général Mangin 18661925, Fernand Sorlot Fernand Lanore, 1986.

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Mangin Louis-Eugène naît en 1912. Il sort de Saint-Cyr en 1933. Résistant dès mars 1941, il fait partie de l’Etat-major particulier du général de Gaulle en 1943 ; il en reçoit la mission de « coordonner les activités para-militaires des mouvements de résistances sur l’ensemble de la France » (1943-1944), puis participe jusqu’en 1946 au cabinet du ministre de la guerre. Ses trente premières années d’activité, au service de l’Etat, s’écoulent pour une large part dans des postes tenue outre-mer, comme officier d’Affaires indigènes au Maroc, puis comme administrateur à Madagascar et en Afrique Occidentale. Il consacre les vingt dernières années au lancement puis au développement de la station des Arcs. Président de la société concessionnaire de cette station pendant une dizaine d’années, il en est le vice-président jusqu’à son décès en 1995.


Perriand Charlotte naît en 1903 et meut en 1999. Elle est diplômée de l’Union Centrale des Arts Décoratifs de Paris puis elle intègre l’équipe de Le Corbusier et Pierre Jeanneret. Elle s’occupe de l’architecture d’intérieur et bouleverse radicalement la façon d’habiter un logement grâce à ses créations dans les Cités Radieuses. Elle retravaille l’espace cuisine pour que celui-ci soit complètement ouvert sur le séjour et que l’ensemble de l’appartement soit fonctionnel. Elle revendique une architecture allant de l’intérieur à l’extérieur. Elle termine sa carrière aux côtés de l’Atelier d’Architecture en Montagne dans la création des Arcs. Elle est à la tête d’un groupe d’architectes; d’urbanistes et d’ingénieurs. « Charlotte Perriand », Over blog, mise en ligne : 11/03/15, (consultation : 26/05/15), https://www. over-blog.com/Charlotte_Perriand_biographie

Pradelle Denys naît en 1913 et meurt en 1999. Il obtient son diplôme en 1942 aux Beaux Arts de Paris après avoir suivit l’Atelier d’Auguste Perret. Il revient dans les Alpes pour soigner une tuberculose qui l’amène au ressourcement de soi, l’approfondissement culturel et la méditation sur l’environnement. Il créer en 1946 l’« Atelier d’Architecture en Montagne » aux cotés de L.Chappis et J.M.Legrand, leur première réalisation est Courchevel, puis Flaine, les Arcs, les Karellis et plein d’autres. Plus tardivement, il se consacre à tous les débats sur les enjeux du développement de la montagne, affirmant sans cesse la nécessaire d’inventer une pensée contemporaine pour habiter la montagne. Il termine sa carrière en rédigeant un recueil de toutes les construction de l’AAM intitulé Urbanisme et architecture contemporaine en pays de neige.

Pradelle Denys, Urbanisme et architecture contemporaine en pays de neige, Atelier d’architecture en Montagne, 2002

Regairaz Gaston nait en 1930 et meut en 2013, il fréquente le lycée Vaugelas de Chambéry aux côtés de Roger Godino. Il est diplômé de l’E.N.S.B.A en 1958. Dès l’obtention de son diplôme il retourne immédiatement à Chambéry pour exercer en tant qu’architecte au sein du cabinet Berthe, Jomain et Chappis. Cette première expérience le conduit à l’Atelier d’Architecture de Montagne ou il intègre l’équipe dirigée par Denys Pradelle. Il fait se rencontrer Roger Godino et l’Atelier pour ainsi créer la station de ski les Arcs en 1965.

« Gaston Regairaz » Wikipédia, dernière modification : 20/03/15, (consultation : 23/05/15), http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Regairaz

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Rocard Michel (1930-2012) est un homme politique français. Militant socialiste depuis 1949, il est le candidat du Parti socialiste unifié (PSU) à l’élection présidentielle de 1969, après quoi il rejoint le Parti socialiste (PS) en 1974. Il devient Premier ministre de juin 1988 à mai 1991 sous la présidence de François Mitterrand, il est ensuite premier secrétaire du Parti socialiste de 1993 à 1994, député européen de 1994 à 2009 et sénateur de 1995 à 1997. En 2009, Il est ambassadeur de France chargé de la négociation internationale pour les pôles arctique et antarctique.

Source : « Michel Rocard », Wikipedia, date de modification : 7/04/15, (consultation : 28/04/15), http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Rocard

Rey Millet Guy est diplômé en 1956 de l’E.S.A. Il rejoint ensuite Denys Pradelle à Courchevel et ils fondent ensemble l’Atelier d’Architecture en Montagne. Passionné de ski et d’architecture, il lie les deux à son quotidien. Il réalise le refuge Robert Blanc dans le massif du Beaufortain, en l’honneur de celui-ci. Il finira sa carrière en donnant des cours d’architecture à l’ENSA de Lyon puis à l’ENSA de Grenoble avec une pédagogie fondée sur la relation entre architecture et site à l’aide de son expérience professionnelle.

Source : Le Plateau , Région Rhône-Alpes, La neige et l’architecture, stations de sport d’hiver en RhôneAlpes, 10/10/12, Lyon

Taillefer Bernard naît en 1931 et meurt en 2002. Il possède une formation de menuisier/ébéniste, moniteur de ski, hôtelier et charpentier. Il rejoint l’équipe de concepteurs au début des Arcs grâce à Ch. Perriand. Il a le sens du bois, et des connaissances importantes sur sa mise en œuvre. Il imagine la résidence de la Rive qu’il construit avec son frère charpentier, il se démarque rapidement et travaille auprès de R. Godino à l’élaboration des résidences d’Arc 1800 parmi lesquelles l’Hôtel du Golf, la galerie marchande au quartier des Villards, les Mirantins, puis les Aiguilles Grives. Il trace le plan pour Arc 2000 et devient officiellement architecte en 1982. « Bernard Taillefer », Parcours inventaire Rhone Alpes, (consultation : 26/05/15), http://www. parcoursinventaire.rhonealpes.fr/stationski/Bernard-Taillefer-.html

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Bibliographie OUVRAGES • Godino Roger, Construire l’imaginaire ou la quête inachevée d’un aménageur, Paris, H.I.D, 1996 • Godino Roger, La grande transformation de l’entreprise, l’Edition de l’Atelier, 2012 • Godino Roger, Réenchanter le travail : pour une réforme du capitalisme, Paris, La Découverte, 1967 • Pradelle Denys, Urbanisme et architecture contemporaine en pays de neige, Atelier d’architecture en Montagne, 2002 • Chappis Laurent, Pradelle Denys, Rey-Millet Guy, Courchevel, naissance d’une station, Édition du lun, 2013 • Merlin Pierre, Le tourisme en France, enjeux et aménagements, Ellipses, 2006 (711.558 MER) • Jousset Marie-Laure, Charlotte Perriand, catalogue de l’exposition du centre George Pompidou, édition du centre G.Pompidou, Paris, 2005. (PERRIA) • Mangin Louis Eugène, Le général Mangin 1866-1925, Fernand Sorlot Fernand Lanore, 1986. • Vlès Vincent, Le projet de station touristique, Presses Univ, 1996 • Le Plateau , Région Rhône-Alpes, La neige et l’architecture, stations de sport d’hiver en Rhône-Alpes, Lyon, 10/10/12 • Mcleod Mary, An Art of Living, Relié, 2003 • Dictionnaire encyclopédique de la langue française, Le Maxidico, Edition de la Connaissance, 1996 • Pouillon Fernand, Mémoire d’un architecte, Edition du seuil, Paris, 1968 • Bataillon Nicolas, Dupouyx Guilhem, Duplantier Martin, Tricot Clément, Mémoire d’un architecte / Fernand Pouillon, IAUT, Bordeaux, p.46 ARTICLES • Mevel Nadège, « Refuge du Goûter » Exé, n°16, 2014, p. 53 • Robinchon François, « Flaine Station Breuer », D’Architectures, n°43, mars 1994, p. 44-46 • Delemontay Yvan, « Marcel Brauer à Flaine une station de ski préfabriquée », Le Moniteur architecture, n°228, novembre 2013, p. 83-92 • Rambert Francis, « Les Arcs- la fin de l’aventure architecturale ? », D’Architectures, n°91, mars 1999, p. 46-47 • Magrou Raphaël, « Altitude, Intervenir dans l’existant, en montagne », D’Architectures, n°226, mai 2014, p. 70-75 • Lena Hyacinthe, « Urbanisation en montagne », Urbanisme, n°183, avril 1981, p. 49-52 • Leonard Michel, « Les Arcs », Architectural review, n°1002, août 1980, p.93-97 • Andouin Jean, « Les Alpes refaçonnées », Architecture, n°26, juillet 1981, p. 40-47 • Lyon-Caen Jean-François, « Et l’homme inventa le studio-cabine », L’Alpe, n°4, été 1999, p. 37-40 • Desveaux Delphine, « Architecture de montagne, l’enfer du décor », D’Architectures, N°120, avril 2002, p. 41-49 • « L’architecture de Loisirs », Technique et architecture, n°333, décembre 1980, p.37-111 • Lyon-Caen Jean-François, « De la station de sports d’hiver à la montagne habitée », Urbanisme, n°312, mai 2000, p. 34-35 AUDIOVISUEL • « Discours du Président Valéry Giscard d’Estaing à Vallouise », Journal télévisé, FR3 (Collection : Le Journal Provence - Alpes - Côte d’Azur - Corse), Montagnes magiques, 100 ans de tourisme alpin à l’écran, INA, (consultation : 22/04/2015), http:// fresques.ina.fr/montagnes/fiche-media/Montag00047/discours-du-president-valery-giscard-d-estaing-a-vallouise.html • Barsac Jacques, Charlotte Perriand, créer l’habitat au XXème siècle, Architecture et design image de la culture CNC, 1985 • Bosquet Sophie, Calop Guillaume, Les Arcs l’esprit pionnier, Chalet Pointu, EPIC les Arcs Bourg Tourisme, INA, 2013.

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Site internet • « Juridique et institution : Le plan Neige », Montagne Leaders, mise en ligne : 13/02/2015, (consultation 01/05/2015), http://www.montagneleaders.fr/reportages/juridique-et-institution-le-plan-neige • Di Lorenzo Thomas, « Hommage aux propriétaires des Arcs véritables pionniers », Alpissime, mise en ligne : 15/04/13, (consultation : 14/05/15), http://www.alpissime.com/blog/hommage-aux-proprietaires-des-arcs-veritables-pionniers • « Les Arcs, station de sport d’hiver », INA, mise en ligne : 01/01/1988, (consultation : 14/05/15), http://www.ina.fr/video/ PUB3784090056 • « Tignes et Val d’Isère : un peu d’histoire… », Skipass, mise en ligne : 14/08/06 (consultation : 28/04/15), http://www. skipass.com/blogs/triffolet/tignes-et-val-d-isere-un-peu-d-histo.html • « Club Med », Wikipédia, mise en ligne : , (consultation : 12/05/2015), http://fr.wikipedia.org/wiki/Club_Méditérrannée • « Saint-Gobain », Wikipédia, dernière modification : 03/05/15, (consultation : 23/05/15), http://fr.wikipedia.org/wiki/ Saint-Gobain • « Un service, des missions, des études techniques et prospectives, un suivi économique, une équipe pluridisciplinaire », S.E.A.T.M, mise en ligne : 01/01/15, (consultation : 29/04/15), http://www.documentation.eaufrance.fr/entrepotsOAI/ AERMC/R40/48.pdf • « Insead », Wikipédia, dernière modification : 26/01/2015, (consultation : 22/04/2015), http://fr.wikipedia.org/wiki/ Institut_europ_administration_des_affaires • « Maitre d’oeuvre / Maitre d’ouvrage » Wikipédia, dernière modification : 13/04/15 (consultation : 20/04/15), http:// fr.wikipedia.org/wiki/MaAEtrise_douvrage • « Gaston Regairaz » Wikipédia, dernière modification : 20/03/15, http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Regairaz • « Charlotte Perriand », Over blog, mise en ligne : 11/03/15, https://www.over-blog.com/Charlotte_Perriand_biographie • « Biographie Jean-Paul Huchon », Le Parisien, http://pratique.leparisien.fr/biographies/biographies-personnalitespolitiques/hommes-politiques/jean-paul-huchon • « Michel Rocard », Wikipedia, date de modification : 7/04/15, http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Rocard • « Robert Blanc », Wikipédia, mise en ligne : 02/02/15, (consultation : 23/05/15), http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Blanc • July Serge, « La mort de Porthos (José Bidegain) », Libération, mise en ligne 07/10/1999, http://www.liberation.fr/ tribune/1999/10/07/la-mort-de-porthos-jose-bidegain AUTRES • « Décret n° 77-1281 du 22 novembre 1977 approuvant la directive d’aménagement national relative à la protection et à l’amélioration de la montagne », JO du 24 Novembre 1977 page 5513, (consultation : 22/04/2015), http://paysagesdefrance. free.fr/textes/montagne/decrets/d77-1281.htm

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Remerciements

Je tenais à finaliser ce rapport d’étude en remerciant les personnes qui m’ont aidée à le réaliser et qui ont contribué a son aboutissement : Ainsi, je remercie tout particulièrement Monsieur Roger Godino pour m’avoir accordé du temps et m’avoir transmis son histoire le plus fidèlement possible, Madame Denyse Rodriguez Tomé pour m’avoir fait rencontrer M. Godino et pour m’avoir accompagnée durant la rédaction de ce rapport grâce à son savoir, sa patiente et sa réactivité, L’Institut Français d’Urbanisme pour m’avoir fourni des informations et des documents vitaux pour le déroulement de ce rapport d’étude, et l’ensemble des personnes qui ont pris de leur temps et de leur énergie pour me transmettre leurs connaissances et pour me guider dans mes recherches, notamment Paul de Greslan.

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École d’architecture à Marne-la-Vallée de la ville & des territoires

Le projet des Arcs débute en 1961 lorsque Roger Godino rencontre Robert Blanc, le premier est co-fondateur de l’Insead (Institut européen d’administration des affaires) et le second guide de montagne à Courchevel. Les caractères et parcours disparates de ces deux hommes vont leur permettre de se lancer dans une grande aventure dans le village de Bourg-Saint-Maurice et de Hauteville-Gondon (Savoie). Ces deux hommes ne sont pas des constructeurs et ils feront appel à une dizaine d’architectes pour les soutenir dans ce projet, « une famille » d’après Roger Godino. Cette motivation a permis d’innover dans plusieurs domaines : les liens hiérarchiques, le management, la gestion d’une équipe, les activités touristiques, et les techniques industrielles et constructives, entre autres. Ces innovations rendent l’architecture significative et la station intégrée marque une rupture entre un avant et un après. La rapidité, la quantité et la qualité, parfois très critiquées, ont poussé à la fabrication de nouvelles architectures encore visibles aujourd’hui. Comment s’est fabriqué le projet des Arcs ? En quoi peut-on parler d’architecture « intégrée » ? Quels sont les liens, échanges et relations entretenus entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre dans la deuxième moitié du XXème siècle ? Quels ont été les moyens mis en œuvre pour la fabrication de cette station ?


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