Numéro 2 - Magazine Karma

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rock, folk, metal, Hip-hop, classique, jazz, électro & bandes originales

Interviews Jimmy Cliff, Patricia Kaas, 1995, Triggerfinger, Julie Ricossé / Portfolio NJP / Wax Tailor, tailleur de son / C2C, Live Report / Rock Forever, film rock ? / La B.O. de FFVII / Skrillex, frappant ! / Bloody Mary, stoner lorrain / Votre Angus Young à découper !


Photos cahier de couverture: Ugo Schimizzi

édito

Le deuxième effort. C'est un peu là où commence la difficulté. Difficulté d'aller au-delà de la première création. Difficulté de se renouveler. Difficulté de terminer l'année en beauté et surtout de préparer 2013 avec brio, malgré la fin du monde annoncée ce 21 décembre... Tout comme notre soirée de lancement de ce numéro 2 !   Pour cela, toute l’équipe du Magazine Karma a mis ses talents à profit pour vous proposer une deuxième fois interviews, dossiers, articles et jeux à grand renfort de photos, d’illustrations et de graphisme. Les fidèles lecteurs retrouveront avec plaisir des rubriques que nous espérons attachantes ; les nouveaux arrivants pourront découv rir un magazine entièrement dédié à la musique.   Karma, dans ce numéro, prouve également son ancrage régional, avec un portfolio spécial Nancy Jazz Pulsations et son éclectisme avec une belle interview de la chanteuse Patricia Kaas, dans le cadre de sa tournée hommage à la célèbre édith Piaf.   Alors, une nouvelle fois, bonne lecture et rendez-vous en 2013 !

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Directeur de la rédaction : Ugo

Schimizzi

Fatus, Clément Goebels, Illustrateurs : Marc Domingo, Laure raphes : Lauriane Bieber, Photog Marine Pellarin, Pierre Schuster / Ferveur, Matthieu Henkinet, Juliette Delvienne, Dominique Schimizzi élodie Lanotte, Cédric Mathias, Ugo

Hann

ume Hann Maquette et mise en page : Guilla La Rosa, A. Pusceddu Communication : A.S. Guyon, J.B.

erie verte 57 190 Florange

Imprimé par L’huillier, imprim

Directeur Artistique : Guillaume

Marine Pellarin Flag, élodie Lanotte, Môssieur Louis, Rédacteurs : Thibaut Clément, Rémi Nicolas Hann, Ioanna Schimizzi Correcteurs : Mickaël Fromeyer,

issn : 2259-356X Dépôt légal : à parution

ine édité par : Association Son’Art Lorra 40 Avenue de Nancy 57  000 METZ Schimizzi Directeur de la publication : Ugo

Ugo Schimizzi Rédacteur en chef


2 édito 4 découverte : bloody mary

Entrez dans l’univers d'un groupe de stoner lorrain.

6 portfolio : Nancy Jazz Pulsations 2012 Pleins feux sur la 39e édition du festival NJP.

10 dossier : wax tailor

à la découverte d’un modèle du hip-hop à la française.

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14 dossier : garbage

Après sept années de silence, retour en grâce du célèbre combo.

20 interview : 1995

Deuxième rencontre, en compagnie du MC Fonky Flav’.

24 interview : patricia kaas

En spectacle dans un immense hommage à édith Piaf, la chanteuse lorraine nous a révélé ses secrets.

28 interview : jimmy cliff

De Reggae Night à Hakuna Matata, 50 ans de carrière évoqués en compagnie du roi du reggae.

30 interview : triggerfinger

De la scène à la vie, un parcours plongé dans le rock.

32 interview : julie ricossé

Dialogue entre musique et création, avec une jeune illustratrice pleine de talent.

34 influences : skrillex 36 cinéma : rock forever 38 museek : final fantasy VII 40 jeux 41 découpage 42 live report : C2C

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dĂŠcouverte

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par môssieur louis

Rencontre avec un power trio adepte des t-shirts à têtes de mort apparentes : Les Bloody Mary, groupe de stoner originaire de Nancy. « Shoot Me », leur deuxième album sorti en avril, a été signé sur le label Bad Reputation. Discussion en direct avec le trio, en route pour un concert. Afin de préparer mes esgourdes délicates à leur univers de décibels burnées, je disposais sur mon pick-up électrique un disque crachant le titre précurseur du mouvement hard rock, Helter Skelter des mi-défunts Beatles.   Peter, le chanteur à cheveux longs et jeans aéré, adepte de Led Zeppelin, me rappela toutefois que toutes ces musiques prenaient leur source dans le blues. Je tentai alors de reprendre la main en leur demandant si pratiquer une sorte de rock s’inspirant du metal ou du hard rock, n’était pas aussi anachronique que d’avoir une page Myspace ou un compte MSN. Ce à quoi Peter, répondit : « On peut dire ça, au même titre que vous faites encore un magazine papier à l'heure d'internet. Je pense que ce qui compte, c'est la passion et l'effort que l'on veut mettre dans un moyen d'expression qui nous correspond. Nous, ça passe par une musique à la fois moderne mais teintée de références old-school, vous

Photos fournies par Bloody Mary

c'est le papier. » « In my face », comme on dit, outre-Atlantique, lors des rencontres de balle au panier.   D’ailleurs, leur réputation a dépassé les frontières de notre belle région Lorraine plu s célèbre pou r ses fonder ies en perdition - puisqu’ils se produisent souvent en Allemagne ou en Suisse, toujours par leurs propres moyens. Eux de me répondre : « On a lutté, travaillé dur et l’on a dû se battre pour avoir une crédibilité en tant que groupe de rock basé en France. Avec les années, nous avons réussi à convaincre le public que nous pouvions apporter quelque chose d'autre. Ce qui est étrange, par contre, c'est que nous jouons plus souvent à l'étranger qu'en France ces temps-ci, à croire que nous sommes assez bien pour l'A llemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, l'Angleterre et même la République Tchèque, mais pas assez pour nos chers compatriotes. Tout ça pour dire qu’au final notre origine n'importe plus lorsque l’on

dépasse les frontières. » Je commençai à ressentir de la tendresse pour ces rockers indépendants à l’état d’esprit définitivement rock’n’roll, c’est-à-dire, libre. Et les Bloody Mary de confirmer : « Il s'agit surtout de vivre sa vie à fond en suivant son instinct et ses propres codes, en essayant de faire un peu bouger les choses à son échelle. On pense à des mecs comme Eminem, l'illustrateur Kent Taylor, ou encore Danny Trejo. »   C’est ainsi que nos routes se sont séparées, eux en direction de la Suisse pour un nouveau concert, moi dans une énième écoute de leur dernier album : Shoot me. L’occasion de capter, un peu plus encore, la force des inspirations de ce power trio lorrain, à découvrir très rapidement. > Bloody Mary, Shoot me, 2012, Bad Reputation

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portfolio

nancy jazz pulsations à la veille de son 40e anniversaire, le festival Nancy Jazz Pulsations a une nouvelle fois tenu toutes ses promesses, dévoilant une programmation de qualité, variée et pleine de surprises

Guillaume Perret & The Electric Epic

> Chapiteau, le 20 octobre Photo : Matthieu Henkinet


Enrico Rava Quintet

> La Manufacture, le 11 octobre Photo : Dominique Ferveur

Youssoupha

> Chapiteau, le 16 octobre Photo : Matthieu Henkinet

Youssoupha

> Chapiteau, le 16 octobre Photo : Matthieu Henkinet

Charlie Winston

> Chapiteau, le 15 octobre Photo : Matthieu Henkinet

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portfolio

Marcus Miller

> Chapiteau, le 20 octobre Photo : Matthieu Henkinet

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Guillaume Perret & The Electric Epic

> Chapiteau, le 20 octobre Photo : Matthieu Henkinet


Limousine + Yodh Warong

> La Manufacture, le 15 octobre Photo : Dominique Ferveur

Revolver

> L’Autre Canal, le 19 octobre Photo : CÊdric Mathias

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dossier

par Rémi flag

Il y a dix ans, la flamme du hip-hop des origines a quitté sa bougie. Mais Wax Tailor a forgé dans la cire encore chaude un style rétro et créatif qui va faire date. Portrait d’un sculpteur pas comme les autres. 1975. Kool & The Gang cartonne, les DJs jamaïcains triturent leurs platines et la côte Est des états-Unis voit apparaître les premiers graffitis sur les murs de Philadelphie. Bref, la soupe primitive du hip-hop bouillonne et attend ses derniers acides aminés pour envahir la planète. C’est en cette même année que Jean-Christophe Le Saoût naît et grandit, non pas à Brooklyn, mais à Vernon, en France. Et, autant le dire tout de suite, le fait que JC - qui deviendra WT - soit précisément né à cette période n'est pas une coïncidence. Biberonné au hip-hop, il n'en fut heureusement jamais sevré. Dans les années 1990, il devient animateur radio à Mantes-la-Jolie puis officie dans le collectif de rap La Formule. Il a donc grandi avec la crème du hip-hop dans les oreilles. Des MCs et des groupes 10 | magazine

que nous citons aujourd'hui en référence et qui constituent le tableau des éléments d'un genre qui s'est depuis beaucoup caricaturé, sous la pression de la mode. D’ailleurs, c'est en 2002 que le projet Wax voit le jour, dans une époque qui efface un peu plus le modèle des origines en remplaçant les samples des seventies, les tags et la break dance par des voitures de luxe, des piscines et des « biatch. »   En 2004, paraît l’album Tales of the Forgotten Melodies, fruit de deux années d’expérimentations et de la maturation de précédents EPs, déjà prometteurs. La galette est très vite acclamée par la critique et va constituer le socle du style de Wax Tailor. Il maîtrise parfaitement la technique du sampling, retravaillant les vieux tubes et les flows


Plus qu’un pseudonyme, Wax Tailor est en fait un vÊritable projet musical

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2004 - Lost the Way (EP) 2005 - Tales of the Forgotten Melodies 2007 - Hope & Sorrow 2008 - Verve Christmas Remixed (EP)

de ses groupes fétiches pour nous les livrer sur des rythmiques souvent hip-hop, parfois downtempo et toujours groovy. A Tribe Called Quest ou encore LL Cool J sont de la partie, revendiquant pleinement leur place dans cette ode à la génération 1990 du hip-hop US. Le titre Damn that Music Made my Day est d’ailleurs un medley parfait du style de cette époque et retrace en une minute trente les sons qui ont bercé les oreilles de WT. Cette ambiance posée, réminiscence du Peace Unity Love and Having Fun, est enrichie d’une touche de nostalgie par l’incorporation de paroles de vieux films, directement puisées dans le répertoire de notre tailleur connaisseur. Vous pourrez reconnaître Docteur Folamour ou encore L’Homme qui en savait trop. Loins d’être superf lus, ces dialogues saupoudrent la musique de Wax Tailor d’une fine couche de noir et blanc très fifties du meilleur effet. Que Sera, le premier titre et probablement le plus connu, donne le ton de ce mélange magique dès les premières minutes. Nul doute que le chantonnement de Doris Day a marqué plus d’un auditeur. Tales of the Forgotten Melodies est le ref let de l’authenticité de Wax, cette volonté de vouloir rester « vrai », de produire un son qui ne vieillit pas, malgré des samples qui ne datent, eux, pas d’hier. Cette même quête va le pousser à incorporer un autre élément décisif : travailler avec des artistes jouant d’instruments classiques. Marina Quaisse au violoncelle ainsi que la chanteuse Charlotte 12 | magazine

2009 - In the Mood for Life 2010 - Live 2010 à l'Olympia 2012 - Dusty Rainbow From the Dark

Savary enlacent les rythmes trip-hop d’un cocon acoustique. Plus qu’un pseudonyme, Wax Tailor est en fait un véritable projet musical.   Le bouche-à-oreille faisant son effet, Wax Tailor commence à se faire un nom dans le monde du trip-hop et tourne dans quelques festivals à travers le monde aux cotés de pointures comme The Herbaliser. En rentrant en France, il est attendu au tournant pour son prochain opus. En 2007 donc, Hope & Sorrow sort sur le label Atmosphériques. Largement diffusé et un peu moins expérimental que son ainé, il fait plus que confirmer le talent de JCLS et de sa bande. Toujours agrémenté d’instrumentaux et beats rétros qui font bouger la tête sans effort, l’album se veut plus jazzy et fait clairement penser à la version mature du son de Wax. Avec moins d’interludes, l’ambiance est urbaine, moins feutrée que précédemment. De plus, fantasmant le flow au travers des samples depuis plusieurs années, il saute ici le pas et balance plusieurs morceaux de featurings avec des MCs talentueux, comme la rappeuse anglaise Voice sur The Games we Play ou encore le sublimissime The Way we Lived, avec la voix soul de Sharon Jones. Ses compères donnent aussi le meilleur d’ellesmêmes, Charlotte Savary et Marina Quaisse continuant de nous faire vibrer aux sons de leurs cordes sur des musiques en formes d’odyssées sonores. Définitivement sorti de son œuf, Wax Tailor est propulsé en tant que nouvel artiste phare de la French Touch et part Photos : Cédric Mathias


en tournée à travers le monde. Une excellente occasion pour lui de travailler le visuel et la mise en scène de ses lives, conçus comme une vitrine fidèle d’une époque passée/présente/ future. Vieux lampadaires, costards et chapeaux rappellent une Amérique des premiers buildings et sans prohibition. Chaque musicien et rappeur a droit à son moment d’expression et se livre en toute sincérité sur scène, chacun dans son univers.   De retour de tournée, Wax cherche à démocratiser sa musique. Si le deuxième album l’a fait connaître, notamment avec le titre Positively Inclined, programmé en radio, c’est surtout auprès des amateurs de musique électronique et plus généralement de hip-hop atmosphérique. In the Mood for Life, sorti en 2009, constitue, dès lors, une tentative d’élargir son cercle de fans. Toujours parfaitement géré et basé sur les principes qui ont fait son succès, on sent tout de même Wax Tailor coincé. Certes, il maîtrise son style, mais peine à le renouveler. Il compose alors des titres plus accessibles, en travaillant notamment avec Charlie Winston, mais se rend trop consensuel pour convaincre, malgré une base de soul toujours évidente. Il abandonne quasiment tout morceau un peu recherché, délaisse les ambiances de vieux films et les samples qui étaient devenus sa marque de fabrique. Déroutant les fans avec une bonne galette, mais dont on finit par se lasser, il parvient toutefois à toucher un public plus large en se classant neuvième au top français, ce qui est plutôt rare pour un artiste évoluant dans ce genre. Reparti en tournée, il reviendra en 2012 avec son nouvel opus.   Depuis 2006, Wax Tailor souhaitait prendre le temps de faire un album plus conceptuel. Désormais connu grâce à des titres plus accessibles, il décide de se lancer. En octobre 2012, son label Lab’oratoire, créé en 1998, sort

donc Dusty Rainbow from the Dark. Notons que Tales of the Forgotten Melodies était déjà légèrement conçu comme une histoire, faite d’interludes et de dialogues. Le tout semblait provenir d’une lettre oubliée sur le coin d’une table il y a des décennies. Dusty Rainbow from the Dark, lui, narre véritablement un conte avec comme voix-off Don Mc Corkindale, voix légendaire de la BBC. La vocation musicale de l’histoire remplit son rôle à merveille et Wax Tailor réussit cette fois à se réinventer tout en restant lui-même. C’est le retour du rap à l’ancienne et des voix féminines suaves. Sa notoriété lui permet même de s’offrir nombre de featurings avec des artistes talentueux comme Aloe Blacc. La ligne conductrice du scénario fait, elle, appel à l’imaginaire de l’enfance, à la nostalgie, mais constitue aussi une certaine forme de renouveau.   Wax Tailor a donc retrouvé son couteau et un nouveau bloc de cire pour les années à venir. En une petite dizaine d’années, il aura réussi à s’imposer comme un DJ/producteur/ compositeur fondamental pour l’avenir de la musique électronique. Il a, sans conteste, permis à d’autres groupes français, comme Chinese Man ou Caravan Palace d’émerger sur la scène internationale. Un tremplin qui profite aussi à la nouvelle génération de groupes comme 1995, qui partagent le même amour pour les rythmiques et sons old school que Wax Tailor. En remaniant et en retravaillant le hip-hop façonné par sa génération, il a contribué à redonner ses lettres de noblesses à ce genre, rappelant que les fondamentaux peuvent évoluer pour s’incorporer à d’autres styles. Tout est finalement évolutif, pourvu que l'on ait un chalumeau et une bonne dose d’audace. En voulant tailler la cire en microsillons, Jean-Christophe Le Saoût a posé des bases en béton pour l’avenir de la musique. > Wax Tailor, Dusty Rainbow From The Dark, 2012, Lab’oratoire,

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par UGO SCHIMIZZI

Garbage, groupe formé de trois producteurs américains et de la chanteuse écossaise Shirley Manson repart à l’assaut du public, sept ans après une séparation, alors synonyme d’adieu. Garbage s'est formé en 1994 dans le Wisconsin. Ah, tiens. Ça vous change de Los Angeles et New York n’est-ce pas ? Mieux ! Le combo n’est pas composé à l’origine de musiciens à proprement parler, mais de producteurs, au nombre de trois. Le plus connu, Butch Vig a modestement contribué au succès de quelques formations régionales, en sortant notamment le sympathique Nevermind de Nirvana et un ou deux Smashing Pumpkins. Natif du Wisconsin, l’homme a débuté sa carrière comme batteur de Spooner, un groupe local dans lequel Duke Erikson chante et tient les guitares. Il deviendra ensuite le guitariste de Garbage. Steve Marker, pour sa part, apprécie très rapidement Spooner et les aide à enregistrer leurs compos. Spooner devient alors Firetown mais se sépare dans les années 1980. Ayant de la suite dans les idées, Vig et Marker avaient profité

des économies amassées pour acheter du matériel d’enregistrement et investir une usine désaffectée. Ouvrent alors les Smart Studios, fer de lance de l’enregistrement de groupes punks locaux. Le studio accède rapidement à une notoriété importante, devenant le lieu branché de la mouvance alternative de la fin des années 1980, jusqu’à l’année 1991 et ce fameux Nevermind. Mais revenons aux origines de la formation actuelle de Garbage. C’est tout banalement en regardant la télé un soir de pleine lune (ou par une nuit froide et nuageuse, on ne sait plus très bien), que Steve Marker, le producteur de différents albums de Sonic Youth ou Soul Asylum, a aperçu la belle Shirley Manson... dans un clip. Ni une, ni deux, le trio se concerte, contacte la vocaliste et l’intègre à l’aventure, malgré son accent et ses origines écossaises (et une première audition pour le moins catastrophique).

Sans crier « aéroport ! », le groupe sort alors une ribambelle de singles plus successful les uns que les autres avant d’achever son monde avec son premier a lbum, épony me, écoulé à quelques millions d’exemplaires. Si l’on revient sur un des plus marquants d’entre eux, Queer, force est de constater que chaque création découle d’une lente maturation, bien que d’après Shirley Manson, les autres membres soient en général peu bavards. Initialement, Queer n’était qu’une démo enregistrée au début de l’année 1994 et laissée à l’abandon au fond du studio de Madison par les trois producteurs. C’est à l’arrivée de Shirley que la chanson se décante enfin, l’écossaise participant à la modification des paroles. Celles-ci, inspirées à l’origine d’un roman de gare, prennent une tout autre ampleur, l’ambiguïté des nouvelles lignes modifiant alors en profondeur la

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dossier compréhension de la chanson. Garbage, artiste du changement ? Il y a un peu de cela. Shirley Manson aucun lien avec l’affreux jojo pei nt u rlu ré, excepté u n duo - est une des premières artistes à tenir un blog. En cette fin de millénaire, el le fa it pa r t ie d ’u ne galaxie impénétrable, où les surfeurs fous sont baptisés « internautes. » Suivant leur mystique inspiration par-delà les navigateurs étoilés et les modems 56k à la connexion criarde et aux factures salées, ils s’embarquent dans une nouvelle aventure. Leur deuxième effort s’intitule Version 2.0, prélude à la révolution s o c i a le à venir sur le petit

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monde de l’internet. Mieux, l’album se compose d’une infinité de samples, faisant la part belle à la musique électronique. Anecdote intéressante, Shirley Manson révèlera, au cours d’une interview accordée en mai dernier au magazine Rolling Stone, l’ardoise laissée pour cette création. Le quatuor, ayant ses habitudes dans un bar, avait ouvert un compte, accumulant les sorties jusqu’à pointer à une somme rondelette de 200 000 $. De quoi faire pâlir les nouveaux groupes enregistrant bien souvent sur des home studios.   Pour leur troisième album paru en 2001, Garbage devient alors terrain d’expérimentation, arborant l’essai jusque dans leurs titres, le combo tentant l ’oxymore en baptisant le nouvel arrivant Beautiful Garbage (on rappellera alors aux pourfendeurs de rosbifs que « garbage » signifie « ordures » en bon latin. « Beautiful » signifie « beau », mais il y a moins de soucis là-dessus, n’est-ce pas ?). Il faudra ensuite attendre quatre années pour voir sortir une nouvelle œuvre. Butch Vig prend le temps de produire ou remixer quelques nouveaux grands noms parmi lesquels U2, Depeche Mode, Nine Inch Nails ou encore Limp Bizkit. Bleed Like Me, quatrième galette, souffre en 2005 du retour en force des groupes en « the » à l’image de The Strokes. Les américains prennent alors brutalement conscience du fossé les séparant de leur public et, plus généralement, du monde alentour, délaissé entre les tournées et le temps vécu en studio. Shirley déclare, à ce


sujet : « Le rôle d’un artiste, c’est de commenter la vie, de remettre en question les idées reçues : comment y parvenir quand on passe son existence dans des avions, des studios ? Isolés de la vraie vie, de la rue, on ne comprenait plus rien. » S’ensuivront sept années de luttes, de doutes et de remises en question. Fait étonnant, on apprend dans une interview donnée ces derniers mois aux Inrocks que les gus ne s’étaient pas adressé la parole depuis des années. Il a suffi d’un manager (et d'une bouteille de pinard) pour renouer le contact, l’ensemble repartant, aux dires des intéressés, comme à la belle époque.   Journalistes et médias parlent souvent à tort de renaissance d’un groupe après un éloignement des membres. à étudier la vie de chacun d’eux pendant ces sept années, le mot renaissance ne semble finalement pas être de trop, tant les quatre ont subi des évènements marquants. Shirley la première : au-delà du décès de sa mère qui a pu profondément la marquer et la bouleverser, elle s’est vue embarquée dans une spirale de mort et de mauvaises nouvelles plus plombantes les unes que les autres. Reprendre contact avec trois vieux amis ma lgré quelques brouilles semblait alors des plus joyeux à côté. Néanmoins, la rousse en a profité pour voyager, du Bouthan à l’Inde en passant par l’Afrique, développant également son amour de l’art, jusqu’à tomber amoureuse du travail de Louise Bourgeois et de sa fougue vivace, malgré ses 96 ans à l’époque. Shirley Manson, encore elle, s’essaye au cinéma, tourne dans une série

dérivée du film Terminator, tente également de se lancer en solo mais se voit freinée par sa maison de disques. « Pas assez commercial », « trop tordu et torturé ». Les critiques pleuvent et l’amertume s’installe, même si, avec le recul, c’est finalement le sentiment du devoir accompli qui prime, la chanteuse étant restée droite dans ses bottes.   Malins et prévoyants, assagis par les expériences du passé, les musiciens avaient eu la bonne idée de se constituer une cagnotte globale restée endormie pendant des années. L’occasion était alors trop belle pour retomber dans les mains des majors et c’est assez logiquement que Garbage relance la machine en créant son propre label, éditeur du fameux Not Your Kind of People, paru courant 2012. Nouvelle aventure mais aussi nouveaux défis et désir de reconquête après des années d ’anonymat et presque d’oubli. Dans une interview à VF Daily parue cette année, Shirley Manson reconnaît d’ailleurs toute la difficulté d’apparaître aujourd’hui dans la chanson comme des oiseaux de mauvaise augure, après le syndrome 11 septembre et l’ensemble de sujets graves que cette crise a pu engendrer. Surtout, eux qui étaient habitués à envoyer valser tout et tout le monde dans les années 1990, sont aujourd’hui confrontés à de la pop music sucrée, d'avantage portée sur des mondes anesthésiants que sur des paroles riches de revendications ou dénonçant des problèmes de société. Bien que le groupe soit mondialement connu, la difficulté est également venue dans cette reprise du train en marche, qui

le mot renaissance ne semble finalement pas être de trop, tant les quatre ont subi des évènements marquants

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1995 – Garbage 1998 – Version 2.0 1999 – The World is not Enough O.S.T. (thème principal)

2001 – Beautiful Garbage 2005 – Bleed Like Me 2007 – Absolute Garbage 2012 – Not Your Kind of People

lui, n’avait pas pris le temps de s’arrêter une décade. Fait notable : l’adaptation du groupe sur les réseaux sociaux et la transmission directe de leur succès à travers leur nombre de fans. « à peine » 500 000, là où Muse réunit 13 millions de likes. Néanmoins, cet indice ne doit pas pour autant laisser croire que Garbage a disparu en 2012. Preuve en est, leur programmation en tête d’affiche de cette édition des Solidays, mais aussi leur tournée de festivals, parmi lesquels le Rock Werchter Festival, le Main Square Festival ou encore les Vieilles Charrues. Du point de vue de la France en tout cas, Garbage continue de susciter l’attention.

dans une boîte en plexiglas, Stupid Girl dans un sac en tissu rouge et bleu et Milk dans une pochette cartonnée ondulée en 3D. Au niveau des vidéos, Garbage fait appel aux plus grands. Le Franco-Américain Stéphane Sednaoui réalise ainsi les clips de Queer, Milk ou encore You Look so Fine, Andrea Giacobbe, photographe notamment connu pour ses portraits de Björk, Beck, Marilyn Manson ou encore Trent Reznor, s’occupe de Push it. Francis Lawrence, réalisateur du film Constantine, mais aussi de clips pour Aerosmith, Lady Gaga, Shakira ou encore Alanis Morissette prend en charge Breaking up the Girl.

Que l'on s'attache aux albums d'hier ou d’aujourd’hui, ce qui frappe dans les créations du combo est l’attrait et le soin porté à la qualité des visuels ainsi que de leurs packagings. De nombreux tirages collectors ont ainsi émaillé la carrière du groupe, notamment le single Vow, diffusé dans différentes éditions selon les pays. Au Royaume-Uni, il sort ainsi en format vinyle, agrémenté d’un packaging fait de metal et d’aluminium. D’autres objets deviennent également collectors : Subhuman sortira dans une pochette en caoutchouc, Only Happy When it Rains sera distribué pour sa part dans une pochette autocollante avec un hologramme aux effets de pluie, Queer

Ne pas parler du groupe au passé, comme un vestige d’une époque révolue, voilà bien le défi de Garbage, revenu aujourd’hui sur le devant de la scène avec un album. Pas de tournée souvenir, pas de best of éculé, mais bien un album pour conquérir et reconquérir, remettre au jugement du public une production nouvelle, travaillée et réfléchie. à vous, donc, de juger.

Photos : Ugo Schimizzi / Merci aux Solidays

> Garbage, Not Your Kind of People, 2012, Stunvolume

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interview

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Propos recueillis par UGO SCHIMIZZI & GUILLAUME HANN Après une première rencontre avec les jeunes rappeurs français de 1995 aux Solidays, Karma a profité du passage du combo au 112 de Terville pour refaire le point avec Fonky Flav', loin d’avoir perdu son franc-parler. > Trois mois après les Solidays, quoi de neuf dans la vie de 1995 ? Fonky Flav’ : Quoi de neuf ? Beaucoup de dates de concert, puisque les Solidays c’était au milieu de notre tournée d’été. Donc on a continué, on a fait de plus grands festivals, je pense notamment aux Vieilles Charrues, c’était assez fou. Pendant le mois d’août, on a fait une pause et on revient avec une tournée d’automne, plutôt dans des salles. Surtout, on a avancé sur l’album, qui devrait, on l’espère, sortir tout début janvier. On avance à fond pour tenir les délais, on a les premiers titres qui arrivent. Voilà pour notre actu !

leurs, on en garde un excellent souvenir, c’était vraiment une grosse date. C’était la première fois qu’on faisait une énorme séparation entre le public pour faire un pogo géant et ça c’était cool ! Donc nous, on ne compare pas trop, parce qu’en plus, on donne des shows différents, le public ne réagit pas de la même manière. En fait, ce qui est sympa dans les festivals, c’est qu’on a des gens qui viennent de loin parfois et on les retrouve ensuite dans des petites salles, à travers toute la France. Cela nous donne la possibilité de leur proposer un nouveau show. Bref, quel que soit l’endroit, on prend énormément de plaisir à venir jouer.

> Quel ressenti entre la salle et le festival ? Je te dirais que c’est vraiment totalement différent. Tous les artistes diront la même chose, j’imagine, mais en festival, le public ne nous connaît pas forcément. Il y a une partie du public qui vient pour te voir toi et d’autres artistes. D'autres gens n’ont jamais entendu parler de toi, ni entendu ta musique. Du coup, c’est un challenge de réussir à les convaincre. J’ai le sentiment qu’on a moins le droit à l’erreur en festival qu’en salle. Parce qu’en salle, une bonne partie du public connaît les paroles. Le nombre de spectateurs est aussi clairement différent. Le Jardin du Michel d’ail-

> Et ce soir, 1995 au 112, ça ne fait pas beaucoup de chiffres tout ça ? Si c’est marrant, mais on joue aussi au 106 à Rouen. On a d'autres salles à chiffres de prévues (rires) ! On a fait notre after du Bataclan au 1979 également, avec 3301 en première partie.

Photos : Ugo Schimizzi

> Est-ce que tu ne trouves pas qu’il existe une certaine mode du rétro en général, pas que dans le secteur musical ? Si si, bien sûr. On dit toujours « c’était mieux avant ». Il y a un mec qui a sorti un t-shirt, « le rap c’était mieux avant », mais ça ne se limite pas à la musique. Tout le monde

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interview est nostalgique. Les mecs qui écoutaient du rap en 1995, ils nous disent que les darons disaient déjà que le rap était fini et que tout le monde regrettait le rap de 1987. Mais moi, le rap de 1987, ça ne me parle pas. C’est intéressant à observer, mais je n’ai pas ça dans mon casque. Il y a toujours une mode du rétro, mais on n’est pas du tout dans cette démarche. > Tu nous parlais justement du premier album, en janvier. On a eu La Source, La Suite, déjà une petite idée concernant le titre du prochain album ? On a une idée assez précise, mais on ne veut pas encore le déclarer. On laisse tourner ça avant de le dévoiler. > Vous avez dit préférer le format EP pour éviter la démarche marketing de « remplir pour remplir ». Quelle est ta vision de la marque « 1995 » ? En fait, quand nous sommes arrivés, on s’est dit « bon on connait rien au processus

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d’enregistrement mix/mastering » puisque personne n’en avait fait. Qu’il s'agisse de musicalité et de rap, mais aussi en terme de business, puisqu’on a tout géré de A à Z. C’est à ce moment que l’on s’est pris nos premières carottes et où l’on s’est fait les dents. Suite à ça, quand on a avancé, tout le monde attendait de nous un album. Chacun attendait que nous rentabilisions le temps passé, l’influence sur les réseaux sociaux, comme si c’était un travail pour nous. Mais pas du tout, on ne s’est pas posé de question. On s’était dit dès le début que nous ferions en premier lieu deux EPs avant de se lancer dans une création d’album. On ne s’est pas laissé imposer une ligne de conduite pour suivre une ligne commerciale. Aujourd’hui, nous estimons être plus matures pour l’écrire. On a envie de montrer que l’on peut tenir la longueur. Un EP n’est pas ce qu’il y a de plus long à créer. On comprend les gens qui estiment notre travail sur ce format mais qui attendent une confirmation sur un album entier.

> Quand vous dites 8 titres, c’est une sélection ou une écriture d’une traite ? On a uniquement écrit 8 titres. La suite a été enregistrée en 10 jours. > à mesure que le succès grandit, vous pensez pouvoir poursuivre dans cette veine indépendante ? Nous, à la base, qu’on soit indé ou dans une maison de disques, on n’a pas de préférence. On n’est pas là pour faire « les indés. » On essaye de faire ce qu’on veut, justement. Aujourd’hui, c’est notre structure indépendante qui nous permet de le faire et tant mieux. à mon sens, il n’y a rien qui est déterminé, mais on n’a jamais été limité jusqu’à maintenant par rapport à ça. Le secteur rap a sorti des gros classiques en France, en restant indépendant. Il y a des groupes comme Hocus Pocus qui ont longtemps fait de l’indé. Après, c’est surtout des deals. Sur des grosses ventes, il faut souvent travailler avec des maisons de disques pour la diffusion. Pour moi,


c’est un faux débat, tant que l’artiste s’y retrouve et n’est pas obligé de se formater, la question ne se pose pas. > Tu dis « on fait ce qu’on veut », mais vous êtes nombreux dans le groupe, ce n’est pas difficile parfois ? Ce qu’on veut, c’est l’avis du groupe. Il n’y a pas de manager qui impose un avis aux membres. Tant qu’au final, on se dit « oui ce morceau est vraiment cool », que tout le groupe est d’accord, on valide, même si on n’est pas tous dessus. C’est vrai que parfois, il y a des débats interminables. Mais dans tous les cas, on a discuté de la chose, tout le monde a validé et on n’a pas de regrets.

nous mettre des échéances à tout va, on a dû finir par faire les choses par nous même avec des amis. Du coup, ça nous a pris énormément de temps. La réalisation des morceaux a commencé il y a à peine un mois. Question création, c’est Low notre DJ qui, en général, amène une instru que l’on écoute. On évoque les thèmes sur lesquels on pourrait avancer. Chacun écrit plus ou moins dans son coin. Quand on a assez avancé sur le thème, Low a eu le temps de retravailler chez lui. Ensuite, on enregistre et on retravaille le morceau ensemble. On n’a pas encore fait appel à des réalisateurs extérieurs. ça pourra venir et ça peut être intéressant.

> Vous avez écrit La suite en 10 jours. Comment se passe aujourd'hui la composition d’un morceau ? On prend plus le temps. En construisant notre studio, on a voulu travailler avec des ingénieurs et des acousticiens. à force de

> Tu parles de personnes extérieures. Y a-t-il des featurings prévus ou que vous souhaitez réaliser ? Aujourd’hui on n’arrive pas à s’accorder sur des gens qui soient disponibles et qui fassent l’unanimité. Vu que c’est notre pre-

mier album, on a envie que ce soit un truc vraiment perso. Moi, après, j’ai tellement de potes qui font du rap avec qui je n’ai pas eu l’occasion de faire des morceaux, que c’est plutôt ces gens-là que j’inviterais. Mais ce n’est que notre premier album, au fur et à mesure que le temps passera, on sera amené à vouloir travailler avec d’autres personnes. On veut avant tout montrer qui on est avant d’aller piocher dans l’univers d’autres musiciens. > Tu as quelque chose à ajouter pour nos lecteurs ? Si les lecteurs nous connaissent, merci pour leur soutien. Pour ceux qui ne nous connaissent pas, allez sur internet, tous nos morceaux y sont écoutables gratuitement. Ne vous arrêtez pas au titre La Suite, allez voir tout ce qu’on fait ! Merci Karma ! > 1995, La Suite (EP), 2012, Undoubleneufcinq label / Polydor

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interview

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Photo : Florent Schmidt


Propos recueillis par GUILLAUME HANN

Patricia Kaas, chanteuse internationale originaire de Moselle, s’est lancée pour 2012 et 2013 dans une tournée mondiale, afin de nous faire redécouvrir le mythe Piaf. Elle passera notamment par le Zénith de Nancy le 3 avril prochain. Une belle occasion pour le Magazine Karma de démontrer son éclectisme ! > Pourquoi avoir choisi de vous attaquer à un monument tel qu’édith Piaf et que représente-t-elle pour vous ? Patricia Kaas : Quand j’avais dix ans, Piaf faisait partie des incontournables. Tout le monde était obligé d’avoir une chanson de Piaf dans son répertoire pour le samedi soir. Elle fait partie des classiques, d’un patrimoine. Je me suis également intéressée à Piaf plus tard, parce que c’est une musique qui vous parle à un certain âge. Aussi parce qu’à Paris on m’a comparée à elle. J’ai voulu comprendre. Dans les émotions, le vécu, il y a des choses similaires que j’ai connu, comme la douleur et le chagrin. Maintenant il y a une authenticité, un chanté qui ressemble au langage que nous parlons, même si c’est une époque différente. Pour moi, Piaf représente une force dans un petit corps très fragile qui a vécu beaucoup de drames mais aussi

beaucoup de joies. Malheureusement, on a coutume de surtout mettre en avant un côté triste, dans la vie de ce personnage. > Ressentez-vous un parallèle entre elle et vous à la fois au niveau de la musique mais aussi du personnage ? Je ne cherche pas forcément à développer ce parallèle. Je pense que l’on peut chanter Piaf à 20 ans. Maintenant, avoir une expérience de la vie, ça aide, ça nourrit les chansons, ça nourrit l’interprétation. Avoir perdu quelqu’un qu’on aime dans sa vie et connu certaines déceptions, en tout cas, moi, ça m’aide à interpréter Piaf. Après il y a le courage, j’ai toujours été assez courageuse. Il faut aussi avoir confiance en soi. Chanter une chanson lors d’un concert de Piaf, d’accord. Monter sur scène et se dire je vais faire plus de 20 chansons, il faut une certaine

confiance. Je ne l’avais pas avant. J’ai sorti une autobiographie qui m’a fait beaucoup de bien, une sorte de thérapie. J’ai un regard sur moi-même bien plus positif aujourd’hui. > C’est la raison pour laquelle vous n’avez pas fait ce projet auparavant ? Oui, je n’en avais pas le courage, il y a des choses qui ne s’expliquent pas. J’ai décidé de faire ce projet aujourd’hui parce que mon entourage me l’a proposé seulement maintenant, pour les cinquante ans de la mort de Piaf. Personne n’est venu me demander si j’en avais envie pour ses 30 ans ou ses 40 ans. En tout cas quand on m’a parlé de ça, j’avais deux choses en tête. Avant tout, ne pas être une copie, Piaf c’est Piaf. Ensuite, j’ai tout de suite voulu que cet hommage soit pensé comme un spectacle. Cet hommage, je le voyais en chansons mais aussi au-delà.

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interview Je voulais proposer des chansons qu’on connaît peut être moins. Je ne savais pas qu’elle avait plus de 430 chansons dans son répertoire, comme par exemple La Belle Histoire d’Amour qui est un chef d’œuvre sublime. Je désirais aussi faire un hommage aux émotions : la douleur, la souffrance, la joie, la croyance, les gens qui ont marqué sa vie, le théâtre. > Justement, en faisant des reprises, comment fait-on pour ne pas tomber dans la copie ? Ai-je la réponse ? Je ne sais pas. Il faut être au maximum soi-même. On peut évoquer un mouvement de bras parce que ça fait partie de l’hommage. Au-delà de la gestuelle, je voulais vraiment qu’elle soit présente durant tout le spectacle. Avec sa voix aussi, c’est elle qui chante la dernière phrase du spectacle. J’ai essayé d’être le plus souvent moi-même dans le sens où quand j’interprète les chansons, bien sûr, il y a le respect du sens des

chansons, mais j’essaye également d’y mettre mon vécu, professionnel, personnel, ce que j’ai pu apprendre dans ma vie. J’essaye d’être aussi moi-même dans la façon de bouger, tout en m’adaptant à un spectacle qui est un hommage. Ce n’est pas la même chose quand je cours sur scène, à droite, à gauche dans mes propres concerts. > Vous proposez 16 titres sur l’album, 24 sur scène, l’album est-il une sorte d’intro au spectacle ? C’est une longue intro ! En tout cas, pour moi, ça a été avant tout un spectacle, les chansons ont été conçues comme ça, il y a un côté film, drame. Quand j’ai écouté les créations d’Abel Korzeniowski (compositeur polonais, notamment pour les films A Single Man de Tom Ford, ayant assisté Patricia Kaas pour la création de cet hommage, ndlr), cela m’a évoqué une dramaturgie qui rappelle Piaf. J’avais envie de la modernité des sections de cordes d’Abel, tout en freinant et me disant « attention, cette chanson-là, il ne faut pas qu’on y touche trop. » Bien sûr, il y a des chansons comme Milord, où on se permet d’aller plus loin, parce que j’ai notamment redécouvert les textes. Ce Milord qui reste planté là, vis-à-vis de la femme fatale, il y a un côté sombre et dramatique que je voulais interpréter comme ça. Il fallait donc trouver ma place entre le respect de Piaf et les nouveaux arrangements. Après, cela me plaisait beaucoup, quand j’entendais Padam, Padam, d’imaginer un film de Burton ou Hitchcock. c’était très original et c’est ce que j’aimais. Quand j’ai choisi les chansons pour l’album je ne voulais pas couper et supprimer les intros conçues pour le spectacle. Comme La Belle Histoire d’Amour avec la mort de Cerdan. La chanson a été pensée comme cela, c’est très beau. à l’arrivée, cet hommage, c’est peut-être aussi la rencontre d’une chanteuse de chanson française et d’un compositeur de musique de film. Le spectacle est très proche de l’album mais il y a beaucoup plus d’intimité en concert. Sur scène, il y a trois musiciens, on est loin du faste d’Hollywood même si on a virtuellement l’orchestre. Ça crée une certaine intimité dans tout ce projet qui paraît grand. > En parlant du visuel, je pense à celui de la pochette, très réussi. Pourquoi avoir choisi de cacher votre regard ? On cherche toujours à expliquer pourquoi on fait une photo comme ceci ou comme cela. Moi, je voulais une

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Illustration : Marine Pellarin


partie physique, mais cacher mes yeux qu’on reconnaît bien. Je voulais les cacher pour dire « voilà, je chante Piaf », mais aussi pour expliquer que cette envie vient de l’intérieur, rappeler à nouveau les émotions, le vécu. > Vous avez déclaré aimer vous surprendre et vous dépasser. Y a-t-il un défi personnel dans ce projet ? Un projet comme celui-là, j’aurais pu le faire en acoustique, monter sur scène et chanter les chansons. Je ne voulais pas ça, je ne voulais pas copier. Je voulais incarner les personnages qu’elle chante dans certaines chansons qui m’ont touchée, comme pour Mon Vieux Lucien, où cette femme pète les plombs parce que son homme l’a quittée. J’avais envie de le faire. Ces parties étaient difficiles pour moi, j’ai travaillé avec un metteur en scène de théâtre. Chanter je n’en ai pas peur, je crois que les gens le ressentent. Mais, par exemple, la première chanson, je voulais la parler plus que la chanter. Ça c’était vraiment effrayant. On est au début de la tournée et c’est dur de dire avec certitude ce que ressentent les gens. Mais dans tout ce travail, je trouve qu’il y a vraiment une forme de respect, de mon côté comme de celui du public. > Vous avez choisi pour cette tournée des salles très différentes. Comment concilier des salles très prestigieuses et des endroits plus intimistes ? L’idée première de la tournée était de jouer dans des endroits où Piaf a chanté. Carnegie Hall, l’Olympia, en Suisse, il y a pas mal d’endroits où elle a joué. L’autre idée était de jouer dans

des salles prestigieuses. Pas forcément dans de grandes salles, nous voulons vraiment rester assez proches des gens. Je trouve que cela fonctionne. > Karma est un magazine lorrain, tout comme vous. Que gardez-vous de vos origines ? Mon amour est avant tout attaché à ma famille, à mon enfance, dans le sens où je n’ai pas oublié d’où je viens. Le travail de mon père, ce que représente le travail dans cette région et qui est aujourd’hui en danger. J’ai fait pas mal d’émissions, où j’ai invité des mineurs pour parler de ce problème. Il y a une fierté, c’est ce que j’ai appris et c’est une part très importante dans notre caractère. Ne pas se plaindre, même si c’est difficile, foncer, ça fait partie de ce que m’a enseigné ma région. Je retourne voir ma famille pour Noël. > Vous mentionnez votre père. Que pensez-vous de la situation actuelle de Florange ? C’est l’histoire d’une région, non pas qui s’éteint puisque cette histoire restera toujours, mais qui est en péril. Le travail va manquer, c’est sûr que c’est un problème. > Enfin, notre question rituelle : Beatles ou Rolling Stones ? Est-ce que je vais décevoir si je dis que je ne me retrouve ni dans l’un, ni dans l’autre ? En fait, je n’avais pas trop de culture rock à la maison, je suis plus liée à la variété française, je n’ai pas honte de le dire ! > Patricia Kaas, Kaas chante Piaf, 2012, French Pop

Photo : Florent Schmidt / Merci à Richard Walter Productions

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interview

Propos recueillis par ugo schimizzi

Jimmy Cliff, génial auteur, notamment de la chanson « Hakuna Matata » du film « Le Roi Lion » ou encore « Reggae Night », nous a accordé une interview au cours du dernier (et regretté) festival Léz’Arts Scéniques en juillet 2012. Rencontre avec un homme de talent et d’idées. > Bonjour Jimmy Cliff, bravo pour ce concert ! Où trouvez-vous autant d'énergie ? Jimmy Cliff : J’ai cette énergie grâce aux gens. Quand je vois les gens réagir, ça m'inspire énormément ! Et avant tout, j’aime ce que je fais. Tout cet amour, ça me donne beaucoup d’énergie. > Vous avez entamé en 2012 votre 50e année en tant que musicien. Est-ce que vous continuez à profiter de votre statut ? Absolument. J’ai énormément de choses à dire aujourd’hui. Et je sais bien mieux comment m’y prendre, comment le communiquer, à la fois en studio et sur scène ou encore dans des vidéos. Donc oui, on peut vraiment dire que j’ai encore beaucoup de choses à exprimer et à apprendre. > Vous avez joué il y a quelques années avec Bernard Lavilliers. D’où vous est venue cette idée ? Je l’adore. Je le trouve vraiment unique comme artiste et c’est un très bon écrivain, 28 | magazine

très bon parolier. Il est très intelligent, sensible. J’ai beaucoup apprécié faire cette chanson avec lui et j’espère que lui également.

une opportunité de voir et découvrir ces groupes. C’est toujours différent de ce que vous faites, j’aime vraiment ça !

> Est-ce que vous croyez en l’Homme ? Je crois en l’Humanité. Plus spécialement actuellement. Nous avons suffisamment appris aujourd’hui, nous avons suffisamment grandi, nous sommes prêts à passer au niveau supérieur.

> Enfin, notre question rituelle : Beatles ou Rolling Stones ? Vous savez, je n’ai pas de préférence. Laissez-moi vous exposer mon point de vue. Pour moi, les Beatles sont de grands écrivains, ils étaient révolutionnaires. Dans le même temps, les Stones sont comme l’exact opposé. Je ne pense pas qu’ils soient d’aussi grands paroliers que les Beatles, mais j’aime leur côté rebelle. J’aime réellement ces deux groupes de deux manières différentes.

> Vous avez joué avec des personnalités comme Joe Strummer (leader des Clash, ndlr), Tim Armstrong (du groupe Rancid, ndlr). Les autres styles musicaux vous inspirent ? Oh oui ! Aujourd’hui, la pop est influencée par le reggae. C’est un cycle dans lequel chaque style musical en inspire un autre. J’écoute tous les styles de musique pour être inspiré.

> Jimmy Cliff, Rebirth, 2012, Trojan

> Vous aimez les festivals ? Dans les festivals les gens jouent différents types de musique, j’aime ça, parce que c’est

Photo : Juliette Delvienne


on peut vraiment dire que j’ai encore beaucoup de choses à exprimer et à apprendre


interview Mario (feuillette le magazine, prend une grosse voix) : Karmaaaa ! (Après quelques minutes sur le mag en luimême, la discussion s’engage) > Depuis la sortie de votre album All This Dancing Around en 2010, vous tournez énormément en Europe. Ca va faire deux ans ! On voit bien que vous avez du punch, mais quand même... Pas trop crevés ? Paul : On a l’air ? (rires) Mario : On en parlait justement tout à l’heure, partir en tournée, c’est vraiment un gros truc. Quand on démarre, tout va bien, mais au bout d’un moment... On a tellement de choses à faire tous les jours, on est dans notre petit monde... Avec le staff on est six, donc toujours les six mêmes personnes, les mêmes sujets de conversation, les mêmes vannes... Des fois on pète un câble on commence à se provoquer. Tu comprends ? (rires - to trigger : provoquer, jeu de mots avec le nom du groupe, ndlt)

Propos recueillis par MARINE PELLARIN

Triggerfinger, sensation belge actuelle, faisait un arrêt aux Trinitaires de Metz le 11 octobre dernier. L’occasion était trop belle de rencontrer les rockers pour leur soumettre une petite interview. Preuve s’il en fallait que le power trio est aussi à l’aise sur scène que dans un canapé.

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> Un peu comme une famille psychotique ? Mario : Oui ! Paul : Non attends, elle vient de dire qu’on est trois dangereux psychopathes (rires). Mario : C’est possible, ça ! Paul : Plus ou moins. Mario : On a encore plus de punch que des psychopathes ! > Je vous ai vus au Rock A Field cet été, on sent que vous prenez beaucoup de plaisir sur scène. Les festivals, c’est un moment privilégié pour vous ? Mario : Ah, le Rock A Field, c’est quand on a joué deux fois ? Paul : Ouais, on avait fait deux sets. Ruben : Les festivals, les concerts en salle, les deux sont très intéressants. En concert, on prend notre temps, en festival, les sets sont plus courts, on se débrouille pour que

Photos : Lauriane Bieber


ce soit plus... Compact. Je ne sais pas si on met plus d’énergie en festival... On y met toute l’énergie que ça mérite. Il y a des chansons qui nécessitent un autre genre d’énergie, des chansons plus subtiles, qui ont besoin d’être interprétées avec de la profondeur. Je vois davantage cette différence-là que celle entre concert en salle et festival. > Vous avez fait pas mal de reprises, notamment Au Suivant de Brel, qui est à la base très éloigné de votre style musical. Et votre reprise de Lykke Li est très surprenante. Comment vous est venue l’idée de reprendre I Follow Rivers ? Paul : En fait, c’était l’idée de Mario (rires). Ce qu’il s’est passé avec I Follow Rivers, c’est qu’on a été invité à une émission de radio néerlandaise, où on devait jouer l’une de nos chansons en acoustique et une chanson du top 50. C’est le principe de l’émission, on doit jouer les deux. Et Ruben nous a dit « qu’est ce qu’on va faire ? C’est blindé de trucs pop, on n’aime pas tellement ça. », et cette chanson de Lykke Li était dans la liste. Du coup, la veille au soir de l’émission, Ruben a cherché les paroles sur le net, on a bidouillé quelques accords… Le lendemain matin à 7h, on s’est pointés au studio de la radio : Mario avait une application boîte à rythme sur son iPhone, il l’a programmée pour que ça colle, on a répété vite fait les paroles, les accords... Mario a posé son iPhone, donc on avait une boîte à rythme, mais il était tout désœuvré, à nous dire « et moi, qu’est-ce que je fais maintenant ? ». > Et il y avait des tasses ? Paul : Voilà, il y avait ces tasses, du coup Mario a improvisé en jouant dessus avec une cuillère. On a joué en live à la radio, ils l’ont enregistrée, on l’a écoutée et on a

beaucoup aimé. Le soir on devait jouer à Groningen, aux Pays-Bas, le temps qu’on arrive là-bas, tout le monde connaissait la chanson par YouTube et Facebook, c’est aussi passé à la télévision belge... Du coup après une semaine ça nous avait complètement dépassés, ça a explosé en Allemagne, en Suisse, en Pologne... La chanson s’est retrouvée numéro un en Belgique. Ce n’était pas du tout prévu, on ne comptait pas la sortir, c’est le public qui en a fait un single, en fait. En Allemagne, après ça, on a carrément eu une tournée, on a dû s’adapter à la demande, passer de salles de 300 à 2 000 places ! > En parlant de tournée, votre dernière date annoncée est pour décembre. Après ça, vous allez préparer un nouvel album ? Ruben : Oui... Paul : Normalement ! Mario : Normalement on devrait préparer un nouvel album, mais on vient d’apprendre qu’on retourne sur les routes en février, pour des concerts en Allemagne et en Pologne. Enfin, on espère le travailler en janvier et en février quand on ne jouera pas... Paul : Et en mars aussi, sinon ça fera court ! Mario : Oui en mars aussi, on espère bien préparer le nouvel album et l’enregistrer en mars. Si possible. > Pour finir, notre question rituelle : Plutôt Beatles ou Rolling Stones ? Mario : Les deux ! Paul : Les Stones. Mario : Oh arrête ! Paul : Ouais, les deux, quand même. Ruben : Les deux. On les veut tous, baby ! >Triggerfinger, All This Dancing Around, 2010, Excelsior Recordings

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interview

Julie Ricossé a été sélectionnée en compagnie d’autres illustrateurs reconnus tels Thomas Ott, Tomi Ungerer ou encore Marjane Satrapi, dans le cadre de la désormais traditionnelle exposition d’affiches du festival Rock en Seine. Elle a réalisé, pour l'évènement, une affiche pour le groupe français Versus. Nous avons eu l'occasion de lui poser quelques questions. > Bonjour Julie, peux-tu te présenter ? Je m’appelle Julie Ricossé, je fais des illustrations pour des livres pour enfants et actuellement je fais de la bande dessinée, différents livres pour la jeunesse. J’aime bien travailler des styles différents, des techniques différentes. > Qu’est ce qui t’a lancée dans l’univers de la création, de l’illustration ? La passion du dessin, tout simplement ! > As-tu un réel intérêt pour la musique ? Ou était-ce pour toi uniquement une commande dans le cadre du Rock en Seine ? Non, j’aime écouter de la musique. C’est super de pouvoir faire une affiche pour un groupe dans ce cadre. C’est la première fois que je fais un tel travail et j’ai vraiment apprécié l’exercice.

Propos recueillis par ugo schimizzi

> Justement, en parlant de musique, estce que c’est un élément qui te sert dans ton travail ? ça dépend. ça s’associe à mon humeur, je ne peux pas écouter n’importe quoi. J’écoute vraiment de tout, du jazz, du metal, du classique, beaucoup de hard rock… c’est très varié et en fonction de mon humeur en fait ! > Comment s’est fait le choix de Versus, pour qui tu as réalisé cette affiche ? Nous avions le choix parmi plus de trente groupes, plusieurs me plaisaient beaucoup. J’ai été très contente au final de faire l’affiche pour Versus. Ce sont vraiment de supers musiciens.

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> Tu as écouté ce qu’ils faisaient ? Tu t’es inspirée de leur monde ? Bien sûr, je ne pourrais pas faire une affiche d’un groupe sans l’écouter, ni sans avoir vu des choses à leur sujet. J'ai réellement apprécié l'univers de Versus, au final très visuel. Ensuite, il fallait réussir à traduire toutes les influences que composent ce monde. > Qu’est ce qui t’a plu dans leur univers ? Principalement le côté urbain et ces espèces d’histoires de voyous. Ils racontent beaucoup de sentiments intérieurs, c’était une bonne musique, de bonnes paroles. Je deviens très difficile aujourd’hui et il devient rare pour moi d’être attirée par de nouveaux groupes. > Dans quel sens ? à force d’écouter de la musique, je deviens très sélective. Benjamin Fincher par exemple, j’aime beaucoup ce qu’ils font. C’est un groupe de ma région qui a fait les premières parties d’artistes comme Cascadeur, ils sont vraiment bons. En ce moment, j’écoute pas mal d’anciens albums, pas forcément de groupes actuels ! > Julie Ricossé, à la poursuite de la gigantesque lamproie géante, 2012, éditions L'atelier du poisson soluble > Julie Ricossé, L'énigme du trou siffleur, 2012, éditions L'atelier du poisson soluble


Versus

> Illustration réalisée par Julie Ricossé dans le cadre de l'exposition Rock’Art au festival Rock en Seine 2012

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influences

par Rémi flag

Il a l’air gentil et souriant avec son ordinateur et ses lunettes à la mode. Mais ne vous y fiez pas, Skrillex c’est plutôt le genre à y aller à la hache électrique, sempiternellement. Il est évident qu’on se souvient tous de notre première fois, sauf peut être pour ceux d’entre vous qui avaient trop bu. C’était probablement à une soirée. Vous avez rencontré LA personne, celle que le destin, ou devrais-je dire le Karma, avait 34 | magazine

choisi de mettre sur votre chemin. Il ou elle vous a entraîné dans sa chambre, prétextant je ne sais quel motif fallacieux. Et c’est là, allongé sur le lit, les mains moites et tremblantes, que votre hôte a balancé la purée sur les enceintes.

Illustration : Clément Goebels


Skrillex pourrait bien faire les frais d’un style qu’il personnifie à l’excès   Je veux bien évidemment parler de votre premier Skrillex ! Cette découverte sensorielle où vous vous êtes demandés quel génie sadique avait pu jeter un grille-pain dans un micro-onde, avant d’enregistrer le son de sa robotique agonie. Ancien chanteur du groupe emocore From First To Last, Sonny Moore a brillamment effectué sa reconversion en tant que destructeur sonore. Notre hipster punk-à-chien préféré se fait une joie de torturer, malaxer, buriner les notes imprudentes ou curieuses qui croisent son chemin en sifflotant. Les plus conventionnelles d’entre elles préféreront l’éviter, et iront se jeter sous un album de David Guetta qui passait par là. Skrillex, c’est donc une bonne bouffée d’air frais dans l’électro et l’assurance de passer une bonne soirée headbang sur un rythme oscillatoire. Mais à la différence d’un Prodigy qui a su trouver un son et le renouveler finement,

Skrillex pourrait bien faire les frais d’un style qu’il personnifie à l’excès et d ’un genre qu’il conf ine à la redondance.   Pour preuve, chers lecteurs, citezmoi un seul autre artiste connu dans le dubstep à part Skrillex et je suis sûr que nous partagerons le même air pensif. Sur le même principe, ses morceaux utilisent sans vergogne les mêmes sons saturés et syncopés, certes géniaux, mais qui finissent par trahir la mémoire de biens des auditeurs. Finalement, tout le monde finira par dire que « c’est du Skrillex » (alors que ce sera du Flux Pavillon), fatigués d’essayer de mettre un nom sur un énième enregistrement de modem sous ecstasy, violé compulsivement à coups de piège à ours. D’une manière générale, beaucoup de titres reproduisent le schéma d’une intro, d’onomatopées et d’un gros lâchement de basse de bourrin. Un cocktail qui a le mérite d’être efficace pour se défouler. Seulement en contrepartie la caricature n’en est que plus percutante, elle aussi.

une technique qui étaient jusqu’alors l’apanage d’artistes underground. Sa musique comporte tous les éléments typiques du dub, mais elle transcende aussi la vague des artistes anglais expérimentaux des années 1990 comme Squarepusher. Skrillex arrive en plus à donner une popularité certaine à un genre jusqu’ici réservé aux connaisseurs.   Reste que s’il veut un jour atteindre le niveau de ses pairs et lui aussi devenir une influence voire une référence, il devra obligatoirement sortir de son propre engrenage créatif. Gageons qu’il devrait y arriver, tant il est habitué aux transitions, ce qui nous permettra un jour, dans 15 ans, de nous envoyer un « bon vieux Skrillex. » > Skrillex, Bangarang, 2011 / Big Beat

D’ailleurs, quand, il y a quelques mois, Skrillex poste sur sa page Facebook la vidéo d’une musique d’Aphex Twin, une de ses influences majeures, il déroute la plupart de ses fans qui ne comprennent pas que ce qui l’inspire ne lui ressemble pas, ce qui est au passage toute sa force ! Ils s’attendent à ce que Skrillex fasse du Skrillex et s’inspire de morceaux identiques, calibrés pour la presse industrielle, Ibiza et les partouzes entre robots ménagers.   Tout cela est surtout dommage quand Sonny a l’air sincère dans sa démarche et qu’il contribue à populariser un genre et

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cinéma

par Marine Pellarin On marque le début de l’hiver avec la sortie de « Rock Forever » en DVD, une comédie musicale sur le rock dans les eighties. Qu’en dit notre chroniqueuse ? Youpi ! Ou pas. Rock Forever, de quoi ça parle ? D’une ado blondinette qui quitte sa cambrousse pour Los Angeles et qui rêve de devenir une rockstar. Du sous-Patrick Swayze en marcel qu’elle rencontre là-bas et qui rêve de devenir une rockstar (toi aussi ? Ça alors !). Du Bourbon Room, le bar-concert où travaillent les deux zozios, qui a connu son heure de gloire mais menace de fermer. La faute à l’odieuse femme du maire qui veut faire disparaître le rock’n’roll, cette musique du diable (Madame Boutin ? Ça alors !). Et puis bon, ils tombent amoureux, ils chantent, tout ça.   Pas la peine de vous mentir, Rock Forever, c’est un High School Musical avec des vestes en jean clouté et des bouteilles de whisky. Basé sur le musical Rock of Ages qui a fait un tabac outre-Atlantique, on pouvait s’attendre à ce que l’adaptation soit à la hauteur de l’original, surtout de la part d’Adam Shankman qui nous avait pondu une très sympathique adaptation d’Hairspray en 2007. Mais on a droit à un début convenu, un milieu qui relève à peine le niveau et une fin évidente. Ne crachons pas 36 | magazine

dans la soupe, le film réserve tout de même deux ou trois scènes surprenantes et quelques vannes sympathiques. Le script n’étant pas notre centre d’intérêt principal, tournons-nous vers le plus important : le rock’n’roll, baby.   Rock Forever se pose dans un univers eighties rock bourré de clichés parfois navrants, parfois drôles : la perruque hilarante de Russell Brand, même David Bowie n’en voudrait pas. Somme de tous les clichés, la rockstar du film Stacee Jaxx (Tom Cruise) est une espèce de Steven Tyler alcoolique et mou du genou. Et il faut rendre au scientologue en moule-bite de cuir ce qui lui appartient : il joue étonnamment bien la star déchue et camée, seul personnage vraiment rock’n’roll du métrage. On a droit à un vrai show pour les scènes de concert qu’il assure avec brio, que ce soit côté chant ou côté jeu scénique tendancieux. Nos tourtereaux, eux, passent le film à concourir pour le prix du meilleur interprète dans la catégorie « pop qui essaie de passer pour du rock ». Tous leurs duos suintent le Glee sponsorisé par RTL2.


Car, selon le principe même de la comédie musicale, les personnages partent en envolées lyriques dès qu’il leur arrive quelque chose, soit toutes les deux minutes. Alors certes, le choix des combos chansons/situations est toujours pertinent, mais un point reste décevant : ô rage, ô désespoir, aucun groupe de rock n’a crié « moi, moi ! » pour venir interpréter un de ses titres et contrebalancer. On ne note que deux apparitions venues du monde de la musique : la chanteuse choupi-trashos Porcelain Black, quasi invisible, et… Mary J. Blige, reine du r’n’b. « Because fuck logic, that’s why. »

c’est mignon tout plein, mais c’est pas ce qu’on attendait...

Rock Forever, c’est donc deux heures de reprises. À côté des quelques chansons diffusées dans leur version originale, on compte tout de même une belle sélection de gros sons pour les parties chantées : Pour Some Sugar on Me de Def Leppard, Rock You Like a Hurricane de Scorpions, le très évident I Love Rock’n’Roll de Joan Jett, du Bon Jovi, du Twisted Sisters… Ça dévie vers le rock FM avec Journey, mais quitte à la jouer patriote US, on aurait préféré Springsteen. Foreigner est aussi un choix discutable quand on sait que les acteurs ajoutent une bonne couche de sucre glace, de guimauve et de fraises tagada à tout ce qu’ils chantent. Mais coup de bol, I Wanna Know What Love Is a droit à une scène de pseudo-sexe drôlatique et pas trop gnan-gnan. Pour le reste, c’est mignon tout plein, mais c’est pas ce qu’on attendait... Au final, c’est une vision bien creuse et édulcorée du monde du rock eighties que l’on nous sert. Il y a bien quelques scènes sur la fin du film qui tireraient des « oooh ! » indignés à ma grand-mère et une poignée de chansons que je réécouterais volontiers, mais ça ne sauve pas la bande. Rock Forever est construit sur des clichés certes distrayants, mais pas intéressants d’un poil. À regarder un soir où vous vous sentez bon public. Avec un coup dans le nez, ça devrait passer, hmm ? « Don’t stop believing », tout ça... > Rock Forever, Adam Shankman, 2012 / Warner Bros > Sortie DVD : 14 novembre 2012 / Warner Bros

Illustration : Marine Pellarin

magazine

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museek

par thibaut clément

La bande originale de « Final Fantasy VII », sorti en 1997, est celle d’un homme avant d’être celle d’un jeu. Cet homme, c’est Nobuo Uematsu, père des musiques de la désormais célèbre série « Final Fantasy. » Auteur historique des bandes sons de la saga, Uematsu a franchi avec « FF VII » un nouveau cap. Avant toute chose, il faut savoir que Final Fantasy VII se place dans une situation toute particulière, dans le sens où le jeu inaugure la première adaptation de la série sur support 32 bits, la Playstation. Le jeune compositeur a donc à sa disposition des moyens inédits : le minimalisme des vieilles consoles de quatrième génération n’a plus lieu d’être. 1997 est déjà une ère nouvelle et Final Fantasy VII se placera rapidement comme un titre mondial, la bande originale en fer de lance de son succès. Uematsu y signe un chef-d’œuvre considéré par beaucoup comme inégalable. Difficile donc de faire état de ces musiques sans que l'article ne soit teinté d’une certaine démesure laudative. 38 | magazine

Dense, magistrale, la bande originale rassemble pas moins de quatre CDs, pour plus de 85 titres et quatre heures de musique. Le joueur est assailli par pléthore de thèmes uniques qui ne se veulent jamais manichéens, à l’image de la série. Uematsu a pris des risques. Si Final Fantasy VI brillait par sa mélodie, son petit frère joue les parias. Certes, l’inspiration des précédents opus est flagrante, mais une ambition nouvelle va marquer l’univers de FFVII au fer rouge. Au travers d’une technofable écologiste, le jeu suit la destinée d’un groupe d’éco-terroristes, bien décidés à sauver leur planète Gaïa dont l’énergie est aspirée par une multinationale avide et impitoyable, la Shinra. Si l’on a donc plaisir à remplir

la noble tâche qui nous incombe d’empêcher la mort de notre astre, c’est un univers riche et sombre qui s’offre à nous. Uematsu l’a vite compris, pour rendre cet onirisme mélancolique aux effluves de carburant le plus proche possible de cette nature bafouée, il faut communiquer. Et cela marche. Les thèmes nous enseignent le panache et la vaillance, avec des hymnes au combat dantesques (Fight on !), le pilotage avec des breackbeats à la Herbie Hancock (Crazy Motorcycle Chase, J-E-N-OV-A) mais aussi le malaise, avec des dissonances à en faire pâlir ce sourd de Beethoven (Trail of Blood), ou encore la violence (One Winged Angel). Le cœur s’emballe avec le tribal Canyon Cosmo aux percussions entraînantes et flûtes

Illustration : Pierre Schuster


de pan mélancoliques, le décalé Rufus’ Welcoming Ceremony, ou le jazzy Cait Sith’s Theme sur hautbois et claquements de doigts. Uematsu s’amuse. Du marimba de tuyaux rouillés aux chœurs chantés en latin, il fait de sa playlist un véritable sucré-salé musical. Les Chocobos eux-mêmes, gros oiseaux sprinters emblématiques de la saga, bénéficient du thème pulp-fictionnesque d’une guitare endiablée (Chocobo Theme). Sur les variations de chiptune et de downtempo à la Nujabes, vont se greffer des inspirations de Jimi Hendrix, sur une sauce Carmina Burana. Sa filiation avec la musique romantique n’en est pas moins dissimulée. Tous ces thèmes peuvent s’écouter indépendamment du jeu, une après-midi d’automne étant idéale pour apprécier cette longue et volumineuse soundtrack. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’elle reste l’une des OST de jeu vidéo les plus adaptées au monde : remixes symphoniques, piano, heavy metal, tous les styles ont mis un coup de pinceau à la toile. La soundtrack originale hérite d’ailleurs officiellement, bien que tardivement, d’un excellent Piano Collections. Trois titres seront également ré orc he s t ré s p ou r l’album Final Fantasy VII Reunion tracks et de nombreux autres seront repris dans la bande originale de Final Fantasy VII Advent Children, film éponyme sorti en 2005 et faisant suite au jeu, dans lequel Uematsu a pris une place prépondérante.

Et pourtant, cette soundtrack souffre de la comparaison. Après l’adulation vient le recul, voire la sévérité. Quelques mois après la sortie de FFVII, l’éditeur français Infogrames sortira avec un petit studio anglais un soft méconnu : Silver. Les thèmes symphoniques frissonnants et mélodiques se succèdent (Draw your Sword) : il faut se rendre à l’évidence, FFVII fait « cheap. » Le rendu sonore est indigne d’une Playstation et l’aspect synthétisé des thèmes les empêche de tenir l’affiche. Wild Arms sorti un an plus tôt, Chrono Cross un an plus tard, et bien d’autres jeux achèveront la désillusion des connaisseurs.

FFVII n’a pas été propulsé au rang des jeux cultes par sa bande originale. Celleci, d’excellente facture au demeurant, n’a été qu’à la hauteur du jeu lui-même. Ni inférieure, ni supérieure, elle n’est sublimée que par sa parfaite harmonie avec celui-ci. Ce qui est souvent, disons-le, la marque des grands jeux. > Nobuo Uematsu, Final Fantasy VII Original Soundtrack, 1997, Square Enix > Nobuo Uematsu et Himuro Kyosuke, Final Fantasy VII : Advent Children, 2005, Square Enix


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Les guitaristes les plus célèbres ont des guitares bien spécifiques et uniques en leur genre. Saurez-vous les reconnaître ?

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C'est au tour d'Angus Young, guitariste des mythiques AC/DC de venir orner les pages de Karma. Pour ne pas sacrifier une page de ce beau magazine, retrouvez le fichier en téléchargement sur notre site ! à vos ciseaux !

Illustration : Laure Fatus & Marc Domingo

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live report

par élodie lanotte

Coup de crosse des C2C ce soir à l’Autre Canal, sauf que les beats n’ont rien d’un bâton pastoral et que nos quatre acolytes pourraient davantage porter l’habit rayé jaune et blanc que le costume ecclésiastique. Daltons évadés des sentiers battus et bien rangés, les quatre DJs (20Syl, Greem, Atom et Pfel) évoluent à travers un univers musical qui brouille les genres. électro, funk, jazz, soul sont autant de lignes de fuite qui pénètrent fiévreusement leur influence hip-hop. Depuis septembre, le groupe est en tournée européenne pour célébrer leur album tout frais sorti : Tetra.   Nancy, 20h30, la billetterie affiche « complet. » Ladies and gentlemen, déboutonnez vos cols, car la température va monter. Le groupe est accueilli avec ardeur par le public, chauffé en première partie par DJ Nelson. Coup de rênes sur 42 | magazine

les platines. Au grand galop, shake, shake, shake. Nos estomacs n’ont qu’à bien se tenir car le festin est copieux. C’est par une entrée succulente avec d’emblée l’enchaînement de The Cell, Arcades, Down the Road, que les C2C ouvrent un show sonore et visuel pour notre plus grand régal. Car sur scène, c’est 4 DJs, 4 platines mais aussi 4 cubes lumineux qui dynamitent nos sens par des formes géométriques et psychédéliques.   Coup d’accélérateur, « BEAT : the B the E the A the T. Can you feel it ? » Sure, we can feel it ! Et quand un bras se lève derrière les platines, c’est toute la foule qui s’électrise et mène la vague d’une solidarité festive. On n’a pas vu venir la fin. Photo souvenir avec le public. Irrésistiblement, on a envie de dire : « Down the road again…again ! » > C2C, Tetra, 3 septembre 2012, On And On

Photo : élodie Lanotte

Le numéro 2 du Magazine Karma est tiré à 2 500 exemplaires sur papier Satimat Green, contenant 60% de fibres recyclées. Il est imprimé à Florange, par l’Imprimerie Verte L’Huillier. Le Magazine Karma tient à remercier la Chenille Bleue à Metz, ainsi que les différentes salles partenaires et lieux de diffusion.

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