LB n°54 : CHAOS

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LOUVR’BOÎTE n°54

0,50€

CHAOS


Page 3 ... Édito* Page 4 ... Comment survivre à l’apocalypse ?

Page 6 ... Enquête exclusive : les plats les plus chaotiques de ta région

Page 10 ... Truman Page 11 ... Le Choix de la Rédac’ - Cadavre exquis

Page 12 ... Jeux - Mots mêlés et théorie du Chaos

SOMMAIRE

Page 14 ... Test - Quel punk êtes-vous ?

Page 16 ... L’apARTé scientifique - Suppression de la Commission scientifique des collections : chaos à venir ou simplification administrative ?

Page 18 ... Histo’Art - Et si on se (re)flambait une cathédrale ? Page 20 - Hérald’HIC! - Blason d’Alger et héraut kabout Page 22 ... Les Folles histoires de Papa Ours - Néant et savoir 2


Édito*

Om. Démarrons cette nouvelle année comme il se doit. Toujours pas de fin du monde sur le calendrier : le Louvr’Boîte est là pour y remédier. Vous en avez assez de la rigueur instituée dans les précédents numéros ? Vous n’en pouvez plus de l’ordre établi ? Pour que tout cela cesse enfin : place au CHAOS.

Comme on n’avait pas les moyens de demander de l’aide à Shiva, ni à Ganesh (on a tout mangé, oups), toute la rédaction s’est affairée à créer le chaos. Afin de soigner le mal par le mal, en ces temps troublés, ce nouveau numéro est donc l’allié idéal de votre catharsis (les fêtes en famille tmtc). Les grèves sont votre trauma préféré du moment ? Pour améliorer votre trek journalier, exquis seront les différents cadavres concoctés, version Frankenstein s’il vous plaît.

Pour cela, on vous parlera de blasons sans dessus-dessous, et surtout on vous préparera à l’apocalypse comme il se doit. La nouvelle rubrique les drôles histoires de Papa Ours, ouvre sur un trou. Envie de porn food incohérente ? De conseils pour chauffer une belle dame qui reste de pierre ? Intéressé.e par une méthode de survie à l’apocalypse pour les pauvres, sans bunker ni conserves ? Par un voyage héraldique au Maghreb? Alléché.e par les collections (bientôt) faciles de ta région ? Par le trou à l’origine de tout ? Ce numéro est tout à vous. Désordre étant le mot d’ordre, annonçons le plus important en dernier lieu : le Club Jeu s’est joint à nous afin de vous proposer encore plus de contenu chaotique…. Découvrir (et embrasser) le punk qui sommeille en vous, faire travailler vos yeux, vos méninges et votre humou… imagination, mourir de frustration, … c’est maintenant possible ! Ruez-vous sur ces pages. Suosib,

Jeanne Spriet et Inès Amrani

*écrit en réalisant une danse cosmique de destruction et recréation des mondes au Macumba de Pépin-les-Bains Louvr’Boîte Onzième année N° 54. 0,50€ Directrice de publication : Jeanne Spriet Rédactrice en chef : Inès Amrani Responsable communication : Tyfenn Le Roux Maquette : Inès Amrani, Ulysse Chassé, Raphaël Vaubourdolle, Morgane Vitcoq. Couverture : Mahilde Clouët et Inès Amrani Ont contribué à ce numéro : Inès Amrani, Eloïse Briand, Ulysse Chassé, Chloé-Alizée Clément, Hanna Detibe, Flora Fief, Laureen Gressé-Denois, Tyfenn Le Roux, Ivane Payen, Jeanne Spriet, Eve Tahir, Raphaël Vaubourdolle, Morgane Vitcoq.

École du Louvre, Bureau des élèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 PARIS CEDEX 01. louvrboite.fr Courriel : journaledl@gmail.com Facebook : fb.com/louvrboite Twitter : @louvrboite Instagram : @louvrboite

ISSN 1969-9611. Imprimé sur les presses de l’École du Louvre (France). Sauf mention contraire, ©Louvr’Boîte et ses auteurs.

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Enquête exclusive : les plats les plus chaotiques de ta région C’est avec une pensée émue pour Philippe Etchebest qu’une véritable enquête d’investigation est lancée par le Louvr’boîte (enfin par moi) pour découvrir et comprendre les plats les plus chaotiques de nos cuisines. Lire cet article, c’est embarquer pour un aller simple pour les montagnes russes des plats les moins cohérents, déjà que l’expression « montagnes russes » est assez expressive en termes de chaos et de manque de cohérence. Commençons par poser les bases : qu’est-ce qu’un plat chaotique ? Un plat chaotique c’est quelque chose qui n’a pas de sens, pas de logique propre. Le résultat peut être plus ou moins bon (on ne juge pas) mais le plus important c’est que tout est possible. Je ne citerai pas l’abominable sandwich à la moutarde cuit au micro-ondes que mon frère a pu réaliser fut un temps, vous n’êtes pas prêt et le traumatisme est encore trop présent pour que je sois capable d’en parler. A la place, parlons du riz cantonais. Oui, le riz cantonais. Désolée, mais personne ne mélange du riz, de l’omelette, des lamelles de porc, des carottes, des

petits pois et autres légumes en se disant « mmmh ça va être super bon ! ».

Certes c’est bon mais là n’est pas la question, ce que l’on doit se demander c’est : pourquoi ce plat dont les premières traces remontent au VIe siècle en Chine et en Asie du Sud-Est a-t-il connu autant de succès ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un plat très économique. En prenant les restes de la veille et en les mélangeant avec du riz, il est possible de constituer un plat très nourrissant à moindre coût. Je vous avais promis de l’enquête d’investigation, non ? Le chaos c’est aussi partir de quelque chose de bon et en faire quelque chose d’infâme. Oui, je parle bien de la moussaka. Sur le papier on a clairement affaire à un copié-collé de lasagnes où la pâte est remplacée par des

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tranches d’aubergine. Que des gens puissent aimer un légume dont la texture ressemble plus à une éponge que celle de mon évier, certes je peux comprendre, mais qu’on choisisse de mélanger ça avec de la tomate et du mouton, ça me dépasse complètement. En recherche de clarification sur le sujet, je découvre à mon plus grand étonnement qu’il n’y a pas une mais des moussakas. La version la plus connue en France est la moussaka grecque mais la recette de la moussaka s’étend sur tout le pourtour Est de la Méditerranée. Mon cœur penche pour la version que l’on trouve au Nord de la Grèce, en Macédoine ou en Roumanie par exemple, où l’aubergine est remplacée par des pommes de terre ou des courgettes. Oui, je n’aime pas les aubergines mais je n’ai jamais dit que cette enquête serait objective (et puis c’est quoi l’objectivité en 2020 ?).

Véritable retour aux sources, je m’attaque maintenant à un problème qui divise la région de mon cœur, la Bretagne. Il est en effet temps de parler de la galette saucisse, véritable trahison au bon goût de cette région où la crêpe se mange à toute heure. Pour comprendre ce débat, il faut commencer par un petit point d’étymologie : en Bretagne du Nord, la « galette » désigne une crêpe salée et ce que l’on appelle « crêpe » est forcément sucré. Alors qu’en Bretagne du Sud (les vrais), la « crêpe de blé noir » ou « de sarrazin » désigne la crêpe salée et la « crêpe de froment » désigne la crêpe sucrée. Déjà, on ne part pas sur quelque chose de stable, mais voilà que ces Bretons du Nord décident de mettre une saucisse dans leur crêpe ! Certes on élève des porcs en Bretagne, mais est-ce que vous voyez des gens mettre un pied de porc dans leur crêpe ? Non ! Bon, après il

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faut quand même lui reconnaître, à cette galette saucisse, qu’elle est rapide à préparer et n’est pas très coûteuse. Déjà, ça lui fait un point commun avec le riz cantonais et en plus c’est très pratique pendant des festivals ou autres évènements bretons.

Arrivé là, mes détracteurs m’avanceront que mes choix de plats sont dictés par mes goûts ou encore pire par des revendications intra-régionales. C’est pourquoi j’ai décidé d’avancer un exemple dont l’aspect chaotique ne peut être débattu : la tarte tatin. On ne parle plus de goût mais de méthode. En effet, quoi de plus chaotique qu’une tarte inventée par accident ? Sauf que non, l’invention de la tarte tatin n’est absolument pas accidentelle : c’est un critique culinaire qui au début du XXe siècle lance cette légende d’une maladresse d’une des sœurs Tatin, sœurs qui tenaient une auberge en Sologne.

En quête de chaos de la méthode, il ne me reste plus qu’à me rabattre sur l’artichaut. On n’ajoute rien à un artichaut, on le cuit, on le mange et c’est fini. Oui mais que fait-on de tout ce qui reste après le repas ? Comme dirait Coluche « c’est le seul plat que quand t’as fini de manger, t’en as plus dans ton assiette que quand t’as commencé », et si ça n’est pas la définition même d’un plat chaotique, alors je peux considérer cette enquête comme un échec. Tyfenn Le Roux

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Truman bomb Je regarde mon fils qui fait ses premiers pas devant moi. Il balance les bras comme pour se tenir à l’air qui ondule doucement entre ses doigts. Je ne peux m’empêcher de lui sourire et d’essuyer d’un geste vif la larme au coin de mon œil qui se permet de se pointer. Je n’avais jamais ressenti un tel sentiment de fierté, si ce n’est le jour de sa naissance. « お父さん, お父さん ! » (Papa, Papa) m’appelle mon fils âgé de tout juste vingt mois. Je m’approche de lui pour le serrer dans mes bras. Je sens sa douce odeur de crème pour bébé et …

Ce jour-là, à quelques centaines de mètres de cet endroit-là, le 6 août 1945, à Hiroshima, eut lieu l’explosion de la bombe atomique Little Boy. Si Nakatsu et son fils, Takako, étaient des personnages réels à ce moment-là, à cet endroit-là, ils n’auraient probablement pas survécu, tout comme les centaines de milliers de disparus qu’il y eut ce jour-là. La petite maison de Nakatsu et Midori, la mère de Takako, aurait été rayée de la carte en un instant. Midori, qui se serait trouvée à Tokyo, ce jour-là, en déplacement pour son travail, aurait vu à la une des journaux le lendemain, le chaos qu’il y avait eu la veille, dans sa ville natale. Plusieurs mois plus tard, elle serait retournée sur les lieux de son ancienne demeure. Elle y aurait trouvé seulement cendres et poussières. Aucune trace du charmant berceau en bois de cerisier qu’elle avait déniché dans un petit magasin au nord de la ville. Aucune trace de ses robes, de son salon, de son petit jardin à l’arrière de la maison. Aucune trace de Takako et Nakatsu. Rayés de la carte. Flora Fief

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Cette double page de jeux et le test qui suit vous sont offerts par :

le Club Jeu de l’Ecole

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L’apARTé scientifique

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Suppression de la Commission scientifique des collections : chaos à venir ou simplification administrative ?

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Alors aujourd'hui on va essayer de rester sérieux -si Billy ! Oh mais tu ne vas pas commencer maintenant ! On ne me prend plus au sérieux après !- avec un sujet qui sort un peu des sentiers battus pour ce qui est de cette rubrique. En effet, ce sujet d'actualité nous paraissait -à Billy et moi- important pour les -espérons-le, Inch'Ganesha- futurs chercheurs, professeurs, conservateurs, commissaires-priseurs, et tout plein d'autres trucs en « eur », en Histoire de l'Art que nous sommes. Et surtout, on va essayer de rester neutre et le plus factuel possible, à vous de vous faire votre propre idée sur la question ensuite (vous trouverez quelques liens ajoutés à cet article). Bon ! Déjà, qu'est-ce que c'est que cette satanée commission là ? Et bien il s'agit d'une autorité administrative créée à la fin du premier mandat de Jacques Chirac par la loi n°2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France (appellation fondée par cette même loi et visant les musées publics ou privés à but non-lucratif revêtant d'un intérêt public). Son rôle, défini dans l'article 11, paragraphe II, alinéa 2 : décider du déclassement ou non des biens des collections des musées de France. En effet, et comme l'indique le premier alinéa de ce même paragraphe : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. » L'inaliénabilité de ces oeuvres consiste en l'impossibilité de les céder ou de les transmettre. Notons néanmoins deux choses : d'abord, toute personne publique peut tout de même céder ou transmettre des oeuvres de musées de France si elles restent affectées à un musée de France ; ensuite, les biens entrés dans les collections par dons ou legs, ou acquis avec l'aide de l'État (pour les institutions ne relevant pas de lui) ne peuvent être déclassés. Mais pourquoi est-ce que je vous embête avec tout ce bazar ? Et bien parce que le quatrième Comité interministériel de la transformation qui s'est tenu le 15 novembre dernier a décidé de la suppression de cette commission (et d'environ quatre-vingt-dix autres commissions diverses et variées). Le but étant d'accélérer la mise en oeuvre des décisions des élus en évitant aussi les consultations formelles pour gagner du temps administratif pour d'autres actions ou laisser la place à des consultations plus ouvertes sur la société. Et c'est ici que le débat commence, ou plutôt continue, car ce sont déjà deux rapports, depuis la loi de 2002, qui penchent pour une aliénation plus facile de certaines oeuvres. En effet, en novembre 2006, Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet remettent au ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie un rapport sur l'économie de l'immatériel proposant d'autoriser la vente et la location de certaines oeuvres des musées, mais selon des modalités très encadrées. S'inspirant d'une des clauses de ce rapport, Jean-François Mancel propose ensuite, en mars 2007, à l'Assemblée Nationale une loi préconisant le classement des oeuvres en deux catégories : les « trésors nationaux », inaliénables, et les oeuvres « libres d'utilisation », susceptibles d'être louées ou vendues après l'accord d'une Commission du patrimoine culturel prévue à cet effet par décret.

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Mais pourquoi cette envie de faciliter le déclassement des oeuvres ? Parce que cela permettrait, d'après les soutiens de ces propositions, une plus grande liberté de gestion de leurs collections par les musées. Il s'agirait aussi d'une solution aux problèmes de financement de ces derniers pour entretenir leurs réserves et acquérir de nouvelles oeuvres. Jacques Rigaud est alors chargé de réfléchir sur la possibilité d'application d'une telle loi et, dans son rapport du 20 janvier 2008, il propose plutôt de ne pas « étendre la portée de l'exception d'aliénabilité des collections publiques au-delà d'une mise en oeuvre sincère et expérimentale du déclassement rendu possible par la loi de 2002 ». D'après lui, le principe d'inaliénabilité des collections publiques serait dû à la nature des musées, en tant que service public. De plus, il faut aussi noter que cette fameuse Commission scientifique des collections ne s'est jamais réunie dans le but d'un déclassement d'oeuvre ! Ce qui pose de grandes questions sur son utilité, d'où sans doute l'idée de sa suppression par le gouvernement d'Emmanuel Macron. Enfin, et plus d'actualité, cette suppression permettrait de faciliter les restitutions d'oeuvres à d'autres nations -stoooooop ! Lâche ce casse-tête phallomorphe kanak ! Là… tout doux… Nous n'allons pas nous étendre sur ce sujet parce que ce n'est pas le débat ici, c'est une problématique complexe et je ne qualifierais pas mon avis à son égard comme assez étayé et encore moins comme valable.

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Cependant, si la suppression de cette institution est si positive, pourquoi débattre ? Car le problème est que, n'ayant pas connaissance d'une quelconque loi modifiant l'article 11 de la loi 2002-5, mais seulement de l'élimination de la Commission, on peut en conclure que toute personne publique pourra alors déclasser, sans contrôle, n'importe quelle oeuvre des collections dont il a la charge (excepté, comme le dit la loi, les biens « incorporés dans les collections publiques par dons et legs ou, pour les collections ne relevant pas de l'État, ceux acquis avec l'aide de l'État »). Cela aurait pour conséquence une gigantesque perte en terme de patrimoine : il serait alors impossible de garantir la bonne conservation de ces oeuvres, de pratiquer des recherches sur celles-ci, ou de les présenter au public. En bref, les détracteurs d'une telle mesure dénoncent la suppression d'un garde-fou et les dérives qui, en l'absence de mesures de remplacement (en mieux, peut-être) de cette commission et dans un contexte de libéralisation massive de notre économie, pourraient survenir et s'avérer catastrophiques. Mais nous n'irons pas plus loin ici ! Le seul but de cet article était de faire connaître cette actualité un peu cachée par tout le ramdam actuel et qui pourrait radicalement changer la vie des musées. Je vous laisse y réfléchir ! Raphaël Vaubourdolle

La Grande Galerie du Louvre, Thomas Allom

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s Un petit lien vers le site du journal où vous trouverez les textes officiels sur lesquels je m’appuie :


Histoi'Art

Et si on se (re)flambait une cathédrale ?

Je ne veux pas mettre le feu aux poudres mais à côté, ma soeur de Paris est une petite joueuse. Bien sûr, nous l'avons tous pleurée en avril mais qui m'a regrettée, moi ? Pas beaucoup de badauds ! Et pourtant ! Je détiens le record des poutres flambées, de braises de bancs, de cendres de pierre ! Cinq fois ! Qui osera donc me détrôner, moi la noble Notre-Dame d'Évreux ? ÉTINCELLE 1

o Portrait de Notre-(Ma)Dame d’Évreux

Pourtant, ça commençait bien ! On débute mes fondations dans le dernier tiers du XIème siècle. Je suis le bébé de pierre de taille de Gilbert La Grue, mon évêque. Alors non, il ne faisait pas l'oiseau sur le chantier. Il était simplement très grand (de taille et d'esprit pour bâtir une aussi belle dame que moi !). Il mesurait 1m90 : son sarcophage retrouvé en 1891 à gauche de mon chœur, entre les piliers de la seconde arcade, confirme cette incroyable perche ! Qu'il était bon et doux avec moi ce Gilbert. Il prenait soin de mon corps roman en pleine édification ! Petit problème en 1119 : Henri Ier, roi d'Angleterre, décide sur les conseils du successeur de Gilbert de me brûler en même temps que le restant de la ville. Pourquoi un tel acte ? Tout simplement pour attaquer Amaury III de Montfort qui détenait mon comté alors en vassalité au royaume de France. Voici donc mon premier baptême du feu. ÉTINCELLE 2

On aime bien casser du sucre sur l'Angloy mais la France n'est pas plus honorable. 1195. Je viens à peine de me relever de mes premières cendres que Philippe Auguste décide de me brûler à nouveau. Son rival Jean Sans Terre, frère du roi d'Angleterre, avait eu la délicieuse idée de convoquer trois cents officiers français à un grand banquet de « paix ». Pensez-vous, au moment de lever son verre, ils se font tous assassiner sur ordre du royal frère. Walder face aux Stark est un Mickey de plage à côté ! C'est ce qu'on appelle une vengeance qui se mange chaude ! ÉTINCELLE 3

C'est sport ! On essaie de me remettre tant bien que mal sur pieds après le revers français mais c'est très mal connaître l'Angloy qui veut sans cesse avoir le dernier mot. Rebelote. 1198. Richard Coeur de Lion s'y met aussi. Jamais deux sans trois n'est-ce pas ? Seules les deux grandes arcades de ma nef sont alors conservées.

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ÉTINCELLE 4 Vingt ans pour retrouver des fonds, mais ces bons Normands y parviennent enfin ! En plus, pour se faire pardonner, j'ai le droit à une remise en forme flambant neuve, un lifting gothique en 1220 ! De quoi rendre tout feu tout flamme les moindres tailleurs de pierre qui viennent piqueter mon désormais corps de femme mûre de leurs durs burins et experts ciseaux ! Un peu de répit, cela fait du bien ! C'était sans compter sur une bonne petite guerre : celle de Cent Ans ! Que s'est-il passé ? Devinez ! Vous en mettez votre main au feu, j'en suis sûre ! Jean II dit « le Bon » est embêté par son gendre Charles II de Navarre, comte d'Évreux, qui se dit que, décidément, une couronne de France sur sa tête lui siérait bien ! Qu'à cela ne tienne : et si on se refaisait un petit barbecue en 1356 ? « Le Bon » jette de l'huile sur le feu et crame la cathédrale de son beau-fils surnommé « le Mauvais ». Cherchez l'erreur. C'est encore pire que les repas de famille à Noël ! Trop caliente. ÉTINCELLE 5

Enfin un vrai répit ! Je m'épanouis pleinement ! Louis XI décide par lettre patente de me protéger en 1482 car décidément, on commence à se rendre compte qu'on m'en a fait voir de toutes les couleurs. On change ma garde-robe au transept nord avec des étoffes flamboyantes et mon portail occidental s'orne de sublimes parures Renaissance sous la grande rosace. Au sud, on finit par me remettre à la mode classique. Vient la Révolution. Pas de fumée sans feu dites-vous ? Perdu ! Pour une fois, on me laisse tranquille ! D'accord on a cassé le décor de mon tympan (ça m'a rendue à moitié sourde au passage !) et on déplore une perte de cinquante-six statues au portail nord pour faire un pont. Non vraiment, c'est une bagatelle ! Je m'en sors vraiment bien par rapport à d'autres de mes soeurs ! Mon cinquième bûcher vient plus tard encore ! Pour une fois, ce ne sera plus la faute des Anglais. Il faut regarder les menaces à l'Est aussi. 9 juin 1940 : bombardements. Heureusement, deux jours plus tôt, on avait enlevé mes vitraux pour les mettre en sécurité à Niort. Vivent les chasseurs Messerschmitt. Mais je ne suis pas la plus à plaindre. Plus d'une centaine de morts et de blessés dont le frère de l'acteur Jean Marais. BRISER LA GLACE... OU PAS !

Mes vitraux sont réinstallés en 1953 mais après avoir survécu à cinq incendies, ils sont littéralement pulvérisés par une pluie de grêlons en 1983. Pourtant ils avaient fait long feu...

Désormais, dans le feu de l'action de votre prochaine visite guidée dans mon antre, rappelez-vous du 15 avril 2019 bien sûr, mais également de tout ce que j'ai subi... Même si j'ai été rénovée et restaurée entre 2007 et 2017, je crois que je mérite quand même le chapiteau d'or des cathédrales maudites, la flèche oscarisée des cinquièmes degrés ! Mon tempérament de feu ne peut pas vous laisser de marbre (de craie plutôt à Évreux !) Alors s'il vous plaît, faites attention à vos dames de pierres à l'avenir ou vous risquez de vous faire allumer par les prochaines générations amoureuses de patrimoine. Laureen GRESSÉ-DENOIS

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Hérald’ Hic!

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Blason d’Alger et héraut kabout1

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Aujourd’hui, on va parler héraldique moderne et Algérie. Alors je tiens à prévenir tout de suite, je suis descendant de PiedsNoirs d’Alger. J’ai toujours toujours été fasciné par cette ville, une Blason actuel de la ville d’Alger sorte de nostalgérie héréditaire en quelque sorte. Mais attention ! Pas les Pieds-Noirs racistes et colonialistes qu’on dépeint parfois ! Pour preuve, mes grands-parents sont retournés travailler là-bas après l’indépendance pendant plus de dix ans, sous le régime communiste. Donc je nierai toute attaque sur les supposés relents d’Algérie française que pourrait avoir cet article. Ceci mis au point, commençons ! Les armoiries actuelles de la ville d’Alger ont été créées par le peintre algérois Ali Ali-Khodja en 1965 (peu après l’indépendance donc) en remplacement du blason adopté par le conseil municipal d’Alger un siècle plus tôt. Et disons que quand un peintre se mêle d’héraldique… ça donne des cauchemars à tout bon héraldiste qui se respecte. Non mais vraiment ! RIEN ne va sur ce blason ! Un petit blasonnement permet de se rendre compte de la complexité du bouzin : « Taillé au 1 d’azur à un navire d’or habillé d’argent, au 2 de sinople à une roue d’argent, à une gerbe de blé d’or et une plume du même posées en sautoir et brochantes sur la roue, à un croissant de gueules surmonté d’une étoile du même et accompagné de deux lions d’argent affrontés brochant sur le tout, à une bordure d’or. » Bien, maintenant que j’ai sombré dans la folie à vous pondre cette description -mais ce n’est pas grave, heureusement que Billy est là pour m’aider à garder la tête froide. Hein Billy !- on va pouvoir parler sérieusement. Pourquoi !? Premièrement, passons sur la gerbe de blé au naturel qui ne fait que rendre encore moins lisible un blason déjà illisible. Il y a beaucoup trop de meubles -de figures héraldiques en bref- sur ce blason. Les armoiries c’est censé être fait pour se voir de loin, pour savoir à qui on a affaire rapidement, sans se poser de question. Mais non ! Là c’est tellement un mesclat de couleurs et de formes qu’on dirait l’empire d’Alexandre le Grand, boudiou ! C’est pire que de l’héraldique du XIXe siècle ! -les élèves de Palasi saventEt vas-y que je mets des meubles brochants et sur-brochants, on dirait que la roue, la gerbe et la plume sont en pointe et non chargeant le taillé, etc. Et puis comme dit précédemment, il y a trop de couleurs : toute la palette héraldique (si ce n’est le sable) est présente : c’est laid ! -jugement de valeur bonjour !- En plus c’est un coup à faire des crises d’épilepsie.

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Cependant, pour la défense d’Al-Khodja (que je ne blâme pas du tout, entendons-nous bien !), le blason précédent n’était pas beaucoup mieux : « Taillé au 1 d’azur à un navire d’argent contourné soutenu d’un croissant versé à dextre du même, au 2 de sinople à une gerbe liée d’or posée en barre, à une barre d’or brochant sur la partition chargée en chef d’un écusson de gueules à une croix alésée d’argent et en pointe d’un lion au naturel passant contourné, la patte antérieure dextre posée sur un boulet du même, à une bordure d’or. » En bref, les mêmes couleurs et grossièrement le même capharnaüm que celui qui le remplacera, il partait mal donc.

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R Blason ancien de la ville d’Alger

En bref, un chaos complet que ces blasons. Cela est assez révélateur de la perte totale de savoir héraldique à laquelle on assiste en France et dans son ancien empire colonial. Les peintres répondent aux appels des communes au détriment des héraldistes. Or, l’héraldique est un art complexe avec ses règles, et ses notions d’esthétisme propres. On peut se poser la question des bienfaits du changement et du renouveau, mais pour ce qui est de la science héraldique, peut-être est-il plus intéressant de la garder pure comme aux premiers jours, au XIIe siècle. Alors, au risque de paraître réac’, j’écris : l’héraldique aux héraldistes !

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Je vous laisse là-dessus. Bisous brochants sur le chef !

Terme signifiant « têtu » en Pied-Noir.

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Raphaël Vaubourdolle

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i Les Folles histoires de Papa Ours i Néant et savoir S’il y a bien une chose qui m’attriste à l’École, c’est le peu de mythologies que nous voyons… Grèce, Chine, Rome, Moyen-Orient, Amérique précolombienne, Inde… Tout cela est fort sympathique mais en tant que passionné, je suis partisan de choses plus… « exotiques » disons. Qu’en est-il du Grand Nord, des lointaines contrées de la Mongolie et de la Sibérie, des innombrables îles de l’Océanie, des immensités de l’Afrique... ? Croyez-moi, j’en ai vu beaucoup et je peux vous dire que c’est fort intéressant. J’ai donc décidé de vous faire part de mes modestes connaissances afin de combler ce manque cruel du programme… Le thème de ce numéro étant Chaos, j’ai décidé pour la première de cette rubrique de commencer par le commencement, c’est-à-dire les cosmogonies. J’ai longtemps hésité sur la mythologie que nous allions voir aujourd’hui mais comme il a fallu écrire cet article dans les temps, j’ai dû me décider… Je vais donc vous parler de ce qui est sans doute le mythe de création le plus profond et le plus complexe d’Afrique, celui des Bambara du Mali. Au commencement, il n’y avait que le néant des origines, Fu. Celui-ci donna naissance au savoir, Gla. Ce dernier émit alors une voix qui créa d’abord son double, Dya (ou Dyq). Gla fut ainsi deux, marquant de ce fait le caractère primordial de la gémellité, principe existentiel. De l’union de Gla et de Dya naquit Yo, la pensée. Le monde matériel commença alors à apparaître lorsque Yo créa Pemba, le « principe lourd », c’est-à-dire la terre, et Faro, le « principe léger », le ciel. Puis, en l’arrosant de la pluie Faro fertilisa Pemba, qui donna naissance à Mousso Koroni (le premier être féminin). Faro, quant à lui, donna naissance à des jumelles qui engendrèrent les humains. Mais pendant ce temps, Pemba essaya de s’accoupler avec des femmes humaines et Mousso Koroni en prit ombrage. Pour se venger, elle révéla à l’humanité les secrets de Pemba. Aujourd’hui, la lutte n’est toujours pas terminée et elle durera tant que durera l’opposition entre le ciel et la terre, opposition qui se manifeste par la grande distance qui les sépare. Gabriel Schmit, dit Papa Ours

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P.S. : Il existe chez les Bambara plusieurs versions différentes de la Création qui offrent des descriptions contradictoires sur les relations entre les principaux acteurs.

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ous t er v u etro ticles r r r ar Pou nos oite.f rb v u lo

Crédits photographiques : Couverture : © Mathilde Cloüet Page 2 : Image Wikimedia Commons Page 3 : Image Wikimedia Commons Page 4 : © Eloïse Briand Pages 6 à 8 : Images Wikimedia Commons Page 9 : © Eloïse Briand, Mathilde Cloüet et Eve Tahir Page 11 : © Eloïse Briand, Mathilde Cloüet et Eve Tahir Pages 14 et 15 : Image libre de réutilisation provenant de Google Images Page 17 : La Grande Galerie du Louvre, Thomas Allom - Domaine public Page 18 : Image Wikimedia Commons Pages 18 à 19 : Image provenant de Pixabey Page 20 : Image provenant de Geneawiki Page 21 : © Raphaël Vaubourdolle Page 22 : © Eloïse Briand Quatrième de couverture : © Inès Amrani

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