Méditations d'un golfeur solitaire

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Patrick Schlouch

Méditations d’un golfeur solitaire

MAHANA

Méditations d’un golfeur solitaire

À mon fils Julian
Mahana - Les Éditions du Soleil Tahiti pschlouch@gmail.com © 2003 (édition 2023)

“L’esprit du débutant contient beaucoup de possibilités, mais celui de l’expert en contient peu.”

Shunryu Suzuki, maître zen

DU MÊME AUTEUR

Hinano

Saga de la bière de Tahiti, 1999 (en collaboration avec Marianne Tourette)

Pèlerinage au Bhoutan Carnet de voyage, 2005

T comme… Tahiti Dictionnaire illustré, 2009

Les Aventures de Fédérica Pilule Conte golfique, 2009

Piqûres de nono Recueil de billets d’humeur des Nouvelles de Tahiti, 2010

Papeete en capitales

Dictionnaire-guide illustré, 2012

Servitude Sophie Réflexions & souvenirs, 2017

Il pleut soleil Récit, 2018 www.issuu.com/mahana

J'ai parfaitement conscience de ce que le titre de ce recueil peut avoir d'incongru. Sur un terrain de golf, un joueur seul n'est rien, il n'existe pas. Le golf n'est pas fait pour être pratiqué seul et, dans la plupart des grands pays golfiques, aux États-Unis ou au Japon notamment, il est pratiquement impossible de jouer seul en raison de l'affluence sur les parcours. Il m'arrive, bien entendu, de jouer au golf avec des partenaires, souvent même, notamment lors des compétitions, ils m'ont d’ailleurs inspiré une partie non négligeable de ces quelques méditations. Mais, si personne ne se trouve là au bon moment, cela m'est égal de jouer seul. Cela dit, le golf est tout de même, avant tout, une expérience, une aventure personnelle et intérieure. Nous apprenons seul, nous nous entraînons seul, nous ne devons qu’à nous-même nos souffrances et nos succès et, devant la balle comme face aux épreuves de l’existence, tout repose sur nos seules épaules.

J'ai commencé à jouer au golf en 1988. Pendant dix ans, j'ai pratiqué en dilettante. Le golf était pour moi un hobby qui me tenait à cœur, sans plus. Il ne constituait pas une priorité dans ma vie. Je m’adonnais à d'autres activités physiques (la musculation et la randonnée dans les splendides vallées et montagnes de Tahiti), intellectuelles et spirituelles. Je jouais au golf à l'occasion, plus ou moins régulièrement, sans m'y intéresser vraiment. Une formation réduite au minimum, pratiquement pas de leçons et une connaissance médiocre des règles et de l'étiquette (auxquelles j'avais même des difficultés à me soumettre), seulement quelques informations et des conseils glanés çà et là, au petit bonheur des rencontres et de rares lectures. Bref, le parfait joueur du dimanche, membre d'aucun club, ne connaissant pas la compétition et même pas licencié.

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Dans de telles conditions, et avec un matériel inadapté, rien d'étonnant à ce que mes performances ne fussent guère brillantes. J'essayais de m'en consoler en me répétant que le score n'était pas mon objectif principal et que je venais sur le parcours au moins autant pour le plaisir de la marche, le bol d'air et l’harmonie de l'environnement naturel.

Puis, un beau jour, ce fut le déclic. Je me suis dit : “Assez de mensonge. Le principe même du jeu de golf, c'est d'expédier une balle dans un trou en la frappant d'un minimum de coups conformément aux règles. Ne pas essayer d'améliorer sa marque et ses résultats, ne pas respecter les règles, ce n'est pas vraiment jouer au golf.” J'avais quarante-neuf ans, il était clair qu'à cet âge, je ne deviendrais jamais un Apollon du muscle, cela devenait même un peu ridicule. Il me semblait plus judicieux de concentrer mon énergie et mon temps sur une activité mieux adaptée à ma situation et praticable jusqu'à la fin de mes jours, ou presque, comme je le constatais autour de moi. J’ai aussi compris que, comme simple passe-temps, le golf était un luxe dont je n’avais pas les moyens. Il fallait le traiter plus sérieusement, essayer de comprendre ce qu’il cachait à l’intérieur et, peut-être, s’en servir pour progresser dans d’autres domaines.

En 1998, j'ai donc décidé de m'y mettre vraiment et de consacrer au golf l'essentiel de mes loisirs. Je mis au point un logiciel complet me permettant d'enregistrer mes statistiques et d'avoir une idée claire de mes résultats et de leur évolution. Du matériel plus moderne et correspondant mieux à mon style de jeu m'a aussi aidé à progresser. En quelques mois, le golf est devenu une passion, un des quatre piliers de mon existence avec ma famille, mon travail et ma quête personnelle, avec laquelle il a d’ailleurs fini par se fondre en grande partie. J'ai d’abord joué régulièrement une fois par semaine, puis deux et parfois trois fois quand je le pouvais. Peu à peu, j'ai découvert que le golf déteignait sur ma vie. Il me façonnait.

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Pendant près de cinq ans, j'ai noté mes réflexions, mes expériences et rencontres, mes progrès et régressions, mes joies et épreuves. Au cours de cette période, mon niveau est passé de “non classé”, c’est-à-dire handicap 36 ou plus, à l’index officiel de 14,4 en mai 2002. Le lieu presque unique de ce récit est le golf public d'Atimaono à Papara, Tahiti. C'était alors le seul parcours existant en Polynésie française1. La difficulté technique de ce beau dix-huit trous est moyenne, mais, la longueur et, hélas, la médiocre qualité de ses fairways, ainsi que des conditions climatiques souvent sévères (notamment une forte chaleur tropicale humide et beaucoup de vent) expliquent son slope respectable de 135 pour les hommes (départs jaunes ou blancs) et 121 pour les femmes2. Il a, en tout cas, le gros avantage d’être ouvert et jouable toute l’année et d’offrir des tarifs abordables à ses abonnés.

Le 28 décembre 1984, le Territoire de la Polynésie française faisait l’acquisition, pour la somme de 995 millions de francs CFP (8,34 millions d’euros), de la terre Eugénie, dite domaine d’Atimaono, d’une superficie de 1 550 hectares, située à cheval sur les communes de Papara et Mataiea, propriété de l’homme d’affaires et banquier Jean Bréaud depuis les années 1940. C’était là qu’il avait ouvert en 1970 un parcours de dix-huit trous, construit en collaboration avec son ami et associé Jean Brès (qui resta directeur du golf jusqu’en 1992). Une des clauses de la vente au Territoire était que le parcours fût rebaptisé “Olivier-Bréaud”, du nom du jeune fils de Jean Bréaud, tragiquement enlevé et assassiné en 1980.

Le golf en Polynésie française doit tout à ces deux Jean. Sans les avoir connus, je tiens à leur rendre hommage. D’abord pour avoir créé un golf à Tahiti, mais aussi, et surtout, pour l’amour, l’élégance et le goût avec lesquels, conseillés par l’architecte américain Bob

1 Un second dix-huit trous a été créé à Moorea en 2007.

2 Ces chiffres ont été révisés en 2016 à 133 pour les départs blancs (hommes 1ère série), 127 pour les jaunes (hommes 2e série), 124 pour les bleus (femmes et séniors 1ère série) et 123 pour les rouges (femmes et seniors 2e série).

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Baldock, ils sont allés au bout de leur rêve de créer un parcours, de rêve justement, dans l’un des plus beaux endroits du monde, au plein milieu du grand océan Pacifique (dont on aperçoit le bleu intense depuis les élévations du terrain).

Malheureusement, depuis la territorialisation, les splendeurs d’antan (notamment un lac couvert de nénuphars roses et blancs à côté du clubhouse et une collection botanique exceptionnelle, dont une magnifique pamplemousseraie donnant des fruits délicieux) ont tendance à se faire toujours plus discrètes et même à disparaître victimes d’une gestion quelque peu administrative et radicale.

C’est dommage !

J’aimerais enfin insister sur le fait que je ne suis qu’un modeste et humble cherchant, aussi bien dans le domaine du golf que dans celui des quelques doctrines et théories évoquées au fil de ce recueil. Mes connaissances ne sont que superficielles et je n’ai ni la prétention ni la compétence pour délivrer des conseils ou énoncer des préceptes. Je suis simplement heureux de partager mon expérience et mes réflexions sur le thème : le golf est-il capable de faire de nous des êtres humains meilleurs ? La réponse est oui, bien évidemment, sous réserve toutefois d’en avoir réellement envie.

Ponctué de portraits et d'anecdotes, le récit de mes mésaventures rappellera peut-être pas mal de souvenirs à ceux qui se sont un jour (et pour toujours) passionnés pour le plus subtil et amusant de tous les jeux, mais aussi le plus frustrant, le plus agaçant et qui serait même, selon certains, “un sort que les Écossais ont jeté sur le monde”. P.S.

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Le voile se soulève

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Départ 1 à Atimaono, par 4

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Maudite journée !

En arrivant sur le parcours, je m’aperçois qu’une des roues de mon chariot est à plat. Décidément ! Quand je pense que Didier me les envie ces roues. “Ce doit être bien plus facile à tirer”, m’a-t-il déjà lancé à plusieurs reprises. Je ne sais pas, peut-être. En tout cas, celles de son chariot, pleines et larges en plastique, ne sont jamais dégonflées. Si j’avais su... En attendant, je subis la moitié du parcours avec cette roue crevée. Cela me perturbe et je manque mes coups. Les conditions sont pourtant excellentes, idéales. Plus tard, il fera trop chaud, mais, à ce moment-là, l’air est tiède, parfait. Je manque le par de très peu sur le 1. Je rate complètement mon départ sur le 2 et prends un mulligan3. Je m’énerve.... bogey.

Le golf est vraiment une école de maîtrise de soi. Le handicap constitué par ma roue à plat est important. Je ne parviens pas à m’y soustraire. Mes émotions sont encore très puissantes. Néanmoins, il me semble sentir un léger progrès.

Sur le départ du 3, un long par cinq en double dogleg autour d’une magnifique plantation de pamplemoussiers, je rencontre un de ces jeunes Tahitiens revendeurs de balles, habitant le voisinage du golf et qui hantent les lieux à toute heure.

“Eh ! Meussieur ! Tu veux des balles ?”, me lance-t-il, à la fois brave et intimidé, avec un regard de côté et tout en se dandinant d’une jambe sur l’autre. “Quarrrante balles... Grrratuit, hein ? Tu veux ?” propose-t-il dans un grand éclat de rire...

Ils sont souvent taquins !

3 Un glossaire des principaux termes golfiques est à la disposition du lecteur à la fin de ce recueil.

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Le drive est fabuleux. Comme je n’en avais jamais réussi auparavant sur ce trou. Il traverse presque toute la grande pamplemousseraie et je retrouve ma balle dans le rough, à moins d’un mètre du fairway, de l’autre côté.

Il me vient soudain à l’esprit - pourquoi ? - que le golf a été, sinon inventé (l'origine du golf se perd semble-t-il dans la nuit des temps), du moins préservé, développé et codifié par les francs-maçons écossais à partir du milieu du dix-huitième siècle4. À bien réfléchir, ce n'est guère surprenant. Comme dans la tradition maçonnique, les nombres et leur symbolique sont essentiels au golf.

4 Cf. Le Golf, son histoire, André-Jean Lafaurie (Éditions Jacques Grancher, Paris, 1988). https://encyclopediegolf.fr/projects/la-franc-maconnerie-dans-le-golf

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Tout tourne autour du nombre neuf. Mes lectures m’ont appris qu’il est capital dans la Tradition primordiale. Le carré de trois, la Sainte-Trinité ? Il y a, bien sûr, neuf astres principaux dans notre système solaire, le Soleil et les huit planètes dont la Terre est la troisième, comme par hasard. Ne faut-il pas à l’être humain neuf lunaisons de gestation avant de venir au monde ? Notre corps ne possède-t-il pas neuf orifices ? Un terrain de golf, avec ses neuf trous, serait-il ainsi une représentation symbolique de l’homme ? Un parcours de dix-huit trous représenterait l’union de deux corps, du yin et du yang. Un être humain respire en moyenne dix-huit fois en une minute et son cœur bat soixante-douze fois.

Pourquoi le score maximum pour être classé (initié ?) a-t-il été fixé à 108 (1 + 0 + 8 = 9) (108 = 9 x 12), soit trente-six au-dessus du par ?5

Pourquoi le diamètre des trous est-il de cent huit millimètres ? Cent huit est justement LE nombre sacré par excellence, un symbole puissant que l’on trouve partout dans les religions et la spiritualité, mais aussi dans la science. Sait-on que la distance de la Terre à la Lune correspond en moyenne à cent huit fois le diamètre de la Lune, et que celle de la Terre au Soleil, unité astronomique de référence, est de cent huit fois le diamètre du Soleil ? C’est le nombre des perles disposées sur les mala, ces rosaires ou chapelets orientaux servant à rythmer prières et mantras. C’est aussi le nombre des mouvements enseignés dans le tai chi chuan chinois… Il y a cent huit Upanishad, ces textes sacrés de l’hindouisme qui complètent les Veda, et selon cette tradition le corps humain est parsemé de cent huit chakras ou centres d’énergie vitale traversés par soixante-douze mille nadis, canaux subtils comparables aux méridiens de l’acupuncture chinoise.

La plupart des parcours de golf doivent être joués dans un par de soixante-douze coups. Cela m’évoque le cercle chromatique de Newton, partagé en soixante-douze couleurs et qui apparaît blanc

5 Ce n’est plus vrai depuis que l’on a repoussé ce seuil à 126 (le par + 54), encore un multiple de neuf, dans un souci de “démocratisation” du golf.

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quand il entre en rotation. Sept et deux, neuf, encore, toujours et partout. On pourrait multiplier à l’infini exemples et analogies. À l’évidence, la pratique du golf, telle qu’elle a été codifiée par les francs-maçons, est initiatique et le parcours symbolise la voie, le labyrinthe conduisant à l’éveil, avec ses difficultés et ses obstacles.6 J’aimerais en savoir plus. Ces coïncidences quasi universelles m’avaient déjà sauté aux yeux dès mes débuts de golfeur à la fin des années 1980. J’ai pourtant l’impression d’être le seul à constater ces évidences et à y voir des vérités cachées, ésotériques. Jouer au golf sans les connaître, c’est un peu comme ânonner sans les comprendre des formules magiques ou des textes sacrés écrits dans une langue inconnue, en les vidant de leur substance la plus précieuse et de leur signification profonde.

Mes méditations sur les origines occultes du golf me distraient un peu, mais pas suffisamment pour me faire oublier la roue de mon chariot qui me donne bien du souci. L’engin, ce chariot, je l’ai acheté, il y a deux ans, à Christchurch, superbe ville du sud de la NouvelleZélande où j’ai passé deux semaines de golf itinérantes et fabuleuses. Aucune pièce de rechange n’est disponible à Tahiti. Morosité....

La marque s’en ressent. Malgré un green atteint en trois coups, je dois me contenter d’un bogey sur ce par cinq. Bogey encore sur le 4 puis double bogey sur le 5. Bogey à nouveau sur le 6.

Rien ne va plus ! Et ça ne s’arrange pas. Jusqu’au 8, un par trois que je réussis enfin grâce à une jolie sortie de bunker.

Départ du 9, un long par cinq traversé en diagonale par un chemin bordé de grands arbres. Le soleil est magnifique. Il n’y a pas de vent. Mon par au 8 vient de me redonner une bouffée d’énergie. Le drive s’envole loin, trop à gauche malheureusement. Je pose la tête de mon driver sur le sol… et la sens soudain céder. Je pense aussitôt :

6 En réalité, les familiers de la symbolique savent que le chiffre 9, dernier de la suite décimale, représente l’aboutissement, l’achèvement, la totalité. La pratique du golf étant une manière de réalisation personnelle, d’initiation au tout, il est logique que les francs-maçons l’aient choisi comme racine de leur codification de ce noble sport.

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- Oh, non, ce n’est pas vrai, pas encore !

Une première fois, la tête de ce même club s’était déjà fissurée. Un driver Nicklaus tout neuf, superbe, léger comme une plume, acheté aux États-Unis quelques semaines plus tôt. La fissure s’élargissait peu à peu. Le club était garanti cinq ans. Il fallait le réexpédier chez son fabricant, en Floride. J’avais attendu jusqu'à l’année suivante, un nouveau voyage à Los Angeles. En partant de Santa-Monica, j’avais parcouru les quinze kilomètres de Wilshire Boulevard, dans les deux sens, dans ma grosse voiture de location avant de comprendre que le magasin où j’avais acheté mon matériel n’existait déjà plus (attention, cela se produit fréquemment aux États-Unis où l’on installe des points de vente provisoires dans de simples entrepôts démontables). La tuile !

La chance m’avait finalement souri et j’avais pu faire envoyer le club défectueux à l’usine. Un mois plus tard, je recevais son clone, flambant neuf, directement dans mon bureau à Tahiti.

Avec ma roue crevée, et maintenant mon driver décapité, la journée était maudite. Pourtant, il me semblait que, plus les tourments s’abattaient sur moi, plus je m’en détachais facilement.

Et mon jeu est revenu.

Naturellement, au bois 3, mes drives étaient moins longs. Que fait un harpiste si une corde cède en plein concert ? Il doit s’adapter à la situation. Pour compenser un peu, j’avais décidé de démarrer des marques jaunes (le départ des deuxième série, les golfeurs dont le handicap est supérieur à 12). Cela ne suffisait pas. Les coups partaient superbement, parfois à mon propre étonnement (suivi d’un plaisir tout à fait particulier, à la fois physique et mental), pourtant je perdais trop de longueur pour espérer la régulation.

La chaleur était devenue torride sous le soleil de midi. Je me suis arrêté à l’ombre, près du green du 11. À mi-parcours, j'avais demandé à Théo, “le vieux qui ramasse les balles”, de me prêter un chariot. Théo est un des personnages d'Atimaono. Petit, la peau tannée, aussi sec que le bâton qui lui sert de canne et avec la pointe duquel il

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inspecte les buissons en bordure de parcours à la recherche des balles perdues qu’il revend pour survivre, il fait partie du paysage. D'un âge déjà canonique, mais encore vigoureux, il m'a à la bonne parce que je suis un de ses meilleurs clients, et que je lui rends quelques menus services. Un peu d'argent pour un steak frites au clubhouse, ou reconduire chez elle sa petite amie (incroyablement jeune). Théo habite une maisonnette en bois, à côté du départ du 1. Son histoire est certainement passionnante. Il a beaucoup voyagé au cours de sa vie. Il a eu une bonne dizaine d’enfants vivant un peu partout dans le monde et qui l’ont oublié. Le problème est qu’il n'a plus de dents et que son français est approximatif, j’ai du mal à le comprendre quand il raconte.

Son chariot était plus léger que le mien, mais il ne possédait pas de siège. Je me suis donc assis dans l’herbe. Curieusement, je ne me sentais pas abattu par toutes ces vicissitudes. Ma méditation portait sur le swing. “Un film au ralenti”, le leitmotiv me revient. Comme le mantra à répéter, les visualisations à projeter ou les prières à réciter, on n’y pense jamais quand il le faudrait. Mais, de temps en temps, quand l’esprit s’apaise à l’ombre bienfaisante d’un tamarinier, après avoir croqué dans une délicieuse pomme néo-zélandaise, les bonnes choses remontent à la conscience. Elles parviennent parfois à faire surface dans cet embrouillamini de pensées qui fait nos périodes dites de “veille”.

Le mouvement de golf est une perfection. Lorsque l’on parvient à le maîtriser, il procure une sensation profonde de bien-être et de satisfaction. Le corps s’enroule sur lui-même, puis se déroule de façon harmonieuse, souple, sans aucun effort ni douleur d’aucune sorte. C’est un souffle, un effleurement.

Deux éléments essentiels :

- d’abord le stance, il faut être bien souple sur les jambes, mais pas trop. Le stance doit finalement être assez strict. Je veux dire que les pieds doivent être bien posés. Le pied gauche ne doit pas bouger. On a toujours tendance à voir la pointe de ce

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satané pied gauche tourner vers l’extérieur au moment de l’impact. C’est très mauvais. Cela signifie généralement que l’on a manqué son swing, tout simplement. Le plus souvent parce que l’on a voulu frapper la balle...

- le rythme, le tempo est l’autre élément capital. Sur la base d’un stance bien assuré, le mouvement doit se faire “comme dans un film au ralenti”... Tout mouvement qui se fait “à vitesse réelle” est trop rapide. Mais, attention, ralenti ne veut pas dire mollesse. Combien d’approches trop courtes malgré un swing bien rythmé mais manquant de tonicité.

Savoir doser la tonicité dans un rythme toujours maîtrisé, voilà le secret du swing réussi.

J’y parviens parfois. Après dix années de golf.

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8 août 1998

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Le juge

Vendredi dernier, j’ai joué avec un juge. Il s’appelle Pierre. Il est conseiller à la cour d’appel de Papeete et président de la cour d’assises depuis deux ans environ. Voir un juge jouer au golf, cela m’a - un peu - réconcilié avec la justice. Sur les vingt-huit magistrats des tribunaux de Papeete, quatre, selon mon partenaire d’un jour, fréquentent les greens. Ce n’est pas si mal…

Oh, naturellement, ce n’était pas un joueur très généreux. Il avait une forte tendance au “petit bras”. Des balles courtes, manquant d’énergie, mais droites, précises et régulières. Du bon travail de magistrat.

Je n’étais pas dans un de mes bons jours. De bonnes frappes, longues, mais trop souvent slicées. Le type était tout de même envieux de mon swing. Il a fini par me dire que mon mouvement était “remarquable”. J’étais flatté.

Nous avons évoqué les relations entre la justice et les médias (mon domaine professionnel). Il était intarissable sur le sujet. Les jeunes élèves magistrats suivent désormais, m’a-t-il appris, des cours de relations publiques et subissent des épreuves orales avec de vrais journalistes professionnels. Mazette !

J’avais envie de savoir ce qui, dans le domaine de la justice, pouvait constituer ce qu’on a pour habitude d’appeler une “spécificité locale” polynésienne.

- J’ai exercé ma profession en France et à la Réunion avant de venir ici, m’a-t-il confié. Ce qui m’a frappé chez les Polynésiens c’est leur caractère procédurier au civil. Pour eux, un procès n’est jamais fini. Ils sont incapables d’accepter la

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défaite. Ils reviennent à la charge, encore et encore. Nous sommes obligés de les condamner à des amendes.

En revanche, au pénal, c’est un peu le contraire. Vous prenez un jeune banlieusard métropolitain la main dans le sac avec quatre-vingts témoins, il jurera ses grands dieux qu’il n’y était pas et que les témoins sont tous des menteurs. À Tahiti, jamais ! Quand ils sont pris et convaincus d’infraction, ils ne cherchent pas à nier. Ils reconnaissent tout avec une simplicité et une sincérité qui m’émerveillent. Il leur arrive même, parfois, de reconnaître des crimes ou délits dont on ne les accusait pas. 26 octobre 1998

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La tête

Encore un parcours manqué. Mais alors, celui-là, c'est le pire depuis des années. 104 au bout du compte, un vrai carnage !

Le plus intéressant aujourd'hui (à part un birdie exceptionnel sur le 1) c'est le travail sur la position de la tête. J'ai vraiment compris le rôle de celle-ci. Elle sert de contrepoids à l'extrémité de l'axe constitué par la colonne vertébrale et autour duquel le swing s'opère. Elle doit demeurer immobile jusqu'à l'impact. “Ne jamais quitter la balle des yeux”, c'est un précepte à respecter absolument et sur tous les coups. Bien se positionner, stance pas trop large. Bras tendus, rotation, la tête reste braquée sur la balle... Veiller aussi à monter le club vers l'arrière (pas trop pour ne pas hooker, mais pas trop non plus au-dessus de la tête pour ne pas slicer).

Conditions difficiles encore aujourd'hui ; fort mara’amu7 en rafales, heureusement, car le soleil tapait très dur.

7 Vent frais du sud.

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30 octobre 1998

Zen

Le soleil était fort, pas de vent ou presque. Le marteau, l'enclume et vous, au beau milieu, entre les deux, avec votre petite casquette, vos petites lunettes, votre petite crème protectrice... Face à cette puissance, cet éclat, cette masse.

Résultat final : 100, tout rond, au moins dix coups de trop. Journée décevante, une fois de plus. Je ne parviens pas à retrouver mes sensations de l'hiver dernier. J'ai pourtant bon espoir. J'analyse mieux mon mouvement et commence à comprendre les causes de mes erreurs. Tout cela est un exercice zen. Comme l'archer dont le cœur est relié à la cible, le golfeur doit établir un lien invisible entre la balle et son objectif par la force de son regard. Celui-ci doit être absolument fixé sur la balle jusqu'à l'impact, mais ensuite il doit guider la balle jusqu'à la cible par la force de sa concentration.

Journée à marquer tout de même d'une croix blanche, car c'est la première fois que je parviens à ne pas tricher du tout. Je ne me suis accordé aucun passe-droit, aucun mulligan. Le score de 100 n'est pas très glorieux, mais, au moins, c'est un score réel. Il reflète exactement ma valeur pendant ce parcours. À quoi cela sert-il de tricher avec soimême ? Et pourtant, ne le faisons-nous pas tous, plus ou moins ? Ne vaudrait-il pas mieux faire face et prendre conscience de sa vraie valeur en acceptant son score tel qu'il est ?

6 novembre 1998

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Sécheresse

La sécheresse persiste. Les greens tournent au marron clair. Mais, le spectacle est magique. Une beauté !

Pas pour les responsables du golf, naturellement ! Eux, la catastrophe, ils la voient déjà, j'imagine... Depuis quelques semaines, nous avions enfin des greens presque parfaits, c'est-à-dire au moins jouables, couverts d'herbe partout. Il a fallu de longs mois de travail et des tonnes d'engrais pour obtenir ce résultat. D'aussi loin que je me souvienne, je n'avais jamais vu les greens d'Atimaono en aussi bon état. Ils sont aujourd'hui asphyxiés par cette lèpre brune qui les brûle.

La plaine d'Atimaono est en principe toujours verte. D'abord, parce qu'elle repose sur un sous-sol marécageux (on s'en aperçoit rapidement en saison des pluies), ensuite, parce que le climat de la côte sud de Tahiti est réputé pour son humidité et sa douceur, sa fraîcheur même parfois. C'est une région luxuriante et riche. Le ventre de l'île. La sécheresse y est rare et fort heureusement8 , car toute cette beauté est fragile. Elle est le fruit de la magie de la Nature quand Elle souffle la Vie dans ses créations, comme on insuffle l'air dans une baudruche d'enfant. La campagne est goulue, elle supporte l'absence de pluie tant que ses racines baignent. Sont-elles rationnées qu'aussitôt elle jaunit, durcit, se “poussiérise”. Frapper la balle, dans ces conditions, devient de plus en plus délicat. Le contact avec le sol au moment de l'impact doit être parfait. En revanche, la fermeté du terrain peut compenser certaines erreurs. On peut, par exemple, 8 Ce n’est hélas plus le cas en 2022, avec pas moins de trois périodes de sécheresse d’une durée de plusieurs semaines.

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manquer son drive et frapper une balle trop plate. Pas de problème, elle roulera tellement qu'à l'arrivée cela ne fera aucune différence.

Le 3 en pleine sécheresse

Pourtant, cette fois, la sécheresse est si persistante (elle dure depuis le 30 octobre, au moins - je viens de consulter mes statistiques - c'est-à-dire dix-sept jours pratiquement sans eau) et la chaleur est si intense que les étangs ont baissé, les ruisseaux sont à sec et tout le parcours étouffe, pauvre bigorne sous la frappe du dieu Ra (ce qui, étrangement, signifie “soleil” en reo ma’ohi9 comme dans l’Égypte

9 Langue tahitienne.

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ancienne). Les dégâts risquent d'être profonds et durables sur les greens et même sur les fairways. La faune ailée a pu se réfugier plus haut, dans la vallée, où il fait plus frais, mais les petits animaux terrestres ont cruellement souffert.

Ce matin, le soleil était toujours aussi éclatant, mais il soufflait par bonheur une petite brise du Sud fraîche et agréable. J'ai relativement bien joué. Aucun birdie et seulement quatre pars, mais pas de triple bogey et pas plus de six doubles bogeys. C'est sans doute le secret de l'amélioration du handicap : éradiquer les scores fleuves, surtout éviter quadruple et triple bogeys. Travailler sur la régularité et s'accrocher pour ne pas partir en galère. Rester maître de soi. Ne pas céder aux sirènes qui vous entraînent à la queue d'un coup particulièrement superbe pour se moquer, aussitôt après, de votre pitoyable orgueil en projetant votre balle à quelques mètres à peine, à gauche de préférence, justement dans ces buissons épais où vous avez aussitôt compris que vous pouviez en faire votre deuil.

Humilité, maîtrise de soi dans l'humilité, c'est-à-dire la connaissance modeste de soi-même, l'acceptation réaliste de sa véritable situation. “Connais-toi toi-même et tu connaîtras les secrets du monde et de l’univers”, pouvait-on lire sur le fronton du temple de Delphes. Accepte-toi avec tes faiblesses, fais de ton mieux, mais confie-toi au ciel pour le reste.

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10 novembre 1998

Litchizzzzz

La plaine d'Atimaono n'est pas seulement un parcours de golf. Celuici, construit en 1970, n’occupe qu’une faible partie du domaine10 , aujourd'hui public, mais dont l'histoire est extraordinaire. Au siècle dernier, William Stewart, un Écossais (tiens, tiens !) en était devenu propriétaire en 1864, peut-être par mariage avec une princesse locale ou, plus simplement, contre quelque pacotille dont les Tahitiens s'étaient soudain découvert le plus urgent besoin, à moins que ce ne fût - pourquoi pas ? - en échange de quelques bouteilles, ce genre de transaction n’était pas rare à l’époque.

Stewart, un peu trafiquant d’alcool et d’armes, était donc propriétaire de cet immense domaine de près de quatre mille hectares, dont mille cinq cents cultivables et le reste en montagne. La seule vraie plaine de Tahiti, le seul endroit de l'île où l'on puisse réellement travailler la terre, une terre généreuse, à grande échelle, à l'échelle de l'exportation.

Pendant ce temps, aux États-Unis, la Guerre de Sécession mobilisait les hommes. On manquait de coton pour vêtir les soldats. Notre propriétaire s’était mis en tête d’en cultiver à Atimaono pour l’exporter en Amérique. Seulement voilà, question coton, question culture et pour cueillir les petites boules blanches en plein soleil, le Ma’ohi ne remplacera jamais l’esclave noir. Et, justement, les esclaves noirs se faisaient de plus en plus rares. C'était aussi le moment où la Chine était en pleine guerre, en pleine famine, en plein désastre. Des milliers de Chinois étaient à l'affût d’une opportunité de quitter leur pays pour tenter leur chance au-delà des mers. Il y avait là une

10 Seulement 60 ha sur les 1 550 ha du domaine.

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formidable réserve de main d'œuvre bon marché, travailleuse, sachant s'adapter à toutes les conditions de vie et particulièrement docile. L'ouvrier idéal, en quelque sorte.

Stewart en fit venir mille, plus quelques centaines d’Océaniens d’archipels voisins de Tahiti (Iles Cook, Tuamotu, Kiribati et même Ile de Pâques). Au début, cela a marché à peu près comme prévu. Mais, ce que notre entrepreneur aurait dû prévoir, justement, c'était que la Guerre de Sécession allait cesser, c'était sûr. La paix, il la voyait suffisamment éloignée pour lui permettre de rentabiliser ses investissements. Malheureusement pour lui, les préparatifs s’éternisèrent et, quand il put enfin commencer à livrer son coton, la guerre était déjà sur le point de s’achever. Peu de temps après, le Sud américain fournissait à nouveau la précieuse fibre pour un prix nettement plus attractif.

Stewart fit faillite, mais les Chinois restèrent11 .

Le domaine d’Atimaono conserva néanmoins sa vocation agricole. Le village fut occupé par des familles tahitiennes. On y testa le café, la vanille et la canne à sucre. On y produit même encore un peu de rhum aujourd’hui. Tout au fond, au pied des collines, c'est un vrai jardin d'éden. Il y pousse de multiples essences dont, probablement, les derniers litchis sauvages de Tahiti.

Tout cela pour dire que ce matin, après mon parcours, je me suis arrêté devant la cabane d'Hélène, la gardienne tahitienne du golf, pour la saluer. Elle trône à l’entrée du parcours, dans une minuscule hutte antique couverte de ni’au12. C'est alors que j'ai remarqué les sacs de litchis. Il est exceptionnel de trouver ces fruits à la vente. Ils sont désormais si rares à Tahiti qu’ils sont généralement aussitôt dévorés par ceux-là même qui les cueillent ou par leurs amis. Ce sont les

11 Sur l’histoire d’Atimaono, on peut lire La Grande plantation d’Albert t’Serstevens, (Albin Michel, Paris, 1952). En réalité une majorité de ces premiers coolies retournèrent en Chine.

12 Palmes de cocotier tressées.

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premiers de l'année (la pleine saison est étalée sur décembre et janvier, et c'est typiquement le fruit de Noël). Le litchi est un fruit délicieux et extrêmement exotique. Celui que l'on trouve à bon compte dans les supermarchés européens n'a rien à voir avec celui que l’on a la chance de consommer à Tahiti (importé de NouvelleCalédonie et surtout d’Australie) beaucoup plus charnu, juteux et sucré... Cela dit, à plus de deux mille cinq cents francs le kilo, on hésite un peu. Ceux d'Hélène, récoltés le jour même à quelques centaines de mètres de là, étaient à moitié prix (TVA comprise - oui Madame, la TVA s’applique même aux litchis sauvages du fond du domaine d'Atimaono, le mythe en prend un coup, non ?)

18 novembre 1998

Départ 2, par 3

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Albatros

C'est fou ce qu’il vient de m'arriver aujourd'hui. J'ai réussi un albatros. C'est tellement incroyable que personne ne le croira et, comme il n'y avait aucun témoin, je suppose que je devrai garder ce secret toute ma vie.

Il faut dire qu'un albatros, c'est forcément un coup de chance. Et quel coup de chance !

C'est à peu près comme gagner au loto. Ça n'arrive jamais. À moi, c'est arrivé ! Je n'en reviens pas. Je rappelle, pour ceux qui l'ignoreraient, qu'en termes golfiques, albatros désigne un trou atteint en trois coups sous le par (en un pour un par quatre, par exemple, ou en deux pour un par cinq). Il n'y a guère qu'un seul par 4 à Atimaono où un tel exploit soit possible : le 4. C'est un trou relativement court, en descente, dont le green peut être assez facilement atteint en un coup de driver et même de bois 3 pour les meilleurs. Je l’ai déjà fait à plusieurs reprises, j’ai même dépassé le green. Il faut juste avoir la chance que la balle entre dans le trou. C'est ce qu’il m'est arrivé aujourd'hui. Je ne sais pas quoi dire. C'est dingue !

Oui, bon, sauf que tout cela est pure invention. C'est vrai qu'il m'est arrivé souvent d'atteindre le green de ce 4 en un coup. Il est donc vrai que l'albatros est possible (même si le trou est bien protégé par un bunker de chaque côté du green). On peut envisager que quelqu'un, un jour, ait eu la chance de faire ce trou en un.

Mais, ce n'est pas moi.

Que peut-il se passer dans la tête d'un golfeur en pareille occasion ? Un coup fabuleux, unique, historique même, et personne, pas un témoin pour dire qu'il a tout vu, qu'il a assisté à cette merveille.

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La balle s'élève dans le ciel, droite, elle suit la courbe du terrain, comme un sauteur à ski, et touche le sol au creux du fairway avant de remonter en roulant vers le green. Le terrain est sec, elle n'est pas freinée. Sa course est rectiligne entre les deux bunkers. Elle tressaute sur les petites bosses de l'avant-green et… le miracle se produit. Soudain, un dernier rebond la projette légèrement vers la droite. Elle a encore de l'énergie et roule, roule... Le drapeau est sur sa trajectoire, elle le percute en douceur avant de tomber maîtrisée au fond du trou.

Du départ, sur la butte tout là-haut, dans cette lumière étincelante de fin de matinée ensoleillée, on ne peut rien voir de cette scène qui

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Fairway et green 4, par 4

se déroule hors de portée du regard d'une personne normalement constituée. On découvre le résultat sur place, lorsqu'on débouche sur le green. On a clairement vu la balle s'engouffrer, mais on ne peut d'abord la localiser. “Elle a dû dépasser”, pense-t-on d'abord. C'est déjà arrivé maintes fois... Ou bien est-elle dans un coin de bunker ? Avec ce soleil et ce sable blanc éblouissant, difficile de repérer la petite boule. Mais non, après inspection minutieuse, elle n'est nulle part. C'est alors que l'idée nous frôle.

Et si ?... Mais, non voyons, c'est impossible ! Cela n'est jamais arrivé...

Et pourtant… On se dirige doucement vers le drapeau, le cœur battant. On n'ose pas regarder... La balle est là, au fond du trou, comme un petit œuf dans son nid. On se dit que c'est extraordinaire. On ne peut y croire. Puis, on pense que ce coup exceptionnel vient d'effacer tous les points en trop accumulés sur les trois premiers trous, tous passés en bogey, et, qu'après quatre trous, on est à even par. On a bien le droit de rêver de temps en temps, non ?

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2 décembre 1998

Vieillesse… et tricherie

Le golf est une école de maîtrise, c'est un yoga. Les mouvements doivent se faire dans la relaxation la plus parfaite et, en même temps, avec le contrôle le plus étroit, du souffle notamment. C'est cela qui est difficile et réclame une attention soutenue.

Il me vient à l'esprit deux réflexions : la première sur la vieillesse et l'autre sur la tricherie, la tricherie avec soi-même notamment.

Depuis quelques semaines, depuis mon retour d’un voyage en France, j'accumule les signes de fatigue physique. Un torticolis, d'abord, comme je n'en avais jamais subi. Un matin, il était là, paralysant toute la partie gauche de ma nuque, l'épaule en dessous, et jusqu'au milieu du dos. Particulièrement douloureux, une mobilité générale réduite d'au moins un tiers. J'ai tout essayé, le chiropracteur, l'acupuncteur, les corticoïdes. Rien n'y faisait. Ma femme m'a beaucoup aidé. Elle me massait deux fois par jour. Peu à peu, la bête a lâché prise. Chaque jour, je récupérais un peu de ma mobilité perdue. Cela a duré trois semaines, un mois. J'avais retrouvé mes forces à quatre-vingt-quinze pour cent. Les cinq pour cent restant, je ne les ai plus récupérés. Certains mouvements de tête que je pouvais faire sans aucune difficulté, me causent désormais des tensions et quelque douleur.

Et puis, il y a eu la grippe... ou le rhume, je ne sais pas, en tout cas une de ces saletés que l'on attrape régulièrement sous nos latitudes. Les symptômes sont presque toujours les mêmes : nez qui coule, éternuements, migraine, fatigue, toux parfois, extinction de voix souvent. Rien de mieux à faire que de se couvrir et de se mettre au lit quand on le peut. Nouveau record de durée. Semblant de guérison, puis rechute avec aggravation, deux, trois fois comme cela… Au bout

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d'un mois j'ai fini par m'en sortir à peu près, mais dans quel état de fatigue !

Alors, j'ai eu l'œil gauche fermé pendant plusieurs jours par une forte conjonctivite. Très agréable. Tristes Tropiques !

Départ 3, par 5

À peine mon œil reprenait-il son souffle que ma lèvre inférieure donnait des signes d'éruption d'herpès. Une vraie calamité provoquée par un virus qui s'installe à demeure et à vie dans votre corps. Il paraît qu'un tiers des Français en sont atteints. On n'en souffre pas en permanence, mais, une fois par an, ou deux fois, parfois tous les deux ans, il se produit une éruption cutanée, le plus souvent sur la lèvre,

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toujours au même endroit. Si l'on ne fait rien, un petit bouton assez douloureux se développe jusqu'à s'ouvrir et laisser une plaie qui mettra deux bonnes semaines à guérir et à disparaître sans laisser de trace… Jusqu'à la prochaine crise. Pendant ce temps, cet herpès est extrêmement contagieux et peut se transmettre par simple contact. En revanche, il n'y a aucun danger entre les périodes d'éruption. Certaines crèmes permettent d'atténuer les effets de la crise et notamment d'éviter le développement du bouton jusqu'à sa rupture. La durée de la crise peut être réduite des deux tiers, si l'on agit avec précocité et ténacité.

J'avais donc les doigts et la bouche encore pleins de pommade quand je me retrouvai avec la hanche gauche bloquée. Cela fait maintenant plusieurs jours que je souffre du bas du dos, à la manière d'une sciatique.

Cette accumulation soudaine et incroyable de souffrances physiques a évidemment des conséquences sur ma forme générale et, tout en faisant mon parcours de golf aujourd'hui, je m'examinais intérieurement. Je sentais mes articulations raides, mes jambes lourdes, mes hanches douloureuses et figées. La pesanteur était pesante, je la sentais vraiment sur mes jambes qui ployaient un peu sous elle. Et je me voyais peu à peu m'affaisser, comme tous les hommes qui vieillissent.

Serait-ce cela la vieillesse ? Ces douleurs insidieuses, pas totalement invalidantes, mais avec lesquelles il faut peu à peu s'habituer à cohabiter et qui prennent de plus en plus d'espace. J'ai voulu absolument faire ce parcours aujourd'hui, malgré des reins bloqués. J'ai voulu forcer un peu, pour voir.

Résultat médiocre, mon score est lamentable et mes douleurs n'ont pas disparu.

À cinquante ans, connaît-on déjà les souffrances de l’âge ? Est-ce une mauvaise passe ou le début du déclin ? Nous verrons bien.

Maître de soi et détendu en même temps... Voilà le secret dans la vie et au golf. Rester maître de soi, c'est aussi, à mon sens, éliminer

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toute tricherie, même lorsqu'on joue seul. Les règles doivent être respectées, c'est le seul moyen de connaître sa vraie valeur. À la fin, il n'y a que le score pour nous évaluer. Ce score doit être le reflet fidèle de nos performances. Or, il est très tentant de tricher. On déplace légèrement une balle dont le lie est trop inhospitalier, on s'accorde un mulligan ici ou là, notamment lorsqu'on perd une balle au départ d’un trou ou lorsque l'on manque lamentablement un coup, gâchant ainsi une série qui amenait immanquablement au par...

Résister est dur, mais il le faut. C'est ce que je fais depuis quelques mois, depuis que j'enregistre mes statistiques. À quoi servirait-il d'analyser de faux chiffres ? Le respect de la règle du jeu, quoi qu'il arrive, c’est le respect de soi-même. C’est le seul moyen de se perfectionner dans toute activité, quelle qu'elle soit. De toute manière, la tricherie laisse un goût amer et des traces indélébiles. Les joueurs de golf qui ne respectent pas les règles parce qu'“ils ne sont pas en compète”, ignoreront toujours leur véritable niveau et ils auront beaucoup de difficultés à progresser. Ne pas respecter les règles d'un jeu, c'est ne pas jouer à ce jeu mais à un autre, semblable peut-être, mais différent. Ne pas respecter les règles du jeu de golf, c'est jouer à tout sauf au golf. En effet, le jeu de golf consiste pour l’essentiel à envoyer une balle dans un trou situé à une distance comprise entre cent et cinq cents mètres environ, en la frappant à l'aide de clubs, dans le plus petit nombre de coups possible et sans jamais intervenir sur la position de la balle ni, cela va de soi, changer de balle en cours de jeu. Or, n'est-ce pas justement ce que nous faisons bien souvent, lorsque cela nous arrange et que personne ne nous voit ?

Pour l’entraînement, il y a le practice sur le driving range ou le putting green. Dès que l'on est en jeu, les règles doivent être appliquées, que l'on soit seul ou même entre amis.

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6 janvier 1999

Record battu

Aujourd'hui, j'ai battu mon record avec un beau 91 (+ 19). Un score exceptionnel pour moi, et obtenu dans des conditions relativement difficiles de forte chaleur, sans air. Cinq pars réussis et au moins trois manqués d'un rien. J'ai même réalisé un joli birdie sur le 10. Malheureusement, il ne comptait pas à cause d’une pénalité pour départ dans la rivière.

Mes coups sont bien meilleurs. Il m'arrive presque à chaque sortie de faire de plus beaux tee shots sur tel ou tel trou. Aujourd'hui, c'était tout spécialement le cas sur le 5, sur le 11 et surtout sur le 15.

12 février 1999

… puis rebattu !

Nouveau record à 18. Une exceptionnelle deuxième partie de parcours avec un total de 42, soit six seulement au-dessus du par. Par la même occasion, je bats mon record de pars dans une même partie.

Il passe de six à sept, et même à huit puisque je réussis un magnifique birdie sur le 10. Superbe journée. Sensation de plénitude. Grand plaisir du jeu et des coups exceptionnels qui laissent pantois mon partenaire du jour, et me ravissent. Des frappes au bois 3, en particulier, sur le 9, le 11 et le 18. Je sens que je tiens quelque chose, enfin, mais je ne sais pas encore quoi… 5 mars 1999

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Secret dévoilé

Euréka ! Ça y est, j'ai trouvé. L'évidence m'est soudain apparue. Je jouais de façon moyenne aujourd'hui. J'étais surtout ému par la beauté du parcours, gorgé d'eau, reverdi, épanoui et souple comme un velours. Les arbres se redressent et se laissent aller sous la caresse du vent et de l'eau. Ils rayonnent. C'est la saison des mombins, ces petits fruits orange, en forme d'œuf avec un gros noyau. Leur saveur est acide et douce à la fois.

Le mombin du 16

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Méditations d’un golfeur solitaire

Cette année, ils sont en retard, mais abondants. Les mombins sont des arbres majestueux. Une bonne vingtaine d’entre eux sont répartis sur le parcours. Sur le 16, il y en a un, particulièrement beau, en plein centre du fairway. Ses fruits répandus par centaines dans l'herbe tout autour, lui faisaient comme une couronne orange, une aura.

J'ai repensé à cette histoire de francs-maçons. Le jeu de golf, codifié par les francs-maçons, n'est-il pas une discipline initiatique symbolisant les difficultés de l’existence ? Il permet de découvrir les manières appropriées et justes d'aborder ces difficultés et de les résoudre dans le respect des autres et de soi, tout en faisant appel aux outils de base du maçon : l'équerre et le compas.

La franc-maçonnerie fut une tradition initiatique héritière de l'ancienne Égypte et de l'hermétisme grec. Comment ne l'ai-je pas remarqué plus tôt ? C'est tellement clair et évident. Construire, se construire. Partout, l'équerre et le compas, dans toutes les activités du maçon, qu'elles soient sacrées ou profanes puisque cela ne fait, en réalité, aucune différence. L'équerre pour la raison, la droiture, la réflexion, l'enracinement dans la terre et le compas pour le mouvement maîtrisé, parfait, comme l'univers symbolisé par le cercle, pour l'énergie de l'esprit.

La fameuse croix rouge que les chevaliers du Temple portaient sur la poitrine et qui figurait sur leurs étendards est aussi le fruit de l’équerre et du compas. L’équerre pour la croix, bien sûr, et le compas pour les arcs de cercle conduisant aux huit pointes, lesquelles, avec le centre de la croix, donnent encore le nombre neuf. L’angle droit de l’équerre est à quatre-vingtdix degrés et la totalité du

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cercle est de trois cent soixante degrés. Toujours et encore des multiples de neuf. N’y a-t-il pas là un vrai thème de méditation ?

Si l’on considère le mouvement de golf à partir de cette référence immuable, soudain tout s'éclaire ! Bon sang, mais c'est bien sûr… L'équerre, c'est l'alignement perpendiculaire à la ligne reliant la balle au drapeau. J’ai soudain la révélation que le terme anglais square, couramment utilisé pour décrire cette attitude du corps, a la même étymologie, la même racine que le mot “équerre” dont il n’est qu’une variation phonétique. Les pieds fixés au sol, à l’équerre par rapport à la cible, deviennent alors la pointe du compas. Les bras, prolongés du club, sont le crayon qui doit dessiner un cercle parfait dans l'espace. L’équerre et le compas étaient les outils de base indispensables aux maçons pour construire les cathédrales. Le golf fut fondé sur les mêmes symboles pour nous aider à édifier notre propre cathédrale intérieure.

On peut voir là un rapprochement frappant avec la discipline du tir à l'arc dans le zen. Le geste juste est le résultat d'une pensée juste, d'une attitude juste, d'un souffle juste, le tout témoignant d'une maîtrise et d'une harmonie parfaites13 .

13 Il est frappant de noter que les golfeurs écossais de Saint-Andrews qui ont rédigé les premières règles du golf en 1754 dans une auberge (The Blue Bull), partageaient les locaux où ils se réunissaient avec des sociétés d’archers. Les mêmes passionnés pratiquaient souvent les deux sports et certaines compétitions folkloriques font encore aujourd’hui s’affronter, sur le même terrain, un golfeur et un archer, reconstituant ainsi l’une des plus anciennes formules de compétition de golf (cf. AndréJean Lafaurie, Le Golf, son histoire de 1304 à nos jours, Ed. Grancher, Paris, 1988).

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10 mars
1999

La pointe du compas

On voit vraiment de tout sur ce golf d'Atimaono, on y rencontre toute sorte de gens. On y est parfois le témoin de scènes surréalistes. Aujourd'hui, un homme faisait son parcours en courant. Il était équipé en jogger - short blanc, tee-shirt et chaussures de course mais, tout en courant, il traînait un chariot de golf et frappait sa balle devant lui. Avant de le voir, j'ai été surpris de l'entendre arriver rapidement derrière moi. “Tchhhh ! Tchhh ! Tchhh ! …” Son souffle saccadé et ses clubs qui bringuebalaient dans son sac me firent retourner brusquement. En le laissant me dépasser, je lui dis :

- Passez donc devant, puisque vous semblez pressé.

- Je ne suis pas pressé, me répondit-il, tout essoufflé et courant sur place dégoulinant de sueur, je fais seulement deux choses à la fois, je cours et je joue au golf, comme ça je gagne du temps.

- Ah ça, lançai-je, ce n'est guère productif de faire deux choses à la fois, surtout au golf. Cela ne peut mener à rien de bon.

Effectivement, empêtré dans son chariot, le pauvre garçon faisait un peu pitié. Il ne pouvait courir correctement et devait s'arrêter à chaque fois pour frapper sa balle. Quant à la qualité de son jeu de golf… Sans commentaire.

J'ai côtoyé également un homme qui avait totalement perdu son golf. Cet homme, ce fut moi pendant deux ou trois trous, comme d'habitude malheureusement. Ce fut surtout cette boule de nerfs ambulante qui m'a rattrapé sur le 13. Le malheureux, je n'ai jamais vu une galère comme la sienne. Le gars portait un nom russe qui me faisait penser à des cigares ou à un romancier du dix-neuvième siècle. Pendant plus d'une heure, il a essayé de jouer sans réussir le moindre

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coup. Sa balle partait à droite, à gauche, jamais à plus de dix ou vingt mètres. J'étais gêné pour lui, mais je l'ai trouvé relativement stoïque. Il avait apparemment gardé de ses ancêtres slaves le self control et l'élégance dramatique qui les caractérisent.

Aujourd'hui, j'ai joué vingt-sept trous. Cela m'arrive rarement et, cette fois encore, j'aurais mieux fait de me limiter à dix-huit, surtout sous cette chaleur de midi. Sur les derniers trous (du 5 au 9), j'avais énormément de mal à frapper la balle. Mon corps ne répondait plus. Il était presque figé.

En revanche, je dois signaler quelques coups fabuleux, comme sur le 11 où je fais un drive record qui dépasse les piquets des cent trentecinq mètres. Et sur le 18 où j'enchaîne un départ au bois 3 (j'ai opté pour ce club à cause des rafales de vent) tiré au cordeau et d'une longueur surprenante, puis un deuxième coup, encore au bois 3, qui propulse ma balle largement au-delà des cent trente-cinq mètres. Malheureusement, ces deux coups magiques ne seront pas ensuite confirmés par un par.

Enfin, je dois dire que j'ai découvert un élément important du swing en l'expliquant à une partenaire éphémère. Ses coups ne partaient pas. De plus, elle était obligée de corriger ses slices en s'alignant exagérément sur la gauche. En l'observant, je me suis aperçu qu'elle soulevait son talon gauche très haut lors du backswing. Or, le pied gauche est la pointe du compas. Il ne doit pas bouger, et même s'il ne supporte pas le poids du corps pendant la montée du club, il doit rester fixe au sol autant que possible. C'est autour de lui que le swing s'enroule. Si l'on soulève trop le talon gauche, il est ensuite pratiquement impossible de le reposer au bon endroit, le pied se déplace forcément, si peu que ce soit, faussant l'alignement. La balle part alors sans puissance et souvent n'importe où.

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1 er avril 1999

Le symbole ultime

Cela fait environ dix ans que je joue au golf. Il me semble pourtant que je n'éprouve de réelles sensations que depuis quelques mois seulement. Je me trompe sans doute. Je n'aurais sûrement pas autant persévéré si je n'avais éprouvé aucun plaisir à jouer. En outre, mes scores ne s'améliorent pas vraiment. Je continue depuis des années à tourner autour de 25.

À présent, je sais de plus en plus pourquoi je joue. C'est à la fois un travail sur moi-même absolument fascinant et une source de plaisir difficilement descriptible. C'est une école de maîtrise et de patience, de lutte contre le doute. Et quand le plaisir est proportionnel à l'effort consenti pour respecter toutes les règles et réaliser le coup le plus parfait possible, c'est un enchantement.

Au fil des parcours, je perfectionne ma conception du mouvement et les résultats sont là ! Aujourd'hui, par exemple, ce fut une journée partiellement magique avec des coups superbes, de nouveaux records de distance, de précision et de pureté du geste (les trois sont inséparables) ; malheureusement, ce fut aussi une journée d'enfer.

Mais, quels coups ! Il y en a eu tellement que je ne me les rappelle pas tous. Il y a eu ce deuxième coup au bois 3 sur le 18. Soleil voilé, chaleur lourde, pas de vent. Un drive bien placé pile en face du drapeau, à vingt-cinq mètres à droite du lac. Je prends tout mon temps pour assurer mon alignement, puis, calcul de la vitesse de rotation du corps. Premier coup d'essai, trop rapide ; second coup d'essai, trop lent ; troisième, impeccable. Et je frappe : la balle part droite et haute, splendide sur le bleu du ciel, un mouvement parfait. La sensation est puissante et forte, le vol de la balle n'en finit plus, au milieu du fairway, c'est un véritable orgasme. Mon partenaire du

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moment est écœuré… Je ne confirme malheureusement pas sur le troisième coup, raté, qui se termine dans le rough à gauche, mais je conclus sur une approche au pitch à moins d'un mètre du drapeau, suivie d'un petit putt facile. Un par à signaler pour sa rareté sur ce dogleg difficile et piégeux.

Je ne peux pas citer tous les coups magiques que j'ai eu la chance de réussir aujourd'hui, mais, à cause de trois trous (7, 11 et 15) totalement manqués (sextuple et deux quadruples bogeys) mon score se limite encore à 24. Sans ces erreurs grossières (deux balles dans la rivière au 7), je pouvais facilement rester sous les 90, disons aux alentours de 85 - 86, je sens que de telles marques sont désormais à ma portée.

Je le sens aussi parce que je comprends de mieux en mieux le mécanisme du swing. Ma méditation se prolonge sur l'aspect symbolique de ce jeu, de ses règles et de son mouvement. J'ai eu la révélation de l'équerre et du compas, mais tout cela va bien au-delà : le swing de golf est en réalité, “tout simplement”, une manifestation concrète du symbole ultime : la spirale qui s'enroule autour d'un axe. C'est le caducée des médecins. C'est la danse sacrée des soufis adeptes d'un islam ésotérique - et des derviches. C'est la carole, la danse de l'univers : planètes, galaxies, mondes tournent tous ainsi, régulièrement autour d'un axe central. L'axe, c'est la jambe gauche, bien plantée sur terre : la rotation se fait autour, maîtrisée, rythmée. On arme le ressort, lentement, avec précaution, puis il suffit de le laisser se relâcher, sans forcer, surtout, sans frapper la balle. Ce symbole, c'est aussi la croix telle que René Guénon, le grand traditionaliste initié (par les soufis justement), le décryptait. C'est la swastika indienne, qui représente une croix en mouvement rotatif.

Très forts ces francs-maçons tout de même… Mais, aujourd'hui, combien de golfeurs, même parmi les meilleurs et les plus avertis, ont-ils encore conscience de ces choses ?

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9 avril 1999

Quand la souffrance aide à progresser

Mardi, il faisait chaud, une de ces chaleurs torrides du mois d'avril, sans air. On se traîne sur le parcours comme dans la Vallée de la Mort.

La respiration est difficile, la marche aussi. Bref, les conditions sont rudes ! D'autant plus qu'une grève, très discrète, des employés du golf a permis à l'herbe de pousser, rendant le parcours beaucoup plus technique et délicat. On perd ses balles dans des roughs de trente centimètres. Partout, on voit les groupes de joueurs tourner en rond à la recherche des petites boules blanches.

Sur les greens, c'est la catastrophe. Un gazon d'un centimètre freine les balles. Si l'on attaque un peu, cela devient de l'acrobatie, la balle sautille et sa direction est incontrôlable. Ce n'est pas tout. L'herbe dégueule à l'intérieur des trous dont elle réduit l'ouverture de près d’un tiers. Si la balle n’entre pas directement, elle a tendance à être éjectée vers l'extérieur par ce bourrelet vert qui recouvre le bord.

Malgré ces conditions spéciales, je termine sur un honorable 21. Je joue pendant quelques trous avec Catherine, une femme déjà mûre, mais à la silhouette parfaite. Catherine est, selon ses propres termes, “une femme entretenue et ravie de sa situation”.

Quelques coups de golf plus tard, nous étions à tu et à toi.

Une femme nerveuse, aimant les activités trépidantes pour se sentir plus vivante. Joueuse passionnée de tennis et de bridge jusqu'à des heures avancées de la nuit. Son speed m'a un peu gagné, à tel point que je me suis fait très mal au dos sur le 13. J'en suis resté handicapé pendant deux jours. Heureusement, grâce aux doigts de fée de ma chère épouse et à ses massages magiques, j'étais déjà mieux le surlendemain et prêt pour un nouveau parcours trois jours plus tard.

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Le vendredi est arrivé. Je n'avais plus mal, mais je sentais mes lombes fragiles. En réalité, j'ignorais totalement si je serais capable de jouer ou pas. La douleur n'allait-elle pas se déclarer à nouveau dès les premiers swings ? Une chose était certaine, il fallait absolument éviter les mouvements intempestifs, tordus et malfaisants. Pour cela, je devais impérativement contrôler ma vitesse de rotation, rester souple et feutré. Cela a marché au-delà de mes espérances. J'ai fait tellement attention, je me suis si bien appliqué que mon jeu s'est régularisé. Je n'ai réussi que trois pars et un birdie (sur le 714), mais je n'ai pas fait plus de trois doubles bogeys et aucun triple. Onze bogeys en tout sur ce parcours qui s'achève sur un record absolu de 16.

Fairway 7

14 Un exploit unique, plus jamais répété sur ce trou le plus difficile du parcours.

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Les progrès sont indéniables, je les sens. Je sais que je régresserai encore et que je connaîtrai des scores fleuves, insupportables de bêtise et de distraction, néanmoins je suis sur la bonne voie. Je comprends les choses de mieux en mieux, la structure du mouvement construit autour des deux instruments sacrés que sont l'équerre et le compas. Pour que le cercle (le swing) soit parfait, l'autre bras du compas doit rester d'une longueur invariable et dans un plan unique. La montée doit par conséquent être soigneusement maîtrisée, lente et pas trop accentuée. Le bras gauche doit rester bien tendu, les poignets se cassent en fin de mouvement. Une fois le ressort armé, il suffit de le laisser se dérouler tout en surveillant la longueur du compas et le plan de rotation. Cela se fait presque tout seul si l'on trouve la bonne vitesse. Celle-ci dépend essentiellement de notre concentration et de notre relaxation. Si l'on a bien pris ses repères et que l'on swingue en douceur, tout se passe généralement bien. Ce fut le cas aujourd'hui, sous un soleil brûlant, mais rafraîchi par une agréable brise du sud. La souffrance, la peur de la souffrance m'ont été bénéfiques. J'ai limité mes prétentions et j'ai reçu plus que jamais.

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16 avril 1999

Élixir de Jouvence

Un birdie extraordinaire sur le 18 pour finir ce parcours si mal commencé. Jamais je n'avais joué aussi bien sur ce trou. Sensations magiques. Les balles s'envolaient et se plaçaient avec une incroyable précision. Le temps était chaud, pas de vent, soleil brillant et le terrain dur comme du béton. Les fairways sont grillés. Mais, ô miracle, l'équipe d'entretien (qui n’est plus en grève) a réussi à préserver les greens dans un état splendide. Ils font comme des oasis, des taches de fraîcheur verte sur fond de paille brune. C'est superbe !

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Méditations d’un golfeur solitaire

Pendant ces trois derniers jours, je suis resté sur le petit nuage où m'avait placé ce birdie sublime. J'avais hâte de retrouver le parcours. Mais, cette hâte est désormais plus sereine, plus calme, plus lente. Je sens des progrès rapides en ce moment. Il me semble que je grimpe d'un cran, vers un palier supérieur.

Aujourd'hui, vendredi, les choses ont commencé de manière habituelle, avec deux bogeys d’entrée. Sur le 3, j'ai été rejoint par Lionel, un jeune Tahitien d'une vingtaine d'années, un habitant de la vallée. Il portait des clubs, mais jouait pieds nus. Comme nous engagions la conversation, avec la spontanéité et la fraîcheur caractéristiques des Océaniens, il me révéla qu’il sortait tout juste de prison après une peine de plus d'un an pour culture et vente d’herbe de cannabis, le pakalolo comme on l'appelle ici.

Comme beaucoup de jeunes Tahitiens nés et vivant à Atimaono, Lionel joue tout naturellement un golf de haut niveau sans avoir jamais “appris”, au sens convenu du terme. Il a commencé à jouer dès qu’il a été capable de tenir un club. Pour lui, le golf c’est comme respirer ou marcher.

Malgré son éloignement, forcé et prolongé, du parcours, il n’avait rien perdu de son swing pur et souple, d’une puissance étonnante. M'a-t-il porté chance ? Manifestement, il me communiquait un peu de sa jeune énergie. Toujours est-il que j'ai pratiquement fait jeu égal avec lui jusqu'au 7 où il a décidé d’arrêter. Son pied le faisait souffrir, me dit-il, séquelle d'un accident de scooter, et il manquait d'entraînement (version officielle, je suppose qu’en réalité, il redoutait de se faire repérer par le marshal en s’approchant trop du clubhouse).

Avant de me quitter, il m’a offert un cadeau formidable : un coup de fer 6 éblouissant qui m’a littéralement abasourdi. Après un drive à moitié manqué, ma balle reposait à cent soixante-dix mètres du drapeau, dans le rough, sur la gauche du fairway, derrière une rangée de pamplemoussiers. Le green du 7 est protégé par une large rivière mangeuse de balles.

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- Prête-moi ton fer 6, me dit Lionel.

- Mais… !

Incrédule, je lui ai tendu le club qu’il me demandait. Le fer 6 était beaucoup trop long pour aller se placer devant la rivière. Le jeune homme avait certainement dans la tête de traverser. Je ne pouvais imaginer une seconde qu’un tel coup fût possible au fer 6, d’aussi loin et dans une position si défavorable.

Lionel a pris son stance derrière ma balle, il a soufflé un bon coup, puis, dans un mouvement impressionnant, il a décoché un coup de golf magistral. La balle s’est envolée très haut, vers la droite, en direction d’un grand sapin marquant les cent yards du green. J’ai pensé qu’il avait bien touché, mais, malheureusement, avec un mauvais alignement. C’était forcé, avec ce pamplemoussier juste devant lui… !

Soudain, la trajectoire de la balle s’est inversée. Je n’en croyais pas mes yeux ! À une vitesse folle et à vingt mètres au-dessus du terrain, elle a brusquement amorcé un virage à gauche avant d’aller se poser sur le green à quelques pas du trou. Elle n’a même pas roulé. Je n’ai pas pu m’empêcher d’applaudir.

Lionel s’est tourné vers moi avec un large sourire, puis il a replacé le fer 6 dans mon sac avant de s’éloigner sans un mot.

J'ai continué seul, un peu sonné par ce que je venais de voir, un peu dans un état second. J’ai tout de même achevé ce demi parcours sur un excellent 8.

Après un bref arrêt buvette au clubhouse, j'ai entamé la seconde partie du parcours par un bogey sur le 10 (par manqué de très peu).

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Lionel Hitiura

Puis, j'ai enchaîné trois pars de suite sur les 11, 12 et 13. J'étais totalement transcendé, tout fonctionnait à la perfection ou presque. Bons alignements (l'équerre), bons choix de clubs et bon tempo sur des swings dosés (le compas).

Deux petites erreurs sur les 14 et 15 me coûtent deux bogeys consécutifs. Puis je renoue avec le par sur le 16 et sur le 17.

À un trou de la fin, je suis à 3 sur ce retour, et à 11 sur l'ensemble. Une performance absolument inespérée pour moi. Jamais, je n'avais pensé atteindre un tel niveau de jeu avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Enfin, je connais l'ivresse contrôlée, maîtrisée du bon joueur de golf. C'est encore très loin des exploits des pros, mais, ça y est, j'ai goûté à l'élixir de Jouvence.

Tout va donc se jouer sur le 18 (par cinq). Le souvenir du birdie à mon dernier passage est encore présent. Serai-je à la hauteur ? Je n'ai encore perdu aucune balle (rare). Ne vais-je pas tout gâcher en manquant la traversée du lac ? Bon drive, légèrement à droite dans le petit rough. Excellent ! Avec ce terrain sec, il vaut mieux se retrouver là que sur le fairway battu, dur, injouable. Bois 5, prise des repères et alignement, le lac est légèrement sur la gauche à trente mètres. Je suis à deux cent soixante-dix mètres du drapeau ; montée lente et souple, coup parfait, la balle s'envole et se détache sur le ciel bleu, elle part droit devant et s'immobilise plein fairway, à la hauteur des cent trente-cinq mètres. Fer 5, j'hésite, fer 6 ? La brise s'est légèrement levée. Fer 5, allez ! Bonne préparation, tranquille… La balle monte bien, mais elle part sur la droite pour s'immobiliser à côté du green. J'y suis en trois coups, séparé du drapeau par une quinzaine de mètres et un petit bunker. Petit coup de wedge, mais patatras ! Le coup est écrasé, je manque ma traversée et la balle évite le bunker de très peu pour se placer sur le sommet de son rebord, à deux mètres du green et dix du drapeau. Wedge à nouveau, c'est mon cinquième coup. À présent je vise à sauver le bogey. La balle part, roule un peu et s'immobilise à deux mètres du fanion. Le putt n'est pas donné. Je me concentre, sèche mes mains et prends mes alignements

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tranquillement. Mon pouls est calme, je ne sens aucune pression. Putter, position, compas, tête fixe, regard sur la balle… Elle part doucement… et va se loger directement dans le trou.

Je termine donc ce demi parcours sur 4. C'est tout simplement fantastique ! Au total, je réussis 84, c'est-à-dire + 12, la limite du classement de la première série (jusqu'à 12, deuxième série jusqu'à 24, troisième série jusqu'à 36 et non classés au-delà). Puisque j'ai fait 4 sur la moitié considérée comme la plus délicate du parcours, il n'y a, a priori, aucune raison pour que je ne puisse pas le faire aussi sur l'autre moitié (quoique, je la trouve pour ma part, plus difficile). Mon score potentiel actuel serait donc de 8, soit 80 coups, je n'arrive pas à y croire.

Désormais, mon objectif est là : assurer une régularité à 90 (+ 18), approcher 85 (+ 13) le plus souvent possible et viser 80 (+ 8).

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30 avril 1999

Handicap

Ce mois de mai a mal débuté, avec un 23. Mais, aujourd'hui, exceptionnellement un dimanche (en général, je préfère travailler le dimanche), j'étais encore sur mon petit nuage pour terminer à 13 avec, pourtant, un triple bogey au 15.

Je me sentais bien. Le mouvement m'apparaissait simple, souple, une bonne rotation du bassin et du buste, lente, maîtrisée, bras gauche bien tendu, sur des jambes souples et des pieds bien calés. Il me semble que j'aurais pu descendre à 10 aujourd'hui. Sur la première partie, là où je suis généralement le moins bon, je termine à 5. Malheureusement, je ne confirme pas sur le retour et perds des points bêtement sur des putts faciles.

Cela dit, je sens un net progrès. Rien n'est acquis, tout est fragile et je peux encore faire des parcours à 28 ou 30. De toute façon, un palier est en train d'être franchi. Même si les conditions sont assez idéales malgré la sécheresse extrême des fairways et la chaleur qui reste encore brutale aux heures auxquelles je joue en ce moment.

Quel plaisir, en tout cas, de jouer ainsi, avec des résultats spectaculaires (Rémi, mon jeune partenaire du jour en était un peu écœuré) et sans difficulté sensible. Pas de mal de dos, pas de fatigue.

Encore, encore !!!

J'ai enfin appris la manière de calculer un handicap15 . Après dix ans de golf, il était grand temps, n'est-ce pas ?

La première chose à savoir est que le handicap ne peut être attribué qu'en compétition officielle. Un handicap est un nombre de

15 Les informations contenues dans ce chapitre ne sont plus d'actualité. Le système européen de classement et de handicap a été modifié au 1er janvier 2000 dans un souci, notamment, de “démocratisation” du golf en le rendant plus accessible. Le nouveau

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coups que le joueur peut déduire de son score final (brut) pour obtenir un score “net”. Par exemple, si je suis “handicap 20” et que j'achève le parcours en quatre-vingt-douze coups, ma marque nette sera de : 92 - 20 = 72 soit le par. Admettons que mon adversaire soit “handicap 10” et qu’il achève son parcours en quatre-vingt-cinq coups (soit sept coups de mieux que moi), sa marque nette sera de : 85 - 10 = 75, soit + 3. J'aurai donc gagné en net (72 à 75) même si j'ai largement perdu en brut (92 à 85).

Le handicap sert aussi à classer les joueurs par niveau de jeu. Naturellement, plus le joueur est performant plus son handicap est faible. Un joueur n'ayant jamais participé à une compétition est dit “non classé”. Pour être classé, il faut réussir un parcours en compétition officielle dans un maximum de cent huit coups (+ 36). En compétition, si le joueur achève son parcours au-delà de 36, il reste non classé. S'il parvient à 36, il est classé et reçoit son handicap officiel. En revanche, s'il achève son parcours en moins de 36 (c'està-dire en moins de cent huit coups), son handicap sera diminué de 0,4 point par coup en moins.

Admettons, par exemple, qu'un joueur non classé réalise en compétition un total de 97, soit 25 au-dessus du par. Son handicap sera calculé selon la formule suivante :

(36 - 25) x 0,4 = 4,4 36 - 4,4 = 31,6

Son nouveau handicap sera de 31,6 arrondi à 32.

Dans les catégories supérieures, le gain de handicap, pour chaque coup en moins, est réduit à 0,3 points, 0,2 voire 0,1 en première catégorie. Au contraire, si le joueur achève un parcours en dépassant son handicap, celui-ci ne remontera que d'un dixième de point, quelle que soit la marque finale.

C'est un peu compliqué, j'espère que tout cela est correct. système est complexe, mais il suffit désormais d'un index de jeu de 54 pour être classé (36 dans le système précédent).

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Pour un joueur non classé comme moi, la notion de handicap n'a donc qu'une importance toute théorique et ne sert qu'à estimer son niveau. Il s'agit bien d'une simple estimation puisque la compétition impose des contraintes et des pressions sous lesquelles on pourrait se révéler totalement désemparé ou, au contraire, extraordinairement stimulé…

Les francs-maçons ont découvert que l'alliance de l'équerre et du compas pouvait provoquer la création d'un champ de force qu'il est possible de contrôler sous certaines conditions. La balle ne doit pas être frappée, elle est plutôt éjectée par cette force qui puise son énergie dans la combinaison du mouvement du golfeur et de l'inertie du club qui doit “travailler”. Les virtuoses, capables de maîtriser de telles forces peuvent diriger la trajectoire de leur balle comme si elle était au bout d'un fil. Cela ne peut se faire que sans dépense d'énergie, dans l'harmonie et l'humilité, dans la décontraction profonde. C'est le tir à l'arc zen. Ce n'est plus le tireur qui vise, il est capable de tendre un arc que personne d'autre ne peut fléchir, comme le héros mythologique Ulysse, seul, selon la légende, à pouvoir bander le sien. Et la flèche part, sans difficulté, droite, belle, pour se placer immanquablement en plein cœur de la cible. On pourrait le faire les yeux fermés. 9 mai 1999

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Plein le dos

Mon acupuncteur, et néanmoins ami, m'avait prévenu : dans les courants d'air frais circulant autour des trous 6, 7 et 8, il est prudent de se protéger le dos en ouvrant son parapluie.

C'est un phénomène assez étrange. Le soleil cogne, il fait une forte chaleur, on transpire beaucoup. Dans le même temps, dans cette température de serre, on est soudain enveloppé par une forte brise froide, venue des confins de l'Antarctique et que les Polynésiens appellent mara’amu. Ces courants sont comme des torrents d'air dans lesquels on se retrouve plongé pendant près d’une heure et, si l'on a le dos fragile, comme c'est mon cas, on est alors sujet à toutes sortes de crampes, contractions musculaires et autres torticolis. Un de ces derniers m'a fait souffrir pendant plusieurs mois à la fin de 1998, j'ai même bien cru que je ne retrouverais plus jamais la mobilité complète de ma tête. Finalement, avec un traitement à l'acupuncture, des manipulations vertébrales, les massages magiques de ma chérie et beaucoup de patience, j'ai pu récupérer la quasi-totalité de ma souplesse cervicale.

Quelque temps plus tard, vers mars - avril 1999, le mal s'est installé sur les reins. Il a disparu plus rapidement, mais il s'est déplacé, dès cette semaine, sur le milieu du dos. Toutes les parties de celui-ci auront donc été atteintes sur une période de six mois.

Dimanche dernier, 16 mai, exceptionnellement je suis allé jouer (après des mois de travail pratiquement ininterrompu, je traverse une courte période de calme relatif et peux ainsi profiter de mes dimanches après-midi). J'étais très en forme et mon jeu était excellent (j'ai terminé à 17). Il faisait chaud, mais, naturellement, de moins en moins au fur et à mesure que l'on avançait dans l'après-midi. J'ai

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traversé la zone dangereuse vers 15h, 15h30 et, déjà, j'ai senti un frisson passager m'envahir sur le 3. Je jouais très bien, concentré, et je n'ai pas pris la peine de suivre le conseil de mon médecin. Résultat, le lendemain, je souffrais déjà d'un fort point de contracture entre la colonne vertébrale et l'omoplate droite. Malgré un vigoureux massage, la douleur a diffusé dans tout le dos. Mardi matin, j'ai hésité à aller jouer. J'avais mal et mes mouvements étaient limités, mais j'ai pensé que l'échauffement viendrait à bout de ces petits problèmes et, de toute façon, je pouvais encore exécuter un swing.

Départ 5, par 4

Il faisait très chaud, mais toujours avec ces flux d'air frais qui coulent sur le fairway comme des rivières glacées. J'ai ouvert mon

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parapluie pour me protéger, mais ce n'était pas pratique. J'ai fait ce que j'ai pu, mais la douleur m'a handicapé de plus en plus. J'avais très mal et très peu dormi la nuit précédente. Résultat : beaucoup de difficulté à terminer le parcours, galère sur galère, un calamiteux 29 et… un dos presque entièrement paralysé à mon retour.

Mes partenaires de rencontre sont variés et très différents. Dimanche, c'était un ancien pilote de ligne sur UTA16. Fred a soixante-dix ans, il débarquait de l'avion de Paris (vingt-deux heures de vol) le matin même et, sans s'être reposé, il était déjà sur le parcours. Il n'a fait que neuf trous et parlait énormément. Il était si agité que j'ai fini par penser qu'il était dopé aux amphétamines, mais il jouait très bien. Il s'est d’ailleurs présenté comme arbitre international de golf, ce qui m'a surpris car il prenait pas mal de libertés avec les règles.

Mardi, j'ai joué avec Philippe Jonville. Son frère est un célèbre médecin de Moorea17, sympathique et surtout connu pour ses activités mondaines, la qualité de ses invités et celle de ses petites amies. Une princesse d’un rocher au sud de la France avait vécu une première lune de miel très romantique dans son bungalow, sur une plage de rêve, à la fin des années soixante-dix. Le mariage princier avait attiré une densité exceptionnelle de journalistes à Moorea.

Bon joueur de golf, Philippe travaillait pour une société écossaise spécialisée dans la production de matériel de prospection et d'exploitation pétrolières. Il avait vécu douze ans à Londres et occupait un poste important à Paris depuis 1992. Calme, l'élégance toute britannique, il a eu la patience de supporter ma piètre prestation. Mais, au fait, Écosse, golf, maîtrise de soi, tiens, tiens ! Je n'ai pas eu l'audace de lui poser la question, mais ne serait-il pas franc-maçon ? Cette opinion s'est encore affirmée après que je lui ai dit que mon mal de dos me donnait l'impression d'être victime d'une

16 L’Union des Transports Aériens, illustre compagnie française aujourd’hui disparue. 17 Souvent appelée “l’île sœur”, et située à une demi-heure de bateau ou quelques minutes d’avion de Tahiti, c’était un réel paradis à l’époque dont il est question ici.

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sorte d'alien agrippé sur moi et qui m'enfoncerait ses griffes dans la chair. “Il vous faut faire de cet alien un allié”, m'a-t-il conseillé avec esprit. Je me suis alors rappelé que mon record personnel avait été atteint un jour où je souffrais fortement des reins. J'avais utilisé cette souffrance comme un guide, un indicateur, me permettant de rester dans les limites d'ampleur et de vitesse d'un mouvement correct.

Méditations d’un golfeur solitaire

18 mai 1999
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Se protéger du vent mauvais

Le jeu est un peu revenu ce matin. Après une première moitié de parcours moyenne (12), je termine à 19, soit 7 sur le retour. Des points surtout marqués aux deux derniers trous sur lesquels je me suis un peu écroulé : double bogey sur le 17 et triple sur le 18 (deux balles dans le lac). Jusque-là, je menais un excellent + 2 sur cette seconde moitié et j'aurais très bien pu terminer le parcours à 14. Tout de même satisfait de cette partie qui m'a valu six pars malgré des douleurs et des crampes dorsales, atténuées certes, mais encore bien présentes et bien handicapantes.

L'alien se déplace dans mon dos. Depuis dimanche dernier, le 16 mai, le jour où il s'est accroché à moi, il s'est d'abord fixé sur un point précis, situé sous l’omoplate droite. La douleur a ensuite diffusé à partir de ce point.

J'ai décidé de me défendre. Mon acupuncteur, qui m'a transformé en fakir la dernière fois, en m'appliquant une bonne vingtaine d'aiguilles dans le dos, sur les mains et les pieds, me conseille d'ouvrir un parapluie lorsque le vent souffle. Efficace, mais peu pratique et encombrant ! À Tahiti, on joue généralement au golf en bermuda et en polo. Il me fallait une sorte de survêtement léger, capable de faire écran aux énergies malignes sans gêner les mouvements ni provoquer de trop forte hausse de la température du corps. N’ayant rien trouvé d’approprié dans les commerces de Papeete, j'ai eu l'idée de transformer une de ces bonnes vieilles chemises à carreaux, bien douillettes, en coton. Il m'a suffi de l’amputer de ses manches pour obtenir une sorte d’ample gilet me laissant parfaitement libre de mes mouvements et de mon jeu, idéalement épais pour me protéger des courants d'air sans m'étouffer de chaleur.

L'expérience a réussi. Mon prototype a bien fonctionné. Il est parfait pour ce genre de conditions : temps sec et ciel clair, le soleil

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chauffe encore beaucoup, mais son ardeur est moins agressive, il ne parvient plus à masquer la fraîcheur extrême des courants de mara’amu venus tout droit du Grand Sud. Ce matin, je sentais ces flux glacés sur mes bras et mes jambes, mais mon torse et surtout mon dos restaient bien protégés par le coton de ma chemise sans manches

Petit gilet bricolé parfait pour se protéger du mara’amu

J'ai réussi quelques jolies balles, très jolies même, qui m'auraient enthousiasmé il y a seulement quelques semaines, mais je n'arrive plus à me satisfaire de réussites ponctuelles, de “coups”, je veux régulariser mon jeu, éradiquer pour toujours triple et, a fortiori, quadruple bogeys en raréfiant les doubles autant que possible.

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Il y a encore beaucoup de travail, mais le palier est en train d'être franchi. Je dois seulement me concentrer et me décontracter un peu plus de manière à mieux maîtriser swing et tempo.

Green 7

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21 mai 1999

Sur un petit nuage

Long week-end de la Pentecôte. Le temps est gris, calme, avec de temps à autre une légère averse ou une brève éclaircie. Il fait “raisonnablement” chaud. Le terrain est toujours aussi sec, à l'exception de la partie la plus basse du parcours, comprise entre le 10 et le milieu du 12. Tout le reste est encore paille, brûlé par un soleil d'enfer depuis près de deux mois sans discontinuer. De cette désolation émergent les greens, maintenus comme par miracle dans un état de verdure d'autant plus éclatant qu'il contraste brutalement avec le brun clair des fairways. À quatre-vingt-dix pour cent, ceux-ci sont durs comme du béton, malheur aux gratteurs !

Nous sommes dimanche. Une compétition est prévue le matin. Elle se prolongera d'un deuxième tour le lundi matin. J'ai quitté la maison à midi et demi environ et j'arrive à Atimaono vers treize heures. La compétition est déjà terminée, il n'y a personne au départ. Je me sens en forme. La concentration aidant, mes douleurs dorsales ont pratiquement disparu.

Un couple de bons joueurs se présente au départ en même temps que moi. Je les connais un peu. Il est dentiste et sa femme vient d’une grande famille chinoise. Leur fils de quinze ans, jeune prodige du golf, vient d'être sélectionné dans l'équipe de Polynésie française aux Jeux du Pacifique sud qui se tiendront le mois prochain à Guam18 . Cette sélection a provoqué des remous dans la presse locale à la suite d'une plainte déposée devant le tribunal des référés par deux autres joueurs s'estimant injustement écartés. On a parlé de “copinage”. Le tribunal

18 Archipel du Pacifique occidental associé aux États-Unis où ils ont établi une très importante base militaire.

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civil de Papeete s'est déclaré incompétent, renvoyant les plaignants devant la juridiction administrative. Les délais étant trop courts pour qu'une suite judiciaire soit donnée au dossier avant l'ouverture des Jeux, c'est donc le fils du taote niho19 qui représentera finalement notre pays à ces “mini Jeux olympiques” régionaux organisés tous les quatre ans, à tour de rôle, par l'un des États ou territoires du Pacifique insulaire.

Le clubhouse

La Polynésie française avait organisé les derniers Jeux en 1995 dans un contexte politique défavorable. Quelques semaines seulement avant l'arrivée de l'élite sportive régionale que l'on se préparait à accueillir dans l'enthousiasme, une bombe avait éclaté. Jacques Chirac, élu deux mois plus tôt président de la République, avait

19 Dentiste (litt. docteur des dents).

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ordonné la reprise des essais nucléaires à Moruroa et Fangataufa suspendus depuis avril 1992 par son prédécesseur François Mitterrand. “Pour une ultime campagne de recueil de données avant leur arrêt définitif”, donnait-on comme explication au réveil des vieux dragons assoupis. Fut-ce inconscience, fâcheuse coïncidence ou réel désir de provoquer davantage les ennemis jurés de la France et de son “arrogance” dans la région ? Toujours est-il que la tension est montée d'un cran lorsque l'on s'est avisé que le président Chirac avait, de surcroît, choisi de faire son annonce publique le 10 juillet, jour du dixième anniversaire du sabotage, par des agents secrets français dans le port d'Auckland en Nouvelle-Zélande, du Rainbow Warrior, “navire amiral” de la flottille de l'association écologiste Greenpeace, une opération qui s’était soldée par un fiasco historique et la mort d’un membre de l’association. Plusieurs délégations avaient décidé de boycotter les “Jeux atomiques” de Tahiti. Le territoire avait été le théâtre de graves émeutes, au cours desquelles l'aéroport international de Tahiti-Faa'a et une partie du centre-ville de Papeete furent incendiés.

Ce dimanche, nous avions aussi un autre partenaire. C'était ce jeune homme d'origine russe qui m'avait déjà accompagné quelques semaines plus tôt. Pas très souriant. Il empestait Eau sauvage de Dior et fumait cigarette sur cigarette, ce que j'ai failli lui faire remarquer. Il semblait vouloir rester silencieux comme un vrai pro. Il tournait en dérision mes maladroites tentatives de dialogue. J'ai vite compris qu'il valait mieux la fermer et j'y ai trouvé un grand intérêt. Mieux concentré sur le jeu, je réussis mon premier par sur le 3 après deux bogeys. Au 4, mon drive finit dans le bunker dont je me sors assez bien, deuxième par. Et cela continue sur le même niveau tout au long du parcours, avec des birdies manqués d'un cheveu, des approches au millimètre et un putting exceptionnel. Ma concentration était si aiguë que les lignes de putt idéales m’apparaissaient distinctement sur les greens, lumineuses, comme par enchantement…

Et ça marchait !

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Sur le 7, le plus difficile du parcours, je réussis un par absolument net et sans bavures, notamment grâce à une approche magique de cent mètres au fer 8 qui traverse la rivière et me place à côté du drapeau en trois coups. Suivi d'un par sur le 8 et d'un drive interminable sur le 9, malheureusement terminé en bogey.

Karamazov était écœuré. Il m'a avoué que son supplice durait depuis plusieurs mois. “J'ai tout essayé, me confia-t-il, changer de matériel, prendre des leçons, lire des livres, rien n'y a fait, j'ai totalement perdu mon golf.” Sa détresse faisait peine à voir. Elle était telle, m'avoua-t-il, qu'il avait fait une dépression nerveuse et avait dû absorber des sédatifs (!) Finalement, sa santé mentale était revenue, à ce qu'il disait. À le voir, au nombre de cigarettes qu'il consommait et à sentir ses vibrations d'angoisse, on pouvait sérieusement en douter. Ces neuf trous furent un véritable chemin de croix pour lui. Il finit par craquer et partit s'entraîner à l'écart me laissant terminer le parcours seul. Après cela, on ne l'a plus revu pendant des mois. Pourtant, quelque temps plus tard, il gagnait une compétition en brut sur un incroyable 78. Spectaculaire exemple de volonté et de retournement de situation.

J'avais terminé l'aller sur 5 seulement. Je me sentais vraiment dans toute la possession de mes moyens. Il me semblait être guidé par un ange invisible. Même lorsque je pensais avoir fait un mauvais mouvement ou n'avoir pas choisi le bon club, ma balle allait toujours où il fallait.

Un petit nuage.

Au retour, ce fut la même chose. Il est rare de ressentir une telle sérénité dans le jeu. On est animé par une force humble qui connaît sa fragilité et son instabilité. Les coups partent naturellement, sans forcer. Pour la première fois, mon drive a dépassé la rigole qui traverse le 12 à environ deux cent trente mètres du départ. Je n'ai du reste pas su confirmer et j'ai fini ce long par cinq sur un bogey après avoir pourtant atteint le green en trois coups. Par sur le 13 et le 14, je subis mon unique double bogey du jour sur le 15.

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Le 16 est délicat. À deux cents mètres du départ de ce par quatre, le fairway est barré par un mombin, arbre majestueux, haut de quinze ou vingt mètres et large d'autant, avec un tronc de plus d'un mètre de diamètre et des racines proéminentes entre lesquelles les balles aiment à venir se blottir. De chaque côté de ce monument, à quelques pas seulement, deux autres arbres aussi grands et forts : à droite, un sapin de vingt-cinq mètres, à gauche, un autre mombin tout aussi imposant. La trajectoire idéale consiste à se faufiler entre les deux mombins à gauche, puis de rouler sur le fairway, de l’autre côté, en veillant à s’arrêter avant le large caniveau qui le coupe à une cinquantaine de mètres du green.

Fairway 16, avec sa trilogie d’arbres en travers

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La brise s'est levée, elle souffle assez fort dans mon dos. Je sais que si je réussis un bon coup, avec cette poussée supplémentaire, ma balle risque de finir dans l’obstacle. Je choisis donc de ranger mon driver au profit de mon bois 3. Sage décision ! La balle prend exactement la trajectoire que je viens de décrire et termine sa course à moins de dix mètres de la rivière. Malheureusement, je manque mon deuxième coup qui s'écrase dans la terre (fat shot). Le troisième coup est à côté du drapeau… par. Je suis déjà à 12, mon record absolu, mais il me reste deux trous à jouer.

Le 17 est un par trois. J'atteins généralement le green avec un bois 3. Cette fois je manque mon swing et atterris à environ vingt-cinq mètres à droite du green. Wedge, ma balle roule vers le drapeau. Joli putt et joli par…

Au 18, la brise souffle fort et les piquets de départ ont été rapprochés. Danger ! Je décide de laisser encore mon driver dans le sac. Heureusement ! Ma balle part trop à gauche, directement vers le lac. Avec le driver, elle coulait directement au milieu, avec le bois 3, elle s'arrête à moins d'un mètre du bord. Tout va se jouer là. Je n'ai encore perdu aucune balle depuis le début de la partie (exceptionnel).

La balle est sur le plat, mais dans le rough. La ligne idéale passe très près d'un grand aito, sorte de sapin maigre que l'on appelle aussi arbre de fer. Bois 5, bonne confiance, deux essais et puis la balle part, magnifique, un peu trop à gauche cependant, la voilà qui traverse les branches de l'aito, j'entends des claquements inquiétants… Puis je l'aperçois roulant vers le milieu du fairway au-delà des cent trentecinq mètres. C'est gagné !

Il ne me reste plus qu'à propulser cette balle sur le green d'un petit pitch de trente-cinq mètres avec un fer 7. Malheureusement, je manque ma première tentative et ne suis sur le green qu'en quatre coups pour terminer finalement sur bogey et 13. Un score de rêve pour moi, mais déjà, je voudrais le battre, je sais que j'en suis capable car ce 13 compte des points très stupidement perdus (en particulier

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ces deux birdies manqués d'un souffle). Cela dit, les points perdus ne le sont-ils pas toujours stupidement ?

Green 3

Méditations d’un golfeur solitaire 70

23 mai 1999

Je ne hais plus les dimanches

Décidément, le dimanche après-midi me réussit. Tout bien considéré, il n'y a pas plus de joueurs que les autres jours, plutôt moins même, lorsqu'il n'y a pas de compétition. Les conditions étaient excellentes, j'étais calme, détendu. Il semble que l'ambiance soit globalement plus cool le dimanche, sur la route, on sent moins de pression et de stress que dans la semaine. Tout cela est probablement pour quelque chose dans la qualité de mes performances dominicales… Avec des tas d'autres paramètres sans doute.

Je termine aujourd'hui sur un excellent 85 (+ 13). C'est mon meilleur score de ce mois de mai et je l'ai déjà atteint deux fois durant la période. Seulement voilà, aujourd'hui je l'ai réussi en totalisant 10 sur l'aller et pas plus de… 3 sur le retour avec un superbe birdie sur le 10 et deux autres au moins manqués d'un cheveu. Avant d'aborder le 18, j'étais même à 1 sur cette seconde partie, un véritable exploit accompli presque sans m'en rendre compte.

Mes progrès sont désormais indéniables. À tel point que je me sens maintenant capable de participer à une vraie compétition officielle. Je me suis, du reste, inscrit pour la première fois à un club : celui d'Atimaono, tout simplement. J'ai versé une cotisation de huit mille francs Pacifique (tarif forfaitaire annuel, un peu moins de soixante-dix euros). Elle me permettra d'être licencié et de m'inscrire aux compétitions, de me classer officiellement et d'obtenir un handicap.

Aujourd'hui, j'égale mon record en nombre de pars : sept, plus un birdie (sur le 10, ce qui n'est pas fréquent). J'ai ainsi réussi un birdie à chacun de mes trois derniers parcours, ce qui n'était jamais arrivé.

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Pourquoi ces progrès ? Que s'est-il passé ? Je n'ai pourtant pris aucune leçon, ni changé de matériel. Et pourquoi m'arrive-t-il encore de faire des scores à 30, alors que je suis maintenant capable de coller à la régulation pendant une moitié de parcours ? Comment expliquer que l'on soit excellent un jour et incapable de rien le lendemain ? Voilà un phénomène qui échappe totalement à notre contrôle, bien évidemment ; mais alors, de quelle force dépend-t-il ? Et comment faire, justement, pour en prendre la direction ? Qu'est-ce qui fait les grands joueurs ? L'entraînement, la pratique quotidienne, à n'en pas douter (je progresse surtout depuis que je joue plus souvent et plus régulièrement). Il y a aussi le talent, c'est clair ! Mais, il y a aussi autre chose, et ce n'est pas le hasard…

30 mai 1999

Le pont de la rivière du 7

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Fiu et galères

Depuis ce dimanche à 13, les choses ont soudain mal tourné. Impossible de retrouver ce jeu magique qui m'avait enchanté. Pourquoi, mais pourquoi donc ? Mystère ! Je me sens las depuis quelque temps. Je suis fiu, comme disent les Polynésiens pour décrire avec la plus grande concision possible cette sensation à la fois de désintérêt pour tout, de fatigue générale, de manque de motivation et de baisse d'énergie à laquelle personne n’échappe dans ce pays et dont on est forcément victime un jour ou l’autre. Un tel état d'esprit est naturellement préjudiciable à un bon jeu de golf. Mais, si ce fiu était justement lui-même provoqué par la chute brutale mais prolongée de mes performances ?

De 13 le 30 mai, j'ai en effet sombré à 29 au parcours suivant, avant de me stabiliser à 21 sur trois parties consécutives. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Me voilà incapable de retrouver mes sensations et de donner la moindre finesse, le moindre toucher à mon jeu. Au golf, comme dans la vie, les fautes se payent cher et comptant. Un drive de deux cent cinquante mètres vaut un point, tout comme un putt de dix centimètres. Aucune différence, c'est la règle ! Pour bien jouer, il faut réussir TOUS ses coups. Entre Robert, mon partenaire de ce vendredi qui a terminé un parcours de rêve sur 11, et moi, il n'y avait le plus souvent qu'une nuance, un souffle. De temps à autre, naturellement, je manquais vraiment mon coup. Mais, le plus souvent, la différence était infime : un putt manqué de quelques centimètres ou plutôt une approche trop courte ou grossièrement frappée (c'est encore mon point faible).

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Heureusement, dans tout échec il y a le germe de la réussite. Les conseils de Robert vont peut-être m'aider à grimper d'un cran. Il m'a en particulier incité à placer ma balle plus haut sur les départs. J'avais tendance à enfoncer mon tee beaucoup trop profondément. Le driver doit frapper la balle au moment où il commence sa remontée. À la bonne hauteur de tee, m’a-t-il affirmé, l'“équateur” de la balle doit se trouver au niveau du bord supérieur du driver posé sur le sol. Après expérience, je dois reconnaître que c'est assez efficace. Un tee trop bas et la balle ne monte pas. Il faut alors un swing parfait pour réussir son départ. Avec une balle surélevée, les erreurs sont moins pénalisantes. Les drives partent plus régulièrement ; ils sont plus longs et plus spectaculaires.

Ce qu'il me manque avant tout, c'est cette paix, cette sérénité intérieure qui conditionnent la souplesse et l'élégance du geste, indispensables à la réussite d'un coup. À chaque bon score, j'ai ressenti ce calme, ce plaisir de jouer, cette détente générale de tout l'organisme. Là est le secret : parvenir à s’intérioriser, à s'extraire du monde et, en particulier, de l'influence humaine pour focaliser son esprit sur le jeu et la trajectoire de la balle.

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12 juin 1999

Nirvâna

On l'aura compris, le golf - le jeu de golf et le parcours de golf - est un symbole du chemin initiatique. Le jeu, c'est la règle, la pratique, la discipline. Le parcours, c'est le support, le symbole des différentes épreuves que le novice doit subir sur le chemin menant à … Mais à quoi, justement ?

Au bout de toute quête spirituelle, il y a une récompense, un Graal, un nirvâna…

Qu'y a-t-il au bout du golf ?

Des millions de dollars, d'accord… pour les champions.

Mais, pas seulement.

À notre époque mercantile, l'argent a remplacé l'or philosophal des alchimistes. Il est néanmoins certain que le jeu de golf, tout comme le tir à l'arc zen, possède une vertu spirituelle de haut degré. Sa pratique agit sur des énergies secrètes et sur une gamme étendue de processus physiques et mentaux. Ces énergies sont directement sensibles. On les soupçonne, on les devine, puis, soudain, on les ressent, exceptionnellement d'abord, puis de plus en plus souvent, au fur et à mesure des progrès… Et des échecs. Ces énergies s'exercent aussi beaucoup plus profondément, là où la plupart des consciences humaines n'ont pas accès. Dans le cœur de notre être, dans le sanctuaire de notre cerveau, là où sont inscrits tous nos programmes, tout ce qui nous permet de vivre chaque jour, de supporter l'existence quotidienne, tout ce que nous avons appris depuis notre naissance, notre mémoire, cette masse énorme, colossale d'informations, tout ce que nous avons vu, entendu, senti, touché, goûté depuis notre venue sur cette terre, c'est-à-dire au moment où l'œuf maternel est fécondé, ces milliards d'informations sont stockées quelque part en

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nous. Nous n'y avons pas accès, à part quelques bribes sous forme de rêves ou de souvenirs, partiels, déformés. Elles nous ont pourtant construits, seconde après seconde. Nous sommes ce qu'elles ont fait de nous et la quasi-totalité de nos comportements sont dictés par elles, nous laissant seulement l'illusion d'une liberté et d'une existence individuelles. Ainsi, les êtres n'ont qu'une réalité et qu'une “personnalité” relatives. Tous les êtres, sans exception, ne sont que les formes fugaces de l'Énergie universelle se manifestant et se transformant sans cesse dans l'Éternité.

Fort heureusement, nous autres, humains, avons la chance (les Orientaux diraient “le bon karma”) d’être les seuls à posséder la clé de la Vie, celle qui permet justement à l'Esprit d'épouser la Matière et de la féconder… De la bénir. La Tradition universelle, transmise à l'Homme de toute éternité, s'est adaptée aux époques et aux lieux. D'innombrables religions visent à atteindre ce qu'elles appellent l'Union avec Dieu ou la Libération, le Samadhi, l'Extase, l’Éveil, etc. Il existe des méthodes, connues depuis la nuit des temps, permettant, à force de discipline et de pratiques personnelles, d'accéder à ces informations racines, de parvenir peu à peu au cœur de son être et d'en prendre le contrôle. Un tel résultat s'obtient par des actions magiques, c'est-à-dire capables de relier la pensée et le corps, euxmêmes symboles ultimes de l'Esprit et de la Matière. Nombre de ces méthodes sont fondées sur une discipline physique alliée à une concentration mentale, au contrôle de la respiration, au relâchement musculaire et à la maîtrise de soi. C'est le cas, par exemple, du tir à l'arc zen, déjà évoqué, mais aussi du hatha yoga indien (le véritable, bien entendu, pas cet ersatz frelaté servi dans les innombrables salles qui fourmillent en Occident de nos jours) ou du tai chi chuan chinois. Ce ne sont là que trois exemples de techniques d'ouverture de la conscience humaine par l'activité physico-mentale. En principe, une stricte discipline conduit l'initié sur le chemin de la Connaissance suprême, celle qui permet, après beaucoup de patience et de pratique, à l'esprit de prendre le pouvoir sur la matière.

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Le jeu de golf fait indéniablement partie de ces disciplines aux effets cachés. On peut évidemment, c’est le cas du plus grand nombre, le considérer et le pratiquer comme un simple sport, un passe-temps amusant, délassant et bon pour la santé. Mais, il ne faut pas oublier qu’il est aussi un puissant moyen d’élargir sa conscience, un formidable instrument de découverte et de connaissance de soi.

Départ 6, par 4

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14 juin 1999

Arcs-en-ciel

Je viens d'avoir cinquante ans. Je me sens en forme dans l'ensemble, bien que la carcasse soit de plus en plus lente à se mettre en mouvement.

Au cours des six derniers mois, j'ai fait des progrès considérables dans la pratique du jeu de golf. Certes, il y a des hauts et des bas, mais mon jeu évolue dans le bon sens. En un an, mon niveau moyen (calculé sur les vingt meilleurs parcours de chaque période de deux mois) est passé de 26 à 22 puis à 20 aux mois de mai et juin. La période juillet-août a assez mal commencé, je n'ai pas réussi mieux que 22, mais je ne désespère pas. Mon objectif : descendre à 18 avant la fin de l'année et à 15 d'ici à l'an 2000.

Pour cela, je devrai absolument travailler mon putting. C'est naturellement sur cette phase de jeu que je peux gagner le plus de points. Aujourd'hui, par exemple, j'ai manqué huit pars d'un cheveu avec des putts magiques, mais échouant à quelques centimètres voire quelques millimètres du but. Si j'avais placé ces putts, comme cela se produit certains jours, je terminais à 14, ce qui eût été bien sûr formidable.

Il est aussi possible de gagner sur les départs. J'ai tout de même laissé partir deux balles dans le décor aujourd'hui. Je me sens capable de bien mieux. Surtout depuis que j'ai pris conscience de la véritable signification de l'expression : “vol de la balle”. Dans un coup réussi, en effet, le joueur fait voler sa balle, presque comme un cerf-volant, comme le pêcheur qui, par le savant usage de ses doigts et de ses poignets sur la canne, parvient à poser sa mouche à l'endroit précis de la rivière où la truite est en chasse.

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Faire voler la balle, c'est diriger sa trajectoire avec une énergie en parfaite harmonie, comme à l'extrémité d'un fil invisible mais réel.

C'était une journée magnifique !

Ce bleu, ce ciel, si dense, si pur, avec quelques traînées de mousseline.

Ce vert, ces arbres, ces plantes, cette herbe si forts, si vivants !

Ces arcs-en-ciel qui traversent la scène dans un rayonnement de rosée !

Cet oiseau, ce rapace, majestueux et planant qui tournoie sur cette image,

On se croirait en pays peau-rouge… La magie est partout.

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6 juillet 1999

Patience et économie d'énergie

Moulu, perclus, je ne peux plus bouger. Ce matin, j’avais vingt ans, ce soir, j'en ai quatre-vingts.

Trente-six trous entre sept heures du matin et cinq heures du soir et j'avais encore la pêche. Si la nuit ne tombait pas si vite sous les Tropiques, je crois que j'aurais pu repartir pour neuf autres trous…

Encore une de ces journées splendides. L'air est frais, le soleil indulgent. Ma chemise en coton sans manches fait merveille. Malgré une brise du sud parfois glacée, mes crampes dorsales et cervicales ont totalement disparu.

Malheureusement, il me reste le problème des reins. Trop de mauvais swings finissent par fatiguer la région lombaire qui souffre beaucoup. Les massages me sont désormais indispensables. Sans les mains expertes de ma chère et tendre, impossible de récupérer suffisamment vite pour garder un rythme de jeu élevé (trois parcours par semaine). Si, en plus, je me mets à jouer trente-six trous à chaque sortie, elle a du pain sur la planche… Elle a du reste manifesté sa mauvaise humeur cette fois. Trente-six trous, c'est trop fatigant, trop long, je n'ai que ce que je mérite et pas question de massage cette fois, tu resteras avec tes douleurs, bonne leçon ! J'ai eu beau essayer de lui rappeler que de ma santé dépendait celle de toute la famille, cette fois rien n'y a fait.

Elle a cédé le lendemain. De me voir aussi handicapé, sa pitié a pris le dessus, et peut-être aussi un peu de réflexion sur les possibles conséquences d'une immobilisation de l'époux à la maison. C'est elle qui a raison. J'ai exagéré et je saurai à l'avenir mieux gérer mes efforts et mon énergie.

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9 juillet 1999

Vole, vole !

Faire voler la balle, voilà l'essentiel. J'ai enfin découvert cette vérité si évidente et pourtant secrète. Quand la balle ne vole pas - si peu que ce soit en fonction de la distance (à l'exception des putts, naturellement et de certains coups “roulés”) - il n'y a pas de jeu de golf à proprement parler.

Par le vol de la balle, qui s'obtient grâce à de savants mouvements des poignets et des doigts, le jeu de golf s’apparente à d’autres jeux de balle, le tennis par exemple, mais également… à la pêche à la mouche. Comme dans ce sport tout en finesse, comme les mouches lancées au bout de leur fil et posées à l'endroit voulu avec une adresse diabolique par les meilleurs, la balle de golf vole en courbes savantes dont le sens et l'amplitude sont évalués par le joueur en fonction de multiples paramètres comme la distance à parcourir, la force du vent, la configuration du terrain, etc. L'alignement se prend avec les pieds et les jambes ; le pivot s'effectue avec les hanches, le buste, les épaules et les bras ; le vol de la balle est conditionné par les poignets, les mains et les doigts.

Réussir à faire voler une balle de golf et parvenir à ce qu'elle se pose là où on l'avait envoyée, procure un plaisir étrange et profond qui n'a d'égal en intensité que la souffrance provoquée par la frustration d'un échec et, pire, de séries d'échecs parfois très longues.

Il se trouve que je suis justement dans cette situation désagréable depuis le début du mois. Mes dix derniers parcours ont été au mieux moyens, au pire… une descente dans les profondeurs de l'enfer du golf. Balles perdues hors limites ou dans les obstacles d'eau, putts systématiquement manqués - souvent de très peu -, difficultés à faire voler la balle, départs moyens, etc. Bref, la galère totale !

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Meilleur score depuis trois semaines : 20, mais j'ai terminé une fois à 34 et une autre à 27, en ne réussissant qu'un seul par. Je ne m'explique pas cette soudaine méforme après les progrès fabuleux des mois de mai et juin. La fatigue, sans doute…

C'est incroyable ! J'ai l'impression d'être revenu un an en arrière. Je ne réussis plus rien. Quelques rares bons tee shots sont suivis de deuxièmes coups lamentables (le plus souvent grattés ou hookés), d'approches manquées ou moyennes et de putts maudits. Selon l'antienne consacrée : “Quand ça ne veut pas rentrer…”

J'ai beaucoup souffert de cette chute brutale de mon niveau de jeu. Et puis, peu à peu, je me suis fait une raison. Il faut cultiver son humilité. J'ai eu cette chance incroyable de connaître, pendant quelques semaines, le bonheur de jouer comme en première série et les sensations qui vont avec, c'est déjà une grande bénédiction.

Une fois encore, comment expliquer ces hauts et ces bas, et surtout pourquoi de telles différences ? Comment peut-on jouer 34 quand on a joué 12 quelques jours plus tôt, sur le même parcours, dans des conditions similaires ?

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21 juillet 1999

Le secret du jeu de golf

C'est vrai, ça ! Comment l’expliquer ? En un mot, quel est le secret du jeu de golf ?

Comment font ces champions pour jouer aussi bien, même à un âge avancé, tout en fumant comme des pompiers (pas tous) et, parfois, avec une bedaine que l'on croirait pourtant incompatible avec la condition physique requise ?

Comment expliquer le plaisir et la souffrance que ce jeu peut provoquer en nous et surtout leur intensité, laquelle s’accroît au fur et à mesure que notre conscience du jeu s'élargit et que notre pratique s'améliore ?

Comment expliquer l'irrégularité à laquelle la plupart d'entre nous (les pauvres joueurs de haut handicap, comme on dit pudiquement) sommes en apparence condamnés ?

Je l'espérais, mais je n'y croyais pas vraiment ! La brutalité de ma chute, dès les premiers jours de juillet, me faisait imaginer que, peutêtre, une coïncidence en appelant une autre, ma punition pourrait bien s'achever avec le mois.

Avec un misérable 32, j'ai bouclé le mois de juillet comme il avait commencé : très mal. Néanmoins, il me semble ressentir un frémissement. Au parcours précédent, j'avais terminé à 19 et les sensations commençaient à revenir. Ce 32, je le dois seulement à une incroyable maladresse sur les longs coups. Pas moins de sept balles dans le décor ! Il faut le faire… Cela ne m'était pas arrivé depuis des années. Hors ces quatorze points, je terminais à 18. La balle vole, c'est l'essentiel. Il faut à présent régler la distance et la précision, notamment sur les putts où je fais un festival de loupés impardonnables.

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Quand la Nature crée des merveilles

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Dimanche, 1er août, je finis à 91 (+ 19). J'ai passé un après-midi formidable. Pas un trou au-dessus de double bogey (cinq en tout). Tous les autres trous en par (5) et en bogey (8), avec de bonnes sensations et un tempo qui se calme peu à peu et revient progressivement sous mon contrôle.

Sur la deuxième partie du parcours, j'ai accompagné un couple de joueurs approximativement de mon niveau. La femme, petite, plutôt bien proportionnée, noiraude, souriante, sympathique, jouait assez bien, mais elle faisait des fautes grossières, comme lever son coude droit en aile de pigeon ou son talon gauche. Pire, elle gardait ses poignets raides. Grâce à un alignement méticuleux, ses balles partaient généralement droites, mais ne volaient pas, ou mal, avec parfois un léger slice. Elle a terminé ses neuf trous en 48 (+ 12).

Le type, grand, sec, tout blanc, la lèvre pincée, lunettes noires et chapeau de paille, était en galère depuis le début du week-end. Il réussissait de temps à autre un coup exceptionnel, témoignant d'un excellent potentiel dans tous les secteurs du jeu. Cependant, la plupart du temps stressé, tendu, visiblement à bout de nerfs, le pauvre homme frappait sa balle en dépit du bon sens, sans poignets et bien trop fort. Balles dans l'eau, hors limites, rough, obstacles, bunkers… Le malheureux a vraiment tout subi.

J'avais beaucoup de compassion pour lui. Je me voyais en lui. Tout ce qu'il ne faut pas faire me crevait les yeux. Et, du coup, mon jeu revenait peu à peu. Ce ne fut pas une grande journée de golf, mais elle fut importante par ce qu'elle m'a appris et par les ouvertures auxquelles j'ai pu accéder. Ma partie s'est achevée sur un magnifique par sur le 18 qui m'a mis d'excellente humeur pour la soirée, même si j'ai manqué un birdie très faisable.

Ce soir, lundi 2 août, j'ai ressenti, pour la première fois, un plaisir étonnant à m'entraîner. Je ne suis pas allé jusqu'à Atimaono, non, je n'aurais pas pu. Plus de trois heures de voiture dans un trafic insensé pour aller au bureau ce matin (deux heures à l'aller - Papeete est en

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grands travaux - et plus d'une heure au retour - un accident bloquait la circulation), c'est assez pour moi dans une seule journée, merci.

Non, je me suis tout simplement entraîné à côté de la maison, sur le terrain du voisin. C'est une étendue gazonnée d'environ deux mille mètres carrés et plantée d'arbres fruitiers. Un verger, en quelque sorte. Citronniers de trois mètres de haut en enfilade à gauche ; plus à droite, cocotiers et arbre à pain géants. Le jeu consiste à viser une mini clairière de gazon éloignée d'une trentaine de mètres. Entre soi et la clairière, les citronniers qui embaument, et les cocotiers. C'est un superbe entraînement au petit jeu. Les arbres et les distances courtes rendent l'exercice particulièrement délicat. La joie est donc d'autant plus grande lorsqu’on réussit une jolie approche. C'est un endroit formidable pour travailler les poignets (pour l'effet lobé) et l'estimation des petites distances. J'y ai passé une heure délicieuse.

Du coup, je me plais à imaginer ne pas être le seul à apprécier de telles séances d'entraînement sur petites distances. Pourquoi ne pas créer un véritable practice sur ce modèle, spécialement dédié à l’entraînement aux approches lobées ? Les longueurs sont courtes, certes, et elles ne conviendront pas au joueur débutant qui préférera frapper des balles lointaines. La grande majorité des coups de golf sont pourtant joués sur de telles distances. C'est sur elles que les scores se font et se défont. Il est indispensable de s'entraîner très sérieusement au petit jeu si l'on souhaite améliorer son handicap. Il arrive régulièrement, au cours d'une partie de golf, de se retrouver dans des situations périlleuses en raison des obstacles qui se dressent entre le drapeau et soi. Apprendre à ne plus craindre ces obstacles, à les contourner, à les survoler, voilà ce qu'un tel terrain est capable d'apporter, en même temps qu'un travail de la précision et du contrôle des coups.

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2 août 1999

Musique

Magnifique et fascinant spectacle aujourd'hui sur ESPN, la chaîne de télévision américaine spécialisée dans le sport. Les derniers trous du parcours final d'un tournoi du Senior PGA (Professional Golf Association) Tour, réservé aux joueurs de plus de cinquante ans. Ce tournoi a été gagné par Bruce Fleisher, grand Américain élégant et souple. Son profil, ses bajoues, ses cheveux hérissés comme une crête derrière sa visière et son allure dressée me font irrésistiblement penser à un coq. Malgré cette victoire, et pas mal d’autres, les journalistes estiment qu’il n’obtiendra pas le titre de meilleur joueur senior de l'année. Celui-ci devrait, en effet, revenir à Hale Irwin, la concentration et le calme incarnés. Une régularité de métronome dans tous les secteurs du jeu… Impressionnant !

Les golfeurs professionnels sont classés de plusieurs manières. C'est assez compliqué !

Pour faire simple, les Américains additionnent les sommes gagnées par les joueurs depuis le début de l'année (et qui sont publiques au dollar près). Plus vous gagnez de tournois, plus vous gagnez d'argent. Le meilleur joueur est donc aussi, en principe, le plus riche. Avec cette victoire, Bruce Fleisher est passé devant Irwin au total des sommes gagnées. Pourtant, l'analyste d'ESPN estimait qu'il n'avait pas encore gagné le titre de meilleur joueur de l'année. Il lui faudrait pour cela, disait-il, remporter au moins deux compétitions de plus qu'Irwin, au motif que celui-ci avait gagné un “major”, un tournoi du grand chelem, un exploit qui manque encore à Bruce Fleisher.

Ces tournois de pros sont effectivement un spectacle autant qu'une compétition. Ces hommes gagnent des millions de dollars en

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jouant à merveille pour notre plaisir à nous, pauvres mortels, pauvres ignorants, pauvres larves. Ils nous font rêver, ils remplacent le cirque de notre enfance. Leur caravane se déplace de ville en ville à travers les États-Unis. Ils y attirent la foule, toujours plus nombreuse, des Américains passionnés de golf dont la moyenne d'âge est plutôt élevée. Si bien que le Senior PGA Tour est plus populaire et plus rentable que le PGA Tour sur lequel les plus jeunes joueurs professionnels s'affrontent.

Le spectacle est suivi dans son périple par les chaînes de télévision et la presse, tous les médias, Internet à présent. Il permet de mobiliser des sommes colossales par le sponsoring des marques liées au jeu de golf et les droits de télévision. S'y attachent des projets caritatifs ou humanitaires, mais le véritable but, c'est de passionner les foules !

Ces joueurs sont des virtuoses. Ce qu'ils réussissent avec leurs clubs, s'apparente pour moi à de la musique. Le golf, c'est comme une musique. Si l'on joue faux, c'est horrible, insupportable… Mais si l'harmonie est présente et si la virtuosité s'en mêle, alors le plaisir est total. Comme la musique, le golf repose sur des règles extrêmement rigides et précises. C'est justement ce socle solide qui lui permet ensuite toute sa liberté d'improvisation et d'adaptation. Comme en musique, la capacité à bien jouer de son instrument, et a fortiori la virtuosité, ne sauraient s'obtenir sans un travail de préparation assidu et éclairé. Le joueur de golf amateur éclairé doit donc, à la fois, s'entraîner physiquement, s'informer (cours, livres, Internet, etc.) et se façonner mentalement.

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8 août 1999

Vendredi 13

Ce vendredi 13 ne m'a pas vraiment porté chance. Un malheureux 21 à la fin du parcours et… huit balles égarées, record absolu.

Il y a trois jours, le 10 août, en revanche, j'étais encore sur un petit nuage : un record de neuf pars sur le parcours et un score final de 13. Depuis le début du mois, mon jeu s'est amélioré, surtout dans le sens d'une plus grande décontraction et d'une meilleure concentration. Je fais un peu moins d'erreurs sur les choix de clubs et, surtout, je commence à savoir faire voler la balle.

Ce jour-là, au départ du 6, tout près de la route, j'ai été soudain rejoint par le jeune Lionel. Sa famille vit aux abords du parcours d'Atimaono. Ses deux frères et lui sont des prodiges du golf. L'aîné, est un vrai pro. Il a une trentaine d'années de golf à son actif. Ses premiers clubs, il les taillait lui-même dans des branches de goyavier.

Lionel est, semble-t-il, plus intéressé par d'autres plaisirs, liés à ses talents d'agriculteur, qui lui ont valu quelques ennuis avec la justice récemment. Il n'en reste pas moins que là, sans échauffement, sans chaussures spéciales, sans gant et en empruntant mes clubs, il m'a encore fait une démonstration improvisée mais très impressionnante de ses capacités golfiques.

Les Tahitiens possèdent un sens inné de l'équilibre, des distances et des vents. Ils sont souples, puissants et peu stressés. Toutes qualités essentielles à la bonne pratique du jeu de golf.

Bien que je fusse dans un de mes meilleurs jours avec un record de neuf pars sur dix-huit trous, je me suis soudain senti tout petit…

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13 août 1999

Ben Hogan

Un portrait de champion sur ESPN m'a impressionné par la qualité des hommages qui lui étaient rendus.

Il s'agissait de Ben Hogan, selon ses pairs le plus grand golfeur de tous les temps. À ma grande honte, j'avoue que je ne le connaissais pas. J'avais seulement peut-être vu son nom sur quelques clubs ou sur une casquette… Les plus grands virtuoses de la Senior PGA le décrivent comme un perfectionniste qui travaillait sans relâche et n'était jamais satisfait. Il avait un swing puissant et rythmé. Dans une séquence ancienne, Ben Hogan explique le rôle du bas du corps dans le tempo. “Les jambes, dit-il, et le bas du corps doivent entrer en action AVANT le torse les épaules et les bras. Si vos bras passent avant que vos hanches aient effectué leur rotation, la tête du club a toutes les chances de se planter dans la terre.”

Il a raison bien sûr. Le swing est un mouvement de torsion du corps en forme d'hélice. Encore cette analogie avec le symbolisme de la spirale. C’est aussi la forme des galaxies qui constituent notre univers, de même que la double hélice de la molécule d'ADN, considérée par la science moderne comme la “brique” première de la vie, est le dénominateur commun de tout être vivant dans ce monde.

Le symbolisme du swing allie la terre au ciel. Les pieds bien plantés dans la terre et la tête au ciel, image de l'harmonie humaine. Autour de l'axe vertical passant par les pieds, les jambes, la colonne, le cou et finalement la tête, le swing est une rotation hélicoïdale. Elle part de la plante des pieds puis remonte par les chevilles, les genoux, les hanches, le tronc, les épaules, les bras, les coudes, les poignets, les mains et les doigts. Toutes les articulations du corps sont sollicitées et doivent entrer en action à leur tour, dans un tempo parfait.

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Donc, Ben Hogan était un champion exceptionnel.

Après avoir terminé un parcours en soixante-quatre coups (- 8), un de ses adversaires raconte qu'il lui avait demandé à combien il estimait le nombre de coups parfaits qu'il avait réalisés sur cette partie. Ben Hogan répondit : “Six, pas plus !”

“La compétition est le seul moyen d'exceller dans quoi que ce soit”, affirmait-il.

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15 août 1999
Ben Hogan (1912-1997)

Record absolu sur neuf trous

Meilleure série jamais réalisée depuis que je joue au golf : deux pars et deux birdies de suite. Incroyable, un rêve. Cela se produit, en outre, sur la première partie du parcours, celle qui me pose en général le plus de problèmes.

J’avais commencé ma partie par le 10, très mal. Un horrible 13 pour terminer cette première mi-temps. Il me fallait absolument me rattraper sur le retour. Je ne pensais cependant pas y parvenir aussi brillamment. Je me suis soudain mis à jouer parfaitement. Pourquoi, comment ? Mystère !

Après quatre trous, j'étais à - 2, une sensation jamais éprouvée. Deux bogeys de suite au 5 et au 6 me ramènent à even par (après six trous, incroyable !) Malheureusement, les mauvaises vibrations d'une famille de touristes américains devant moi me perturbent suffisamment pour me condamner au bogey sur le 7 et le 9 avec tout de même un joli par entre les deux au 8. Le père était en galère totale sur le 7, le par quatre le plus exigeant du parcours. Il a mis au moins deux balles dans la rivière sur des coups pourtant faciles. De loin, je l'ai vu balancer son club dans l'eau de rage impuissante. Sa fille a dû se mouiller les pieds pour le récupérer…

J'ai donc achevé ces neuf trous à 2 seulement, meilleure performance personnelle. Sachant que, sur l'autre moitié du parcours, mon record est de 3, on peut rêver d'un parcours complet en dessous de 10. C'est peut-être possible dans les mois qui viennent.

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17 août 1999

Comprendre et réduire l'irrégularité

En attendant ce jour béni du jeu idéal, le découragement m'atteint un peu. Je me rends compte que mes performances sont beaucoup trop irrégulières. Je me suis longtemps demandé quelle était la cause de cette irrégularité. Des scores qui varient du simple au triple, du remarquable 12 au piteux 34.

Je crois pouvoir faire un pas en avant dans ma quête. Il faut se rendre à l'évidence : je suis beaucoup trop sensible aux perturbations extérieures. Mes bons scores surviennent en général lorsque je joue seul, relativement bien concentré. Mais, je subis encore de manière dramatique les vibrations d'un partenaire débutant ou en galère.

Aujourd'hui, exemple typique. Conditions idéales ! Ce mois d'août aura été féerique du début à la fin : légère brise d'est sur un ciel limpide, bleu profond, parcouru des jeux des sternes blanches, fines comme des flèches, au milieu desquelles les plus belles balles s'envolent, blanches elles aussi et presque aussi libres…

Le terrain est un peu sec toutefois. Il est tolérant pour les balles roulées, mais impitoyable pour celles qui volent. Elles ne trouvent pas facilement leur pitch. En outre, la prise de balle est difficile. La moindre erreur est aussitôt sanctionnée par la dureté du sol. J'en ai fait l'amère expérience à plusieurs reprises.

La lumière est enchanteresse, mais trompeuse. Elle nous éblouit et déforme les distances. Un petit vent infléchit le vol des balles de façon non négligeable, mais, plus encore, il influence l'humeur des joueurs. Pourtant, malgré ces conditions quasi-parfaites, je termine sur un minable 27. Comment est-ce possible ?

Certains dimanches, on ne peut pratiquement pas jouer seul. Il y a beaucoup trop de monde. Il faut prendre le rythme de la partie,

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comme le courant d'une rivière, et essayer de le conserver (ce qui peut s'avérer parfois difficile en cas de perte de balle par exemple). On se trouve donc naturellement sous une pression supplémentaire.

Mon partenaire du jour était banquier. Il jouait mal, très mal même, mais il avait eu la courtoisie de m'en avertir. J'avais pris le risque de l’accompagner. Tout de suite, j'ai compris que j'avais eu tort. Pas moyen de se concentrer sur le jeu. Le parcours fut jalonné de discussions semi-professionnelles et même de moments de violence lorsque mon banquier se querella avec un jeune Chinois qui, jouant sur le 3 voisin, lui faisait face et le gênait dans son jeu. Il était tellement énervé qu'il se trompa de balle et joua avec celle du Chinois. Ils ont failli en venir aux mains…

Le 15 par grande sécheresse

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J'ai essayé de ne pas être affecté par l'incident, mais ma balle est partie directement dans la rivière. J'avoue avoir alors pris un mulligan. Je n’en pouvais plus. Il m'a fallu un moment pour retrouver mon calme.

Mon partenaire jouait vraiment comme un cochon. J'ai réussi quelques jolis coups, mais j'ai terminé tout de même à 27. Mon objectif, à présent, est de travailler ma concentration de manière à réduire l'influence des distractions et stimuli extérieurs sur ma qualité de jeu.

Je dois dire qu’il faut bénir ces joueurs qui nous perturbent. Leur maladresse, leur lourdeur, leur violence parfois, leur impatience, leur bavardage, leur orgueil, leurs tromperies (envers eux-mêmes surtout), leurs manquements aux règles et à l'étiquette, toutes leurs faiblesses d'êtres humains ordinaires nous renvoient à nos propres faiblesses en nous les montrant sous leur jour le plus cru. Elles nous dévoilent, a contrario, la nature des vertus à développer en nousmêmes pour nous libérer de toutes ces attitudes primaires que tout joueur de golf a vécues.

Nous devons remercier le ciel de mettre ces personnes et ces obstacles sur notre chemin. Ils sont indispensables à notre amélioration, sans eux, pas de progrès possible !

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22 août 1999

Les records tombent, 10 puis 9

Mon découragement aura été de courte durée, grâce à deux parcours exceptionnels : 10 et même 9 aujourd'hui, un vrai paradis ! Pas moins de huit pars et un magnifique birdie (sur le 10). J'ai même manqué deux autres birdies de très peu et surtout sur le 18 où mon quatrième coup s’est arrêté à deux centimètres du trou. Oui, c'est ça, un vrai rêve, une ambiance irréelle de légèreté, de souplesse et d'harmonie. Je pouvais presque placer ma balle exactement là où je le souhaitais et à toutes les distances. Départs, longs coups de bois de fairway, approches, putts, tout s'enchaînait parfaitement dans une mécanique bien huilée.

Nouvel indice précieux dans ma quête de l'enseignement ésotérique du golf et des nombres qui le caractérisent. Je lisais, hier soir, quelques enseignements du Dalaï Lama. Il expliquait que le corps humain est parcouru de soixante-douze mille canaux ou méridiens par lesquels transite l'énergie vitale. Il faut, disait-il, parvenir à une harmonie de ces canaux pour établir une harmonie générale de l'être. Le nombre de ces canaux peut être résumé à soixante-douze principaux seulement. Soixante-douze, n'est-ce pas justement un nombre d'or du golf ? C'est le nombre de coups qui permet de jouer la plupart des dix-huit trous dans le par, c'est-à-dire dans l'harmonie. Soixante-douze coups réussis, à la suite, sans erreur, c'est l'harmonie totale, comme une musique sans fausse note. De là à comparer le parcours de golf et son par soixante-douze, au corps humain et ses soixante-douze canaux, il n'y a qu'un pas que je franchis allègrement. Lorsqu'on réussit un parcours parfait, on est de facto en harmonie avec soi-même et avec l'univers.

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Le golf est ainsi un yoga, une école de transformation et d'évolution du soi conscient et inconscient. Une école de communication entre ces deux mondes si souvent étrangers l'un à l'autre.

Clérodendron, petite merveille botanique du parcours au green 13

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26 août 1999

Licencié de la FFG

Encore une journée superbe. Ce mois d'août s'achève aussi magnifiquement qu'il a commencé. Le problème de ce beau temps prolongé, c'est la sécheresse qui revient à une période inhabituelle. Deux ans après El Niño qui nous avait apporté des pluies diluviennes, La Niña nous impose une sécheresse sévère. Les greens restent en très bon état, mais les fairways souffrent.

Sur mes vingt meilleurs parcours de cette période, mon handicap descend à 19. En quatre mois, je n'ai gagné pas moins de trois points de handicap. Il y a là un sujet de satisfaction, mais sûrement pas de complaisance envers soi-même. Je commets encore beaucoup trop de fautes grossières comme des balles dans les obstacles d'eau ou même hors limites. Je perds aussi beaucoup de points sur de petites approches avortées parce que grattées et, cela va sans dire, sur les putts.

Samedi et dimanche prochains, première compétition officielle. Je me suis enfin inscrit parce que je me sens suffisamment maître de moi-même à présent, pour affronter la pression d'une compétition. Je me fixe 20 comme objectif pour ce premier championnat (net) de Polynésie française. La “compète” est réservée aux joueurs de handicap 24 maximum. Il se trouve que je viens justement de recevoir ma carte de licence Fédération Française de Golf (FFG) avec mention officielle de mon handicap 20 au 1er janvier 1999.

Le championnat se déroule en deux tours. Le premier est un stroke play. Le second est un match play, c'est-à-dire un concours à deux joueurs avec calcul du nombre de trous remportés par chacun.

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31 août 1999

Entraînement laborieux… mais utile

Deux parcours d'entraînement avant la compétition. Le premier a été interrompu après les neuf premiers trous par un véritable déluge. La pluie tropicale était dense, serrée. Elle inondait tout, les greens notamment, mal drainés, qui ont été couverts de deux centimètres d’eau en quelques minutes. Les mains aussi, bien sûr, et le gant qui était à tordre. Néanmoins, ô merveille, je parvenais à contenir mon jeu malgré ces conditions dantesques. Je m'en tirais même plutôt bien avec un 10 sur ces neuf trous dont deux pars sur les 8 et 9 quand la pluie était au plus fort.

On avait du mal à distinguer la balle derrière ce rideau d'eau. Elle partait au petit bonheur, il faut bien le reconnaître. Mais, mon nouveau grip a bien tenu. Si l'on swingue correctement, c'est-à-dire sans frapper la balle, mais en la caressant plus que jamais, on obtient des résultats étonnants, même par temps très humide.

Aujourd'hui, j'ai pu faire le parcours complet dans les conditions de la compétition. Le temps s'était amélioré. Ciel couvert, puis soleil, puis couvert à nouveau… Il a commencé à pleuvoir lorsque j'abordais le 18. J'ai terminé sur un 21 plutôt moyen mais acceptable compte tenu des conditions. Fort mara’amu et un travailleur tahitien qui tondait les fairways et les avant-greens m'a accompagné, on pourrait dire poursuivi, pendant plusieurs trous. Je n'ai pas pu putter sans le fracas de son diesel en bruit de fond. Il y avait aussi les tireurs de ball-trap à l’entraînement. Ils tiennent leur championnat de Polynésie pendant toute la fin de semaine juste à côté du golf.

Charmant !

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3 septembre 1999

Première compétition, fiasco

complet, mais bonne leçon

Cette fin de semaine, championnats de Polynésie net. Première compétition officielle et quelle leçon !

D'abord le score : sans appel et sans pitié : 28 le samedi et 27 le dimanche. Sur chaque tour, j’ai totalement manqué une moitié de partie. Le samedi c’était le retour. Jusqu'au 14 tout allait bien ou à peu près. J'y étais en 17 ce qui me laissait espérer un 21 final lequel, pour un premier concours officiel, eût été le bienvenu.

Malheureusement, grosse fatigue à partir du 15. Je me suis écroulé totalement et j’ai concédé onze points en quatre trous pour terminer à 28. L'enfer, tout simplement. Je ne savais plus où j’habitais. Triple bogey, bogey, quadruple bogey et triple bogey à nouveau sur le 18. Je ne m'étais pas suffisamment alimenté et manquais de sommeil. Bien plus nerveux que je ne l'aurais cru, je ne m'étais en effet endormi que vers minuit pour ouvrir l'œil dès quatre heures et demie.

Le dimanche, ce fut le contraire. Un aller minable, mais un retour très convenable. J'avais un peu mieux dormi. Debout à 6h30. J'attends le dernier moment pour prendre mon petit-déjeuner. Pas faim, mais je me force : œufs sur le plat, tartines de confiture, papaye, thé. Et j'emporte aussi du chocolat. Il va me sauver.

L'aller est catastrophique, je crains le pire. Après neuf trous, je suis déjà à 18 avec deux triples, un quadruple bogey et aucun par. Mais, ô miracle, au retour mon golf revient. Je termine sur un 9 tout à fait bienvenu et de mon niveau.

Conditions très difficiles. Outre la tension de la compétition que j'avais totalement sous-estimée, nous avons eu droit à un temps froid,

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humide, avec un mara’amu tournant très perturbant. Il y avait aussi les chasseurs (ball-trap) qui n'ont pas cessé de tirer toute la journée dans un vacarme assourdissant sur le terrain jouxtant le 4 et le 5.

Résultat des courses, je termine quarante-deuxième avec un total net de 7 sur les deux tours, calculé par rapport à un handicap estimé par les organisateurs à 24. Je manque ma qualification de deux points seulement. Si l'on m'avait classé 36, ce que je suis en réalité puisque c'est ma première compétition, j'eusse été qualifié pour les seizièmes de finale.

Quelques points très positifs, cependant, dans cette épreuve qui m'a bien mis à plat : pour la première fois, je crois, je termine deux parcours consécutifs avec la même balle ; et surtout, j'apprends beaucoup sur le golf, sur moi-même et sur mon vrai niveau.

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5 septembre 1999 Fairway 6

Un lotus sur un étang de vase

Descente aux enfers du golf… La série noire s'arrête aux limites du classement avec un 36 arraché in extremis. Quintuple bogey sur le 6, quadruple sur les 10 et 11, triple sur les 1 et 18… Sur cet océan de boue fétide, un lotus s'est tout de même épanoui, un magnifique birdie sur le 4 qui eût pu être le premier eagle de ma “carrière” golfique. Un drive fantastique de plus de deux cent cinquante mètres (le trou est en forte descente) place ma balle en bordure de green, à quelques mètres du drapeau. Je putte, la balle prend exactement la direction du trou. J'y crois, mon premier eagle ! … Et puis non, elle s'immobilise à deux centimètres du bord. Déception !

En ce jour de profonde galère, les bogeys valaient des pars, les doubles bogeys valaient des bogeys. Ce birdie (plus un autre manqué également de quelques centimètres sur le 16) étincelle comme un joyau au milieu d'une médiocrité dont je ne parviens pas à cerner l'origine.

Je me sens fatigué, certes. Ma contre-performance du championnat de Polynésie m'a affecté plus que je ne l'aurais cru. Elle a été aussitôt suivie d'une forte grippe qui m'a laissé à plat pendant plusieurs jours et dont je ressens encore les effets.

En réalité, tout se passe dans la tête. C'est l'esprit qui anime le corps, distribue l'énergie, provoque la motivation et permet la concentration puis, finalement, définit les trajectoires et ajuste les coups. Une espèce de vide m'a envahi, incapacité à contrôler quoi que ce soit. Manque de vision des coups.

Combien de temps cela va-t-il durer ?

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12 septembre 1999

Le golf, une loterie ?

Beaucoup de progrès aujourd'hui. Des progrès relatifs, bien entendu. Je termine tranquillement à 22, soit quatorze points de moins qu'avant-hier. Un score moyen pourtant avec, au minimum, cinq par putts manqués d'extrême justesse, soit un potentiel de 17. Si l'on retire encore quelques coups vraiment immanquables, disons que mon potentiel actuel tourne autour de 15, ce qui n'est pas mal du tout. Aujourd'hui encore, le bogey valait un par…

Encore et toujours, je me pose cette question : pour quelle raison joue-t-on bien certains jours, pourquoi joue-t-on mal en d'autres occasions sans que l'on puisse déceler le moindre signe avant-coureur de ce que sera notre niveau de jeu ?

Le golf est-il une simple loterie ? Tout se passe dans la tête, me disais-je. C'est tout à fait cela, notre niveau de jeu dépend directement de l'énergie disponible pour une bonne mentalisation des cibles. Il faut une volonté puissante pour diriger la petite balle blanche vers le drapeau. La mentalisation de la cible, la création d'un lien de communication invisible avec elle, voilà les éléments essentiels, dès que l'on possède un tant soit peu la technique du swing, naturellement.

On dit généralement que le jeu de golf, c'est des départs, des approches et des putts. Certains jours, on frappe de bons départs. D'autres, les putts sont excellents, mais les départs médiocres et les approches approximatives, etc. Le rêve, c'est quand les trois secteurs du jeu sont maîtrisés. L'enfer, c'est quand deux, voire les trois nous échappent. On ne sait jamais à l'avance ce qu’il va se passer. C'est comme une machine à sous, un bandit manchot : les trois symboles

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apparaissent alignés et c'est le jackpot. Un seul, ou même aucun symbole et ce peut-être le cauchemar…

Il faut absolument sortir de cette situation de non maîtrise de son propre sort.

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14 septembre 1999
Bunker du green 17

Nouveau grip, régularité inhabituelle et créature de rêve

Encore un eagle manqué d'un rien. Sur le 18 de surcroît. La première fois, c'était sur le 4. J'étais au bord du trou en deux coups. Mais, bon, sur le 4, il n'est pas exceptionnel d'attraper le green en un seul coup de driver. Entrer ensuite un putt ou une petite approche, c'est génial, mais cela se produit tout de même relativement souvent, du moins je l'imagine…

Sur le 18, c'est autre chose. Le “juge de paix”, comme certains surnomment ce trou, est un par cinq, en dogleg à angle droit à gauche avec un lac juste à la cassure du fairway. La distance est d'un peu moins de cinq cents mètres. Éviter le lac est le premier objectif. Ensuite, il faut bien placer sa seconde balle, si possible au-delà des repères des cent trente-cinq mètres. La plupart du temps, je parviens à ce résultat sans trop de difficulté. C’est après que les choses se compliquent. Il faut une approche précise pour atteindre un green étroit, entouré de bunkers et presque collé à la limite du terrain. Le plus souvent, le troisième coup se perd dans le rough à droite ou à gauche du green.

Aujourd'hui, j’étais en deux coups dans le rough de gauche, à environ cent dix mètres du drapeau. Fer 7 ou fer 8 ? Je me suis posé la question un moment à cause de l'herbe épaisse. Mais, ma balle n'était pas trop enfoncée et une petite brise me soufflait dans le dos. Fer 8 : la balle est prise parfaitement, elle s'élève, droite, dans la direction du drapeau. Pitch à trois mètres du trou, elle roule…. Et s'immobilise à moins de dix centimètres du paradis.

Beau birdie tout de même !

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Il me permet de terminer ce parcours à 20. C'est ma meilleure marque depuis la fin du mois d'août. Je l'ai réussie à deux reprises, mais impossible de faire mieux. Je note tout de même une certaine stabilité que je n'avais jamais connue. Certes, je ne suis pas à mon meilleur niveau, mais j'en suis proche, je le sens. Depuis quelques parcours, je maintiens mes scores entre 20 et 24 et je perds très peu de balles. Moi qui suis plutôt un habitué des montagnes russes (un jour 12 et le lendemain 36), cette régularité m'encourage et je me dis que j'ai peut-être franchi un nouveau palier.

Départ 18, “le juge de paix”

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Seulement voilà, handicapé par une grande fatigue qui m'a envahi depuis mon échec au championnat de Polynésie, je suis perclus de douleurs.

À la main droite d'abord. Annulaire et, surtout, auriculaire me font diablement souffrir. Ils sont deux fois plus volumineux que ceux de la main gauche et très noueux. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'arthrose. J'en ai parlé à mon acupuncteur, qui est également golfeur. Il m'a demandé de lui montrer mon grip. J'utilisais ce grip depuis mes débuts, en 1988, et n'en avais jamais changé. L'auriculaire de la main droite s'insère sous l'index de la main gauche. Cette méthode (dite interlocking) permet un excellent blocage de l'ensemble, mais entraîne une certaine raideur des mains et des poignets préjudiciable à la finesse du toucher. Il s'ensuivait une pression constante sur l'articulation de l’auriculaire droit et de l'index gauche qui a provoqué, à la longue, une inflammation et un début de rhumatisme.

Le docteur m'a conseillé de changer mon grip et de ne plus entrecroiser les doigts, mais de simplement les poser l'un sur l'autre. De cette manière (dite overlapping), ils ne subissent aucune tension excessive. Résultat excellent. Malgré cette révolution, j'ai réussi un parcours tout à fait acceptable. L'adaptation a été plus difficile avec le driver. À deux reprises, ma balle est partie dans le décor. Dans l'ensemble, je n'ai qu'à me réjouir de cette nouvelle méthode de préhension de mes clubs. Sur les fers en particulier, ce grip donne une souplesse et une liberté de mouvement qui font merveille. Les balles volent mieux et pitchent sur les greens comme à la télé. J'ai presque retrouvé mes meilleures sensations. Et je n'ai plus mal au doigt.

Malheureusement, c'est maintenant la jambe droite qui me torture. À la suite d'un faux mouvement (un swing trop forcé), il y a quelques jours, j'ai d'abord eu mal au genou. La douleur s'est ensuite étendue à la hanche et à la cuisse, puis à tout mon membre inférieur. Je la sens poindre après treize trous environ et les cinq derniers sont un véritable petit martyre. Cela n'influence pourtant pas vraiment

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mon jeu en réalité puisque j'ai réussi ce fabuleux eag…, pardon, birdie sur le 18 alors que je pouvais encore à peine marcher.

L'autre jour, j'ai joué avec Emma. C'était drôle ! On voit rarement de jolies femmes sur le golf d'Atimaono. Et encore moins de celles qui mettent leur beauté en valeur. Emma est de celles-là.

Trente-cinq ans, peut-être, un corps de rêve, elle se tient bien droite, ce que j’admire toujours chez une femme. Sa poitrine est présentée sur un plateau avec ce petit haut blanc décolleté qui lui laisse également le ventre nu. Visière blanche sur laquelle viennent s'éparpiller des cheveux bruns, courts. Sac rouge vif ! Waaaooouu !!!

Je venais de faire neuf trous tout seul et je me présente au départ du 1. Elle m'a précédé de quelques secondes et s'apprête à jouer son premier coup au départ des femmes. Lorsqu'elle me voit arriver, elle hésite. D'un geste de la main, va et vient d'elle à moi, je lui propose de jouer ensemble. “Je joue mal”, me crie-t-elle avec la paume en porte-voix. On dit tous cela. “Je viens tout juste de reprendre…” Bon, d'accord ! Cela m'est égal. De toute manière, je ne suis pas tellement bon moi-même en ce moment.

J'avais déjà repéré son swing quelque temps avant. Très féminin ! Bien lent, souple, académique, bien “comme-le-professeur-m'aappris”. Et suggestif aussi, je ne vous dis pas ! Comme par hasard, j'étais toujours derrière elle quand elle tapait. Je la voyais se cambrer et tendre sa croupe…

Bref, la jeune femme se mettait dans des postures alléchantes et il faut reconnaître qu’elle s'en sortait bien. Je veux dire que son jeu était, lui aussi, très intéressant. Certes, elle reprenait depuis deux mois seulement, après une longue interruption. Mais, on sentait son fond de jeu solide et structuré.

- Quel est ton niveau ? la tutoyai-je aussitôt, au risque, bien mince il est vrai, de la brusquer, mais pour bien lui montrer qu'on était en ambiance sympathique et décontractée.

- Avant d'arrêter, mon meilleur score était 25, me répondit-elle.

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J'appris qu'elle avait deux enfants, ou trois, dont une grande fille de douze ans. Elle est mariée à un pilote de l'armée de l'air et travaille elle-même dans l'immobilier. Elle trouve encore le temps, j’ignore comment, de jouer au golf, de prendre des cours de peinture et sans doute bien d'autres choses encore, suggérées dans cette phrase : “Oh, tu sais, moi, j'ai ma propre vie…”

Je n'ai bien sûr pas pu m'empêcher de la féliciter pour son look. Car, plus que sa beauté, qui n’était pas si extraordinaire après tout, c'était surtout l'image générale qu'elle émettait, avec son chariot, son sac rouge, son swing, sa visière et son derrière tendu… Tout cela faisait un petit air de révolution sur le terrain d'Atimaono, à tel point qu'une de ces chipies qui passaient sur le trou voisin, une de ces concierges habituées du parcours, comme des grenouilles de bénitier désagréables qui ne vous saluent jamais et vous toisent, s'est arrêtée de jouer avant de m’interroger d’un geste qui signifiait : “Qui est cette femme, cette nouvelle, pas comme nous, cette Farani20 avec qui tu joues ?”, avec un air de réprobation évident.

De quoi j'me mêle ?

Emma, en tout cas, a dû sentir qu'elle était peut-être allée un peu trop loin. Elle était un peu plus “habillée” aujourd'hui (je l'ai aperçue de loin). Nous ne sommes pas à Paris, que diable ! Nous ne sommes que dans la province la plus reculée qui soit, ne l'oublions pas. Les gens ont des sensibilités locales particulières. Les femmes sont nues sur les plages, mais sur le golf, on doit être plus strict. Cela ménage les vieilles grincheuses… Et les vieux rêveurs comme moi dont le score souffre de la distraction provoquée par les rondeurs agréables d'une jolie jeune femme.

5 octobre 1999

20 Française.

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Équilibre, discipline et concentration

“Le golf, c'est 50 % de courage et 50 % d'intelligence.” Lee Trevino, ancien grand champion américain, faisait ce commentaire à propos du dénouement du British Open 1999 à Carnoustie, en Écosse.

Pour la première fois depuis de nombreuses décennies, un Français, Jean Van de Velde, trente-trois ans, mène de trois points au dix-huitième trou. Pendant soixante et onze trous, il a montré des qualités exceptionnelles. Une victoire historique ne peut plus lui échapper. Il ne lui reste plus qu'à assurer. Pourtant, le jeune homme veut terminer avec panache. Il tente un coup risqué qui lui permettrait de finir sur un birdie. La suite est entrée dans la légende du golf. Van de Velde manque son coup lamentablement. Les médias du monde entier publient sa photo, pantalon retroussé, pieds nus dans l'eau à la recherche de sa balle. Finalement, il perdra le tournoi en play off.

Van de Velde a privilégié le courage sur l'intelligence. Il a brisé l'équilibre. Ce que Lee Trevino voulait dire, c'est que le golf est, d'abord, une question d’équilibre entre la raison et le cœur, entre le conscient (l'intelligence) et l'inconscient (le courage). Car, il n'y a de courage que d'inconscience très souvent, surtout en matière de golf. À prendre conscience des conséquences d'un échec, on se sent beaucoup moins courageux, naturellement, on devient plus “intelligent” ou “raisonnable”.

Dans la vie, c'est la même chose, voilà pourquoi le golf est une école de la vie et de la spiritualité aussi. C'est un jeu, mais la vie n'estelle pas aussi un jeu ?

Le golf nous apprend également que plus nous nous contraignons à respecter les règles et plus nous devenons un bon golfeur, plus nous

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nous élevons. Plus notre esprit s'ennoblit, plus notre corps lui obéit. La discipline est par conséquent essentielle dans la vie comme dans le jeu de golf.

Enfin, la concentration. En golf, comme dans la vie, on doit se concentrer sur son objectif. Il faut une mentalisation puissante de la cible. La moindre distraction fait dévier la trajectoire. C'est peut-être le plus difficile, cette concentration sans faille au moment crucial. Avoir des nerfs d'acier, voilà ce qu'il faut pour bien jouer au golf comme pour bien vivre et la concentration sur l'objectif est nécessaire dans tous les domaines que ce soit spirituellement, professionnellement ou matériellement, affectivement et même sexuellement. Voilà ce que le golf nous apprend.

Méditations d’un golfeur solitaire 111

Jean Van de Velde perd sa balle dans l’eau au dernier trou du British Open (1999)
19 octobre 1999

Méditations d’un golfeur solitaire

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Frangipanier parfumé au green 10

Jouer avec les nombres

Je n'ai pas encore parlé du merveilleux parfum du frangipanier au green du 10. Ses effluves nous parviennent avec une douceur enivrante, dans la brise légère et fraîche. Depuis les marques blanches du départ du 11 perchées sur un talus à trois mètres de hauteur, la vue est magnifique, à droite, sur le 10 jusqu'au lac et au clubhouse et, droit devant, sur le fairway du 11 qui remonte en longeant une rivière couverte de nénuphars mauves. Enchanteur !

Un des secrets du golf et des francs-maçons vient encore de m'apparaître. Le golf est un jeu fondé sur les nombres, comme la vie, comme la création. On l'a déjà vu à propos du parcours, organisé autour du nombre 921. Mais c'est aussi vrai pour le jeu. Je comparais l'autre jour le golf avec la musique. Jouer au golf, c'est comme jouer de la musique, il faut s'y entraîner tous les jours et la qualité de son jeu dépend directement du temps passé à l'entraînement et au practice.

La différence entre un joueur de golf confirmé ou professionnel et un joueur amateur de haut handicap est la même qu'entre un musicien confirmé ou professionnel et un musicien amateur. Le premier sait exactement quel son il produira par tel ou tel mouvement ou souffle et cette connaissance repose sur des codes, des nombres précis, qu'il faut apprendre et retenir.

Au golf, c'est la même chose, le bon joueur SAIT, par expérience et après un long et fastidieux apprentissage, quelle distance sera parcourue par sa balle, selon le club, en fonction des conditions. Alors que l’amateur moyen le fera la plupart du temps “au petit bonheur”.

21 Lequel n’est autre que le carré de 3.

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Parfois, cela réussit, mais, trop souvent, c'est raté. Tout est donc une question de rapport entre des nombres précis (montée du backswing de tant de centimètres, avec tel club, doit donner telle distance et ainsi de suite…)

Placer une balle au bon endroit grâce à un coup de chance procure un grand plaisir. Toutefois, cette sensation n'est rien en comparaison de celle qui nous envahit lorsque notre balle se pose à l'endroit choisi, après avoir réussi exactement la trajectoire parfaite à la suite d'un mouvement maîtrisé et avec le club le mieux adapté. Un tel mouvement est capable de produire exactement l'énergie voulue, en qualité et en puissance, pour envoyer la balle sur l'objectif. Et cela, bien sûr, quelles que soient les conditions, pluie, vent, bruit, agitation… Il faut être capable de se concentrer uniquement sur la production de cette énergie parfaite.

26 octobre 1999

Méditations d’un golfeur solitaire 114

Belle averse tropicale, plus rien à faire qu’à contempler…

Le Phœnix renaîtra-t-il de ses cendres ?

Retour à Tahiti après deux semaines de repos aux États-Unis. Quelques jours fantastiques au nouveau paradis des golfeurs américains : l'Arizona. Les parcours y poussent comme des champignons, tous plus beaux et spectaculaires les uns que les autres. J'avais réservé pour deux jours au Gold Canyon Golf Resort d'Apache Junction, à une heure à l'est de Phœnix sur la légendaire route 66. Une pure merveille pas encore très connue.

Le resort est composé de petites casitas blanches aux toits plats de style mexicain. Il est posé sur deux splendides dix-huit trous : Dinosaur Mountain, un joyau construit dans la montagne à la fois désertique et pleine d’une vie sauvage, et Sidewinder, plus plat, moins époustouflant, mais pas facile tout de même. J'ai pu jouer deux fois dans la même journée sur Dinosaur Mountain, ce fut une expérience formidable.

Le plaisir du jeu est intense, le parcours est impeccable, avec une herbe fine et tendre, d'un vert vif qui tranche brutalement avec les ocres du désert. Cactus géants saguaros et palos verdes, ces arbustes secs et emmêlés typiques, parsèment la région. Les départs sont situés souvent à distance (parfois respectable) des fairways. Ceux-ci ne sont jamais plats et débouchent sur des greens rapides et mouvementés qui ne pardonnent aucune faute. L'arrosage permanent et un sable grossier font des bunkers omniprésents des pièges impitoyables.

Beaucoup de balles partent “dans le désert”, lequel commence dès l’extérieur des fairways manucurés. On les retrouve, généralement

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injouables, dans d’épineux buissons ou parmi les cailloux. En été, paraît-il, les golfeurs ne s'aventurent même pas à chercher leurs balles car la morsure du crotale, ce serpent à sonnettes fréquent en saison chaude, peut être mortelle.

On joue au milieu des petits lapins à queue blanche, des perdrix à houppette (quails) et des roadrunners (le grand géocoucou, l’oiseau coureur Bip Bip du célèbre dessin animé, sans cesse pourchassé, mais jamais rejoint par le malchanceux Vil Coyote). Il n'est pas rare d'en apercevoir un ou deux pendant le parcours.

Depuis les départs, la vue est à couper le souffle, souvent grâce au paysage, mais parfois en raison de la difficulté d'un trou. Un peu comme lorsqu'on se retrouve au sommet d'une piste noire aux sports d'hiver : on va la faire, mais on ne sait pas trop comment. Je ne m'en suis pourtant pas trop mal sorti. 100 tout rond au premier tour et 97

Méditations d’un golfeur solitaire 116

Dinosaur Mountain, Phoenix, Arizona

l'après-midi. Compte tenu de mon niveau et de la difficulté du parcours, ce n'est pas si mal.

J'ai même réussi un 92, quelques jours plus tard sur le parcours du Rancho de Los Caballeros à Wickenburg (à deux heures au nord-ouest de Phœnix), un parcours intéressant, mais d'un niveau totalement différent, avec néanmoins le trou le plus long que j'aie jamais joué jusqu'à présent (un par cinq de plus de cinq cent cinquante mètres), difficile : un fairway très vallonné, en montagnes russes, qui n'en finit pas et un green en hauteur, protégé comme toujours par de redoutables bunkers.

Je suis rentré d’Amérique avec du nouveau matériel. Sac Taylor Made, clubs Cleveland TA4, chaussures Mizuno, balles Precept, gants Footjoy et costume de pluie Etonic : j'en ai eu pour deux mille dollars. À l'exception des vêtements de pluie qui se révèlent inadaptés, je suis ravi de mes acquisitions. Mon précédent set Top-Flite m'avait fait progresser de 36 à 20 en cinq ans, j'espère que ce nouveau set de clubs formidables m'aidera à descendre à 15. C'est possible, à condition que j'apprenne et que je m'entraîne.

Pour apprendre, j'ai acheté deux livres (en anglais). Le premier, écrit par Butch Harmon, qui a notamment entraîné Tiger Woods, décortique une partie de golf réalisée par trois joueurs A, B, et C respectivement de handicap 7, 14 et 22. Chaque trou est analysé en fonction de chaque joueur. Ce n'est pas un cours de technique, bien qu'il donne ici et là des conseils sur la manière de frapper un coup. Ce livre insiste plutôt sur la stratégie, la manière d'appréhender tel ou tel type de trou : le choix du club, la prise en compte des conditions (vent, obstacles, rough, etc.) et la façon d'opérer. Super ! Le second livre est une méthode de travail mental sur soi-même pour améliorer sa concentration et apprendre à mieux faire fonctionner son subconscient.

Pour m'entraîner, c'est moins évident : le terrain de practice d'Atimaono est toujours fermé, près de huit mois après le début des travaux de réfection.

Méditations d’un golfeur solitaire 117

Mon nouveau matériel a fait merveille le jour de ma reprise de contact. Un beau 18, avec six pars à la clé (dont deux birdies manqués d'un poil). Malheureusement, hier, dans des conditions plus difficiles il est vrai (orage et fortes averses, terrain détrempé), je n'ai pu faire mieux que 24.

À noter, tout de même, un splendide par sur le 18 : tee shot excellent, la balle est placée juste en face du fairway avec le drapeau en plein milieu. Attention, le terrain est plein d'eau, mon gant détrempé, mon grip fragile et je dois encore traverser le lac. Bois 3, pas de panique, la balle s'élève presque droite, elle vole sur cent quatre-vingts mètres et je me retrouve à cent cinquante mètres du drapeau. Troisième coup : bois 5. Je ne suis pas très sûr de moi, je n'ai utilisé ce club qu'une fois (sur le 3) et j'ai perdu ma balle. Backswing bien contrôlé, tête fixée sur la balle, celle-ci part comme une flèche,

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Rancho de los Caballeros, Wickenburg, Arizona

bien droite et longue… Elle se pose un peu avant le green et roule dessus pour s'arrêter à huit mètres environ à gauche du drapeau. Sans aucun doute, le plus beau coup de golf de la journée. Lecture du terrain et repérage de la ligne de putt : un coup presque parfait, la balle passe sur le trou, mais elle est à peine un peu trop forte et ressort à quelques centimètres. Birdie manqué, mais par magnifique dont je me contente avec beaucoup de gratitude.

L’Arizona,

20 novembre 1999
Méditations d’un golfeur solitaire 119 nouvel eldorado
du golf

Premier classement officiel et première victoire

Première “vraie” compétition dimanche. Pourquoi vraie ? Tout simplement parce que n'ayant jamais été officiellement classé, j’étais encore dans la catégorie des non classés (cqfd). Or, le championnat net de Polynésie française, réservé aux première et deuxième séries, ne leur est pas ouvert. Ma participation n'avait donc pas été officiellement prise en compte.

Je jouais donc aujourd’hui ma première compétition officielle, handicap 36 au départ. Ayant terminé le parcours en 22, j'ai eu la bonne surprise de remporter la victoire en net dans ma catégorie (14) dès cette première expérience. J'ai reçu un petit trophée, un sac et un polo. Plutôt sympa et encourageant !

Ce bon résultat m'a permis de me classer officiellement en troisième série avec un handicap de 29. Je commencerai donc l'an 2000, et ma campagne de compétitions, avec ce handicap de 29 qui devrait me favoriser grandement dans les épreuves en net. En effet, je joue régulièrement en dessous de 24 - et souvent même de 20. Je sens qu'avec mes nouveaux clubs, j'ai le potentiel de jouer plus fréquemment autour de 18 et même de 16.

Aujourd'hui, lundi, j'ai joué avec Jean Solari, soixante-douze ans, ancien notaire, membre éminent d'une grande et riche famille locale, très en forme pour son âge, mince, petit, élégant, portant lunettes et jouant bien au golf. Il m'a fallu mon meilleur jeu pour le battre de justesse. En effet, il termine à 20 malgré son épuisement en raison de la chaleur sur les neuf premiers trous. Il avait tenu à marcher en traînant son chariot, ce qu'il ne fait jamais (il joue pratiquement

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toujours en voiturette). Lui et sa femme avaient sous-estimé la lourdeur du soleil à cette heure tardive de la matinée. Fort heureusement, une bonne brise venait adoucir l'atmosphère.

Malgré cela, Caroline, sa femme, grande Tahitienne entre deux âges, dont on imagine la splendeur dans sa jeunesse, n'a pas supporté les conditions. Lors de leur rencontre, il y a plusieurs décennies, cette beauté bien plus jeune que lui a probablement subjugué le maître notaire au point de le livrer corps et âme dans ses filets. Elle était bonne golfeuse avec un handicap 15. Il lui en reste encore quelque chose, même si aujourd'hui, étouffée par la chaleur, elle a été plutôt piteuse.

J'ai terminé à 18. C’était un bon jour et il faut bien reconnaître que jouer en voiture est beaucoup plus facile. Tandis que Caroline se retirait à Papara, dans leur mignon petit chalet qui ne leur sert qu'à “faire la sieste” au bord du lagon, nous avons en effet terminé le parcours en voiturette avec Jean, Non seulement la fatigue est moins intense et l'on souffre moins de la chaleur, mais encore, il est plus aisé de contrôler sa respiration au moment du swing. Or, le contrôle du souffle est essentiel dans le jeu de golf.

Méditations d’un golfeur solitaire 121

6 décembre 1999
Jean Solari, président du club d’Atimaono

Méditations d’un golfeur solitaire

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Fairway 5

Fin de millénaire et premières leçons

Méditations d’un golfeur solitaire

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Progression de sept points

Date mythique, marquant le début d'une nouvelle année de golf pleine de promesses.

Dès mercredi prochain, 5 janvier, je prends ma première véritable leçon de golf. Mieux vaut tard que jamais ! Il est vrai que je n'ai eu jusqu'ici que des bribes d'enseignement, des conseils glanés ici ou là, mais, jamais de leçon particulière avec un vrai pro. J'espère que cela va réellement m'aider.

Pourtant, des progrès, j'en ai fait en cette année 1999 qui vient de s'achever sur un très joli parcours à 17. La moyenne de mes dix meilleurs parcours sur les deux derniers mois (novembre et décembre) est également de 17, contre 24 en janvier-février. Une belle performance qui me fait gagner sept points sur un an. J'ai même vécu un rêve en juillet-août avec un parcours record à 9, un autre à 10 et plusieurs à 13. J'ai quelque peu rechuté depuis, mais, dans l'ensemble, cette année 1999 a été excellente pour mon golf.

C'est également l'année durant laquelle j'ai participé à mes premières compétitions avec une meilleure carte à 22, ce qui n'est pas mal du tout. Mon handicap officiel s'établit désormais à 29, ce qui me laisse quelques bonnes chances de victoire en net.

En 1999, j'ai aussi changé d'équipement. Je suis passé d'un set de fers Top Flite Tour, manches graphite stiff (raide), acheté en juin 1994 à Honolulu (Hawaii), à un set Cleveland Tour Action TA4, manches en graphite regular (normal), acheté à Los Angeles en novembre 1999. Quant aux bois, j'utilisais des Nicklaus Airbear achetés en 1997 à Los Angeles et je suis passé à des Cleveland Quadro Pro (driver 10.5°, sans changement, bois 3 15°, contre 16° auparavant, et bois 5 19°).

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Le premier équipement m'a fait débuter. Le deuxième m'a permis de progresser jusqu'à 18, 20 environ. J'espère que le troisième m'amènera jusqu'à 15, voire 13. Il est en tout cas bien plus performant et mieux adapté à mon jeu actuel. Les coups sont généralement bien plus longs. Là où j'utilisais un fer 8, il me faut un 9 aujourd'hui, voire un pitch. Cela me désoriente. Depuis l'achat de ce nouveau matériel, il y a moins de deux mois, je ne suis pas encore parvenu à régler la puissance de mes coups par rapport à ces nouvelles distances et mes choix de clubs sont souvent peu judicieux, me faisant perdre un maximum de points.

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Fairway 1

Sur le 7, par exemple, l'autre jour… C'est le plus difficile du parcours. Un dogleg presque à angle droit vers la gauche et en légère montée, bordé d'arbres du même côté. Principale difficulté : une large rivière placée juste avant le green. Depuis sa récente réfection, le bord de la rivière le plus proche du green a été surélevé d'environ un mètre par rapport à l'autre. Il forme ainsi une véritable muraille, pas évidente à franchir et masquant un green tout proche du hors limites à gauche et bordé de grands arbres à droite. En général, on est content de s'en tirer avec un bogey sur ce petit monstre. Pour cela, il faut faire un départ acceptable, suivi d'un second coup aux abords de la rivière, un troisième coup pour la franchir et deux putts pour le bogey.

Tout se passe comme prévu. En deux coups, ma balle est à quatrevingt-dix mètres du drapeau. Un peu de vent de face. J'hésite. Le drapeau me semble lointain tout de même, derrière ce mur de pierre du bord de rivière. Je me décide pour un fer 8. Sans forcer. Joli swing,

La balle monte bien, souplement. Mais, elle est beaucoup trop longue et roule à dix mètres au-delà du green. Alors, je drope une autre balle, pour essayer, et je sors mon fer 9. Normalement, à cette distance, sans vent arrière pour porter la balle, je dois me retrouver dans la rivière. Du moins, c'est ce que je crois. Joli swing à nouveau, le même pratiquement, peut-être un peu plus forcé par crainte d'être court. La balle monte dans le ciel en direction du drapeau. Mais, pire qu'avec le 8, elle est encore plus longue et légèrement plus à gauche. Je n'en crois pas mes yeux. Je sors alors mon pitch et drope une troisième balle. Une fois encore le même mouvement, bien ample, mais sans forcer. La balle s'élève en cloche, elle passe la rivière et vient pitcher à quelques mètres du drapeau. Bingo ! C'était bien ce club, le plus court des trois, qui convenait pour cette distance. Deux clubs de différence par rapport à ma première estimation. Je n'en reviens pas, mais bonne leçon…

1 er janvier 2000

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Première leçon, le swing

Première partie de golf de cette dernière année du siècle et du millénaire. Je termine à 19. Cette journée a été marquée par ma première leçon particulière. Pendant une heure, Jean-Luc Geronimo (c’est le nom improbable d’un des pros d’Atimaono) m'a expliqué comment m'aligner et comment conserver un plan de swing.

Il a tout de suite constaté que mon alignement n'était pas bon (bien trop à droite). Pour réussir un coup, je suis par conséquent contraint de “compenser” en m'enroulant sur moi-même pour donner un effet de draw à ma balle et la faire revenir vers la cible.

Prendre son alignement en se plaçant derrière la balle. Au besoin, placer devant son œil le manche d'un club suspendu entre deux doigts, de manière à mieux visualiser la ligne entre la balle et la cible. Sur cette ligne, prendre des repères aussi près que possible de la balle (pas plus de vingt centimètres, quelle que soit la distance à jouer). Placer la tête du club perpendiculaire à la ligne de tir, puis se placer soi-même le corps parallèle à la ligne de tir et les pieds perpendiculaires (l’équerre).

La tête du club doit reposer naturellement sur le sol. Monter ensuite son backswing lentement sur le prolongement arrière de la ligne de tir. Il ne faut pas tourner les épaules vers l'arrière. Le mouvement part du bassin qui effectue une rotation en même temps que tout le haut du corps autour de l'axe formé par la tête, la colonne vertébrale et la jambe gauche.

La dernière étape, la plus difficile à mon sens, consiste à laisser partir le club en essayant de frapper “vers la droite” (tout en gardant le club et les pieds square). Il est possible de s'entraîner à conserver son plan de swing en jouant le dos placé à environ cinquante

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centimètres d’un mur, d'une grille, d'un filet ou d'une haie, bref, de toute palissade qui ne doit pas être touchée ni par le backswing vers l’arrière, ni par le finish vers l’avant.

La leçon a duré une heure environ. Elle m'a coûté cinq mille francs. J'ai passé le reste de la journée à expérimenter ce que j'avais appris.

Dur, dur ! Malgré la simplicité apparente de ce qui est prescrit, la pratique n'est pas évidente du tout. Elle exige calme et concentration. Bien que mes mauvaises habitudes m'aient encore joué de vilains tours, j'ai tout de même pu vérifier à plusieurs reprises l'efficacité des conseils que je venais de recevoir.

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5 janvier 2000

Jour de gloire pour le Tigre

Aujourd'hui, grâce à la télévision (ESPN), j'ai vécu un très grand moment de golf. Finale du Championnat Mercedes à Kapalua, Plantation Course, un golf magnifique sur les falaises de Maui à Hawaii. C’est un dimanche ensoleillé, le quatrième et dernier tour du tournoi. En tête, Tiger Woods, le jeune prodige noir américain de vingt-quatre ans, ex æquo avec Ernie Els, grand golfeur sud-africain, la trentaine.

Quand le reportage commence, les deux joueurs sont au onzième trou et tous les deux à - 13. Ils vont jouer au chat et à la souris jusqu'au dix-huitième trou où ils se présentent encore à égalité à - 14.

Le 18 est un par cinq de près de six cents mètres, courbé vers la gauche. Entre le départ et le drapeau, une dénivellation aval d'environ soixante mètres, un vrai précipice battu par les vents. En face, une vue vertigineuse sur l’océan Pacifique. À gauche, au creux de la courbure du fairway, le vide, mais empli de haute végétation. Sur la droite, des tribunes bondées d'un public conscient de vivre des moments historiques.

En effet, si Tiger Woods emporte ce tournoi doté de cinq cent mille dollars au premier (plus une superbe Mercedes cabriolet), il enregistrera sa cinquième victoire consécutive. Dans toute l'histoire du golf, deux joueurs seulement ont gagné plus de quatre tournois de suite, Byron Nelson (onze victoires consécutives) et Ben Hogan (six victoires).

Tee shot magnifique pour les deux champions. Les balles volent sur deux cent cinquante mètres, puis dévalent la pente à toute allure sur une bonne centaine de mètres avant de s’immobiliser à la limite du vide. Il faut à présent traverser d'un second coup de plus de deux cent cinquante mètres pour atteindre le green en visant le sommet

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de celui-ci, un peu à droite, pour que la balle roule ensuite gentiment jusqu'au drapeau. Un coup déjà réussi la veille par Tiger Woods.

Le Tigre frappe un fer 2. La balle s'élève et touche le fairway exactement là où il faut. Elle roule, roule, roule… sur le green en direction du fanion et s'immobilise à trois mètres.

Tiger Woods au mieux de sa forme

La pression est terrible sur Ernie Els qui ne se démonte pas. Il frappe un coup au moins aussi beau et sa balle s'arrête encore plus près du but.

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Les deux adversaires se jaugent. Vont-ils placer un eagle ? Pour Tiger Woods, ce serait le second en deux jours, au même endroit.

C'est lui qui putte le premier. Il prend tout son temps, étudie soigneusement le terrain. Il se place et frappe doucement sa balle. Celle-ci roule très proprement, directement dans le trou. Une clameur s'échappe de la foule debout dans les gradins.

On dirait Ernie Els sonné. N'importe qui le serait à sa place. Mais, le Sud-africain n'a pas dit son dernier mot. Pour rester dans la course, il doit, lui aussi, placer un eagle. Quel défi incroyable ! Moins spectaculaire, il prépare néanmoins son coup dans les moindres détails… Et il le réussit. C'est le délire total ! Deux eagles à quelques mètres, en moins de cinq minutes, le public est au paradis.

Play off en mort subite. Cela signifie que les deux joueurs vont devoir s'affronter à nouveau sur un ou plusieurs trous supplémentaires. Le premier qui craque est éliminé.

Retour au départ du 18. Les deux champions sont reconduits chacun dans une Mercedes 4x4 gris métallisé flambant neuve. Ce second passage au dernier trou du parcours est le frère jumeau du précédent. Les deux joueurs se retrouvent en deux coups sur l’immense green. Le suspense est à son comble. Il l’est encore plus après qu’Ernie Els a manqué un nouvel eagle d'un cheveu et que Tiger Woods a sauvé le birdie de façon magistrale.

Second play off sur le 1. Par quatre d'environ quatre cents mètres, très difficile, en descente et avec un green très protégé par des arbres à gauche. Les deux départs sont pratiquement identiques et les deux balles ne sont éloignées l'une de l'autre que de quelques mètres. Deuxième coup, elles se rapprochent encore en roulant toutes les deux sur le green à environ dix mètres du drapeau, séparées seulement d'un mètre environ. Tiger Woods doit putter le premier. Comme toujours, il prend son temps. Son putt est parfait, miraculeux. La balle roule doucement en très léger arc de cercle et se place dans le trou. Bras levé vainqueur ! Public en folie !

Cette fois, la tâche d'Ernie Els est surhumaine. Certes, son putt est un peu plus facile que celui de son adversaire, mais il fait tout de même huit à neuf mètres, dans une position délicate (green incliné)

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et sous une pression terrible. Pourtant, il ne se démonte pas. Il prépare son coup calmement et frappe sa balle tranquillement. On retient son souffle. La balle est bien dirigée, elle prend le chemin du trou. Les tribunes sont en ébullition. Hélas, le bras d'Ernie Els flanche. Il lui manque le petit grain d'énergie céleste dont son adversaire est habité. Sa balle s'immobilise à quelques centimètres du trou…

C'est fini ! Le visage de Tiger Woods s'éclaire. Il entre dans l'histoire du golf. Ernie Els semble soulagé. Il y a cru. Il a tenu tête à cet extraterrestre au jeu magique. Son dernier tour a même été supérieur. Mais rien n'y fait, les dieux sont avec le Tigre. Tout lui sourit. C'est un nouveau jour de gloire ! 9 janvier 2000

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Kapalua Plantation Course, Hawaii

Deux eagle putts

Peut-être mon jour de gloire. Mais personne n’en a rien su.

Pour la première fois en plus de dix ans de golf, j'ai réussi à accrocher le green d'un par cinq en deux coups seulement. Mieux encore, j'ai réussi cet exploit deux fois de suite, sur les deux par cinq de la première moitié du parcours, le 3 et le 9.

C'est une sensation sensationnelle !

J'ai donc eu droit à deux eagle putts. Malheureusement, ils étaient longs, environ huit mètres chacun, et aucun des deux ne trouva le chemin du trou. Sur le 3, impressionné par cet exploit inattendu, j'ai même manqué le birdie, un putt pourtant facile d'un peu plus d'un mètre.

Sur le 9, je me suis retrouvé en deux sur le green à la hauteur du drapeau, mais à droite. Je ne suis pas Tiger Woods. Ma balle a bien pris la bonne ligne, mais elle a finalement frôlé le trou par la droite et j'ai fini par un birdie.

janvier 2000

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13

Le trou-en-un d’Evelyne Poetai (La Dépêche de Tahiti, 24 janvier 1985)

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Dominer la peur

La peur, insidieuse, inconsciente souvent, celle qui paralyse sans même que l’on s’en aperçoive, en face d'un obstacle - lac, rivière, arbres placés aux endroits stratégiques, bunker… Cette peur est une alarme utile. Elle nous fait sentir le danger, les risques, elle nous met en alerte. Mais, elle devrait s'arrêter là. Imagine-t-on vivre avec une alarme ou une sonnette fonctionnant en permanence dans sa voiture, son bureau, sa maison ? Ce serait un supplice infernal. C'est exactement ce qu’il se passe pour la peur. Au lieu de simplement faire son office d'avertissement, elle s'installe, s'incruste, perdure, jusqu'à empoisonner la vie. Dans celle-ci comme au golf, la peur doit être contrôlée par le courage. Une fois sa mission remplie, elle doit laisser la place à la réflexion, à l'évaluation des risques et à la conception des solutions. Ainsi agit l'homme noble, celui qui a dominé sa peur.

La discussion s'engage avec Evelyne, une employée du golf qui arrose le green. Evelyne est née à Atimaono. Elle a toujours vécu sur le golf. Aujourd'hui, elle est une des meilleures joueuses de Polynésie française. Petite boule perchée sur deux jambes, tassée, joufflue, la tête toute ronde, toujours coiffée d'un petit chapeau… rond, sa silhouette est bien loin du stéréotype de la championne de golf élancée et déliée. On peut être rond et très bien jouer au golf. C'est parfois même un atout, car lorsqu'on est rond, on tourne mieux, logique, non ?

Evelyne me confie qu'elle n'a jamais pris aucune leçon de golf de sa vie. “Nous avons commencé en taillant des branches de goyavier, me raconte-t-elle. Et nous faisions déjà de bons scores avec ces clubs rudimentaires.”

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17 janvier 2000

Méditations d’un golfeur solitaire

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Orage

Conditions idéales aujourd'hui… jusqu'au 18. J'étais sur le green du 17 quand le grain est arrivé. Le matin, la météo avait été parfaite. Couvert, agréable, avec une légère brise qui vous apporte des parfums absolument divins. J'étais à 20 au 18. Le vent a soudain fraîchi. De gros nuages noirs se sont amoncelés au sud-est. La pluie est arrivée comme un rideau, balayant tout, accompagnée de grondements de tonnerre.

J'avais toutes les peines du monde à nous protéger mon sac et moi. Avec un tel vent et la pluie dans les yeux, difficile de manipuler une veste ou un imperméable. Quant au parapluie, je l'ai abandonné depuis belle lurette. Quand il pleut vraiment à Atimaono, un parapluie n'est d'aucun secours. Il se retourne à la première bourrasque et devient très vite plus un fardeau qu'autre chose.

L'orage, cette fois, était d'une telle violence qu'il m'a privé de tous mes moyens. Je ne me laisse généralement plus impressionner par une averse sur le parcours. Au contraire ! Bien équipé, j'adore jouer sous la pluie. Pourtant, je me suis laissé surprendre cette fois et je ne parvenais plus à rien contrôler. J'ai réussi tant bien que mal à atteindre le green du 18 inondé sous des torrents d'eau.

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30 janvier 2000

Reprise acceptable après maladie

L'an 2000 a déjà plus d’un mois. Et je n'ai joué que six fois. Une mauvaise bronchite vient de me clouer au lit pendant presque deux semaines. J'ai repris aujourd'hui après tout ce temps sans exercice physique d'aucune sorte. Je ne m'en sors pas trop mal avec un parcours terminé à 21. Beaucoup d'erreurs naturellement, surtout sur le green et à l'approche. Mais quelques coups absolument divins. Pas loin d'une dizaine de coups de qualité professionnelle. Du genre deux cents mètres au bois 3 à six mètres du fanion sur le 13. Ou un putt de vingt mètres depuis l'avant green sur le 6. Un vrai plaisir de reprendre dans de telles conditions. Je me sens sur la voie d'un gain de handicap. Mes parcours sont beaucoup plus réguliers et je réussis de plus en plus de coups gagnants.

Pourtant, la souffrance était là, bien présente. J'ai perdu quatre kilos pendant ma maladie et sans doute une bonne part de ma masse musculaire des jambes. Au terme de dix-huit trous, je ne me sentais pas outre mesure fatigué, mais mes jambes et mes hanches étaient transpercées de douleurs comme après trente-six trous ou plus.

Pas grand-chose à ajouter sur cette reprise de contact, à part la sensation d'une meilleure maîtrise des clubs et de la balle, même si je commets encore des bévues grosses comme moi par manque de concentration.

8 février 2000

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Perfection

Le fait est si rare qu'il vaut la peine d’être noté. En réalité, je crois que c'est la première fois qu'il m'arrive de réussir un birdie sur trois parcours consécutifs. Ceux de vendredi étaient un peu chanceux, il faut bien le reconnaître.

Aujourd'hui, c'était tout différent. Je venais de traverser les quatre premiers trous en semi-galère.

Double bogey au 1. Bogey au 2. Sur le départ du 3, par cinq, la brise est forte, pleine face. Je sors mon driver. Trop stressé. La balle monte en chandelle et s'écrase dans le rough, au milieu des pamplemoussiers. Gros risque d'être gêné par les arbres.

Ben voyons… Il est bien là, son petit tronc juste en face de moi, à cinq mètres.

Fer 7. Slice. La balle contourne l’arbre à mi-hauteur par la gauche, comme je le souhaitais, mais elle part dans le soleil et je la perds de vue. Fort heureusement, le coup est plutôt réussi, du moins je suis sur le fairway, à cent vingt mètres du drapeau. À gauche, de grands arbres marquent le hors limites. En face, deux rangées parallèles de petits pamplemoussiers qu'il faut survoler pour atteindre le drapeau.

Je suis un peu prétentieux : fer 7, mais le vent est trop fort et malgré une très jolie prise de balle, je reste coincé sur une petite pente à dix mètres du trou. Je ne contrôle pas suffisamment et il me faut ensuite deux putts pour terminer. Encore un bogey.

Trois trous et je suis déjà à + 4. Ça se présente plutôt mal. Je me sens lourd, le moral vacille. Je grimpe lentement le raidillon qui mène au départ du 4. Il fait déjà chaud. Mon driver sous le bras, je me pousse comme on pousse une bête à l'abattoir. Arrivé en haut, je souffle comme un bœuf. Le vent n'est pas trop fort. Je m'aligne, mais,

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allez savoir pourquoi, la balle m'échappe et s'envole au-dessus des limites à droite avant d'atterrir dans le champ d'à côté.

Ça ne s'arrange pas.

Je me calme, … Enfin, j'essaie. Deuxième balle, déjà mon troisième coup. Elle part à gauche cette fois. Classique ! Mais, ouf, elle s'immobilise avant la haie. Mon sandwedge me pose sur le green en douceur mais légèrement trop loin. Je suis là en quatre, mais le putt est difficile. Je le manque, naturellement, double bogey.

C'est alors que j'ai réagi !

Respiration, concentration, relaxation. Les trois éléments constitutifs du yoga. Ils sont aussi efficaces en golf. Et je décide de les appliquer. Après une petite halte à l'ombre des tamariniers et des manguiers, je me prépare à affronter le 5. C’est un par quatre de trois cent cinquante mètres environ, pas facile, un qui n'a l'air de rien mais qui vous aspire des dizaines de balles à droite et à gauche avant de se laisser apprivoiser, et qui, de temps à autre, aime encore bien vous faire des blagues et vous bloquer entre les racines de ses grands arbres.

Je me décide à abandonner mon driver pour le moment. Je me sens assez fatigué et le vent ne faiblit pas. Je choisis de démarrer au bois 3.

Bonne relaxation, je ralentis mon mouvement au maximum. La note, la note de musique qui s'élève au moment de l'impact, le “ping”. La qualité de cette note est révélatrice de celle du coup de golf qui l'a émise. C'est la vibration du champ de force créé par le swing.

Cette fois, c'est du cristal. Je n'ai rien senti qu'un grand bonheur. La tête de mon club a parcouru un cercle complet, elle frappe la balle sans intervention de ma part et mon mouvement démarre “from the ground up” comme disent les Anglais, à partir du sol. C'est le déroulement harmonieux d'un ressort. L'énergie est pure, la balle est parfaitement compressée. Elle se détend comme il faut et elle s'envole… Elle vole plus loin que je ne l'ai jamais vue. Pas avec un bois 3 en tout cas. Les piquets rouges et blancs sont largement dépassés. Ma balle est en face du drapeau, à cent vingt mètres à peine.

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Je me sens dans un état bizarre, à la fois détendu et hyper concentré. Je sais quel mouvement doit être réussi pour être au drapeau. Fer 8 et je fais exactement ce qu'il faut. La balle s'envole à nouveau en douceur, droite. Elle retombe sur l'avant-green et roule, roule, avant de s'arrêter à environ un mètre cinquante du trou.

La sensation est indescriptible. C'est exactement celle que l'on doit percevoir pour jouer à ce niveau. C'est d'une finesse et d'une instabilité incroyables. Elle vous procure un plaisir puissant et une détente profonde. Je suis vraiment heureux d'avoir pu connaître cela enfin, dans ma modeste carrière de golfeur sans talent. Pouvoir vivre de tels moments, même s'ils sont rares, surtout s'ils sont rares, c'est toute la valeur du golf, la récompense d'une transformation alchimique souvent lente et pénible.

Apprendre à penser pour jouer au golf. 50 % de courage, 50 % d'intelligence. Je suis encore trop impulsif. Se forcer à penser au coup suivant lorsqu'on fait le choix d'un club et d'une tactique. Je ne le fais jamais. Je cherche toujours la plus forte longueur. Je me retrouve ainsi souvent derrière les bunkers, avec de petits coups lobés impossibles à réussir qui me font perdre un maximum de points. Ne vaudrait-il pas mieux, souvent, jouer son troisième coup d'un peu plus loin, avec du recul, d'un bon coup de sand’ ou de pitch’ ?

Cette fois ma balle est là, en deux coups, si près de ce drapeau. Je prends mon temps. Je savoure cet instant béni. Je n'ai jamais réussi de birdie sur ce trou. J’y fais même rarement le par. Je suis calme, je sais que je vais le faire, j'ignore pourquoi, comment, mais je le sais. L'impact est parfait, la balle part à la bonne vitesse sur la bonne ligne et pénètre dans le trou en plein centre : le birdie parfait, magique…

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13 février 2000

Putt de retour réussit toujours

Voici un adage golfique appris, il y a peu, de la bouche d’un partenaire occasionnel. Il se vérifie bien souvent. En tout cas, aujourd'hui, j'ai pu en avoir la preuve. “Putt de retour, réussit toujours”, ce deuxième putt que l'on retourne effectivement après avoir manqué un premier essai, se loge généralement au fond du trou, c'est vrai. Ah, cette poésie de l'adage, toute cette expérience résumée dans des formules faciles à retenir. Il doit y avoir une série d'adages de ce type en golf. J'aimerais les connaître. Il y a aussi une superstition, à l’égard de la balle, notamment, dont on devrait changer après un trou manqué ou devant laquelle on ne devrait pas tenir certains propos, comme si elle pouvait les entendre. La balle que l’on personnalise parfois, que l’on “gynécomorphise” en l’assimilant à une femme, avec ses manies, ses travers, ses caprices… et aussi ses douceurs et ses câlins.

Excellent parcours ce mardi matin, une partie qui m'a redonné le goût des plus hauts sommets de l'an dernier. Des sensations de rêve. Un bon équilibre. Pas de stress du tout. Normal, le vent était nul. Aije déjà évoqué l'influence du vent sur notre humeur et notre état nerveux ? Pas un souffle aujourd'hui. Un ciel couvert, lourd, mais un terrain idéalement souple. La possibilité d'envoyer des balles exceptionnelles sans trop de difficulté. Je ne m'en suis du reste pas privé. Sur les quatre par trois du parcours, par exemple, j'ai réussi trois pars à la suite de tee shots fabuleux en plein centre du green. Malheureusement, je n'ai pas su en profiter pour inscrire des birdies.

Cela fait des mois que je n'ai pas réussi un parcours aussi bon. J'ai l'impression de mieux construire mon jeu et mes coups. Je prends mes alignements sérieusement. J'assure mes rotations, mon tempo, la force du backswing… Et je sens que mes progrès, peut-être moins

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rapides, seront plus durables. Peut-être pourrai-je cette fois éviter la descente aux enfers que j'ai dû subir l'an dernier après trois mois de petit nuage.

Gérard22, champion de golf local, taillé comme un deuxième ligne de rugby, donne la leçon à un jeune ami en voiturette. En me dépassant au départ du 10, il me lance : “Fais attention à ta jambe droite, ne la raidis pas lorsque tu fais ton backswing. Si tu raidis ta jambe, cela modifie ton plan et tu rates ton coup. Il faut veiller à garder le flex sur le genou droit, c'est lui qui te permet de bloquer ton swing dans le plan. Et pour être sûr de ne pas perdre ce flex, tu dois porter ton poids sur l'intérieur du pied droit. Ainsi la jambe reste bien dans sa position…”

Je mets aussitôt ce conseil en pratique. Il fait merveille. Ma balle est sur une pente presque verticale, derrière le départ des femmes, dans une herbe épaisse. Fer 6 : en souplesse, la balle monte et s'envole dans une trajectoire parfaite avant de s'immobiliser à trente mètres du green. Un coup de cent cinquante mètres. Je me concentre bien sur la flexion de ma jambe droite. Sandwedge, belle balle en cloche qui pitche au centre du green à six mètres du drapeau. Le putt est à l'avenant : par.

22 Gérard Bougues, un des figures du parcours d’Atimaono, décédé en septembre 2021 à l’âge de 72 ans. “ll trouvait toujours des nouveautés dans le swing, des analyses qu’il partageait bien volontiers, écrivait alors la Fédération polynésienne de golf. Il était de fort bon conseil et devint l’un des meilleurs joueurs du circuit polynésien. Il avait remporté la Classic Central deux années de suite, en 2013 et 2014, et participé aux 10e Jeux du Pacifique sud, à Papeete en 1995, où l’équipe tahitienne de golf avait remporté la médaille d’argent. Il avait également défendu les couleurs de Tahiti au Vanuatu lors des Mini-Jeux du Pacifique sud en 1993.”

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15 février 2000

Les Monégasques et Tavana

Superbe journée de golf ! Il faisait chaud, très chaud, aujourd'hui. Pas d'air. On suffoquait sous la frappe du soleil. Mais qu'est-ce que c'était beau ! Et en plus je jouais bien. Que demander de plus ?

Je termine sur un 17 irréprochable qui aurait pu très facilement être un 13 ou un 14 si je n’avais manqué quelques coups faciles, sur le green notamment avec quatre ou cinq putts courts stupidement gâchés.

La journée a commencé vers neuf heures. Je venais de frapper ma première balle au départ du 1. Bonne balle, un peu dans le rough, à gauche, mais longue et bien placée. J'allais démarrer, lorsqu'un couple s'est présenté en voiturette au départ. Respectant l'étiquette, je leur propose de passer. L'homme frappe sa balle, n'est pas satisfait, prend un mulligan et en frappe une seconde qui n'est pas meilleure.

- Vous ne voulez pas jouer avec nous ?, me propose-t-il après avoir rangé son driver.

- Je ne voudrais pas vous gêner, non seulement je suis à pied, mais il fait très chaud et je joue lentement.

- Absolument sans importance, insiste-t-il, nous avons tout notre temps.

Il s'appelle Christophe, la cinquantaine florissante. Elle s'appelle Sophie, la jolie trentaine. Il est conseiller en placements financiers, elle est sa femme et le suit partout dans ses voyages à l'étranger. Ils vivent à Monaco, profitant largement de la folie boursière qui s'est emparée du monde depuis quelques années. Tiré par les nouvelles technologies et ce qu'on appelle la “nouvelle économie” liée à Internet, le prix des actions explose et les clients se bousculent. Visiblement, l'argent n'est pas un problème pour eux. Passionnés de

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golf, ils emportent leur matériel dans tous leurs déplacements. Christophe porte autour du cou un pendentif en or à l'effigie d'un golfeur au finish.

Ils jouent bien. La jeune femme golfe même très bien. Plutôt petite, elle a des yeux extraordinaires, d'un bleu clair envoûtant, souligné par les noirs du mascara et de sa chevelure, contrastant avec sa peau brune, brûlée. Si brûlée que je dois me retenir pour ne pas la mettre en garde contre les méfaits du soleil.

Nous jouons dix-huit trous ensemble. Je parviens à faire bonne figure, malgré la qualité de leur jeu, de son jeu à elle surtout, qui finit à 5 à l'aller. Et pourtant, me confie Christophe, elle ne s’entraîne jamais. Elle est douée, c’est tout.

Cette injustice de la nature me fait serrer les poings et les dents. À l'exception d'une énorme erreur au 4 où je mets deux balles dans les champs à droite au départ, mon jeu est d'excellente qualité et je termine la première moitié à 8. Mon jeu est bon, c'est vrai, malheureusement mon putting me lâche.

Au retour, la chaleur devient intolérable, mais je continue à bien jouer. Christophe me propose de me prendre sur leur voiturette, ce que j'accepte avec gratitude. Sur le long 12, comme d'habitude à cette époque de l'année, c'est la fournaise à cette heure de la journée. Malgré le soulagement que ce transport me procure, je ne parviens toujours pas à placer mes putts et j'aligne les bogeys les uns derrière les autres pour terminer finalement à 17.

Peu de coups remarquables durant cette partie. À noter tout de même un coup de fer 7 au 16 qui mérite d'être inscrit aux archives : Par 4 d’environ trois cent cinquante mètres. Départ au bois 3 un peu manqué. La balle n’a pu dépasser la ligne des trois grands arbres qui barrent le fairway à cent mètres du green. Elle s'est arrêtée sur la gauche, dans le rough, à côté d'un grand tamarinier, à environ cent dix mètres du but. Entre le drapeau et moi, à vingt mètres environ, un énorme tronc de mombin me cache le green. Aucune solution, à première vue, à moins de… À moins de disposer d’une balle à tête

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chercheuse turbo propulsée et d’une canne qui tire dans les coins. Parce que la seule solution, pour y être en deux, c'est de contourner ce tronc, pas trop haut pour ne pas se prendre dans les basses branches, mais suffisamment pour avoir l'énergie de traverser la rivière qui coupe le fairway un peu plus loin, derrière, et aussi dépasser le bunker qui protège encore le green.

Naturellement, je n'ai pas une chance sur mille de réussir un tel coup. Je devrais raisonnablement faire une petite approche pour me repositionner et tenter le green en trois coups. Mais, je me sens bien, en possession de mes moyens, un peu euphorisé par la présence de ce couple heureux, patient, bien élevé et passionné par notre sport. Je choisis le fer 7 et frappe calmement. C'est essentiel. La balle prend une trajectoire légèrement inclinée de bas en haut et incurvée sur la gauche. Elle frôle le bas des branches et s'engouffre dans l'ouverture entre les deux arbres avant de s'envoler par-dessus la rivière et de s'immobiliser sur le green à quelques mètres du drapeau. Un réel coup de génie, chaleureusement salué par Christophe, et qui m'a procuré un plaisir rare. Occupée à galérer sur ce trou qu'elle finira sur double bogey, et plutôt énervée, la belle Sophie n'a rien vu, dommage.

Elle n'a fait que 8 sur cette seconde moitié et termine à 13. Quant à son mari, qui n'avait pas fait mieux que 10 à l'aller, il a été le meilleur sur ce retour avec seulement 5 et finit à 15.

Mon jeu est solide et je me sens bien. Je décide alors de repartir seul pour rejouer les neuf trous de l'aller, histoire d'effacer la tache du 4, le matin. Pourtant, compte tenu de la chaleur, et pour me ménager, je décide de louer une voiturette.

D'abord, tout se passe bien. Au départ du 1, je rencontre Théo, le vieux ramasseur de balles. Il m'en propose tout un sac, mais je n'en choisis qu'une dizaine des plus belles pour le même prix. Il me remercie en me couvrant de fruits divers, papayes, citrons, avocats…

Mon jeu s'affirme, je respire mieux. Mais, je ne sors pas des bogeys aux deux premiers trous. Au 3, je fais un joli par avant de rattraper Oscar Temaru. Maire de Faa'a, la commune la plus peuplée de Tahiti,

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et leader charismatique du mouvement indépendantiste polynésien depuis un quart de siècle23, Oscar est handicap 8. Il fait son parcours du vendredi, tranquille, accompagné de son sympathique quatrième adjoint, Germain, avec qui j'ai déjà joué plusieurs fois, et d'une femme que je ne connais pas.

Il vient de frapper au départ du 4 et je dois putter sur le 3. Nous nous saluons cordialement, comme d'habitude, et je lui demande si je peux jouer quelques trous avec eux.

- Bien sûr, avec grand plaisir, me répond avec un grand sourire celui que tout le monde appelle Tavana (le chef, un terme tahitien dérivé de l’anglais “commander”).

Là encore, je suis à la hauteur. Par au 4, bogey au 5, par au 6, double bogey au 7 et au 8 et birdie manqué de très peu au 9, après une approche fabuleuse de cent mètres au pitch à trois mètres du drapeau, saluée par Tavana qui me lance :

- Belle balle, Patrick !

23 Oscar Temaru a été président de la Polynésie française en juin 2004. Il l’a encore été ensuite à quatre reprises pendant la triste décennie marquée par une instabilité politique chronique, mais jamais plus de quelques mois.

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25 février 2000

Précieux enseignement

Une des plus belles leçons que le golf nous enseigne, c'est de faire avec ce que la vie nous offre, du mieux que nous pouvons, en utilisant les instruments à notre disposition et, pour le reste… de nous taire !

Ne pas se plaindre, ne pas proférer de jurons, ne pas insulter la balle et le monde entier quand on manque son coup, c'est difficile. Mais, c'est justement l'un des apprentissages que le golf nous aide à opérer sur nous-mêmes : lâcher prise, aborder la vie telle qu'elle est, pas comme nous voudrions qu’elle soit, prendre conscience que, de toute manière, nous n'avons pas le choix, notre vie est comme elle doit être, avec ses “bons” et ses “mauvais” côtés. Le classement dans l’une ou l’autre catégorie n’est du reste pas toujours facile. Ce qui de prime abord nous paraît “bon” pour nous-mêmes, se révèle parfois “mauvais” avec le recul. L’inverse est aussi vrai. En se donnant la peine d’analyser les choses et les situations un peu plus profondément, on s’éviterait bien de fausses joies et l’on s’épargnerait beaucoup de tourments inutiles.

Quand on aborde un trou au golf, il faut d'abord estimer tous les paramètres : configuration, distance, vent, lie, obstacles, humeur, fatigue, etc. Il faut ensuite choisir les “armes” ou les outils avec lesquels le trou va pouvoir être atteint. Il s'agit de savoir au mieux tirer parti de ses propres talents et de ses capacités au moment présent, en adoptant une stratégie adaptée à la configuration de jeu dans laquelle on se trouve. Un manque d’humilité ou, au contraire, une réserve excessive nous conduisent trop souvent à faire les mauvais choix. On se surestime et l’on attaque trop quand il faudrait être prudent. On hésite et l’on tremble quand la franchise et la confiance s’imposent. Il faut, enfin, être capable de rester serein en

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présence de n'importe quelle situation, aborder celle-ci comme une nouvelle expérience, un nouveau défi, et s’efforcer de la vivre en profitant des expériences et des défis passés.

Pour celui qui sait voir, un parcours de golf est un chemin initiatique. Chaque partie de golf peut devenir une “quête du Graal”, symbolique certes, en réduction assurément, mais dans laquelle les échecs et les succès ont chacun leur enseignement à instiller goutteà-goutte dans notre pauvre conscience étroite. Aujourd'hui, je décide de prendre la vie comme une partie de golf et les parties de golf comme la vie, c'est-à-dire en luttant contre mes tendances naturelles à la rébellion, à la frustration et à la négativité. J’apprendrai à accepter les conditions de jeu ou d'existence sans m'en plaindre, à comprendre que le succès et l’échec sont toujours relatifs et, en tout cas, entre mes propres mains. J’apprendrai qu'il y a un début et une fin, des hauts et des bas, des plaisirs fulgurants et des douleurs aiguës et humiliantes, que l'on commet sans cesse des erreurs, mais qu'il faut savoir les reconnaître, les accepter et apprendre, apprendre encore pour essayer péniblement, de s'améliorer si peu que ce soit.

Premier concours de l'année, ce samedi 18 mars. Un vrai désastre, mais une bonne leçon. Je termine à 26, mon plus mauvais score depuis six mois. Trois triples bogeys, deux balles hors limites, une autre coincée derrière un cocotier et quelques erreurs impardonnables qui m'ont fait serrer les dents. Finalement, le bilan aurait pu être bien pire. J'étais ailleurs, incapable de la moindre concentration, je ne savais même plus où j'habitais. Départ à 10h10 et arrivée à 14h50, la période la plus chaude de la journée, avec un soleil de métal en fusion à peine tempéré par une forte brise qui me perturbait nerveusement. Bref, j'ai craqué ! C'est tout.

Ceci dit, j'ai beaucoup appris. Tous comptes faits, eu égard au nouveau système de comptage des points en “stableford”, j’améliore mon index de jeu de 1,2 point pour passer de 29 à 27,8.

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18 mars 2000

La compète, c'est vraiment dur !

Eh bien, non ! Ce n'est pas un poisson d'avril. Nous sommes bien le 1 er avril de l'an 2000. Bizarre, comme les symboles s'effacent devant la réalité ! Nous sommes en l'an 2000 et la vie continue, comme si de rien n'était.

Pas vraiment toutefois. Moi qui n’avais jamais de ma vie participé à aucune compétition sportive, à plus de cinquante ans je suis inscrit à mon deuxième concours officiel de l'année. La coupe Kiwanis (un club de service, comme on dit, c'est-à-dire à vocation sociale et caritative, comme le Lion’s ou le Rotary) est organisée sur deux tours, aujourd'hui samedi et demain dimanche. C'était une journée absolument splendide. Pas un nuage et une brise fraîche, mais qui rendait le jeu périlleux.

La compétition me stresse, je suis tendu. Mon jeu m'échappe. Pourtant, depuis le dernier concours, j'ai fait des prouesses, ne finissant jamais mes parties à plus de 21, avec des pointes à 18 et même 17. Des parcours sans triple bogey, avec des pars et même des birdies. En compétition, tout est différent. On ne choisit pas l'heure de son départ, ni ses partenaires. Le rythme du jeu est différent, plus lent généralement, et le parcours s’allonge d’une bonne demi-heure, voire davantage. L’ambiance est moins détendue. On s’évertue à bien jouer, alors qu'il faudrait jouer, tout simplement, naturellement, comme on le fait les autres jours, quand il n'y a pas de compétition.

Départ au 10 à 9h30. Il fait déjà très chaud. Heureusement, une bonne brise tiédit une atmosphère chauffée à blanc. Le lac est là, tout près, à mes pieds. La sécheresse l’a vidé de son eau, il n'en paraît que plus terrible. Un des joueurs qui m'ont précédé a mis deux balles dedans avant de pouvoir décoller. La pression est forte.

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Bon coup de bois 3, un peu chanceux. Ma balle se place en plein milieu du fairway, à quatre-vingt-dix mètres du trou, malheureusement dans une flaque de boue à peine sèche, le lie est pourri, la balle est plus basse que mes pieds et mes pieds complètement désaxés. Je force un peu trop sur mon pitch et dépasse le green de six mètres. Je suis en pré-rough. Mon troisième coup atteint à peine le green, et il ne me faut pas moins de quatre putts pour vaincre ce premier trou. Triple bogey… Le ton est donné, ce sera dur ! Il y en aura trois durant cette première journée qui s'achève néanmoins à 24, la limite psychologique que je m'étais fixée.

Seulement deux pars, mais un superbe sur le délicat 18, avec maestria. De longs coups spectaculaires, mais des approches approximatives et un putting qui me lâche complètement. Mon score est moyen, mais c’est tout de même cinq points sous mon handicap. Tout le monde m'a félicité, estimant ce score plutôt bon. Cela m’a un peu surpris, mais j’en suis finalement convenu.

Mes deux partenaires du jour, un homme et une femme, tous deux handicap 29, comme moi, ont respectivement terminé à 34 et 36. Je me rends ainsi mieux compte de la valeur de ma performance. Le jeu de golf est vraiment un exercice délicat et fin. La relativité ambiante y a toute sa place et sa raison d'être.

Demain, second tour… L'an dernier, pour ma première compétition, j'avais terminé à 28 le premier jour, et à 27 le lendemain. Je ne souhaite qu'une chose, gagner encore un point demain et finir à 23 pour un total de 47 soit - 11 sous “mon” par. Ce serait un vrai bon résultat, très encourageant.

À suivre…

1 er avril 2000

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Green 17

Eagle

C'est bizarre, on ne sent rien, ou presque. Je n'avais même pas réalisé, je pensais avoir fait un birdie sur ce quatrième trou. Ce n’est pas vraiment rare sur ce par quatre assez court. C'est seulement quand ma partenaire s'est écrié : “Eagle !” que j'ai pris conscience.

Terminer un par quatre en deux coups, c'est extraordinaire. J'ai enfin réussi ce coup de maître qui m'avait échappé d’un rien à deux reprises déjà, sur ce même quatrième trou et sur le 18. Au fond, il n’y a rien de plus simple ! Un bon départ au bois 3 vient s'immobiliser à vingt mètres du trou, mais derrière un bunker. Pas de panique ! Petit sandwedge, à manier avec précaution à cause du sable qui guette votre balle. Elle s'élève, droite, parfaitement dans la ligne, elle frappe le green quelques mètres avant le drapeau, puis roule un moment, avant de tomber dans le trou, sans bavures, nickel…

Mon premier eagle ! En compétition de surcroît.

Je commence à mieux maîtriser mes nerfs, mais le but semble s’éloigner au fur et à mesure que je m’en approche. Après un si joli travail, je ne trouve rien de mieux que d’enchaîner deux doubles.

Le 7, classé handicap 1, est inondé dans sa partie centrale. Une canalisation a cédé. Le fairway est désormais couvert d’une véritable rivière. Eau fortuite, la consigne officielle est de droper sans pénalité. C'est ce que j'avais fait au 3 voisin, tout aussi inondé. J'avais dû reculer d'au moins vingt mètres pour trouver un endroit à peu près sec.

Mon drive m'a placé en plein fairway, un peu avant la zone humide. En cette seconde journée de compétition, mes partenaires ne sont plus les mêmes. Une jeune Tahitienne, handicap 28, et un quadragénaire non classé ont remplacé mes partenaires de la veille. La balle de la jeune fille est enfoncée dans le rough, à droite du

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fairway, dans l'eau. Apparaît alors un homme. Il nous suit en voiturette depuis deux trous et semble bien connaître la jeune joueuse. “Tu peux droper sans pénalité”, lui rappelle-t-il, mais en lui désignant une zone sur le fairway.

Je ne suis pas d’accord et je rappelle : “Non, ça ne va pas, on ne peut pas droper sur le fairway quand on est dans le rough, on n'a pas le droit d'améliorer sa position.” Sans faire attention à moi, l’homme fait de la main un geste d'impatience, d'un air de dire à la jeune fille : “Ne t'occupe pas de ce qu’il dit, vas-y, drope.” Elle s’exécute.

- Vous êtes arbitre ? ai-je alors demandé à l'homme. À quel titre intervenez-vous dans le jeu ?”

La tension est montée. Le gars insistait, je me suis énervé… Quadruple bogey sur ce trou. J'étais largement en droit de déposer une réclamation. J’ai préféré me calmer. Et j’ai bien fait. Deux pars d'affilée et un aller qui se termine à 10 malgré cette mésaventure.

Sur le retour, la régularité : bogey sur le 10, le 11 et le 12. Magnifique par sur le 13. Bogey au 14, et puis ça se gâte… Deux doubles au 15 et au 16. Au 17, un long par trois, je suis sur le green en un coup. Mes deux partenaires aussi. La balle de la jeune fille est à un mètre de la mienne. L'une est franchement sur le green, l'autre sur la couronne. Je suis persuadé d’avoir vu la balle de la jeune fille s'immobiliser au centre, alors que je n'ai pas vu où la mienne était tombée. Sans réfléchir, je choisis la balle sur la couronne et, sans vérifier (erreur de débutant), je putte pour me placer à moins d'un mètre du drapeau. Cette fois, je relève ma balle : horreur ! je me suis trompé, j'ai joué la mauvaise. Cette sottise me vaut deux points de pénalité. Je suis furieux contre moi-même et me traite de crétin.

Belle journée, tout de même… Mémorable ! Je termine premier en brut dans ma catégorie, mais seulement troisième en net, malgré un superbe - 15 sur les deux tours. Je gagne une coupe et une série de petits lots sympathiques. Je suis plutôt fier de moi.

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2 avril 2000

Au paradis des birdies

Comment jouer au golf totalement aphone, avec une grippe carabinée, le nez qui coule et la tête dans un paquet de coton ? Très bien !

Finir un superbe parcours à 16, avec un magnifique birdie au 18 et six pars (notamment sur le 1 et le 7 classés handicap 3 et 1), c'est plutôt bien joué pour la pauvre loque qui s'est présentée aujourd'hui au départ. Certes, j'étais en voiturette. Je n'aurais jamais pu marcher dixhuit trous sous le soleil de ce vendredi après-midi, mais tout de même. Putting solide, approches précises… même mes longs coups étaient parfois extraordinaires.

D’abord, ce deuxième coup sur le premier trou. À cent quatrevingt-dix mètres du drapeau, dans le rough, je choisis un bois 5. Deux personnes sont sur le green. En principe, je ne peux pas frapper, même d’aussi loin. Mais, derrière moi, on s'impatiente et l’on pousse. Je n'ai jamais parcouru une telle distance avec ce club, le risque me semble nul. Alors, je me laisse entraîner et je décide d’y aller. Ma balle s'élève, bien droite, elle vole, puis disparaît totalement à ma vue. Lorsque j'approche, je sens tout de suite qu’il s’est passé quelque chose. Ma balle a atteint le green où l'équipe précédente était en train de putter et l'a traversé entièrement avant de s'arrêter sur le bord opposé. Un des joueurs est hors de lui (je le comprends), il me couvre d’insultes et je crains un moment qu’il ne m’agresse physiquement. Je ne sais plus où me mettre, j’aimerais m’enterrer dans le sable du bunker. Me confondant en plates excuses, je réussis finalement un par superbe, exceptionnel sur ce difficile trou de départ.

Deuxième exploit sur le 6, un par quatre sur lequel je suis généralement maudit. Cette fois, j’atteins le green en trois coups. Il

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ne me reste qu’un putt de six mètres en descente et en courbe. Je me sens bien, en confiance. La ligne de putt m’apparaît clairement. La balle part, tranquille. Elle roule, roule… directement dans le trou. Par.

Troisième exploit sur le 7. Départ en chandelle trop court, deuxième coup plutôt raté après un hook. Ma balle repose à cent trente-cinq mètres du drapeau, à gauche dans le rough. Au-dessus de moi, les arbres. À côté et devant moi, des arbres également. En face, la rivière dans sa plus grande largeur… et je ne vois même pas le drapeau. Seule voie de salut, un coup de fer tendu. J'essaie le 6. La balle part exactement là où il faut. Elle amorce un léger draw comme prévu et disparaît derrière la rivière. Je sais qu'elle a touché le green. Mais, quand j'arrive sur place, c'est le délire. Ma balle est à vingt centimètres du trou. Par !

Quatrième exploit : une série originale de quatre pars du 5 au 8, sur les trous généralement les plus difficiles pour moi.

Enfin, cinquième exploit, le birdie du 18 : départ au bois 3 légèrement manqué avec un fade qui emporte ma balle dans le rough à droite, mais bien placée derrière le lac. Pour mon deuxième coup, je ne vais pas commettre la même erreur qu'en compétition l'autre jour. Petit fer 8, tout simplement, et je me positionne parfaitement, en plein milieu de fairway à cent soixante mètres du but. Bois 5 ? Fer 5 ? J'hésite, puis je choisis la sécurité du “mashie”24 . Joli coup, mais un peu court qui s'arrête à douze mètres du trou devant le green. Petite approche roulée au pitching wedge… Kolok ! Super birdie.

De l'enfer au paradis, comme d'habitude, et sans savoir vraiment pourquoi. Cette grippe m'a peut-être apporté la relaxation. Après tout, malade, je ne m'attendais à rien de bon et j’étais libéré de toute pression. À méditer…

28 avril 2000

24 Surnom que les Américains donnaient au fer 5 dans les années 1930.

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Dégoûté, démotivé, mais bonne leçon

Depuis cet intermède inespéré, j'ai à nouveau perdu mon golf. Complètement ! J'ai même perdu l'envie de jouer. Bien sûr, il y a cette fatigue qui ne m'a plus quitté depuis cette sale grippe. Bien sûr, il y a le travail qui me prend la tête et mon énergie.

Je ne sais plus jouer, c'est aussi simple que ça. Impossible de me concentrer sur une balle. La compétition, le week-end dernier, a été une véritable catastrophe et en même temps une formidable leçon. Je savais pourtant qu'une des premières règles, au golf comme dans la vie, est d’accepter les conditions de jeu comme elles se présentent et de faire avec. Il y a le parcours, la météo, notre état de forme, l'heure de départ, etc. Mais, ce n’est pas tout, il y a aussi… les autres. Les compétiteurs avec lesquels le hasard vous associe. Sur ce point, on peut dire que j’ai été gâté.

Le gars, je le connaissais déjà un peu. Naguère, nous fréquentions la même salle de gymnastique. Un type à embrouilles. La grande gueule qui se moque de tout et de tous, qui vous provoque sans même vous connaître, macho à l'extrême. Sa femme l'a accompagné toute la journée, en le filmant (!!), il la traitait comme une chienne. Quand, j'ai compris que j'allais jouer avec ce gars que j'évitais soigneusement d'habitude, le stress est monté d'un cran et j’ai perdu le peu de moyens qu’il me restait encore.

Triple bogey pour commencer ! Suivi d’un autre, dès le troisième trou. Quelques doubles et, sur le 7, un catastrophique sextuple bogey (10) qui salait ma note sur les neuf premiers trous : 19. Le moral dans les chaussettes, et déjà épuisé à mi-parcours, je ne parvenais pas à

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retrouver le moindre influx, incapable de m'isoler de l'ambiance exécrable.

Sur le retour, les choses ne se sont pas améliorées. Mes deux coéquipiers, l'emmerdeur et un jeune Demi25 (qui ne semblait d’ailleurs pas ressentir les mauvaises vibrations ambiantes et jouait très bien), ne se gênaient pas pour prendre quelques libertés avec le règlement. À l'aller, l'emmerdeur avait déjà bénéficié d'un “donné” sur un putt de vingt centimètres. Bien sûr, cela est interdit en compétition officielle. Tout joueur ne terminant pas un trou doit être disqualifié. Je ne le savais pas. Témoin muet de cette manœuvre, je m’en rendais involontairement complice. J’ai même aggravé mon cas en acceptant la même faveur sur le 12.

Ce qui devait arriver… Sur le 13, la balle de l'emmerdeur a heurté la mienne sur le green et l’a déplacée. Comme il jouait depuis l'extérieur, il n’encourait pas de pénalité, il eût simplement suffi de replacer ma balle approximativement à l'endroit d’où elle avait été éjectée et de poursuivre le jeu. Mais, ma connaissance des règles était encore imprécise et les deux autres n'en savaient pas davantage. Un peu trop vite, j’ai annoncé : “Deux points de pénalité” quand sa balle a touché la mienne. Je croyais de bonne foi avoir raison, mais, au fond, je ne songeais pas réellement à appliquer cette pénalité. Je voyais surtout là une occasion de taquiner et de provoquer cet emmerdeur qui m’avait pourri la journée. Je ne m’attendais pourtant pas à la violence de sa réaction. Il est entré dans une rage folle, hurlant, gesticulant, m'accusant d'avoir triché. Avec mon moral sous les semelles, je n'ai pas supporté. J'ai tout laissé tomber, me disqualifiant volontairement en refusant de terminer le trou. Tandis que je m’éloignais, le gars ne décolérait pas. Je l’ai vu prendre violemment à partie un officiel qui venait s’assurer que tout se passait bien. Le pauvre homme n’avait jamais vu cela. Il n'en est toujours pas revenu.

25 Métis (généralement tahitien-français).

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Moi non plus ! Je ne me suis pas remis de cette mésaventure. Je peux encore sentir sous ma peau l’écho des tremblements d’émotion. Malgré tout, une fois encore, mon expérience et ma connaissance du jeu et de ses règles en sortent enrichies. J’ai surtout réalisé qu'il ne faut jamais abandonner une partie de golf, quoiqu’il arrive, et qu'un score pourri vaut mieux que pas de score du tout. La fierté de terminer un parcours dans des conditions difficiles compense largement la déception d'un score fleuve.

C'est vraiment ça la compétition, il faut se battre.

En tout cas, pour le moment, je mets les pouces et j'attends que l'envie de jouer me reprenne.

Départ 7, par 4

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14 mai 2000

De la relativité en toute chose et au golf en particulier

Tout est relatif, disait Einstein. Ou quelque chose du genre. Comme il avait raison ! Je sors d'une période de souffrance et de contraintes qui m'ont empêché de jouer depuis plus d’un mois. Peut-être étais-je parvenu à saturation ? Ou le golf avait-il pris trop d'importance dans ma vie ? Sans doute, l'équilibre était-il menacé. Cet équilibre qui repose sur les quatre piliers de mon existence, famille, travail, quête personnelle et maintenant golf.

Naguère, j'aurais cruellement souffert d'un score supérieur à 25 et j'aurais méprisé une marque au-dessus de 20 comme reflétant un jeu “moyen”. Depuis mon retour sur le parcours, le 4 juillet, jour anniversaire de mes cinquante et un ans, j'ai joué neuf fois, dont trois fois au-dessus de 30 (avec même un 35 le jour de la reprise, après un mois d'arrêt complet) et jamais encore sous les 20. À présent, ces tristes résultats me satisfont et m’emplissent de bonheur.

Depuis le début de l'année, j'ai été successivement victime de plusieurs maladies ou affections physiques ayant fortement perturbé mon jeu. Une sévère bronchite en janvier, puis des grippes à répétition jusqu'en avril. C'est finalement un terrible lumbago qui a eu raison de moi et m'a cloué dans l'incapacité du moindre swing. Il s'est déclaré brutalement, un matin, pendant une de mes séances de gym ordinaires. Ce lumbago venait subitement me rappeler mon âge. Il me rappelait aussi à mes obligations professionnelles. De toute manière, il fallait cesser un peu de jouer. Les bons scores me fuyaient et je commençais à sentir la fatigue.

Méditations d’un golfeur solitaire

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L’avertissement du ciel était clair : “Tu vas trop loin, mon p'tit gars. Puisque tu sembles incapable de t'en rendre compte par toi-même, on va t'aider un peu…” Et crac ! Plié en deux.

La douleur est horrible. C’est comme un coup de couteau dans le bas du dos (enfin, je suppose, parce que je n’ai heureusement jamais été poignardé dans le dos, au sens propre du terme, bien entendu, même si j’ai eu ma part de trahisons comme tout le monde). La souffrance s'installe comme chez elle. Il faut désormais vivre avec, la supporter, toujours. S'y adapter, ne pas trop l'écouter, mais la subir quand même.

De golf, il n'était plus question. Priorité au boulot. Stress maximum. Je subodore que le blocage physique n'est que le reflet d'une tension psychologique excessive. J'essaie tout pour me soulager, l'acupuncture, le chiropractie, les massages… Même le jus de nono, ce fruit amer, endémique en Polynésie française, auquel on prête des vertus miraculeuses.

Mon état s'améliore peu à peu. Au mois de juin, un mois après l'attaque, j’ai fait un test sur le parcours. Un improbable 20 qui m’inflige toutefois des douleurs atroces. Je suis allé trop vite. Il faut attendre encore. Au bureau, la tension s'est apaisée et, du même coup, dans ma tête et dans mes reins.

J’ai donc repris au bas de l'échelle. Premier parcours à 35 et deuxième à 32. J’aurais dû m’effondrer, je l’étais un peu, je dois l’admettre. Mais, je me répétais que tout était relatif. Et, goûtant le plaisir suprême de respirer à nouveau l’odeur des fairways, sur cette herbe verte et brillante, parmi ces arbres majestueux, entouré d'oiseaux et de montagnes, capable de frapper dans une balle, je me consolais de ma maladresse en comprenant à quel point il vaudra toujours mieux jouer mal que ne plus pouvoir jouer du tout.

Finalement, après quelques parties, j'ai réussi à retrouver un tempo et un jeu, disons présentable, c'est-à-dire entre 21 et 23. Je me sens maintenant prêt à repartir à l'assaut des cimes, mais avec un esprit plus ouvert, nettoyé d'un peu de son ignorance. À présent, je

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ne joue plus de la même façon. Mon optique a changé. L'alchimie du golf fait son travail sur ma personnalité.

Vers

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30 juillet 2000
le paradis ou vers l’enfer ?

La force vient de la terre

On aura cette fois compris que, dans le jeu de golf, absolument chaque détail est symbolique. Le mouvement de swing, fondé sur les fondamentaux de la spirale et de l'hélice26 en est un des meilleurs exemples.

Quand une balle est mal frappée, elle part n'importe où. Frustration, crispation et souffrance. Bien touchée, au contraire, son vol est parfait. Une sensation de plénitude et d'harmonie nous envahit. Le mouvement s'effectue sans dépense d'énergie, avec une grande facilité et sans effort. Pourquoi ? Parce qu'en réalité, notre corps ne doit être qu'un canal. Il doit capter, amplifier et transmettre une énergie, une puissance qui vient directement de la terre (l'équerre) et part vers le ciel (le cercle, le compas). Comment pourrait-on propulser une balle aussi vite, aussi loin et avec autant de précision à l’aide de ses seules forces personnelles et sans effort ?

C'est impensable !

La force vient de la terre. Elle nous traverse, grandit grâce à la dynamique hélicoïdale du swing, puis se transmet au club qui la démultiplie. La balle n'est pas frappée. Elle est prise dans ce champ d'énergie et de force qui la propulse. Mais, ce champ est créé par nous, par notre volonté, par notre choix. Sa stabilité dépend donc directement de cette volonté et de ce choix. Il faut, bien entendu, composer avec les autres forces et énergies en présence, c'est-à-dire le vent, la qualité du terrain, sa topographie, etc.

26 Dont l'explication complète peut être trouvée dans les ouvrages spécialisés, notamment dans les traités du grand initié René Guénon.

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Il est ainsi facile de comprendre pourquoi la lenteur et le contrôle du mouvement de swing sont si importants. Plus on parvient à maîtriser le tempo de son mouvement, plus la balle s'envolera vite et loin. La vitesse doit être donnée à la tête du club par le cheminement expliqué plus haut et non pas en essayant de frapper de toutes ses forces. Le golf n’est pas le baseball. Ce n'est pas là le moindre des paradoxes qui caractérisent le jeu de golf, comme du reste toutes les disciplines initiatiques.

Vendeuse de balles (départ 8)

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3 août 2000

JoséJosé a soixante-huit ans27. Légionnaire à la retraite depuis des années, le bougre s'est maintenu dans une forme éblouissante malgré son âge. Il vit seul, près du golf où il passe l’essentiel de ses journées. Bronzé, sourire enjôleur, toujours tiré à quatre épingles, José est espagnol et il a mauvais caractère. Bougon, rabat-joie, pisse-vinaigre… les noms d’oiseaux les plus variés lui sont attribués par les golfeurs d'Atimaono qui supportent plus ou moins bien son mauvais caractère et ses réparties.

Pourtant, quand on sait le prendre, il se montre charmant et même sympathique.

Son histoire est extraordinaire. Comme beaucoup d’Espagnols au début du vingtième siècle, une partie de sa famille avait émigré à Cuba où ils avaient trouvé plus ou moins fortune. En 1939, il avait sept ans, ses parents décidèrent de l’envoyer passer les vacances scolaires en Espagne où ils gardaient d’étroites attaches familiales. Il ne revit jamais Cuba, ni même peut-être ses parents. L’éclatement de la Seconde Guerre mondiale avait mis un terme brutal aux liaisons entre les deux continents. Comme des milliers de voyageurs dans toute l’Europe, José se trouva consigné en Espagne. À la fin de la guerre, il était en âge d’entrer au lycée et, pour les études, l’Europe valait mieux que Cuba... Il s’est ensuite engagé et a fait carrière dans la Légion étrangère de l’armée française, celle qui forge des hommes hors du commun sentant le sable chaud.

27 José Zuine, né en décembre1931. En 2023, année de cette réédition, il a 91 ans et continue de jouer ses dix-huit trous à pied au moins trois fois par semaine. Les autres jours, il s’entraîne au practice.

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Aujourd'hui, j'ai eu un malaise. Je me suis senti mal, nauséeux. J’ai pensé qu’un petit tupapau28 avait pris ses quartiers au départ du 1. Il faisait un temps admirable. Soleil, ciel azur, brise fraîche, terrain et greens bien tondus, en parfait état. Malgré ces conditions idéales, ça n’allait pas. Je m'étais spontanément réveillé à cinq heures du matin. Les étoiles brillaient dans une nuit qui avait encore une bonne heure à vivre. Pourquoi ne pas aller jouer plus tôt ? Profiter de la fraîcheur et de la lumière matinales. Couleurs et parfums magiques, greens comme glacés par une couche de rosée sur laquelle on a le plaisir indicible d’être le premier à marquer son empreinte…

28 Fantôme, énergie invisible et plutôt malveillante.

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José Zuine, exception physique

Je me sentais incapable de me mettre à l'unisson de toutes ces merveilles. Pourquoi ? Tout simplement parce que mon esprit restait préoccupé par d'inutiles soucis. J'étais coupé de mon environnement, je ne parvenais pas à me fondre en lui, à le sentir, pour mieux l'utiliser dans ma quête de la trajectoire parfaite.

J'ai mal joué. Mauvais choix de club dès le troisième coup au 1 et mon score était déjà sérieusement compromis. Bref, j’ai terminé les neuf premiers trous sur un 12 un peu tiré par les cheveux et je fais une escale ombragée à mi-parcours sous les arbres du parking. Je rêve, je récupère, quand José arrive près de moi, bientôt suivi de Marcel, autre retraité assidu du parcours.

Nous nous saluons et entamons la conversation banale des golfeurs, ponctuée des invariables jérémiades, des mêmes poncifs sur les difficultés et l’incertitude du jeu :

- Le golf, c’est vraiment comme les femmes, affirme Marcel, il varie souvent. Un jour avec, un jour sans.

- Hé oui ! enchaînai-je dans la série des lieux communs, c’est pour cela que nous l’aimons tant.

C’est alors que José nous laisse tous les deux muets de surprise. Lui si sérieux, d’habitude, si réservé, si peu communicatif, se lance dans le récit d'une aventure égrillarde qui l'a mis de très bonne humeur. Certainement la meilleure depuis des mois.

- Hier soir, je suis allé au Mana Rock Café, sur le front de mer de Papeete, commence-t-il sur un ton hispanique chantant et rocailleux. Il y a vraiment de très belles filles là-bas. Des professionnelles. Il y avait cette femme de Samoa, vingt-cinq, trente ans, superbe. Elle m'a branché tout de suite. “Alors Pépé, tu cherches de la chair fraîche ?”

Marcel et moi l’écoutons, ébahis et quelque peu gênés par la crudité inhabituelle de ses propos.

- Elle avait sa voiture, poursuivit José, décidé à tout nous conter par le menu.

- Tu préfères le fare ou l'hôtel ? lui demanda la fille

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- Elle avait une maison, j'ai choisi d’aller là-bas. Elles sont très bien organisées. C'était dix mille francs29 les dix minutes.

- Ça fait cher de l'heure, plaisanta Marcel.

- Oui, mais c'est pour ça qu'il ne faut pas traîner, rétorqua José. Quand c'est bien droit, il faut en profiter car ça ne dure pas longtemps. Du coup, j'ai terminé ma petite affaire vite fait, bien fait. En cinq minutes, c'était réglé…

- Tu n'as payé que cinq mille francs alors ? lui lançai-je pour le taquiner.

Il me foudroya d'un regard noir.

- Elle m'a dit que j'étais un client formidable et qu'elle serait toujours là quand je voudrais… C'est agréable une jeune femme, les vieilles, c'est pas bon ! 4 août 2000

29 Environ quatre-vingt-cinq euros.

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Éviter la perte de conscience

La difficulté dans le golf, comme dans la vie, c'est la conscience, l’attention. La base du coup de golf, c'est tout de même de garder les yeux sur la balle jusqu’à l'impact et, ensuite, de la diriger mentalement vers la cible. Or, il se passe, trop souvent, que l'on subit une courte perte de conscience au moment du swing. Tout joueur en a fait l’expérience. On accomplit sa routine, on se prépare, on se concentre bien sur la balle, on monte son backswing et puis, d'un seul coup, rideau, tout s'éteint, on passe en pilotage automatique. Certains, paraît-il, fermeraient même les yeux à cet instant. Parfois, cela marche, si tout a été conduit comme il faut, mais, le plus souvent, c'est un coup manqué.

Comment conserver sa conscience et maintenir sa concentration jusqu'à l'impact et même après ? Ce n’est pas évident. C'est justement là tout l'art du golf et de la vie. Garder sa pleine conscience au moment crucial. Lorsque l'émotion est au plus fort. Tout comme au moment de la mort. Garder sa conscience au moment de la mort, c'est choisir sa destination. C'est extrêmement difficile…

Je veux encore chercher ce secret de la conscience.

Savoir pourquoi on la perd au moment de l'impact et comment la conserver ? Relaxation, respiration surtout. Se rappeler que le souffle est la seule voie de prise de contrôle de l'inconscient et des automatismes. Travailler la respiration, c'est sûrement une clé. Il faut aussi pratiquer et s’entraîner sans relâche.

Ces deux derniers mois, j'ai essayé de retrouver mon jeu d'avant mon lumbago. Pas facile. Je suis tout de même passé de 35 le 4 juillet, jour de mon anniversaire (charmant), à 16 le 31 août. Dix-neuf points gagnés. En si peu de temps, c'est énorme !

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La semaine prochaine, les compétitions reprennent avec le championnat net de Polynésie française 2000. Je suis inscrit… 3 septembre 2000

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Week-end en enfer

J'ai vraiment vécu une sorte d'enfer sur le golf d'Atimaono le weekend dernier. Grippé, malade, avec la tête dans du coton et le nez comme une fontaine, je voyais à peine ma balle.

Malgré tout, je suis heureux d'avoir tenu le coup sur les deux jours et terminé les trente-six trous de cette compétition. Le résultat est lamentable, mais les conditions étaient pénibles (vent en rafales, pluie, froid) et les mauvais scores ont été nombreux.

Les officiels avaient fixé mon handicap à 22, contre 29 lors de ma dernière compétition en début d'année.

Le samedi, j'ai terminé à 29. Deux pars seulement et un passage à mi-parcours à 15. Mes adversaires du jour (handicap 24 tous les deux) finissaient l'un à 30 et l'autre à 36. Je croyais avoir touché le fond. Pourtant, compte tenu des conditions, ce n'était pas si mal. Le dimanche, la fatigue se faisait encore plus lourde et je ne pouvais faire mieux que 32. Les sept premiers trous de ce second parcours ont été véritablement atroces. J'ai pris 19 sur ces sept trous avec un quadruple bogey au 1, double au 2, triple au 3, double encore au 4 et au 5, puis triple à nouveau au 6 et au 7. L'enfer sur la Terre. Je ne savais plus jouer au golf, j'avais l'impression étrange et désagréable de tenir un club pour la première fois de ma vie. Ma conscience s’éteignait totalement au moment de l'impact et, naturellement, je n’avais plus aucun contrôle sur mon mouvement.

Le point positif est que je suis resté calme malgré la souffrance. J'avais la chance d'être accompagné de coéquipiers charmants, qui jouaient aussi mal que moi et qui, eux aussi, gardaient sinon le moral, du moins leur sang-froid. Pas de jurons, pas d'énervement. Il me

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semble que j'ai fait de gros progrès de ce point de vue et cela valait tout de même la peine de participer. Bonne leçon d'humilité.

A partir du 8, les choses se sont soudain un peu arrangées avec un premier par totalement inattendu. Puis j'ai aligné des bogeys sur les 9, 10, 11 et 12. J'ai malheureusement subi encore trois doubles sur les 15, 16 et 17 et terminé sur un joli par au 18. Mais le mal était fait. Avec déjà 20 à mi-parcours, que pouvais-je espérer ?

Résultat du dimanche : 104 (mes coéquipers ont fini à 107 et... 116, et ils n'étaient pas malades eux). Score final 17 au-dessus de mon handicap sur les deux jours. À comparer avec le - 15 quand j'ai gagné ma coupe l'an dernier (mais j'étais alors classé 29).

12 septembre 2000

Départ 9, par 5

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Le témoin

Je suis resté longtemps silencieux. Rien à dire. À part un jeu qui foutait le camp, impossible à rattraper, tout comme une santé plutôt malmenée cette année, ce qui n'arrangeait rien.

À présent, cela semble revenir un peu. Je score aux alentours de 20, avec un index officiel à 20,5. Du moins, jusqu'à dimanche dernier. Pour la première fois, j'ai participé à la “Coupe des Papys”, réservée aux seniors (plus de cinquante ans).

Péché d'orgueil, une fois de plus. Trop de confiance et, finalement, un horrible 29 avec, toutefois, un magnifique birdie sur le 4, mais aussi deux quadruples et deux triples, deux balles perdues…

La déroute !

Lorsqu'on réussit 19 le mardi et même 17 le jeudi, comment expliquer le 29 du dimanche ? Comment exorciser cette frustration perpétuelle de ne rien réussir en compétition, de perdre ses moyens sous la pression ?

Pression ? Quelle pression ? L'enjeu n’est pourtant que d'amourpropre, mais c’est comme si l’on jouait sa vie. Le processus est le même. La tension n’est pas différente que l'on joue pour des milliers de dollars ou simplement pour sa propre image, pour l’idée que l’on se fait de soi-même… C'est à la fois aussi important et aussi futile.

Cette méditation me fait soudain penser aux enseignements templiers. L'Ordre du Temple était construit sur des principes initiatiques, lesquels étaient transmis de manière traditionnelle, c'est-à-dire de maître à disciple, principalement sous la forme de symboles. Parmi ces symboles, il y avait celui du “témoin”. Une image faisant partie de l’iconographie templière représentait deux cavaliers chevauchant la même monture. L’ignorance et la jalousie ont donné

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lieu à des interprétations scabreuses. En réalité, cette image a une signification symbolique et secrète. Les deux cavaliers représentent la dualité complémentaire de l’être. Il y a le “soi” et le “moi” ou encore la “personnalité” et l’“individualité”. Tous deux sont montés sur le même cheval qui est le “véhicule” de l’être.

On trouve d’autres symboles de même nature dans des traditions plus anciennes, la doctrine hindoue, en particulier. Les Upanishad, textes sacrés du Vedanta, évoquent “deux oiseaux qui résident sur le même arbre” ou les “deux qui sont entrés dans la caverne”. Dans la Bhagavad Gitâ, une épopée guerrière, poétique et symbolique, les héros Arjuna et Krishna sont montés sur le même char. Krishna conduit celui-ci sans combattre, c’est-à-dire sans être lui-même engagé dans l’action, tandis qu’Arjuna combat.

Cette conception se rencontre aussi dans la doctrine traditionnelle islamique avec, par exemple, l’interprétation d’un mot que chacun, depuis quelques années, connaît malheureusement trop bien, même s’il ne parle pas l’arabe. Il s’agit du mot “jihad”, généralement traduit par “guerre sainte”, mais qui, en réalité, a deux interprétations dont la plus profonde est d’ordre purement intérieur et spirituel.

Ces considérations peuvent sembler éloignées du jeu de golf. Elles ne le sont pas. Le deuxième cavalier qui chevauche en croupe, c’est le témoin. Il est en permanence derrière nous. Il ne participe pas à la conduite du cheval, mais il voit et entend tout ce que nous faisons. Il nous juge, sans jamais rien dire. Quant au cheval, c'est bien un véhicule, mais il est aussi nous-mêmes, la partie animale, matérielle, terrestre de notre être, celle que nous devons “dresser” et apprendre à maîtriser.

Certains ont vu dans cette représentation le signe de l'homosexualité des Templiers. Ce serait plutôt drôle si cette accusation n’avait servi à faire griller leur grand maître Jacques de Molay sur le bûcher ! Il faut dire que les moines-soldats se livraient à des pratiques tantriques secrètes dont le bon peuple ignorant a

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seulement retenu les “triques”. Ils s'embrassaient, dit-on, sur le derrière. Mmmouais !… Après des années de croisades et de bagarres viriles au milieu des Maures, on peut peut-être les comprendre. Il s'agirait, plus sérieusement, d’un rituel en relation avec les chakras, une chaîne de sept principaux centres subtils du corps humain, étagés le long de la colonne vertébrale, dont la base est située au niveau du sacrum et le sommet au-dessus du crâne. Ces chakras sont reliés entre eux par soixante-douze principaux canaux d’énergie appelés nadis.

Départ 10, par 4

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Le symbole du témoin nous apprend qu'il n'y a pas de grandes ou de petites choses, de grands ou de petits gestes, de grandes ou de petites pensées. Il y a seulement un courant d'énergie qui nous anime et nous pousse. Nous naviguons dans ce courant avec plus ou moins de conscience. Nous sommes plus ou moins emportés, choqués, blackboulés… Cela dépend de notre capacité à voir et à anticiper. Cela dépend de notre conscience, c'est-à-dire de l'ouverture de notre esprit et de notre compréhension de l'univers.

La conscience a des degrés, des états différents. On peut être plus ou moins conscient pour des tas de raisons. Si l'on a pris un coup sur la tête ou si l'on a trop bu, on peut tomber inconscient. Mais, on peut être tout aussi inconscient à l'état d'éveil apparent, c’est d’ailleurs fréquent. Tout semble fonctionner. On respire, on voit, on entend, on touche, on comprend, etc. On peut tout faire, mais en partie seulement. Nos capacités à appréhender le monde et l'esprit sont mesurées par l’étendue de nos connaissances, lesquelles dépendent elles-mêmes de notre niveau de conscience.

L'Éveil, l'état d'éveil, décrit et recherché par de nombreuses doctrines, le bouddhisme notamment, suppose une conscience entièrement ouverte. Pour cette conscience parfaite, il n'y a ni grande ni petite chose, chacune est juste, utile et à sa place. Qu’y a-t-il de plus élevé et de plus spirituel que la prière, la méditation et les rituels sacrés ? Qu’y a-t-il de plus animal et de plus humiliant que l'élimination de nos propres déchets ? Peut-on juger, pour autant, que les uns sont plus importants, plus vitaux que les autres ? Non, bien sûr, ils sont inséparables ! C'est notre condition humaine, à michemin entre le ciel et la terre, la tête dans les étoiles et les pieds dans la boue.

Cette notion s'applique parfaitement au golf qui est un jeu initiatique, symbole de la quête vitale. Dans le jeu de golf, il n’y a pas de petits ou grands coups, ils valent tous un point. Un drive magnifique de deux cent quatre-vingts mètres ou un putt “donné” d’un pied, c'est pareil, c'est un coup, c’est un point. On peut les

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manquer tous les deux. Il suffit d'une brève inattention. Notre conscience doit être également présente et ouverte sur tous les coups. Tout comme dans la vie, il nous faut être conscient et vigilant en permanence et notamment au moment crucial du swing et de l'impact. C'est le moment où l'énergie peut être maîtrisée, l'alliance de l'équerre et du compas, de la terre et du ciel : la libération et la force.

Méditations d’un golfeur solitaire 177 28 novembre 2000 Alignement de mombins (départ 17)

Départ 11, par 4

Méditations d’un golfeur solitaire

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Magie

Birdie magique sur le 9. Un long par cinq en quatre et, soudain, la conscience s'éclaircit. Une douce chaleur envahit ma colonne vertébrale et irradie dans mon dos. Je comprends tout. Au départ, ma balle est partie comme une fusée, très loin, sans aucun effort, juste la mise en éveil d'une énergie.

Il est évident que nous ne sommes pas la source de cette énergie. Nous la mettons seulement en œuvre grâce à des gestes précis, toujours les mêmes, qui s'apparentent à un rituel. C'est par là que le golf est vraiment un jeu initiatique. Comme dans toute magie, il y a des formules et des pratiques, lesquelles, sous réserve qu'elles soient réalisées de manière parfaite, provoquent l'effet souhaité, c'est-à-dire la manifestation d'une énergie positive qui propulse la balle là où nous le voulons, mais, en même temps, se diffuse par tout le corps auquel elle prodigue ses bienfaits. Cette énergie positive a, en effet, pour vertu de traverser tous les chakras (centres vitaux subtils du corps humain) dans un mouvement de spirale (le symbole ultime).

Les traversant, elle les ouvre et permet l'irruption de la conscience. Le golf est ainsi un jeu qui permet à la conscience de s'élargir et à l'homme d'avancer sur le chemin de sa quête.

Méditations d’un golfeur solitaire 179

30 novembre 2000

Nouveau système de classement

Cette fabuleuse année 2000 s'achève déjà. Elle a été à la fois fructueuse et mouvementée, souvent difficile et pénible. C'est vrai dans tous les domaines, du golf au travail, en passant par la famille et la santé. C'est aussi vrai pour beaucoup de gens que je connais. Il s'agit donc bien de la manifestation d'une énergie particulière à chaque année d'un cycle (parfaitement décrite par l'astrologie chinoise). Cette année 2000 était l'année du Dragon de métal.

D'un point de vue golfique, cette dernière année du deuxième millénaire et du vingtième siècle, a été marquée par la refonte totale des systèmes de classement et de handicap. On a voulu “démocratiser” le golf avec un système permettant de classer les joueurs à partir de 54 au lieu de 36 auparavant. Il existe désormais dix-huit catégories d’âge et six catégories de jeu, le niveau de chaque joueur étant défini par un index. Le handicap est calculé pour chaque compétition en fonction de l'index du joueur et de la difficulté du parcours (son slope). Le slope des parcours de golf est fixé sur une échelle allant de 100 pour les plus faciles à 150 pour les plus difficiles.

La moyenne a été placée à 113 et le slope d'Atimaono est de 127 (départs jaunes) et 133 (départs blancs) pour les hommes, ce qui en fait un parcours relativement délicat.

J'ai moi-même gagné 8,3 points d'index en 2000, passant de 29 en début d'année à 20,7 (au mois de septembre, pour un handicap de jeu entre 22 et 24). Même si mes mauvais résultats en fin d’année me font remonter de quelques dixièmes, les progrès sont néanmoins impressionnants. Je ne pense malheureusement pas pouvoir répéter cette performance tous les ans. Cela me situerait à 12,4 à la fin de 2001, un rêve, mais pourquoi pas au fond ? Il faut se battre !

À Tahiti, le Comité polynésien de golf a cédé la place à une Fédération polynésienne de golf (FPG) reliée à la Fédération française

Méditations d’un golfeur solitaire 180

de golf (FFG). Cela nous permet désormais d'avoir accès par Internet aux informations nous concernant et en particulier à notre historique de compétition et d'index. C’est vraiment pratique. 1 er décembre 2000

Méditations d’un golfeur solitaire 181 En décembre, les flamboyants fleurissent, une féérie !

Paradoxes

Dernière compétition officielle de l'année : le Trophée du Président organisé sur deux jours par la fédération. La première manche est un stroke play en stableford, la seconde un greensome par équipes de deux joueurs

Le samedi matin, je me réveille en assez bonne forme. La fatigue de ces derniers temps se fait tout de même sentir. Pour la première fois, une coïncidence de calendrier m’a contraint à concevoir et rédiger, dans la même semaine, quatre importants discours pour quatre personnalités différentes, une épreuve terrible dont je me suis finalement sorti avec panache, mais pas sans y laisser quelques plumes.

Heureusement, mon départ a été fixé à 12h50. Cela me laisse au moins le temps de me préparer tranquillement. La sécheresse est à son comble. Elle frappe depuis plus de trois mois, quasiment sans discontinuer. Les fairways sont grillés et les balles y roulent comme sur du béton.

Je me sens moins tendu que d'habitude. Mais, il fait chaud, vraiment très chaud, et il n'y a pratiquement pas de vent. On étouffe littéralement.

Dans mon équipe, il y a un médecin, de mon âge environ, handicap 21 (index 18,7) avec qui j’avais eu quelques mots dans le passé pour une histoire d'étiquette. Il n'a pas l'air vraiment ravi de jouer avec moi. Il est petit, tout rond, avec un chapeau rond et de petites lunettes rondes. Son swing est surréaliste. Il penche d’abord son corps loin en arrière, me faisant un peu penser à la tour de Pise. Puis, il lance son club très haut vers le ciel avant de revenir sur sa balle d'un mouvement de torsion qui m’épate. Le plus incroyable, c'est que ça marche. Enfin, pas trop mal. Ses balles partent et volent souvent dans la bonne direction. Le bon tempo, voilà ce qui le sauve.

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L'autre joueur est handicap 11 (index 8,7). C’est un grand sec, sportif, nerveux et moustachu. Chapeau de paille à larges bords et lunettes noires, il a les fesses moulées dans un petit short à rayures et porte des baskets avec des chaussettes bien tirées sur les mollets. Pas vraiment l’élégance du champion de golf. Son attitude ne correspond pas non plus aux canons. Il se montre agité, impatient, il joue avant son tour et dépasse régulièrement la ligne de jeu. Pire, il jure abondamment et hurle sur le parcours. À chaque fois qu'il est mécontent de lui, il se livre à des gesticulations et profère les mots les plus grossiers. Malgré cela, il joue bien, très bien même. Il termine les neuf premiers trous à 3 seulement et achèvera son parcours à 9 (- 2 en net.

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Le contraste saisissant entre le jeu époustouflant de cet homme et son attitude brutale sur le terrain suscite soudain en moi de sérieux doutes sur la validité de mes théories sur l’ésotérisme du jeu de golf et sa capacité, pour ainsi dire alchimique, à faire évoluer l’esprit humain. Est-il possible de jouer aussi bien en se comportant si mal ?

Sans doute les effets spirituels du golf ne se manifestent-ils pas chez tous les joueurs de la même manière. Probablement, faut-il être déjà parvenu à un certain degré d’initiation pour que la magie opère. Comme dans toute pratique spirituelle, une motivation sincère est certainement nécessaire. Les progrès et les fruits ne surviennent pas de façon automatique.

Compte tenu de mes mauvais résultats lors des précédentes compétitions, mon handicap a été relevé à 24 pour un index de 21. Je termine l'aller à 10 et le petit docteur rond à 15. Je souffle comme un bœuf, la chaleur est écœurante. Il n'y a pas d'air et l’on ne respire pas. L’impression d’être un poisson hors de l’eau. J'ai du mal à rester dans la partie. Je m'alimente beaucoup (sandwich jambon, bananes, barre chocolatée) et je bois sans arrêt. Cela me permet de tenir. Après deux balles dans les rivières au 10 et au 11 où je fais quadruple bogey, je me reprends bien et finis ce retour à 10 également, soit un total de 20, mon deuxième meilleur score en compétition. - 4 en net, ce n'est pas mal, compte tenu des conditions. Insuffisant pour gagner, mais cette première année de compétition se termine bien.

Un bon présage pour 2001 ?

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10 décembre 2000

Montagnes russes

Méditations d’un golfeur solitaire

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Méditations d’un golfeur solitaire
La pamplemousseraie du 3 n’est plus qu’un beau mais lointain souvenir

Neuf points gagnés

Assez bonne année ma foi ! Un index officiel qui progresse de neuf points en l'an 2000 passant de 29 à 20. Ma moyenne “officieuse” par parcours sur l'année passe à 18,6 (18,8 en 1999). Parcours le plus mauvais à 35 (36 en 1999) et l'écart maximum entre mes meilleur et pires scores est de 14,6 (15,8 en 1999). Exactement la même quantité moyenne de birdies (0,33 par parcours) et de pars (3,9). Enfin, pour la première fois, j’ai perdu moins d'une balle par partie contre 1,6 en 1999.

Malgré une impression plutôt mitigée (il y a tout de même une certaine régression dans la qualité du jeu), cette année de golf se révèle donc positive. Il n'y a pas eu de grands exploits comme en 1999, mais une plus grande régularité - essentiel - laquelle a toutefois encore besoin de s'affirmer. L’index officiel correspond à ma vraie valeur. En revanche, j'ai beaucoup été sujet aux problèmes physiques (grippes, torticolis et surtout une lombalgie qui m'a empêché de jouer pendant deux mois).

Mon système de statistiques s'est amélioré aussi. Je compte à présent tous les coups en séparant bien les doubles bogeys et les autres ce qui me permet de mieux analyser ma progression. En effet, en stableford (désormais le système de comptage officiel en net), un double bogey me rapporte quand même un point.

2001 commence de façon moyenne avec un 23 laborieux. Les huit premiers trous se sont déroulés comme dans un rêve. J'étais seulement à 5 en abordant le 9. Malheureusement, à partir de là, tout s'est déréglé et le rêve a tourné au cauchemar.

Quelle sera cette année golfique 2001 ? Qui vivra verra…

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Il y a des traversées du désert inévitables. Il y a même des régressions. Enfin, ce qui nous apparaît comme des régressions. Comme dans toute initiation, la montée n'est pas linéaire. Il y a de nombreux sommets avant d'atteindre LE sommet. Il faut savoir redescendre au fond pour mieux remonter plus haut, plus loin. Et surtout, être patient !

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2 janvier 2001
Départ 12, par 5

Dans la vie comme au jeu de golf

Dans la vie comme dans le jeu de golf, il y a certaines règles à respecter pour réussir son parcours, en voici quelques-unes :

Règle n° 1 : Soigner sa “routine” scrupuleusement

C’est essentiel. Une bonne routine est la condition première d’un bon coup de golf.

Dans la vie, c’est exactement la même chose. Mieux on préparera son coup, en respectant sa routine, c’est-à-dire en se rappelant et en appliquant les préceptes de base dans chaque situation, plus on aura de chances de réussir.

Règle n° 2 : S’équiper correctement

Il ne nous viendrait pas à l’idée de jouer au golf sans l’équipement nécessaire. Meilleur sera l’équipement, plus nous mettrons de chances de notre côté. Dans la vie, c’est pareil. Il faut savoir s’équiper de la manière la mieux adaptée à ce que l’on a à faire, en toute circonstance.

C’est tout un art !

Règle n° 3 : Savoir se replacer dans les situations difficiles

Quand une situation délicate se présente, il est sage de savoir se replacer au fer 7 ou même 8. On évite ainsi bien des catastrophes. Il vaut mieux apprendre à sauver les meubles et se préserver de dégâts irréparables en mettant un peu d’eau dans son vin.

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Règle n° 4 : Respecter les règles

Règle n° 5 : Rester toujours humble et concentré jusqu'au bout

Ne jamais crier victoire ou s’enorgueillir d’un coup ou même d’une série de coups réussis. La sanction est toujours immédiate pour ce relâchement de la vigilance. Ne jamais penser que le résultat est acquis tant que la balle n’est pas au fond du trou en général et celui du 18 en particulier.

Dans la vie, ne jamais relâcher sa concentration tant que l’affaire n’est pas totalement bouclée. Tout comme on peut manquer un putt très court par manque de précaution, on peut gâcher des semaines de travail, voire plus, pour un instant d’inattention. Prendre garde à la colère, en particulier. La tradition orientale enseigne que si, pendant des années, on a accumulé des mérites par la pratique spirituelle, dans le renoncement d’une vie simple et juste, ces mérites peuvent être détruits en quelques secondes de colère. Car la colère est, avant tout, une perte de vigilance. Tout comme le vin le plus fin, qui a exigé tant de soins, de travail et de patience, pendant des mois et des années, peut être répandu à terre avant d'atteindre notre palais par maladresse si l'on n'y met pas suffisamment d'attention, les mérites et les progrès spirituels d’une vie peuvent être réduits à néant par une brève explosion de violence. Celle-ci nous rappelle cruellement que nous n'avons pas avancé d'un pouce, que nous sommes toujours aussi fragiles, à la merci de nos émotions et aveuglés par elles. La leçon est bonne, mais elle coûte cher. Il vaut mieux éviter d'avoir à la renouveler trop fréquemment.

4 janvier 2001

Méditations d’un golfeur solitaire 190

L'enfer n'a pas de fond

Le championnat de Polynésie brut est la première compétition officielle de l'année. Je suis inscrit pour les deux tours. Le premier a eu lieu aujourd'hui et j'y ai vécu l'une de mes plus pénibles expériences de golf. La plus mauvaise, en réalité, par le score, puisque je viens de terminer le premier parcours sur un total de 111, soit 39 audessus du par et 15 au-dessus de mon handicap de 24. J'ai vraiment vécu ce qu'on appelle “une descente aux enfers” et, je peux l'affirmer, l'enfer n'a pas de fond ! Je me console en remarquant ma dignité et mon flegme pendant toute cette expérience douloureuse et je me dis que j'ai, peut-être, fait quelques millimètres de progrès depuis le début de ma thérapie golfique.

Tous les joueurs partent des back tees blancs, les marques les plus éloignées du but. Tout a commencé dès le départ au premier trou, un par quatre de quatre cent vingt mètres en montée et légère courbe à gauche. Triple bogey pour commencer. Première erreur, choix du bois 5 sur un fairway desséché avec un vent à deux heures, assez violent. Naturellement, je gratte et rate mon coup. Il eût mieux valu assurer avec un fer 7 et me placer, plutôt que de tenter le green en deux. Je répéterai malheureusement cette même erreur que je paierai cash à chaque fois.

Je me sens mal, énervé. Muscles raides, tétanisés, cœur qui bat trop fort. J'ai beau essayer de me raisonner, de respirer, de me détendre, rien n'y fait. Je ne suis qu'un pauvre pantin qui ne sait plus rien, ni qui il est, ni où il est, ni où il habite… Et encore moins jouer au golf.

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Pourtant le 2 se présente assez bien et s'achève sur un bogey. Sur le 3, je réussis même un très joli par. Tout semble se rééquilibrer, s'apaiser.

Le 4 est un trou à birdie. C'est un par quatre, mais son green placé très en aval du départ, est accessible, même en un coup. C'est d'ailleurs ce que réussit l'un de mes deux partenaires du jour dont la balle vient s'immobiliser juste au bord du green. Ma balle est à la bonne distance aussi, mais dans le rough à droite. L'autre joueuse est une championne. Elle est aussi dans l’herbe, derrière moi. C'est à elle de jouer. Joli coup de sandwedge, elle est sur le green à quatre mètres du trou. Je prends aussi mon sand'. Belle balle mais un peu longue, huit mètres au moins. L'autre joueur sort son pitching wedge pour tenter l’eagle. Trop court ! Sa balle s'arrête à deux mètres.

Nous sommes tous les trois sur le green en deux. C'est mon tour de jouer. Concentration maximum. Huit mètres à peu près plats, mais avec de petites bosses difficilement lisibles dans cette lumière aveuglante. Les greens sont rasés de près et rapides. Routine habituelle, un coup d'essai, coup d'œil sur la cible puis, tête fixée au maximum, je pousse la balle, sa trajectoire est parfaite, elle roule, roule, je commence à croire au birdie, elle va dans le trou… Mais, soudain, horreur ! elle réapparaît là, à dix centimètres, à gauche.

Cette virgule fut ma première chute. Certes, je réussissais un très joli par, mais après un birdie manqué d’aussi peu, il était amer. Il l'était d'autant plus que mes deux coéquipiers enquillaient chacun un magnifique birdie sans bavure.

À partir de là, plus rien ne s'est passé comme je l’aurais voulu.

Départ du 5. C’est un par quatre, droit mais étroit, très venté de gauche à droite, et bordé de part et d’autre de grands arbres avec des roughs profonds et piégeux. C'est un trou délicat qu'il faut prendre en douceur. Aujourd'hui, je n'ai pas su et il m'a rejeté sans ménagement. Double bogey.

La glissade s'est franchement accentuée sur le 6 où j'ai commis à nouveau l'erreur fatale. Le 6 est ma bête noire, le seul sur lequel je

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n’ai jamais su réussir le birdie. C’est un par quatre d'environ quatre cents mètres en montée et légère courbe vers la gauche. Il est étroit aussi, bordé à droite par les mêmes grands arbres qu'au 5 et, à gauche, par une rivière et d'immenses cocotiers. Drive à moitié manqué, je suis à cent quatre-vingts mètres du drapeau. C'est accessible au bois 5, facilement. Mais pas aujourd'hui. Le vent, le manque d'énergie, la tension… Les conditions ne sont pas bonnes. Il ne faut surtout pas tenter le green. Une fois de plus, il faut savoir se placer au fer 7. Casse-cou, et surtout crétin, je sors tout de même le bois 5. La balle est très bien frappée, mais beaucoup trop à gauche. Elle s'élève comme une fusée, le vent l'attrape et, en un souffle, l'emporte hors limites. C'est lourd sur les épaules tout-à-coup. On en a “gros sur la patate”, le moral s’écroule dans les chaussettes.

Perdre confiance, ce n’est pas bon du tout pour le jeu de golf et je m’enfonce de plus en plus. Un quintuple bogey me propulse à 11 après six trous. Je sens la catastrophe très probable, mais j'ignore encore son ampleur. Elle s'avérera considérable.

Septième trou, le plus difficile du parcours, ça ne s’arrange pas : quadruple bogey après une balle perdue dans l’eau.

À ce moment, je me dis : le plus dur est passé, je viens de rater trois trous de suite, cela va revenir maintenant. D'autant que nous arrivions sur des trous qui me sont plus souvent favorables. Sapristi ! Je n'aurais jamais cru cela possible.

Départ du 8, un par trois d'environ deux cents mètres, en éventail, avec des arbres à droite et à gauche, légèrement en descente, fort vent arrière. Fer 6, c'est celui que je choisis d'habitude pour frapper depuis les marques jaunes. Avec un tel vent, je me dis que cela devrait suffire, même des blancs. Tout se présente parfaitement, jusqu'à l'impact… Que se passe-t-il alors ? Le grip se relâche un peu trop, le club s'ouvre et la balle s'échappe complètement à droite, derrière la rangée d'arbres. Je ne me suis plus jamais égaré aussi loin depuis des années. Je n'en crois pas mes yeux et j'ai un peu envie de pleurer. Je me retiens, mais je suis de plus en plus tétanisé. Naturellement, je

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manque mon approche qui vole au-dessus du green et va s'arrêter sur l'avant green du 1 voisin, derrière une rangée de cocotiers. Tout s'enchaîne et, d'approches trop courtes en putts manqués d'un poil, je subis un nouveau triple bogey.

Avant d'aborder le 9 et de parvenir à la moitié du parcours, je suis déjà à 18, c’est-à-dire entre huit et dix points de plus que mon niveau habituel. C'est en outre un record (à l'envers) puisque je n'ai encore jamais dépassé 18 en compétition sur un demi parcours. Je dois donc absolument faire par sur le 9 pour ne pas glisser encore plus bas.

Rien n'était possible aujourd'hui, je n’étais qu’un jouet, un pantin désarticulé, incapable d'un tempo, d'un swing, d'un relâchement quelconque, d'une concentration même infime. Mon drive a tout juste traversé le chemin et dépassé les grands arbres qui barrent le premier tiers du fairway. Je suis tout de même assez bien placé, en plein fairway. Pour la troisième fois, je commets la même erreur et sors mon bois 5… Mais, pourquoi ? Bref, pour abréger mes souffrances, disons que je subis encore un double bogey sur ce trou ce qui me place à 20 à mi-parcours, record d'enfer absolu. Du moins l’ai-je cru. Mais, pas longtemps. Dès le trou suivant, j’ai compris que l'enfer n'a pas de fond.

Il fait très chaud, très beau. Un vent assez fort souffle contre nous. Départ des blancs. Pour passer le lac, au départ du 10, il faut un coup de près de deux cents mètres. Pas évident ! Je pars en slice, c’était couru. Lac !

Deuxième balle. Je suis vidé. Je n'existe plus. Jambes molles et plus rien dans les chaussettes. Je lève mon driver avec peine comme s'il pesait des tonnes. La balle part péniblement et… va se perdre dans les hautes herbes de la berge, derrière le départ des femmes.

Alors, la tentation de l'abandon s’impose en moi. J'en parle à mes partenaires, je leur dis :

- Continuez sans moi, j'arrête, je n'en peux plus. Je suis déjà à 24, mon handicap, et nous n'en sommes qu'au dixième trou, je laisse tomber, C'est au-delà de mes forces.

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- Mais non, tu ne peux pas faire ça ! Allez, vas-y, continue, n'abandonne pas ! m'encouragent-ils.

Rassemblant le peu d’énergie qu’il me reste, je replace une troisième balle sur le tee, prends ma respiration et mon élan et, de toutes mes forces, je balance mon club. La balle monte trop, mais elle passe tout de même derrière le lac et s’immobilise à cent trente-cinq mètres du green.

Ces aventures, nous ont retardés. Nous proposons à l'équipe suivante de passer devant. Ils ne sont que deux. Deux jeunes gens élancés. Le premier fait un mouvement parfait et sa balle est une pure merveille. Elle part dans l'azur, vole au-dessus de nos têtes avec un léger feulement et ne s'immobilise que deux cent soixante-dix mètres plus loin, sur le fairway à peine à quarante mètres du drapeau. Le swing du second n'est pas tout à fait aussi pur, mais son coup est encore plus sublime. Le vol de sa balle est exceptionnel et elle s'arrête un peu plus à gauche que celle de son partenaire, avec un angle meilleur vers le drapeau et à vingt mètres seulement. Spectaculaire… Et écœurant !

J'ai finalement achevé ce trou sur un par, mais avec ma troisième balle. Encore un quadruple bogey.

Passons les détails, tous les autres trous ont été à l'avenant. La Bérésina, avec une petite perle de temps en temps, très rarement. Bilan, un catastrophique 39 que je ne croyais plus possible. Qui sait, demain ferai-je peut-être encore pire ? 45 ou même 50 ?

L'enfer n'a pas de fond… Il faut le savoir et, surtout, s’en souvenir.

Et je n’ai encore évoqué que les souffrances mentales. Je n'ai pas décrit mes épreuves physiques. Mal jouer, c'est aussi une douleur corporelle intense. Un coup manqué, c'est une énergie négative qui vous traverse et vous déchire. Ce n'est pas tout, après ces kilomètres d'errance hagarde dans la chaleur accablante de midi (nous avons joué de 10h à 14h15 environ), les reins sont broyés, les jambes sont raidies. Et je ne peux plus bouger les doigts. C'est dramatique, et cela explique probablement en partie ma déroute. Je suis depuis quelque

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temps à la recherche d'un grip qui ne me meurtrirait pas trop les doigts ni les phalanges. Je tâtonne et ce n'est pas bon pour la régularité.

Irai-je demain participer au second tour ?

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3 février 2001
Couple de pandanus (départ 14)

On se calme !

J'y suis allé, et j'ai bien fait ! Mes doigts (l'index et l'auriculaire de la main gauche) sont enflés comme des boudins depuis hier et je souffre un petit martyre au moindre contact. Tant pis, je ne voulais surtout pas rester sur un échec aussi cuisant que ce parcours maudit du premier tour.

Aujourd'hui, je me suis senti beaucoup plus calme. Plus rien à perdre. Ce dernier tour s’achève sur un honorable 29 et pourtant, en réalité, je n'ai pas mieux joué qu'hier. Je n'ai seulement perdu aucune balle. En effet, les cinq balles hors limites ou perdues dans les obstacles d'eau du premier tour m'ont coûté ces dix points de différence. Sur le retour, je fais même beaucoup moins bien puisque je prends 16 aujourd'hui contre 13 seulement hier.

Cet épisode m'a beaucoup appris sur le golf et sur moi-même. Voilà son aspect positif. J'ai réussi à me maîtriser malgré la souffrance. Je me noyais, mais dans la dignité et “presque” sans broncher. J'ai aussi appris à relativiser les choses. Un 29 aujourd'hui me satisfait quand je le compare au 39 d'hier et je saurai m'en souvenir le moment venu. Il est bon de reposer les pieds sur terre et d'ouvrir les yeux sur sa vraie valeur. Il est bon de savoir que l'on n'est jamais à l'abri d'un accident ni d'une glissade. Je constate également que j'ai plutôt bien tenu le coup physiquement malgré les conditions difficiles. Je me suis beaucoup alimenté (deux sandwiches jambonfromage, deux bananes, deux barres énergétiques, trois pastilles de Sporténine et un Diet Coke). Je n'ai pas arrêté de manger ni de boire. C'était indispensable. Je pense sortir grandi de cette pénible épreuve.

Méditations d’un golfeur solitaire

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4 février 2001

Julian, mon fils

Mon petit garçon, bientôt trois ans, et moi sommes dans une voiturette de location. Il fait très beau, une bonne brise rafraîchit une atmosphère chauffée à blanc. C'est la première fois que nous sommes seuls ensemble sur le golf.

Le gamin est sage. Il m'écoute et reste dans la voiturette. Il s'accroche comme je le lui ai recommandé. Mais pas toujours. Au moment où je tourne un peu brusque sur un dévers, je n'ai pas le temps de l'attraper qu'il est déjà par terre, éjecté dans l'herbe où il roule cul par-dessus tête. Il se relève un peu sonné, mais ne pleure pas. Il est heureux.

Le jeu est plutôt bon comparé à la compétition du week-end. Normal, je n’ai aucune pression. Je renoue avec le birdie sur le 9 grâce à quatre coups splendides à la suite, en particulier le deuxième, au bois 3, et un putt de six mètres. Sur le 16, je réussis également un très joli putt depuis l'avant green à huit mètres du drapeau. Cela provoque la joie de Julian qui s'écrie : “Maliifik ! Taïgueur !”30 en courant vers moi, le visage illuminé d'un large sourire.

Belle journée de golf et de tendresse ! Des moments rares et privilégiés dont je savoure les moindres secondes avec amour et délice. Finalement, je termine sur un honorable 22 avec quelques éclairs de réussite sur les longs coups et les putts, mais des approches encore trop mal maîtrisées.

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8 février 2001 30 Magnifique ! Tiger !

Teinture mère et aiguilles

Dans le journal du dimanche, mon horoscope chinois (Buffle de terre) prédisait un mardi 13 négatif. Je me suis entêté. J'y suis allé tout de même. Oh, je ne le regrette pas, non, même si c'était plutôt minable.

Depuis quelques semaines, je suis en galère. Au fond du trou. Pas comme je le souhaiterais, non, mais au fond du lac, dans la vase, les pieds englués. Je perds des balles et je rate mes coups comme un débutant. Je n'ai plus réussi un parcours sous les 20 depuis le 29 décembre dernier, il y a plus d'un mois et demi. Sur tous les secteurs, départs, longs coups, approches et putts, mon jeu est faible, irrégulier, désordonné. Je ne peux contrôler ni mes distances, ni mes angles d'attaque.

Je me console en me disant que ce mauvais jeu me rend plus humble et plus près des réalités. J'apprends à rester stoïque dans les pires circonstances. C'est extrêmement précieux. Et, de ce point de vue, la galère ne vaut-elle pas mieux que le jeu brillant ?

Tout de même, il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps… Depuis près de deux mois, je souffre le martyre de mes doigts, à la main gauche surtout, l'index et l'auriculaire enflés par une violente inflammation interne. Très douloureux. On ne peut plus plier les doigts, le moindre contact est une souffrance. Pour jouer au golf, cela va sans dire, c'est une véritable épreuve. Non seulement c'est à hurler de douleur à chaque coup, mais cela vous prive de cinquante pour cent de votre toucher, surtout sur le petit jeu. Heureusement, la concentration me fait en grande partie oublier la douleur sur le parcours. Mais, aussitôt rentré à la maison, c'est un cauchemar.

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Certains jours, je ne peux même plus taper sur le clavier de mon ordinateur.

J'étais vraiment très malheureux. Je ne savais pas quoi faire. Mon index gauche avait doublé de volume. J'ai consulté mon chiropracteur. Il m'a conseillé un produit appelé Harpagophytum (procumbens) en “teinture mère” (on en trouve apparemment dans toutes les bonnes pharmacies et c'est bon marché). Prendre cinquante gouttes le matin et le soir. Attention, c'est très amer. Pas bon du tout ! À diluer dans un demi-verre d'eau.

J'ai également consulté mon acupuncteur. Il m'a planté des aiguilles derrière la tête, en bas, sur le cou à gauche, derrière le haut de l'épaule et le long du bras jusqu'à la main. Il pense que cette crise (il écarte l'idée de rhumatismes) vient d'un “feu intérieur” qu'il faut calmer et évacuer. Il m'a aussi prescrit le traitement homéopathique suivant : le matin, cinq granules de Rhus toxicodendron 15 CH, au coucher, cinq granules de Rhuta graveolens 9 CH, trois fois par jour, deux granules de Arnica montana 9 CH et de Apis mellifica 9 CH. Ce traitement doit être poursuivi pendant quinze jours avant une nouvelle séance d'aiguilles.

Est-ce la teinture mère, sont-ce les aiguilles ou bien les granules ? Je l'ignore. Le fait est que mes doigts ont enfin commencé à dégonfler. La pression a diminué. La sensation de brûlure s'est adoucie. Ils sont plus souples, je peux les plier un peu sans trop souffrir. Et, surtout, je sens une amélioration progressive. C'est comme de la magie, la vie qui revient, doucement, dans ses doigts et l'espoir de pouvoir, à nouveau, se servir de ses mains avec adresse et force.

La teinture d'Harpagophytum pourrait bien être efficace. Sans pouvoir l'affirmer à coup sûr, il me semble avoir constaté un léger mieux avant même le début du traitement homéopathique. De toute manière, je n'ai commencé ce traitement que depuis deux ou trois jours, alors que je prends régulièrement mes gouttes de teinture depuis plus d'une semaine. Pour bien faire, j'aurais dû attendre avant de commencer le traitement homéopathique. J'avais trop mal, j'étais

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pressé et prêt à tout essayer pour atténuer la douleur. De toute manière, le traitement homéopathique et les aiguilles ont sans aucun doute renforcé considérablement l'effet de la teinture et les deux sont sûrement complémentaires.

Au cas où je retrouverais l'usage normal de mes doigts et de mes mains, nous verrons bien si mon jeu de golf retrouve des couleurs. Nous saurons alors si ce handicap était décisif ou pas. Je suis en tout cas impatient de vivre à nouveau des moments de golf intéressants et positifs.

Départ 13, par 4

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13 février 2001

Les nœuds du temps

Les grands moments de golf, les sensations magiques, ce n'est pas pour tout de suite. Il va encore falloir s’y faire et se montrer patient. Très patient.

Mon jeu de golf qui se dérègle toujours plus n’est pas la seule source du stress qui m’envahit. Les bruits et diverses nuisances provoqués continuellement par nos jeunes voisins, la pression de mon métier, l’activité turbulente de mes trois jeunes enfants, tout, actuellement, me pousse à travailler cette vertu divine : la patience.

D’abord, apprendre à maîtriser ses propres réactions dans les situations pénibles ou désagréables. L’objectif paraît simple, mais il est diablement difficile à atteindre : se débarrasser d'un tic, d'une mauvaise habitude, d'un réflexe. Mes progrès sont déjà réels dans ce domaine. Je ne me livre plus depuis longtemps au déversement de jurons et d’insultes à l’adresse de la balle auquel je me laissais aller naguère. Toutefois, à chaque coup de golf manqué, je ne peux encore m’empêcher de laisser échapper un : “Non, c'est pas vrai !” tonitruant. À la fin, ça lasse. C'est évidemment stupide et irréfléchi. Le coup est raté ou la balle est au pied d'un arbre, injouable, il faut l'admettre, c'est tout. Tu joues mal, tu joues mal ! Il est inutile, et même nuisible, de nier la réalité et de refuser de s’accepter tel que l’on est. Ne plus rien dire, ne plus proférer un son, le moindre regret, rester de glace et souriant en toute circonstance, voilà le but. J'en suis très loin. Mais, au moins, j'ai un but…

Apprendre à évacuer la pression. Logique ! Si l'on prend trop sur soi, on en subit les effets pervers, on se ronge de l'intérieur. Ne pas retourner la violence, les poisons et les démons contre soi-même, mais plutôt les apprivoiser, les assimiler, les absorber en les

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transformant. Alors, non seulement ils deviennent inoffensifs, mais ils nous obéissent et se mettent à notre service.

Comme le golf, la vie n'est pas linéaire. Elle est une suite de “moments forts” reliés entre eux par des périodes de transition et de maturation. Il y a plusieurs vies en une seule, emboîtées l'une dans l'autre comme des poupées russes. En général, nous vivons surtout pour ces “nœuds du temps” par lesquels nous mourons à une vie pour naître à une autre. Il faut, au contraire, apprendre à vivre pleinement, c'est-à-dire aussi pendant les périodes de transition, quand la monotonie du quotidien nous berce et nous endort. Un seul leitmotiv, conscience ! Prise de conscience de nos automatismes, de nos tics, de nos marottes, de nos manies, de nos habitudes, etc. D'où l'intérêt du jeu de golf pour ce travail sur soi. Apprendre à reconnaître et à éliminer progressivement les mouvements, paroles et pensées non seulement inutiles mais parasites. Méditation, concentration et, avant tout, respiration, car c'est par le souffle que le corps et l'esprit entrent en contact.

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17 février 2001

Une hirondelle… le printemps ?

Les conditions étaient terribles aujourd'hui. Chaleur étouffante, soleil de plomb mais magnifique. Pas d'air. On halète comme un poisson sorti de l'eau, on cherche l'oxygène sans le trouver. Il vaudrait mieux posséder des branchies dans cet air saturé d'humidité, lourd. De temps en temps, un mince filet de brise coule dans la vallée et c'est un ravissement.

“À tout à l'heure, avais-je dit à ma douce épouse en quittant la maison. Je retourne à mon calvaire…” Je ne me suis pas trompé. Jeu totalement désorganisé dans tous les secteurs : drives, coups longs, approches et putts. Des départs qui ne montent pas ou alors beaucoup trop. Les approches sont imprécises, souvent longues. Quant aux putts, ils sont vraiment trop nombreux. J'en ai manqué un de cinquante centimètres sur le 16 qui m'eût offert un par exceptionnel sur ce trou. Résultat final minable à 30 avec un seul par (malgré au moins quatre birdie putts), sept bogeys et… neuf doubles bogeys.

Je perçois néanmoins des signes encourageants dans cette partie. D'abord, je n'ai perdu aucune balle, ce qui est remarquable ces temps derniers. Ensuite, j'ai nettement amélioré mon jeu sur les neuf derniers trous (12 contre 18 à l'aller). Enfin, j'ai réussi quelques coups (pas assez) véritablement magiques, comme je les aime, et cela avec des clubs très différents. Malheureusement, pas un seul putt réussi.

Qui sait, peut-être suis-je sur la bonne voie, celle du redressement et d'un retour à un jeu acceptable ? Mais une hirondelle ferait-elle le printemps ?

Cela dit, je continue à progresser d'un point de vue mental et mes “savates” ne sont plus suivies d'exclamations stupides et agaçantes. Elles le sont de moins en moins en tout cas et c'est l'essentiel.

Méditations d’un golfeur solitaire 204

Quant à mes mains et mes doigts, les progrès se sont stabilisés. J'ai moins mal, certes, mais je suis loin d'avoir récupéré ma liberté et ma souplesse de mouvement. J’aimerais essayer la Glucosamine MSM, une vitamine, “miracle” paraît-il, que les Américains utilisent contre l’arthrose.

Fairway 10

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18 février 2001

Secrets entrouverts

Acupuncteur. Seconde séance pour mes problèmes de doigts. Ce cher Didier Guillaume. Il est excellent, mais nerveux… Et bavard. Il ne cesse de parler tout en me piquant derrière la tête, à gauche. Il place ensuite une chaîne d’aiguilles sur mon cou, l’épaule gauche, l'avantbras, la main et le bout de l'index (Aïe ! Plutôt saignant).

Comme à chaque fois, le golf est notre principal sujet de conversation. C’est un passionné. Vaita, son fils de douze ans, est déjà un petit champion. Mais, pour lui, le jeu ressemble plutôt à une punition. Comme nous tous, pauvres mortels, joueurs moyens ou très moyens, il ne comprend pas pourquoi les progrès ne viennent pas. Frustré, il peste et je vis sa souffrance.

- Je suppose que tu as des repères pour ton swing, des éléments de base sur lesquels t'appuyer et revenir quand tout se dérègle, me lance Didier avec une sorte de supplication dans le ton et dans le regard. On sent ce garçon très préoccupé et courant désespérément après un indice.

Alors, n'écoutant que ma compassion naturelle et ma solidarité de golfeur malmené, je lui entrouvre mes secrets :

- Tu sais que le golf a été codifié par les francs-maçons ?

Il semble captivé par cette entrée en matière. Alors je poursuis :

- Le parcours de golf est comme un voyage initiatique dont la symbolique est fondée sur le nombre neuf. Deux symboles clés de la franc-maçonnerie sont l'équerre et le compas. Or, le jeu de golf est aussi fondé sur ces deux symboles : compas pour le swing (le pied gauche représente la pointe du compas et la tête le sommet de l'axe de rotation), l’équerre pour la position perpendiculaire par rapport à la cible.

Méditations d’un golfeur solitaire 206

Il est fasciné.

- Alors, si le pied gauche est la pointe du compas… Bon sang, mais c'est bien sûr ! Je comprends tout…

- C'est la première fois, lui avouai-je, que je révèle à quelqu'un les résultats de mes recherches et de mes méditations. J'espère qu'ils pourront t'aider.

Didier est flatté et reconnaissant. Une excitation s'empare de lui. Il exulte à en oublier de m'enlever les aiguilles. Un nouveau monde s'ouvre soudain devant sa conscience, un champ d'exploration infini.

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19 février 2001 Green
16

“Essellent chou-fleur”

Ce petit garçon est extraordinaire. Mon fils n'aura que trois ans dans deux mois, mais il adore déjà le golf. Il joue régulièrement dans le jardin avec le petit set en plastique que nous lui avons acheté et montre un réel talent, avec un swing dans lequel on décèle, dès maintenant, les prémices d'un grand jeu (tempo, souplesse, puissance).

L'amour de ce gamin pour le golf est proprement incroyable31 . Pendant toute la partie, pourtant longue pour un bébé comme lui, il reste coi et obéissant, profitant au maximum de ces instants bénis. C'est la même chose pour moi. J'essaie de vivre cette intimité inespérée avec mon fils le plus intensément possible. Avec sa petite casquette sur ses cheveux auburn, un peu longs, son short qui lui arrive aux genoux, ses tennis et son large sourire, il est vraiment trop mignon ! Son plaisir, c'est d'aller chercher ma balle dans le trou quand j'ai terminé. Et aussi de déplacer et de replacer le drapeau.

Je l’assois sur mes genoux pour qu'il conduise la voiturette. C'est une formidable excitation pour le petit bonhomme.

- Tu es un excellent chauffeur, lui dis-je pour l'encourager.

- Oui, Papa, essellent chou-fleur, répète-t-il en écho.

Il me fait penser à Dustin Hoffmann dans le film Rain Man quand Tom Cruise le laisse conduire la Cadillac jaune décapotable.

Aujourd'hui, samedi, beaucoup de monde sur le parcours, la qualité de mon jeu en a souffert. Jusqu’au 8, sur lequel je me suis bien repris avec mon premier par de la journée. Malheureusement, au 9, je me suis trouvé empêtré dans un groupe de sept joueurs (!!) à pied

31 Il ne s’est hélas pas confirmé par la suite.

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et en voiturette. Former des équipes de plus de quatre est en principe interdit. Mais, la discipline et le respect des règles, quelles qu’elles soient, ne comptent pas parmi les spécificités polynésiennes. C’est le moins qu’on puisse dire, et même si cela est un élément non négligeable du charme de la vie dans les îles. On voit donc chaque week-end, et même parfois en semaine, ces “troupeaux” de joueurs sur lesquels le marshal et la direction du golf ferment des yeux bienveillants et qui parient généralement un peu d’argent pour ajouter du piquant à leurs parties.

Au 10, ils me laissent heureusement passer. Mais, comme toujours, voulant dégager vite, je perds ma concentration et ce trou se transforme en catastrophe : quadruple bogey. Rien ne va plus. Sur le 11, rebelote ! deux balles perdues. Le 12 ne vaut guère mieux avec encore un triple bogey. En trois trous, j'ai pris presque autant de points que dans toute la première moitié.

Alors, je demande à mon fils de m'aider, de me communiquer son énergie. Il entoure mon cou de ses petits bras et me serre fort contre lui. Je sens sa poitrine sur la mienne. C'est très doux et profond à la fois. Ô miracle, ça marche ! Le jeu revient.

Le parcours s’achève en 99, soit trois coups au-dessus de mon handicap. Le score est encore moyen, mais la partie a été particulièrement intéressante, avec des coups sublimes comme je n'en frappais plus depuis des semaines. Il y a eu surtout cette exceptionnelle succession de six trous sans faiblesse avec quatre bogeys et deux pars à la suite du câlin avec le petit garçon.

Suis-je enfin sur la pente ascendante ? En convalescence ?

Serai-je capable de rester désormais en deçà de 100 ? Pour combien de temps ? Et en compétition aussi ?

C'est bien dans l'échec que l'on trouve les ressources du progrès.

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3 mars 2001

Enfin !

Cela se sentait depuis quelques parties. Je l'avais remarqué et même écrit. Des signes encourageants montraient une restructuration progressive de mon jeu, manifeste dans les scores qui s'amélioraient sans cesse, en restant toutefois élevés.

Aujourd'hui, enfin, j'ai réussi un très agréable 18, mon premier parcours sous les 20 depuis le 29 décembre 2000. J’ai dû patienter plus de deux mois. Jeu fluide, relâchement complet, belles balles qui volent, tout y était. J'ai eu six fois des occasions de birdie, toutes manquées de peu… Parfois de très peu. Aucune balle perdue et vraiment un plaisir de jouer comme je n'en avais plus connu depuis des semaines. Mon plaisir aurait même pu être encore plus grand sans quelques erreurs regrettables, j'aurais pu rapporter une carte aux alentours de 15, assez facilement.

La malédiction est-elle enrayée durablement pour autant ? Est-ce seulement un répit ? Impossible de le dire. L'équilibre est toujours extrêmement fragile. Il faudra se battre et rester concentré.

Mes principales erreurs, pendant toute cette épreuve, ont été le manque de fixation sur ma balle au moment de l'impact, le mauvais choix de clubs, un backswing trop tiré en arrière et un tempo trop rapide. Maintenant, je dois surtout travailler les petites approches, c'est sur ce segment de jeu où j'ai encore des difficultés dans la précision, en distance comme en orientation. Il faut aussi prendre en compte le handicap de mes douleurs aux doigts. Plus ces douleurs s'atténuent, plus mon jeu s'améliore. Cause à effet ?

Méditations d’un golfeur solitaire 210

6 mars 2001

The Hand Leads

L'amélioration de mon jeu se confirme avec un beau 20. Les deux mois de galère qui viennent de s'achever m'apparaissent sous un autre jour. L'épreuve m'a beaucoup appris. J'ai compris qu'il y a des principes de base et des règles à respecter. Mon plan de swing a été retravaillé et, surtout, je veille bien à présent à garder ma tête derrière la balle jusqu'après l'impact.

Le tempo est capital. Pour un bon tempo, attention à bien faire pivoter les hanches. Elles doivent être au départ de la rotation. Pour cela, il faut contrôler soigneusement sa vitesse de swing. Les mains doivent rester en avant de la balle (“The Hand Leads”, c’est la main qui commande, dit-on en anglais). Ne pas oublier également de relâcher le grip pour donner de la vitesse à la tête de club et permettre à la balle de s'envoler.

D'une manière générale, je ressens une fluidité, une souplesse dans tout mon corps qui avaient disparu depuis quelque temps. La sensation est très agréable. Même mes doigts, si gourds, si raides, si douloureux, commencent à se mouvoir plus facilement. Mon grip en est naturellement facilité et amélioré.

Pourquoi maintenant ? Pourquoi la forme revient-elle comme cela, sans explication apparente ?

Méditations d’un golfeur solitaire 211

8 mars 2001

Méditations d’un golfeur solitaire

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Le Tigre des Bois

Je viens d'achever la biographie de Tiger Woods publiée en 1997 par John Strege. Quelle jeune existence fantastique ! À vingt et un ans, quand le livre s'achève, Tiger vient de passer professionnel et il a déjà gagné deux des sept premiers tournois auxquels il a participé dans cette nouvelle catégorie.

Depuis lors, le talent s'est confirmé, ô combien. Tiger a tout gagné. Il a aujourd'hui vingt-cinq ans et son objectif est de devenir le plus grand golfeur de tous les temps en battant le record établi par Jack Nicklaus, c'est-à-dire remporter au moins quatorze tournois du grand chelem dans sa carrière.

“Si Tiger est destiné à devenir le plus grand joueur de l'histoire, c'est parce que, dans son esprit, rien de moins ambitieux n'est acceptable”, écrit John Strege32 avant de conclure son travail de belle façon : “Lorsqu'il est à la maison, Tiger a très souvent un club dans les mains, son lobwedge ou son putter et il travaille sans cesse son chip ou son putting. «Il préfère jouer au golf que manger et, pourtant, c'est un mangeur professionnel, disait son père Earl Woods. Il préfère jouer au golf que dormir et, pourtant, c'est un dormeur professionnel.» De plus, il applique toujours le conseil de son père : contre les excès celui-ci lui a appris à toujours écouter son corps. Quand son corps l'informe qu'il a besoin d'un répit, Tiger pose ses clubs” (…)

“Cette victoire (le Mercedes Championship à La Costa, en janvier 1997, à l'occasion duquel il fut nommé Rookie of the Year 199633, lui rapporta une nouvelle voiture et deux cent seize mille dollars pour

32 A Biography of Tiger Woods, John Strege, Broadway Books, New York, 1997. 33 Rookie of the Year : novice, “bleu”, recrue de l'année.

Méditations d’un golfeur solitaire 213

payer l'essence d’un fabuleux voyage pour lequel aucune carte, aucun plan n'existent, puisque Jack Nicklaus est le seul à avoir jamais emprunté cette piste. De toute manière, il n'a pas besoin de carte. Tiger est guidé par son obsession. «On me paie des fortunes pour faire quelque chose que j'adore, dit-il. C'est comme une drogue. Si j'en suis privé, je deviens fou. Parfois, je reste allongé pendant des heures à penser à un coup ou à une partie. J'ai continuellement le golf à l'esprit.»”

Méditations d’un golfeur solitaire 214 11 mars 2001 Green 14

Mombins

C'est la saison des mombins. J’ai déjà évoqué ces grands arbres majestueux qui parsèment le parcours d’Atimaono et bordent l’allée qui le relie à la route. Le moment venu, ils se chargent de centaines de fruits orange vif, de la taille d'une petite datte, au goût parfumé mais acide. Une mince couche de chair recouvre un épais noyau. Les Tahitiens les ramassent parfois, peut-être pour faire des confitures, du jus ou quelque pâtisserie. Par fermentation puis distillation, on obtient paraît-il une excellente eau-de-vie. Les merles des Moluques en picorent quelques-uns. La plupart tombent à terre et pourrissent.

Cette année, la nature est particulièrement féconde. Les mombins sont plus abondants que jamais. Si l'on stationne à leur ombre délicieuse et odorante, pour peu qu'une petite brise agite les feuilles, on est frappé par une véritable pluie de petits fruits plutôt fermes. Ils jonchent le sol, dessinant comme une couronne d’or autour de l’arbre sur un diamètre de quinze à vingt mètres. Il ne fait pas bon y égarer sa balle.

Très agréable partie de golf en ce samedi point trop fréquenté. Magnifique soleil avec une bonne petite brise fraîche et soutenue, masquant l'écrasante chaleur de ce milieu de journée. La lumière est si forte que, même avec mes lunettes noires, je distingue parfaitement chaque détail du terrain. C'est superbe ! Les fairways viennent d'être tondus. Les greens sont bien roulants. Conditions parfaites (si l'on supporte la chaleur).

Méditations d’un golfeur solitaire 215

10 mars 2001

Abandonner ? Jamais !

Nouvelle séance d'acupuncture aujourd'hui. C'est la quatrième d'une série destinée à libérer mes pauvres doigts raides et douloureux. Les progrès ont été spectaculaires au début. J'ai dû gagner environ cinquante pour cent de mobilité et de contrôle. Mais, depuis, plus rien.

Taote Didier Guillaume ne désespère pas. Il a tenté cette fois une tactique locale en me piquant la main gauche et les doigts (l'index notamment, le plus touché) en plusieurs endroits. Ce n'est pas très agréable, sans être insupportable. Bien sûr, il arrive que l'aiguille frôle un petit nerf… On grimace un peu et parfois même on gémit. Mais la douleur est fugitive. On reste ensuite allongé, hérissé d'aiguilles, pendant une bonne vingtaine de minutes dans la pénombre et le silence du cabinet, le nez chatouillé par les fumigations et les odeurs d’encens.

Didier est un médecin très compétent. Il aime ce qu'il fait. Il pratique une médecine malheureusement en voie de disparition, en Polynésie au moins. À ma connaissance, ils ne sont plus que deux à l'exercer. Malgré la présence d'une forte communauté chinoise, les deux seuls acupuncteurs de ce pays sont européens, un comble !

Didier est vraiment passionné de golf. À tel point qu'il a, une fois encore, décidé d’abandonner. Sa frustration est devenue insupportable. Il estime n'arriver à rien et ne jamais progresser. Il est vrai que voir son propre fils de douze ans être déjà handicap 16 et même champion de Polynésie française 2000 en net, il y a de quoi se trouver mauvais et déprimer, je le comprends.

Peut-être a-t-il raison, au fond, ne vaudrait-il pas mieux reconnaître notre impuissance et laisser tomber ? Pour le moment, je

Méditations d’un golfeur solitaire 216

ne crois pas. Par expérience, je sais qu'il est plus cruel d'être privé de golf que de simplement mal jouer.

Green 1

Méditations d’un golfeur solitaire 217 12 mars 2001

Admirable

Plus mauvais score depuis le début du mois. Pourtant, je suis heureux de cette journée, je l'accepte avec bonheur et gratitude. Je prie pour pouvoir faire encore de nombreux 28 comme aujourd'hui.

Tahiti est sous la canicule. Depuis trois jours, la chaleur s'est abattue sur nous comme une chape de plomb et nous fait souffrir. Heureusement, sur le golf, il y a par moments quelques filets d'un air délicieux.

Forte chaleur mise à part, les conditions étaient idéales, mais j'ai été trop maladroit. Tout cela n'a aucune importance à côté de la joie que me procure une sortie sur les fairways avec mon petit garçon. Toujours très sage, il m'épate réellement. Il porte le drapeau avant mon putt, ramasse ma balle, replace le drapeau. Parfois, la fatigue le terrasse et, bercé par le roulis de la voiturette, ses yeux se ferment. Cette fois, il a résisté jusqu'au bout. C'était admirable. En arrivant sur le green du 6, il m'a scotché sur place. Montrant du doigt le chiffre sur le drapeau : “C'est le six, hein Papa ? Hein, c'est le six !”

Comment ? Ce boudchou qui n'a pas trois ans connaît déjà les nombres ? Il repère les balles et l'endroit où elles tombent. Aujourd'hui, pour la première fois, je lui ai permis de putter sur le green, une bonne dizaine de petits putts d’un mètre maximum. Installé derrière lui, je l’ai aidé à se placer et à réaliser son mouvement en empoignant mon putter à mi-hauteur. Il les a tous placés dans le trou. Un as !

Méditations d’un golfeur solitaire 218

17 mars 2001

Vieux !

La situation est troublante. D'une part, les médecins confirment que je suis victime d'une arthrose de tous les doigts des deux mains et d'un tassement “évolué” de deux disques intervertébraux lombaires et, d'autre part, je réussis mon meilleur score en compétition avec un superbe 89.

Depuis des semaines, je souffre affreusement des doigts, l’index de la main gauche en particulier. Ma première crainte s’est finalement avérée, c’est bien de l’arthrose. Pour dire simple, il s’agit d’une dégénérescence des cartilages des articulations. Des millions d’hommes et de femmes souffrent de ce mal à des stades variés pouvant aller jusqu’à la perte totale d’autonomie. Cette arthrose est pour beaucoup, j'en suis sûr, dans la baisse de qualité de mon jeu depuis la fin 2000.

Il n’y a rien à faire pour se débarrasser de cette saleté, il faut s’y habituer et vivre avec. J'ai déjà dû modifier mon grip pour l'adapter à la douleur et au manque de souplesse de mes doigts. On peut néanmoins ralentir l’évolution du mal et en atténuer les effets. J’ai essayé l'acupuncture, efficace mais limitée. Mon chiropracteur m'a conseillé un régime alimentaire strictement suivi. Mes doigts étaient toujours aussi enflammés, gonflés et raides. Par moments, je ressentais sur ma peau comme des brûlures de cigarette. La douleur avait même gagné les coudes. Elle se manifestait tout particulièrement à l’occasion de coups “grattés”, sur des fairways bétonnés par des semaines de sécheresse. Je sentais alors des pointes de feu me transpercer les bras. Taote Guillaume m'a finalement conseillé de consulter un rhumatologue et je m'y suis résolu. Ô certainement pas de gaieté de cœur. Je savais ce qu'il allait me dire.

Méditations d’un golfeur solitaire 219

Au premier coup d'œil, il a vu que mes mains étaient atteintes. “Vous avez de l'arthrose, cher monsieur ! Vos parents devaient probablement en être affectés.”

Il ne se trompait pas. Mon père et, surtout, ma mère ont cruellement souffert de ce mal héréditaire et de plus en plus répandu. Tout comme ma grand-mère qui s'en plaignait aussi beaucoup et me montrait ses pauvres doigts tordus et déformés. “Vous savez, m'a dit le docteur pour adoucir le choc, cette maladie touche aussi bien les jeunes. Vous avez de la chance, vous auriez pu en souffrir dès vingtcinq ans !” Ce que ma mère m'a confirmé en me confiant qu'ellemême souffrait des mains et des articulations depuis l'âge de… quinze ans.

Je suis sorti de chez le rhumatologue avec une ordonnance longue comme le bras. Traitement anti-inflammatoire de choc avec sa kyrielle de remèdes. Un vrai casse-tête. J'ai dû aussi subir un test sanguin et une série de radiographies. Les clichés sont clairs : tous mes doigts sont atteints et l’on constate aussi des lésions lombaires, ce qui m’inquiète pour l'avenir de ma pratique du golf. Heureusement, en dépit d’une certaine raideur, les cervicales ne sont pas encore touchées.

Ces mauvaises nouvelles ont provoqué chez moi une soudaine déprime. Lire sur une notice : “Médicament prescrit pour certaines affections liées au vieillissement”, c’est plutôt dur à encaisser. À cinquante et un ans, je me sentais encore jeune, en pleine forme. On fait du sport, on essaie d’équilibrer son alimentation, on prend des vitamines. Puis, brutalement, en quelques mois, les douleurs vous assaillent et le docteur vous assène que, ça y est, vous êtes vieux !

Est-ce un hasard si la catégorie des joueurs seniors commence à cinquante ans ?

Une expression lapidaire résume ironiquement la situation et vous confronte sans ménagement à la réalité : “Après cinquante ans, diton, si vous vous réveillez un matin sans avoir mal quelque part… C’est que vous êtes mort.” Fermez le ban !

Méditations d’un golfeur solitaire 220

8 avril 2001

Index perclus, index 17,9

Ce 6 avril, j'ai vécu vingt-quatre heures extrêmement pénibles. Tout semblait s'écrouler. Rien ne fonctionnait plus normalement. Les machines tombaient en panne. Je voyais le mal partout. Ce soir-là, impossible de trouver le sommeil. Je ne me suis endormi qu'à cinq heures du matin après une nuit épouvantable : caillou sur l'estomac, bringue tahitienne dans le quartier jusqu'à deux heures du matin… Et pleine lune.

La totale !

Il y avait cette compétition le lendemain, un stroke play sur une seule journée. Heureusement, mon départ était fixé à 13 h.

Trois heures de sommeil seulement et la chaleur qui règne à Tahiti actuellement, cela vous apporte une certaine “sérénité”. On est comme en état second, “gélifié”. Les émotions sont gommées, anesthésiées. Du coup, au lieu de la chamade habituelle des jours de compétition, mon cœur affichait un rythme parfaitement zen. Pas la moindre appréhension. Depuis mes déroutes du début de l'année et les révélations récentes sur mon état de santé, je suis devenu philosophe à propos de mes prestations golfiques. Pouvoir être là et participer, respirer cet air, marcher sur les fairways et les greens, jouer au golf, c'est déjà un tel cadeau. Dans ces conditions, la marque n'a plus la même signification émotionnelle.

Bref, le métier entre peu à peu.

Il y a aussi le practice. Depuis quelques jours, le driving range d’Atimaono est enfin rouvert. On en était privé depuis près de trois ans. Certes, il est loin d'être parfait, mais, au moins, il existe. Je frappe maintenant un seau de balles avant chaque parcours et, bien sûr, cela change tout !

Méditations d’un golfeur solitaire 221

Voici la séance que le grand Butch Harmon, le professeur de golf de Tiger Woods, entre autres, préconise pour s'échauffer avant chaque partie34. “Idéalement, recommande-t-il, vous devriez consacrer environ une demi-heure à vous échauffer. Commencez par de simples étirements pour faire circuler le sang. Frappez une douzaine de coups de wedge, lentement et sans forcer, pour assouplir les muscles et vous habituer au contact du club et de la balle. Ensuite, frappez quelques fers moyens (7 ou 8) et bois de fairway avant de sortir le driver. Ne frappez pas plus d'une demi-douzaine de balles au driver, mais étudiez bien vos trajectoires. Enfin, frappez encore trois ou quatre coups de wedge pour verrouiller un tempo fluide. Dans l'idéal, vous devriez aussi frapper quelques coups dans le bunker pour vous familiariser avec la consistance du sable. Puis quelques chips qui vous permettront de vous habituer à cette technique indispensable. Enfin, testez deux ou trois putts longs et courts pour vous rendre compte de la rapidité du green et améliorer votre contrôle des distances.”

“Cela ressemble à un long travail, ajoute-t-il, mais cela en vaut la peine.” Confirmé. Depuis que je m'astreins à cet exercice préalable, mon jeu s'est amélioré, c'est indéniable. Il me semble qu'il revient peu à peu et je constate même quelque progrès.

Dernière cause à ma sérénité, le traitement anti-arthrose fait son effet. Mes doigts ont un peu dégonflé, ils sont un peu plus souples. La douleur s'est atténuée. J'ai enfin l'impression de retrouver l'usage de mes mains. C'est très précieux.

Le temps est magnifique. Une bonne brise rafraîchit la canicule. Le remue-ménage usuel a chamboulé les programmes de départ. Je démarre finalement avec un quart d’heure de retard et un seul coéquipier. Son index est à 9,7, handicap 11. Bigre !. Mon index est descendu à 19,8 (pour la première fois en dessous de 20) et mon handicap a été fixé à 23. J’en suis plutôt surpris compte tenu de mes

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34 Butch Harmon’s Playing Lessons, Butch Harmon, Fireside, New York, 1999.

contre-performances récentes, mais j’évite de me poser des questions à ce sujet et fais confiance à l’ordinateur de la Fédération.

Sans complexe, je commence la partie par un coup manqué. Mais, rapidement, je sens qu'il se passe quelque chose. Mes coups sont plus fluides, plus précis, plus efficaces que d'habitude. Mon partenaire, au contraire, est en galère. Dès le 2, il perd sa balle dans les arbres derrière le green. Persuadé qu’il la retrouvera, il omet de jouer une balle provisoire et doit finalement retourner au départ pour finir ce par trois sur un triple bogey, tandis que je réussis mon premier par.

Au 3, seule une petite erreur sur le deuxième coup me prive du par. Mais au 4, je réussis un superbe birdie. Au 5, il me manque moins de cinq centimètres pour rééditer l'exploit. Par. Par également au 6. À plus 1 seulement après six trous, je suis sur un nuage. Mais je ne m'excite pas, je sais que le plus dur reste à venir.

Pendant ce temps, mon partenaire poursuit sa galère. “On dirait que les handicaps ont été inversés”, commente-t-il avec un sens de l’humour et un détachement qui font mon admiration. Il est déjà à 6 et il plaisante.

Sur le 7, je limite les dégâts et sauve le double bogey. Puis bogey sur le 8 et je manque de peu le birdie sur le 9. Je n'en crois pas mes yeux. À mi-parcours, je suis seulement à + 4. Et ça continue. Au 10, par quatre, je claque un départ fabuleux, parfait, qui place ma balle à moins de trente mètres du drapeau. Réussissant le par, j'entame le onzième trou à 4. Départ canon, mais manque de rigueur par la suite, double bogey.

Tout est fini, le charme est soudain rompu. Mon jeu reste correct, mais la magie est passée. Retour sur terre. Bogey au 12 et au 13, triple au 14, bogey aux 15 et 16 et double au 17. Pendant ce temps, mon partenaire a retrouvé des couleurs et, comme moi, son vrai niveau de jeu. La hiérarchie reprend ses droits. Il aligne six pars d'affilée du 12 au 17 et, alors que je le menais de sept points au départ du 11, c’est maintenant lui qui est devant 13 à 15.

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Il ne me reste que le 18 pour revenir, l'espoir est mince. La lumière décline et le soleil nous frappe dans l'œil. La fatigue s'accumule après ma nuit agitée et sans sommeil. Le gars est sur une série de six trous sans faute tandis que mon jeu s’est déréglé. Son départ est canon, sa balle est idéalement placée en face du lac, prête à bondir à gauche au second coup. Mon départ, en revanche, est manqué, il me faut deux coups pour me placer au même endroit que lui. Alors, il sort un fer 3 ou 4. Gratté ! Sa balle coule lamentablement au beau milieu du lac. D’un seul coup, son énergie l'abandonne, comme aspirée dans le sol. Deuxième tentative, rebelote, encore dans le lac. Moral en berne. Il n'est plus qu'une chiffe molle. Au sixième coup, finalement, il réussit à franchir le lac, mais sa balle part à droite dans les arbres et s'immobilise en bordure du hors limites dans des racines. Il n'y croit plus. Il frappe quand même, sa balle part bien, mais le sort s’acharne et, bloquée par des branches basses, elle disparaît dans la brousse hors limites. Écœuré, abattu, essoré en quelques minutes, il décide alors d’abandonner sur ce septième coup.

Dans le même temps, je réussis un troisième coup flamboyant au bois 3. La balle part comme une fusée, bien droite et se pose près du green après un vol de plus de deux cents mètres. Score final 89. Une performance formidable, porteuse d'espoir et de potentiel. La meilleure, en tout cas, depuis que je participe à des compétitions. Je me sens toutefois déçu de m’être un peu écroulé au retour et de n'avoir pas su profiter de l'avantage extraordinaire acquis à l’aller avec ce 4 exceptionnel. C'était un jour à finir à 10 ou au moins à 13.

En un sens, cela ne vaut-il pas mieux ainsi ? Avec ce – 6 en net, mon index chute déjà jusqu’à 17,9, ce qui me ravit, mais ramène mon handicap aux alentours de 20, un niveau déjà très exigeant pour moi. 9 avril 2001

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Premiers clubs

Aujourd'hui, Julian a trois ans.

Nous sommes allés à Atimaono ensemble avec sa maman et sa sœur. Il a pu étrenner ses nouveaux clubs : un bois, deux fers et un putter, bien rangés dans un joli petit sac rouge et noir. Nous les lui avons offerts hier soir avec son gâteau d'anniversaire. Ils sont encore trop grands pour lui, mais il s'est bien amusé. Son swing est déjà esquissé et l'on sent une aisance naturelle pour le mouvement. Plus important, il aime cela.

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7 mai 2001 Un swing prometteur

Sur la bonne voie

Assemblée générale annuelle du golf club d'Atimaono, dont je suis membre, sur le bord de mer de l’autre côté de la route, en face du parcours. Nous sommes réunis dans une magnifique propriété appartenant à Jean Bres, l’un des deux créateurs du golf de Tahiti, en 1970, avec son associé Jean Bréaud. Au milieu d’une grande cocoteraie s’étendant de la plage à la route se dresse une jolie bicoque rose bonbon aux murs en “carton” et couverte de tôle ondulée. Elle est entourée de plantes exubérantes et de fleurs jaunes, mauves, rouges et blanches. Dans ce cadre enchanteur, ce petit fare est l’archétype de la maison populaire polynésienne des trois dernières décennies.

L'AG aussi était très polynésienne. Les débats ont commencé avec une bonne heure de retard et à peine un quart des soixante-deux membres du club avait daigné se déplacer. Nous étions alignés sur des bancs, devant de longues tables en contreplaqué. Pour dire la vérité, j’ai été surpris de constater que seuls les popa’a35, hommes et femmes, étaient attablés. Les quelques Tahitiens s’étaient délibérément regroupés à l’écart. Près d’un immense banyan, ils devisaient entre eux en reo ma’ohi en sirotant de la bière. Je suis surtout venu pour témoigner mon soutien à Jean Solari, le président du club, que j’aime bien. Il présente son bilan moral et financier. Impeccable, comme toujours. Le club possède même un petit pactole à la banque. Un tama’ara’a36 est ensuite prévu, mais je préfère m'éclipser pour aller préparer le prochain concours.

35 Européen, étranger de race blanche.

36 Banquet polynésien.

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L’archétype du fare pinex

Le samedi suivant, mon départ est fixé à 9h30. Deux coéquipiers : un grand costaud, popa’a tropicalisé, de mon âge environ, cheveux gris mais peau bronzée et visiblement en forme. Il a le même index que moi (17,9). Encore un nerveux, ça se voit tout de suite. Mais, qu’ont-ils donc tous à être aussi agités ? N’avons-nous pas la fortune exceptionnelle d’être sur un terrain de golf pour passer un bon moment, à Tahiti de surcroît, dans une nature idyllique ?

La Chinoise qui joue avec nous a, elle aussi, la cinquantaine. Index 18. Au contraire, elle semble très calme. Cela se confirmera dans son jeu régulier et stable toute la journée.

Les conditions sont bonnes, ciel couvert rafraîchissant la température et forte humidité assouplissant un terrain redevenu vert et très beau. Je suis sous la pression, comme toujours. Rien à faire pour me détendre, ni ralentir le tambour qui bat dans ma poitrine.

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Dès le 2, par trois, je frappe hors limites : triple bogey. Bon début. Sur le 3, par cinq, un mauvais choix de club au troisième coup me coûte très cher. Mon fer 9 dépasse le green de cinq bons mètres et la balle roule de l'autre côté, au pied d'un arbre, injouable. Quadruple bogey.

Je constate avec une surprise heureuse les progrès étonnants de mon mental. Quelques mois plus tôt, une telle situation m'eût étendu pour le compte. Cette fois, je ne me laisse pas démonter et, du reste, cela s'arrange. Pourtant, sur le 9, nouvelle catastrophe. Sur ce par cinq, je commets exactement la même erreur que sur le 3. Mauvais choix de club au troisième coup. Une fois encore le fer 9 propulse ma balle au-delà du green. Triple bogey.

À mi-parcours, je suis déjà à 15, mais je m’accroche. Pas suffisamment, toutefois, pour encaisser ce qui m'attend au départ du 10. C’est un par quatre court et plutôt accessible, mais avec un lac très accueillant au pied du départ. Toute la semaine, j’ai essayé de me persuader de démarrer au fer 7 ou même 8 sur ce trou, surtout si les conditions ne sont pas favorables, comme c’est justement le cas aujourd'hui. Ne vaudrait-il pas mieux se placer et éviter de perdre une balle dans l'eau, voire deux ?

Rien à faire, les mauvais réflexes sont les plus forts. Malgré les bonnes paroles de mon conseiller intérieur, je suis là, au départ du 10, bois 3 à la main. C'est une connerie, c'est clair, il n’y a pas d’autre mot. Je me sens stressé, énervé par les agressions verbales répétées de mon excité partenaire. Le rythme du jeu a été rompu par les comptes de mi-parcours et les conditions sont déplorables. Le départ est boueux, glissant, avec un vent défavorable. Tenter le bois 3, c’est un suicide !

Le scénario se déroule sans surprise. Ma balle coule lamentablement dans l'eau. Triple bogey. Comment peut-on être aussi stupide ?

La pluie s'est mise à tomber, fine au début, puis de plus en plus forte. Cela ne m'a pas gêné, au contraire. J'ai même commencé à mieux jouer. Sur le 16, par quatre, l'averse est devenue déluge. J’en étais à mon troisième coup et ma balle reposait sur l'avant-green, à

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dix mètres environ au-delà du drapeau. Nous avons entendu le bruit de l'eau qui s'approchait à la vitesse d’un train express. Soudain, Dieu a ouvert les vannes. En quelques secondes, le green était inondé et impraticable. J'ai sorti un wedge à 52°, petit coup d’essai et j'ai balancé ma balle à un mètre devant le drapeau. Dans une gerbe d'eau, elle a roulé jusqu'à vingt centimètres du trou. Par miraculeux.

Sur le 17, j’étais en deux coups à trois mètres du drapeau. La Chinoise était, elle aussi, en deux à quelques mètres du trou. Mais, il ne lui a fallu pas moins de quatre putts bien appuyés pour s'y loger enfin. Dommage, elle avait bien joué jusque-là. Ma balle était placée un peu en hauteur par rapport au trou et l'eau n'avait pas stagné sur ma ligne de putt. Encore un par inespéré.

Malgré mes erreurs (trois seulement, mais qui m'ont coûté très cher) j’étais alors à 22 (plus 2 en net). Pas si mal. Le 18, par cinq, est délicat, mais il me réussit plutôt bien. D'ailleurs, je l'entame de manière satisfaisante. Mon départ est manqué, mais je me replace bien au wedge et frappe un formidable troisième coup au bois 3 qui pose ma balle à cent vingt mètres du drapeau à peine. Fer 9, coup facile. Que s’est-il passé ? La fatigue, certainement. La balle part directement sur la droite, à angle droit, hors limites.

C'est le coup de grâce. J'en suis déjà à mon sixième coup sur ce trou, et je le rate encore pitoyablement avant de terminer, enfin, sur le deuxième quadruple bogey de la partie. Deux quadruples, trois triples, cinq trous ratés, tout cela n’est guère brillant. Malgré tout, dans de telles conditions de jeu, les dégâts m’apparaissent limités avec un 26 dont je m'estime satisfait. Je suis surpris de n'être pas plus abattu. Toutefois, compte tenu de ma contre-performance, de la fatigue et des conditions qui ne s'améliorent pas, j’ai la tentation de ne pas renouveler l'expérience le lendemain pour le second tour.

Mon coéquipier, en revanche, est fier comme un paon. Malgré son agitation fébrile, il a réussi le score de sa vie. Il termine pour la première fois sur un inespéré 87 (moins 5 en net) qui fait chuter son index d’un point et demi. Il prend d’ailleurs une sérieuse option sur

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la victoire du concours en deuxième série. J’ai du mal à comprendre comment font ces nerveux, ces grossiers, pour jouer aussi bien.

Départ 15, par 4

Patatras ! Le lendemain, tous ses beaux rêves s’écroulent. Compte tenu des conditions météo dantesques de la veille et de l’abandon de nombreux joueurs, la première manche de la compétition a finalement été annulée par le comité officiel. Toutefois, les cartes régulièrement remises en fin de parcours ont été enregistrées et les scores seront pris en compte pour le calcul de l’index de jeu. Le gars fait la gueule.

Le ciel est toujours couvert. Il fait frais et humide. Il tombe de temps à autre un léger crachin breton. De nombreux compétiteurs

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ont préféré rester chez eux par crainte de conditions encore pénibles, comme au premier tour. Cette fois, je me sens en forme et détendu. Je n’ai plus rien à perdre, au contraire, ma contre-performance de la veille a été annulée et je ne lâche qu'un dixième de point de handicap (à 18). Tolérable.

Ébranlé mentalement, mon partenaire galère. Il accumule les doubles bogeys. De me voir plutôt réussir mes coups, ça le perturbe encore plus. Ses mouvements sont crispés, saccadés, sa démarche plus sèche et les vibrations qu’il émet ne trompent pas. Soudain, il n’y tient plus et craque. Il m’agresse violemment. Pas deux mots n'avaient été échangés ent’e nous depuis le début du jeu, et l’, soudain, il m’invective : “Y’en a marre, tu ne respectes pas les règles, tu dois ramasser ton drapeau !” Je comprends mal ce qu’il dit. Il est loin. Je m’approche. Qu’y a-t-il ? Quel est le problème ? Il prétend que, selon la règle, le drapeau doit systématiquement être pris en charge et replacé par le premier joueur ayant entré sa balle dans le trou. J’ignore cette règle. Je n’en ai jamais entendu parler. Normal, du reste, elle n’existe pas. À mi-parcours, je m’empresse évidemment de le vérifier auprès de personnes averties. C’est un usage, tout au plus, m’apprend-t-on, mais que rien n’impose. Le gars n’en démord pas. Il est vraiment très énervé et m’a définitivement choisi comme tête de turc pour déverser son poison. Le coup classique de l’abruti convaincu (peut-être aussi en deux mots) que s’il joue mal, c’est de la faute du voisin.

Je fais ce que je peux pour ne pas me laisser gagner par le stress, mais cette histoire me vole tout de même le par au 8 où je manque un putt de cinquante centimètres inratable. Je me rattrape toutefois au 9 avec un birdie merveilleux. J’ai bien retenu la leçon de la veille. Au troisième coup, je laisse le fer 9 bien au chaud dans mon sac et sors le wedge. Superbe lobe, ma balle pitche en plein green, à deux mètres du trou. Le gars est vert, ça fait plaisir à voir. Je termine cette première moitié à 5 (dont une balle hors limites au 4) tandis qu’il plafonne à 11.

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Sur le 10, je me méfie, mais je me sens bien. Alors, incorrigible, je ressors le bois 3. Le coup a bien failli faire long feu. Je vois avec horreur ma balle partir directement dans le lac. Mais, soudain, elle reprend miraculeusement de la hauteur et franchit l’obstacle in extremis. Le fairway du 10, point le plus bas du parcours, est gorgé d’eau, à peine jouable. J’arrache tout de même le bogey là où j’avais fait triple la veille.

Ouf !

Au départ du 11, je suis encore à 6. Jubilant intérieurement, je me garde bien de provoquer la boule de nerfs qui me suit en lui rapportant le résultat de mes vérifications relatives à ses prétendues règles du jeu. Ma concentration est bonne, je suis maître de moi, inutile d’en rajouter. D’autant plus qu’il me fout la paix. Il a retrouvé, lui aussi, une certaine concentration et il a placé un superbe birdie sur ce 10. Il continuera ensuite à jouer parfaitement pour finir cette seconde moitié à 6 et la partie à 17.

Son jeu me stimule. Je mets un point d’honneur à rester à sa hauteur. C’est le cas sur le 11 et le 12. Malheureusement, une petite erreur me coûte le double bogey au 13.

Départ du 14, par trois, en descente prononcée, fairway en dévers sur la droite, avec un bel obstacle d’eau au bout du compte. Il faut frapper bien droit, légèrement à gauche mais pas trop. Le drapeau est à cent quatre-vingt-dix mètres à peu près. Le gars a l’honneur. Il donne un coup superbe qui tombe directement sur le green à quatre mètres du drapeau. Loin de m’impressionner, cela me stimule. Je choisis un bois 3. Ma balle est bien frappée, elle part bien droit, sans monter, elle se dirige directement vers le drapeau. Elle touche le terrain à vingt mètres de celui-ci, juste devant un bunker, rebondit, passe au-dessus du sable et s’immobilise sur le green à… trois mètres du bonheur. Le type est encore plus vert. Birdie manqué pour tous les deux.

Sur le dangereux 15, je réussis un bogey bienvenu et, quand j’attaque le 16, je ne suis qu’à 11 sur l’ensemble de la partie. C’est

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extraordinaire, mais cela me déconcentre un peu. Le petit tupapau37 du 16 (si, si, il existe) en profite alors. Il gêne mon swing et ma balle part à gauche toute, dans le profond fossé, hors limites. Le beau rêve s’écroule. Je réussis heureusement un par avec ma deuxième balle, mais j’inscris encore un double bogey. La magie s’est évanouie. Ce deuxième départ hors limites de la journée me paraît stupide ! Quatre points lâchés si bêtement ! Je devrais être à 9 et je suis déjà à 13.

Rien n’est perdu, c’est tout de même un score superbe. Manque de chance, cette erreur au 16, m’a affecté le moral. Je ne parviens plus à me concentrer suffisamment pour le 17 (par trois) qui m’échappe totalement. Premier triple bogey de la journée.

Je limite les dégâts sagement sur le 18 avec un très joli bogey sauvé après un départ calamiteux comme la veille. Score final, un très beau 17, record en compétition égalé, moins 3 en net. Je suis satisfait et heureux d’avoir si bien joué, mais en même temps déçu d’avoir une fois encore manqué l’occasion d’un score de rêve, 85 au moins, voire 82 ou 81 assez facilement.

37 Fantôme.

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21 mai 2001

Se sentir libre, c’est être libre

Karma signifie “action” en sanscrit et, par extension, “causalité”. La loi du karma ou loi de la causalité est au cœur des religions et philosophies orientales. Le karma règle la vie des êtres aussi sûrement qu'un objet projeté en l'air retombera sur terre. Tout phénomène, tout effet, a une cause et toute cause produit un effet. Une cause positive produira un effet positif et du bien-être. Toute cause ou comportement négatif produira un effet négatif et de la souffrance. C’est du moins ce qu’enseignent les maîtres depuis plus de cinq mille ans.

Le jeu de golf est une pure application de ce principe. Une attitude positive, c'est-à-dire conforme aux règles, à l'étiquette et aux techniques de jeu, entraînera un effet positif, un coup réussi et, par conséquent, du bien-être. À l'inverse, un jeu qui ne respecte ni les règles du golf, ni l'étiquette et qui pêche par défaut de connaissance des effets techniques de tel ou tel mouvement, ne produira que des balles désordonnées, de la frustration et de la souffrance.

Se sentir libre, c'est être libre. La liberté est relative, elle n'existe pas dans l'absolu. La nature humaine est étroitement limitée par des contraintes physiques, verbales et mentales. Il ne suffit pas d'avoir envie de courir le cent-mètres en dix secondes ou de réussir un parcours sous le par pour y parvenir. Même en travaillant beaucoup, ce talent n'est pas donné à tous. Nous sommes limités dans nos paroles par le vocabulaire que nous possédons, notre capacité à exprimer nos pensées, etc. Nous sommes aussi limités en esprit par le niveau d'information, de connaissance et, surtout, de conscience auquel nous nous situons.

Dans la vie comme au golf, notre liberté est donc une notion extrêmement subjective et relative. On peut se sentir libre même dans une prison parce que l'on a su développer une capacité à

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s'extraire des situations extérieures et à contrôler son esprit pour s'évader intérieurement. On peut, en revanche, se sentir enfermé et angoissé quand bien même serait-on apparemment libre de ses mouvements.

Le 13 sous la pluie

Méditations d’un golfeur solitaire 235 12 juin 2001

Golf et équilibre

L'être humain n'est fait ni pour se reposer éternellement, ni pour s'agiter sans cesse. À terme, l'inactivité le détruit tout autant que le surmenage, physiquement et mentalement. Rester trop longtemps couché, c'est souffrir d'escarres et mourir d'ennui. Trop s'agiter, c'est manquer de recul et de réflexion, et, finalement, risquer l'infarctus. Dans les deux cas, on est menacé de dépression nerveuse. Le secret de la santé, de l'harmonie, du bonheur et du succès réside dans l'équilibre entre action et repos.

C'est le principe chinois du yin et du yang.

Ce principe est au cœur du jeu de golf. Celui-ci doit être le produit de 50 % de réflexion et 50 % d'intuition. Trop de réflexion tue la spontanéité, mais trop laisser le champ libre à l'instinct et à l'improvisation peut entraîner des résultats pathétiques.

Le jeu de golf est un jeu initiatique fondé sur les nombres. On y compte sans arrêt et les nombres, surtout le 9, y sont essentiels. On est continuellement dans le monde géométrique, spatial et rationnel des angles, courbes et trajectoires. Rechercher le score le plus bas possible, suppose un effort de concentration continu, accentué par le système, un peu compliqué, du handicap.

Il faut aussi réfléchir soigneusement à la tactique de chaque coup, choix du club (en fonction de la distance à faire parcourir à la balle, mais aussi de critères naturels comme l'état et la structure du terrain, le vent, la condition physique du joueur, etc.), mais aussi choix tactiques (dois-je me replacer ou attaquer le green ?)

Méditations d’un golfeur solitaire 236

2 août 2001

L'eagle de Jim Thorpe

Le tournoi Senior Classic de Cincinnati, dans l’Ohio, s'est terminé d'une façon spectaculaire et exceptionnelle. Il faut se rappeler que les seniors ont plus de cinquante ans, certains même, les superseniors, ont plus de soixante ans. Ils sont tout de même autorisés à jouer en voiturette.

Nous sommes au second et dernier tour du concours, Tom Jenkins mène au score à - 9. Il joue le 18, un par cinq de cinq cent quarantesix yards (environ cinq cents mètres). Le green est protégé par deux vastes bunkers, eux-mêmes placés juste derrière un large obstacle d'eau devant lequel se dresse un bouquet d'arbres. Beau drive, sa balle repose en plein fairway à deux cent trente mètres environ du drapeau. Bois 3 au deuxième coup. La balle s'élève et vole au-dessus des arbres, du lac et des bunkers pour venir atterrir plein green, à côté du drapeau. Elle rebondit et dépasse le trou avant de s'immobiliser à environ un mètre cinquante. Un coup extraordinaire. Eagle en vue. Malheureusement, le petit putt manque le trou. Birdie. Tom Jenkins termine son tournoi à - 10, rendant une carte de 63 (!) au second tour.

Pendant ce temps, son poursuivant immédiat, le colosse noir Jim Thorpe - panama à larges bords et garniture noire, lunettes foncées, éternel gros cigare… - le talonne à - 8 après le 16. Il manque le birdie de peu sur le 17. Pour rejoindre Jenkins à - 10 et le contraindre au play off, Thorpe doit ABSOLUMENT réussir un eagle sur le 18.

Son drive est parfait. Sa balle l’attend presque au même endroit d'où Jenkins avait atteint le green en deux. Il sort aussi le bois 3 et swingue en force, un coup très tendu. La balle part comme un bolide et vole au-dessus des obstacles. Elle dévie légèrement vers la gauche et vient percuter l'avant green. Soudain, elle rebondit vers la droite et

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se met à rouler sur le gazon rapide. On se dit que ce n'est pas possible. Les commentateurs de la télé sont muets. La balle continue de rouler à bonne vitesse. Puis le drapeau apparaît sur l'écran, à gauche. Et la balle roule toujours. Ce n'est pas croyable, elle se dirige droit vers le trou. On a le souffle coupé. Après un vol de deux cent trente mètres et après avoir roulé sur quinze mètres environ, la petite balle blanche s'immobilise à moins de vingt centimètres du trou. Hallucinant ! Eagle assuré.

Tom Jenkins est sur le driving range, il s’entraîne. Il se voyait déjà empocher les centaines de milliers de dollars du vainqueur et emporter le trophée chez lui.

On lui annonce l'eagle de Thorpe.

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Jim Thorpe, un eagle de légende

Les deux hommes ont terminé tous les deux à - 10… Play off. La dure loi du golf. Il faut repartir au boulot. Retour au départ du 18. Grâce à son eagle de légende, Jim Thorpe a l'honneur. Les deux joueurs frappent de superbes drives en plein fairway. Bois 3 à nouveau tous les deux pour le deuxième coup. Thorpe est un peu derrière, il joue le premier et réédite le même swing que quelques minutes plus tôt. La balle prend l'avant green gauche, mais, cette fois, elle y reste bloquée et ne roule pas sur le green. Quant à Jenkins, son coup part trop loin sur la droite et la balle se perd dans le rough, à vingt-cinq mètres du drapeau. Le coup est très difficile et, ce qui devait arriver se produit, il le manque. Trop court, la balle reste dans le rough à un mètre du bord du green.

L'occasion est trop belle pour Thorpe. Il n'a que le green à traverser tranquillement pour faire éventuellement un nouvel eagle ou assurer le birdie. Il ne s'en prive pas et sa balle vient s'arrêter à trente centimètres du trou. Le sort en est jeté. Jenkins a bien encore une chance minuscule qu'il tente de saisir, mais c'est trop dur. Depuis ce rough, on n'est pas précis. Sa balle meurt à quatre-vingts centimètres du trou. Il a donc encore l'humiliation de putter pour le par avant que Thorpe ne pousse sa balle dans le trou pour signer sa victoire d'un magnifique birdie final.

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4 septembre 2001

Trois birdies dans la même partie

Pour la première fois, depuis que je joue au golf, j'ai réussi trois superbes birdies au cours d'une même partie, sur le 4, le 12 et le 16. C'est un sentiment extrêmement gratifiant, en dépit du fait que j'aurais pu en engranger quatre en tout aujourd'hui, assez facilement. J'en ai en effet manqué un magnifique d'extrême justesse sur le 3 (par cinq, un putt de deux mètres). J'ai même manqué le par sur ce trou. Grrrr !

En tout cas, à trois jours du championnat net de Polynésie française, les choses ne se présentent pas trop mal avec 17 hier et 16 aujourd'hui. Mon handicap est en principe à 18. Nous verrons bien.

5 septembre 2001

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Qualifié !

Pour une deuxième participation à ce championnat net de Polynésie française, on peut parler de succès. En 2000, c'était l'enfer avec 29 le premier jour et 32 le lendemain, le tout sous la pluie.

Cette fois, les conditions n'étaient pas très bonnes au départ. Un très fort mara’amu (vent du sud) balayait les départs, les fairways et les greens, avec des rafales glacées (si, si, même à Tahiti, il peut faire froid). J'avais enfilé ma chemise en coton à carreaux, à manches coupées. J'étais vraiment confortable. Pas de douleur particulière. Même mes doigts, si crispés et sensibles, me laissaient un répit. Je me sentais prêt. Un peu tendu, toutefois, comme toujours. Incapable de digérer mon dîner, je n'avais pu fermer l'œil que vers deux heures et demie du matin pour le rouvrir à cinq heures.

Mon handicap était à 18 pour un index de 16,5 et dix-neuf coups reçus.

Le samedi, les choses ont plutôt bien commencé. J'ai attaqué le premier trou par un double. Mais, ensuite, bogey au 2, bogey au 3, par au 4 et bogey au 5. Au départ du 6, j'étais à 5. Pas mal ! Mais, tout s'est soudain gâté sur le 6, malgré un départ somptueux avec trop d'hésitation aux abords du green et au putting. Triple bogey, suivi d'un autre au 7. J'étais déjà à 11. Pas terrible !

Le moral restait bon, néanmoins. Je m’étais mentalement préparé à ce genre de situation. Je savais qu'elles ne sont jamais irrémédiables pour peu que l'on parvienne à s'en détacher et éviter l'enchaînement des causes et des effets. Tout cela en gardant son sang-froid pour commencer le trou suivant dans des conditions optimales.

Limiter les dégâts, c’était mon leitmotiv. Je n’y ai pas trop mal réussi en achevant l’aller sur deux bogeys et un total de 13. Déjà quatre

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coups au-dessus de mon handicap. Pas très brillant, mais pas désespéré !

J’ai pu tester un peu plus avant ma résistance mentale dès le dixième trou, où j’ai subi un troisième triple bogey.

Il y a quelques semaines seulement, c’eût été le coup de grâce.

Non seulement je ne me suis pas laissé abattre, mais c'est là que j'ai retrouvé mon jeu. Après un très joli bogey sur le 11 (le deuxième trou le plus difficile du parcours), je suis sur le départ du 12, un long par cinq de cinq cents mètres, en montée, légèrement infléchi vers la droite. Un drive magnifique porte ma balle à plus de deux cent trente mètres. Elle repose sur un fairway parfait. Le vent souffle fort de trois quarts à droite. Devant moi, le parcours s'étend comme l’immense nef d’une cathédrale de verdure, bordée, de part et d'autre, d'une enfilade de cocotiers souples et aériens. Les deux rangées latérales se rejoignent en haut presque à la hauteur du green qui semble comme perché au sommet, comme “l’autel” de ce “temple”.

Je frappe, la balle part droit et fort. Elle vole, dépasse les repères des cent trente-cinq mètres et atterrit en plein milieu du fairway, à distance de pitching wedge. Je ne laisse pas passer l'occasion, mon pitch est parfait, la balle s'enfonce dans le green comme dans du beurre, à trois mètres du drapeau. Le putt est à l'avenant, birdie !

L'espoir est là, il renaît. Par sur le 13, par sur le 14. Mes coéquipiers du jour sont épatés. Ils n'en croient pas leurs yeux. Il faut dire que la “métamorphose” est complète. J'étais un pauvre maladroit, je joue à présent comme un pro. Naturellement, cela ne dure pas, mais je termine tout de même le retour à 8, ce qui limite sérieusement les dégâts et me permet de finir à 21, soit seulement trois au-dessus de mon handicap.

Ce score me classe vingt-septième (sur plus de soixante inscrits) à l'issue du premier tour. Les trente-deux premiers sont qualifiés pour les seizièmes de finale qui auront lieu en match play. Le premier des qualifications est opposé au trente-deuxième, le deuxième au trente et unième, etc.

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Le lendemain, les choses se sont un peu mieux passées. Mêmes conditions, un mara’amu un peu moins violent peut-être. Bogey sur le 1 et sur le 2, par sur le 3 et le 4. Le départ est trop beau pour être vrai.

En attaquant le 5, je suis à moins deux sous mon handicap et j'ai presque rattrapé mon retard de la veille. Malheureusement, je perds un point sur chacun des quatre trous suivants. Un par au 8 et un bogey au 9 pour sauver les meubles dans cette première moitié qui s'achève à 10 (tout juste mon handicap, que demande le peuple ?)

Le retour commence super bien avec un par au 10, mais suivi d'un double au 11. Sur le 12, le scénario du samedi se répète, en trois coups magiques, ma balle est à moins de trois mètres du fanion, doucement enfoncée dans le green. Malheureusement, j'avais déjà fait birdie deux fois de suite sur ce trou… Un troisième eût sans doute été un peu prétentieux, ma balle échoue à quelques centimètres du but. Par tout de même. Bogey sur le 13, par sur le 14, double sur le 15 et le 16 et enfin bogey sur le 17 et le 18. La journée s'est achevée sur un très beau 19 qui me vaut la dix-septième place.

Je suis donc qualifié pour les seizièmes de finale du championnat de golf de Polynésie française. Incroyable ! Mon adversaire en match play sera le seizième des qualifications.

La sensation est étrange. Je me sens assez fier. D’autant plus que tout le monde, dans ce championnat est sur le même plan d’égalité. Les départs se font tous aux back tees blancs sans tenir compte des catégories, ni de l’âge des joueurs. Il n’y a que deux classements, celui des femmes et celui des hommes.

En 2000, j’avais vécu l'enfer au cours de ce championnat, cette année, ce n'était pas encore le paradis, mais… 10 septembre 2001

Méditations d’un golfeur solitaire 243

Méditations d’un golfeur solitaire

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En huitième de finale

Le rêve se prolonge un peu. Me voici qualifié pour les huitièmes de finale du championnat net de Polynésie française.

Tout s'est joué sur le dernier coup du dernier trou. Un putt d'un mètre qui, s'il n'était pas entré, m'aurait expédié en play off avec “mort subite” au premier trou perdu.

Il faisait un soleil magnifique ce vendredi 14 septembre, avec une brise légère et une lumière extraordinaire. Je suis arrivé à Atimaono vers midi, une heure avant le rendez-vous de départ de ce seizième de finale. Le match est assez équilibré. Mon adversaire s’appelle Germain, c’est un Tahitien de mon âge environ, pas très costaud, mais je suis admiratif devant ses approches courtes et son putting.

La formule de jeu est un match play dans lequel la différence entre les handicaps respectifs des deux joueurs est réduite à ses trois quarts. Je suis 18, Germain est 13, il me rendra donc 5 x 0,75, c’est-à-dire quatre points. Cela signifie qu’il me rendra un point sur chacun des quatre trous les plus difficiles du parcours, officiellement classés comme tels (handicap 1, handicap 2, etc., jusqu’à handicap 18 pour le plus accessible). À Atimaono, les quatre trous les plus difficiles sont, par ordre décroissant, le 7, le 11, le 1 et le 18.

J'ai tout de suite compris qu’il me fallait absolument profiter de cet avantage si je voulais conserver une chance de gagner la partie.

Facile à dire… Un triple bogey me prive d'entrée de mon avance sur le 1. Mais, en revanche, le niveau de mon jeu, pourtant moyen, voire très moyen sur la fin (9 à l'aller et 12 au retour) m'a suffi pour contenir un adversaire pas vraiment en possession de son golf lui non plus (6 à l'aller et 11 au retour). Son par net était fixé à 85, le mien à 90. Il a fini à 88 et moi à 93 soit + 3 pour tous les deux.

Méditations d’un golfeur solitaire 245

La partie a été une succession d'alternances victorieuses. À miparcours, Germain mène one up. Au 10, il fait le break : two up. Mais, je me reprends bien. Profitant de mon handicap sur le 11, sur lequel nous faisons bogey tous les deux, je reviens à one up, puis à square sur le 12 grâce à un beau par. Le 13 est partagé à bogey et, grâce à une erreur de sa part qui lui vaut un double bogey, je lui prends le 14 et passe à one up.

Pour la première fois au cours de ce match, je mène la course. Nous partageons le 15 et 16 sur des bogeys. Tout semble bien se présenter pour moi. Il ne reste plus que deux trous dont un sur lequel je bénéficie encore d'un point de handicap.

J’ai l’honneur au 17, un long par trois plutôt piégeux, dont on ne se méfie jamais assez. Ce coup de départ va dramatiser la fin du match. Bois 5, en principe c’est le green. Pourtant, je ne suis pas suffisamment à mon affaire. Ma balle est topée, elle roule sur l'herbe et, consterné, horrifié, je la vois disparaître dans la petite rivière qui traverse le fairway, juste au pied du départ. Triple bogey ! Nous voici

even square…

Le match se jouera donc sur le 18. Deux jours plus tôt, en guise de répétition, nous avions déjà joué ensemble. J'avais tout perdu sur ce dernier trou avec un quintuple bogey. J'y pense encore et, naturellement, je me plante. Ma balle s'immobilise dans un rough épais et profond à quelques mètres du lac. Fer 8. Je suis trop tendu. C'est stupide ! Patatras, la balle s'élève, mais elle manque de puissance et s'écrase au beau milieu de l'eau dans une gerbe de gouttelettes. Déjà trois coups sur ce par cinq.

Pour moi, l'affaire est entendue et j'applaudis déjà mon compagnon de jeu, le félicitant de sa victoire désormais quasi certaine. Il a en effet placé sa balle de départ idéalement. Il n'a plus qu'à la pousser…

Mon concurrent est tendu, lui aussi. Il sait qu'il me rend un point sur ce trou n° 18 et qu'il doit donc le gagner par au moins deux coups d'écart pour se qualifier. Un seul coup d'écart nous enverrait en play off sur le 1 où il me rend aussi un point. Tout ça lui trotte dans la tête,

Méditations d’un golfeur solitaire 246

il a compris qu'il vaut mieux profiter de l'occasion que je viens de lui offrir sur un plateau pour en finir tout de suite.

Il a la pression.

Il sort son bois 3, avec lequel il fait généralement des merveilles, et frappe. La balle part bien, elle s’élève et traverse le lac, mais, soudain, elle dévie en slice vers la droite et disparaît derrière la rangée d'arbres, hors limites.

Je n'en reviens pas ! Tout est possible à nouveau. Germain va, comme moi, frapper son quatrième coup. Ce qu'il fait pour poser sa balle à gauche du fairway, à environ cent soixante mètres du drapeau. Requinqué, je drope une balle au bord du lac et, au fer 7, je la place tranquillement un peu avant le piquet droit des cent trente-cinq mètres.

Cinquième coup. Il frappe au bois 5, mais il reste un peu court, à dix mètres du green et quinze du drapeau. Je sors mon fer 6 et un excellent swing projette ma balle directement sur le green, à la hauteur du drapeau, mais à dix mètres à gauche. L’arme fatale de Germain, ce sont ses petites approches autour du green. Il les réussit presque toutes. Cette fois encore, petit chip et sa balle vient s'immobiliser à un mètre cinquante du fanion.

Il est en six, je suis en cinq. Long putt à ne surtout pas manquer. La balle part bien, elle roule, mais je ne peux pas m’empêcher de tourner légèrement la tête pour la suivre des yeux, et sa course s'infléchit sur la gauche. Elle dépasse le trou et s'arrête à un mètre. Germain putte bien, sa balle tombe dans le trou.

La situation est simple et claire. Si je place ce putt, je gagne le match et suis en huitièmes de finale. Sinon, c’est le play off.

J'ai déjà manqué de nombreux petits putts comme celui-ci. Pourtant, malgré la pression, je me sens étonnamment calme. La partie s'est déroulée dans une excellente ambiance et le scénario est idéal.

Routine, un ou deux coups d’essai… Fixe bien ta balle des yeux, ne la lâche pas, et traverse bien doucement…………….. Kolok !

Quel son délicieux, celui de la victoire.

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Pour les huitièmes de finale, je serai opposé à un jeune Chinois puissant mais nerveux qui s'est qualifié sur forfait de son adversaire.

Il est handicap 13, comme Germain, et devra me rendre les mêmes quatre points que lui. Je l’ai déjà joué au second tour du tournoi qualificatif, qu’il avait du reste remporté. Sapristi ! Ce ne sera pas une partie de plaisir.

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15 septembre 2001
La rivière du 7

Festival d’occasions manquées

J'aurais pu gagner ce match. Malheureusement, Jean-Pierre, mon adversaire, handicap 13, a trop bien joué et j'ai manqué de présence d’esprit.

Ma nuit précédant le match a été épouvantable. Je n'ai pas fermé l'œil avant cinq heures du matin à cause d'une indigestion (une indigestion, mon œil, t’avais la trouille, c’est tout). J'étais donc très fatigué, avec une grande difficulté à me concentrer.

Les conditions étaient sévères. Temps couvert avec crachin et, surtout, un fort mara’amu très frais. Le genre de vent qui vous pompe votre énergie et vous épuise prématurément.

Mon premier trou a été une catastrophe avec un triple bogey. J’avais pourtant bien pris soin d’arriver une heure et demie avant notre rendez-vous. Assouplissements, suivis d’une petite heure de practice pour démarrer bien chaud. Malgré cela, mon départ est totalement crispé avec un hook qui me fait croire à un hors limites. Pourtant non, ma balle est sauve, ouf ! Mais elle est très mal placée sur de la terre et sous des arbres. Je m'en sors bien au fer 8, mais, ensuite, je ne contrôle plus rien et, en dépit d'un point de handicap sur ce premier trou, je le perds lamentablement.

Néanmoins, les choses s'arrangent. Bogey, par, par, bogey, bogey, par, je réussis une excellente série et parviens à mener two up au 8. J'aurais même dû mener three up sans un petit putt d'un mètre manqué qui me prive du par sur le 6, après une somptueuse approche au fer 9. À cette occasion manquée, l'idée m'avait traversé l'esprit que je venais de perdre le match. D’ailleurs, mon avantage s’est réduit dès le 9 que j’ai perdu à cause d'un double bogey.

Méditations d’un golfeur solitaire 249

Je me console en pensant que finir l'aller sur one up contre un handicap 13, c’est déjà une belle performance. Mais, au fond, je ne me sens pas tranquille du tout. Mon bras n’est pas assez ferme au putting et je perçois l’énergie farouche de ce jeune homme qui veut vraiment gagner ce match.

Je ne m’étais pas trompé. Il s'est soudain mis à jouer très bien et régulièrement, alignant les pars et les bogeys tandis que je m'écroulais sur le 11 (triple bogey), le 12 et le 13 (double bogey). Au 14, j'étais déjà mené three up. Tout n'était pas encore perdu, mais il golfait trop bien et je manquais par trop de ressources. Égalité au 14 (bogey). Sursis.

Départ 16, par 4

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Sur le 15, un par quatre délicat et imprévisible, je dois absolument réussir quelque chose. Mon cœur se remet à battre quand je le vois manquer son départ. Le mien est tout aussi raté, mais je me replace bien au deuxième coup. Lui, perdu dans le rough à droite, tente le green en deux. Aïe ! Son coup est gratté, la balle roule jusque dans le fossé qui traverse le fairway à quarante mètres du green. Je dois absolument être en terre promise en trois et prendre ce trou. Ma balle est à cent trente mètres du drapeau. Je sors mon fer 7 et pitche au bord du green, à quelques mètres du trou. Je le tiens ! …

Ne te réjouis jamais si vite !

La sécheresse a frappé, il n'y a pas d'eau dans le ruisseau. C’est plutôt une sorte de grand caniveau, à peu près deux mètres de large et un mètre de profondeur. Sa balle est au fond, collée à une pierre. Le voilà qui se met en tête de la jouer. Je n'en crois pas mes yeux. Très calmement, il se place à l’adresse (on ne voit de lui que les épaules et la tête) et réussit un coup de maître. Sans même toucher la pierre, il soulève sa balle qui sort du fossé, prend une trajectoire en cloche et vient s'immobiliser à deux mètres à peine de la mienne. Cette fois, c'est bien fichu. Nous terminons tous les deux ce 15 sur un bogey. Three up et il reste trois trous. Je n'y crois plus et, avec un par contre un bogey, je suis définitivement éliminé sur le 16.

La leçon est bonne. Trop d'occasions manquées.

Je ne me sens pourtant pas frustré. Huitième de finale, c'est-à-dire parmi les seize premiers sur plus de soixante compétiteurs, toutes catégories confondues, ce n'est déjà pas si mal. Et j'ai surtout appris que la concentration et le relâchement sont essentiels au golf. C'est du yoga, ni plus ni moins. Respiration, relaxation, concentration, voilà les piliers du golf comme du yoga.

Malheureusement, j'ai manqué de souffle.

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23 septembre 2001

Practice et confiance

Cette année s'achève et je me sens en confiance. Mon index de jeu a encore baissé de trois points et demi. Dans une semaine, je participerai à la dernière compétition officielle 2001 avec un index de jeu de 16,5 (handicap 18). Mon meilleur parcours en compétition s’établit à 88, soit - 2 en net. Le bilan est excellent. Je perds désormais très peu de balles (moins d'une par parcours en moyenne). Le nombre des birdies a augmenté de façon spectaculaire. En revanche, celui des pars stagne. Les triples bogeys et autres sont désormais ma cible prioritaire. J'en subis actuellement un par demi parcours en moyenne, ce qui est encore beaucoup trop. Ce genre de désastre doit devenir exceptionnel. Pour les doubles bogeys, je suis dans une moyenne acceptable (autour de quatre par parcours). Là aussi, il faudra s'améliorer.

Tous ces éléments positifs sont principalement le fruit d'un travail que je n'avais jamais effectué sérieusement : le practice, l’entraînement. Depuis cette année, nous avons enfin un driving range à Atimaono. Il n'est pas excellent, mais au moins il existe. Et c’est toute la différence ! À présent, je commence rarement un parcours (même pour une compétition) sans avoir au préalable frappé un seau de balles, à la fois pour me détendre, m'échauffer et retrouver mon mouvement.

En réalité, je joue deux seaux de balles. Le premier en petites approches, près du green, là où je perds tant de points par défaut de technique et crainte de l’échec. Peu à peu, avec le travail, la confiance s'est installée. Je me plante encore souvent, mais mon taux de réussite s'accroît rapidement. Un jour, en passant, le champion amateur local, membre de mon club, m'a donné quelques précieux conseils. Il a

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notamment souligné l'importance de garder le poignet droit bien rigide, de bien regarder sa balle, placée assez près, et de jouer souplement et doucement, tout en accélérant, comme au putt. Le choix du club me pose encore des problèmes. En principe, c'est un sandwedge. Mais, dès que l'on dépasse une dizaine de mètres, on doit préférer un pitching wedge ou même un fer 9. Excepté, bien sûr, s'il y a un obstacle à franchir, auquel cas, on restera plutôt sur le sand’. Il n’y a pas de transfert du poids du corps qui reste sur le pied gauche et le backswing est très court.

Après ce premier seau de petites approches, je ramasse mes quarante balles et vais les frapper sur le driving range. Je termine finalement dans le bunker et sur quelques putts.

C'est peu, mais en même temps beaucoup, car cela m'a énormément aidé à progresser, notamment d'un point de vue mental, en me donnant plus de confiance dans mon jeu.

Un seul mot d'ordre, donc, travail et practice.

Méditations d’un golfeur solitaire 253

2 décembre 2001

La libellule rouge

Ce matin, j'ai vu une libellule rouge38 . D'un rouge très vif, très beau, comme le manteau d'un cardinal. Elle était petite, fine, racée. Une vraie merveille ! Je n'en avais jamais vu comme elle auparavant, j'ignorais même que les libellules pouvaient être rouges.

Est-ce un signe ?

Elle est venue se poser sur la tête de mon club alors que j'étais à l'adresse au fer 5 sur le fairway du 11. Concentré, je ne l'ai pas tout de suite remarquée mais, quand j'ai réalisé sa présence, ce fut comme une apparition. Elle voletait doucement autour de ma balle, l’effleurant doucement de ses antennes et de ses pattes, avant de disparaître.

J’ai manqué mon coup ! C'était couru. Un golfeur peut-il se laisser aller à la poésie ? J'aurais dû me relever, refaire ma routine et reprendre une adresse solide.

Encore beaucoup de chemin à parcourir. 20 décembre 2001

38 Tramea transmarina. C’est l’unique fois où j’ai vu cette demoiselle qui ne s’est plus jamais montrée.

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Ressentir la terre

Très souvent à Noël, les pluies sont abondantes à Atimaono comme partout à Tahiti. Le ciel est couvert quand je quitte la maison. La température est idéale autour de 24°. Le contraste est saisissant entre le gris du ciel et le camaïeu vert du parcours et de la nature environnante, c'est très beau. Après plusieurs jours de travail au bureau, je retrouve enfin l'air frais et l’odeur d'herbe coupée.

D'abord, quelques petites approches autour du green pour se mettre en train. Pas trop mal, en général la direction est bonne, mais la distance peut passer du simple au double. Beaucoup de travail encore en perspective.

Puis un passage au driving range. Frustrant ! Impossible de faire partir les balles, de les faire monter surtout. L'air est chargé en humidité et les distances ont tendance à se raccourcir.

Trois quarts d'heure plus tard, je suis au départ. Je commence plutôt mal par deux doubles bogeys. Sur le 3, mon drive revient, superbe. Suivi d'un deuxième coup au fer 8 qui me place à quatrevingts mètres du drapeau, mais légèrement en pente vers la droite et derrière deux rangées d'arbres. Sandwedge magique : la balle monte au ciel, et retombe comme une pierre à la bonne distance pour s'immobiliser net à quatre mètres du drapeau.

Putt très cool, avec la tête bien immobile : birdie !

“From the ground up”, dit-on en anglais pour rappeler que le mouvement de golf doit partir du sol pour remonter progressivement jusqu'au sommet du corps. Il est donc très important de bien ressentir la terre sous ses pieds, de prendre conscience de son propre poids et de sa répartition sur chaque jambe. C’est essentiel pour bien effectuer le transfert de ce poids d’une jambe sur l’autre pendant le

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swing. On doit sentir la terre vivre sous ses chaussures, percevoir ses réactions, avec son élasticité et sa force. C'est cette force venant de la terre qui est transmise à la balle par le truchement du swing et du club. C'est cette force qu'il s'agit de bien maîtriser et de canaliser tout en la concentrant.

Départ 17, par 3

Dans notre routine, dans la check list que l'on se repasse dans la tête avant de jouer, il est donc capital de commencer par vérifier mentalement l'aplomb des pieds, le bon équilibre du poids sur chaque jambe, en fonction de la situation et du relief. On peut ensuite remonter, peu à peu, d'une articulation à l'autre. En réalité, c'est

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comme pour une séance de relaxation, il faut prendre conscience de chaque partie de son corps, une à une, en essayant d'en éliminer les crispations et les contractions. Ce n’est pas facile, mais avec la pratique, ce balayage mental ne prend que quelques secondes.

J'ai failli faire deux birdies de suite sur le 3 et le 4.

Puis la météo s'est gâtée. La pluie a commencé à tomber très fort. Sur le 5, j'ai même dû m'abriter un moment sous un arbre. Les grips glissaient. Les coups ne partaient plus. Il fallait choisir deux clubs audessus pour parcourir la même distance. J'ai tout de même réussi le bogey en étant prudent et astucieux. Le green du 6 fut atteint en trois coups, bel exploit dans cette ambiance mouillée, mais l'averse a soudain redoublé d'intensité. J'ai dû à nouveau m'abriter. Il faisait sombre. Pas un souffle. Le rideau de pluie tombait tout droit, épais et dense. On n’entendait plus rien que le vacarme des gouttes sur les branches et le sol. Personne en vue. En cette veille de Noël, j’étais seul sur le parcours. Là, sous mon arbre, droit sous ce déluge, immobile, les yeux grands ouverts, je me sentais comme hypnotisé par l’intensité de l’orage.

Après dix minutes d’absence méditative, l’averse ne faiblissait pas et le froid m’a gagné. Il y avait belle lurette que mon imperméable ne l’était plus. J’étais à tordre. Le tonnerre a commencé à gronder, avec des éclairs impressionnants. J'ai décidé de rentrer au plus vite.

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24 décembre 2001

Comme une cathédrale de verdure

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Vers l’apaisement et, finalement, peut-être… apprendre un peu à jouer

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Départ 14

The birdie

Départ du 14, par trois d'environ cent quatre-vingts mètres en forte descente, incliné vers la droite. Le green est protégé par trois bunkers, devant et sur chaque flanc. Il est difficile pour moi de l’atteindre en un. Je n'ai jamais réussi qu'un seul birdie sur ce trou.

Il n'y a pas de vent. Il fait très chaud et le ciel est couvert. Je me sens bien, mais légèrement crispé. Mon jeu, au cours des trous précédents, a été irrégulier et plutôt moyen. Soudain, une étrange pensée me vient à l'esprit. “Ce trou de golf, me dit la petite voix, est comme une femme. Si tu veux qu'il t'accepte, tu ne dois surtout pas le violenter. Tu dois le pénétrer avec douceur tout en restant ferme et décidé.” Aussitôt, comme par miracle, je me sens fondre. Les crispations disparaissent et mon corps se relâche totalement. Bois 5. Un petit swing d'essai : parfait. Je me dis : “Garde bien ta tête sur la balle et laisse aller tranquillement.” Le swing est magique, il tourne à la perfection. L'impact est clair, limpide et la balle prend son envol avec une trajectoire parfaitement rectiligne. Elle reste en l'air des heures. On a presque le temps de tenir une petite conversation : “Bunker !” me lance un camarade de jeu. Mais, je sais que ce n'est pas possible. J'ai senti une telle profondeur dans mon mouvement, un tel plaisir, une telle assurance, un véritable orgasme. Je sais que ce coup ira droit au but.

La balle finit par toucher terre, juste devant le bunker… Elle rebondit, puis saute par-dessus le sable, roule sur le green et s'immobilise à moins de trois mètres du fanion.

Comme on se sent bien après un coup pareil !

Sur le green, il faut confirmer. L'occasion est magnifique d'entrer un birdie, enfin, sur ce trou rétif aux scores brefs.

Je prépare bien mon putt. Le green n'est pas tondu. Ça monte un peu avant de redescendre légèrement sur la gauche. Bonne routine.

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Les yeux sont bien au-dessus de la balle … Le triangle bras-épaules est bien verrouillé… Excellente traversée, vitesse parfaite, ligne bien lue… Kolok !

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3 janvier 2002

Séminaire au purgatoire

Il y avait bien longtemps que je n'avais subi pareille épreuve. Un peu de calme professionnel m'a permis, cette semaine, de jouer au golf presque tous les jours. C'était en tout cas le troisième jour consécutif. Peu habituel… Et dans quelles conditions ! Soleil de plomb et pratiquement pas un souffle d'air. Autour de trente-cinq degrés et presque autant à l'ombre (il y en a peu sur le parcours). Difficile de conserver son souffle dans une telle fournaise. J'aurais pu, certes, jouer à une heure moins caniculaire. En plein midi, certains trous s'apparentent à la Vallée de la Mort… J'ai probablement présumé de mes forces. J'ai tenu le coup pendant cinq trous seulement. Cela dit, en compétition, on ne choisit pas son heure de départ et il faut bien s'entraîner dans les conditions qu'il est possible (et même probable) de rencontrer en cette saison.

Depuis une semaine ou deux, mon putting m'a lâché. Je perds une foule de points sur des putts immanquables. Et quand, en plus, on rate une approche ou un départ… c'est le double, voire le triple bogey assuré. Aujourd'hui, j'ai manqué cinq ou six petits putts de moins d'un mètre. Et ma balle s'est retrouvée à sept reprises dans un bunker, dont deux sur le même trou… Impossible de rassembler l'énergie nécessaire à une meilleure précision. Asphyxié, j'ai réussi à limiter les dégâts à l'aller avec un 11, mais, au retour, ce fut un véritable calvaire avec un pathétique 17.

Paradoxalement, j'ai apprécié cette partie. D'abord parce qu'elle a eu des aspects très agréables, comme ce birdie superbe sur le 4, notamment, mais aussi pour quelques coups de replacement particulièrement bien contrôlés au fer 8 ou 7. Je l'ai surtout appréciée parce que je la considère comme une visite et, je dirais même un

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séminaire au purgatoire. Il y a en effet un enseignement et une expérience considérables à tirer d'une partie comme celle-ci. J'ai pu noter deux progrès significatifs dans ma réaction à ce genre d'épreuve. Le premier, c'est la maîtrise de soi-même. Pas suffisamment pour me permettre de redresser le score, mais tout de même assez pour ne pas m'énerver, ni perdre le moral. Je sais mieux relativiser la situation, je prends conscience de son aspect pédagogique et je la considère avec humour.

Je me suis aussi rendu compte - second progrès - que, malgré des scores lamentables sur de nombreux trous, je n'ai jamais triché. Pas une fois, je n'ai remis une seconde balle, ni pris un mulligan. Je dirais même que je n'ai pas été tenté de tricher. Il y a là le fruit d'un long travail commencé, il y a au moins un an, en janvier 2001, quand j'ai décidé de coller au plus près aux conditions de la compétition.

Comment connaître et se souvenir de sa vraie valeur, à un moment donné, si l'on ne joue pas le jeu ? Pourquoi se cacher la réalité sur soimême ? Quel intérêt y a-t-il à se mentir ? Depuis le 1er janvier 2001, j'avais décidé que c'était terminé. Cela n'a pas été facile. La tentation est toujours présente. Et je ne peux pas affirmer n'y avoir jamais cédé. Mais, si quelques faux-pas il y eut, ils restèrent rares et limités. En tout état de cause, ils ne peuvent brouiller l'image de mon jeu de golf telle qu'elle se dégage maintenant à la lecture de mes statistiques.

Aujourd'hui, ce qui m'a surtout intéressé, c'est l'absence de tentation de prendre des libertés. J'y ai pensé, c'est vrai, puisque je le raconte ici, mais je n'ai pas été tenté. À présent, j'ai compris que les galères font partie du chemin qui nous mène vers une maîtrise toujours plus forte de nous-mêmes. Elles sont même indispensables car c'est par elles que nous apprenons le plus sur notre propre esprit. Elles nous donnent la force de nous dépasser et de mieux nous connaître.

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20 janvier 2002

Battu mais heureux

Comment ai-je pu me qualifier pour ces seizièmes de finale du championnat brut de Polynésie française ? Ces éliminatoires sur deux tours ont été exécrables, comme tout ce que je fais en ce moment du reste. La chaleur est infernale. Sur le parcours, on se sent écrasé, écrabouillé par cette lave en fusion qui vous coule jusque dans les veines. La lumière est aveuglante et l'air épais comme de la mélasse. Le terrain est dur et sec comme je l'ai rarement vu. Bref, jouer au golf à Atimaono dans ces conditions est une véritable épreuve physique et mentale.

Néanmoins, probablement parce que la participation était réduite, j'ai terminé vingt-sixième de ces deux premières parties qualificatives malgré deux 27 plutôt lamentables. Je me console en me souvenant que je subissais deux cuisants 39 et 29 en 2001 à la même compétition.

Les trente-deux meilleurs étaient qualifiés pour les tours suivants qui se déroulent en match play.

Mon adversaire, Vaita Guillaume39 , s'est classé septième aux éliminatoires avec 8 et 11. C'est un petit bonhomme de treize ans, handicap 10 (!) Nous jouerons en brut, c'est-à-dire sans tenir compte du handicap de chacun.

Nous avons choisi de nous mesurer ce samedi après-midi à treize heures. Le jeune garçon est accompagné de son père, son caddie. Le gamin est étonnant de calme, de relâchement et de précision. En 2001, j'avais eu l'occasion de jouer une fois avec lui. Il était déjà index 16 à l'époque, mais manquait encore de puissance et de longueur.

39 Le fils du taote acupuncteur Didier Guillaume, devenu plus tard professionnel.

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J'avais failli déclarer forfait pour ces seizièmes de finale. C'eût été dommage. J'ai été battu, certes, mais j'ai vécu une partie formidable et eu la chance et l'honneur de partager le terrain avec, peut-être, un futur grand joueur.

Vaita place la barre très haut dès le premier trou. Sa balle s'immobilise à quatre mètres du fanion après son deuxième coup sur ce long par quatre, tandis que je galère sur les avant-greens et dans le bunker. One up.

Sur le 2, par trois de cent quatre-vingts mètres environ, il égare sa balle dans le bunker de gauche tandis que la mienne roule dans celui de droite. Au coup suivant, il se place à quelques centimètres du drapeau. De mon côté, la sortie de bunker est plus laborieuse, ma balle sort du sable, mais se perche sur le haut d'un talus surplombant le trou à cinq mètres environ. De là, je sauve un par miraculeux au putter et nous restons à one up.

Troisième trou, par cinq de quatre cent cinquante mètres en double dogleg à droite puis à gauche. Je réussis trois coups fabuleux et place ma balle en position de birdie à deux mètres du drapeau. Occasion inespérée de revenir au score alors que mon jeune concurrent ne peut faire mieux que par. Malheureusement, je me laisse gagner par la pression. Je manque le birdie… et même le par dans la foulée. Two up.

Au 4, par quatre assez court en descente, je réussis le birdie manqué au 3 et reprend un trou à mon adversaire qui n'a pu engranger qu'un par. One up pour lui.

Sur le 5, par quatre tout droit, assez étroit entre deux rangées d'arbres, je fais encore des merveilles et réussis à me mettre une

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Vaita Guillaume

nouvelle fois en position de birdie. Mais, une fois de plus, je manque cette occasion pourtant facile et nous partageons ce trou.

Le 6 est ma bête noire. C'est un par quatre étroit, long, en légère montée avec un virage à gauche. C'est le seul du parcours sur lequel je n'ai jamais pu réussir un birdie. Naturellement, je perds ce trou, bien que de très peu, avec tout de même un joli bogey. Two up à nouveau. Pendant ce temps, son score est à 0. Depuis le début de la partie, il n'a fait que des pars et il est toujours aussi zen, écoutant avec attention les conseils de son père qui compte minutieusement ses pas et évalue les distances au mètre près.

Nous partageons le 7 en faisant tous les deux bogey sur ce par quatre le plus difficile du parcours, ainsi que le 8 (bogey). Je dois lui abandonner le 9, par cinq, sur lequel je réussis le par, mais où il réussit un magnifique birdie imparable, avec une approche pitchée à vingt centimètres du trou.

À mi-parcours, il mène three up, ce qui, compte tenu du niveau de son jeu (il termine l’aller à 36), est tout à mon honneur (je suis moimême à 44).

Sur le retour, les choses ne commencent pas mal pour moi avec un par sur le 10 qui me ramène à two up après qu’il a perdu son drive dans la rivière. Malheureusement, la fête se termine brutalement. C'est d'abord un quadruple bogey sur le 11 avec une balle perdue dans le lac. Three up à nouveau. Puis un double bogey sur le 12. Four up, alors qu'il ne reste que six trous. Attention, on approche du dénouement. Sur le 13, pourtant assez facile, il ne fait pas mieux que moi et nous partageons ce trou sur un double bogey mutuel.

Puis, vient le 14, par trois. Il ne reste que cinq trous et nous sommes à four up. Le tee shot est moyen pour tous les deux, mais, si nous sommes ensemble en deux sur le green, sa balle est à neuf mètres tandis que la mienne n'est qu'à moins de quatre mètres du trou. Toujours aussi calmement et posément, sans avoir l'air d'y toucher, avec cette légèreté d'enfant de treize ans, mais déjà très mature, il putte… Et sa balle, tranquillement, roule jusque dans le

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trou. Je dois absolument entrer ce putt pour demeurer en course. Le trou est au sommet d'une petite butte. Ma balle est bien frappée, très doucement sur ce green sec et roulant. Elle roule en direction du but, semble vouloir y sombrer, mais, au dernier moment, sa trajectoire fléchit à peine et elle vient mourir à trois centimètres du bord. J'ai perdu le match cinq et quatre.

L'expérience était superbe. Ce jeune garçon m'a aidé à hisser le niveau de mon jeu dans une période où je suis plutôt abonné au double bogey.

Nous sommes allés au bout du parcours, jouant les trois derniers trous du bye pour l'honneur et le plaisir. Il a fini sur le score de 77 sur l'ensemble des dix-huit trous et j'ai moi-même réussi un 91 respectable.

Nous avons terminé tous les trois devant un verre au clubhouse évoquant le prochain championnat de France auquel le jeune prodige participera en juillet dans la région parisienne en catégorie benjamins. Avec son père, nous avons discuté du roman de Steven Pressfield, La Légende de Bagger Vance, que je venais tout juste d'acheter la veille et dont il pensait le plus grand bien. Nous avons aussi parlé de la signification ésotérique et initiatique du jeu de golf…

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23 février 2002

Choisir son club

Réussir un bon coup de golf, cela dépend d'un bon swing, mais cela dépend tout autant du bon choix de son club.

Il y a ce que l'on lit dans les livres. Et puis, il y a les capacités de chacun, son attachement à certains clubs plutôt qu'à d'autres. Il y a les conditions de jeu, la météo, le vent, le lie, le terrain… Est-il souple ou sec ? Le fairway ou le rough sont-ils bien tondus ou pas ? Bref, à une distance donnée du drapeau, au même endroit du parcours, on ne choisira pas toujours le même club. Le contraire est même plus probable.

J'ai connu un gars qui jouait presque tout le parcours au driver… Même dans le rough. Cela paraît incroyable. J'en ai connu d'autres, au contraire, qui avaient décidé une fois pour toutes de ne plus toucher aux bois. D'autres encore qui dénichaient des clubs très fancy, très sophistiqués, pour se sortir des mauvais pas, comme un chipper, par exemple, ou une canne rescue, mi-fer mi-bois, censée vous remettre en piste dans les positions les plus délicates.

Pour bien choisir son club, il y a des règles de base à connaître. D'abord, il faut mesurer sa propre distance avec chacun de ses clubs dans des conditions neutres (état du terrain, météo…). Ensuite, il faut tenir compte des particularités du jour et s'adapter. Le vent est, bien sûr, l'élément le plus évident. On doit parfois descendre ou monter d'un, voire deux ou même trois clubs pour compenser l'effet du vent. De même, pour un terrain en pente ou très sec ou mal tondu, etc.

Finalement, la meilleure chose à faire est de toujours choisir le club avec lequel on se sent le plus en confiance et le plus confortable. Mieux on maîtrise son club, plus on a de chances de réussir son coup. Dans les situations difficiles, dans le doute, certains affirment qu’il faut toujours choisir le plus long. Je conseillerais pour ma part de sélectionner le club avec lequel on a le meilleur pourcentage de

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réussite, cela même s'il semble évident qu’il ne pourra en aucune manière nous déposer sur le green en un seul coup. 26 mars 2002

Méditations d’un golfeur solitaire 270

Franchise et stance

Deuxième leçon particulière de golf. J’ai changé de pro. Geronimo est certainement un excellent professeur, mais je n’ai pas vraiment apprécié le lapin qu’il m’a posé lors de notre second rendez-vous. Le pôvre avait fait la fête la veille et ne s’était pas réveillé. Il n’avait même pas pris la peine de m’appeler.

Voici donc la première d’une série de cinq leçons avec Anthony Pheu, jeune professeur récemment installé à Atimaono.

J’y pensais depuis longtemps. Ma première leçon est déjà bien lointaine. Mon jeu se détériore de plus en plus ces dernières semaines et je ne parviens plus à rester dans mon handicap. Finalement, le hasard a bien fait les choses : nous nous sommes retrouvés dans le parking d’Atimaono avec le pro et j’ai profité de l’occasion pour le brancher. Le courant est passé tout de suite et son influence a été immédiate puisque j’ai réussi 17 ce jour-là, ce qui ne m’était plus arrivé depuis bien longtemps.

Demi vietnamien, beau brun athlétique, Anthony ne manque ni d’énergie ni de talent pédagogique.

En moins de deux heures avec lui, des horizons nouveaux incroyables s’ouvrent déjà devant moi. En même temps, je prends conscience de la distance infinie qu’il me reste encore à parcourir.

Cette première leçon s’est apparentée à une séance de psychothérapie qui m’a laissé épuisé. Nous n’avons parcouru que

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Anthony Pheu

deux trous - le 1 et le 9 - et, pendant près de deux heures, Anthony m’a martelé le cerveau d’informations toutes plus judicieuses et intéressantes les unes que les autres.

J’en retiens deux principales : d’abord, mon jeu n’est pas assez franc. Je suis paralysé par la trouille et la crispation. En particulier, je crains le contact avec le sol, surtout quand il est sec et dur, comme en ce moment. “Cherche le sol, me dit au contraire Anthony, n’hésite pas à passer au travers. Si tu le fais en accélérant, tu ne risques rien. C’est seulement si tu décélères dans ta descente que tu te plantes. Voilà pourquoi il faut y aller franchement. Avant de te mettre à l’adresse, tu réfléchis. Ta petite voix intérieure te conseille sur le choix du club et la tactique à adopter, etc. Mais dès que tu es prêt à jouer, il faut assumer tes options et ne plus te poser de questions.”

L’expérience a confirmé ses dires et j’ai réussi quelques coups assez fabuleux en attaquant le sol. Il est du reste évident que, pour faire lever la balle et la faire voler, il faut la prendre par dessous. Pour cela, il n’y a pas d’autre méthode que traverser dans le sol.

Le second conseil que je retiens de cette leçon, c’est d’écarter davantage les pieds à l’adresse. Cela permet de mieux marquer le transfert de poids d’une jambe sur l’autre. La bonne largeur de stance est celle de l’extérieur des épaules. Anthony m’a fait comprendre que la rotation du swing ne se fait pas autour d’un seul axe, comme je le croyais, mais autour des deux axes des jambes. À creuser…

À la suite de cette première évaluation, le pro m’affirme que je suis tout à fait capable de jouer régulièrement autour de 15 ou 16. En travaillant mon swing, il pense même que je pourrais descendre jusqu’à 10. Nous en acceptons l’augure avec humilité et modestie, mais aussi avec espoir et motivation.

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12 avril 2002

Silence

Écrire pour ne plus parler. On parle toujours trop, au golf comme ailleurs. J’ai conscience d’être un incorrigible bavard. Je parle même quand je joue seul. Je ne peux pas m’en empêcher. Or, le silence est une règle d’or. Dans toutes les écoles spirituelles, partout où la maîtrise de soi est exigée pour une raison ou une autre, il y a cette discipline du silence. Ce peut-être, par exemple, un jour de silence complet par semaine. C’est ce que conseillent les ordres ésotériques chrétiens, comme les Templiers par exemple, c’est aussi ce qui est recommandé dans certaines sadhana (étude, discipline spirituelle) hindoues ou bouddhistes. Quelques ordres monastiques, les Cisterciens de Saint Bernard de Clairvaux notamment, appliquent la règle du silence permanent.

Il s’agit là d’un exercice de la plus haute portée pour parvenir au contrôle de soi. À chaque instant sur le parcours, je me surprends à me parler tout haut, à commenter mes coups, encore trop souvent de façon excessive (en bien comme en mal). Rien d’étonnant à ce que les autres joueurs n’apprécient pas toujours mon caquetage. Il y a un gros travail à entreprendre dans ce domaine.

Au reste, ma conscience s’est éveillée à la nécessité de travailler directement sur mon mental pour essayer d’améliorer mon jeu. Je me rends compte, en effet, que mes erreurs proviennent plus souvent de faiblesses mentales - manque de confiance, mauvaise appréciation de la situation, décision peu fiable, etc. - que de fautes techniques à proprement parler.

La sécheresse est vraiment infernale. Il m’est difficile de compléter les dix-huit trous. Le soleil frappe si fort que l’on se sent broyé, presque inconscient. Il n’y a pas d’air. Des fairways, rendus résistants

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comme du béton et dépouillés de leur herbe en grande partie, s’élèv e une chaleur lourde, profonde, qui vous englue les pieds et fait vibrer l’air comme dans un désert. Les roughs sont totalement grillés, prenant parfois une couleur allant jusqu’au marron foncé. Cette sécheresse sévère dure depuis plus de trois mois. Elle a commencé début janvier et l’on n’en voit pas la fin. Lorsque la pluie reviendra, le parcours se transformera probablement en bourbier car il n’y a plus d’herbe pour absorber l’eau. Charmante perspective.

Méditations d’un golfeur solitaire 274 19 avril 2002 Green 12

La raison d’être du golf

“L’être humain, à son stade actuel, ne perçoit plus le Réel que dans de rares bouffées d’extase. Autrefois, les hommes pouvaient soutenir cette vision bien plus longtemps. Des temps viendront où ils le pourront à nouveau. Mais, aujourd’hui, ils en sont incapables. Voilà la raison d’être du golf.”40

Bigre ! Le bonhomme n’y va pas par quatre chemins. Pour la première fois, je rencontre une pensée qui rejoint la mienne à propos de la “spiritualité du golf”, sa signification secrète et mystérieuse. C’est une forme d’alchimie, la transformation du plomb en or par la découverte du “swing originel”, celui qui existait de tout temps en nous, avant même notre naissance. Le swing naturel et si fluide des enfants s’y apparente. Mais, tout comme une œuvre d’art sommeille au sein du bloc de matière jusqu’à ce que le sculpteur l’en “accouche” à force d’amour et de dévouement, nous possédons en nous le mouvement parfait, le contrôle idéal qui nous donne la maîtrise de notre corps et de notre esprit.

C’est l’archer zen qui tend son arc sans effort et place sa flèche en cœur de cible les yeux fermés. C’est le serpent lové dans notre bassin qui s’élève et traverse nos centres d’énergie (chakras) jusqu’à atteindre le sommet de notre tête. Le mouvement de rotation du swing de golf est un symbole parfait de cette montée de l’énergie vitale que les Orientaux nomment kundalini (cf. le caducée des médecins), résultat d’un contact puissant entre la Terre et le Ciel.

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40 Steven Pressfield, La Légende de Bagger Vance, Albin Michel, Paris, 1995.

Il est frappant de constater à quel point un coup de golf manqué peut nous faire souffrir et provoquer des décharges électriques négatives dans tout notre corps, parfois jusqu’à la nausée. Il est difficile alors de s’empêcher de réagir en mauvaises pensées, en paroles grossières et, parfois même, en actions violentes. En revanche, un coup réussi établit en nous une pleine harmonie du corps et de l’esprit. On savoure des sensations de légèreté et de facilité allant parfois jusqu’à l’extase. De fait, le coup manqué ou réussi n’est pas la cause de notre bonheur ou de notre souffrance. Il en est au contraire l’effet. Crispation ou relâchement, eux-mêmes les conséquences de notre état d’esprit au niveau le plus profond, conditionnent la qualité de nos coups. Il s’agit donc bien, avant tout, de travailler sur soi-même. Apprendre à être plus franc, plus généreux, plus ouvert, plus décidé et, en même temps, plus détendu et détaché, apprendre à maîtriser ses pensées, ses paroles et les mouvements de son corps, n’est-ce pas ainsi que la Tradition primordiale enseigne à vivre pour atteindre à la Libération, à l’Éveil. Le golf n’est rien d’autre que cela.

Il faudrait naturellement le vérifier, mais je reste persuadé que la création de multiples terrains de golf dans le monde entier au cours des deux derniers siècles (à l’exception, toutefois, des plus récentes décennies durant lesquelles les intérêts sportifs et économiques ont prévalu) fut la concrétisation d’un plan délibéré de certains francsmaçons pour développer, partout où cela fut possible, un véritable réseau d’“écoles de conduite humaine” dépassant les frontières, les langues et les cultures.

Cela dit, on peut aussi visiter des temples par curiosité ou simple intérêt touristique ou culturel, on peut même pratiquer les rituels qui s’y attachent sans jamais accéder à cette vision, à cette compréhension, laquelle n’est encore elle-même qu’une vue tronquée, imparfaite, incomplète et floue de la réalité de notre esprit.

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20 avril 2002

Trevino et le silence

À propos du silence pendant le jeu de golf, Lee Trevino, ancien grand champion américain (six majors à son palmarès) et, aujourd’hui encore, excellent joueur au sein du Senior PGA Tour, interviewé par la chaîne de télévision américaine CNN après la troisième victoire de Tiger Woods aux Masters d’Augusta (dont deux consécutives en 2001 et 2002) déclarait : “Ces jeunes champions sont particulièrement concentrés car ils jouent pour des sommes énormes. Nous, dans le Senior PGA Tour, nous parlons sans cesse. Nous avons beaucoup de contacts. Nous parlons avec notre caddie, avec nos partenaires et concurrents, nous essayons toujours de parler à quelqu’un. Mais, eux, restent silencieux, enfermés dans leur bulle et leur concentration…”

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23 avril 2002

Nouveau record absolu

Journée extraordinaire et ordinaire à la fois. Conditions habituelles, soleil légèrement voilé mais calme plat et une chaleur lourde, pesante. Heureusement, il a plu un peu et le terrain reverdit. Il s’est légèrement assoupli et l’herbe repousse déjà. Je ne me sentais pas spécialement en forme, mais bien, sans plus. Pas de douleur particulière, mais pas de sensations spéciales.

J’ai commencé par un ou deux seaux de balles au practice. De petites approches d’abord. Elles n’étaient pas parfaites, mais j’ai remarqué que la moyenne était plutôt meilleure que d’habitude et, surtout, que j’en avais réellement manqué très peu. Pourquoi ? Je l’ignore. Quelques sorties de bunker sur du sable mouillé très lourd et résistant. Puis un seau de balles au driving range. Là encore, je suis un peu surpris par la qualité générale de mes coups. Quelques lobes au sandwedge, tous réussis. À tel point que le professeur, Anthony, qui donne une leçon à côté, me lâche un compliment : “C’est bien, c’est plus fluide on dirait…” Puis, en remontant vers les clubs les plus longs et les bois, toujours avec beaucoup de régularité, des coups bien droits, précis et sans effort particulier.

Parcours solitaire. Je commence par un double bogey sur le 1. Mais, aussitôt après, j’enquille un superbe putt de quatre mètres sur le 2 qui me donne le par. Bogey au 3, birdie au 4 après une magnifique approche de quarante mètres par-dessus le bunker, puis bogey au 5. Je suis à 3. Le 6 est vraiment maudit, mon drive échappe de peu à la peine capitale. Balle coincée près d’une racine à gauche, le long de la haie d’arbres. Malgré tout, je parviens en quatre au bord du green, long putt de quinze mètres qui frôle le trou et le dépasse de moins d’un mètre. Un peu perturbé par un troupeau de joueuses qui traîne

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devant moi, je manque ce putt facile : triple bogey. Ce sera le seul de la partie. Je suis à 6.

Et puis, d’un coup, c’est l’état de grâce, mais…, comment dire ?, un état de grâce sans grâce. Je ne ressens aucune de ces sensations grandioses qui m’habitaient naguère quand la qualité de mon jeu se hissait soudainement à des niveaux auxquels je ne peux généralement pas prétendre. Cette fois, c’est différent. Je me sens tout à fait normal, m’attendant à chaque instant à la petite catastrophe qui me remettrait brutalement à ma place. Mais, pas du tout. Les départs sont droits, les approches correctes et les putts confiants et relâchés. Il n’en faut pas plus. Par au 8, par au 9, par au 10.

Au départ du 11 je ne suis qu’à 7. Cela ne m’est jamais arrivé. Mais, il reste huit trous, et pas des plus faciles. Drive totalement manqué, la balle vient s’arrêter près d’une souche à gauche. Je m’en sors comme je peux et vais me placer à cent vingt mètres du trou dans le rough, à gauche. Fer 7. La leçon d’Anthony me trotte dans la tête : “Vas-y franchement, accélère ! Attaque !” La balle part bien droit dans le ciel et va se poser comme une fleur sur le green, un peu loin du drapeau toutefois. Deux putts, bogey…

Sur le 12, par cinq, je manque un troisième coup d’approche de cent cinquante mètres au fer 5 qui atterrit dans le bunker. Cela se termine par mon second double bogey de la journée.

Second et dernier car, à partir de là, les pars vont s’enchaîner comme jamais. Par au 13 et au 14, bogey au 15, puis par aux 16, 17 et 18. Total final 11. Record de neuf pars et un birdie.

Cette journée est donc à marquer d’une pierre blanche. J’espère seulement que ce score formidable, pour lequel il ne m’a pas semblé bénéficier d’une chance extraordinaire, pourra se renouveler plus souvent. Je n’ai pas senti les grands frissons, mais c’est tout de même bigrement agréable ! En tout cas, je sais maintenant que c’est possible, que j’ai les capacités de jouer à ce niveau. Il reste encore à le confirmer en compétition.

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25 avril 2002

Confirmé !

Eh bien voilà, c’est déjà fait ! Oh certes pas 11, mais tout de même, un formidable 15, record absolu en compétition. C’est - 3 par rapport à mon handicap et mon index, qui, résumé des catastrophes précédentes, était remonté à 16,2, retombe soudain à 15,3, un niveau remarquable qui m’emplit de joie.

Pourtant, j’ai bien joué, mais sans plus. Pas d’explosion en triple ou quadruple bogey, pas de balle égarée, quelques bons putts (et aussi quelques putts faciles manqués lamentablement), des approches solides, c’était suffisant. 7 à l’aller et 8 au retour, un score que je devrais pouvoir renouveler plus souvent et même améliorer avec un peu de concentration et de relâchement.

Dans ce processus, le silence, encore lui, joue un rôle très important. De ce point de vue, la chance, cette fois, m’a donné comme coéquipiers des hommes responsables et éduqués. Pas de paroles ou de gestes excessifs, les balles relevées sur les greens, pas de marques exagérées de contentement ou de frustration. Des partenaires presque idéaux. Quant à moi, il reste encore des progrès à faire, mais cela va déjà bien mieux. En outre, je me suis bien préparé, avec une séance de yoga avant le départ, une bonne relaxation et une alimentation suffisante pendant le parcours.

À ce propos, je dois souligner un point fondamental. Il faut absolument s’alimenter et boire beaucoup sur le parcours pour éviter la traîtresse hypoglycémie qui vous brouille l’esprit. Il faut aussi soigneusement doser son alimentation, en veillant à manger souvent, mais en petit volume. Il est crucial d’éviter l’erreur funeste de trop manger en une seule fois. Cela provoque une digestion lourde qui appelle de grandes quantités de sang et d’énergie vers l’abdomen au

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détriment du cerveau, du système nerveux et des muscles. Cela peut se traduire par des malaises plus ou moins désagréables et profonds et, en tout état de cause, par une difficulté à se concentrer. On peut ainsi se retrouver minable, “à la rue”, incapable d’ajuster son swing ni d’assurer un court putt. C’est ce qui est arrivé hier à mon concurrent qui, au passage du 9 au 10, alors que l’on était bloqué par les équipes précédentes, avait englouti un sandwich au jambon mayonnaise d’un tiers de baguette, suivi d’une grosse banane entière.

Green 8

Méditations d’un golfeur solitaire 281 9 mai 2002

Petites approches, le casse-tête

J’en sais un peu plus sur Anthony, ce jeune professeur de golf installé depuis peu à Tahiti. C’est une chance et un honneur pour les joueurs polynésiens de pouvoir bénéficier de l’enseignement de ce jeune Calédonien tombé amoureux d’une beauté tahitienne. Il a préféré sa bien-aimée, les îles et l’enseignement du golf à une carrière de joueur professionnel international.

À dix-huit ans, Anthony avait déjà ce statut. Il avait remporté un concours de drive avec un incroyable trois cent quarante-six mètres (!) On lui avait même proposé, tout récemment, de coacher une équipe de France de golf.

Il faut dire que le gabarit est impressionnant, tout autant que la puissance. Mais, l’ensemble s’adoucit d’une finesse et d’une qualité pédagogique peu communes. Il vient tout juste d’obtenir un certificat professionnel de haut niveau et franchit ainsi brillamment une nouvelle étape dans sa carrière d’enseignant du golf.

Jeudi 4, jour de mes cinquante-trois ans, à neuf heures du matin, nous avions rendez-vous pour une deuxième leçon.

Dimanche, le dernier tour de la compétition s’était déroulé tout aussi bien que le premier avec une seconde carte consécutive à 15 qui abaissait mon index de jeu à 14,441 .

Les jours suivants, j’avais beaucoup profité de ce que j’avais appris et de la confiance apportée par les conseils d’Anthony et ma réussite en compétition. Il y a même eu ce 11 sans coup férir quelques jours plus tard… Euphorie, bien-être…

41 Mon maximum, je n’ai plus jamais fait mieux.

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Et puis, le week-end suivant, il y eut le tournoi du club Central Sports, le plus important des cinq clubs de golf polynésiens. Deux jours de compétition dans des conditions météo difficiles, sans avoir vraiment récupéré de la précédente. Les dégâts ont été limités le premier jour avec un 21 correct. En revanche, le lendemain, j’étais tellement tendu que je me suis blessé dès le départ avec une contracture à l’avant-bras qui s’est aggravée au fil des trous à tel point que j’ai dû finalement abandonner au 18. La douleur était si intense que je ne pouvais même plus lever mon club. Carte non-rendue.

Pas de jeu pendant près de deux semaines, histoire de laisser le muscle au repos. Puis, ce fut une lente descente aux enfers… Impossible de passer sous les 20. Régulièrement des allers à 11 ou 12 et des retours encore plus cher payés. Je finissais par me consoler en éprouvant la douceur du climat et la chance que j’avais de pouvoir marcher sur mes deux jambes et de me trouver là, tout simplement, sur le terrain, plutôt que cloué dans un lit ou derrière un bureau.

- Anthony, s’il te plaît, je suis en souffrance, j’ai besoin de tes conseils, pourrais-tu me donner ma deuxième leçon ?

Nous sommes là, réunis à l’heure fixée sur l’aire de practice.

- Que souhaites-tu travailler ?

- Les approches !, dis-je sans hésiter avant de lui narrer mes avanies par le menu. C’est sur elles que je perds le plus de points. Sans parler du putting…

Quelques jours plus tôt, j’étais allé récupérer le wedge 56° (une excellente série 900 de Cleveland) que le pro m’avait conseillé de commander et qui m’attendait chez Tahiti Golf. J’avais alors craqué pour un magnifique putter Titleist Scotty Cameron Platinum, tourné à la main. “Tiger Woods utilise le même”, m’avait affirmé le vendeur. Le prix aussi était à la hauteur : cinquante mille francs42 .

J’ai enfin compris qu’il vaut mieux investir dans les outils qui servent le plus (wedge et putter sont utilisés dans près des deux tiers

42 420 euros.

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du jeu), plutôt que dans des clubs très chers qui n’apportent au fond que peu de progrès relatifs.

Bref ! J’étrennais mon 56°.

La leçon fut dure et pénible. Mes défauts techniques sont si nombreux et ancrés en moi qu’il faut pratiquement tout revoir, de la position, au grip et au swing. Cette correction s’est appliquée dans tous les sens du mot et cela fait mal.

D’abord le grip. Il doit être très bas sur le manche. On raccourcit ainsi le club que l’on contrôle bien mieux.

La position du corps doit être souple, mais pas avachie. Les genoux sont à peine déverrouillés, le dos est droit, les reins légèrement cambrés. Les hanches sont ouvertes vers la cible ainsi que le pied gauche qui reçoit la plus grande partie du poids du corps.

Le club est ouvert. Le backswing doit être court, et, sans doute le plus important, il faut faire glisser la tête de club sous la balle en attaquant la terre et en accélérant. La tête du wedge est conçue de telle manière qu’elle engendre un bounce, un rebond. En effet, le talon d’un wedge est plus bas que son arête d’attaque. C’est pourquoi, lorsqu’on le frappe, il ne pénètre pas dans le sol, mais passe sous la balle en la soulevant.

C’était dur. Je n’arrivais à rien. Anthony m’a fait frapper de petites approches pendant près d’une heure. Épuisant ! Il m’a fait travailler avec la seule main droite, de manière à mieux sentir le mouvement de lancer et le ballant du club. Les balles doivent monter à la hauteur de deux hommes au minimum pour s’arrêter près de leur point de chute et ne pas rouler. Mes balles ne montent qu’à hauteur d’homme… Alors elles roulent.

Il faudra un peu de temps pour digérer tout cela. Je me sens encore désemparé et malhabile. Mais, cette fois c’est décidé, autant que possible, je prendrai des leçons régulières. C’est aussi indispensable que le practice.

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7 juillet 2002

Aïe, on est mal, on est mal !

Sérieuse baisse de forme depuis la mi-juin. J’ai passé le mois d’avril (à partir du 10) et le mois de mai sur un petit nuage avec deux parcours à 11. Mais, d’un seul coup, la vibration est retombée et le golf m’a lâché. J’ai d’abord commencé à jouer de plus en plus mal, puis j’ai beaucoup moins joué. En mai et juin, j’ai enregistré onze parcours. En juillet et août, je n’en ai enregistré que quatre. Et un seul depuis le début du mois de septembre.

Une forte grippe, très pénalisante, doublée d’une bronchite carabinée, m’a déprimé et énormément fatigué depuis la fin du mois du juillet et pendant tout le mois d’août, je n’ai été que l’ombre de moi-même. Je suis à nouveau sur pieds, mais le corps a été marqué. Mon jeu reste approximatif tout en s’améliorant tout de même un peu ces derniers temps. La résistance est encore faible et je dois me contenter de demi parcours que je n’enregistre pas dans mes statistiques. Quelques jolis coups viennent parfois éclairer un jeu terne et plat. Les sensations ont disparu et je ne prends plus de plaisir à jouer. Je dois même parfois me forcer à parcourir les vingt-cinq kilomètres (trente minutes) qui me séparent du golf.

En golf comme en tout, et surtout en golf, la patience est LA vertu primordiale. Patience au fil des semaines pour supporter une mauvaise condition, un jeu détruit, un swing cassé. Un jour ou l’autre, si l’on s’accroche, une amélioration se produira et l’on pourra alors accéder à un niveau supérieur d’initiation. Il faut vivre les enfers et apprendre à les supporter sans faillir pour progresser.

Patience aussi sur le terrain pour rester calme derrière un petit troupeau de joueuses extrêmement lentes et qui n’ont pas l’intention de te laisser passer. Tu ronges ton frein, tu respires profondément et

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tu penses à bénir ces chipies parce qu’en agissant ainsi elles t’aident sans le savoir à exercer ta maîtrise et à travailler sur ton esprit.

Ô merveille !

Méditations d’un golfeur solitaire 286

24 septembre 2002

Norbert et son “case”

La chaleur revient vite en ce début de printemps austral. En réalité, il n’y a pas de printemps, on passe directement à l’été qui durera jusqu’en mai prochain. Le terrain est plutôt sec et dur, ce qui rend les approches délicates. Très difficiles les coups de sandwedge aux abords des greens. L’herbe épaisse des tropiques (bermuda grass) ne se laisse pas facilement pénétrer par le fer. Il faut être fin et patient.

Pour la première fois, aujourd’hui, après quatre mois de galère et de déprime, j’ai réussi un parcours correct. En comparaison de ce que j’ai connu pendant les dernières semaines, c’est du Tiger Woods. Mais ce n’est jamais qu’un 18 qui n’aurait rien eu d’extraordinaire en d’autres époques.

Mon premier parcours sous les 20 depuis quatre mois ! Je l’ai apprécié d’autant plus que la journée était magnifique et mon compagnon de jeu, charmant. Cela avait pourtant failli mal commencer. Je me trouvais au départ du 1 en même temps que deux chipies. “Nous passons devant”, me fait d’autorité l’une d’entre elles avec un sourire qui s’apparentait plutôt à la grimace. “Mais, je vous en prie, que je lui réponds. Vous êtes deux, vous avez donc la priorité. Pas de problème. Et, de toute façon, je ne suis pas pressé. Alors, puisque vous semblez l’être, allez-y, passez !” Elle a paru cinglée par l’ironie, mais séduite par l’étiquette. “Au moins, quelqu’un qui connaît les règles”, me félicita-t-elle, surprise, et visiblement à contrecœur.

Elles passèrent.

Tant mieux. Ces chipies sont vraiment des chipies et elles m’ont du coup permis de jouer avec Norbert. Grand Tahitien costaud, la cinquantaine solide, coiffé d’un large chapeau, Norbert semble

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hésitant. “Je ne sais pas si je peux jouer avec vous car je n’ai aucun entraînement. Je n’ai plus joué depuis des mois”, m’explique-t-il. “Aucune difficulté en ce qui me concerne, que je lui fais. Je suis moimême dans une période plutôt lamentable.” Et nous voilà partis sur le parcours. Il porte un driver tout neuf, un énorme King Cobra de dernière génération avec lequel il pourra balancer des balles à plus de deux cent trente mètres dès qu’il aura pris un peu confiance. Norbert est sympathique et bavard. Au 2 nous passons à côté d’un bulldozer qui aplanit le terrain territorial d’à côté. Ces engins sont là depuis des mois et je les côtoie comme tout le monde à chaque parcours.

Cette fois, j’ignore pourquoi, j’observe un instant leur travail et demande ingénument à mon partenaire : “Tu t’y connais, toi, en engins de ce genre ? Tu en as déjà conduit ?” Question magique, véritable sésame de la mémoire. Par une étonnante coïncidence, j’ai mis juste dans le mille. “Je suis entrepreneur de travaux publics, me révèle Norbert, j’ai conduit des cases (pron. keïz) pendant vingt ans.” Et le voilà parti à me raconter qu’il a surtout opéré aux îles Tuamotu, à Hao et même à Moruroa, en 1967, au moment des premiers essais atomiques français dans le Pacifique. “Le bateau administratif nous déposait avec nos engins sur un récif désert, et puis débrouille-toi…”, se rappelle-t-il. “Il passait nous reprendre deux ou trois semaines plus tard et le chantier devait être achevé. Un jour, nous étions à Mataiva, un atoll à phosphate. À cette époque, il était inhabité. Nous y avons découvert un bateau, d’un fort tonnage, échoué en pleine terre, au beau milieu des cocotiers. Comment était-il arrivé jusque-là ?”

- Un cyclone, je suppose.

- Pire que cela, j’en suis sûr, un cyclone n’aurait pas pu soulever ce bateau et le déposer au milieu des terres. Il a fallu aussi une vague énorme, un raz-de-marée colossal.

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En ce temps-là, les Paumotu43 se déplaçaient d’atoll en atoll, pour “faire le coprah44”. Quelques mois ici, quelques mois ailleurs. Ils n’avaient pas le choix de leur activité. Jeunes, vieux, femmes, hommes, tout le monde travaillait à la cocoteraie et à la récolte du coprah. Il y avait aussi la pêche, bien sûr. La télévision ni le téléphone ne parvenaient encore dans ces contrées reculées, dans ces atolls peuplés parfois de moins d’une cinquantaine d’âmes. “Il n’y avait que la radio HF, me raconte encore Norbert, avec un seul canal. Si bien que toute la Polynésie entendait les conversations, LA conversation, car il ne pouvait y en avoir qu’une seule à la fois.” On envoyait des messages du genre : “À Papi et Mami à Fakarrrava, je vais bien, je pense à vous et je vous embrrrasse bien, bien forrrt. Prrrièrrre d’aller rrrécupérrrer le colis à l’arrréoporrrt…” Puis l’opérateur disait : “Merci pour vos messages Makemo, nous passons à Tikehau, allez-y Tikehau pour vos messages !” Et de Tikehau et des innombrables autres îles partaient des centaines d’appels d’une simplicité touchante, toujours empreints de beaucoup de tendresse et d’amour. Des messages radio dans lesquels les Polynésiens ont l’habitude d’avouer les émotions et les sentiments qu’ils expriment rarement de vive voix.

43 Habitants des Tuamotu.

44 Travail consistant à récolter les noix de coco et à en extraire la pulpe avant de la faire sécher pour la vente.

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4 octobre 2002

Le golf à confesse

(origine inconnue)

Aujourd’hui, j’ai reçu ceci dans ma boîte mail. Le genre de blague qui se transmet à tout un tas de destinataires différents et dont on ne sait jamais d’où il provient.

Cela racontait l’histoire d’un gars qui va à confesse :

- Pardonnez-moi mon père, parce que j'ai péché…

Le curé lui demande alors quels péchés il a à confesser et le gars raconte :

- Tout le week-end j'ai pesté, juré et blasphémé…

Le curé lui dit que ce n'est pas bien grave, que son pardon s'obtiendra avec deux “Notre-Père…” et trois “Je-vous-salue-Marie”, mais qu'il lui faudra, à l'avenir, bien surveiller son langage et ne plus insulter le Seigneur. L'homme ajoute alors qu'il aimerait raconter pourquoi il a blasphémé tout le week-end. Sur l'invitation du curé, il reprend alors :

- J'étais sur le terrain de golf avec deux de mes amis. Sur le premier tee, je me suis complètement raté et j'ai envoyé la balle dans les arbres. Ensuite, en allant la chercher, j'ai remarqué qu'elle avait atterri sur un petit promontoire bien dégagé qui me permettait de la jouer facilement. Eh bien, vous pouvez me croire ou pas, mais juste au moment où j'allais arriver près de ma balle, un écureuil est venu, il l’a prise et il est remonté avec dans un arbre ! …

Le curé l'interrompt :

-

En effet, je comprends que cette situation vous ait mis les nerfs en pelote, mon fils, et que vous vous soyez mis à jurer....

Méditations d’un golfeur solitaire 290

Mais le gars continue :

- Ah mais non, ce n'est pas tout. Alors que l'écureuil atteignait la cime de l'arbre, un aigle a fait un piqué et l'a attrapé, lui, mais aussi la balle…

- Et c'est là que vous avez juré ? demande le curé excité.

- Non, parce que l'aigle est monté très haut dans le ciel et il s'est fait percuter par un petit avion qui passait à ce momentlà. Sous le choc, il a lâché sa proie et c'est comme ça que l'écureuil est retombé sur le sol et que la balle a pu rouler sur le green. Vous savez où elle est arrivée cette balle ? À dix centimètres du trou !

Alors le curé, en transe, s'écrie : “Nom de Dieu de nom de Dieu, ne me dites pas que vous avez raté ce putain de putt !!!”

Cette histoire me fait soudain penser à cette publicité pour je ne sais plus quel produit, qui montrait un monastère grec orthodoxe, construit, on ne sait comment, au sommet d’un pic inaccessible au milieu d’une île perdue de la mer Égée. Le père supérieur et l’un de ses moines trouvent un bon prétexte et prenant chacun un sac de golf sur l’épaule, partent tout joyeux pour une petite escapade au pays de la petite balle blanche.

Golf et clergé, tout un chapitre à écrire.

Méditations d’un golfeur solitaire 291

7 octobre 2002

Candide

Casquette saumon, polo à fines rayures rose et beige, pantalon brun à plis impeccables, le très élégant Dana Quigley arbore son célèbre sourire “Ultra Brite”. Les applaudissements crépitent longuement autour de lui et il remercie… Sous le magnifique soleil américain, adouci par la plus légère des brises, sur un parcours comme un jardin d’eden, il vient de gagner le Charles Schwab Classic 2002, un des principaux événements annuels du Senior PGA Tour, le plus prestigieux championnat des joueurs de golf professionnels de plus de cinquante ans.

Quelques instants plus tôt, Dana Quigley était soucieux. Sur ce par trois très difficile sur lequel le parcours s’achevait, protégé par une pièce d’eau et un bunker très proche du green, il réussit un départ au fer 5 dont il confiera par la suite au journaliste d’ESPN qu’il se le rappellera sans doute toute sa vie comme son “meilleur coup de la saison 2002”. Un swing parfait, superbe, une balle qui file tout droit vers le drapeau, prend contact avec le sol juste derrière le bunker et roule doucement jusqu’à moins de deux pieds du bonheur.

Méditations d’un golfeur solitaire 292

Dana Quigley, l’élégance du quinqua

Il avait finalement manqué le birdie qu’il espérait, qu’il croyait facile. Ne menant que d’un seul coup il n’avait pourtant pas droit à l’erreur, mais, quand des milliers de spectateurs et quelques millions de téléspectateurs retiennent leur souffle en vous regardant putter pour la victoire, pour des millions de dollars, la pression est phénoménale et même ces joueurs aguerris peuvent y céder. Quigley avait quand même gagné le tournoi au play off.

Je viens de relire Candide de Voltaire. Les aventures de ce jeune homme autour du monde ont beaucoup à voir avec le jeu de golf. Dans le golf comme dans le conte, il est question d’un parcours initiatique au cours duquel le héros est confronté à une série d’épreuves toutes plus cruelles les unes que les autres. À une cadence effrénée, Candide passe de la plus grande félicité et de la situation la plus enviable, à la détresse la plus profonde et à la pire torture. Et vice-versa… Rien n’est jamais acquis, tant que le parcours n’est pas terminé, jusqu’au dernier coup, dans la vie comme dans le golf. Réagir n’est pas agir. Rien ne sert de s’irriter (le mot est très évocateur) contre les aspects désagréables de notre vie. Cela ne les rendra pas moins désagréables. Bien au contraire. Plus nous serons énervés, en colère, haineux, jaloux, envieux, etc., plus notre souffrance augmentera. C’est exactement comme lorsque l’on est piqué par un moustique, ou une ortie. Si l’on ne réagit pas, la souffrance n’est que légère et s’estompe rapidement. En revanche, si l’on se gratte et si l’on se focalise sur cette souffrance, elle s’accroît et se concentre, parfois jusqu’à devenir insupportable.

Rester maître de soi dans les pires situations, c’est facile quand on a compris qu’il ne sert à rien de crier, jurer, accuser la Terre entière et soi-même en particulier, le coup est raté, il faut bien faire avec, on n’a pas le choix.

Quand on se retrouve en difficulté, il importe surtout de rester aussi lucide et en possession de ses moyens que possible. Pas de panique, pas de jurons, accepter la situation, l’étudier dans tous ses aspects. Puis, le moment venu, prendre la décision qui semble la

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meilleure et s’y tenir, ne plus douter, assumer son choix jusqu’au bout. Quitte à en payer la leçon.

L’éclairé Voltaire, initié à la franc-maçonnerie à la fin de sa vie, après l’avoir toujours critiquée, résume tout cela parfaitement dans le dernier chapitre de Candide quand celui-ci, s’adressant à un très sage et respecté derviche (religieux islamique, ascète et mendiant), demande :

- Maître, nous venons vous prier de nous dire pourquoi un aussi étrange animal que l’homme a été formé ?

- De quoi te mêles-tu, lui dit le derviche, est-ce là ton affaire ?

- Mais, mon révérend père, dit Candide, il y a horriblement de mal sur la terre.

- Qu’importe, dit le derviche, qu’il y ait du mal ou du bien ? Quand sa Hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s’embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à l’aise ou non ?

- Que faut-il donc faire ? dit Pangloss.

- Te taire, dit le derviche.

Dans le jeu de golf, les coups s’enchaînent, le second étant la conséquence directe du premier et ainsi de suite. De la même manière, dans la vie, les situations se succèdent, dépendant étroitement de nos choix et de nos décisions. En même temps, ces choix et ces décisions sont motivés et expliqués par la conscience que nous avons de ces situations. Si, par exemple, nous avions la capacité de nous élever mentalement au-dessus du terrain, comme en hélicoptère, nous aurions une vue globale de la situation et il nous serait plus facile de prendre la bonne décision. Pour cela, pour pouvoir s’élever, il faut être léger et savoir se laisser pénétrer par les énergies qui gouvernent toute situation. Il ne faut pas résister quand cela est inutile et savoir attendre le bon moment pour agir sans crispation.

Méditations d’un golfeur solitaire 294

19 octobre 2002

Fairway 16

Méditations d’un golfeur solitaire

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Quatrième leçon : les bras ballants

Anthony m’a donné ma quatrième leçon de golf. C’est la troisième que je prends avec lui. Dans la première, nous avions surtout travaillé la confiance, l’attaque de la balle et la stratégie sur le parcours. La deuxième a été une éprouvante séance de practice aux petites approches. Cette troisième leçon a permis de régler certains détails qui font toute la différence.

1. Le grip

D’abord, placer le club dans la main gauche (en principe gantée), la tête du club bien droite (cf. les repères sur le manche). Le grip vient naturellement s’appuyer sur les trois derniers doigts. Jouer sur le poids du club en le faisant monter à la force du poignet (sans plier le coude) avec ces trois doigts seulement, en veillant bien à faire levier sur le petit muscle qui se trouve dans le prolongement de l’auriculaire et qui facilite ce mouvement. La position de la main gauche est ainsi parfaite. On pose alors la ligne de vie de la main droite sur le pouce gauche, les deux auriculaires s’entrecroisent ou se superposent… Le grip est prêt !

2. L’adresse

Un bon swing est essentiellement fonction de la relaxation du joueur, de son relâchement qui permet de faire prendre de la vitesse à la tête de club. Ce relâchement est, bien sûr, ce qu’il y a de plus difficile à obtenir et à préserver. Il faut donc éviter les positions qui favorisent la crispation et prendre une attitude correcte à l’adresse. Le secret, c’est d’avoir les bras ballants, car c’est seulement ainsi qu’ils resteront relâchés. Pour cela, jambes écartées dans la largeur des

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épaules, le buste doit être suffisamment penché vers l’avant pour que les bras pendent naturellement à la verticale. Il suffit alors de déverrouiller les genoux en les laissant se fléchir légèrement, puis de swinguer tranquillement en maintenant le regard sur la balle. La limite de la montée (backswing) est marquée par la limite des capacités de rotation du genou droit. Dans de telles conditions, le transfert de poids se fait en principe naturellement. Il est de toute façon malaisé d’obtenir un transfert de poids correct en y réfléchissant consciemment.

3. Stratégie

Savoir être prudent dans les situations difficiles, mais savoir aussi attaquer quand les risques sont réduits (large fairway, par exemple ou absence d’obstacle d’eau…). Ne pas hésiter à utiliser un bois pour frapper le second coup, si la situation s’y prête. Ne jamais regretter ses choix et les assumer jusqu’au bout du swing.

4. Lie

Juste après la distance, le lie est l’élément déterminant du choix d’un club et de la tactique de jeu à adopter. Se rappeler qu’un lie “riche”, une balle dans le rough pour être clair, privera le coup de backspin en raison de l’herbe qui vient boucher les stries de la tête de club. Dans ces conditions, la balle roulera toujours beaucoup après avoir touché le sol. Il sera pratiquement impossible de la faire pitcher sur un green. Le choix portera alors sur un club plus court.

Cette quatrième leçon m’a également permis de découvrir un petit trésor : le putting au fer 9. C’est un coup très pratique quand on est sur la frange du green, là où, par exemple, on pourrait envisager d’utiliser le putter, mais avec le risque de voir la balle freinée ou déviée par une herbe un peu trop coriace ou quelque détritus que l’on n’aurait pas remarqué. Le putting au fer 9 permet de faire sauter la balle jusque sur le green, avec un bon roulement ensuite. Il suffit de

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se placer en position de putting, le fer 9 contraint vers le haut pour que sa pointe vienne frapper la balle, puis de putter ensuite normalement. C’est très efficace ! 5 décembre 2002

Méditations d’un golfeur solitaire 298

Green 15

Ternaire sacré et nombre d’or

Des millions de golfeurs pratiquent le jeu sans avoir la moindre idée de ses aspects ésotériques, traditionnels et mystérieux. Or, le parcours de golf est initiatique, inspiré par la Tradition universelle telle qu’elle a été transmise à l’Humanité de toute éternité par des lignées ininterrompues de maîtres et de disciples. À ce titre, le golf est plus qu’un simple jeu ou sport, c’est aussi, et surtout, un moyen d’évoluer spirituellement, de construire son temple intérieur avec l’équerre et le compas des Maîtres d’Œuvre.

Il est passionnant de constater que cette Tradition, quelle que soit la forme qu’elle ait pu revêtir au cours des âges, selon les contrées et les cultures, s’exprime essentiellement par le symbolisme, celui des nombres notamment. Pour l’esprit humain, ils représentent les grands principes de l’univers et de l’existence. Connaître la symbolique des nombres, c’est avoir accès aux arcanes les plus secrets. Et, comme tous les nombres ne sont que le résultat d’opérations plus ou moins complexes à partir de l’Unité, on voit bien que c’est d’elle que tout procède. Mais, aussi du zéro, son envers absolu. Notre civilisation n’est-elle pas, aujourd’hui, assise sur le culte du zéro et du un, ce système binaire, si simple en apparence, mais qui permet d’accomplir des prodiges techniques sans limites (sous réserve, bien sûr, de disposer d’une prise de courant ou d’un bon stock de batteries…) ?

Les sociétés profanes et matérialistes, comme la nôtre, croient au binaire, à la dualité, comme à quelque chose de fini, de solide, d’explicable. Les sociétés initiatiques, sacrées ou simplement religieuses croient généralement au ternaire, à une trinité dont l’expression est diverse.

Méditations d’un golfeur solitaire 299

“Pythagore appelait ses disciples des mathématiciens, évoque Edouard Schuré dans son inoubliable ouvrage Les Grands Initiés45 , parce que son enseignement supérieur commençait par la doctrine des nombres.” Le grand philosophe grec avait appris des Égyptiens et peut-être des Orientaux - que la mathématique profane n’était que le reflet terrestre d’une mathématique sacrée dans laquelle le nombre n’est pas seulement quantité, mais “vertu intrinsèque et active de l’Un suprême, de Dieu source de l’harmonie universelle.”

Dans cette science sacrée, le nombre trois occupe une place essentielle. Dans Le Message des constructeurs de cathédrales46 , Christian Jacq souligne que : “Trois est le nombre de la naissance de toute chose. Premier pas vers la lumière, il est le signe que la voix des symboles commence à parler dans notre monde intérieur.” Les initiés estiment que le monde - et tout ce qui le compose - est soumis à ce qu’ils appellent la “loi du ternaire”. Ainsi, l’homme, comme l’univers, serait composé de trois éléments. Voilà pourquoi le christianisme enseigne qu’il a été créé à l’image de Dieu. Telle est aussi la signification de l’expression : “Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut.” Pour la Tradition, l’homme est trois en un : corps, âme et esprit. “La Triade ou loi du ternaire est (…) la loi constitutive des choses et la véritable clé de la vie. (…) Elle se retrouve à tous les degrés de l’échelle de la vie, depuis la constitution de la cellule organique (…) jusqu’à la constitution hyperphysique de l’homme, à celle de l’univers et de Dieu.”

Edouard Schuré nous rappelle que l’initiation pythagoricienne comprenait quatre degrés, un classement qui “fait le fond de toutes les initiations jusqu’à celle des francs-maçons primitifs qui possédaient quelques bribes de la doctrine ésotérique.”

Nous y voilà ! Les francs-maçons, lesquels, justement, sont à l’origine du jeu de golf tel que nous le connaissons aujourd’hui.

45 Les Grands Initiés - Esquisse de l’histoire secrète des religions, 1889 (Pocket, Paris, 1999).

46 Éditions du Rocher, collection Gnose, Monaco, 1980.

Méditations d’un golfeur solitaire 300

Le golf moderne n’a vraiment plus grand-chose à voir avec la discipline pratiquée jadis et jalousement protégée par une élite rigoureuse sur l’étiquette et stricte sur les règles. L’époque est désormais lointaine quand le golf était une école de gentlemen, de gentilshommes au sens le plus noble et le plus élevé du terme. C’est devenu un sport de compétition, un spectacle générant des profits considérables et un loisir de bourgeois. Le golf reste pourtant fondé sur des bases mathématiques et symboliques solides dans lesquelles le cherchant motivé peut trouver matière à méditation.

Jouer au golf n’est sûrement pas comparable à l’initiation traditionnelle, mais tout comme elle, sa pratique est semée d’épreuves exigeantes et, pour le cherchant sincère, ce peut être une excellente manière d’apprendre à se connaître et à maîtriser son corps, sa parole et son esprit.

Par la magie du nombre trois…

En attendant de parvenir à ce suprême Graal, je poursuis ma quête et retourne sur le terrain. Il y aura encore beaucoup de coups manqués, de frustrations et d’énervement, des jurons et des imprécations, pas mal de lumbagos et de souffrances… Mais, il y aura aussi quelques moments de grâce et de plénitude, ceux pour lesquels nous continuons à être pris de passion pour ce jeu et la fascination étrange qu’il exerce sur nous.

Un des plus précieux enseignements du golf est que, comme dans la vie, les situations difficiles sont inévitables. Quoi qu'on fasse, quel que soit son niveau, on ne peut pas y échapper. Ce qui compte, c'est d'être capable d'en sortir en limitant les dégâts autant que possible et, parfois même, en les retournant à son avantage. Il y faut de la lucidité, du sang-froid, de l'humilité, de l'intelligence et du courage, autant de qualités à cultiver, à développer et à combiner de façon harmonieuse et équilibrée.

Formateur, non ?

26 décembre 2002

Méditations d’un golfeur solitaire 301

GLOSSAIRE

108 termes et expressions golfiques

Fortement teinté d’anglicisme, le vocabulaire du golf est très riche. Il a, en outre, considérablement évolué au fil du temps, surtout au cours des dernières décennies. Pour rester fidèle à la tradition des nombres “sacrés” du golf, voici une sélection de cent huit termes ou expressions parmi les plus usités :

Adresse

Placement du joueur devant la balle avant de la frapper.

Airshot

Swing manqué qui ne touche même pas la balle.

Albatros

Trou joué en trois coups sous le par.

Aller

Neuf premiers trous d’un parcours.

Approche

Coup de golf destiné à atteindre le green.

Avant-green

Frange de terrain autour du green où l’herbe est coupée très ras.

Backspin

Effet donné à la balle pour l’empêcher de rouler sur le green et pouvant provoquer un retour en arrière de la balle lorsqu’elle touche le sol.

Méditations d’un golfeur solitaire 302

Backswing

Aussi appelé “montée”, c’est la première partie du mouvement de golf quand le club monte vers l’arrière pour se préparer à frapper la balle.

Back tees

Marques de départ les plus reculées, réservées aux meilleurs joueurs.

Balle

Petite boule dure et résistante, aux dimensions et au poids strictement réglementés (diamètre minimum de 42,67 mm, poids minimum de 45,93 gr), généralement de couleur blanche et dont la surface est couverte d’alvéoles destinées à faciliter son vol. Historiquement en bois et en cuir, puis, à partir de 1845, en guttapercha (substance naturelle importée de Malaisie), les balles de golf modernes sont en matières synthétiques.

Balle provisoire

Deuxième balle jouée quand on craint que la première soit perdue, elle est dite provisoire parce qu’elle sera relevée et ne sera plus jouée si la première est finalement retrouvée.

Birdie

Trou joué en un coup sous le par. (pron. beurdie)

Bogey

Trou joué en un coup au-dessus du par.

Bois

Club à la tête arrondie, utilisé pour driver (pron. draïvé) ou frapper de longs coups. Jadis, la tête de ces clubs était réellement en bois massif, mais les bois modernes ont des têtes en métal. Les plus couramment employés sont les bois 1 (aussi appelé driver), 3 et 5.

Méditations d’un golfeur solitaire 303

Brut

Établissement d’un score par simple addition de tous les coups joués au cours d’une partie.

Bunker

Obstacle plus ou moins large et profond, empli de sable, placé sur le fairway ou autour du green (l’étiquette exige que l’on ratisse le sable après avoir joué à l’aide du râteau mis à la disposition des joueurs dans chaque bunker).

Bye

Dans un match play, trous restant à jouer quand l’un des deux joueurs a déjà gagné la partie.

Caddie

Coéquipier du joueur qui lui porte ses clubs, l’assiste et le conseille sur le parcours (on dit aussi “cadet”).

Chip

Petit coup d’approche joué près du green et levant peu la balle. (pron. tchip)

Club

- Canne de golf avec laquelle on donne des coups sur la balle pour l’envoyer dans un trou. Il y a trois catégories de clubs47 : les bois, les fers et le putter. La règle limite à quatorze le nombre de clubs qu’un joueur peut emporter dans son sac. (pron. kleub)

- Association de joueurs à laquelle on peut s’intégrer en versant une cotisation annuelle. Aux premiers temps du golf, on les appelait aussi des “sociétés”.

47 Dans les années 2000 sont apparus les clubs hybrides, mi-bois mi-fer, qui ont connu un grand succès et ont désormais toute leur place dans le sac du golfeur.

Méditations d’un golfeur solitaire 304

Clubhouse

Bâtiment central d’un parcours de golf comprenant généralement les vestiaires, un restaurant, un bar, un pro shop, etc. (pron. kleubhaousse)

Coup roulé

Approche jouée près du green, levant peu la balle, mais la faisant rouler le plus près possible du trou.

Cut

Dans les compétitions organisées sur quatre tours, score maximum après les deux premiers tours permettant de participer aux deux suivants. (pron. keutt)

Départ

- Zone du terrain située au début de chaque trou et délimitée par des marques de différentes couleurs selon les catégories de joueurs ou de joueuses. L’aire de départ est un rectangle s’inscrivant entre deux marques de la même couleur sur une profondeur de deux longueurs de club en arrière de ces marques.

- Début d’une partie de golf.

Divot

Motte de terre ou d’herbe arrachée par le club quand on frappe la balle sur le fairway (l’étiquette exige que l’on replace son divot après avoir joué).

Dogleg

Trou dont le fairway est incurvé à droite ou à gauche. (litt. “patte de chien”)

Double bogey

Trou joué en deux coups au-dessus du par.

Méditations d’un golfeur solitaire 305

Downswing

Aussi appelé “descente”, c’est la seconde partie du mouvement de golf quand le club est ramené sur la balle. (pron. daone souinegue)

Drapeau

Repère amovible de forme droite, comportant ou non un fanion ou une autre étoffe, dressé au centre du trou pour indiquer son emplacement. Sa section doit être circulaire.

Draw

Effet donné à la balle qui lui fait prendre une trajectoire légèrement incurvée vers la gauche pour les droitiers. (pron. droo)

Drive

Coup de départ sur un trou au bois 1. (pron. draïve)

Driver

- Bois 1. (pron. draïveur)

- Jouer avec ce club. (pron. draïvé)

Driving range

Partie du terrain d’entraînement sur laquelle on travaille les longs coups. (pron. draïvinegue raindje)

Droper

Action consistant à lâcher sa balle à hauteur du genou pour la remettre en jeu lorsqu’on a dû la relever. On drope toujours en faisant face au drapeau et l’on ne doit jamais rapprocher la balle de celui-ci. Selon les cas, on drope “sans pénalité” à une longueur de club maximum, ou “avec pénalité” à deux longueurs de club maximum.

Eagle

Trou joué en deux coups sous le par. (pron. i-gueul)

Méditations d’un golfeur solitaire 306

Eau fortuite

Eau accumulée de façon temporaire sur le terrain (arrosage ou pluie).

Une balle placée dans une eau fortuite peut être relevée et dropée sans pénalité.

Étiquette

Code de bonne conduite du joueur sur le terrain, ensemble des préceptes à respecter. L’étiquette est différente des règles, elle correspond plutôt à des usages destinés à faciliter la cohabitation des joueurs sur le parcours.

Fade

Effet donné à la balle qui lui fait prendre une trajectoire légèrement incurvée vers la droite pour les droitiers. (pron. feïde)

Fairway

Partie tondue du terrain, comprise entre le départ et le green.

Fer

Club dont la tête est en acier. Les fers sont numérotés de 1 à 9, du plus long avec la face la moins ouverte, au plus court avec la face la plus ouverte. Les wedges sont aussi des fers.

Finish

Finition du mouvement de golf dans laquelle le corps se redresse et s’oriente vers la cible.

Follow through

Troisième partie du mouvement de golf après l’impact, on dit aussi “traversée”.

Foursome

Type de compétition opposant deux équipes de deux joueurs dans lesquelles les coéquipiers jouent alternativement la même balle. (pron. for som)

Méditations d’un golfeur solitaire 307

Gratter

Manquer son coup en frappant le sol avant la balle.

Green

Partie du terrain couverte de gazon très ras entourant le trou signalé par un drapeau ou fanion. (pron. griinn)

Green fee

Tarif d’une partie de golf. (pron. grinn fii)

Greensome

Type de compétition opposant deux équipes de deux joueurs dans lesquelles chaque coéquipier joue sa balle au premier coup de chaque trou. La meilleure des deux balles est choisie et sera jouée ensuite alternativement par les deux coéquipiers. (pron. griinn som)

Grip

- Position des mains sur le manche du club (il existe trois principaux types de grip).

- Matériau recouvrant le haut du manche du club et sur lequel les mains viennent se placer.

Handicap

- Système destiné à pondérer les scores des joueurs amateurs en fonction de leur niveau de maîtrise du jeu. Compte tenu du handicap, le score d’un joueur est calculé en “net” c’est-à-dire son score brut réduit de son handicap. Un joueur de handicap 10 jouant une partie en 82 coups “brut”, obtiendra un score net de 72. Le handicap ne s’applique qu’au joueur classé et ne peut être obtenu ou modifié qu’en compétition officielle. Un joueur n’ayant jamais participé à une compétition officielle ou n’ayant jamais pu jouer en moins de cent vingt-six coups (le par plus un handicap de cinquante-quatre) au cours d’une compétition officielle est dit “non classé”. L’accès à certains parcours ou à certaines compétitions peut être réservé aux joueurs dont le

Méditations d’un golfeur solitaire 308

handicap n’excède pas un niveau déterminé. Depuis le 1er janvier 2000, le handicap est calculé selon la formule suivante : handicap = index x slope du parcours / 113.

- Classement des trous d’un parcours selon leur difficulté du plus difficile (handicap 1) au moins difficile (handicap 18). Ce classement sert notamment lors des match play en net entre deux joueurs de handicap différent. Le joueur de plus bas handicap rend à son adversaire un nombre de points égal à la différence entre leurs handicaps respectifs (parfois pondérée), ces points sont rendus à raison d’un point par trou par ordre décroissant de difficulté.

Honneur

Avoir l’honneur, c’est être le premier à jouer au départ d’un trou. Au début de la partie, l’honneur revient au joueur de plus faible handicap. Sur les autres trous, il reviendra au joueur ayant obtenu le meilleur score au trou précédent. L’ordre de jeu des autres joueurs découle des mêmes principes.

Hook

Effet donné à la balle qui lui fait prendre une trajectoire fortement et brusquement incurvée vers la gauche pour les droitiers. (pron. houk)

Hors limites

Limites du terrain, naturelles ou matérialisées par des alignements de piquets blancs, au-delà desquelles une balle n’est plus en jeu. Lorsqu’une balle est perdue hors limites, on doit frapper une seconde balle du même endroit que la première assortie d’un point de pénalité, soit trois points en tout.

Impact

Moment précis où le club frappe la balle. L’impact est en principe accompagné d’un son dont la qualité reflète celle du coup donné.

Méditations d’un golfeur solitaire 309

Index

Nombre compris entre 0 et 54, pouvant être suivi d’une décimale et indiquant le niveau de maîtrise du golf d’un joueur amateur. L’index est l’une des deux bases de calcul du handicap d’un joueur, l’autre étant le slope du parcours, c’est-à-dire son degré de difficulté.

Licence

Document d’identification indispensable délivré sur demande par un organisme golfique national officiel, la Fédération française de golf par exemple. Elle est exigée pour jouer sur les parcours, pour participer aux compétitions officielles et intègre généralement une police d’assurance responsabilité civile et accidents pour la pratique du golf.

Lie

- Position de la balle sur le sol (bon ou mauvais lie).

- Angle formé par le manche du club et le sol. (pron. laille)

Lobwedge

Wedge très ouvert (58 ou 60°) généralement utilisé pour les sorties de bunkers proches du green ou pour de petits coups lobés.

Loft

Angle d’ouverture de la face d’un club compris entre 0° pour le putter et jusqu’à 60° pour le lobwedge.

Marshal

Personne chargée de veiller au respect des règles et de l’étiquette sur un parcours de golf.

Match play

Duel dans lequel deux joueurs s’affrontent sur chaque trou. Le vainqueur de la partie est celui qui a gagné le plus de trous, chaque trou gagné valant un point.

Méditations d’un golfeur solitaire 310

Mulligan

Se dit d’une seconde balle qu’un joueur s’accorde, ou que son adversaire lui accorde sans pénalité après avoir manqué son départ au premier trou. Le mulligan est une pratique amicale que certains joueurs étendent parfois de façon abusive, elle est contraire aux règles en compétition officielle. (pron. muligann)

Net

Établissement d’un score en tenant compte du handicap du joueur. Le score net est égal au score brut réduit du handicap. (v. stableford)

Obstacles

Aménagements du parcours disposés à des endroits stratégiques et destinés à accroître sa difficulté. Il s’agit des étangs, lacs, rivières ou canaux, on parle alors d’obstacles d’eau, des arbres, bunkers, etc.

Obstructions

Tout élément matériel pouvant gêner le golfeur dans son jeu. Elles peuvent être naturelles ou artificielles, inamovibles ou amovibles (dans ce dernier cas, elles peuvent être déplacées avant de jouer à condition de ne pas faire bouger la balle ce qui équivaudrait à un coup). Open Compétition ouverte aux amateurs et aux professionnels.

Par

Score de référence d’un trou et, par addition, d’un parcours de golf. En fonction de sa longueur, un trou peut être classé par trois, quatre ou cinq. Un parcours comprend le plus souvent quatre par trois, quatre par cinq et dix par quatre soit un par total de 72.

Parcours

Ensemble des trous d’un terrain de golf sur lesquels les règles et l’étiquette s’appliquent. Il existe des parcours de neuf trous et de dix-

Méditations d’un golfeur solitaire 311

huit trous. Certains terrains de golf comprennent deux, voire trois parcours de dix-huit trous.

Pénalité

Points ajoutés au score d’un joueur lorsqu’il a violé une règle ou perdu une balle et qu’il doit en remettre une seconde en jeu. Les pénalités peuvent être d’un ou deux points. La pénalité peut aller jusqu’à la disqualification du joueur qui ne corrige pas son erreur avant d’aborder le trou suivant.

Pitch

- Coup d’approche dans lequel la balle s’élève avant de retomber sur le green pratiquement à la verticale.

- Dépression, petit creux formé sur le green par une balle qui “pitche” en retombant.

Pitching wedge

Fer court et ouvert utilisé près du green pour “pitcher”.

Play off

Épreuve destinée à départager des joueurs parvenus à égalité de score au terme d’un concours. Le play off s’effectue généralement sur le dixhuitième trou, mais le comité peut ensuite choisir d’autres trous si les joueurs sont toujours ex-aequo. Le play off dit “mort subite” prend fin dès qu’un joueur a gagné un trou.

Practice

- Entraînement au jeu de golf.

- Terrain d’entraînement comprenant au moins un driving range et un putting green.

Pro

- Professeur de golf.

- Joueur de golf professionnel.

Méditations d’un golfeur solitaire 312

Pro shop

Boutique proposant des articles de golf, située sur la plupart des parcours.

Putter

- Club à face verticale utilisé pour faire rouler la balle sur le green en direction du trou. (pron. peutteur)

- Utiliser un putter pour jouer une balle sur le green. (pron. peutté)

Putting Action de putter. (pron. peuttinegue)

Putting green

Partie du terrain de practice sur laquelle on s’entraîne au putting et aux petites approches.

Règles

Il existe trente-quatre règles du jeu de golf, toutes subdivisées en un certain nombre de sous paragraphes. Elles régissent le jeu de golf sous la haute autorité du Royal & Ancient Golf Club of St Andrews (Écosse) et de l’United States Golf Association (USGA) possédant chacun leur comité des règles. Les règles de golf sont révisées tous les quatre ans.

Regular

Rigidité moyenne d’un shaft de club en graphite.

Régulation

Atteindre un green après un nombre de coups fixé selon le par de chaque trou (un coup sur un par trois, deux sur un par quatre et trois sur un par cinq) sachant que deux coups seront normalement réservés au putting.

Relève-pitch

Sorte de petite fourche à deux dents de quelques centimètres de long, servant à réparer les trous formés sur un green par les pitches. On en

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trouve de toute forme, couleur et matière, souvent frappé aux armes de tel ou tel parcours et vendu comme souvenir.

Repères

Il existe un certain nombre de repères, naturels (arbres) ou artificiels (piquets rouge et blanc) destinés à aider le joueur à évaluer les distances sur le parcours.

Retour

Neuf derniers trous d’un parcours.

Rough

Partie du terrain bordant le fairway, sur laquelle l’herbe n’est pas tondue aussi ras.

Routine

Ensemble des gestes et attitudes d’un joueur l’aidant à se concentrer quand il se prépare à frapper un coup. Le respect d’une routine est d’une extrême importance dans la qualité du jeu de golf.

Sandwedge

Fer court et très ouvert destiné à sortir des bunkers et à réaliser de petites approches.

Semelle

Face inférieure d’un club qui repose sur le sol.

Shaft

Manche d’un club. Le shaft peut être en acier (auquel cas il sera plutôt rigide) ou en graphite avec une échelle de rigidité croissante de “senior” à “extra stiff”.

Slice

Effet donné à la balle qui lui fait prendre une trajectoire fortement et brusquement incurvée vers la droite pour les droitiers (pron. slaïce).

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Slope

Indice de difficulté d’un parcours de golf. Cet indice peut être compris entre 100 et 150 avec une moyenne de référence établie à 113. Le slope est déterminé par des experts après étalonnage en fonction de certains critères. Le calcul du handicap d’un joueur sur tel ou tel parcours s’effectue en multipliant son index de jeu par le slope du parcours et en divisant le résultat par 113.

Socket

Coup de golf manqué dans lequel la balle est frappée par le talon du club. Un tel coup fait partir la balle directement sur la gauche (pour les droitiers).

Square

- Position de la face du club et du corps du joueur perpendiculaires à la ligne de vol de la balle (cf. équerre).

- Score d’égalité entre les deux adversaires d’un match play.

Stableford

Système de comptage des points dans lequel le bogey vaut 1 point, le par 2 points, le birdie 3 points, l’eagle 4 points et l’albatros 5 points. Le double bogey et plus ne rapportent aucun point. Il s’agit d’un calcul en net, c’est-à-dire pondéré du handicap du joueur. Le nombre de points que celui-ci inscrira en stableford ne correspondra pas à celui des coups réellement frappés pour atteindre un trou. On procèdera au décompte sur la base de son “par personnel” lequel peut se situer, pour chaque trou, à un, deux ou trois points au-dessus du par proprement dit. En stableford, l’objectif est d’atteindre au moins 36 points. (pron. stabeulforde)

Stance

Position des pieds du joueur par rapport à la balle à l’adresse.

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Stiff

Raide, shaft de club en graphite de forte rigidité.

Stroke play

Formule de jeu dans laquelle le score de chaque joueur correspond à l’addition de tous les coups frappés au cours de la partie (score brut ou net). Appellation moderne du medal play.

Sweet spot

Point d’impact idéal situé au centre de la face d’un club. (pron. souiit spott)

Swing

Mouvement du joueur de golf lorsqu’il frappe la balle. (pron. souïnegue)

Take away

Début de la montée du club, lorsqu’il s’éloigne de la balle. (pron. teïk euoué)

Tee

- Petite cheville en bois ou en plastique servant à surélever la balle au départ de chaque trou.

- Zone de départ d’un trou. (pron. tii)

Tee shot

Coup de départ sur chaque trou.

Tempo

Rythme sur lequel le swing est produit.

Timing

Enchaînement des différentes parties du swing. (pron. taïminegue)

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Toper

Manquer son coup en frappant la balle dans sa partie haute lui donnant une trajectoire basse et peu de distance.

Trou

- Cavité de forme cylindrique, de 108 mm de diamètre et de 102 mm de profondeur, creusée sur le green à l’aide d’un instrument spécial, signalée par un drapeau et dans laquelle on doit placer la balle dans le moins de coups possible depuis le départ. À l’origine du golf, le trou n’était qu’une simple excavation évasée creusée dans le sol, d’où le nom de cup que les Anglais ou les Américains utilisent encore parfois. Les golfeurs canadiens francophones parlent aussi couramment de “coupe” pour désigner le trou.

- Portion du parcours comprise entre l’aire de départ et le green. L’ensemble d’un parcours de golf est composé de dix-huit trous.

Up

Sert à marquer le score en match play, un joueur menant d’un trou sera dit “one up”, de deux trous “two up”, etc. (pron eup)

Virgule

Mouvement d’une balle qui semble entrer dans le trou, mais roule sur le bord de celui-ci avant de ressortir sur le green.

Wedge

Fer court et plus ou moins ouvert utilisé pour les coups d’approche près du green.

Pour plus d’informations, se référer aux Règles du Golf, notamment disponibles sur le site de la Fédération française de golf www.ffgolf.org

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Au tournant du millénaire, de 1998 à 2002, j'ai noté mes réflexions, mes expériences et rencontres, mes progrès et régressions, mes joies et épreuves sur le terrain de golf. Au cours de cette période, mon niveau de jeu est passé de “non classé”, c’est-à-dire handicap 36 minimum, à l’index officiel de 14,4 en mai 2002. Le lieu presque unique de ce récit est le parcours de golf Olivier-Bréaud d'Atimaono à Papara, Tahiti.

MAHANA

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