Le Roi Âge d’or. Avant la fondation de l’Empire de la Lune. Sur le Continent des Hommes. - Aros ! L’apostrophé ignora l’appel, peu pressé de se retrouver obligé de remplir une des innombrables corvées que sa mère trouvait toujours à lui confier. Elle était loin et il pouvait prétendre n’avoir rien entendu, concentré sur son cheval préféré, qu’il montait à cru et tentait de guider par de simples pressions des jambes et des mains. - Aros ! Elle s’était rapprochée, et il grimaça. Il avait espéré qu’elle ne le repérerait pas tout en sachant qu’elle était bien trop maligne pour ignorer où il se trouvait. - Cette fois-ci, tu ne pourras pas y couper, lui dit Jeron d’un ton fataliste et passablement amusé. Son frère aîné observait ses progrès depuis un petit moment, nonchalamment appuyé contre la barrière de l’enclos. Âgé de presque seize cycles, Jeron était déjà un homme grand et large d’épaules, et Aros se demandait avec envie s’il atteindrait un jour la même carrure et la même puissance. Il n’était pour l’instant qu’un garçon maigre et nerveux de moins de dix cycles mais, s’il devait en croire leur père, il deviendrait plus grand encore que son frère. - Aros, ne fais pas semblant de ne pas m’entendre, dit la voix de sa mère, Madena, juste derrière lui. Il feignit de sursauter, une ruse qui, comme à son habitude, ne fonctionna pas. Elle le fixait avec une fausse sévérité, ses mains sur les hanches et une expression entendue sur le visage. Des mèches de ses cheveux sombres s’étaient échappées de sa longue natte et venaient balayer son visage au gré des mouvements erratiques du vent. - Mais maman, protesta-t-il, je dresse Vipère ! L’étalon s’ébroua en entendant son nom. - J’ai besoin de ton aide, dit-elle. Tu t’amuseras plus tard avec ce cheval. - Mais j’y suis presque, argumenta-t-il. Et Jeron n’a rien à faire… il peut t’aider, lui. - Jeron est grand et a d’autres tâches à accomplir. Maintenant, descends de ce cheval et viens m’aider. Aros s’exécuta en bougonnant à propos de cette injustice. Il passait son temps à faire des corvées au lieu d’être affecté à des tâches plus intéressantes et importantes. Il était vraiment pressé de passer la barrière fatidique des douze cycles pour être traité avec plus d’égards. Il suivit sa mère le long de la rue principale de leur village sans prêter attention aux maisons de pierre et de bois qui émaillaient leur parcours, toutes semblables avec leurs toits en chaume et leurs petites fenêtres. Elle le mena jusqu’à leur propre demeure et entra dans la cuisine, où le pain levait dans une panière couverte d’un drap. Il en respira l’odeur agréable alors qu’elle s’affairait derrière la table encore maculée de farine. Puis elle lui tendit un grand panier d’osier à la forme ronde caractéristique. - Tiens, dit-elle. J’ai besoin de plus de petit bois. Il souffla avec mauvaise humeur en s’emparant du panier. - Ramasser du bois, geignit-il. C’est un travail de fille ! Elle lui adressa un regard appuyé qui cachait mal son amusement. - Ah oui ? fit-elle d’un ton de mauvais augure. Puisque c’est ça, tu vas emmener Pellie avec toi. Sa mère aussi a besoin de bois. - Mais c’est un bébé ! protesta Aros. Elle va me gêner et on mettra deux fois plus de temps que si j’étais tout seul ! - Cesse-donc de te plaindre, le tança-t-elle d’un ton égal. Ça ne changera rien de ce que tu as à faire. Elle se détourna de lui pour prendre un objet familier posé contre le mur. 1
Hélène et Romain Rias Chroniques du Monde de la Tour