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Le pouvoir du poète

Aujourd’hui la poésie nous évoque des noms de toutes les époques. Homère, Ferdowsi, La Fontaine, Shakespeare, Verlaine, Desbordes-Valmore, Poe, Anna de Noailles, Hugo, Eluard; maudits, classiques ou novateurs, illustres de leur vivant ou sauvés de justesse de l’oubli, nous les avons étudiés, appris et récités en cours. Par leur génie, leur audace et leur passion, ces hommes et ces femmes ont participé à la noblesse de la poésie et à sa grandeur académicienne, si bien que leurs noms se sont transformés en légendes. Cependant la poésie apparaît de plus en plus désuète: désormais romans et mangas priment dans littérature. Mais s’il est une chose d’émouvoir et de divertir au cours de centaines de pages, il en est une autre de le faire en quelques vers seulement. Ce n’est pas un hasard si la poésie fut le premier genre littéraire à voir le jour, ni si elle fut un élement central de la philosphie et de l’art aussi bien en Europe, au Japon ou au Proche-Orient: elle possède cette magie unique qui touche directement notre imagination et nos propres expériences humaines. Et dans cent ans les enfants réciteront peut-être les poèmes de Rupi Kaur ou de Tolkien, et pourquoi pas les textes de talentueux paroliers (après tout, l’Iliade elle-même est un chant). Ainsi Cohen, Ferré, Piaf, Eddy de Pretto, Gaël Faye, Pomme, Taylor Swift, ou encore Lizzo viendraient s’ajouter à la liste (très subjective) des Grands Poètes.

Je m’interrroge. Qu’ont-ils de si spécial, ces poètes et poétesses, pour marquer nos pensées et nos cœurs sur tant de siècles en ne faisant rien de plus que d’assembler des mots? Quelle est cette chose qui rend les poètes poètes? En grec le Poietes c’est le Créateur. Un artiste, un magicien. Un dieu capable de Création, tel Dieu lui-même qui, dans la Genèse, extirpe la lumière de l’obscurité non pas par l’emploi de potions ou de forces électriques, mais par le simple maniement des mots. Dire n’est pas un acte passif et neutre. Raconter n’est jamais un acte anodin, y mettre la forme est un art subtile. Les mots et le langage ont ce pouvoir de sculpter notre perception du monde. Pourtant dans l’imaginaire collectif, les poètes sont perçus comme des intermédiaires entre l’humanité et l’invisible. Ils sont ceux qui ob- servent, saisissent l’indescriptible et le retranscrivent de façon relative -ment intelligible. 12

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Alors le poète et la poétesse sculptent-ils quelque chose de nouveau issu de leur seul esprit, ou ne font-ils que lire et traduire ce qui se trouve autour d’eux? Dire qu’ils créent quelque chose à partir de rien me semble inexact car on ne peut inventer aucune couleur, aucune odeur ni aucun sentiment; il s’agit de composer avec ce que chaque être et chaque instant contient. Les poètes en réalité, sont des révélateurs qui oscillent entre deux états: la réflexion minutieuse, et la création impulsive. Car ce ne sont pas eux qui saisissent la nature humaine, l’essence de la vie et l’invisible, mais bien toutes ces choses qui les saisissent et les animent. Et parce que les poètes.ses révèlent à l’humanité ce qu’elle ressent en sa chaire, celle-ci les adopte et les change en légendes. Alors leurs poèmes s’en vont, libres, autonomes, vivants, nourrir et éclairer les âmes de ceux qui sauront les comprendre, jusqu’à ce que l’oubli les emporte. Je vous confie, pour conclure, entre les vers de la grande poétesse américaine du XIXem siècle Emily Dickinson qui sauront vous décrire ce pouvoir éblouissant qui n’appartient qu’aux poètes:

This was a Poet - It is That Distills amazing sense From ordinary Meanings And Attar so immense From the familiar species That perished by the Door We wonder it was not Ourselves Arrested it - before Of Pictures, the Discloser The Poet - it is He Entitles Us - by Contrast To ceaseless Poverty Of portion - so unconscious The Robbing - could not harm Himself - to Him - a Fortune Exterior - to Time -

C’était un Poète - Celui Qui distille un sens inouï Des significations banales Une si forte essence Des plantes familières Séchées devant la porte, Que nous nous demandons pourquoi Nous ne l’avions captée nous-mêmes. C’est le révélateur des images, Le Poète - c’est lui qui Nous donne droit - par contraste, A l’éternelle pauvreté. A son héritage - si aveugle Que le vol - ne lui ferait rien, Il est sa propre fortune Et il la possède - hors du temps.

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