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Laissez-vous métamorphoser

Querelles amoureuses, passion naissante entre dieux olympiens et mortels, coups de théâtre, promesses et trahisons… Non, vous ne venez pas de tomber sur la dernière série Netflix mais bien sur Les Métamorphoses d’Ovide, le plus long texte de l’histoire de la littérature latine, rédigé il y a plus de 2 000 ans ! A travers plus de 230 fables et 12 000 vers (tout de même…) Ovide nous livre une extraordinaire galerie de mythes de transformations, proposant le récit de métamorphoses d’un corps à un autre. Animaux, végétaux ou minéraux, prenez garde car tout peut arriver !

Si Ovide invente pour l’occasion le terme de “métamorphose”, (de méta : au-delà et morphis: la forme) qui donnera son nom à l’œuvre de sa vie, l’écrivain s’inspire de nombreuses références déjà bien connues de son temps, mêlant mythologie grecque et latine, poésie alexandrine et tragédies helléniques. Cependant, il ne se contente pas de recopier “à sa sauce” ce qu’il a pu entendre ou lire de ces mythes, mais révolutionne cette matière, se délestant de sa portée moraliste pour ne plus former qu’un très long poème dont les histoires d’amour (souvent dramatiques) s’adressent directement aux sentiments et à l’intellect du lecteur. Transformer tout un fond de références communes pour évoquer des transformations, Ovide n’en a pas fini de glisser de surprises en surprises… Entre Daphné, nymphe convoitée par Apollon, transformée à jamais en laurier ; Coronis qui, en fuyant Neptune, est changée en corneille par Minerve ou encore Aglaure figée en pierre en voulant empêcher Mercure de rejoindre Minerve, nous n’en finissons plus de rebondissements !

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Ovide a dû bien s’amuser à inventer toutes ces folles aventures, mais au fond… pour quoi faire ? L’écrivain s’efforce en réalité de nous partager sa propre vision du monde, tout en mouvance, dans la lignée de la pensée pythagoricienne. L’univers n’est alors plus perçu comme reposant sur un principe d’ordre et d’unité, mais sur un système d’évolution perpétuelle, un glissement continu d’êtres et d’états les uns sur les autres. L’écrivain pose par là même un regard critique sur les réalités et croyances de son temps, invitant ses contemporains à se départir de leurs idées fixes, notamment en terme d’idéalisation des divinités. Selon lui, il est alors absurde de considérer un dieu ou une déesse comme une puissance suprême, puisque tout n’est que mouvement et évolution, nous ne pouvons jamais être sûr de rien ! La faiblesse existe bel et bien, et Ovide tend à prouver qu’elle peut aussi avoir ses vertus !

Et si l’on se penche plus intimement dans l’œuvre, à quoi servent donc ces fameuses métamorphoses pour les protagonistes des fables ? A vrai dire, les usages sont multiples et s’expliquent toujours de façon plus ou moins rationnelle. On peut par exemple penser à Daphné, fille du dieu du fleuve Pénée, qui mène une vie tranquille et solitaire, jusqu’au jour où elle se retrouve en proie à l’obsession qu’Apollon lui voue. Refusant ses avances, le dieu ne se décide pas moins à lui déclarer son amour. Daphné fuit, mais Apollon la poursuit grâce à ses bottes ailées. Effrayée, la jeune nymphe exhorte son père de lui ôter cette beauté qui lui devient funeste, et le père entendant la supplique de sa fille, la change alors en laurier. Pour la jeune nymphe, la métamorphose apparaît comme un moyen de se soustraire au danger, la transformation revêt donc un pouvoir salvateur. Dans certains cas, la métamorphose a davantage une utilité de vendetta, comme lorsque Athéna change Arachnée en araignée, pour la punir de son orgueil.

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Malgré l’arrière-plan assez sombre et vaguement sordide de la plupart des fables, la métamorphose peut aussi être perçue comme un moyen de consacrer un amour à priori impossible, comme c’est le cas d’Atalante et Hippomène, qui pour vivre leur passion doivent subir la colère d’Athéna. Changés en loups et devant vivre dans la forêt, ils sont néanmoins à jamais unis sous cette forme animale.

Ovide nous livre donc une création en perpétuelle métamorphose et qui l’est encore de nos jours ! En effet, 2 000 ans plus tard, l’écrivain séduit inlassablement petits et grands par sa grâce sarcastique. Si ce chant de désir, de douleur et de mystère résonne encore aujourd’hui, c’est parce que ces sujets sont profondément humains et n’ont donc jamais cessé d’être d’actualité. Les artistes d’hier et d’aujourd’hui ont d’ailleurs su y puiser leurs sources d’inspiration, renouvelant encore et toujours la voix du poète. Une œuvre qui fut tour à tour transposée en peinture, sculpture ou gravure, mais servant aussi d’une inépuisable trousse à outils pour créer toutes sortes d’œuvres musicales et cinématographiques !

Pour les plus curieux d’entre vous, la traductrice Marie Cosnay a proposé en 2020 une toute nouvelle traduction du texte latin, vous invitant à vous laisser imprégner de ces histoires mythiques qui irriguent encore notre littérature et toute la culture occidentale.

D’une telle lecture, on ne peut que ressortir métamorphosé !

Victoria. L

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