Numéro 10 - Magazine Karma

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EZ3kiel

Vingt ans de musique indépendante

patti smith

La reine du punk se dévoile

Röyksopp

La tendance électro venue du froid

le magazine des musiques actuelles en lorraine et au luxembourg

view I n ter

# 10

Printemps 2015 GRATUIT

:

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facebook.com/MagazineKarma

www.magazine-karma.fr


Directeurs de la publication : Guillaume Hann & Ugo Schimizzi Directeur de la rédaction : Ugo Schimizzi Directeur artistique : Guillaume Hann Rédacteurs : Nathalie Barbosa Thibaut Clement Rémi Flag Guillaume Hann Dominique Panetta Nathan Roux Ugo Schimizzi Timé Zoppé Illustrateurs et graphistes : Sylvain Calvez Quentin Crumbach Juliette Delvienne Clément Goebels Guillaume Hann Pierre Schuster Photographes : Margaux Gatti Pierre Hennequin Ugo Schimizzi Correcteurs : Juliette Delvienne Mickaël Fromeyer Marie Hann Scherrer Barbara Jouves Ioanna Schimizzi

Édité par : Association Son’Art Lorraine 40 Avenue de Nancy 57 000 METZ Contact : redaction.karma@gmail.com Le numéro 10 du Magazine Karma est tiré à 5 000 exemplaires sur papier Satimat Green, contenant 60% de fibres recyclées. La diffusion du magazine est assurée par l’équipe et par Julien Siffert, diffuseur. 07 87 77 79 47

IMPRIMÉ PAR L’HUILLIER, IMPRIMERIE VERTE 57 190 FLORANGE ISSN : 2259-356X Dépôt légal : à parution

Le Magazine Karma bénéficie du soutien du groupe Caceis, dans le cadre du programe Be Generous, de la Ville de Metz, ainsi que de la Région Lorraine, dans le cadre du programme Défilor.

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édito # 10 « Joyeuses fêtes de fin d’année ! » C’est à peu près le discours que nous aurions dû vous tenir dans l’édito de ce numéro 10, initialement prévu pour décembre 2014. Hélas, comme vous aviez déjà pu le constater avec notre numéro 9, un certain glissement s’est opéré dans la précision martiale de nos publications, à l’image d’un batteur bien (trop) souvent accusé de faire glisser le tempo. De notre côté, celui-ci a ralenti considérablement, nous forçant à produire ce Karma #10 avec beaucoup de retard. Trop, d ’ailleurs, pour honnêtement continuer à assumer notre périodicité et être capable de continuer l’aventure dans de bonnes conditions.   Nous avions, dès le départ, la volonté de proposer un média gratuit et de qualité, convaincus que ces deux mots pouvaient

brillamment cohabiter. Nous espérons avoir réussi ce pari et préférons terminer l’aventure Karma en étant encore forts d’une certaine rigueur à l’égard de nos publications et de nos attentes, comme des vôtres. Ce choix a été difficile, longuement réfléchi et notre amour de la musique n’a pas aidé à prendre cette décision. Il faut cependant parfois se poser quelques temps, avant de reprendre son envol, dans une nouvelle direction.   D’ici là, que cette année 2015 soit belle et vous apporte (en musique) bonheur et surtout… la santé !  Ugo Schimizzi Rédacteur en chef Guillaume Hann Directeur artistique


Sommaire Printemps 2015

2 édito 4 infographie : Karma a deux piges Retour sur plusieurs mois riches en Karma.

6 Chez Karma : La compilation Karma #2 8 Chez miss média 10 12 14 16 18 22 26 28 30 32 34 36

Quid de la recommandation musicale ?

Analyse : Démasquer la musique Analyse : Date de sortie inconnue Infographie : Panic on stage Interview : Lilly wood & the prick Interview : ez3kiel Interview : Oxmo puccino & ibrahim maalouf Interview : agnes obel Interview : patti smith Interview : röyksopp Interview : émilie simon Interview : daniel guichard influences : le recyclage des samples La pop samplée à outrance.

38 cinéma : Les gardiens de la galaxie

Un retour dans les années 1980 à la sauce science-fiction.

40 Museek : Zelda - ocarina of time La B.O est-elle à la hauteur de ce jeu culte ?

42 découpage : daft punk

Photos couverture et édito : Ugo Schimizzi

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infographie

Deux deux ans de karma

Beaucoup de choses se sont passées pour Karma en deux ans à peine. Retour sur des mois de bon Karma en quelques chiffres et jolies images. Par Juliette Delvienne. 

DANS LA GRANDE MAISON DE KARMA il y a

28 bénévoles, 2 BOSS metalleux aux cheveux courts

19 HOMMES & 9 FEMMES,

dont 13 sont là depuis le tout début, et quelques intérimaires aussi parfois !

5 RELECTEURS aux yeux de lynx suédois

10 PHOTOGRAPHES

1 DÉVELOPPEUR

3 ILLUSTRATEURS

7 RÉDACTEURS

toujours aux premières loges

geek à l’humour débridé

aux crayons magiques

à la plume affutée


129 CAFÉS

150 POINTS DE DIFFUSION

de chaque numéro

et au Luxembourg !

pour créer la maquette

en France

+ DE 250

live reports réalisés

en festival ou en salle

+ DE 6 500

photos éditées sur nos supports

retranscrives et souvent

TRADUITES à partir de l’anglais

35 850 MAGAZINES imprimés

depuis le numéro 0

ON A 2 ANS ! donc on sait courir sans tomber,

+ DE 200 INTERVIEWS

de l’allemand

du luxembourgeois

à parution du numéro 10

enregistrées

ET DE L’ESPAGNOL !

LA PLUS DINGUE ?

+ DE 20 PARTENARIATS

réalisée en plein centre de New York !

et renouvelés

on sait mettre nos chaussures

tout seuls,

MAIS SURTOUT on a réussi

+ DE 1 700 FOLLOWERS qui nous aiment de tout leur cœur

À FAIRE TOUT ÇA !

Lynyrd Skynyrd

ont été créés

ce qui représente

19 GROUPES lorrains & luxembourgeois de talent

2 VINYLES

à écouter

référencés dans notre rubrique

compilés avec amour

Le local

par nos soins

ABSOLUMENT !

47 GROUPES

+ DE 300

places de concert gagnées par nos lecteurs


CHez Karma

La compilation Karma vol.2

La compilation Karma vol.2 12 talents régionaux à découvrir !

Texte et photo : Ugo Schimizzi

Après 35 jours de campagne et grâce au soutien de près de 100 personnes, la compilation prenait le chemin du pressage, sous les félicitations des 12 formations et des 11 partenaires, parmi lesquels les principaux acteurs musicaux de la région Lorraine et du Luxembourg. Le 21 décembre 2014, Karma était invité par la Rockhal, à tenir un stand lors de la 9th International Record Fair, permettant ainsi de sortir officiellement ce volume 2, dont 150 exemplaires furent écoulés pour ce seul événement. L'objet a ensuite été mis à disposition des groupes et des partenaires et distribué gratuitement, alors utilisé comme un outil de promotion.

Après une première compilation sortie en 2013, destinée à promouvoir les talents régionaux, Karma a choisi de réitérer l’expérience en 2014 avec plus de morceaux, plus de partenaires et un tirage passé de 350 à 1 000 exemplaires !

a compilation numéro 1, produite en 2013, regroupait sept groupes et artistes. Le faible tirage (350 exemplaires) avait conduit à un rapide épuisement des stocks, preuve du succès de l’initative. Pour 2014, Karma est passé à la vitesse supérieure. Le volume 2, toujours édité sous forme de vinyle, un format cher au magazine, a été plus ambitieux, tant en terme de tirage (1 000 exemplaires) que du nombre d’artistes (12 participants).

L

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Deux autres nouveautés sont également venues s’ajouter au projet. D’une part, l’appel à contribution sur le plan artistique : chacun de nos partenaires était invité à proposer un groupe ou artiste de son choix. Un appel à participation financière d’autre part, sous forme de crowdfunding, via la plateforme Kisskissbankbank, de façon à regrouper l’ensemble du budget nécessaire (4 000€) à la réalisation de cette compilation.

Une nouvelle fois, Karma tient à remercier ses partenaires : la Région Lorraine, le Festival de Musique des Lycéens et des Apprentis, le Groupe Caceis, les magasins Freeman T. Porter, les salles de musique de la Rockhal et de l’Autre Canal, les associations Boumchaka, Zikamine et ALIAT, le collectif La Colonne, le disquaire La Face Cachée et le tourneur Proscenium, mais aussi les groupes et artistes : M.A Beat, Crocodile & the Zookeepers, Boars, Seed to Tree, Dead Stereo Boots, Madmax, Charlotte, First Rage, Go by Brooks, My Only Scenery, Twin Pricks et Azadi pour leur soutien, leur aide et leur motivation à participer à ce projet ! 


G R AT U IT

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CONCERT

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12/02/2015 15:47


chez miss média

Recommandation musicale

Texte : Miss Média / Photos : BMM / Illustration : Jean Chauvelot

Quelle utilisation en médiathèque ?  « La bibliothèque publique est un instrument essentiel de l’éducation permanente […] le bibliothécaire est un intermédiaire actif entre les utilisateurs et les ressources » (Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique – 1994). Quelle mise en pratique efficace lorsque ces lieux regorgent de milliers d’ouvrages dans un classement parfois obscur pour l’usager ?

Ce qu’internet ne produira jamais aussi bien, en relation interpersonnelle, devient un axe prioritaire pour le bibliothécaire : être à l’écoute de l’usager et même solliciter ce dernier. De nouveaux services : l’usager au cœur de la médiation musicale

Un rôle de médiation affirmé

Certains viennent à la médiathèque avec une idée bien précise concernant leur emprunt, tandis que d’autres se laissent aller à un « emprunt vagabond ». Le recours à la médiation est alors possible, sans être obligatoire. Celleci répond à une demande du public, alors

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que l’offre numérique continue de croître de manière significative. Plus que jamais, il faut que le professionnel musical exerce son rôle de guide-prescripteur. C’est là que la notion de recommandation entre en jeu, induisant la question de la personnalisation. La relation entre le bibliothécaire et le public est capitale.

Comment impliquer le public dans les actions de médiation ? Ce dernier a pris l’habitude, sur les réseaux sociaux ou via le web participatif, de devenir lui-même prescripteur pour sa communauté. Il est alors important de replacer le rôle des médiathèques dans ce contexte. Depuis longtemps, ces lieux culturels organisent des moments de rencontres et d’échanges avec leurs usagers. Il est toujours aussi primordial, pour ces institutions, de (mieux) communiquer sur ces initiatives (club de lecteurs, club d’écoutes musicales, etc.) qui introduisent de plus en plus cette dimension participative attendue, dans des moments de partage des expertises. D’un côté, celle du professionnel de la musique, de l’autre, celle du mélomane. En ce sens, la question est réelle dans la décision d’acquérir des documents mainstream ou d’autres plus difficiles d’accès, moins grand


Recommandation musicale

Un aperçu des P’tits Déjs musicaux, proposés par les BMM.

public, du fait que chacun aspire au choix et à l’autonomie. Finalement, l’essentiel est bien de permettre à n’importe quel usager de trouver à la fois le dernier Beyoncé et le premier album d’Aphex Twin, artiste spécialisé en musiques électroniques. P’tit Déj musical dans les Bibliothèques Médiathèques de Metz (BMM)

Depuis octobre 2011, les BMM ont mis en place un dispositif participatif mobilisant des connaissances musicales autour d’une thématique. Avec une régularité mensuelle et un souci de l’accueil (se traduisant notamment par la présence de viennoiseries et de café !), le public est convié à apporter un morceau de musique en résonance avec le thème annoncé. Et, à ce titre, toutes les directions sont explorées : les perles de votre discothèque avec la thématique annoncée « chansons rares pour Nuit blanche », un artiste francophone pour la « Semaine de la francophonie », une reprise décalée (l’art de la reprise) ou encore un artiste/groupe allemand lors du « festival à l’Arsenal ». La logistique

permet de présenter sa musique sous diverses formes : CD, MP3, vinyle, tandis qu’un accès à internet rend possible les suggestions inopinées de chacun. Au fil des rendez-vous, un noyau dur d’une dizaine de personnes s’est formé, pour lequel le fait « d’être ensemble » compte, parfois plus, que le thème annoncé ! D’autres curieux tentent l’expérience du P’tit Déj musical par intermittence, attirés par l’interaction de cette formule impliquant chacun à sa manière et laissant libre de participer activement ou de simplement faire des découvertes.   Tandis qu’internet semble parfois déstabiliser la mission de prescripteur des bibliothécaires en multipliant les propositions de recommandations, il devient urgent pour ces institutions de réinterroger leur travail et leur place sociétale. Les pratiques actuelles, induites par le numérique, peuvent d’ailleurs être inspirantes. L’économie « collaborative », les échanges de services entre particuliers ou encore les politiques publiques, avec la mise en œuvre de la démocratie participative, montrent la voie ! 

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analyse

Démasquer la musique Texte : Dom Panetta

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musiciens masqués : entre marketing et volonté d’anonymat  Utilisés depuis plusieurs siècles, les masques ont, à travers les époques et les cultures, revêtu plusieurs fonctions. Divertissants lors des festivités du

de ces artefacts pour amener les fans à se concentrer sur les chansons plus que sur les musiciens. Pourtant, les tenues ont largement contribué à leur succès.

Carnaval, intrigants au milieu de soirées à la Cour ou encore protecteurs pour les célèbres Médecins de Peste du Moyen-âge, leur aspect mystérieux a toujours fasciné les foules, curieuses de découvrir un jour ce qu’ils pouvaient bien dissimuler.

usage de masques et autres maquillages en musique ne date pas d’hier, tout particulièrement sur la scène rock-metal. KISS, GWAR et bien d’autres ont ainsi, dès la fin des années 1970, posé les bases de ces pratiques popularisées ensuite par leurs nombreux « descendants ». Démocratisée pendant les années 1990, l’utilisation de masques dans les différentes scènes musicales reste néanmoins, aujourd’hui encore, une pratique relativement obscure et plutôt mal comprise. Si la première idée qui vient à l’esprit est la préservation de l’anonymat, il apparaît qu’elle n’est pas toujours la motivation principale derrière ce choix si particulier.

L’

Figure de proue de la scène metal populaire depuis plus d’une décennie, Slipknot s’est fait connaître par sa musique, tout autant que par son apparence. Dissimulés derrière neuf masques individuels, les membres du groupe, dont les visages et les identités ont, depuis, été dévoilés au grand public, revendiquent l’utilisation

Toujours dans cette branche metal, citons Ghost, sextet suédois se produisant sur scène affublé d’aubes de moines, de masques et de vêtements papaux pour son leader. Les membres du groupe soignent leur image, mais privilégient avant tout la musique. Selon eux, les costumes et les mises en scène font tout autant partie de leur œuvre que la composition elle-même, les masques en l’occurrence ne servant qu’à déshumaniser les différents membres (les cinq « Nameless Ghouls » et le chanteur Papa Emeritus II), afin d’aider à l’immersion du public dans leur univers. Ghost use et abuse de ce stratagème pour entretenir le mystère sur l’identité de ses protagonistes, d’autant que Dave Grohl aurait, pour un concert, rejoint la secte des goules sur scène, affublé d’une toge.   Autre formation dont l’identité est restée longtemps mystérieuse : le duo français Daft Punk. Plébiscités dans l’univers de l’électro et au-delà, les deux hommes prennent soin de contrôler chacune de leur apparition publique, afin de préserver un anonymat aujourd’hui relatif, mais surtout de maîtriser au mieux leur image et leur communication. Justifiés par une volonté de vouloir concentrer l’attention sur leur production, ces masques servent également les besoins marketing

Photo : droits réservés

Démasquer la musique

de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. Leurs apparences robotiques seraient dues, d’après la légende, à un accident de studio. Pourtant, la maîtrise du marketing des Daft est tout sauf accidentelle.   Restons dans le domaine de l’électro, avec le DJ Deadmau5. Parti d’un pseudonyme utilisé dans des lieux de discussions virtuelles, Joel Zimmerman s’est créé un véritable alter ego avec sa souris déjantée. Voyant rapidement le potentiel de sa marque et de son emblème, « Mau5head », il décide, sur les conseils d’un ami avisé, de se produire sur scène affublé d’une tête de souris géante. L’effet est immédiat : l’artiste est reconnaissable entre mille, mais son succès lui vaudra des ennuis avec une marque ayant pour symbole une autre souris très célèbre.   Recentrer l’attention sur la musique, se démarquer, fabriquer un univers ou se faire de la pub, voilà quelques-unes des nombreuses raisons qui peuvent pousser un groupe ou un artiste à se produire masqué. Qu’ils parviennent ou non à préserver leur anonymat, ces artistes réussissent néanmoins à captiver leur auditoire et à maintenir suffisamment de mystère pour renouveler constamment leur public. Si la légitimité de leur démarche peut parfois être remise en cause, on ne saurait nier son efficacité des points de vue du marketing et de la communication. Deux éléments essentiels dans le développement et même la survie d’un groupe.

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analyse

date de sortie : - inconnue Texte : Nathan Roux / Photo : Pierre Hennequin

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Date de sortie : inconnue

Les albums reportés ou annulés  Pour une poignée de disques cultes, combien ont été reportés, gâchés, ou ne verront jamais le jour ? Petit aperçu de quelques opus dont les aventures ont fait couler plus d’encre que l’écoute des nouveaux titres produits.

enir le public en haleine est une bonne manière de le rendre accro. Dr. Dre n’est pas connu uniquement pour être derrière les énormes succès de 50 Cent et Eminem. Il a également toute la panoplie de l’homme ayant le sens des affaires. En annonçant, depuis dix ans maintenant, la sortie d’un nouvel opus baptisé Detox, le Californien n’a cessé de faire parler de lui, distillant régulièrement quelques rumeurs et morceaux comme autant de fausses pistes, pour celui qui a réussi à créer une des plus grosses attentes hip-hop de ce nouveau millénaire. Loin d’être forcément des logiques marketing calculées, certaines promesses d’albums n’ont tout simplement pas eu la chance qu’elles méritaient.

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Restons dans le monde du hip-hop américain, direction New York. Protégé de Puff Daddy et rappeur incontournable de la moitié des années 1990, The Notorious B.I.G. crée le supergroupe The Commission, comprenant notamment Jay-Z. à priori, de quoi rendre fou de joie n’importe quel fan. Malheureusement, Biggie disparaît avant que l’album ne soit finalisé et aucun membre ne continue l’aventure. Son homologue 2Pac, tué en 1996, connaîtra la même triste expérience, sa

mort enterrant par la même occasion celle de One Nation, l’album collaboratif avec le collectif new-yorkais Boot Camp Click. L’impact d’un tel disque en pleine discorde entre les deux côtes américaines aurait pourtant été un symbole de réunification. Moins tragique, les projets aléatoires de Zach de la Rocha ont connu diverses mésaventures. Le premier, prévu avec DJ Shadow, débute à l’orée de l’an 2000. Hormis un titre, March of the Death,

" tenir le public en haleine est une bonne manière de le rendre accro" écrit contre l’invasion américaine en Irak, rien de concret n’apparaît jusqu’à ce jour. De même avec Trent Reznor, le leader de Nine Inch Nails. Une pléiade de titres enregistrés attend encore d’être sortie des studios.   Pour le malheur des fans, certains albums semblent destinés à ne jamais voir le jour. Mais il arrive aussi que la patience finisse par payer. Daté de fin novembre 2008, Chinese Democracy est LE disque que plus personne n’attendait. Il faut dire que pendant plus d’une décennie, Guns N’Roses semblait fini, cumulant les changements de line-up et rumeurs autour de son chef d’orchestre, Axl Rose. L’œuvre,

très coûteuse, révèle l’ambition démesurée de son créateur. Malgré la présence d’une kyrielle d’invités célèbres, l’opus reçoit un accueil mitigé. Bien que prisé pour sa qualité musicale et vu comme très différent des autres projets du groupe, il ne décolle pas dans les charts.   L’attente et la passion que suscitent ces albums tiennent souvent du fantasme. Comme souvent, ces rêves demeurent autant d’espoirs inassouvis. Depuis la fin d’OutKast début 2000, les fans attendent avec impatience des nouvelles du membre le plus loufoque et inventif, André 3000. Malgré des compositions réalisées pour d’autres artistes et des informations dispersées lors d’interviews, aucune date sérieuse n’est en vue. Un bon moyen finalement de garder intact le succès passé. Prince, à l’inverse, a choisi l’obstination, transformant les projets d’albums Dream Factory et Camille en Crystal Ball, pour devenir finalement l’acclamé Sign ☮ The Times. Neil Young ira encore plus loin avec Homegrown en 1975, en annulant sa sortie quelques semaines avant la date initialement programmée. Même la pochette était prête. Il lui préférera Tonight’s the Night, considéré unanimement comme un incontournable du rock. Preuve que l’intuition peut parfois jouer un grand rôle.   Maudits, inachevés, attendus depuis des années, ces albums font partie intégrante de l’histoire de leurs auteurs. Si l’Histoire a tendance à les oublier, ils demeurent parfois un pan méconnu que les passionnés se plaisent à échanger comme autant de secrets d’initiés.

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infographie

La scène est un endroit dangereux pour les artistes. Pour ce numéro, Karma revient sur quelques accidents de concerts mémorables, le tout en images. Par Quentin Crumbach. 

Johnny Hallyday Ah, que Johnny n’a pas eu la vie facile... sur scène comme à la ville. Côtoyer les médecins est un peu une seconde nature pour lui, après de multiples blessures à la hanche. Le sommet de sa carrière médicale est atteint en 1985, à Caen, avec une belle hernie discale. Notre Johnny gardera également un souvenir scabreux de la Lorraine, en se cassant quelques côtes à Metz en 2003.

Gene Simmons Avec sa langue de 17 centimètres et ses poses fatales, Gene Simmons est du genre à mettre le feu en concert (littéralement, d’ailleurs). à tel point qu’en 1973, son numéro de démon enflammé s’étend à sa chevelure qui s’embrase aussitôt.

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Panic on stage !

Jennifer Lopez Amatrice de chirurgie, l’intrépide J.Lo poste également le moindre de ses bobos réalisés en concert sur son compte Instagram. Une vraie guerrière !

Justin Bieber En 2012, Justin fait volte-face, présentant son séant à son public et vomit tout son soûl. étrange... il paraît que l’ingé’ son venait de rebrancher ses retours...

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interview

Lilly Wood & The Prick un duo qui fait pop !

Propos recueillis par Nathalie Barbosa / Photo : Margaux Gatti  Rencontre avec le guitariste Benjamin Cotto, compagnon musical de la chanteuse Nili Hadida. Ils forment ensemble Lilly Wood & the Prick, un duo français de musique pop en vue ces derniers temps, notamment depuis la reprise à l’été 2014 de leur titre Prayer in C par le DJ allemand Robin Schultz !

Karma : La version de votre titre Prayer in C du DJ allemand Robin Schultz a hanté le top 50 pendant tout l’été. Comment s’est passé ce featuring ?

Comme souvent dans la musique, on a eu beaucoup de chance, en fait. Robin a trouvé notre chanson sur internet et a décidé d’en faire un bootleg qu’il a mis sur sa page Soundcloud. Il est tombé sur ce morceau par hasard et a proposé sa version sans posséder au préalable les différentes pistes composant le titre, pour en faire une version propre. En moins d’un mois, il a eu plus d’un million d’écoutes. Les gens ont commencé à nous en parler. On était déjà partis au Mali pour l’enregistrement de notre nouvel album Lilly Wood & The Prick :

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et des amis nous ont appelé pour nous prévenir et nous demander si nous étions au courant. On a eu pas mal de messages aussi. à notre retour, on a décidé de se mettre en contact avec Robin Schultz et avec les gens qui travaillent avec lui pour lui proposer les pistes de la chanson afin d’en faire une version commercialisable. On ne l’a pas encore rencontré, d’ailleurs, mais ça ne saurait tarder. Vous semblez donc contents du résultat !

Oui, très. On a été agréablement surpris qu’il ait gardé la guitare et les voix. En fait, lorsque l’on donne accès à une chanson comme ça, elle ne nous appartient plus et l’artiste peut en faire ce qu’il veut. Nous

avions peur de ne plus la reconnaître, mais en définitive, il ne l’a pas du tout dénaturée. On a d’ailleurs fini numéro un avec Prayer in C dans 35 pays dont l’Angleterre, ce qui est plutôt rare pour un titre provenant d’un groupe français. On en est assez fiers. Tu y as fait référence tout à l’heure : vous êtes partis enregistrer votre nouvel et troisième album au Mali. Pourquoi avoir fait ce choix ?

On a voulu, consciemment, se mettre en danger et se remettre en question. Il s’avère également que Nili aime beaucoup la musique malienne et moi j’adore la musique africaine en général. Être sur place, c’était le meilleur moyen, pour nous, de s’inspirer de leur culture. Je pense qu’on avait besoin de cette rupture pour se retrouver un peu. Il ne faut pas se leurrer, le Mali est un pays très dur, où tu vois des choses qui ne sont pas faciles. Cela nous a bien remis les pieds sur terre ! Comment se traduira cet enregistrement en terre africaine dans votre prochain album ?

Nous avons enregistré dans des conditions qui n’étaient pas les mêmes que d ’ habitude. Le Mali est un pays très pauvre, mais c’est un pays très musical, où la guitare est particulièrement présente. Sur notre album, il y a aura des passages rythmiques et des voix maliennes qui ont été mélangées à notre musique. Nous faisons toujours de la pop. On ne réinvente rien et on ne voulait pas faire un album de world music. On ne sait de toute façon pas écrire ce type d’album, ni de metal ou d’électro. On écrit de la pop et c’est déjà pas mal !


Lilly Wood & The Prick

Sur votre album actuel, The Fight, il y a une chanson qui s’appelle Joni Mitchell. C’est un hommage ?

Oui, en quelque sorte. Nili a quelques titres de Joni Mitchell qu’elle écoute en boucle et quand on a enregistré cette compo, on a trouvé qu’elle la chantait un peu à la façon dont l’aurait fait Joni Mitchell. Du coup, on a pensé la lui dédier. Les paroles reprennent d’ailleurs quelques mots d’une de ses chansons.

« On écrit de la pop et c’est déjà pas mal ! » Enfin notre question rituelle. Beatles ou Rolling Stones ? Pourquoi ?

Plus jeune, je préférais les Stones, mais depuis quelques années, je préfère les Beatles car ils ont un répertoire plus large. Les Stones, je m’en lasse assez vite. Pour moi, les Beatles c’est huit ans de carrière i noubliables et hu it a ns de créat ions folles. Encore aujourd’hui, j’aime ce que fait Paul McCartney. Ses chansons sont intemporelles.  Lilly Wood & The Prick, The Fight,

2012, Cinq 7.

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interview

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Ez3kiel

Et la lumière fut... Photos et propos recueillis par Ugo Schimizzi

Illustrations : Yann Nguema / droits réservés

Ez3kiel

Ez3kiel est un de ces groupes singuliers qui a su se forger une réputation solide, tant chez les professionnels que les aficionados et ce, depuis plus de 20 ans. Plongée au cœur de la musique mouvante du groupe de Tours avec un de ses co-fondateurs, Yann Nguema.

qu’il nous a fallu pour retrouver une ligne directrice et une assise commune avec cette nouvelle équipe. Il y a au moins deux passages studio qui auraient dû aboutir à un début d’album et qui ont été abandonnés. C’est pour ça qu’on a sorti cet album en retard. Jusqu’au dernier moment, on s’est remis en question. Vous êtes à la fois musicien, graphiste et scénographe. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

Karma : Pouvez-vous nous parler de l’ambiance de ce nouvel album, LUX, tourné autour du concept de la lumière ?

Comme à chaque album, on aime bien tout articuler autour d ’un thème. On a mis énormément de temps à avoir un discours musical cohérent, parce que ça partait dans tous les sens, chacun amenait ses inf luences. Au vu de ce que j’avais imaginé avec Arnaud Doucet niveau scénographie, on a décidé de tout orienter vers l ’ électronique.

Ez3kiel :

Le dispositif imaginé fait très futuriste et passe beaucoup mieux avec des textures et des matières électroniques plutôt qu’un jeu très post-rock et très analogique. Vous aviez déjà réalisé une première phase de composition ?

En trois ans, il y en a eu pas mal, en fait. La grosse difficulté était de rebondir après le projet Extended, qui a été très riche, très lyrique. On s’est interdit de refaire la même chose. Ceci explique le temps

Je suis venu à la musique très tard, curieusement. Je n’avais pas plus d’intérêt que ça pour la musique, jusqu’à mes 17 ans. Au final, je viens d’une bande de copains. Un jour, on s’est dit « on arrête le skate, on se met à la musique ». C’était avec Matthieu, qui a également fondé le groupe à 18 ans. Lui, ça faisait deux ans qu’il faisait de la batterie. Moi, je me suis mis à la basse, en me disant « il y a moins de cordes que la guitare » (rires). Vraiment ! En parallèle, je faisais des études. J’ai arrêté les maths et la physique, j’ai testé le journalisme, puis je suis arrivé aux Beaux-Arts, par hasard. Au final, faisant de la musique et étant en école d’art, je me suis dit « tiens, je prends une année sabbatique pour ne faire que de la musique et des concerts ». Je pensais faire ça seulement un an, avant de chercher

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interview

« J’en connais peu, des groupes qui insistent pendant 20 ans alors qu’ils n’ont pas fait un seul tube ! » un travail, qui correspondrait plus aux attentes de mes parents (rires). Ça fait plus de 20 ans que cette pause sabbatique dure ! Cette vision très complète de chacun de vos projets me fait penser à la fois à l’enseignement des Beaux-Arts et aux projets développés par le collectif des Machines de l’Île à Nantes, notamment pour ce côté poétique.

On parle souvent de ce côté rétrofuturiste, qui est commun aux deux projets. Mais c’est vrai qu’il y a quelque chose d’académique, à cause de ce côté ancien. Dans ce que véhicule les BeauxArts, on a cet esprit académique, ancien. Mais c’est vrai que dans nos esthétiques et illustrations, on retrouve un fond commun. Le pire, c’est que je suis en contact avec des gens qui travaillent à la Machine.

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Pour le moment, il n’est pas question de faire quelque chose ensemble, mais on est entrés en contact naturellement, avec des ingénieurs qui travaillent sur les projets. C’est un contact virtuel. C’est un rapprochement qui arrive souvent avec d’autres projets. Après, le travail de la Machine est tellement hors de portée, tellement phénoménal et exceptionnel, que nos productions sont un peu artisanales, à côté. Moi, je fais tout, tout seul. Dans Ez3kiel on fait tout par nous-mêmes. Vous disiez, par ailleurs, avoir laissé tomber la composition. Est-ce qu’il n’y a pas de frustration, dans le sens où chacun connaît sa place et ses limites dans le projet ?

Avec Joan, ça fait peut-être 20 ans qu’on travaille ensemble. On est passés

par toutes les périodes. Celles où on était prêts à se taper dessus à celles d’osmose. On a tout traversé. J’ai l’impression qu’aujourd’hui on a su relativiser entre ce qui vaut la peine de se battre et ce qui n’est pas très grave (rires). Si l’un ne veut pas écouter, on abandonne. De mon côté, je réfléchis peu avec les autres, je développe mon truc et très souvent je suis carrément en retard. Ez3kiel a toujours été indépendant. N’y a-t-il pas de frustration de ne pas avoir été plus loin pour des questions financières ?

Je ne pense pas que ce soit des quest ions financières. On a eu la chance de pouvoir réaliser tous les projets qu’on avait imaginés. à chaque fois, ce n’était pas gagné : jouer avec un orchestre, avoir vingt personnes sur la route pour le projet Extended. Tous ces projets-là ont existé et surtout, on a eu un retour public vraiment incroyable. Il n’y a aucun regret ni frustration mais juste de


Ez3kiel

l’étonnement, parce qu’on a été très naïfs de se dire que des projets comme Extended ou Naphtaline n’aient pas réussi à toucher le grand public. C’était les projets d’Ez3kiel les plus faciles et les plus accessibles pour le commun des mortels. Mais j’ai l’impression qu’on en revient souvent à ces histoires de diffusion. On manque de visibilité. Ce public qu’on n’arrive pas à toucher ne sait pas qu’on existe. On est restés dans un cercle d’initiés, de gens qui nous cherchent. Mais on ne va pas vers les gens qui restent devant leur télé (rires). En tout cas, on le vit bien. On aurait arrêté sinon. J’en connais peu, des groupes qui insistent pendant 20 ans, alors qu’ils n’ont pas fait un seul tube (rires). On ne roule pas sur l’or, c’est vraiment un choix de notre part de faire ces métiers-là. Vo u s p a rl i ez d e l a d i f f u s i o n . Vo u s trouvez que les réseaux sociaux et internet en général ont changé quelque

Qu’est-ce que ça représente pour vous la musique ?

Et bien, f igure toi que je me pose la question tous les jours depuis deux ans, maintenant (rires). Qu’est ce qui fait que je dors cinq heures par nuit depuis tellement longtemps ? Que je passe tout mon temps dans cette activité-là en oubliant tout le reste, à presque quarante ans ? Est-ce que ça vaut le coup ? ça fait tellement longtemps que j’ai l’impression qu’au final, dans Ez3kiel, on ne sait faire que ça. Après, ce qu’il y a de bien dans ce métier, c’est la variation entre des parties très intenses, où on travaille pendant des mois, voire des années, et la partie consacrée à la tournée, où l’on montre ce que l’on a fait, avec un retour du public parfois tellement fort, tellement grand. Tu as l’impression que ça justifie ces mois de travail. C’est peut-être ça qui fait que d’un projet à l’autre on a la force, l’envie de continuer.

L’univers visuel du groupe dégage un fort côté poétique. Es3kiel a développé une scénographie qui confère à leurs concerts une ambiance très particulière.

chose dans votre travail ?

Je ne sa is pa s , je ne sa is plu s ! J’a i l’impression que nous avons touché à toutes les époques. L’époque de la cassette, les premiers DVDs…là, ça fait quatrecinq ans qu’on n’a pas sorti d’album, on découvre cette digestion immédiate des gens qui viennent d’écouter un morceau qui a été mis en ligne quelques minutes plus tôt. Avant, il fallait attendre les premiers articles dans la presse. Les réseaux sociaux changent la donne, mais c’est une bonne chose pour nous, je pense. Les gens qui aiment la musique savent où la dénicher, cherchent et au lieu de commander des choses à la Fnac et attendre deux semaines, les trouvent immédiatement avec internet. C’est un outil incroyable. Il n’y a plus d’intermédiaire entre les auditeurs et les musiciens.

Notre question rituelle : plutôt Beatles ou Rolling Stones ? Pourquoi ?

Alors là (rires) ! Je ne suis pas un fan de musique ! Et depuis que j’ai commencé à m’intéresser à ce médium, j’ai décidé de faire abstraction de tout ce qui était connu et gros. Qu’il s’agisse des Beatles ou de Bob Marley. Car ce sont des musiques que, malgré toi, tu entends tout le temps, sans chercher à les écouter. Les Rolling Stones, je connais encore moins (rires). Donc, je vais dire Beatles, car il y a cet aspect mélodique qui est tellement beau. Je suis plus porté par la mélodie que par l’énergie on va dire (rires).  Ez3kiel, LUX, 2014, Ici, d’ailleurs…

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interview

oxmo puccino & ibrahim maalouf de l’autre coté du miroir Texte et photos : Ugo Schimizzi  Les deux compères Oxmo Puccino et Ibrahim Maalouf se sont retrouvés pour l’enregistrement d’un concept album imaginé autour du livre de Lewis Carroll, Alice au Pays des Merveilles. Rencontre avec deux esprits guidés par les expériences et la musique. Karma : Parlons de cet album, Au pays d’Alice, une commande qui vous a été faite, Ibrahim. Comment s’est fait le choix de travailler avec Oxmo Puccino ?

Le choix a été naturel. Il n’y a qu’un seul auteur avec qui j’avais vraiment très envie de travailler depuis des années, que je suivais de près et que je savais très ouvert à une forme de hip-hop métissé. Je rêvais, disons la vérité, de faire un travail de fond avec Oxmo Puccino. Je rêvais qu’il me demande de lui réaliser un album. Comme il était déjà très bien entouré, il fallait que je trouve une feinte pour qu’il bosse avec moi (rires). ça tombait donc à pic ! Oxmo était libre de pouvoir créer, sans restriction. Il a fait ce qu’il voulait et moi je me suis fait plaisir au niveau de la musique. Je lui ai uniquement dit que je pensais qu’il

Ibrahim :

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serait bien de faire douze chansons pour les douze chapitres du livre, pour que les gens aient un lien avec l’histoire originale. Pour tout le reste, Oxmo avait le droit de faire ce qu’il voulait, transformer Alice en autre chose… Oxmo : En travesti (rires) !

écrire quelque chose qui puisse me donner un peu de satisfaction, sans être trop décalé au niveau de la folie, par rapport à l’œuvre originale. ça a été beaucoup d’écriture et encore plus de réécriture. Au final, je pense que ça n’a pas été difficile. Vous avez travaillé sur ce projet avec des

Justement, ce n’était pas trop dur de

élèves du conservatoire. C’est important

s’approprier un thème connu, déjà maintes

pour vous de transmettre ce que vous avez

fois repris ?

appris dans la musique ?

Pour moi non, je suis dans la musique, ça reste assez abstrait. Mais peutêtre pour Oxmo ? Oxmo : Pour moi, pas spécialement non plus. ça a été plutôt une question de temps et de crainte que musicalement ce soit compliqué, parce qu’on a travaillé chacun de notre côté. Moi, j’ai mis huit mois pour

Ibrahim : Oui. C’était intéressant, surtout

Ibrahim :

à ce moment où je commençais à me sentir à l’étroit dans l’enseignement de la trompette. J’avais envie d’ouvrir, d’essayer des choses. J’avais monté un jumelage avec une université américaine. J’avais aussi fait des rencontres avec des écoles au Liban. Il y avait un truc qui me manquait et la


Oxmo Puccino & Ibrahim Maalouf

 23


interview création tombait à pic. J’avais env ie de méla nger d ’autres types de musiciens, d’autres disciplines. Je me suis retrouvé à diriger l’orchestre classique et à les faire travailler. Il y avait une forme de transmission à travers la création et non à travers la répétition de quelque chose qui avait déjà été fait. Quelque chose de nouveau. Les élèves se sont amusés, vraiment, chose qu’ils n’avaient pas trop l’habitude de faire pendant leurs études.

qui sont soudés aux partitions et c’est beau à voir de donner autant de confiance à des espoirs de la musique. Si nous sommes arrivés à faire ce que nous avons fait ensemble, c’est parce que nous sommes sortis des sentiers académiques, qui sont certes ce qu’ils sont, mais qui n’inculquent pas cette liberté qui permet de profiter du bagage mis dans les mains des élèves. C’est un bon complément. C’est indispensable, sinon on tourne en rond, quelle

« Ce qu’on peut transmettre ne peut l’être par personne d’autre. » C’est quelque chose qui vous intéresse aussi, la transmission, Oxmo ?

Je pense que, après la prise de plaisir et la sensation d’apprendre, on n’existe qu’à travers la transmission. C’est un rôle, c’est une mission. Moi, j’arrive à m’exprimer avec liberté parce que certaines choses m’ont été transmises par des mentors et c’est notre devoir de faire la même chose. Ce qu’on peut transmettre ne peut l’être par personne d’autre. Ibrahim en ce moment « décoince » des élèves

Oxmo :

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que soit la somme de savoirs accumulés. On ne peut trouver le bonheur, quelle que soit la taille du cercle dans lequel on tourne. Transmettre, c’est une manière de devenir éternel, quelque part.

n’est jamais au bon endroit. Plutôt que de parler de reconnaissance, je préfère parler de soutien, d’encouragement. La reconnaissance peut prendre tellement de temps… Ibrahim : Je suis d’accord avec toi. Je rajouterai que souvent, cela peut être un piège. Quand on nous reconnaît dans quelque chose, le piège serait de se dire « bon et bien je vais continuer à faire comme cela ». Or, autant pour Oxmo que pour beaucoup d’artistes qui travaillent de manière spontanée et libre, c’est dangereux, parce que ça nous fige dans un regard que les gens posent sur nous, ou dans une manière de travailler, dans une recherche d’une perpétuelle reconnaissance similaire à celle que l’on vient d’avoir. Alors qu’en fait, une récompense c’est un encouragement, comme dit Oxmo, c’est un coup de pouce, c’est génial. Par contre, il ne faut pas prendre ça comme un truc acquis, ni un point de départ, ni un aboutissement. C’est juste un beau cadeau. Oxmo : Il y a la reconnaissance ponctuelle et la reconnaissance globale. Celle qui est ponctuelle peut être dangereuse. Dans la description du projet Alice, j’ai lu qu’on parlait de vous en tant que « défenseurs de la musique libre ». Vous pouvez nous en dire plus ? Oxmo : Pour Ibrahim, c’est quelque chose qui lui est venu d’un parcours, d’un cursus. Moi, c’est quelque chose qui m’est venu de fait, parce que je suis dans le rap. Pour imposer cet art en tant que musique, ça demandait un combat à part entière, qui a duré des années et qui est encore à mener. Forcément, je milite pour la pratique de la musique « comme tu le sens ». Quel que soit ton nom, ton appellation, ton costume. Ibrahim le fait pour des personnes qui créent de manière plus volontaire que moi, qui ont choisi d’apprendre sciemment et qui restent prisonniers de leur savoir, quelle que soit leur taille. J’ai rencontré énormément de musiciens frustrés, avec des niveaux incroyables. Vous avez pensé une fois inverser les rôles, Ibrahim

Vous qui avez eu chacun dans

écrivant les paroles et Oxmo la musique pour un orchestre ?

votre domaine plusieurs prix

(rires des deux interviewés)

et distinctions du public et de

Bien sûr que non ! (en riant) Ce serait nul, si j’écrivais des textes ! Toi, si tu écris de la musique ça irait, mais moi des textes… Oxmo : Non, mais non ! C’est n’importe quoi (Ibrahim continue de rigoler). Je n’y ai jamais pensé. Je laisse les autres le faire. Tout le monde a le droit de se tromper (entre temps, Ibrahim commence une impro en claquant des doigts).

vos pairs, êtes-vous attachés à cette reconnaissance ? Oxmo : Personnellement, c’est mieux avec la reconnaissance ! Son problème, c’est qu’il vaut mieux ne pas l’attendre, car elle

Oxmo :

Ibrahim :


Oxmo Puccino & Ibrahim Maalouf Ibrahim : Ouais ! Ouais ! J’m’appelle Ibrahim…

Oxmo : Tu me vois, moi, attraper une trompette ?

Ibrahim : (Il continue son impro) Ouais ! Et j’écris un texte…sur Alice ! Ouais, ouaiiis ! (ils éclatent de rire tous les deux) Oxmo : Il y en a qui n’hésitent pas ! (rires) Parlons un peu de vos origines. Est-ce qu’elles apparaissent volontairement dans votre musique ? Oxmo : Je ne me pose pas de questions sur les origines,

parce qu’elles sont en moi. Je vis avec, je me construis jour après jour. Je ne suis pas dans une quête d’identité qui me fait me poser des questions à ce sujet. J’ai grandi à Paris, j’ai ma langue maternelle, mes coutumes, un amalgame de vie que j’ai construit et je le vis très bien. Mes origines font partie de moi, dans tout ce que je fais, elles transpirent. Ibrahim : Pareil. J’ajouterai qu’à une période de ma vie, j’ai eu besoin de me libérer d’un truc identitaire. Après cela, c’était définitivement fini. Notre question rituelle : Beatles ou Rolling Stones ? Pourquoi ?

Ah la la, la question piège ! Si tu dis que tu es Beatles, tu ne serais donc pas Rolling Stones et inversement. Alors que moi, c’est un peu les deux. Parce que ce sont deux écoles différentes de la chanson en général et de la musique populaire. J’ai d’ailleurs beaucoup de respect pour la musique populaire. Oxmo : Je n’arrête pas de penser aux Beatles. ça me fait penser à une musique d’accompagnement, à chaque moment de la vie, à chaque découverte. C’est quelque chose de frais, d’ouvert, de simple, sans ambition. C’est ça la preuve d’une force : en imposer sans tartiner. Ibrahim : Ils ne tartinent pas. Mais les Rolling Stones ne tartinaient pas non plus. Les Anglais sont plus neutres, c’est comme ça, c’est efficace. Oxmo : La p’tite chanson, la p’tite mélodie… ils te prennent par la main. Ibrahim : C’est plus poétique. Oxmo : Voilà, plus féminin !  Ibrahim :

Ibrahim Maalouf & Oxmo Puccino, Au pays d’Alice, 2014, Mister Productions.

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interview

Agnes Obel princesse scandinave Photos et propos recueillis par Ugo Schimizzi  à l’image de quelques-unes de ses consœurs, Agnes Obel a su ramener du grand froid danois une beauté musicale limpide et une qualité dans ses mélodies imparables, séduisant la France et même l’Europe entière. Rencontre avec une jeune femme à l’aise, tant dans le registre pop que classique.

Vous avez dit « écrire une chanson est une catharsis pour moi ». Que représente la musique pour vous ?

(Elle réfléchit). Je ne sais pas (rires) ! C’est ce qui est le plus étrange avec la musique. Quand on y pense, beaucoup de gens aiment ça. Mais mon chien, par exemple, ne ressent rien, à priori, par rapport à ce médium. Du coup, qu’est-ce qui fait que, nous, en tant qu’êtres humains, nous puissions y trouver autant de choses ? Il y a tellement d’histoires, tellement de choses impliquées dans un morceau de musique… Peut-être, d’ailleurs, qu’on est tous intéressés par la musique car, en quelque sorte, ça nous ramène à l’histoire de l’humanité, en nous projetant à cette époque où nous vivions encore dans des cavernes (rires) ! En tout cas, en ce qui me concerne, je trouve que c’est un domaine très intéressant. Plus je m’y plonge et plus je suis happée par cet univers. J’ai beaucoup de mal à répondre à cette question, mais en même temps je suis de plus en plus curieuse vis-à-vis de ce que représente la musique. Ça m’obsède. Est-ce que votre ressenti est différent s e l o n l e s li e ux d a n s l e sq u e l s vo u s jouez ?

Karma : Récemment, une de vos chansons a été remixée par le cinéaste David Lynch. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’était une surprise. Il m’a envoyé le fichier par e-mail. Je pensais que c’était une blague. Je me suis demandé si

Agnes Obel :

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c’était réellement LE David Lynch et puis j’ai pensé « woaw, c’est vraiment surréaliste ! » Au final, il en a fait quelque chose de très différent, en modifiant notamment le tempo et en créant une ambiance spéciale. C’est particulièrement réussi !

C’est plus le changement de public que de salle qui se ressent. Cet été, j’ai joué en festival, devant des gens qui ne me connaissaient pas forcément. Ils sont plus ou moins attentifs à ma musique. C’est une façon particulière d’aborder les concerts, mais j’aime ces différents lieux. C’est intéressant pour moi de varier les expériences et de me débrouiller pour avoir un public toujours réactif. C’est à la fois bon pour la musique et pour nous, ça nous permet d’être meilleurs.


Agnes Obel

Il y a beaucoup d’inspirations classiques dans votre dernier album, Aventine. Comment s’opère la balance entre musique classique et musique pop ?

Je n’y pense pas en ces termes. J’essaie surtout de faire ma propre musique, pas de compiler des influences. Parfois, je vais avoir besoin d’un violoncelle qui impulse tel ou tel rythme, mais qui sera dans la continuité de ce que je cherche, pas avec l’idée de créer un juste milieu entre différents styles. Finalement, cet équilibre qui peut exister entre le classique et la pop dans ma musique, je n’y pense pas, je me focalise sur ce qui me rend curieuse et qui me fait avancer dans mon propre style. Comment savoir quand vous détenez la bonne mélodie ?

Je suis toujours en train de jouer. J’utilise mes goûts pour savoir si un morceau est bon ou non. S’il y a une mélodie que je répète et que je continue à jouer, c’est qu’elle m’intéresse, qu’il y a quelque chose à creuser. De toute façon, je ne vais pas au bout d’une chanson si je ne l’aime pas ! Des fois, c’est aussi bien de poursuivre une intuition, sans pouvoir pleinement l’expliquer ni la maîtriser et de ne pas avoir toujours la même logique de composition. De la même manière, comment choisissez-vous les paroles de vos chansons ?

Il arrive assez régulièrement qu’il y ait une phrase ou des pensées en tête dont on n’arrive pas à se débarrasser, ce qui peut être une bonne base pour des paroles. Je suis assez instinctive là-dessus. Comme pour les mélodies, si un sujet m’obsède, je me dis qu’il doit y avoir une raison, même si je ne sais pas rationnellement pourquoi. Cela laisse de la matière utilisable dans une composition. Enfin, notre question rituelle : Beatles ou Rolling Stones ?

Oh ! Mon dieu ! C’est une question très difficile ! Mes parents étaient tous deux de grands fans des Stones et ils m’ont emmenée les voir lorsque j’étais très jeune. Je devais avoir sept ans. Par la suite, je me suis retrouvée dans un groupe avec une personne archi fan des Beatles. Du coup, j’ai beaucoup de mal à me prononcer, parce que, depuis que je suis petite, j’ai des gens autour de moi qui m’ont influencée, en me tirant vers l’un ou l’autre. Dernièrement, j’ai plutôt écouté les Stones, mais il y a beaucoup de chansons que j’aime aussi chez les Beatles. Au final, j’aime vraiment les deux.  Agnes Obel, Aventine, 2014, Pias Recordings.

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interview

patti smith 68 ans, toujours punk

Propos recueillis par Nathalie Barbosa

Figure emblématique du mouvement punk rock, Patti Smith fait partie de ces artistes qui ne peuvent inspirer que respect et admiration. Aujourd’hui encore, elle réussit à conserver toute sa verve, son lyrisme et son authenticité. Nous vous contons ici quelques instants pendus au téléphone avec cette artiste, poétesse, chanteuse, peintre à la personnalité exceptionnelle, entière et passionnée.

Karma : Vous avez été une des premières à jouer dans le mythique CBGB de New York. Qu’avait-il de si spécial, ce club ?

Au départ, c’était juste un bar quelconque. Il n’était pas très grand et tout au début, il était rarement plein à craquer. L’idée d’y faire jouer des groupes de musique est née lorsque Richard Lloyd du groupe Television en a parlé au patron du CBGB. à l’époque, les formations rock ne pouvaient s’exprimer nulle part. Tous les grands clubs où tu étais bien rémunéré faisaient jouer des groupes de folk, principalement. Le CBGB était donc une sorte de prototype. Chacun pouvait y faire ce dont il avait envie. Moi, j’y ai beaucoup joué mais j’ai aussi récité des poèmes et d’autres compositions. L’entrée était alors fixée à deux dollars !

Patti Smith :

Je suppose que vos prestations live ont évolué entre vos passages au CBGB et vos tournées aujourd’hui ?

Je ne joue pas différemment de ce que je faisais au CBGB à l’époque. Mes shows sont toujours très instinctifs et pleins d’énergie ! Je jouerai très certainement

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lors de mes prochaines dates beaucoup de chansons de l’album Horses, qui va fêter son quarantième anniversaire. Je jouerai aussi des titres de mes albums récents. Malheureusement ce qui se passe dans le monde continue de m’exaspérer et ça m’inspire toujours pour de nouvelles chansons. Est-ce que vous vous occupez aussi du côté graphique de vos livres ou de vos albums ?

Je participe le plus possible au design de mes livres et des disques. J’y pense le plus tôt possible. D’ailleurs, pour mes albums, c’est souvent moi qui choisis la photo que je veux avoir en couverture. Pour mes livres, je m’implique beaucoup dans la mise en page, dans les ajouts de photos. Là aussi, c’est souvent moi qui ai le dernier mot. S’il n’y a pas de photo sur la couverture, j’essaie de proposer des idées. J’ai l’impression que dans les années 1960, la couverture d’un disque était plus importante que maintenant. Les gens regardaient les couvertures en détail, lisaient tout ce qui pouvait figurer

dessus et retournaient les vinyles dans tous les sens avant de les acheter. Vous parlez de vos autres compositions, pouvez-vous nous parler de vos projets en cours actuellement ?

En ce moment, je travaille sur un de mes livres que je suis en train de terminer. Il parle de mes petites aventures du quotidien. Pour le prochain livre, je vais revenir un peu à la musique. Je parlerai de mon groupe et des disques. J’y inclurai sûrement des anecdotes liées à mon premier album, Horses, sorti en 1975. Mon livre actuel parle donc du présent, alors que le suivant parlera du passé. J’espère que tu me suis (rires) ! Quel a été le meilleur conseil qu’on vous ait prodigué en tant qu’artiste ?

Je ne me souviens plus de son auteur, mais le meilleur conseil qu’on m’ait donné est de garder mon nom et ma réputation « propres » dans l’industrie de la musique. Il faut toujours garder les mêmes principes. On m’a aussi dit de ne pas faire de choix fondé sur une somme d’argent. L’argent ne remplacera jamais une réputation


salie. Il faut faire des choix qui respectent ses propres principes afin de toujours pouvoir se regarder dans un miroir. C’est ça garder son nom « propre » !

Photo : droits réservés

Patti Smith

Vo u s s o u ve n e z- vo u s d e vo t r e p r e m i e r instrument de musique et où est-il aujourd’hui ?

Je ne me considère pas vraiment comme une musicienne, mais mon premier instrument est une guitare : une Gibson des années 1930. C’est Sam Shepard qui me l’a offerte et je l’ai encore aujourd’hui.

« Mes shows sont toujours très instinctifs et pleins d’énergie ! » Enfin notre question rituelle. Beatles ou Rolling Stones ? Et pourquoi ?

Quand j’étais plus jeune, je pense que j’aurais répondu les Rolling Stones sans hésiter et sans trop réfléchir. J’aimais les rythmes rapides de leurs chansons rock et j’aimais danser dessus pendant des heures. Aujourd’hui, j’ai un faible pour les compositions de George Harrison. Je vais donc répondre : je danse sur les Rolling Stones mais je préfère écouter les Beatles !  Patti Smith, Banga, 2012, Columbia Records.

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interview

Röyksopp electro on the rocks

Propos recueillis par Nathalie Barbosa

Nous avons eu la chance de parler avec Svein Berge et Torbjørn Brundtland, co-fondateurs du groupe norvégien Röyksopp, afin d’évoquer avec eux leur nouvel album The Inevitable End – le dernier, d’après eux – et leur carrière, débutée en 1998.

Karma : Avec The Inevitable End, peut-on dire que vous avez voulu mettre un peu plus l’accent sur les paroles, notamment

la conclusion et le début de quelque chose. Il met un terme à cinq opus et nous ouvre la porte sur l’avenir.

grâce à l’utilisation de vocodeurs (dispositif électronique de traitement du signal

Votre univers semble être très lié à une

sonore, ndlr) ?

esthétique visuelle. En général, avez-vous

Svein : Oui, je pense que nous pouvons dire

des images précises en tête lorsque vous

ça. Nous apprécions beaucoup les grands chanteurs et les belles paroles depuis que nous sommes enfants et ici, nous avons voulu refaire un album peut-être un peu plus classique. Les vocodeurs, utilisés notamment lors de chœurs, nous permettent à la fois de créer de la distance avec la voix d’origine tout en mettant l’accent sur certaines paroles. C’est un instrument intéressant. Nous avons, en tout cas, essayé de respecter notre âme et notre identité à travers ce biais. Torbjørn : Il y a tellement de choses que nous avons voulu faire avec cette création, c’est difficile de le résumer à un seul et même effet. Nous voulions communiquer au mieux la poésie des paroles. Cet album est

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composez ? Avez-vous déjà des idées de visuels ou de lumières pour la scène ? Svein : Nous ne réfléchissons pas encore à cela. D’ailleurs nous ne le faisons jamais lorsqu’on compose. Pour moi, la musique est déjà un voyage en soi. Quand les gens nous écoutent, nous aimerions les faire voyager, grâce à leur propre imagination. Ce n’est pas notre rôle de donner des images aux auditeurs. Apple a utilisé votre titre Eple pour Mac OS X. Êtes-vous du genre à faire la queue pour l’iPhone 6 ? Svein : Non, pas vraiment ! J’ai lu une vieille

histoire de science-fiction il y a peu et cela parlait de quelqu’un qui vendait un produit


pour des millions de dollars et dont tu ne pouvais plus du tout te passer. Cela t’asservissait totalement et je pense que ça représente un peu l’époque dans laquelle nous vivons. Dans le livre, les personnes devenaient accros aux nouvelles technologies, alors que ça a du être écrit dans les années 1950 ! C’est une vision assez pessimiste de la technologie, non ?

Photo : droits réservés

Röyksopp

Svein : Non, pas pessimiste, réaliste, au contraire ! Je suis persuadé

que la technologie a aussi ses bons côtés et que, utilisée à bon escient, elle nous facilite la vie, effectivement. Tout est une question de dosage !

Que vous inspire la popularité de Daft Punk, devenus aujourd’hui particulièrement mainstream ? Svein : Ce sont deux gars très talentueux et ils sont vraiment uniques. Concernant l’emploi de vocodeurs, je pense que les nôtres sont bien meilleurs, du point de vue de la qualité, que les leurs. En tout cas, nous ne voulons pas les copier et nous ne sommes pas jaloux de leur succès. Quel regard portez-vous sur les différents featurings que vous avez pu réaliser jusqu’ici ?

« Nos vocodeurs sont meilleurs que ceux des Daft Punk ! »

Svein : Nous avons beaucoup travaillé avec des musiciens venant de Norvège ou de pays scandinaves, car c’est vrai qu’en termes de déplacement, cela facilite les choses. Et puis, nous avons une mentalité semblable. Nous ne signons pas de contrat à l’avance. On fait quelque chose ensemble et on se dit qu’on verra ensuite comment ça fonctionne. Quand tu travailles avec quelqu’un aux états-Unis, on te dit « je veux bien t’écrire les paroles, mais cela va coûter 25 000 dollars ». Nous ne fonctionnons pas comme ça. En tout cas, nous n’avons rien contre les featurings. Au contraire, si cela peut contribuer à toucher un public plus large ou différent, pourquoi pas ! Enfin, notre question rituelle : Beatles ou Rolling Stones ? Svein : Tu vas peut-être avoir deux réponses différentes ici ! Moi,

ce sera plutôt les Beatles ! Ils ont eu beaucoup plus d’influence sur la musique et sur le rock que les Rolling Stones. Leur façon de composer est phénoménale ! Torbjørn : Même chose pour moi ! Svein : Ah ? Je suis également très fan de Ringo et de sa façon de jouer de la batterie !  Röyksopp, The Inevitable End, 2014, Cherrytree/Interscope.

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interview

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émilie Simon

émilie simon

poupée de son Photos et propos recueillis par Ugo Schimizzi

à quelques heures de la première de sa tournée, organisée à Paris, aux Folies Bergère, émilie Simon nous a accordé un peu de son temps pour parler de son nouvel album et de ses aventures musicales.

Karma : Votre nouvel album, Mue est

C’est une zone de confort, pour votre

aussi pour vous le moyen de « passer

métier, de jouer en France vis-à-vis des

à autre chose », comme vous l’avez

états-Unis où vous avez vécu ?

déclaré en interview. Qu’est-ce que

En ayant tourné dans le monde entier, je sais qu’ici on a de magnifiques salles. Ce sont des endroits où l’on a tout ce dont on a besoin au niveau du matériel, des équipes. On voit des gens extrêmement compétents. Ce n’est pas forcément pareil à l’international. C’est parfois très très roots. Mais après, on s’adapte. Chaque pays nous permet de trouver des solutions. C’est ce qui est chouette dans la musique, à la fin il y a toujours un concert qui a lieu (sourire).

vous voyez quand vous vous retournez sur votre vie ?

Je vois beaucoup de chapitres et d ’aventures dif férentes. Je suis très contente, en fait et je me rends compte que j’ai beaucoup voyagé, j’ai ramené beaucoup de sons et d’envies de ces voyages. Je suis allée explorer d’autres pays et j’aime mes albums. Quand je les réécoute, j’ai beaucoup de tendresse pour eux. Chaque époque était importante, décisive et m’a apporté quelque chose dont j’avais besoin.

é m i l i e S i m o n :

Vous décrivez dans cet album Paris comme une ville « poétique et romantique » ?

Je montre un mélange entre une ville que je connais, que j’expérimente tous les jours en y habitant et en même temps, je voulais aller puiser dans un inconscient collectif de l’image de Paris. Un Paris qu’on n’a vraisemblablement pas connu, ou qu’on ne connaît qu’au travers d’images, de peintures, de poèmes et qui est bien plus ancré dans la fin du XIXe siècle, durant l’époque romantique. Cela permet une projection idéalisée de cette ville.

Vous êtes toujours copine avec les pingouins ?

(Rires) Ah toujours, oui ! Quelle belle expérience La Marche de l’Empereur (film réalisé par Luc Jacquet en 2004 pour lequel émilie Simon a composé la bande son). C’est un projet qui était tellement incroyable, y compris musicalement, notamment dans ce que j’ai pu apprendre. C’était mon premier film et j’en garde un excellent souvenir. Parlez-nous des études de musicologie que vous avez pu effectuer à la Sorbonne

et technologies sur lesquelles j’ai craqué et qui m’ont ouvert les oreilles. Pour moi, c’est important, c’est le début de tout. Avoir eu l’opportunité de comprendre, de m’intéresser au son, dans son spectre, sa matière, c’est quelque chose qui a tout changé à ma composition et ma façon de percevoir la mélodie. Notre question rituelle : Plutôt Beatles ou Rolling Stones et pourquoi ?

Je préfère les Beatles, parce que j’ai grandi en les écoutant, tout simplement. S’il y avait eu les Rolling Stones dans la maison, j’aurais peut-être eu un autre avis aujourd’hui. Mais j’ai aussi une autre réponse à ça : la diversité. J’ai des souvenirs de l’album blanc des Beatles, où au sein du même album, on vit vraiment un voyage. C’est extrêmement créatif, ça fourmille d’idées. J’aime les chansons courtes, le côté ludique que l’on ressent à l’écoute de leurs morceaux. On peut passer de quelque chose de très doux, plutôt profond et touchant, à quelque chose de léger. Dans l’approche musicale, la recherche et la production, ils étaient quand même bien en avance. Ils ont ouvert énormément de portes et beaucoup expérimenté en studio. 

et à l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique).

à l’IRCAM, j’ai appris quelques techniques

émilie Simon, Mue, 2014, Universal Records.

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interview

daniel guichard toujours sur les routes

Propos recueillis par Guillaume Hann

à plus de 66 ans et malgré quelques problèmes de dos dus à des tournées interminables, Daniel Guichard n’en perd pas son franc-parler et son envie de faire de la musique. Rencontre avec un nom bien connu du paysage français, en marge du système musical. Karma : (Daniel Guichard était un peu en retard pour l’interview suite à un rendez-vous chez son ostéopathe.)

et j’ai la chance d’avoir un de mes fils qui se forme à ce domaine et qui est donc dans ce milieu.

Bonjour Daniel Guichard. Rien de grave concernant votre dos ?

Cette tournée, c’est donc pour le plaisir

Non pas du tout. J’ai simplement un souci de vertèbres. Quand on a fait autant le con, on se fait mal. J’ai bouffé tellement de kilomètres par le passé en faisant parfois près de 195 dates par an et plus de 120 000 bornes… Je peux vous dire que la voiture était dans un sacré état. C’était énorme ! J’avais entre 22 et 25 ans et je dormais sur la banquette, forcément ça laisse des traces.

de la faire ?

Daniel Guichard :

Comment vous situez-vous par rapport au milieu de la musique ?

Je ne me situe pas. Il n’y a pas de conflit, seulement je suis vraiment à l’écart. J’ai encore quelques amis, des gens avec lesquels j’ai débuté, comme Lahaye, Lenormand ou François Valéry, mais je suis dans mon coin et je n’ai rien à prouver. Par rapport aux productions, je me produis moi-même

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C’est presque ça, oui ! En fait, ça fait longtemps que j’ai perdu la notion de « l’artiste pris en charge à 100% ». Je chante et je me produis moi-même. Souvent, dans ce métier, il vous faut quelqu’un qui gère votre argent, ou s’occupe des différentes choses que l’on ne fait pas. C’est plus compliqué d’être seul, mais avec le temps je me suis rendu compte que les incompétents sont plus dangereux que les malhonnêtes. Bien sûr, la personne malhonnête vous fera perdre de l’argent, mais l’incompétent ne se rendra pas compte de son erreur et il vous en fera peut-être perdre encore plus. Je ne dis pas qu’on fait ce métier pour se remplir les poches, mais il faut quand même avoir ces notions en tête. L’adage « mieux vaut être seul que mal accompagné » illustre bien ce que je pense, en fait.

J’ai entendu dire que vous aviez lancé une radio pirate dans les années 1980 ?

(Rires) Oui, ça s’appelait Radio Bocal et c’était en 1981. Une radio qui diffusait des chansons en français 24h/24 ! On passait parfois Elton John ou Joan Baez, mais lorsqu’ils chantaient

« Pour foutre le merdier, j’ai lancé une radio pirate » des morceaux francophones, comme J’veux de la Tendresse. On passait quand même plus de 400 morceaux par jour. J’ai fait ça jusqu’à la fin, jusqu’au moment où la fréquence nous a été retirée. On a souvent essayé de nous faire fermer, puisqu’on était pirates, mais j’ai jamais eu plus à payer qu’un franc symbolique de


dommages et intérêts. Je l’ai fait parce que j’ai un côté un peu con et réac’. Il y avait beaucoup de morceaux anglophones un peu partout et je me suis dit que le meilleur moyen de foutre le merdier dans tout ça, c’était de lancer une radio pirate. Les chansons en anglais avaient quelque chose de plus facile, car lorsqu’un texte est mauvais, on ne s’en rend pas forcément compte, alors qu’en français, on le sait de suite !

Photo : droits réservés

Daniel Guichard

On vous qualifie souvent de « vedette populaire », comment voyez-vous ça ?

C’est super ! Pour moi ça vous renvoie à quelqu’un que beaucoup de gens aiment et connaissent, sans pour autant vous avoir vu sur scène ou même avoir un disque de vous. C’est un peu faire partie de la mémoire collective familiale. Par exemple, je me rappelle avoir fait une émission avec Tino Rossi. Il y avait quatre générations de spectateurs face à lui. Notamment des grands-parents qui emmenaient leurs petits enfants entendre Petit Papa Noël. Et bien, il avait beau avoir un côté un peu bonhomme, quand il se mettait à chanter, il séduisait tout le monde ! Faire partie de la mémoire collective, c’est quelque chose d’extraordinaire. Vous existez sans exister. Je vais finir par une question rituelle, vous êtes plutôt Beatles ou Rolling Stones ?

(Rires) Pas de bol pour vous ! En fait j’ai d’abord été très fan des Stones et je suis ensuite devenu admiratif de la musique des Beatles ! J’aimais le côté rebelle des Rolling Stones, mais je me suis rendu compte par la suite qu’il y avait une vraie subtilité dans les compositions de McCartney ou de George Harrison. Et puis les Stones, je les ai vus à Nice, à un concert, il y a quelques années et ils étaient complètement défoncés. Ça m’a calmé. Finalement, je dirais que j’ai fait ma croissance avec les Stones et ma maturité avec les Beatles. Et puis, les Rolling Stones, c’est surtout Mick Jagger, en fait. Les Beatles, étant jeune, on aurait voulu pouvoir avoir leur coupe de cheveux à la con et rendre les filles hystériques. Du coup, on ne voyait pas forcément la richesse de la musique derrière tout cela.  Daniel Guichard, Notre Histoire, 2012, DG Prod.

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influences

Le recyclage des samples Pop pourrie

Par Rémi Flag

Reprises, samples et influences variées sont souvent sources d’inspirations positives pour beaucoup d’artistes. Pour d’autres, en revanche, cela ressemble plus à une cerise moisie sur un gâteau déjà trop sucré.

OutKast a vendu plus de 20 millions d’albums de par le monde. Christina Aguilera a parcouru un long chemin depuis ses débuts chez Disney.

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otre vie de star internationale de la pop multimillionnaire est parfois éprouvante. Entre deux avions privés, des Nabuchodonosors de champagne et cet assistant personnel qui n’est pas capable de vous servir votre caramel macchiato à 42,63 degrés Celsius comme vous l’aviez pourtant si gentiment hurlé, votre potentiel créatif s’amenuise plus vite que vos somnifères. Aussi, lorsque votre fécond producteur vous (r)appelle pour vous proposer le featuring du siècle, qui vous sauvera de la honteuse deuxième place que vous détenez au Billboard US, vous acceptez, les neurones encore embués par ces verres de Get 27. Vous restent de terribles images de la soirée où votre pote David Guetta levait les mains au-dessus de ses platines, sans plus de cérémonie. Ainsi débarque en 2008 sur les ondes Live Your Life de T.I feat. Rihanna (vous donc). Par souci de rentabilité et d’efficacité, l’équipe de production de T.I, votre rappeur à usage unique, n’a pas pris le temps de composer la mélodie, mais s’est dit que de sampler le groupe roumain O-Zone et son kitschement célèbre Dragostea Din Tei, ferait largement l’affaire. Les délicats tympans des clubbers avisés ont donc eu à peine quatre années de répit avant de reprendre du rab du sublimissime « Mai Ya hee / Mai Ya hoo ». Comme le dit T.I dans l’intro du morceau, comme par acquis de conscience : « Vous pourriez penser que c’est le pire jour de votre vie ».

V

Pas encore, rassurez-vous, car David Guetta est justement en train d’écouter le titre de Rihanna et se dit que même si la mélodie de son succès Sexy Bitch ressemble à s’y méprendre au Tainted Love de Soft Cell, ce n’est pas encore assez flagrant. Lui aussi se doit d’aller chercher un bon vieux tube eurodance, oublié de tous, pour entrer dans la cour des grands. Quelques années de recherche, quatre minutes de production et deux rappeurs en vogue pour l’accompagner plus tard, Play Hard nous arrive, en 2013. Une enquête pour foutage de gueule en


Photos : droits réservés

Le recyclage des samples

bande organisée aurait dû immédiatement être ouverte, la chanson présentant pas moins de sept auteurs officiellement crédités. Sept personnes physiquement présentes, que l’on imagine suant dur, enfermées de leur plein gré dans le studio d’enregistrement jusqu’à ce qu’ils en sortent avec une nouvelle sainte écriture musicale.

" Une enquête pour foutage de gueule en bande organisée aurait dû immédiatement être ouverte " Ce sera finalement une reprise trait pour trait de Better Off Alone de Alice Deejay, sorti en 1998, qui émergera de ce brainstorming foireux, avec en guise de nouvelles paroles « Flip that thang thang don’t stop it / When I just bang bang and pop it ».   C’est bien connu, le show-business est un tout petit monde et lorsque quelqu’un a une idée de génie, d’autres s’engouffreront promptement dans la minuscule brèche pour en faire un boulevard couleur chocolat extrêmement rentable. Pitbull, le bien nommé, a toujours la truffe humide et se tient prêt à débusquer les plus antédiluviens

des tubes – disons baroques – pour en faire des cash machines, véritables vitrines pour marques de bijoux et voitures de sport allemandes. Cette fois, on inverse les rôles puisque le rappeur invite en 2011 la star Jennifer Lopez pour commettre leur titre On The Floor, mettant au passage un coup de cutter dans le visage de la Lambada. Récidive en 2013, lorsque cette fois Christina Aguilera l’accompagne sur Feel This Moment, se rendant coupable d’un détournement honteux de Take On Me de A-ha. On se plonge même parfois dans de brillants remakes de Inception, lorsque des mélodies désuètes s’insèrent hasardeusement dans des morceaux eux aussi sans lendemain. Pour preuve, écoutez le roi de la techno-dance-bas-de-gamme Basshunter reprendre Daddy DJ, une musique que l’on peut retrouver sur la sublime compilation Tubes de Dance 1999.

MTV a classé Notorious B.I.G. troisième plus grand MC de tous les temps.

Rihanna est devenue l’artiste la plus visionnée sur Youtube en 2014, en dépassant les 5 milliards de vues à elle seule.

La réputation déjà bien assise de ces imposteurs d’un soir les protège de tout dommage à long terme. Quant aux auteurs originaux, les reprises sont tellement flagrantes qu’il est inconcevable qu’ils ne touchent pas leurs royalties. Finalement, les premières victimes de cette mode sont évidemment les auditeurs, à qui l’on ressert sempiternellement la même soupe, sans même y mettre un peu de poivre.

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cinéma

Les Gardiens de la Galaxie

Danseurs étoiles

Par Timé Zoppé / Illustration : Clément Goebels

Les Gardiens de la Galaxie est sorti en France le 13 août 2014. Le 19 octobre, il devient le film ayant engrangé le plus de recettes aux états-Unis cette année, mais aussi le troisième plus gros succès des studios Marvel sur le sol américain et dans le monde. Une performance qui s’explique par sa trame narrative, interdépendante de la musique.

La cassette emblématique du héros inscrit le film dans une mouvance rétro années 1980.

Photo : droits réservés / Marvel

Rocket Raccoon représente à lui seul le côté léger du film.

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a Awesome Mix Vol. 1 est la première image du film. C’est cette cassette audio que le petit Peter Quill introduit dans son lecteur portable, en attendant de pouvoir rendre visite à sa mère hospitalisée. Nous sommes en 1988. Le tube I’m not in Love, du groupe britannique 10cc est déjà un peu daté, puisque paru en 1975. Il en sera de même pour l’entièreté de la mixtape, axée sur les seventies. Le film joue sur la superposition de plusieurs effets de nostalgie : celle que les spectateurs ressentent en entendant ces titres dans la réalité et celle qui leur est suscitée dans le récit, par écho pour le héros, qui écoute dès le départ ces morceaux avec un décalage temporel. Ce décalage est d’ailleurs rapidement accentué lorsque, après avoir assisté à la mort de sa mère, Peter est alors abruptement aspiré par un vaisseau spatial, donnant lieu à une ellipse de 26 ans.

L

Accompagné de son éternelle cassette, désormais associée à son traumatisme originel, Peter Quill (dès lors incarné par

Chris Pratt) s’est inventé le doux sobriquet de Star-Lord et a tenté de se forger une réputation d’aventurier hors-la-loi dans toute la galaxie. Sa vision des choses est légèrement exagérée : s’il part effectivement en quête d’objets convoités sur le marché noir, il est surtout particulièrement fêtard et coureur de jupons. Après avoir récupéré un globe dont il ne connaît pas l’usage, il est entraîné dans une série d’aventures qui l’opposent au super-vilain Ronan et l’associent notamment à l’alien badass à la peau verte Gamora (Zoe Saldana), au raton-laveur tchatcheur Rocket Raccoon et à son fidèle extraterrestre à l’apparence d’arbre, Groot.   E n b on pro du it p o s t-mo d e r ne , Les Gardiens de la Galaxie joue sur la connivence avec les spectateurs par le biais d’un humour omniprésent, basé sur l’ironie et les références à d’autres objets culturels (séries télé, cinéma, célébrités). Cette volonté de « fun » assumée anime également la plupart


Les Gardiens de la Galaxie

des scènes intégrant l’un des morceaux de la mixtape. C’est le cas dans la séquence qui suit le générique de début, lorsqu’on découvre Peter adulte, au moment où il explore la caverne recelant le globe en virevoltant sur le bondissant Come And Get Your Love des Redbone. On comprend que le film se revendique clairement comme une ode à la danse, dans la scène où le héros tente de séduire Gamora sur le slow Fooled Around and Fell in Love d’Elvin Bishop, en lui racontant comment Kevin Bacon convertit les habitants d’une ville à cette pratique dans le film Footloose.   La combinaison musique/danse sera même plus déterminante encore pour l’histoire, puisqu’elle permettra notamment à Peter

de détourner l’attention de son ennemi à un moment critique : en se mettant à danser de manière ridicule sur Ooh Child des Five Stairsteps, Pratt s’inflige en effet un grand moment de solitude afin de sauver les siens.

" le film se revendique clairement comme une ode à la danse " Autant de séquences drôles et entraînantes, qui occultent complètement un scénario qui n’en demandait pas mieux, puisqu’il ne vise manifestement pas l’originalité.

Bien entendu, une cassette intitulée Awesome mix vol. 1 appelle un volume 2. Dans la logique des franchises Marvel, le film aura effectivement une suite, dont la sortie aux états-Unis a été annoncée pour le 28 juillet 2017 lors du Comic-Con, la célèbre convention américaine de comics. Pour patienter, vous pouvez ressortir votre vieux lecteur de cassettes du grenier : Disney (qui a racheté Marvel Entertainment en 2009) surfe sur la bonne idée du film et a décidé d’éditer ladite cassette audio de la bande originale. Les Jackson Five et Marvin Gaye n’ont pas encore fini de faire des ravages… Les Gardiens de la Galaxie, James Gunn, 2014, Marvel Films, Marvel Enterprises.

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Un boléro signé Koji Kondo Par Thibaut Clement / Illustration : Sylvain "C4rrousel" Calvez  Il est des bandes originales qui ont une personnalité marquée et pour lesquelles seules quelques notes sifflées suffisent à dessiner dans l’air le parfum de l’œuvre originale. La musique de Zelda : Ocarina Of Time est de celles-là.

n d’autres temps, tels les arrangements de Prokofiev pour le film Alexander Nevski, le souffle épique d’une bande originale suffisait à emporter l’adhésion de l’auditeur, par la force, s’il le fallait. Ocarina Of Time a choisi une autre vision de l’aventure : celle d’une échappatoire onirique, où l’envoûtement musical du joueur est plus subtil, plus bienveillant.

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On ne présente plus Zelda : Ocarina Of Time (OoT), jeu d’action-aventure sorti sur Nintendo 64 en 1998, dans lequel le héros, Link, s’acharne à sauver la princesse Zelda des griffes du terrible Ganondorf. Shigeru Miyamoto, créateur de génie des Super Mario et Donkey Kong et surnommé le « Spielberg des jeux vidéo » par Time Magazine, a de nouveau fait appel à un partenaire de confiance pour la réalisation de sa bande son : Koji Kondo. Ce dernier, à l’origine des mélodies de Super Mario et de la majorité des Zelda précédents, est considéré comme le père du thème principal de la série – mélodie universelle dont chacun d’entre nous est certainement capable de chantonner les premières notes. Pour l’anecdote, le morceau originel choisi comme thème du jeu était initialement le Boléro de Ravel. Koji Kondo apprit la veille du bouclage du jeu qu’il ne pourrait l’utiliser pour des questions de droits. Il passa alors la nuit à élaborer une composition, dont le tempo allait se baser sur le Boléro. Le thème de Zelda était né.

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Ce thème est étrangement absent d’OoT. Koji Kondo a avoué avoir voulu créer en 1998 une soundtrack inédite. Le pari fut amplement réussi et un vent de renouveau souffla sur la licence. Tout au long du jeu, la musique tient une place essentielle dans le gameplay. Si Zelda : Link’s Awakening sur Game Boy invitait déjà le joueur à collecter des instruments pour finir le jeu, OoT va bien plus loin. à l’aide de son ocarina – instrument à vent dont le nom provient de l’italien « petite oie » en raison de sa forme ovoïde – le joueur doit sans cesse apprendre de nouvelles mélodies. Chant du temps, chant du soleil et chant des tempêtes : Link contrôle son environnement par la musique. La technologie de l’époque ne permettant bien évidemment pas l’intervention d’un orchestre réel, toutes les compositions sont synthétiques. Des insaisissables Lost Woods ou Kokiri Village à l’inoubliable Windmill Hut, chaque morceau jouit pourtant d’une étrange personnalité, ajoutant ainsi un sentiment d’imaginaire à l’expérience du joueur. L’amour secret de Koji Kondo pour la musique latine est d’ailleurs parfaitement retranscrit dans Gerudo Valley, dont la version symphonique suffirait à arracher une larme aux plus nostalgiques.   Pourtant, il semble manquer quelque chose. Sachant sa bande son unique, Koji Kondo n’a semble-t-il pas pris le risque d’insuffler à son œuvre autre chose qu’une forte adéquation avec le jeu. Aussi accrocheuses soient les réminiscences musicales dont souffrent avec plaisir tous les anciens joueurs d’OoT, la bande originale manque de panache. Difficile ainsi de tenir la comparaison avec un Tal Tal Heights de Kazumi Totaka, piste emblématique de Zelda : Link’s Awakening, sorti cinq années auparavant. La raison se cache peut-être dans l’usage massif de bases de données commerciales musicales fait par Nintendo pour composer cette bande. Cette pratique a, d’ailleurs, engendré l’une des grosses controverses de l’histoire du jeu vidéo. Piochant des sons préconstruits dans ces réservoirs musicaux, la firme a notamment eu recours, dans la première version du jeu, à des chants religieux musulmans pour illustrer l’un de ses donjons. Répondant aux réactions de certains joueurs, une nouvelle version du jeu a donc été éditée… privée de ce thème musical. Zelda: Ocarina of Time OST, 1998, Pony Canyon.



découpage

Random Access Memory  Les deux robots made in France les plus connus de la planète squattent Karma, parés de leurs plus beaux atours. Une belle manière de se rendre compte que la carrière de Daft Punk est aussi variée visuellement que musicalement. Illustration : Pierre Schuster. 

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« Au revoir ! » Le magazine Karma a décidé, avec ce numéro 10, d’arrêter son aventure musicale. Après 12 numéros (incluant le numéro 0 et le hors-série NJP) riches humainement autant qu’artistiquement, Karma tient à saluer et remercier son équipe et ses lecteurs, fidèles et passionnés, ainsi que les partenaires, associations, salles, tourneurs, labels, artistes et institutions ayant contribué au succès de ce projet. Nous espérons avoir pu participer à notre niveau au développement et à la reconnaissance du secteur musical dans cette région Lorraine-Luxembourg à laquelle nous sommes attachés !

merci à tous pour votre soutien et votre fidélité !


LA LORRAINE, RéGION MUSICALE Avec les CRéDIT MUTUEL de Yutz et Rives de Moselle Florange - Uckange


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