PIQÛRES DE NONO

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MAHANA

À mon frère Jean-Marc

Photographies : Werner Bringold Couverture : Gotz Mahana Les Editions du Soleil Tahiti pschlouch@gmail.com © 2022 Tous droits réservés

Le 8 avril 1992, le président de la République, François Mitterrand, mettait abruptement un terme aux expériences nucléaires auxquelles la France procédait régulièrement en Polynésie française depuis 1966. Il ne s’agissait alors que d’un “moratoire”, mais il sonnait tout de même le glas de la “rente atomique” constituant l’essentiel des ressources de cette collectivité d’outre mer (que l’on aime à présent appeler un pays d’outre mer, mais qui était alors un territoire d’outre-mer). Cette annonce fut aussi le début de l’“après CEP”.

Coup de pied dans la fourmilière !

Trois décennies de centre d’expérimentation du Pacifique avaient façonné la société et l’économie. Sur quelles bases nouvelles, la Polynésie française allait elle continuer à vivre et assurer son développement ?

Pendant ces quelques mois, le sort du pays s’est joué.

La tentation indépendantiste fut forte, tant parmi les Polynésiens qu’à Paris où l’idée du “largage” d’un territoire n’ayant apparemment plus d’intérêt direct et immédiat pour la France, circula assez librement dans les allées du pouvoir socialiste. Il fallut l’opiniâtreté et le charisme de Gaston Flosse, président du gouvernement de la Polynésie française depuis 1991, soutenu par une défaite des socialistes en 1993, puis par l’élection de son ami, son “frère”, Jacques Chirac à la présidence de la République en 1995, pour endiguer (provisoirement ?) un courant séparatiste pourtant dopé par une ultime campagne de six tirs nucléaires de septembre 1995 à janvier 1996.

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Dans le drame qui s’est noué, l’année 1993 fut cruciale. Outre des élections législatives, en mars, déterminantes quant au choix de société souhaité par les Polynésiens et l’élaboration du fameux “Pacte de progrès” entre l’État et le Territoire, scellant leur volonté commune de travailler ensemble à la construction d’une nouvelle économie, cette année 1993 contenait en germe l’essentiel de ce qui constitue la Polynésie française d’aujourd’hui.

J’ai écrit les textes sélectionnés et réunis dans ce recueil de novembre 1992 à décembre 1993, dans le cadre d’un billet quotidien à caractère satirique baptisé Le Nono, publié en première page des Nouvelles de Tahiti dont je dirigeais la rédaction.

Le plus ancien quotidien polynésien était né en 1957, à l’initiative de Roger Brissaud, déjà fondateur des Nouvelles calédoniennes à Nouméa. En 1989, bien des vicissitudes plus tard, le journal fut racheté par France Antilles (rebaptisé Hersant Média), l’une des principales composantes du groupe de presse tentaculaire créé par Robert Hersant. L’année précédente, France-Antilles, également propriétaire des Nouvelles calédoniennes, avait déjà mis la main sur La Dépêche de Tahiti, l’autre quotidien local, bien plus florissant et stable, fondé en 1964 par Philippe Mazellier.

Né en octobre 1974, Le Nono, du nom tahitien d’un minuscule insecte très vorace, mais invisible, distillait chaque jour quelques traits piquants à la Une des Nouvelles de Tahiti dans la belle tradition française du billet d’humeur.

C’était un peu leur image de marque.

Pendant plus de vingt ans, nous avons été nombreux à nous succéder, chacun dans son style et avec sa propre sensibilité, à la rédaction du Nono. Certains de mes prédécesseurs s’illustrèrent avec brio dans cet exercice délicat du billet satirique quotidien. Les archives du journal recèlent des trésors oubliés.

Après mon départ des Nouvelles, à la fin de 1993, Le Nono subsista, tant bien que mal, sous la plume de mes successeurs. Mais, c’était

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une autre époque, l’esprit avait changé, le sens de l’humour s’était envolé et le cœur n’y était plus. Il a fini par perdre toute saveur avant de disparaître en 1999.

Court, ce séjour aux Nouvelles de Tahiti, deux années seulement, et souvent difficile (notamment en raison des pressions permanentes de toute part et du manque de moyens), mais passionnant. La position était particulièrement privilégiée pour vivre et observer un moment clé de l’histoire moderne de la Polynésie française.

Ces quelques “piqûres” évoquent l’image d’un pays ballotté dans une crise profonde, d’une classe politique immature, minée par les affaires de corruption, d’une population inquiète de son avenir. Elles témoignent aussi du dynamisme qui inspira la formidable reconversion dans laquelle la Polynésie française s’est alors engagée, avec le soutien de la France, pour sauver non seulement son niveau de vie, mais aussi son identité, sa langue, sa culture et son art de vivre. Hélas ! trente ans plus tard, les espoirs se sont envolés, les échecs se sont accumulés et la Polynésie française demeure plus que jamais placée sous la perfusion des transferts de l’État. Outre un parfum qui ravira certainement ceux qui ont vécu cette époque, il émane de ces textes une étrange actualité laissant malgré tout perplexe quant à l’évolution de ce pays.

Grand merci au regretté photographe Werner Bringold, pour ses truculentes images historiques. Mauruuru au peintre, dessinateur et ami Gotz pour son illustration de couverture.

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P. S. Mitirapa, Toahotu - Octobre 2022

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Boris Léontieff, maire d’Arue

Erima

C'est aujourd'hui que l'on doit savoir si la condamnation de Gaston Flosse à six mois de prison avec sursis pour ingérence dans l'affaire d'Erima1 est confirmée ou pas par la cour d'appel de Paris. Beaucoup attendent cet événement comme une échéance importante dans l'histoire politique de la Polynésie.

De deux choses l'une, ou bien la cour d'appel le relaxe et le président, son honneur lavé, poursuit son mandat à la tête du pays avec une légitimité renforcée et même un avantage décisif par rapport aux autres hommes politiques locaux qu'ils soient effectivement inculpés ou simplement victimes de rumeurs calomnieuses, ou les juges parisiens confirment le délit d'ingérence et Gaston Flosse devient alors le premier de la classe politique polynésienne à être réellement condamné. Dans cette seconde éventualité, ce serait à lui, et à lui seul, de décider en conscience de son avenir politique. Le connaissant, on peut facilement prévoir qu'il n'abandonnera pas son poste aussi près d'une échéance électorale dont il considère le verdict comme nettement plus significatif que celui d'un tribunal, parisien de surcroît.

En définitive, et très logiquement en démocratie, ce sera aux électeurs de décider en mars prochain du devenir politique de celui que beaucoup considèrent encore, et malgré tous les défauts dont on l'affuble, comme le seul capable de sauver la Polynésie du chaos.

10 novembre 1992

1 Quartier situé sur les hauteurs de la commune d’Arue. Le président Gaston Flosse y avait établi sa résidence principale au sujet de laquelle une plainte avait été déposée par Boris Léontieff, maire d’Arue et fondateur du parti Fetia Api, tragiquement disparu en 2001 au cours d’une tournée électorale dans les Tuamotu.

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Capotes

Le Nono, en principe, c'est drôle. Le sida, en revanche, ce n'est pas drôle du tout. Alors pour faire un Nono sur le sida, c'est pas évident. Allez faire sourire sur des sujets aussi tragiques ! Quoique... Il circule des blagues sur le sida actuellement, je vous dis pas. Bonjour le bon goût ! Pourtant, il faut bien en parler de cette maladie. Je crois même qu'il ne faut pas arrêter d'en parler, vous ne serez jamais assez informés. Mais, pour éviter à la fois de vous lasser et de vous paniquer, il faut essayer de prendre tout cela un peu relax.

Tenez, hier on inaugurait le premier distributeur de capotes dans un établissement scolaire français. C'était dans un lycée parisien et cela se faisait en présence du ministre de l'Éducation et de la Culture, Jack Lang. Non mais vous vous rendez compte un peu l'évolution ?

Le ministre de l'Éducation en train d'inaugurer solennellement les distributeurs de capotes dans un lycée. On croit rêver ! Eh, bien pas du tout. Ce n'est pas un rêve. Un cauchemar plutôt. Et le pire, c'est qu'il en faudrait partout de ces petites machines. D'abord, parce que nos chers petits s'adonnent de plus en plus tôt et de plus en plus fréquemment au doux exercice de la bête à deux dos et ensuite parce que ce sport est devenu le plus dangereux de tous. Le parachutisme, à côté, c'est un passe temps pour retraités.

Aujourd'hui, c'est la Journée mondiale du sida. Renseignez vous autant que vous pouvez. Et surtout, faites gaffe ! 1er décembre 1992

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Shopping

C'est bientôt Noël. Les commerçants nous annoncent des animations spéciales pour les Fêtes de fin d'année. Pas étonnant qu'ils soient si gentils. Avec la conjoncture économique actuelle, ils n’ont pas fait un chiffre d'affaires folichon cette année. Alors, ils essaient de se rattraper in extremis. Il paraît qu'aux Etats Unis ça les a pris d'un coup. Ils se sont remis à consommer en veux-tu en voilà. C'est peutêtre l'élection de leur nouveau président.

Je sais pas ce qu'il faudrait ici pour qu'on fasse pareil. Des tas de spécialistes se creusent la cervelle à longueur de temps pour essayer de nous faire acheter à nouveau et pour que l'économie marche mieux. Rien n'y fait. Les pauvres commerçants en sont catastrophés. Ils tentent le tout pour le tout.

Pensez ! Ils vont faire la journée continue. Non, mais vous vous rendez compte, l'effort ? Ils vont jusqu'à se priver de déjeuner pour nous permettre de leur acheter des trucs.

Faut dire que d'habitude pour consommer en Polynésie, faut être très fort. Les magasins, ils sont ouverts aux mêmes heures que les bureaux. Vous sortez de votre travail à midi : fermé. Vous ressortez à 5 heures : fermé. Le samedi, vous êtes en congé : fermé. Seul moyen : tricher et faire shopping pendant les heures de bureau sous un prétexte quelconque.

Si le commerce marche mal, il ne faut pas se plaindre. Partout ailleurs, les heures d'ouverture des magasins sont décalées. C'est ça qu'il faut faire. Et pas seulement une semaine à Noël.

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9 décembre 1992

Biblique

Gaston, il n'est pas rancunier. Encore moins en période électorale. Alors là, un vrai Père Noël. On peut lui demander n'importe quoi. Même si on lui a fait les pires crasses. Pourvu qu'on soit capable d'aligner quelques centaines de voix ou du moins qu'on réussisse à lui faire croire - tout est possible.

Laissez venir à moi les petits-enfants. Le fils prodigue. Il y a beaucoup de place dans la maison du père. Si on te frappe la joue droite, tend la joue gauche. Gaston il est vachement biblique en ce moment, il met en pratique toutes les citations.

Tenez, prenez Huguette2. Elle lui en a fait voir celle là. C'était pourtant lui qui lui avait mis le pied à l'étrier politique. Ça ne l'a pas empêchée de lui faire un beau bras d'honneur avec Alexandre et Georges fin 87 et après. Maintenant, les temps sont durs. Les inculpations pleuvent et le parapluie Tahoeraa est drôlement attirant.

Bon, pour Huguette admettons, on connaît Gaston. C'est un sentimental. Mais pour Napo, alors là, c'est difficile à comprendre. Il paraît que son ralliement est sur le point d'être annoncé officiellement. Il aurait même dû l'être hier à l'occasion de l'inauguration du nouveau catamaran Le Prado sur la desserte de Moorea. Manque de pot, l'inauguration a dû être reportée. Un signe, je vous dis.

Je me demande si les fidèles de Gaston au Tahoeraa, ils sont vraiment contents. De toute façon, ils feront comme d'habitude. Ce qu'on leur dira...

10 décembre 1992

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2 Huguette Hong Kiou, Alexandre Léontieff, Georges Kelly, Napoléon Spitz.

Cadeaux

C'est Noël ! Tiens, voyons un peu ce qu'ILS ont pu demander comme cadeaux au Père Noël cette année.

Le haut commissaire : un président du gouvernement qui respecte le représentant de l'État et fasse moins de politique.

Gaston3 : un représentant de l'État qui respecte le président du gouvernement et, autant que possible, ne soit pas socialiste.

Alexandre : un non lieu.

Juju : un non-lieu.

Emile : une maquette de l'assemblée territoriale.

Oscar : un abonnement gratuit aux Nouvelles et à La Dépêche.

Boris : un glissement de terrain à Erima.

Joinville : une invitation au bal annuel de la gendarmerie.

Napo : un empire.

Huguette : une carte orange.

Bouissou : une fable (à cause de la morale).

Chanut : un billet gratuit pour Bali.

Tetoe : un coffre fort api.

Bon, j'arrête. L'énumération finirait par devenir fastidieuse. Et puis vous avez sûrement envie de cadeaux, vous aussi. Je sais pas moi, par exemple, une Polynésie sympa, propre, où il ferait à nouveau bon vivre, sans files sur les routes (les routes ? quelles routes ?), avec une ville où l'on pourrait flâner tranquille en regardant les jolies filles (bonjour les torticolis !)

On peut toujours rêver, non ? Allez, soyez gentils, ne me réveillez pas...

11 décembre 1992

d’affaires d’escroquerie et de détournement de fonds publics).

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3 Gaston Flosse, Alexandre Léontieff, Jean Juventin, Emile Vernaudon, Oscar Temaru, Boris Léontieff, Joinville Pomare, Napoléon Spitz, Huguette Hong Kiou, Jean Christophe Bouissou, Pierre Chanut, Hiti Tetoe (ces deux derniers ayant défrayé la chronique dans le cadre

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Edouard Fritch, Jean Juventin et Jean Louis Debré en campagne électorale

Vacances

Vous avez vu le sondage ? Celui sur Les Nouvelles. Vous êtes durs les gars. Il paraît que vous n'êtes que 30 % à me lire. Un sur trois. C'est pas sympa quand même. Alors, c'est pas intéressant ce que je dis ? Au fond, c'est peut être vous qui avez raison. Tiens, je sais ce que je vais faire. Je vais prendre des vacances. C'est la saison, n'est ce pas ? Et pourquoi les nonos ne pourraient-ils pas respirer de temps en temps eux aussi ?

Je me vois déjà en train de siroter un drink en compagnie du Père Noël. Ah, le pied ! Il va falloir que j'en profite pour lui demander des dards neufs. C'est que ça finit par s'user aussi, faut pas croire. On a beau les aiguiser, ça s'émousse. C'est crevant de piquer, vous savez. Il faut tourner, tourner, chercher l'endroit où ça fait bien mal. Et sans jamais s'arrêter (attention à ne pas se faire écrabouiller). Paf ! On pique. C'est là où c'est dangereux. Ils vous attendent à ce moment là. Le plus marrant, c'est quand ils se flanquent une baffe en essayant de vous anéantir.

De temps en temps, c'est pas mal d'aller voir ailleurs comment sont les autres nonos. Allez, Tchao ! A l'année prochaine. Noyeux Joël et Bonne année. Je vous embrasse et penserai bien à vous. J'essaierai de vous rapporter de bonnes histoires bien piquantes.

Ah, je vous ai pas dit ? Mes vacances, je les passe chez mon cousin, au Mexique. C'est plein de cactus et de piments rouges là bas. De sacrés spécialistes.

Aïe, aïe, aïe...

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12 décembre 1992

Vague

Coucou, me revoilà. Les vacances c'était bien, merci. C'est vraiment utile de sortir un peu de la petite île de temps en temps. On voit les choses autrement et on relativise les problèmes. Tenez, par exemple, les bombardements. Il y en a qui regrettent tellement de ne pas s'en prendre sur le coin de la gueule, qu'ils en inventent. Mais qu'ils aillent donc un peu voir à Sarajevo. Ils vont être servis là-bas. Il fait - 20, il n'y a plus d'eau, plus d'électricité et les obus pleuvent comme à Gravelotte.

Il n'y a même pas besoin d'aller si loin. La misère frappe à nouveau dans le Pacifique, à deux pas de chez nous.

Comme quoi, l'homme est ainsi fait. Quand il n'a pas de souci, il faut bien qu'il s'en invente. Autrement, il a le grand vertige du rien. Le bonheur, c'est dur à supporter.

Oh, bien sûr, nous avons aussi nos problèmes. On se demande comment tout cela va tourner. Je veux dire 1993 et les élections et le Pacte de progrès et la moralisation et tout le toutim. C'est la saison des vœux. Beaucoup rêvent pour 1993 de la reprise des essais à Muru pensant que tout pourrait redevenir comme avant, peinard. Mon vœu à moi, c'est que les Polynésiens prennent bien conscience du bouleversement que le monde subit en ce moment et qui est irréversible.

Nous avons la chance que la vague arrive jusqu'à nous, comme toujours, atténuée par la distance, mais elle arrive bel et bien. Nous n'y échapperons pas. La meilleure solution c'est encore de relever la tête, les manches et d'y aller. 5 janvier 1993

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Fleurs

Surprise ! L'agriculture polynésienne aurait des potentialités inattendues. Selon l'ITSTAT, qui a étudié la question, il faudrait, par exemple, réhabiliter le fei4 qui rapporte plus que le pamplemousse et la banane qui se vend mieux que l'ananas. Les fleurs aussi ont un rôle à jouer très important dans le développement agricole.

Moi, j'en connais qui n'ont pas attendu les révélations de l'Institut de la statistique pour découvrir les potentialités de l'agriculture et surtout celles des fleurs. Ils sont devenus de véritables experts en horticulture et cela sans aucune subvention ni aide de l'Économie rurale. Ils vous produisent de ces spécimens de toute beauté (nous vous en offrons un exemple en photo en pages intérieures). De l'or en barre. Ce genre de produit se vend comme des petits pains et nourrit son homme et son pitbull sans problème. Il y a un petit hic quand même, il est illégal. Ç'est justement pour ça que c'est si rentable d'ailleurs. Le risque justifie les prix les plus fous. D'autres, tout aussi convaincus des richesses du sol polynésien, mais beaucoup moins conformistes, se lancent dans des expériences, parfaitement licites celles là. Dans quelques années, on pourra goûter les premières grappes de raisin locales et peut être même les premiers verres de vin polynésien. C'est génial non ? Il paraît que ce sera un produit tout à fait original et d'excellente qualité. Le secteur primaire a encore un bel avenir.

7 janvier 1993

4 Banane plantain rouge à chair épaisse, à consommer cuite.

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Tiers-monde

Papeete, ville du tiers monde ? Hier j'ai un collègue qui vous a pondu un article là dessus. Il a pas tort. Quand on voit dans quel état se trouve cette pauvre capitale. Ça fait honte, pai ! D'un autre côté, c'est pas idiot non plus. La saleté et les trous dans les rues, ça fait exotique. Les touristes (il y en a encore quelques uns) sont vraiment dépaysés quand ils arrivent d'Amérique, du Japon ou d'Europe. Ils sont contents, ils en ont pour leur argent. C'est vraiment le Pacifique profond, comme ils en rêvaient, avec les odeurs et tout (pour ça, ils sont servis). Et puis l'avantage c'est que comme ça, ils ne s'incrustent pas. Ils retournent vite fait chez eux. On gagne sur les deux tableaux par le fait ! Moi, ce qui me tue, c'est quand la mairie dit qu'elle n'a plus de sous pour réparer et entretenir les rues de la ville. Alors, l'eau, elle l'a confiée à une société privée. Pareil pour les ordures. Les routes, on ne s'en occupe plus et les employés ne sont plus payés. C'est pas croyab’. Mais alors, à quoi ça sert une équipe municipale ? Question à cent balles. Ça vous construit une magnifique mairie, hors de prix, avec du marbre partout même dans les cabinets. Et puis tout autour c'est la débandade. Tout le monde s'en fout. Mon collègue, il avait raison. Si c'est pas le tiers monde, cela y ressemble sérieusement.

De toute façon, faut pas se faire d'illusions. Compte tenu de la situation des hommes et des finances, c'est pas demain la veille que ça va changer. 9 janvier 1993

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Vœux

La période des vœux est terminée. C'est bien dommage. J'aime bien moi. Tout le monde est si gentil. Celui qui, d'habitude, vous poignarderait par derrière sans la moindre hésitation, en ce début d'année, il devient tout miel et vous adresse ses vœux « les plus sincères ». Enfin, il faut bien que ça se termine, on ne peut tout de même pas s'envoyer des vœux toute l'année. De toute façon, ces vœux, c'est bien joli, mais pas très efficace. Celui à qui l'on a souhaité bonne santé commence l'année à l'hôpital et l'autre à qui l'on avait souhaité du bonheur se fait larguer par sa femme qui a rencontré un super mec pendant les fêtes. En fait, tous ces vœux dont on nous gratifie, ils sont pas si sincères que ça. Comme dit l'autre, on vous passe la main dans le dos par devant et l'on vous crache à la figure par derrière.

Prenez la politique, ce qui serait marrant ce serait un bon vieux sérum de vérité subrepticement inoculé avant de passer à la télé et le gars, il vous balance ses vrais vœux pour la nouvelle année, style : « Polynésiens, Polynésiennes, je souhaite que, cette année, mes adversaires politiques aient les pires ennuis. Je souhaite que vous m'élisiez triomphalement malgré mon incapacité à résoudre vos problèmes. Que les journalistes n'écrivent que du bien de moi, et blablabla... »

En tout cas, 1993 commence sur les chapeaux de roues. Déjà une super escroquerie, un duel judiciaire et la faillite de Papeete qui se confirme. Ça promet. J'ai comme l'impression qu'on ne va pas s'ennuyer.

11 janvier 1993

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Piqûres

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Alexandre Léontieff, Hilda Chalmont et Emile Vernaudon

Viré

Cette histoire avec Emile5, c'est vraiment pas croyab’. Il se fait virer de l'assemblée territoriale parce qu'il est jamais là (ironique, vous trouvez pas ?). L'an dernier, il s'était déjà fait virer, mais là c'était parce qu'il ne voulait pas s'en aller6. En plus, on le vire, mais on ne lui dit pas. Ce qui fait qu'en réalité, il n'est pas viré. Mais, comme il croit qu'Emile est viré, le haut-commissaire dépose un recours pour dire que c'est pas normal et tout, de virer quelqu'un sans lui permettre de s'expliquer. Evidemment, comme Emile il était pas encore viré vraiment, le recours du haut commissaire ne servait à rien. Rejeté. Je ne sais pas si vous me suivez. Moi cette histoire de virage, ça me donne le tournis, le vire vire comme on dit en Provence.

Mais, attendez, c'est pas fini. Après avoir viré Emile comme un malpropre, voilà ti pas que la majorité lui fait les doux yeux maintenant, pour qu'il revienne. « Cher Emile, qu'ils disent en substance ceux de la majorité, vous n'avez jamais voulu participer aux travaux du Pacte de progrès, venez à l'assemblée vendredi à la séance extraordinaire qui y sera consacrée, ce sera la preuve de votre bonne foi ». Alors là, j'avoue que j'y perds mon reo ma’ohi.

Ce que je constate en tout cas, c'est qu'en ce beau pays démocratique, pour la sécurité de l'emploi, il vaut mieux être simple salarié qu'élu du peuple.

12 janvier 1993

5 Emile Vernaudon, maire de Mahina, président du parti Ai’a api.

6 Allusion à l’occupation de l’assemblée territoriale en 1992.

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Statistiques

Je le crois pas. On vit vraiment une époque formidable. Après l'histoire d'Emile (qui n'est sûrement pas finie), aujourd'hui on a l'affaire ITSTAT. Que je vous narre, ça vaut le coup. La semaine dernière, comme d'habitude, nous avons reçu le bulletin statistique bimestriel. Un document tout ce qu'il y a de plus officiel. Pensez, l'ITSTAT est directement rattaché au ministère des Finances.

Surprise ! Malgré tout ce qu'on nous disait sur la crise, la récession, le désengagement de l'État, le document nous montre des graphiques partout en hausse. Il comporte en plus un dossier sur l'agriculture polynésienne qui serait florissante, je vous dis pas comment.

Nous, on fait notre boulot de petits nonos bien dressés et on interroge. Réponse confuse. Il y aurait « quelques erreurs dans les graphiques ». Et c'est vrai. Si l'on prend les chiffres et qu'on les compare avec les courbes correspondantes, ça ne colle pas du tout. En fait, ils sont tous faux.

Un comble !

Maintenant, ce sont les données du dossier agricole qui sont contestées par l'opposition. Celle ci n'hésite pas à affirmer qu'elles ont été truquées. Les explications de l'ITSTAT à ce sujet ne sont d'ailleurs guère convaincantes.

Mais où on va là ? Si l'on se met à manipuler les chiffres pour nous faire voir la vie en rose, il faudrait peut être y mettre un peu plus de subtilité. De toute façon, erreur ou truquage, dans les deux cas, c'est inadmissible.

janvier 1993

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Secret

Je trouve ça vraiment bizarre le secret minutieux qui entoure le Pacte de progrès. Voilà un document devant servir de base au développement de la Polynésie et à son sauvetage économique pendant au moins dix ans, il intéresse donc tout le monde au plus haut point. On est bien loin de l'euphorie de la Charte de développement pour laquelle, il faut bien le reconnaître, on avait bénéficié d'une transparence totale.

Aujourd'hui, il est quasiment impossible d'obtenir la moindre indication ni sur le contenu du Pacte ni sur son financement.

À quelques jours du départ de la délégation polynésienne à Paris pour négocier avec le ministre Pensec7, on ignore même la composition exacte de cette délégation.

Il serait pourtant bien normal que les Polynésiens soient tenus informés de l'avancement de ce dossier capital (le haut commissaire ne cesse de le souligner). On veut sans doute éviter de les laisser fantasmer sur des projets qui ne pourraient pas finalement voir le jour faute de moyens. En effet, s'il est relativement facile d'établir une liste des besoins du territoire (et encore, il y en a tant), leur financement est beaucoup moins évident. Avec un déficit budgétaire de près de 250 milliards de FF (environ 4 500 milliards de Fcfp)8, l'État ne peut plus se permettre la moindre folie. D'un autre côté, me direz vous, à ce niveau là, quelques milliards de plus ou de moins.... 14 janvier 1993

7 Louis Le Pensec, ministre socialiste des Dom-Tom. 8 38 milliards d’euros.

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Querelles

On ne sait plus très bien. Le Pacte de progrès est il réellement la planche de salut de la Polynésie française après la disparition de la rente atomique, comme on ne cesse de nous le répéter depuis des mois, oui ou non ?

Si oui, on est en droit d'être surpris pour le moins par le niveau de la séance extraordinaire de l'assemblée territoriale censée apporter le soutien solennel du peuple polynésien à la délégation qui doit, la semaine prochaine, négocier avec la France ce contrat si vital. Extraordinaire, elle l'était sans aucun doute par les scènes auxquelles on a pu assister. Sûrement pas par la qualité des débats. Si la classe politique a perdu toute espèce de contrôle sur elle même pour éviter d'étaler ses querelles internes jusqu'en des instants aussi historiques pour le pays, nous avons un grave problème.

Et je ne parle même pas de la tenue des conseillers. Ils se mettent sur leur trente et un à la moindre occasion, pour le moindre petit ministricule de passage, et hier, alors que le sort du pays était en jeu, aucun n'a fait le moindre effort pour marquer le coup. Je vous dis, on peut se poser des questions. Naturellement, une cravate n'a jamais rien changé sur le fond, mais tout de même. Un peu de rigueur vestimentaire montrerait que l'on accorde à l'événement toute l'importance qu'il mérite.

Alors, finalement, cette séance d'hier, quelle valeur avait elle ?

Et le Pacte de progrès, c'est quoi au fond ?

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16 janvier 1993

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Rentrée

Les vacances sont finies. Hier, il fallait reprendre le chemin des écoles. Un mois de liberté, en plein milieu d'année, on peut se demander si ce n'est pas un peu long, s'il n'y a pas de quoi démobiliser complètement les élèves ?

Ce n'est, en tout cas, pas l'avis de tout le monde. Les jeunes, eux, pensent généralement qu'un mois, c'est beaucoup trop court. Une petite copine qui n'avait pas trouvé le temps de faire le devoir qu'elle devait rendre hier, jour de la rentrée, m'a expliqué.

« Tu vois, m'a t elle dit, les vacances font quatre semaines. La première, on est content, on se repose, on ne va tout de même pas travailler. La deuxième, il y avait les Fêtes, Noël et tout ça. Comment veux tu faire quoi que ce soit ? La troisième semaine, il fallait bien se reposer de toutes ces fêtes et puis profiter des cadeaux et des rencontres. Enfin, la dernière semaine, c'est celle des préparatifs. On fait les courses. On se prépare psychologiquement à la rentrée et on fait la fête autant qu'on peut parce qu'on sait qu'après on ne pourra plus. »

Logique imparable, vous ne trouvez pas ?

La conclusion s'impose : impossible de faire le devoir. Par contre, je ne sais pas si le prof de ma copine a apprécié le raisonnement. À moins qu'elle n'ait réussi à persuader un de ses collègues, plus prévoyant, de lui glisser, in extremis, de quoi rendre une copie acceptable. Oh, pour ça aussi on peut lui faire confiance. Elle a des arguments intéressants.

janvier 1993

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Bernés

Je m'en doutais. Je vous l'avais dit plusieurs fois d'ailleurs. Le Pacte de progrès, avec toute cette confusion et tout ce secret autour, avec toutes ces escarmouches entre le haut commissaire et Gaston, ça ne me paraissait pas catholique et plutôt mal parti. On comparait ça aux Accords de Matignon pour la Nouvelle Calédonie. Oui, mais pour comparer, il faut que ce soit comparable. Depuis des mois qu'on nous balançait le Pacte de progrès à tout bout de champ, pas une information sérieuse ni sur son contenu, ni surtout sur son financement. Vous trouvez cela normal vous ? Moi, pas. Maintenant, on est fixé.

Malentendu ou bluff. Je le dis tout net. Je crois qu'on a été berné. Le gouvernement central a t il jamais eu vraiment l'intention de faire en Polynésie ce qu'il a fait pour la Nouvelle Calédonie ? Le résultat des premières négociations semble bien prouver que non. D'ailleurs, il n'en a plus les moyens. Pensez, déjà un déficit budgétaire de près de 5 000 milliards de francs CFP. Difficile d'en rajouter.

Le plus bluffé c'est sûrement Emile à qui l'on a fait croire qu'il aurait son propre pacte et ses milliards à rapporter triomphalement à Tahiti. Du coup, le voici rallié à ceux qu'il traitait de tous les noms il n'y a pas une semaine. Ça, au moins c'est une bonne chose.

Mais maintenant, qu'est ce qu'on fait ?

Ah oui, le slogan c'est : « Mars et ça repart ! ».

20 janvier 1993

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Nids de poules

Je ne voudrais pas avoir l'air d'insister lourdement, mais les nids de poules des rues de Papeete ça commence à bien faire. Ça fait même des victimes. Ils deviennent si larges et si profonds qu'ils constituent maintenant un véritable danger pour la population. La capitale de la Polynésie est en train de ressembler peu à peu à Beyrouth ou à Sarajevo (Dieu merci, les bombes en moins). Pratiquement, seuls le front de mer et la rue du Général-de-Gaulle (l'artère principale de la ville) méritent encore le qualificatif de carrossables. Pour le reste, c'est l'enfer.

Dans certains endroits, il va bientôt falloir un 4x4 pour passer, les voitures normales ne pourront plus circuler. Et je ne parle pas de quartiers reculés ou défavorisés. Les dégâts sont là, en plein centre ville. Prenez la rue Dumont d'Urville, le virage avant d'arriver au pont de l'Est par exemple. Et la rue Lagarde. Ah, la rue Lagarde, un vrai chef d'œuvre d'horreur de haut en bas. Oh, je ne vais pas toutes les citer, elles sont trop nombreuses. En fait, c'est partout. Mais quoi, qu'est-ce qu'on attend pour rendre à Papeete une allure décente ? Notre ville n'a plus rien pour susciter l'admiration. Les pays voisins, désormais, n'ont plus rien à nous envier. Et quand je pense qu'on a eu le culot de faire des démonstrations de revêtement routier au roi de Tonga.

Oh, pour ça on a sûrement d'excellentes techniques. Encore faudrait il les mettre en pratique. 21 janvier 1993

Piqûres de nono

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Millionnaire

Vous avez vu, à la télé ? Le Millionnaire spécial Polynésie. Ils avaient bien fait les choses avec les lots sur la roue en francs Pacifique et tout.

On a eu notre premier gagnant à vingt millions. Faut dire que, déjà, on est avantagé ici. Eh oui, normalement le gros lot c'est un million de francs français (c'est d'ailleurs pour ça que ça s'appelle le Millionnaire). Mais transformé en francs CFP ça fait dix-huit millions et quelque. Pas très sérieux. Alors, ils n’ont pas été chiens à la Pacifique des Jeux, ils ont simplement arrondi à vingt millions. De toute façon, c'est pas tous les jours que quelqu'un va les gagner.

En tout cas, cette fois, un Tahitien a pris le gros lot. Il était drôlement ému, et nous aussi. Ça fait plaisir de voir de temps en temps la chance se pencher sur de petites gens toutes simples. Il faut aussi reconnaître que ceux qui font le plus de pub pour Tahiti en France en ce moment, c'est bien le Loto et le Millionnaire. D'un côté les Français entendent parler plus souvent de Tahiti et ça leur donnera peut-être l'envie de venir passer leurs vacances chez nous. D'un autre côté, ça permet à des Tahitiens qui ne seraient jamais allés en France de connaître le pays et peut être de mieux comprendre les choses. Il n'y a rien de tel que de se rendre compte par soi même.

Finalement, tous ces jeux ont leurs inconvénients, mais ils ont aussi leurs bons côtés. Et pas seulement pour ceux qui gagnent.

janvier 1993

Piqûres de nono

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Échec scolaire

En Polynésie française, l'échec scolaire est un véritable fléau risquant de compromettre tout le développement du pays. Grosse affaire sur laquelle des dizaines de têtes pensantes se sont penchées très sérieusement. On a tout dit sur les causes de cet échec. On a fait des rapports, des centaines de réunions et même une Charte. Toutes les solutions ont été envisagées ou presque et des centaines de milliards de francs ont été dépensées. Sans succès jusqu'à présent. L'enfant polynésien s'entête à ne pas aimer l'école.

Et si, au lieu de chercher midi à quatorze heures, si au lieu de gaspiller l'argent dans des études tarabiscotées on l'avait utilisé avec un peu de bon sens? Au fond, l'écolier polynésien n'a t il pas tout simplement trop chaud ?

Essayez d'imaginer la motivation des enfants (et même celle des maîtres d'ailleurs) quand il fait 40° dans une salle. Tous ceux qui planchent dans leurs bureaux climatisés sur les raisons de l'échec scolaire, on devrait les faire passer une semaine de janvier dans les classes. Bien poisseux, transpirant de partout, respirant la poussière dans le bruit des enfants surexcités, ils comprendraient vite.

Tiens, en métropole, enlevez le chauffage dans les écoles. Laissez les mômes se les geler par 10° et on verra si l'échec scolaire ne fait pas un retour spectaculaire. Faut être sérieux.

Moi je dis, réfrigérez les écoles polynésiennes. Vous aurez des élèves plus attentifs et des maîtres motivés.

Piqûres de nono

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janvier 1993

Distances

C'est pas croyab’ ce que les gens peuvent parler sans réfléchir parfois. Tenez, prenez la distance entre Tahiti et Paris. Je n'arrête pas d'entendre les chiffres les plus loufoques à ce sujet. Les gens oublient que la Terre est ronde (mais si, je vous assure) et qu'elle fait quarante mille kilomètres de tour. Ça veut dire que vous ne pouvez jamais être à plus de vingt mille kilomètres de distance de n'importe quel point. Après ça, si vous continuez à vous éloigner, ben vous vous rapprochez.

C'est tout bête, n'est ce pas ? Alors pourquoi entend t on si souvent des inepties du genre : « Pensez, Madame Tetuanui, quand on est à vingt-quatre mille kilomètres on ne s'intéresse pas à nous. » ? En réalité, de Tahiti à Paris, il y a moins de seize mille kilomètres. Ça vous en bouche un coin, non ? Vous pouvez vérifier. C'est tout ce qu'il y a de plus vrai.

Vous voyez, moi, avec un petit peu de bon sens, je vous ai déjà fait gagner huit mille kilomètres en moins de deux. Plus que la distance entre Tahiti et Los Angeles qui n'est que de six mille sept cents kilomètres.

Tout ça pour vous dire que les distances c'est avant tout affaire de point de vue et c'est surtout l'idée qu’on s'en fait. Une fois que l'habitude est prise, pas évident de changer d'avis. Pour le Pacte, c'est pareil, ils étaient convaincus d'être à des années lumière les uns des autres. Alors, forcément, ça ne pouvait pas marcher. Il a suffi qu'ils se frottent un peu les yeux, qu'ils se rappellent qu'au fond, nous sommes tous sur la même galère...

Et tout de suite ça a été mieux.

Piqûres de nono

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janvier 1993

Taparu

C'est un malin Gaston, y'a pas à dire. Il a déjà réussi à taparu9 six milliards aux socialistes. Faut pas oublier les fameux 3,2 milliards déjà inscrits au contrat de plan et l'on n'est pas loin des dix milliards qu'il voulait au départ. D'un autre côté, les socialistes savent qu'ils ne seront plus là dans deux mois. Alors, qu'est ce que ça pouvait bien leur faire d'agrandir le trou dans la caisse ? Au contraire. Comme ça, la droite aura encore plus de problèmes après les élections.

En tout cas, on a eu chaud. On commençait à se demander comment boucler l'année. Avec ces 9,2 milliards, on devrait se sentir mieux. Même les campeurs de Rivnac10 et de Tarahoi11 ont le casse croûte assuré.

Mais, attention, le problème n'est pas réglé. Faut pas se faire d'illusions. Les essais ne devraient pas reprendre de sitôt, malgré les promesses de Sarkozy12. Les écolos, qui représentent 15 à 17 % des voix en France, en font une question de principe. De plus, rien ne justifie actuellement une reprise d'un point de vue international. Enfin, avec le déficit énorme de l'Etat et la crise économique, ce n'est vraiment pas le moment de gaspiller l'argent.

Alors, qu'est ce qu'ils vont nous trouver ? Il y a la contribution de solidarité un joli nom bien propre pour nous faire avaler un nouvel impôt mais ça ne suffira sûrement pas. C'est juste histoire de déshabiller Pierre pour habiller Paul.

C'est pourquoi je me permets de poser une nouvelle fois la question : le Pacte de progrès, c'est quoi au fond ?

27 janvier 1993

9 Chaparder, taper.

10 Site de l’hôtel Méridien, pointe des Pêcheurs à Punaauia (Rivnac). Le projet avait provoqué la colère des riverains qui l’occupèrent, soutenus par l’opposition politique.

11 La place Tarahoi, au centre-ville de Papeete,.

12 Nicolas Sarkozy venait d’effectuer une visite à Tahiti pour soutenir Gaston Flosse dans la campagne des élections législatives de 1993.

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Piqûres de nono

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La reine du printemps (temple Kanti, Papeete) Michel Buillard, ministre de la Santé, célèbre le Nouvel an chinois

Culture chinoise

Il paraît que les jeunes Chinois ne s'intéressent plus à leur culture. Chaque année, quelques rescapés s'efforcent de la faire revivre. Ils y mettent toute leur énergie et le résultat est là. Mais, le problème, c'est qu'ils sont de moins en moins suivis. Les jeunes préfèrent une “sous culture” occidentale, faite de hamburgers, de séries télévisées et de 4x4. On appelle ça l'intégration.

Je trouve ça triste. Cette intégration-là, c'est plutôt la fusion dans la médiocrité. Oh, bien sûr, ce n'est pas de leur faute à ces pauvres petits. Qu'est ce qu'on leur proposait en échange ? Quelques vieux grimoires auxquels ils ne comprenaient rien. Quelques anciens préceptes souvent dépassés et beaucoup trop contraignants. Le tout formant une “culture” elle même déjà dévalorisée par l'éloignement de sa source ou le manque de moyens et de vitalité. Et puis, autrefois, il y avait beaucoup plus urgent que la culture. Il y avait la survie. Et la fusion dans la société locale était souvent l'unique solution. Aujourd'hui, il serait dommage que l'apport chinois à la société polynésienne disparaisse. Mais, le plus important, ce n'est ni la langue, ni les danses ou l'art (qui sont bien sûr très respectables), c'est plutôt les qualités individuelles ou collectives, l'esprit d'entreprise, le courage professionnel, la réussite. C'est surtout cela dont la Polynésie peut bénéficier tout entière et que les jeunes ont le devoir de perpétuer.

28 janvier 1993

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Piqûres

Contents

Ils sont rentrés13. Leur avion avait un gros retard et l'on s'inquiétait. Finalement, on a appris qu'ils avaient fait escale à Las Vegas. Soidisant qu'il y avait trop de brouillard à Los Angeles. Du coup on s'est inquiété encore plus. Qui sait ? Après les tensions d'une semaine parisienne particulièrement active, ils auraient pu vouloir se prendre un peu de bon temps avant de rentrer. Et peut-être essayer de doubler la mise. Le pilote n'aurait pas pu refuser. Ils avaient des arguments bien trop convaincants.

Je vais vous dire, vu la mine qu'ils avaient à l'aéroport de Faa'a, ils n'ont pas dû tout perdre. Au contraire. Ils étaient tous là à s'embrasser à qui mieux mieux, à se taper dans le dos. Même Emile a eu droit aux colliers et aux bisous. Fallait voir. Y’a pas à dire, ils sont contents.

Mais je les comprends. On l'a échappé belle, vous savez. C'était moins une qu'on se retrouve dans la panade. Maintenant, on est à peu près rassuré. Il paraît même qu'on va avoir un beau budget tout neuf, bien équilibré et tout. Je me demande encore comment les socialistes ont pu faire un tel cadeau à Gaston à quelques semaines des élections.

En tout cas, il y avait un absent à l'aéroport hier. C'était le haut commissaire, Michel Jau, resté à Paris. Le temps sans doute de régler quelques comptes.

Le bruit court même qu'il pourrait ne pas revenir du tout.

Les voies du Seigneur sont impénétrables.

29 janvier 1993

13 Il s’agit de la délégation polynésienne, menée par le président Gaston Flosse, en mission à Paris pour négocier le Pacte de progrès avec les représentants de l’État. Les socialistes gouvernaient la France. François Mitterrand était président de la République et Pierre Bérégovoy, Premier ministre.

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Cauchemar

On vit une époque, je vous dis pas. On nage en plein délire (à moins que ce ne soit en plein cauchemar).

Place Tarahoi, au centre ville de Papeete, on plante du manioc. À Rivnac, on s'enchaîne aux arbres. À l'assemblée territoriale, n'importe qui peut devenir conseiller grâce au système d'ascension automatique qui provoque les situations les plus rocambolesques et parfois les plus scandaleuses. Les inculpations d'élus et de responsables administratifs ou privés ne se comptent plus (et ce n'est pas fini). La ville de Papeete est dans un tel état de délabrement et d'abandon qu'elle semble avoir été dévastée par une guerre civile. Le viol est une affaire courante (voyez les Assises le mois prochain). Sur la route, c’est l’hécatombe, on roule n'importe comment, sans lumière, à gauche, on ne respecte même plus les feux rouges (qui de toute façon ne fonctionnent généralement plus). La culture est sinistrée. L'agriculture est sinistrée. L'éducation ne va guère mieux...

Vous voulez que je continue ? Je me demande comment on peut encore avoir l'audace et même l'envie de se présenter à une élection dans de telles conditions. Et pourtant, ils sont toujours aussi nombreux et d'ailleurs ce sont toujours les mêmes. C'est sûrement machinal chez eux. Une vieille habitude.

Quand je pense à ça, je me dis que ce n'est pas surprenant qu'il ait été aussi difficile de soutirer quelques malheureux milliards à l'État qui vient d'en accorder sans problème une bonne trentaine à la Nouvelle-Calédonie.

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Piqûres
5 février 1993

Paka

On prend peu à peu conscience de l'étendue du phénomène pakalolo14 en Polynésie.

Cela faisait déjà des années que l'on entendait des phrases du genre : “Oh, à Tahiti, tout le monde fume.” Maintenant, c'est vrai. L'importance des saisies le prouve. Tout le monde, ou presque, fume, oui. Régulièrement ou occasionnellement, à tout âge et de haut en bas de l'échelle sociale. La culture est aujourd'hui une source de revenus importants jamais comptabilisés dans les statistiques économiques. Les prix sont fixés très haut, notamment en raison des risques liés à l'interdiction. Pourtant, si l'on en juge par les peines infligées par les tribunaux, ces risques sont limités.

La justice ne peut en effet pas grand chose contre une telle explosion. Les prisons seraient très vite surpeuplées et ingérables si l'on s'avisait d'appliquer la loi dans toute sa rigueur. En moins de vingt ans, le pakalolo s'est si bien adapté à la Polynésie qu'il semble avoir toujours fait partie du paysage. Il plaît. Ses adeptes lui restent fidèles sans jamais passer à d'autres substances plus dures, ce qui a tordu le cou au vieux poncif de l'escalade fatidique.

Il n'en reste pas moins que si le paka n'est, en principe, pas vraiment dangereux, il peut le devenir en cas d'abus ou de mélange, avec l'alcool notamment. C'est pourquoi, il est si inquiétant de le voir se répandre dans les écoles.

3 février 1993 14 Cannabis.

Piqûres de nono

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Fa-sci-nant

Dans la série “surréalisme au quotidien” ou bien “on n'arrête pas le progrès”, en voici une qui n'est pas piquée des vers. À quelques semaines des élections législatives, les divers mouvements politiques se lancent en campagne. Ils convoquent la presse pour présenter leurs candidats et annoncer leurs programmes de travail.

Les Démocrates chrétiens et socialistes (rien que ça), eux, ils convoquent la presse pour clamer haut et fort... qu'ils n'ont rien à dire. Ils nous informent qu'ils ne présentent aucun candidat et ne donnent aucune consigne de vote à leurs sympathisants.

Admettez que, dans le genre, on ne peut guère faire mieux. Ah, j'oubliais : ils n'ont aucun programme et affirment simplement qu'ils veulent laisser la majorité faire son travail... ainsi, du reste, que tous les autres.

Etait ce bien nécessaire de créer un parti politique pour cela ?

Enfin, ce que j'en dis... Après tout, ils ne font pas de mal ceux-là. Si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que les déclarations des mouvements dits sérieux, ne valent parfois guère mieux. C'est langue de bois et compagnie. Quelque chose comme : « Votez pour nous, tout ira comme sur des roulettes et ça ne vous coûtera pas un sou » ou encore « Si vous nous réélisez, nous vous promettons d'être plus efficaces que la dernière fois ». Vous voyez le genre.

Ah, la politique, ma brave dame, c'est vraiment fa sci nant.

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Piqûres
6
février 1993

Céran Jérusalémy

Piqûres de nono

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Léon

Grand Yaka

Rien ne va plus au Ai'a Api15. La candidature “sauvage” de Céran16 aux élections législatives sur la côte ouest, annoncée samedi matin, c'est un sacré pavé dans la mare du Shérif17 . Pourtant, comme il le rappelle, le comité directeur, dont Céran fait partie, avait pris sa décision la semaine d'avant à l'unanimité.

Alors que s'est il passé ? Pour moi, c'est clair. Léon, il a été vexé qu'on mette Dehors18 devant lui sur la liste. Il n'a pas voulu le dire pendant la réunion, mais ça lui est resté en travers de la gorge. Maintenant, ils sont bien embêtés à Mahina. C'est pas qu'il ait une assise populaire formidable Léon, mais il est actif et puis surtout, il a des sous. C'est utile en campagne électorale les sous. Même qu'Emile a fait quelques remarques sur les sous de Léon, comme quoi ils auraient une odeur. Vous voyez l'allusion.

C'est pas très gentil. Et puis l'argent n'a pas d'odeur, c'est bien connu. Il devrait le savoir Emile. Faut dire que lui, il plane un peu en ce moment, vous trouvez pas ? S'il continue comme ça on ne va plus le surnommer le Shérif mais “le Grand Yaka”. C'est vrai quoi, à l'écouter, la politique, c'est tout simple, à la portée de n'importe qui. Yaka faire ceci, Yaka faire cela et tout va baigner impec.

On l'aime bien Emile. Il est sincère et tout. Le problème c'est qu'il est mal conseillé. On lui ferait dire ou faire n'importe quoi, au risque de nous y mettre tous.

Alors, pour le coup, c'est là qu'on n'aurait plus qu'à lancer un SOS à Céran.

9 février

1993

15 Parti politique dirigé par Émile Vernaudon, maire de Mahina.

16 Léon Céran Jérusalémy, homme politique, était aussi chef d’une entreprise SOS de collecte et traitement des déchets.

17 Émile Vernaudon, surnommé ainsi quelques années auparavant après qu’il eut équipé la police municipale de Mahina à l’américaine.

18 Pierre Dehors, maire de Moorea.

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Dépression

Vous pouvez chercher, il n'y a plus un avion, plus un hélicoptère de disponible à Tahiti. Ils sont tous aux Tuamotu pour transporter les hommes politiques pressés de se rendre sur les lieux de la dépression.

C'est formidable une dépression en pleine campagne électorale. Ah, bien sûr, un cyclone, ç'eût été beaucoup mieux, avec un beau nom de femme et quelques milliards en plus à la clé. Malheureusement, cette fois, on n'a eu qu'une simple dépression anonyme, toute bête, qui n'a pas fait de morts (heureusement) mais tout de même assez de dégâts pour valoir le détour.

Mieux que rien, n'est ce pas ?

Y'a pas à dire, Mitterrand et Kouchner ont fait des adeptes dans le pays. Aujourd'hui, il faut bien le reconnaître, pour réussir en politique, il faut absolument que les médias vous montrent au milieu des souffrances populaires. Alors, une dépression, comme ça, à quelques semaines des élections, c'est du pain béni. Mais, dans tout ça, est-ce qu'on pense vraiment aux sinistrés ? Il y en a qui ont tout perdu sur certains atolls. Des fermes perlières entièrement détruites. Vous le saviez, vous, que pour qu'il y ait indemnisation et même remboursement par les assurances, il faut que les dégâts aient été causés par un cyclone ? Et qui est ce qui décide si le coup de vent qui vous a enlevé votre maison était un vrai cyclone ou une simple petite dépression anonyme ? Ça c’est une bonne question. 10 février 1993

Piqûres de nono

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Pronostics

Cette campagne électorale, moi je la sens pas. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je trouve qu'on n'a pas l'impression d'être à un mois seulement des élections19. Oh, bien sûr, ils font leurs réunions habituelles en ratissant depuis les îles éloignées pour se rapprocher peu à peu de Tahiti.

Je me demande quand même si vous êtes vraiment intéressés par ce genre de sport. On dit toujours que les élections nationales ne branchent pas les Tahitiens. En général c'est vrai. Pourtant, cette fois, le contexte est différent. La situation économique et politique, les affaires, la personnalité des candidats et les diverses alliances font de ces législatives une échéance importante.

Alors, peut on déjà faire des pronostics ? À l'Est, c'est marrant cela ne semble poser aucun problème. Quand vous posez la question, les gens ne doutent pas un instant que Gaston l'emporte sans difficulté. C'est pas très gentil pour Emile qui se donne beaucoup de mal. À l'ouest, du nouveau. Il y a tellement de candidats, que les jeux sont loin d'être faits. Les voix vont s'éparpiller au premier tour et l'on risque d'avoir des surprises. Les uns sont pour Juju, les autres pour Alexandre. Moi, je ne me mouille pas, mais les deux ont déjà été députés et, si l'on considère le bilan de chacun, le choix est facile.

L'important, c'est : à quoi ça sert un député et qui peut apporter le plus à la Polynésie ?

11 février 1993

19 Les élections législatives de mars 1993.

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Animation

Ça bouge en ce moment dans les rues de Papeete. Il était temps ! Cette pauvre ville, aux rues bientôt praticables uniquement en 4x4, aux espaces verts quasi inexistants et mal entretenus, dans laquelle le piéton pourrait se prendre pour Indiana Jones en plein milieu de la jungle, cette pauvre ville, disais je, retrouverait elle un semblant de vie ?

Heureusement, en effet, certains ne se laissent pas décourager par l'aspect lamentable de leur capitale. Elle est ce qu'elle est et l'on n'y peut rien. Alors, ce n'est pas que l'on se résigne à la fatalité, mais, au moins, on essaie de créer un peu d'animation dans cette cité fantôme. La semaine dernière, c'était la communauté chinoise qui faisait très fort avec le défilé des lanternes. La population a adoré. Il faut dire que c'était réussi (entre nous, la municipalité aurait quand même pu fermer la circulation pendant quelques minutes sur le parcours).

Cette semaine, c'est le coup de cœur du commerce. Ils sont très bien ces jeunes du BTS, il faut vraiment les encourager. Il y a aussi un groupe de musique antillaise le soir sur le front de mer. Bravo !

Mais ce n'est pas tout. Même la Marine s'y met. Vachement spectaculaire. Hier matin, on a pu voir devant le Fare Rata20 une escouade de jeunes gens armés jusqu'aux dents. Les sacs qu'ils étaient chargés de protéger devaient être bigrement précieux. Si ça se trouve, c'était les sept milliards du Pacte de progrès. En tout cas, ils ont mis une de ces ambiances... 12 février 1993

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Piqûres de nono

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Nom tahitien de l’Office des Postes et Télécommunications.

Saint-Valentin

Nous les amoureux... Je me rappelle, c'était une vieille chanson populaire quand les minettes me couraient encore après. Non, mais qu'est ce que vous croyez, il y en a encore qui ne me trouvent pas trop décrépit. C'est l'instrument qui sert à vous piquer tous les jours qui les fascine. De le tremper dans le vinaigre pour écrire mes petits billets, ça le tient dans une forme olympique. Les petits jeunots, ils peuvent toujours s'aligner. Je les attends, tiens. Demain, c'est la Saint-Valentin, la fête des amoureux. Moi, je crois que l'amour est éternel, c'est nous qui ne le sommes pas. On peut s'aimer à tout âge. On peut se trahir aussi à tout âge. Quand on se lance dans les aventures, au début on n'y pense pas. On croit que le plaisir et le bonheur vont durer toujours sans qu'on ne fasse rien. Mon œil. Elles n'ont qu'à repérer un beau mec bien baraqué dans une chouette bagnole et ça y est, elles n'en peuvent plus. Qu'est ce que vous pouvez faire ? Je vous le demande. Pleurez, roulez-vous par terre, suppliez-les de ne pas partir, elles s’en fichent pas mal. Elles sont déjà ailleurs, bien au chaud dans les bras du beau mec bien baraqué.

Mais ça, c'est la vie. On le sait bien. C'est comme ça depuis le début et ça ne changera jamais. Ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas offrir des fleurs (ou autre chose) à votre chérie. On ne sait jamais, elle pourrait se dire qu'après tout, vous n'êtes pas si mal que ça.

Allez, bonne Saint Valentin.

février 1993

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Miss Marquises et Miss Tahiti 1993

Miss

Les Miss s'expriment. C'est nouveau.

D'habitude, une Miss c'était : “Sois belle et tais toi”. Fallait voir les réponses quand les journalistes les interrogeaient après leur élection. Du genre : “Quel est votre auteur préféré ?”.

Et la jeune beauté de répondre : “1m 80”. L'angoisse... !

À ce qu'il paraît, les demoiselles bien sous tous rapports ne veulent plus être Miss. Elles en ont assez d'être traitées comme du bétail et de participer à de simples étalages de viande fraîche. C'est grave, vous savez. On ne va plus trouver de candidates. Ou alors, il faudra baisser le niveau, prendre n'importe qui. Les choisir de plus en plus jeunes, avant qu'elles ne commencent à réfléchir. Parce que même en les alléchant avec des lots de plus en plus nombreux et précieux, ça ne marche plus. Ce qu'elles veulent, c'est qu'on les respecte. Et elles ont bien raison.

Ce serait pourtant dommage que les élections de Miss disparaissent. Voir défiler de belles jeunes filles dans de magnifiques tenues, et surtout sans tenue du tout (ou presque), il faut reconnaître qu'il n'y a guère de spectacle plus agréable, surtout à Tahiti. Mais ces élections devraient aller plus loin. Elles devraient permettre de dénicher les jeunes filles non seulement les plus belles, mais aussi les plus douées de leur génération et ainsi les aider à se lancer dans la vie avec les meilleures chances.

Pour cela, il faudra sûrement inventer une nouvelle formule mieux adaptée à la femme d'aujourd'hui.

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février 1993

Piqûres de nono

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Oscar Temaru et Jean-Marc Pambrun s’opposent à la construction de l’hôtel Méridien à Rivnac

Guignol

J'y comprends plus rien. Rivnac, on en parle sans arrêt. Depuis des mois, le terrain est occupé et tout le monde peut voir que les gars de Faa’a sont là avec les occupants pour empêcher la construction de l'hôtel. Il y a les camions et le matériel de la commune avec les inscriptions Mairie de Faa’a. On a même vu Oscar s'enchaîner aux arbres quand il a cru que les gendarmes allaient venir les déloger. Alors, maintenant, quand il dit (ou son avocat, c'est pareil) que c'est pas vrai, qu'il a rien à voir là-dedans, je le trouve un peu léger. Ça veut dire que ses gars ont le droit d'utiliser l'équipement de la commune comme ça, à titre personnel, pour aller mettre la bisbille dans les communes voisines et sans qu'il le sache ? Mon œil. Je le crois pas.

Je trouve que tout ça c'est du cinéma et à grand spectacle encore. On vous construit un prétendu marae en espérant bien que les gendarmes viendront l'enlever pour qu'on puisse crier au viol de la culture ma’ohi. Mais de qui se moque-t-on ? On ne fera croire à personne qu'un marae c'est ça, quelques pierres amenées d'on ne sait où et placées dans un endroit prétendument sacré. Dans la tradition, la vraie, on ne déplace pas les pierres comme ça et un lieu ne devient pas sacré simplement parce que certains l'ont décidé.

Toute cette affaire est en train de tourner au guignol. Il serait temps que l'on se montre un peu raisonnable et aussi que Punaauia cesse de laisser s'exprimer n'importe qui à sa place.

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47
Piqûres
17
février 1993

Réserve

Vous avez remarqué ? On ne voit plus le haut commissaire. Il nous a expliqué qu'il avait un devoir de réserve pendant un mois avant les élections. Qu'est ce que ça veut dire ? Qu'il ne doit plus du tout apparaître dans les journaux ou dans les manifestations publiques. Des fois que ce soit pris pour un coup de main électoral à untel ou untel.

C'est plutôt bien cet usage, je trouve. C'est vrai qu'on a vite tendance à tirer des conclusions. Mais Michel Jau, lui, il a interprété la règle à la lettre. Depuis le 13 février, on ne le voit plus nulle part. Les gendarmes qui commémoraient leurs morts pour la France en ont été pour leurs frais : il n'est pas venu. Au CESC21, pareil : pas de haut commissaire pour assister à l'élection du nouveau président. Il paraît même que Michel Jau refuse les invitations privées. Alors là, c'est vachement strict.

Moi, je vais vous dire, je crois que le haut-commissaire a vu le bon côté des choses et qu'il profite de cette obligation qui lui est faite pour prendre un peu de distance et de repos. Tout simplement. Et il a bien raison. Depuis son arrivée, il n'arrête pas de dire qu'il travaille. Il a aussi eu pas mal de soucis avec son Pacte de progrès, avec Gaston, avec Pensec et avec Rivnac. Alors il a bien le droit de souffler un peu cet homme, n'est ce pas ? 19 février 1993

21 Comité économique, social et culturel. Quatrième institution du Territoire de la Polynésie française qui rassemble des représentants de la société civile (employeurs, syndicats, associations, etc).

Piqûres de nono

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Requins

La pêche est une activité hautement sensible dans ce pays. À croire qu'elle génère des profits colossaux. Depuis la naissance de la Pomafrex22, en 1985, les rumeurs les plus variées ont circulé, émaillées de plusieurs procès en diffamation. Mais ce n'est pas tout. Il règne autour de ce secteur professionnel en général, une ambiance malsaine, nourrie de ragots et de jalousies, qui n'est guère favorable à un décollage harmonieux. Dans tout cela, la justice va tenter de faire la part du vrai et du faux, mais on peut désormais s'attendre à voir de nouvelles affaires remonter à la surface.

Décidément, la Polynésie est fâchée avec le développement. Les rares ressources qu'elle pourrait exploiter pour parvenir à un semblant de santé économique paraissent toutes marquées par une sorte de malédiction. Le tourisme, c'est une vraie galère. Plus il est urgent de le promouvoir et plus les résistances se durcissent. Les phosphates, on sait ce que ça donne. Les écolos ne veulent pas en entendre parler. La perle, on en fait tant et avec si peu de soin, que les lagons n'en peuvent plus et que les prix s'effondrent.

Et puis, il y a donc la pêche. Ah, la pêche ! On n'entend que ça depuis quelque temps. Manque de pot, là aussi rien n'est simple. Les accords de pêche internationaux sont tous au point mort. Et sur le plan local, on est plutôt en eau trouble et le poisson le plus commun semble bien être le requin.

20 février 1993

22 Société de commercialisation du poisson ayant donné son nom à une affaire politicofinancière ayant défrayé la chronique à cette époque.

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Ligne droite

Dernière ligne droite. Dans trois semaines, ce sera le premier tour des législatives. Dans les starting blocks, neuf candidats à l'ouest et six à l'est. Oui, six seulement dans cette circonscription où nul ne viendra perturber le duel Flosse Vernaudon. Autant dire que les autres candidatures sont de pure forme et ne permettront que d'évaluer l'audience politique de tel ou tel.

À l'ouest, c'est différent. Les jeux sont plus ouverts et l'éparpillement des voix pourrait provoquer des situations inattendues. Le tiercé Alexandre, Juju, Oscar semble néanmoins acquis. Mais dans quel ordre ?

Le premier bénéficie d'un excellent bilan et d'une bonne expérience. Les électeurs y seront ils sensibles ? Pas sûr. Cette élection nationale a plus que jamais des enjeux locaux.

Juju ? S'il gagne, ce sera à 100 % grâce à Gaston. Voyez ses réunions publiques. Des parodies. Il est isolé au milieu de toutes les grosses têtes du Tahoeraa, soutenu à bout de bras et on lui souffle tous ses discours.

De toute façon, Juju, s'il est élu, cumulerait trop de mandats. Il faudrait qu'il choisisse. S'il restait député, il lui faudrait abandonner son poste à l'A.T. ou à la mairie de Papeete et vivre à Paris la plus grande partie du temps. S'il démissionnait, il faudrait refaire de nouvelles élections dans les trois mois. Où est l'astuce ?

Et Oscar ? Il pourrait profiter de la bisbille entre les deux anciens alliés devenus les pires adversaires.

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février 1993

Spécial inculpés

En ces périodes de guerre à outrance des tarifs aériens, vous savez quoi ? Les compagnies qui veulent absolument remplir leurs avions devraient lancer un tarif “spécial inculpés”. C'est étonnant qu'elles n'y aient pas encore pensé. Je peux vous dire que ça intéresse drôlement de monde. Avec tous ces dossiers dépaysés à Paris, ils sont obligés de voyager souvent. On pourrait même envisager un prix particulièrement attractif pour les allers simples. Pour les menottes, il y aurait un léger supplément.

Pourquoi pas non plus des tarifs “groupe” ? Non seulement pour les inculpés eux mêmes, mais je suis sûr qu'il y en a qui seraient tout heureux de se joindre à eux. Comme film, on leur passerait La Grande évasion avec Steve McQueen, Le Parrain avec Marlon Brando ou Les Douze salopards. C'est des vieux films, ça ne coûterait pas cher. Comme hôtesses, on pourrait utiliser les gendarmes. Et pour ce qui est du casse-croûte, du Pensec et de l'eau suffiraient largement.

Vous voyez ? Dans ces conditions, on pourrait tirer les prix au maximum.

J'imagine les pubs pour cette promotion spéciale : “Visitez Paris, son Palais de Justice, sa Chambre d'accusation. Nos prix comprennent les excursions chez le juge, mais l'avocat est en supplément.” Un peu comme au Millionnaire, sauf que là, c'est pas Risoli qui vous interviewe, mais Anzani23 . Et pour les lots, naturellement, plus ils sont petits, mieux ça vaut.

26 février 1993 23 Philippe Risoli, animateur du jeu Le Millionnaire à la télévision ; Martine Anzani, juge d’instruction auprès du tribunal de Paris, chargée des affaires politico-financières polynésiennes dépaysées.

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Petits métiers

Le salon Entreprendre a ouvert ses portes hier à Pirae. Voilà une initiative qu'elle est bonne ! On parle sans arrêt de chômage, de problèmes d'emploi et tout le reste. Avec tous ces jeunes, ma bonne dame, qui traînent dans la rue du matin au soir que c'en est une vraie graine de drogués et de voyous.

Il fallait faire quelque chose. Bravo !

Mais, créer une entreprise, c'est pas si facile. On nous le disait à la télé. Ici, en Polynésie, il n'y a pas beaucoup d'aide. On ne trouve pas facilement de locaux ni de terrains et les banquiers vous voient arriver avec une matraque cachée dans le dos.

Alors voilà, moi je vous propose quelques idées comme ça, de métiers où il y a un créneau intéressant à prendre. Oh, bien sûr, ils ne rapportent pas énormément, mais l'investissement est réduit au minimum, ils sont écologiques, pas trop fatigants et bien adaptés aux spécificités locales.

Voyons, on pourrait par exemple se faire journaliste à Nukutepipi, RPSMeur24 (il y a déjà les RMistes), éleveur de champignons à Moruroa, sniffeur de fumée à Tipaerui, mateur de motu, reboucheur de trous dans les rues de Papeete, guide pour touristes à Rivnac, ou encore (mon préféré) regardeur de coucher de soleil (à mi temps).

Qu'est ce que vous en pensez ? Je suis sûr que, vous aussi, vous avez plein d'idées de petits boulots qui pourraient aider à résorber le chômage dont souffre notre société moderne.

Envoyez les moi, je transmettrai.

27 février 1993

24 Le RPSMR était un régime de protection sociale en milieu rural gratuit, destiné aux agriculteurs et pêcheurs non-salariés. Il a donné lieu à de nombreux abus.

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Authentique

Il paraît que l'époque des palaces internationaux standardisés est révolue. Tout comme celle des clubs de vacances fermés sur eux mêmes.

Aujourd'hui, les touristes recherchent l'“authentique”.

Cultivons donc l'authentique, cette fleur admirable, si prisée des riches visiteurs étrangers. Notre tourisme pourrait alors relever la tête et devenir réellement ce qu'il n'est, pour l'instant, que dans les discours politiques, c'est-à-dire la base de notre développement économique.

Dans la série (bientôt célèbre) des bonnes idées du Nono, voici quelques exemples de sites et attractions particulièrement authentiques et, jusqu'ici, insuffisamment exploités, que le monde entier nous envie et que les tours opérateurs pourraient avantageusement proposer à leurs clients assoiffés de vacancesvérité.

Que pensez vous d’une excursion sur la route de ceinture à 7h30 entre Paea et Punaauia, d’un séminaire sur la culture du manioc place Tarahoi, d’un week-end dans la vallée de Tipaerui, d’une séance à l'assemblée territoriale, d’une visite slalom des rues de Papeete (guidée par un spéléologue) et du quartier du marché (les pièces de cent balles sont fournies), d’un camera show à Rivnac (on pourra louer des chaînes pour s'attacher aux cocotiers) ?

Le soir, dégustation d'un steak frites aux gaz d'échappement sur le port. Et, pour clore le séjour, entretien à bâtons rompus avec un douanier.

Vachement authentique, non ?

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1er mars 1993

Grâce à Dieu

Les fêtes religieuses c'est vraiment super. Surtout quand elles ont le bon goût de tomber un vendredi. Je vais vous dire, heureusement qu'on les a, parce que c'est pas avec les fêtes civiles qu'on pourrait beaucoup souffler. Retirez du calendrier l'arrivée de l'Evangile, Noël, Pâques (celui là c'est le meilleur, on a le vendredi ET le lundi), l'Ascension, l'Assomption. Enlevez encore les commémorations de guerres (11 novembre, 8 mai) ou de révolution (14 juillet) et il ne vous reste plus qu'à bosser jusqu'à épuisement.

Enfin, grâce à Dieu (c'est le cas de le dire), nous avons quelques moments de répit. Les croyants, les religieux pratiquants ont ainsi la possibilité de se livrer à leur culte favori. Mais je peux vous dire que les autres en profitent encore plus. Dans un sens, c'est pas très juste. On pourrait réserver les fêtes religieuses à ceux qui y croient. Vous verriez alors les églises se remplir... comme par miracle. Mais bon, l'État, le Territoire et les patrons, ils sont quand même sympas, ils ne viennent pas vous contrôler si oui ou non vous allez à l'église les jours de fête religieuse.

Finalement, c'est surtout l'économie qui en bénéficie. Essayez de trouver une chambre libre dans les îles pour ce week end ou une place sur le ferry.

Et puis, le soir, les minettes, c'est pas réellement à l'office que vous allez les rencontrer. Les boîtes vont être pleines à craquer.

Faites moi confiance...

4 mars 1993

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Campagne

Je me demande pour qui je vais voter aux législatives. On voudrait bien un peu de changement, mais il n'y a pas vraiment de choix. Tiens, je regrette un truc. C'est de ne pas m'être présenté moi même. Après tout, des journalistes, il y en a qui ont réussi dans la politique, et des vedettes aussi. Alors une vedette du journalisme devrait avoir toutes ses chances. Vous ne croyez pas ?

D'abord, député, c'est sûrement super pour les gonzesses. Ça fait très chic et on est souvent à Paris. No problemo. En plus, je suis sûr que mes groupies seraient drôlement fières si j'étais élu.

Et puis, il y a un truc vachement bien quand même, c'est l'immunité parlementaire. En clair, ça veut dire que si vous faites des choses pas très réglos, vous ne risquez rien. Dans le cas où la police vous demande : “Où étiez vous le 30 février ?” et que vous n'étiez pas là où vous auriez dû être, il vous suffit de répondre : “Immunité parlementaire”.

Pratique, n'est-ce pas ?

Je vous aurais préparé une de ces campagnes. Moi, je m'en fiche des panneaux électoraux. J'ai la meilleure place. Tous les jours, à la Une du journal. Le seul petit ennui, c'est justement que je vous aurais ennuyé. Parce qu'alors, je sais pas si vous êtes comme moi, mais la campagne je la trouve particulièrement soporifique.

Allez, rassurez vous. De toute façon, c'est trop tard pour s'inscrire. Mais quand même, c'est un peu dommage. Je vous aurais proposé un de ces programmes particulièrement... piquants.

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Piqûres
6 mars 1993

Violence

L'enfance maltraitée n'a, malheureusement, pas de frontières et, encore moins de race. Des enfants sont martyrisés sous toutes les latitudes et quelle que soit leur couleur de peau. L'abominable série de viols de fillettes par leurs pères à laquelle on assiste actuellement avec la session d'assises met l'accent sur un phénomène très répandu, certes, en Polynésie, mais dont celle-ci n'a pas l'exclusivité. Coïncidence, la programmation de RFO nous a gratifiés mercredi soir d'une Marche du siècle25 dont le thème était justement l'enfance maltraitée. On s'est aperçu que la France n'est pas en reste pour ce qui est des mauvais traitements à enfants. Pourtant, si l'émission de Cavada était fort intéressante, elle nous laissait sur notre faim. La véritable question était : Comment des êtres humains peuvent ils torturer leurs propres enfants, la chair de leur chair ? La réponse nous échappe encore.

Alors, on dit la Polynésie et ses incestes, la Polynésie et ses viols. C'est vrai. Et le rôle des assises qui ont lieu cette semaine le prouve suffisamment. Mais on peut aussi se consoler en pensant que si les viols occupent la vedette aux assises, c'est parce que nous avons la chance en Polynésie de n'avoir que très peu de meurtres, de trafic de drogues dures ou de vols à main armée, bref toute cette violence qui gangrène les sociétés modernes.

Et ça, c'est une chance formidable...

12 mars 1993

25 Émission française d’information télévisée à succès produite et présentée par JeanMarie Cavada.

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Candidats

Ça c'est de la pub ! Avec ce nouveau système de vote une semaine avant la métropole, toute la France va avoir les yeux fixés sur nous. Oh, ce n'est pas que nos compatriotes puissent être influencés le moins du monde par les résultats des élections en Polynésie française. Mais tout de même, nous aurons été les premiers (pour une fois) à élire nos députés et dans le contexte de la campagne en France, les médias devraient, en principe, donner un sérieux coup de projecteur sur notre petit territoire.

Au fait, avez vous remarqué comment, au fil du temps, la campagne locale s'est, en fait, limitée sur la côte est à un duel entre deux hommes (Gaston et Emile) et sur la côte ouest à un débat institutionnel entre autonomie et indépendance ? Il y a les candidats “éligibles” et les autres. Il y a même le candidat fantôme. Celui qu'on ne voit jamais. Il est tellement timide qu'il n'ose même pas se montrer. Faut être sacrément fort pour faire une carrière politique dans ces conditions.

Comme d'habitude, en l'absence de sondages, bien malin qui peut faire des pronostics. Ça n'empêche pas qu'il y en ait tout un tas. Le problème, c'est que les pronostiqueurs ont tendance à prendre leurs désirs pour des réalités.

Allez, de toute manière, on n'a plus beaucoup à attendre. Ce soir, on saura déjà à peu près qui nous représentera au Parlement pendant les cinq prochaines années. En espérant qu'on fera le bon choix.

mars 1993

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Manifestation pour la moralisation de la vie publique menée par Emile Vernaudon

Folklo

Ce premier tour des élections est particulièrement riche en enseignements et en surprises. Je ne vais pas revenir sur les détails. Mais, pour résumer, qu'est ce qu'on a maintenant ? Un député élu à l'est. Gaston bien sûr. Le duel avec Emile n'a pas eu lieu comme prévu. La mécanique orange a super bien fonctionné et le président l'a emporté. Ric rac quand même, hein ? Faut pas l'oublier. Mais Emile, alors, la claque ! Il avait l'air de le prendre assez bien.

À l'ouest, c'est là que le duel va se passer. Notez, c'est normal. Les duels, ça se passe toujours dans l'ouest. On va avoir Big John Juju contre Bison émancipé, le chef de la tribu des Tavini. Tout à fait les cow boys et les Indiens, comme dans les films. Sauf que là, c'est quand même votre avenir et votre pognon qui sont en jeu.

En principe, on devrait avoir déjà une petite explication à la télé entre les deux adversaires. À condition qu'il n'y en ait pas un qui se dégonfle avant. Ce serait dommage, car ça promet. Quoique. Il y en a qui disent que les deux ne boxent pas dans la même catégorie.

Ce qu'on voudrait savoir, c'est ce que vont décider les candidats battus. Ils sont drôlement embêtés. Ils sont à la fois contre l'indépendance (enfin, c'est ce qu'ils disent presque tous) et contre Juju. Alors comment faire ?

Au fait, si Oscar passait, ce serait vachement folklo. Imaginez un peu la tête des députés quand il arriverait à l'Assemblée nationale en paréo et son chapeau à fleurs sur la tête.

mars 1993

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Cornélien

Quel pavé dans la mare ces résultats du premier tour. Aujourd'hui, tout le monde s'agite dans tous les sens. Ah ! des candidats, il y en avait. C'est pas croyab’. Je me demande s’ils pensaient vraiment avoir la moindre chance. En tout cas, ils ont réussi une chose, c'est à bien brouiller les cartes. Maintenant, il y en a un qui jubile, c'est Oscar. Il savait qu'il allait faire un bon score. Mais je crois qu'il a été encore plus surpris que les autres.

Quant à ses adversaires, les autonomistes, il faut déjà qu'ils se mettent d'accord et c'est pas facile. Pour les candidats malheureux, le plus souvent, choisir entre Oscar et Juventin, c'est comme choisir entre la peste et le choléra. Cornélien, le cas de conscience. Alors chacun le résout comme il peut. Emile, lui, n'a pas hésité. Direct chez Oscar. Le seul candidat propre qu'il dit. Bon ! Mais hier soir, il n'est pas passé à la télé comme prévu. Paraîtrait qu'il a dû aller à Moorea pour essayer de convaincre son pote Dehors. Peut-être que voter Oscar c'est pas tellement son truc à Pierrot. Céran, il a avalé la grosse couleuvre et appelle à voter Juju. Ça doit être dur vu toutes les plaintes qu'il a déjà déposées contre lui.

Alexandre aussi s'est fait une raison. Avec Juju, c'est pas le grand amour, tout le monde le sait. Mais bon, pour la bonne cause, qu'est ce qu'on ne ferait pas. En tout cas, Juju, il a drôlement bien joué. À présent, tous ceux qui sont contre l'indépendance sont obligés de voter pour lui.

18 mars 1993

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Chamboulé

Désolé pour ceux que la politique ennuie, mais les enjeux sont suffisamment importants pour que l'on fasse l'effort de regarder tout cela d'un peu plus près.

Avec cet affrontement Juju Oscar, et donc autonomie indépendance, tout est chamboulé. Le paysage politique est en train de se remodeler à vue d'œil. On assiste aux rapprochements les plus inattendus et les familles elles-mêmes se déchirent sur des prises de position politiques. Ainsi, chez les Céran, le père, Jean-Baptiste, appelle à soutenir Oscar tandis que le fils, Léon, quitte le Ai'a Api dont il était vice président, parce qu'il refuse la dérive indépendantiste de son parti.

Chirac annonce une révision du statut avec élection du président au suffrage universel et compétences territoriales accrues. À la fin, on aura une autonomie tellement proche de l'indépendance que les indépendantistes n'auront plus rien à revendiquer. Depuis le temps que Gaston réclamait cela, il aura fallu que le boulet passe si près pour que Paris accepte enfin de l'écouter. Comme quoi, dans un sens, Oscar lui a quand même rendu service.

Il y en a deux qui m'ont soufflé dans toute cette histoire. C'est Alexandre et Céran. Leur attitude dans la défaite les a grandis et ils ont pris ainsi une dimension politique qu'on ne leur a pas toujours reconnue.

Naturellement, on dira qu'ils n'ont pas lâché le morceau sans quelque compensation, mais même si c'est vrai, au fond, c'est ça la politique, non ?

mars 1993

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Alexandre Léontieff et sa compagne Maire

Prévenus

Vous avez vu, le Ai'a Api ? Boum ! Un vrai Big Bang. On retrouve des morceaux partout. Je me demande ce qui lui a pris à Emile et j'avoue que je ne comprends pas très bien où il veut en venir. Il appelle à soutenir Oscar, mais pas Tavini. Il fait voter pour le champion de l'indépendance, mais affirme qu'il faut continuer de travailler avec la France. L'homme, oui, ses idées, non. Comme si l'on pouvait dissocier les deux.

Si l'on commence comme ça, la politique, ça va pas être triste, je vous le dis. Il y aura ceux qui votent Flosse, mais pas Tahoeraa, Vernaudon, mais pas Ai'a Api, Léontieff mais pas Tiarama, etc. Le vrai délire.

Je crois qu'on est en pleine panique en ce moment. La performance d'Oscar au premier tour a fait l'effet d'un petit tremblement de terre. Les maisons solides ont tenu le coup, mais les termitées s'écroulent. C'est la vie...

C'est pas mal ce qui arrive. Depuis le temps qu'on disait qu'il faut absolument faire quelque chose, que ça ne peut plus durer comme ça, cette poussée des indépendantistes c'est finalement l'effet coup de balai. Parce que c'est toujours pareil. Si on les oblige pas à se bouger les fesses, ils font rien.

Alors, là, ils sont prévenus. S'ils ne font pas ce qu'il faut c'est à dire transformer réellement la société pour que chacun y trouve sa place il y en aura sûrement un autre de coup de balai. Et celui là, il risque de mettre du monde à la rue. 20 mars 1993

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Zizanie

Décidément, ces élections mettent la zizanie partout. Les partis politiques explosent et même les familles y perdent la paix. Voyez les Léontieff. Voilà deux frères tout ce qu'il y a de plus fraternels. Vous mettez Oscar au milieu et ils commencent à se disputer.

Alexandre, lui, il ne veut absolument pas de l'indépendance. Alors, il décide de mettre son mouchoir sur ses problèmes avec Juju et de le soutenir au deuxième tour. Mais Boris, qui est aussi le vice-président du parti d'Alexandre, dit qu'il n'est pas d'accord et qu'il faut voter blanc.

Tout cela fait un peu désordre à quelques jours seulement du scrutin et les électeurs risquent de ne pas s'y retrouver. Boris, il a vraiment mal choisi son moment pour manifester son désaccord. Il a sûrement ses raisons. Avec cette histoire d'Erima qui l'a opposé à Gaston, ça ne doit guère lui plaire de voir son frère s'afficher à nouveau auprès de lui. Et puis, vis-à-vis de ses opposants Tahoeraa et Here Ai'a au conseil municipal, ça la fiche mal.

Le problème, c'est que les enjeux désormais dépassent les petites querelles de clocher. Et là, une fois de plus, Boris n'est pas clair.

Depuis qu'il avait défilé avec Oscar et Emile en prônant l'émancipation, je crois que ça n'allait plus très bien avec le frérot. Va t on bientôt revoir le fameux trio bras dessus bras dessous ?

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Mettre

Il n'y a plus de limites à la pudeur dans le vocabulaire. Est ce que vous avez remarqué ? On ne peut plus rien dire maintenant. Tout est choquant, politiquement incorrect.

On ne doit plus dire bonne à tout faire mais “technicienne de surface”. On n'est plus aveugle mais “non voyant”, plus sourd mais “malentendant”. On n'est plus sous-développé, mais “en voie de développement”, ne dites plus vieux mais “personne âgée”.

Ça ne change rien à la réalité des choses, bien sûr. Les non-voyants ne voient pas mieux que les aveugles. Bref, on n'ose plus appeler un chat un chat. On va peut être appeler ça un félin domestique. Ça fait tellement plus chic. Vous pensez, un chat, quelle horreur ! Ça vous a de ces sous entendus insupportables pour des oreilles civilisées.

Le phénomène s'étend partout. Tenez, dans le domaine de la justice par exemple, le verbe “mettre” est en train de devenir une vraie vedette. Ainsi, lorsque la réforme sera applicable en Polynésie française, on ne devra plus dire inculper mais “mettre en cause”. Mais, avant de mettre en cause, il faudra d'abord “mettre en examen”. Au civil, il y a désormais des juges dont le rôle est de “mettre en état” les dossiers, c'est à dire de les préparer pour simplifier la tâche de celui qui jugera vraiment.

Tout ça m'évoque irrésistiblement un tout autre usage du verbe mettre. Le plus souvent, du reste, associé au verbe faire dans sa forme réfléchie. Si vous voyez ce que je veux dire.

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26 mars 1993

Perben

Tout le monde a eu faux. On n'arrêtait pas de nous dire que notre nouveau ministre ce serait Debré. Ou bien Wiltzer.

Finalement c'est Perben. Vous le connaissez, vous ?

Ça, c'est une surprise ! La principale de ce nouveau gouvernement. Brillant, le Dominique ! Quarante sept ans, plein de diplômes, secrétaire général adjoint du RPR. Le problème c'est qu'il ne connaît apparemment rien à l'outre-mer. Vous me direz, il apprendra. Avec une tête comme la sienne, il ne devrait pas avoir trop de mal. Il aura vite fait de comprendre. C'est peut être même un avantage, cette “virginité ultramarine”. On peut espérer qu'il nous sortira des solutions nouvelles, des idées originales.

Et puis, c'est un proche de Chirac. C'est bon pour nous ça. En principe, il devrait nous chouchouter. D'autant plus que les Antillais ont déjà leur ministre pour s'occuper d'eux. C'est vrai. Lucette Michaux-Chevry, de la Guadeloupe, succède à Bernard Kouchner à l'Humanitaire.

Finalement, Gaston n'a rien. Balladur lui aurait, paraît-il, proposé quelque chose. Mais il a refusé. C'est sûrement mieux ainsi, allez. Il a assez à faire à Tahiti, vous ne trouvez pas ?

Ah, il y en a encore un qui nous intéresse directement, c'est Léo. Mais si, voyons, Léotard. Ils lui ont donné la Défense. C'était un poste qu'il voulait déjà en 86 mais Tonton avait dit niet. Il le trouvait trop jeune et trop impulsif pour le laisser jouer avec la bombe. Cette fois, il l'a eu. Mieux vaut Léotard que jamais.

31 mars 1993

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Vieille coutume

Alors, celle là c'est la meilleure. À Tahaa, pendant les élections, ils relèvent le tissu des isoloirs pour avoir plus d'air. C'est ce que Monil26 et Norbert ont expliqué au juge qui les a inculpés pour fraude électorale et violation du secret du vote.

Ils manquent d'air à Tahaa. Il doit faire tout spécialement chaud là bas. D'ailleurs, ça a dû leur taper sur la tête. Je me demande s'ils font la même chose dans les douches des filles ? Je veux dire les laisser ouvertes pour les aérer.

Entre nous, je trouve qu'ils n'en manquent pas... d'air pour trouver une défense pareille. C'est comme pour les coutumes. Ils disent que voter sans passer par l'isoloir, c'est une vieille coutume de là bas et qu'on doit la respecter.

Moi, je ne suis pas contre les vieilles coutumes. Dans ma famille, on les respecte. Surtout la principale : piquer. C'est bien simple, on est fait pour ça. Depuis tout petits, les nonos, on nous inculque cette vieille coutume et on la respecte, je peux vous le garantir. Néanmoins, les vieilles coutumes, surtout quand elles ne sont pas écrites, il faut s'en méfier. C'est si facile d'en inventer à chaque fois que ça vous arrange. Au fond, qui est ce qui va vous contredire ?

Tenez, moi par exemple, je ne fais jamais la vaisselle. J'ai expliqué dès le départ à Vahine hoe qu'une vieille coutume familiale me l'interdisait formellement. Malin non ? 7 avril 1993

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Monil Tetuanui, maire de Tahaa.

Piqûres de nono

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Jean Juventin, député maire de Papeete, et l’auteur

Non cumul

Je m'en doutais. Juju va lâcher sa mairie. Il a finalement pris sa décision, mais on peut dire que ça le déchire. Faut le comprendre cet homme. Cette mairie, c'est lui qui l'a construite. Il y a ses habitudes.

Il va donc redevenir simple conseiller municipal. Je me demande s'il va laisser son bureau au nouveau maire. Mais, au fait, ce nouveau maire, on dit maintenant que ce pourrait être Louise Carlson. C'est une surprise, tout de même. On attendait Trouillet ou Toomaru et c'est pas eux. Le Jean-Baptiste, il doit pas être vraiment heureux. Il a déjà raté le Sénat et maintenant la mairie lui échappe. C'est vraiment dur. Quoique, avec un prénom comme le sien, on doit tout supporter sans rien dire.

Alors comme ça on pourrait avoir une mairesse. Je crois bien que ce serait la première fois. Ce serait bien d'ailleurs. Surtout Louise. Non seulement elle est maline, mais en plus, elle a du goût. Elle s'occupe déjà du jardin botanique, alors elle nous ferait peut-être quelques améliorations dans cette pauvre ville de Papeete si martyrisée.

Pendant ce temps-là, Juju sera à Paris pour essayer de faire changer la loi sur le cumul des mandats. Il l'a pas avalée celle là. Et il ne doute de rien. Il espère sûrement pouvoir récupérer son cher bureau de maire. Faudrait faire fissa, parce que les élections, c'est dans deux ans. Et puis même, comment peut il être sûr que sa place aura été gardée bien au chaud ?

La politique, ça vous cause de ces surprises.

Piqûres de nono

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8 avril 1993

Éléphants

Alors là, il fallait vraiment y penser ! Il paraît qu'un directeur de zoo, en Angleterre, a eu l'idée de commercialiser des crottes d'éléphant. Rassurez vous, les déjections des pachydermes sont joliment présentées, séchées et enrobées de résine, ce qui les rend, fort heureusement, inodores et peu malléables.

Ça fait un vrai tabac. À mille balles pièce, les crottes sont parties par dizaines et le zoo envisage maintenant de commercialiser toute la production journalière de ses deux éléphants.

Comme quoi, et je vous l'ai toujours dit, pour se faire du fric, il suffit d'avoir un peu d'imagination et de ne se faire aucune illusion sur l’espèce humaine. Regardez les socialistes, ils sont dans une panade, je vous dis pas. Et bien, ils en ont aussi des éléphants. Il leur suffirait de reprendre l'idée du zoo anglais pour renflouer leurs caisses facilement. Je suis sûr que les déçus du socialisme se jetteraient sur ces souvenirs insolites. Et comme ils sont plutôt nombreux en ce moment....

Mais, cette idée des crottes à vendre, on devrait pouvoir l'exploiter à fond et pas seulement avec les éléphants. Je crois d'ailleurs que certains ont déjà commencé. Je vous laisse méditer sur cette source de revenus absolument in é pui sa ble.

Merci qui ? Merci Nono !

15 avril 1993

Piqûres de nono

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Ministres

Un ministre, à quoi ça sert ? Des fois, je vous jure, il y a de quoi se poser la question.

Regardez l'affaire du foot. Napo27 vire l'AS Postes du championnat. Il est chatouilleux Napo. Quand on ne lui cire pas les pompes assez vite, il réagit sans nuances. La justice prend une décision ? Il montre l'exemple au peuple polynésien en s'asseyant royalement dessus.

Vous vous attendez à ce que le gouvernement s'en mêle et que le ministre responsable intervienne. Vous n'y êtes pas du tout. Le ministre va simplement désigner un conciliateur pour faire le boulot à sa place. Vous rigolez ou quoi ? Le ministre ne va sûrement pas prendre lui même le risque de déplaire à l'empereur du football. Beaucoup trop dangereux !

Et puis, prendre une décision ? Mais vous n'y pensez pas ! Nous les ministres, on n'est pas payé pour ça. On doit déjà se taper les inaugurations, les enterrements, les déjeuners, les dîners, les missions dans les îles, les cérémonies officielles. Quelle corvée ! Si en plus il faut encore trancher dans les affaires délicates. Alors là, non ! Pas question. Si encore on touchait des primes de risque.

Je persifle, mais ils ne sont pas tous comme ça, nos ministres. Heureusement. Y'en a des bien. Si, si. Pourtant, au moment où l'on a tant besoin d'efficacité et où l'on parle de recomposition politique, il y aurait peut être quelques réajustements à effectuer.

16 avril 1993

27

Piqûres de nono

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Napoléon Spitz, président de la Fédération tahitienne de football et homme politique influent.

Piqûres de nono

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Jean Juventin transmet son fauteuil de maire de Papeete à Louise Carlson

Mairie

Le suspense insoutenable est enfin terminé. Juju a démissionné in extremis de la mairie de Papeete. Suspense, mon œil ! On le savait depuis belle lurette. Nous vous l'avions même annoncé une semaine avant. Juju avait du reste démenti. Faut quand même le faire. On vous avait dit aussi que Louise Carlson allait lui succéder, ou plutôt que Juju allait soutenir sa candidature. Pour ça, il faudra attendre la prochaine réunion du conseil municipal qui aura lieu vendredi prochain. Mais je vous fiche mon billet que tout est déjà organisé. Ils sont tous du même camp dans ce conseil. Alors, qu'est ce que ça va changer la démission du maire ?

On va bien voir maintenant la réelle autorité de Juju. S'il reste le chef incontesté du Here Ai'a, sa démission ne modifiera pas grand chose. Il va devenir premier adjoint, changera éventuellement de bureau et en réalité, tout continuera comme avant. Mais, si certains n'attendaient que sa démission pour montrer leur vrai visage, alors là on pourrait avoir des surprises et assister à quelques règlements de comptes.

On connaît l'importance d'une mairie pour un homme politique polynésien. Alexandre en sait quelque chose. Juju n'avait pas vraiment le choix, mais le voilà coupé, au moins partiellement, de la source de son pouvoir. Il en est parfaitement conscient et c'est pourquoi il a tellement hésité à quitter son fauteuil et qu'il ne désespère pas de revenir un jour s'y asseoir.

Mais ça, c'est une autre histoire...

avril 1993

Piqûres de nono

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17

Parrain

Gaston avait déjà un frère Jacques. Il a désormais un fils Jacques. Je ne plaisante pas. Dimanche soir, quand l'avion du président a atterri à Los Angeles pour une courte escale technique avant de repartir vers Paris, il y avait un message à l'attention de Gaston. C'était pour lui annoncer qu'il venait d'être papa. Tonita, qui était en Californie depuis quelques semaines en prévision de l'heureux événement, venait d'accoucher une heure avant l'arrivée de l'avion.

Non, mais vous vous rendez compte du don d'organisation de cet homme ? Il arrive à faire coïncider la naissance de son enfant avec son passage à Los Angeles. Là, en revanche, je plaisante. Cette coïncidence est purement fortuite et vous admettrez que c'est encore plus extraordinaire.

Donc le nouveau né s'appelle Jacques, évidemment du nom de Jacques Chirac qui a accepté d'être son parrain. C'est pas mal, dites moi, un parrain comme ça. Il est verni le petit. Un futur président de la République qui se penche sur votre berceau, il y a pire pour démarrer dans la vie.

Question détails, il paraît que tout s'est bien passé. La mère et l'enfant, un costaud de 4,2 kilos prénommé Jacques Kevin, se portent bien. On devrait revoir toute la famille au retour de Gaston de Paris où il est quand même parti après quelques heures d'escale.

À plus de soixante ans, il faut reconnaître que notre président a quand même une sacrée santé et une sacrée confiance en l'avenir.

19 avril 1993

Piqûres de nono

74

Salons

Qu'est ce qu'on peut avoir comme salons en ce moment. Le salon du voyage, le salon de l'industrie, le forum de l'écriture, le salon du tourisme...

C'est bien. Mais je vais vous avouer un truc. Pour ce qui est des salons, moi, ceux que je préfère, c'est les salons de massage. À quand le Salon du Massage organisé par les étudiantes du BTS ? Je vous garantis le succès les filles. Surtout si vous prenez exemple sur Nicolas Hulot. En voilà un au moins qui a à cœur de renvoyer l'ascenseur. La Polynésie lui a offert ses plus beaux décors pour des images de rêve, alors il n'hésite pas à faire la promotion de la Polynésie. Nicolas, il a fondé son émission sur l'extrême28 . Alors pour le Salon du Massage, ce que je conseille, c'est de le baptiser Salon du Massage de l'Extrême. Ça fait nettement plus branché et puis ça vous a un de ces côtés prometteurs...

On pourrait aussi, toujours dans le même genre, demander à Nicolas Hulot de produire une émission Ushuaïa spéciale “Extrême en Polynésie”. Je vois bien, par exemple, Juju dans la séquence “Hésitation”, Michel Jau dans la séquence “Succession”, Napo dans la séquence “Interdiction”, Emile dans la séquence “Occupation”, Monil dans la séquence “Pression” et Oscar dans la séquence “Obstruction”.

Et Alexandre, vous le verriez dans quelle séquence vous ?

20 avril 1993

28 Allusion à Ushuaia, le magazine de l’extrême, diffusée sur TF1 de 1987 à 1996, la première émission à succès de Nicolas Hulot qui l’a fait connaître du grand public.

Piqûres de nono

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Vive l'écrit !

“Parce que complémentairement à l'ordre de l'oral où la parole a établi jusqu'alors, en priorité, la communication de l'enfant, commence l'exploration et l'apprentissage de l'ordre scriptural qui est spécifiquement et concrètement cette aire sur laquelle on dispose des lignes faites de lettres…”

Vous avez compris, vous ? Moi j'ai rien pigé. C'est un extrait du discours du directeur du CTRDP29 à l'ouverture du Forum de l'écriture. Vu la tête des invités à cette cérémonie, je doute sincèrement que qui que ce soit, excepté l'auteur lui même, ait été vraiment concerné.

Vive l'écrit ! Sûr. Il est absolument impératif que les jeunes apprennent à aimer l'écriture (et la lecture) et à en comprendre l'importance cruciale dans leur vie. Bravo, donc pour cette initiative. Malheureusement, je crains fort que la manière ne soit pas réellement la mieux adaptée. Il faudrait parfois se rappeler que l'on est en Polynésie. Je vous jure, ce discours il était sûrement super. Mais, entre nous, je ne crois pas que c'est comme ça qu'il faut s'y prendre ni pour intéresser les jeunes à l'écrit, ni pour réduire l'échec scolaire. Bon, le gars, il a voulu se faire plaisir. Il avait un public. C'est pas si souvent. Alors il en a profité pour s'éclater un peu. Moi, j'y connais rien. Je ne suis qu'un pauvre nono. Je crois quand même qu'il y a urgence et qu'on n'a plus guère le temps de rigoler. Les jeunes, ils sont paumés. C'est à eux qu'il faut s'adresser. Et dans leur langage...

21 avril 1993

29 Centre territorial de recherche et de documentation pédagogiques

Piqûres de nono

76

Petit

Oscar, il me semble un peu aigri. Je crois que ces élections lui sont montées à la tête. Faut dire, obtenir un tel résultat sans aucun programme et en proposant rien que du rêve, chapeau !

Entre les deux tours, il se faisait tout miel. Il voulait passer pour le gars sérieux et responsable. Même sa sacro sainte indépendance, il envisageait de la retarder de quelques années, c'est dire. Ce qui comptait c'était de racoler les voix des moins furieux, de ceux qui ne sont pas loin de penser qu'après tout, l'expérience vaut peut-être le coup d'être tentée et qu'on pourrait se jeter dans le vide en priant très fort pour que le fond ne soit ni trop bas, ni trop dur.

Maintenant, plus question de pactiser. Le vrai visage réapparaît. Hier, à Radio Tefana on l'a entendu insulter Michel Buillard et comparer la Polynésie à la France occupée par les Allemands (c'est son truc à Oscar en ce moment). Comparaison osée, c'est le moins qu'on puisse dire. Ceux qui ont subi les atrocités nazies ou perdu des membres de leur famille dans les camps de la mort ou dans les combats apprécieront le rapprochement. Et les courageux du Bataillon du Pacifique qui évoquaient jeudi le souvenir de leurs copains sacrifiés au nom de la liberté, je me demande s'ils sont d'accord.

Cette attitude, c'est quand on n'a plus rien à dire. Faute d'argument, on se rabat sur l'insulte et l'attaque personnelle.

Plutôt petit tout ça, vous ne trouvez pas ? 24 avril 1993

Piqûres de nono

77

Manifestation de chauffeurs de trucks à Papeete

Piqûres de nono

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Hiro

Hiro30 dit qu'il veut être l'épée de Damoclès au dessus de la tête des patrons et des politiques dans ce pays. Eh, mais là attention ! C'est qu'il est ambitieux le petit. Il viendrait piétiner mes plates bandes, il me ferait concurrence. C'est vrai, quoi, une épée de Damoclès, c'est fait pour piquer. Comme le dard d'un nono, sauf que c'est plus gros et que ça fait plus mal.

C'est facile pour lui, il n'a qu'à froncer les sourcils et tout le monde se met au garde à vous. Forcément, s'il se met en colère c'est la grève partout, les routes coupées, l'économie en panne et le pays en crise.

Alors tout le monde est très gentil avec lui.

C'est : “Comment ça va Hiro ?” par ci, ou bien “Hiro, t'es vraiment le meilleur” par là. Lui, naturellement, il n'est pas dupe. Mais, quand même, ça doit le flatter cette puissance. Ça prouve qu'il a déjà pas mal réussi son coup. Moi, j'aimerais bien qu'on ait peur de moi comme ça. Quelque chose ne vous plaît pas, un petit coup de fil et hop... tout est réglé. Comme par magie.

Je vais vous dire. Hiro, finalement, il a un cœur d'enfant. Comme tout le monde, il a rêvé un jour qu'il était Zorro ou Robin des Bois. Mais lui, il n'a pas oublié en grandissant.

30 Hiro Tefaarere, secrétaire général du syndicat A tia i mua.

Piqûres de nono

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25 avril 1993

Piqûres de nono

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Commémoration de l’histoire chinoise à Tahiti

Vous avez dit communauté ?

Il fallait bien que ça sorte. Depuis le temps qu'on disait que les Chinois de Tahiti étaient incapables de s'unir et que la communauté était divisée. On dirait maintenant que l'abcès est près d'être crevé.

Ça fait un bail que les divers clans et courants chinois se tirent dans les pattes. Il y a ceux qui sont pour Taiwan et ceux qui préfèrent Pékin. Il y a ceux qui veulent l'intégration totale à la société polynésienne et ceux qui sont attachés à leur identité. Il y a les différences politiques, les religieux et ceux qui s'en fichent, les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, les sportifs et ceux qui ne le sont pas, ceux qui ont francisé leur nom et ceux qui ont gardé leur patronyme d'origine, ceux qui investissent en Amérique et ceux qui croient en l'avenir du fenua. Vous dites communauté chinoise de Tahiti ? Quelle communauté ?

Bien sûr, et un peu paradoxalement, la tradition folklorique et culturelle refait surface. On n'a plus honte de s'afficher en masse dans la rue. Mais, à côté de ça, on rame pour trouver des candidates à Miss Dragon. Être chinoise, représenter la nouvelle génération chinoise, qu'est ce que ça veut dire aujourd'hui pour des jeunes filles qui ne connaissent plus leur langue et ne fantasment que sur les Demis31 ? La crise économique qui est en train de remettre en question le leadership économique traditionnel des Chinois dans ce pays révèle toutes leurs contradictions. L'heure du choix a aussi sonné pour eux...

27 avril 1993

31 Du tahitien ‘afa, lui-même issu de l’anglais half signifiant moitié. “Le Demi est à l’origine un métis de Polynésien et d’Européen (…), il appartient à la tranche de population qui, culturellement et socialement, se situe entre les Polynésiens et les Européens” (Dictionnaire de l’Académie tahitienne, 1999).

Piqûres de nono

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Louise

Forcément, le nouveau maire de Papeete, Louise Carlson, tout le monde l'attend au tournant. Avec Juju comme premier adjoint, guère moyen de montrer beaucoup d'initiative. D'ailleurs c'était bien le but de la manœuvre non ?

La pauvre, elle est aussi marquée que Papin dans un match de coupe d'Europe. Pas moyen de l'interviewer sans la présence de “conseillers” très attentifs à ses déclarations.

Alors, femme de paille Louise Carlson ? Dans l'esprit de certains sûrement. Mais, attention ! Laissons lui d'abord le temps de souffler un peu et de montrer de quoi elle est capable. Elle pourrait bien nous étonner. Du moins, espérons le. La commune est dans un tel état qu'elle aura beaucoup de mal. Il lui sera tout de même bougrement difficile de faire pire.

Moi, je dois dire que je lui fais confiance a priori à Louise. D'abord, c'est la première femme à occuper le fauteuil du maire de Papeete. Ça, c'est historique et personne ne pourra le lui enlever. Ensuite, c'est bien connu, les femmes ont le bon sens de celles qui doivent gérer l'argent du ménage au plus juste.

Pour ça, je serais surpris qu'elle soit aussi “généreuse” que Juju. C'est vachement facile d'être généreux avec l'argent public. Je dis pas qu'il faut virer tous les employés de la commune qui ne servent à rien, mais je me demande ce qu'en pensent les familles de ceux qui se font tuer aux carrefours parce qu'il n'y a plus ni éclairage ni feu rouge.

28 avril 1993

Piqûres de nono

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Panne

Coup de bol ! Le système de climatisation et de réfrigération du Fair Princess est tombé en panne juste pendant l'escale de Tahiti. Les neuf cents passagers vont dormir pendant deux ou trois jours à terre. Du coup, les statistiques touristiques vont faire un bond gigantesque au mois d'avril. Plus tard, en analysant les chiffres, les spécialistes, qui auront oublié cette panne, se demanderont bien comment expliquer cette soudaine affluence.

Mais, bon, pour le moment, il faut seulement se réjouir de ce que le malheur des uns (les armateurs) fait le bonheur des autres (nous). Quoique, pour les hôteliers, je ne sais pas si l'on peut parler de bonheur, vu qu'avec moins de trois mille chambres dans toute la Polynésie, ce ne doit pas être facile de loger neuf cents personnes comme ça, à l'improviste. Encore heureux pour ces croisiéristes que les affaires ne marchent guère et que les hôtels ne sont jamais pleins.

Le coup de la panne, je trouve qu'il faudrait creuser l'idée. On pourrait graisser un peu la patte des capitaines de paquebots pour que leurs clim’s cessent justement de fonctionner quand ils arrivent à Tahiti.

Vous vous rendez compte des retombées sur l'économie locale ?

En plus, on pourrait se débrouiller pour que les réparations traînent un peu. C'est si difficile de trouver des pièces ici.

Et hop, voilà quelques milliards de trouvés facilement. Vous pouvez faire confiance au Nono pour avoir des idées.

Et ma commission ?

avril 1993

Piqûres de nono

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29

Vices cachés

Les jeux sont faits. Rien ne va plus. Maintenant, en Polynésie, il n'y a plus aucune raison valable d'empêcher la création d'un casino. Qu'on ne vienne plus nous parler de morale quand la population dépense des milliards chaque année dans des jeux parfaitement licites et cautionnés par les autorités. On ne peut plus non plus parler d'illégalité quand les tribunaux, les uns après les autres, reconnaissent l'existence légale des cercles de jeu.

Le jeu est une réalité incontournable à Tahiti. Il ne sert à rien de se voiler la face. Alors, pourquoi ne pas plutôt en profiter pour agrémenter notre environnement touristique ?

L'hypocrisie, toujours. Tenez, un exemple. Le jour où la justice reconnaît aux Polynésiens le droit d'aller craquer l'argent du ménage à la roulette ou au black jack, elle condamne une brave dame qui arrondissait ses fins de mois en organisant des massages améliorés. Ça ne faisait pourtant de mal à personne. Je dirais même, au contraire. Pas de plainte. Tout le monde était content et malgré cela, on sanctionne. La loi, c'est la loi. On peut tout de même s'interroger sur une société qui autorise la pratique de certains vices et en interdit d'autres. Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Il y aurait donc des plaisirs “honnêtes” et d'autres pas.

C'est comme d'aller écouter les discours à l'assemblée. Franchement, il faut être un peu pervers pour aimer ça. Eh bien, c'est pourtant parfaitement légal.

30 avril 1993

Piqûres de nono

84

Haro !

L'affaire Bérégovoy32 fait couler beaucoup d'encre et de salive. C'est quand même étonnant cette manie qu'on a d'attendre la mort de quelqu'un pour lui trouver toutes les qualités. Béré n'est plus et, du coup, il est.

Des hommes politiques se sont défoulés sur les journalistes les accusant carrément d'être responsables du suicide de l'ancien Premier ministre. Léotard, qui connaît bien la question, s'en est pris aux “canards”, Mitterrand a même évoqué “les chiens”. Je m'attends au pire et qu'on crie “Haro sur les nonos”. On ne sait jamais, les hommes politiques, je ne les ménage pas vraiment (quand ils le méritent uniquement). Ils seraient bien capables de me couper le dard (Ouillouillouille !)

Pourtant comme je l'ai toujours dit, un nono c'est fait pour ça, pour dire tout ce que personne n'ose dire. Alors, des fois, ça fait mal, c'est normal. Faudrait pas se tromper de cible tout de même. S'il n'y avait plus ni canards, ni “chiens” comme dit Mitterrand, ni nonos, qui vous dirait ce qui se passe, hein ?

5 mai 1993

32 Le suicide de l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, Pierre Bérégovoy.

Piqûres de nono

85

Gratuité

Quelqu'un, un jour, a lancé le mot magique : gratuité. Rappelez moi son nom. Il s'occupait de santé. Bref ! Tout le monde y a cru. On s'est dit : “Chic, la santé gratuite”. Les consultations chez le médecin, les hospitalisations, les arrêts de travail (sympa ça, les arrêts de travail, ça marche toujours très fort, surtout le lundi), les remèdes… Tout devait être gratuit. Un rêve magnifique, digne des socialistes les plus généreux (avec le moni33 des autres).

Du coup, nous les pauvres bougres qui tombons malades de temps en temps (c'est humain), on n'a plus voulu payer les impôts et les taxes et les factures et tout le reste. Faudrait savoir. On nous prend pour des imbéciles. Si c'est gratuit, c'est gratuit. Seulement voilà, toute cette histoire n'avait été effectivement qu'un beau rêve dans la tête de... Aidez moi, bon sang ! je n'arrive plus à retrouver son nom. Si ça se trouve, il y croyait sincèrement. Maintenant, c’est le contraire, on nous dit que si les problèmes s'accumulent dans la santé, c'est parce qu'il n'y a pas assez de sous. C'est vrai. Les médecins, faut pas croire, ils mangent comme tout le monde. Et les infirmières aussi. Et l'EDT, l'électricité, elle ne la donne pas cadeau aux hôpitaux. Même qu'il paraît que dans certains, on n'a plus d'eau chaude.

Vivement que Gaston revienne avec quelques miria34 . La santé n'a pas bonne mine. Je crains fort qu'elle ne couve quelque chose.

6 mai 1993 33 Argent. 34 Milliards.

Piqûres de nono

86

Balladur

Gaston, depuis qu'il est député, on ne le voit plus. Il a juste passé un bref moment à Tahiti entre deux avions. C'est surtout à Paris qu'il travaille. Là, au contraire, on peut dire qu'on le voit. C'est bien simple, il est partout à la fois. Il n'a pas le choix, forcément, c'est là bas que tout se passe. Le peu de moni qu’il reste à se partager, c'est là bas qu'il est et c'est celui qui s'accrochera le mieux qui obtiendra les faveurs de Balladur et de Sarkozy. Alors là, pour s'accrocher, on peut dire qu'avec Gaston, on est verni. S'il y en a un qui sait y faire à ce petit jeu, c'est bien lui. En plus, il est copain avec Sarko qui doit sûrement lui expliquer toutes les ficelles. Il faut bien qu'il tienne au moins quelques unes des promesses qu'il avait faites quand il était venu à Tahiti l'an dernier.

Pour Balladur, c'est plus délicat. L'outre mer, il veut bien, à condition que ce ne soit pas hors de prix. Or, la Polynésie est justement hors de prix en ce moment. Et elle a tendance à aller contre ses idées. Jugez plutôt : “Réclamer son aide à l'État et revendiquer face à lui sa liberté d'agir ne sont pas deux attitudes longtemps compatibles”. Vlan ! Nous v'là prévenus. C'est dans un de ses bouquins35 (qu'est ce que vous croyez, je m'informe).

Vous savez quoi ? J'ai l'impression qu'il va falloir la jouer fine avec lui. 11 mai 1993

Piqûres de nono

87
35 Edouard Balladur, Douze lettres aux Français trop tranquilles - Fayard, 1990

Sir Tom Davis, ancien Premier ministre des îles Cook, accueilli à Papeete après une traversée océanique en pirogue traditionnelle

Piqûres de nono

88

Pirogue

Les Cook, en pirogue, ils sont champions. Ce Tom Davis, ancien Premier ministre, faire cette traversée à soixante-quinze ans… Chapeau !

C'est pas chez nous qu'on verrait ça. Imaginez un peu, sur l'immensité désertique de l'océan Pacifique, une pirogue menée par NOS hommes politiques.

Déjà, pour commencer, il faudrait un bateau suiveur. Regardez, Pito36 et ses copains, quand ils sont allés aux Cook, ils en avaient un super. Et quand je dis suiveur, c'est plutôt remorqueur qu'il faudrait dire.

À la barre, il y aurait Gaston. Enfin, la plupart du temps, il se ferait remplacer par Michel parce qu'il serait à bord du bateau suiveur en train de négocier avec le capitaine (son copain) pour que la bouffe soit meilleure, qu'il y en ait davantage et tout... Pendant ce temps là, sur la pirogue, Juju observerait les astres et Oscar ferait la gueule. Forcément, il en voudrait pas, lui, de la bouffe du bateau. Si on ne le surveillait pas, il serait même capable de couper la remorque. “On n'a qu'à pêcher”, qu'il dirait. Seulement, manque de pot, personne ne serait foutu d'attraper le moindre poiscaille. Et pis d'abord, les autres, ils en auraient ras le umete37 du poisson. Ils voudraient varier l'ordinaire. Alors, malin, y'a Monil qui aurait embarqué en douce quelques conserves marchandées avec un bateau étranger avant de partir. Il essaierait de les fourguer à tout le monde.

Pour les mettre d'accord, ce serait pas possible. Je vous le dis. Des hommes politiques traverser l'océan en pirogue ? C'est pas chez nous qu'on verrait ça.

13 mai 1993

36 Clément Pito. 37 Grand récipient en bois de forme variée.

Piqûres de nono

89

Projets à vendre

En Polynésie, pour reprendre un vieux slogan connu, on n'a pas de pétrole (dommage), mais on a des idées. Enfin, il y en a qui en ont pour nous. Le problème, c'est que ces idées ne se concrétisent pratiquement jamais. Est ce que vous avez remarqué le nombre de projets annoncés depuis vingt ans à grand renfort médiatique dans ce pays et qui n'ont jamais vu le jour ? Je suis à peu près sûr que nous détenons le record mondial des projets avortés. Oh, naturellement, il y en a eu des fantaisistes et même des scandaleux. Comme cette histoire de raffinerie de pétrole aux Tuamotu que presque tout le monde a oubliée bien qu'elle nous ait coûté fort cher. Mais il y en a eu de très sérieux, économiquement rentables et parfois même indispensables. On a vu des projets d'hôtels extraordinaires. Des terrains de golf, bien sûr, qui devaient être les plus beaux du monde. Des tas de productions cinéma sont restées dans les cartons. Routes, ports, ponts, des études ont été menées dans tous les domaines, pour aboutir à... pas grand-chose sinon à rien du tout.

Voilà ce qu'on pourrait faire : puisque notre pays semble inspirer une source inépuisable de projets et d'idées en tout genre, apparemment impossibles à réaliser ici, pourquoi, au lieu de les laisser perdre bêtement, ne pas les revendre aux pays qui en veulent bien ? Tout ce travail d'étude et de préparation, ça vaut des sous, croyez moi. Et si, en plus, on fait ça localement, on pourra bénéficier de plein d'avantages douaniers et fiscaux.

Ce Nono, tout de même, quelle tête ! 14 mai 1993

Piqûres de nono

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Ingérence

Ils étaient sept hier matin. Sept maires à aller plaider la cause de l'opposition contre Méridien auprès de leur collègue de Punaauia. Moi je me pose des questions. Entre nous, si j'étais à la place du maire de Punaauia, je crois que je leur aurais dit : “Merci d'être venus, vous êtes bien sympas. Mais ce qui se passe sur ma commune, ça me regarde. Allez un peu voir chez vous si j'y suis.”

Le problème c'est que l'équipe de Punaauia, eh bien, tout le monde le sait mais personne ne le dit, elle est bien mal en point. Il n'y en a pas un capable de taper du poing sur la table et de mettre tout ce beau monde dehors. Quand je dis Dehors, comprenez moi bien. Je n'ai rien contre lui spécialement. Ça vaut aussi bien pour les autres.

Ce n'est pas seulement pour Rivnac que je dis ça. C'est une question de principe et d'honneur. Je doute d'ailleurs que n'importe lequel des sept maires qui se sont présentés en délégation hier matin aurait toléré, dans sa commune, le millième des ingérences qui ont eu lieu à Punaauia depuis des mois.

Je trouve ça un peu fort de café et puisqu'on parle de consultation populaire, pourquoi ne pas demander aux habitants de Punaauia s'ils apprécient cette situation ? Pendant des années, par laxisme, on a laissé les choses se détériorer. Maintenant, il ne faut pas s'étonner si tout est si compliqué.

15 mai 1993

Piqûres de nono

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Embûches

La langue française, y'a pas à dire, faut s'en méfier. Très riche, ça oui, mais pleine d'embûches pour le maladroit. Tenez, pas plus tard qu'hier quelqu'un parlait de la formation des pilotes d'avion à la radio. Il nous a expliqué ce qu'il fallait faire pour passer le “brevet de pilote privé d'avion”. Un certificat vachement utile et sans doute pas trop dur à obtenir. Normal, le gars, son diplôme, on le lui donne sûrement pour le consoler d'être privé d'avion.

Naturellement, il fallait entendre : “brevet de pilote d'avion privé”. Vous voyez comme la seule position d'un adjectif avant ou après son sujet peut avoir de l'importance ?

Mais, la langue française a bien d'autres tours dans son sac. Autre exemple, les élus de l'opposition ont été reçus hier par le haut commissaire pour plaider la cause des opposants au projet Méridien. Opposition opposants, logique. En apparence seulement, car l'opposition, en démocratie, c'est bien connu, est toujours forcément “constructive”. Mais là, voir cette opposition constructive réclamer solennellement qu'on empêche la construction d'un l'hôtel, avouez que le paradoxe vaut son pesant de flocons de taro.

On pourrait en trouver comme ça des tas. Tiens, j'en ai même vu un dans Les Nouvelles d'hier. C'est dire si personne n'est à l'abri, n'est ce pas ? On y parlait de “Syndicat pour la promotion des maires” au lieu de “Syndicat pour la promotion des communes”.

Qu'est ce que je vous disais ? Ah, oui. Avec la langue française, il faut drôlement se mafia. Oh, pardon... se méfier.

mai 1993

Piqûres de nono

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16

Folie

Y-a-t'il une limite à la folie et à l'horreur ? Quand on voit cette prise d'otages à l'école maternelle de Neuilly, on se dit que, vraiment, il n'y a plus rien de sacré pour notre pauvre humanité. On pense aussi que deux mille ans d'histoire et de civilisation n'ont rien changé à la barbarie humaine. Une championne de tennis se fait poignarder par un cinglé en plein match et, en Yougoslavie, la folie meurtrière fait partie de la vie quotidienne de tout un peuple. Individus, nations, le déséquilibre est partout.

Ces malades mentaux ont en plus un point commun, ils veulent que le monde entier soit témoin de leur psychose. Ils commettent donc leurs crimes en des lieux et sur des victimes fortement médiatisés ou bien exigent la présence des médias pour relayer l'abomination de leur forfait. Leurs mobiles sont flous. Leurs actes répondent à des pulsions inexplicables et sans logique. Nous sommes tous désormais les cibles potentielles de ces dérangés eux-mêmes victimes du désespoir ambiant.

Le syndrome de la démence criminelle aveugle, si répandu aux Etats Unis et qui se reflète très largement dans le cinéma américain dont il est devenu le thème principal depuis plusieurs années gagne peu à peu notre société. Ça fait peur...

On se réjouit toutefois de constater que, en face de telles situations, l'unité peut se former et que les individus se montrent capables de comportements admirables.

Quelle menace faudra t il pour nous amener enfin, ici à Tahiti, à resserrer les rangs et à faire front ensemble en donnant le meilleur de nous-mêmes ?

Piqûres de nono

93
17
mai 1993

Piqûres de nono

94
Emile Vernaudon, maire de Mahina, enchaîné à un cocotier à Rivnac

Déchaînés

Dès qu'une voiture bleue est signalée du côté de Rivnac, Oscar se précipite sur place pour s'enchaîner à un cocotier. Emile, qui pense que la tactique est politiquement payante, fait maintenant de même et l'on peut voir les deux maires, assis contre un arbre, entourés de chaînes et d'enfants, attendant impatiemment le moment où ils pourront jouer les martyrs pacifiques aux yeux du monde. Déchaînés, les deux maires appellent leurs sympathisants à les rejoindre. “Il y a encore des cocotiers libres” lancent-ils comme pour les convier à un festin. En tout cas, vous pensez bien, ils ne céderaient pas le leur pour un empire. Ils ont dû graver leurs initiales dedans, vous savez, du genre “Nuuroa 93, O.T était ici”. Au fait, avez vous remarqué la similitude du nom tahitien de Rivnac Nuuroa avec Moruroa ? Comme par hasard, on peut facilement les confondre, surtout à l'étranger. C'est bien pratique.

Comme d'habitude, le Nono a trouvé la solution pour mettre tout le monde d'accord (qu'est-ce que vous feriez sans moi ?). Je vais demander à tous mes petits copains nonos de venir s'installer sur le terrain. Vous allez voir. En moins de deux, plus personne ne voudra se battre pour cet endroit. Ils vont tous déguerpir vite fait. Sauf Oscar et Emile, bien sûr, qui seront toujours attachés parce que personne n'aura pris le temps de les délivrer. 18 mai 1993

Piqûres de nono

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Michel Buillard, ministre de la Santé, entouré des membres d’une association féminine

Piqûres de nono

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Besoin de personne

Un long week-end s'annonce. Ce mois de mai est vraiment sympa. Pas moins de cinq jours fériés. Avec les ponts et tout. C'est pas pour rien qu'on l'appelle le “joli” mois de mai. Malheureusement, c'est fini. Il va falloir attendre jusqu'à l'année prochaine.

Il nous reste encore ces trois jours. Chacun va les occuper à sa manière. Classiques départs dans les îles et farniente au bord de l'eau. À Rivnac, on se prépare aussi pour un long week end en se demandant si les gendarmes vont intervenir. On va s'enchaîner bien gentiment et, peut être, taper le carton ou jouer aux boules (avec les chaînes, c'est pas très pratique).

Les chauffeurs de trucks, eux, ont déjà commencé le week-end depuis mercredi. Dans leur nouvelle gare routière place Tarahoi, ils se sont installés confortablement pour tenir le siège le temps qu'il faudra.

Côté personnalités, chacun son week-end aussi. Gaston doit rentrer dimanche matin. Il devrait en profiter pour souffler un peu, parce que la semaine s'annonce plutôt agitée pour lui. Quant à Michel Jau, il a été invité à la presqu'île par les Hell's Angels locaux pour une balade en Harley Davidson. On a déjà vu Edouard, la dernière fois, sur sa moto avec casque, lunettes et tout. Alors, imaginez le hi com (prononcez haille com, c'est comme ça qu'on l'appelle à Los Angeles) tout bardé de cuir, avec ses bottes et entouré de tous les Easy Riders du coin.

Allez à Taravao. Avec un coup de pot (d’échappement), le spectacle vaudra le déplacement.

de nono

97
Piqûres
29
mai 1993

Gaston Flosse accueilli à son retour de Paris, entouré de Tuianu Le Gayic et Jean Juventin

Piqûres de nono

98

Milliards

Gaston est enfin rentré. Tout le monde était anxieux de savoir ce qu'il allait rapporter dans ses valises. Mais Balladur n'est pas le Père Noël (on le savait) et le miracle n'a pas eu lieu. Sauf que Gaston est revenu avec un nouveau bébé. Mais ça, ce n'est pas vraiment un miracle.

Il a quand même réussi à grappiller trois milliards sur les dix qu'il demandait. C'est pas si mal, vous savez, compte tenu des circonstances. Mais à Paris, ils sont méfiants maintenant. Les trois milliards, c'est le haut commissaire qui va en disposer et qui pourra décider comment les utiliser. Le chat et la souris, ça vous dit quelque chose ? Gaston va devoir être très gentil avec Michou38 s'il veut ses sous. Mais Michou devra être aussi très gentil avec Gaston s'il veut rester à Tahiti. Finalement, ils ont tous les deux intérêt à s'entendre.

En attendant, on ne sait toujours pas quand est ce qu'ils vont arriver ces trois milliards. Et encore moins les sept milliards du Pensec. Perben a bien promis de tenir les engagements, mais il n'a pas dit quand. C'est Patrick39 qui fait la gueule. Dans son budget, il les avait prévus les sept milliards de l'accord cadre. Et s'ils n'arrivent pas avant la fin de l'année, ça va faire un sacré trou.

“Aide toi et le ciel t'aidera” qu'ils lui ont dit à Paris ou quelque chose dans le genre. Vous savez quoi ? Je crains fort qu'on ne doive bientôt se résigner à mettre la main au porte monnaie. 2 juin 1993

38 Michel Jau, haut-commissaire. 39 Patrick Peaucellier, ministre des Finances

Piqûres de nono

99

Huile de coco

La semaine dernière, j'ai vu que le Fonds européen de développement nous donne des sous (trente cinq millions) pour étudier la possibilité d'utiliser l'huile de coco comme carburant pour les moteurs diesel. C'est bien comme idée, non ? J'ai même connu quelqu'un qui s'en servait déjà de cette huile pour rouler en bagnole. C'était marrant. Quand il passait, il laissait derrière lui une odeur de coco cuit, ça me rappelait les macarons de ma grand-mère. Pour être juste, ça faisait pas mal de fumée. Mais à comparer au fuel, c'était loin d'être pire.

Ce coup de l'huile de coco pour remplacer le gasoil, ça doit plaire. Ça fait vachement local. On se dit qu'on n’aura plus qu'à grimper au cocotier pour économiser l'essence et qu'on pourra rouler quasiment gratis. Grosse erreur. Rien que pour tirer de l'huile d'un coco, vous imaginez pas l'énergie qu'il faut. D'abord, faut grimper, forcément. Et puis, l'huilerie a besoin de carburant pour faire tourner ses machines. Bon, admettons qu'on les fasse marcher aussi à l'huile de coco et que tous les véhicules servant à récolter la précieuse noix ne consomment que de cette huile. Mais alors, on n'arrivera plus à en produire assez de coco. Il faudra en planter et tout.

Rien que d'y penser, on est déjà crevé. Mais, pas de panique ! L'étude en cours va sûrement nous sauver en révélant que le coco polynésien ne convient pas et qu'il faudrait en importer. Ça ne me surprendrait pas vraiment, si vous voyez ce que je veux dire. 3 juin 1993

Piqûres de nono

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Tripots

Décidément la crise économique est partout. À ce qu'il paraît, même le jeu n'est plus ce qu'il était. C'est vraiment pas de bol. Au moment où, après des mois de procédure, on sait maintenant qu'il est légal d'ouvrir des salles de jeu privées, eh bien ça ne vaut plus le coup. Les gens ne jouent plus assez pour rentabiliser tout ça. Même le casino n'intéresse personne. Vous vous rendez compte ? Depuis des années qu'on en parle comme le mal suprême qui doit nous attirer le vice, la violence et la luxure (pouah !) on s'aperçoit tout à coup que le monstre n'effraie même plus les petits enfants.

C'est à croire que le jeu s'accommode mal de la transparence et que les joueurs ne peuvent trouver leur plaisir que dans l'illégalité. Au fond, dans le mot “tripot”, il y a l'idée de tripoter. C'est sûrement ça qui les excite. Tenez, même pour celui qui se monte sur le port en ce moment. Ils auraient pu faire ça en expliquant les choses. Après tout, le jeu est couramment accepté à Tahiti aujourd'hui. Mais non ! On vous construit un bâtiment à la sauvette, on ne sait même pas ce qui se prépare vraiment. On voudrait nous cacher quelque chose qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

C'est à croire que le jeu rapporte encore pas mal. Du moins suffisamment pour aiguiser quelques appétits et prendre le risque de violer quelques règles.

Piqûres de nono 101

4 juin 1993

Jalousie

Une scène de ménage dégénère dans une villa chic de Los Angeles, un jeune homme est abattu. Une scène de ménage dégénère à Faa'a, le mari ivre arrose sa femme d'essence et craque une allumette. La malheureuse succombe dans les souffrances qu'on imagine. Une scène de ménage dégénère à Hitiaa, une jeune femme choquée démarre en trombe sur sa moto et se tue quelques kilomètres plus loin. Une scène de ménage dégénère à Arue, une jeune miss bouleversée s'enfuit dans sa voiture et percute un poteau à pleine vitesse. Elle meurt après plusieurs jours de coma.

Il n'y a plus ni limite ni contrôle. Mais que se passe t il ? Largement dépassé le train train de la raclée et des arrêts de travail pour coups et blessures qui fait les joies traditionnelles du couple polynésien moyen et encombre les tribunaux. Maintenant, c'est la mort qui est au bout des querelles. La jalousie, parfois accentuée par l'alcool ou d'autres stimulants, fait des ravages de plus en plus sérieux et la jeunesse lui paie un lourd tribut.

Des drames comme ceux que j'évoquais, il y en a des dizaines dont on ne parle pas forcément. Ils sont un signe supplémentaire du désarroi qui se généralise peu à peu. Dans l'insécurité ambiante, on a tendance à tout miser sur un partenaire dont le moindre faux pas apparaît comme une trahison mortelle.

La violence, banalisée par le cinéma et la télévision, fait le reste.

5 juin 1993

Piqûres de nono

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Maman

Heureusement qu'on a la Fête des Mères. Voilà une invention qu'elle est bonne. Tout le monde est content. Les mamans bien sûr parce qu'au moins une fois dans l'année, on pense à elles. Les enfants qui préparent plein de dessins, de jolis poèmes et de colliers de pâtes. Les commerçants qui soufflent un peu en cette période de crise. Les journaux, même, qui se remplissent de pub. C'est une petite trêve qu'on devrait bien renouveler plus souvent. On a déjà la fête des pères, mais on pourrait aussi fêter les grands-pères et les grandsmères, les frères et les sœurs. Avec Noël et Pâques, on pourrait être comme ça en fête en famille tous les dimanches de l'année. Remarquez, dans certains foyers, c'est déjà le cas. C'est toutes les semaines la fête. Ça commence dès le vendredi soir et les festivités se prolongent tout le week end. La maman est au centre des réjouissances. Vachement sympa, le mari la prévient (comme si elle n'avait pas l'habitude) : “Ça va être ta fête !”, qu'il lui dit avant de la décorer comme un arbre de Noël. Les enfants, émerveillés, applaudissent et s'exclament en regardant leur mère : “Oh, la belle rouge ! Oh, le beau bleu !”. Dans la maison, ça explose dans tous les coins. Un vrai feu d'artifice. Et faute de champagne, trop cher, on se console avec la bière qui coule à flots. Ah, les beaux jours !

Piqûres de nono

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6 juin 1993

Piqûres de nono

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Avec Michel Rocard, ancien Premier ministre, “Qui paie contrôle !”

Des sous !

Ce coup là, je crois que ça y est. On va y avoir droit. Je vous le disais déjà la semaine dernière quand Gaston est revenu de Paris. La France n'a plus les moyens de tout payer pour nous. Conséquence ? On va nous demander d'ouvrir notre porte monnaie.

On nous annonce un collectif budgétaire pour vendredi à l'A.T. Vous savez ce que ça veut dire ? Ça veut dire, grosso modo, que malgré les trois milliards rapportés par Gaston, on n'aura pas assez de sous pour payer tout ce qu'il y a à payer d'ici à la fin de l'année.

Faut comprendre aussi. Le pauvre Patrick ne sait plus où donner de la tête. Il doit regretter l'époque bénie où il n'était pas ministre des Finances. On dirait que tout lui tombe dessus en même temps. Le RPSMR, vous savez, le système de protection sociale des agriculteurs, pêcheurs et artisans est en train d'exploser littéralement. C'est par milliards que le trou s'évalue. La santé, le logement social, autres priorités. Il n'y en a jamais assez. Plus on en construit, plus il en faut. Alors, il faut bien des sous pour ça aussi. Et puis, pour y aller jusqu'à ces logements, il faut des routes. Celles qu'on a sont pitoyables et nettement insuffisantes.

Mais vous savez combien ça coûte tout ça ? Alors, moi, à votre place, je m'attendrais au pire. Ils n'ont plus le choix maintenant. Ils vont nous demander de participer. En tout cas, il y en a, au moins, qui vont être contents. C'est ceux qui trouvent qu'on est trop dépendant de la France.

juin 1993

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Piqûres de nono

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Jubilé de Mgr Michel Coppenrath, archevêque de Papeete

Paradis perdu

C'est aujourd'hui qu'on va nous expliquer à quelle sauce nous allons être mangés. Las ! La Polynésie française ne va plus figurer sur la liste des paradis fiscaux. L'infâme impôt sur les salaires est à nos portes.

Tout le monde s'interroge : qui va payer ? Et combien ? Réponse tout à l'heure. En attendant on peut se douter que la pilule sera dure à avaler. Les patrons entendent déjà les revendications de leurs employés aux salaires rognés. Les commerçants, déjà malmenés, verront leurs magasins encore plus déserts.

De toute façon, il n'y a rien à faire. Patrick a absolument besoin d'argent. Je vous le disais, la santé est malade, le RPSMR a la fièvre, les routes sont anémiques et... moi même je ne me sens pas très bien. Gaston avait pourtant promis, juré. L'impôt sur le revenu devrait lui passer sur le corps avant de voir le jour. Mais, quand le frère Jacques lui-même s'y met aussi, vous aurez beau crier, supplier, rien n'y fera. À partir de juillet, votre salaire vous sera versé diminué de quelques billets de mille.

Pour adoucir l'amertume du remède, puis je suggérer quelque chose ? Dans cette ambiance de Las Vegas, avec ces casinos qui poussent comme des champignons en ville, ce serait vachement populaire si le ministre des Finances organisait un tirage au sort. On pourrait gagner des lots. Un peu comme au Loto. Vous verriez alors. Les gens feraient la queue pour payer leurs impôts. Nous faire rêver grâce au fisc. ÇA, ce serait une VRAIE réforme.

Piqûres de nono

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juin 1993

Séance budgétaire de vote des impôts à l’assemblée territoriale, au premier plan Henri Flohr et Emile Vernaudon

Piqûres de nono

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Extrême urgence

En faisant voter son collectif budgétaire avec une rapidité qu'on aimerait bien lui voir adopter aussi dans d'autres domaines, le gouvernement a pris tout le monde de vitesse. Les patrons ont réagi les premiers. Ils étaient contre mais ont, semble t il, fini par se faire une raison.

Les syndicats, eux, ont mis un peu plus de temps à retrouver leurs esprits. Suffisamment, en tous cas, pour permettre à Gaston de prendre tranquillement l'avion avec son projet bien voté sous le bras. C'était vachement malin de jouer l'extrême urgence. Imaginez un peu que des négociations aient été lancées sur ce sujet de l'impôt direct qui divise la société polynésienne depuis des années. On était bon pour des débats interminables et le projet aurait sûrement fini au fond d'un tiroir.

Aujourd'hui, après quelques jours de KO debout, les syndicats commencent à réagir et, surprise, ils sont tous contre. C'est un peu logique, faut reconnaître. Au fond quand on s'inscrit à un syndicat, c'est pour qu'il défende nos intérêts. Alors, si les syndicats se mettent à demander qu'on impose les salaires, à qui se fier ? Maintenant, ils disent tous que, oui bien sûr, il en faut de la solidarité, mais en souhaitant que ce soit plutôt le voisin qui la supporte.

En tout cas, le hasard fait bien les choses. Pour les syndicalistes qui ne savaient pas encore comment réagir, un cinéma du centre ville leur propose un exemple particulièrement efficace à partir d'aujourd'hui.

juin 1993

Piqûres de nono

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Galère !

Galère ! C'est sûrement ce que le ministre des Dom Tom Dominique Perben soupirera lorsqu'il s'écroulera enfin dans son siège d'avion après deux semaines de visite de folie dans le Pacifique sud.

Lui qui ne connaît pas la région, va devoir, d'un seul coup, découvrir la Nouvelle Calédonie avec ses problèmes de “rééquilibrage”, Vanuatu avec ses difficultés politiques et économiques, Fidji et ses affrontements raciaux entre Fidjiens et Indiens, Wallis et Futuna où la situation est dramatique à la suite du récent tremblement de terre, et, enfin, la Polynésie française où il arrivera au milieu de la situation que l'on connaît.

C'est un ministre déjà bien usé qui va débarquer à Faa’a. Mais, croyez moi, il n'aura guère le loisir de se reposer. Après des tas de rencontres protocolaires et de réunions de travail, sans oublier les traditionnels “dîners-débats avec les forces vives du territoire ”, il se rendra à Raiatea et à Bora Bora. Le lendemain, les yeux encore bouffis de sommeil, on le propulsera dès la première heure en direction des Marquises. Trois îles dans la même journée (rien que ça) puis retour à Papeete. Le jour suivant, le dernier, il ouvrira officiellement la conférence internationale du PIDP40 et n'ira se coucher que très tard après une réception à l'occasion de l'anniversaire de Gaston.

Un vrai cauchemar, je vous dis. De quoi courir à Matignon, dès son retour à Paris, pour supplier Balladur de le muter aux Anciens combattants.

14 juin 1993

40 Pacific Islands Development Program (Programme de développement des îles du Pacifique), conférence réunissant les États et territoires de la région.

Piqûres de nono

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Echec scolaire (suite)

C'est vraiment pas juste ! Il fait beau toute la semaine, quand on est bloqué au travail et le week end, c'est systématique, on a droit à la pluie. Et quelle pluie !

Ça fait un moment que ça dure. C'est bien simple, on ne peut plus prévoir de manifestation en plein air. La semaine dernière la pièce de théâtre était annulée. Samedi, c'était au tour du spectacle de danse au Beachcomber. La nuit du golf est reportée depuis deux semaines. Quant aux courses de chevaux, elles sont régulièrement renvoyées à une date ultérieure depuis cinq dimanches consécutifs. Dommage que l'assemblée territoriale ne se réunisse pas en plein air le week end. On aurait pu avoir un fameux sursis pour les impôts.

En tout cas, tout cela n'a pas empêché les rééducateurs de se rassembler pour tenter une énième fois de découvrir pourquoi les gamins n'aiment pas l'école et ne veulent rien apprendre. Pendant des heures, ils se sont, comme d'habitude, gargarisés de grands mots auxquels personne ne comprend rien, avant d'aller s'humecter le palais avec le sentiment du devoir accompli. En attendant, on ne sait toujours pas pourquoi les enfants n'aiment pas l'école et refusent d'apprendre. Je me demande une chose : et si on leur posait directement la question à eux ? Peut être qu'on se rendrait compte que ce n'est pas en demandant à un petit Tahitien de huit ans comment les paysans français s'alimentaient au temps de Louis XIV qu'on a les meilleures chances d'évaluer son réel niveau d'éducation...

juin 1993

Piqûres de nono

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PIDP

La semaine prochaine, Tahiti va devenir un peu le centre du Pacifique avec cette réunion du PIDP (Programme de développement des îles du Pacifique). Et il paraît même que les plus grands médias français seront sur place pour le couvrir.

Moi, je dis chapeau ! Parce que pour ce qui est de l'événement... Bien sûr, la présence de tous ces hommes politiques de la région devrait en principe être un plus pour la Polynésie. Encore que ce soit à double tranchant. S'ils débarquent en pleine grève générale, bonjour l'ambiance. Et puis, ces Océaniens qui ont tous cette image dans la tête d'une Polynésie riche et prospère, quand ils vont voir l'état de Papeete, l'absence d'éclairage le soir et les nids de poules monstrueux dans les rues, ils vont être déçus. Surtout s'ils avaient quelque part l'intention de profiter du voyage pour essayer d'obtenir de la France un petit coup de main financier.

Quant au PIDP (prononcez “pihailledipi”), question événement, on fait mieux. Si ce fameux programme de développement des îles avait marché depuis sa création, ça se saurait. Disons, que ces conférences au plus haut niveau, c'est plutôt une occasion de se rencontrer entre chefs et de discuter un bon coup. En général, on y passe plus de temps en cocktails et en dîners qu'en réunions de travail.

Mais, bon, ne faisons pas la fine bouche. Pour une fois qu'ils choisissent Tahiti pour se réunir, essayons de leur montrer que l'accueil est une tradition de notre fenua. 17 juin 1993

Piqûres de nono

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Duel

Une fois de plus, la magie Flosse a parfaitement fonctionné. Des mouvements sociaux se développent pendant son absence ? Il lui suffit d'une journée à son retour pour tout arranger. Ce fut le cas, il y a quelques semaines pour la grève des trucks. Ça s'est vérifié samedi mais avec, cette fois, la totalité des organisations de travailleurs et pour un enjeu autrement important.

Gaston demeure, plus que jamais, le maître du jeu. Lui seul a le pouvoir de dénouer une crise. Néanmoins, à chaque fois, Oscar est là qui a su, lui aussi, se rendre incontournable et s'affirme désormais comme le chef de l'opposition. La politique locale se résume de plus en plus à ce duel Gaston Oscar qui n'est pourtant pas encore allé jusqu'à l'affrontement direct.

Dans cette guerre froide, deux choix de société s'opposent. Développement à l'occidentale d'un côté, préférence pour les traditions océaniennes de l'autre. Chacun des deux leaders, naturellement persuadé que son option est la meilleure pour les Polynésiens, a maintenant besoin d'un soutien officiel qui lui donnerait les vrais moyens de sa politique. On s'achemine ainsi doucement, mais inexorablement, vers l'épreuve ultime en démocratie : l'arbitrage du peuple.

À quand, donc, l'élection du président du gouvernement au suffrage universel ? Qui sait du reste si cette réforme, dont Chirac a déjà accepté le principe, n'a pas été négociée à Paris en contrepartie de la création de la CST ? La réunion des chefs d'État océaniens cette semaine à Tahiti et la reconnaissance régionale qu'elle ne va pas manquer d'apporter à Gaston, constituerait une circonstance particulièrement favorable à l'annonce d'une telle mesure.

juin 1993

Piqûres de nono

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Dominique Perben, ministre des Dom Tom, accueilli à Tahiti par le haut commissaire Michel Jau

Piqûres de nono

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Dominique

Il est vraiment très bien ce ministre. Si, si. Tout le monde est charmé par sa courtoisie, son sérieux et sa patience. C'est qu'il faut en avoir en ce moment, de la patience, pour être ministre des Dom Tom. Partout où il va, c'est lamentations et compagnie. La nuit, le pauvre, il doit rêver de VRAIS paradis terrestres, comme il avait lu dans les livres quand il était petit... à l'Ena. Avec des natifs bien gentils, qui lui apporteraient des tas de cadeaux et leurs plus belles filles en échange de quelque pacotille. Le tout au doux souffle des alizés.

En fait de cadeaux, c'est lui qui doit les faire. Et pour ce qui est des filles, il n'aura pas le temps. La prochaine fois peut être. En tout cas, il y en a qui doivent craquer. C'est vrai que pour le look, Dominique c'est nettement mieux que Pensec. Quoique, question rigolade, je ne sais pas trop. Quant aux alizés, ce serait plutôt le vent de la débâcle qui souffle maintenant sous nos latitudes. Bref, le ministre, pour le rêve, il arrive trop tard.

Ce qui lui plaît le plus, au fond, c'est qu'on ait enfin accepté de payer des impôts. C'est bon ça, Coco, ça fait crédible ! Désormais, nous ne sommes plus les pauvres assistés profiteurs attendant la bouche ouverte que tout leur tombe tout cuit.

Ah ! Tahiti n'est plus ce qu'elle était. C'est sûrement ça qu'ils veulent dire par “historique”.

Dominique a dit que le dialogue est ouvert. Bon ! Mais avec vahine hoe aussi le dialogue est ouvert, et depuis vingt ans, si vous voyez ce que je veux dire...

juin 1993

Piqûres de nono

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Piqûres de nono

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Dominique Perben, ministre des Dom Tom, reçu par Gaston Flosse et le haut-commissaire Michel Jau

Aspirine

Quelle semaine mes aïeux ! Entre le ministre Perben, la conférence des chefs d'État océaniens, le conseil de la communauté évangélique, les réunions syndicales de tout poil et le début du Heiva on ne sait plus où donner ni de la tête, ni du dard.

Je me demande si vous arrivez à vous y retrouver dans tout ça ? C'est vrai quoi, il ne se passe rien pendant des mois et, d'un seul coup, tout nous tombe dessus en même temps.

Hier matin, Dominique est allé faire une incursion dans les quartiers insalubres de Papeete. Il n'a pas été déçu, vous pouvez me croire. Toujours très digne, il a traversé cela avec sa courtoisie habituelle, mais sans s'attarder. À chaque pas, prenant conscience de la situation, il craignait sûrement de devoir encore ouvrir le tiroir caisse. Cet homme, il lui faut un sacré moral, vous savez. Dans les autres Dom Tom, disait il aux patrons lundi, c'est encore bien pire qu'à Tahiti. Vous imaginez un peu ? Partout où il va, ce n'est que déconfiture, misère et problèmes financiers.

Enfin, le voilà parti pour deux jours dans les îles. Il va enfin pouvoir profiter un peu du bon côté de la Polynésie : lagon, soleil et sourires. Ah, mais non, que je suis bête. Même pas ! Là bas aussi, ils ont de sacrés problèmes. Ils ne vont sûrement pas rater l'occasion de lui en parler.

Une petite aspirine, Monsieur le Ministre ? 23 juin 1993

Piqûres de nono 117

Tahiti nui

Ça a dû m'échapper. Ou alors ça s'est fait vraiment vite. La Polynésie française a changé de nom. Vous le saviez vous ?

Dans tous les documents officiels sur la conférence du PIDP, vous pouvez chercher, on ne parle plus de Polynésie française mais de Tahiti nui. C'est drôle, je croyais qu'il fallait au minimum une délibération de l'assemblée territoriale pour changer le nom du pays. Peut-être même une loi nationale. Les invités du Pacifique sud, ils croyaient venir en Polynésie française. Pas du tout. Ils sont à Tahiti nui. Le ministre Perben, pareil. Il se croyait dans un territoire d'outre mer, mais le voilà propulsé à Tahiti nui.

Faut dire que depuis qu'on paye des impôts, on n'a plus de comptes à rendre. On peut bien changer le nom du pays sans leur demander la permission. C'est vrai quoi. À Paris, ils ne peuvent pas à la fois vouloir qu'on se prenne en charge et continuer à tout contrôler.

D'autant que, faut bien reconnaître, Tahiti nui, c'est pas si mal, ça fait vachement plus chic que Polynésie française. Ça vous a un de ces airs exotiques super pour l'image et le tourisme. Polynésie française, ça commençait à faire ringard. C'est une autre page d'histoire, quand il y avait encore des essais nucléaires et pas d'impôts sur les salaires.

Le seul problème, c'est qu'on aurait tout de même aimé être prévenus. Pour accueillir les invités du Pacifique, on aurait mis nos paréos.

24 juin 1993

Piqûres de nono

118

Déçus

Mon cousin des Marquises (eh oui, malheureusement pour certains, ils n'ont pas encore réussi à nous éradiquer) m'a raconté le voyage du ministre Perben là bas. C'était pas triste, à ce qu'il paraît.

Il a vu arriver des hélicoptères bourrés de grosses huiles, de conseillers techniques et autres journalistes. Les Marquisiens, ils étaient vachement impressionnés. Vous pensez, un ministre - un RPR en plus, un VRAI ministre - qui venait depuis la France les visiter dans leurs îles perdues, quel honneur ! Alors, ils avaient tout bien préparé. Les enfants avaient appris à chanter La Marseillaise et les maires avaient mis leur belle écharpe tricolore. On avait préparé des tas de couronnes superbes et de touchants discours.

Le problème, c'est qu'on avait oublié de leur dire que le ministre, ils n'en verraient que l'ombre. En effet, pour tenir un programme complètement délirant, la tournée s'est passée en trombe et dans une joyeuse pagaille dont certains se souviendront longtemps. Imaginez un peu : trois îles situées à quatre heures de vol de Tahiti à visiter en une seule journée. Neuf minutes, montre en main, c'est le temps que Dominique et sa suite ont passé à Fatu Hiva qui recevait pour la première fois un ministre de la République. On se demande vraiment si ça valait la peine.

On voulait leur faire plaisir aux Marquisiens, mais finalement ils ont surtout été déçus.

Piqûres de nono

119
25 juin 1993

Piqûres de nono

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Fête de l’Autonomie au stade Pater

Autonomes

On s'en souviendra longtemps du mois de juin 93. Entre la CST, la première visite du ministre Perben, Tahiti Nui, le “Pihailledipi”, les éboulements à Tiarei et le Heiva, on n'a pas eu le temps de souffler. L'Histoire l'a fait à notre place. On a senti son haleine puissante passer sur nos pauvres têtes sans toujours bien comprendre où elle veut nous emporter.

Gaston, lui, il comprend tout très bien. Forcément, c'est lui qui tient les manettes. C'était pourtant pas facile, mais il en a vu d'autres. Il fallait, en même temps, qu'il apparaisse très crédible, très gestionnaire, bref, très français aux yeux de Dominique et très puissant, très fastueux, bref, très océanien aux yeux de ses invités du même nom.

Le ministre Perben, il est aussi très fort. Il a su charmer tout le monde en en disant le moins possible. Qu'est ce qu'on aura appris de lui pendant ces six jours de visite ? Que la France souhaite un nouveau partenariat avec la Polynésie. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Simplement que nous sommes désormais vraiment autonomes.

Eh oui, tout arrive. Demain, nous aurons notre première véritable Fête de l'Autonomie. Rappelez vous, en 1985, les gens du Pacifique avaient boudé Gaston et nous n'avions même pas d'hymne. Aujourd'hui, non seulement nous en avons un et les cousins sont là mais, en plus, nous payons des impôts.

Entre la France et l'indépendance, l'autonomie est une vague bien étroite et instable, mais Gaston a su jusqu'à présent y surfer en virtuose. À quand la prochaine étape ? 28 juin 1993

Piqûres de nono 121

Protocole

Décidément, ce n'est pas facile de trouver un équilibre dans cette autonomie interne. Vous avez remarqué ? Ni le haut commissaire ni ses proches collaborateurs n'étaient présents à la fête de Gaston. Ça me rappelle quand Gaston et ses ministres avaient boycotté le 14 Juillet. Cela ressemble à des caprices d'enfants, mais, en réalité, c'est plus profond. C'est toute l'autonomie interne qui se met progressivement en place.

Depuis près de dix ans, de recours au tribunal administratif en chamailleries État Territoire, on apprend peu à peu, à partir d'un statut assez flou sur ce point, à démêler qui est compétent pour telle ou telle chose. C'est normal. L'autonomie interne façon polynésienne est quelque chose d'unique et comparable à rien d'autre. Pour trouver sa vraie nature et sa véritable place dans l'ensemble français, il lui a fallu (et il lui faudra encore) pas mal de tâtonnements.

Ce sera un équilibre (qui restera vraisemblablement toujours instable) entre deux forces opposées dont nous pouvons observer les manifestations à tout bout de champ et pour lequel le protocole constitue un indicateur très précis. Quand Gaston impose son Tahiti nui sans concertation, il va trop loin. Mais, le représentant de l'État ne fait pas mieux lorsque, en guise de représailles, il boude la fête du président qui est aussi celle de tous les Polynésiens.

30 juin 1993

Piqûres de nono

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Ma chérie...

J'ai réussi (vous savez que je ne respecte rien) à me procurer la lettre qu'un de nos hôtes de marque du Pacifique a écrite à sa femme. En voici la traduction : « Ma chérie, Je suis à Tahiti et tout va bien. Je suis cependant témoin depuis mon arrivée des choses les plus étranges. Nous avons d'abord été installés dans un hôtel très chic, mais dont la climatisation ne fonctionne pas et nous ne pouvons prendre des douches qu'à certaines heures, quand il y a de l'eau. Tout le monde ici a de magnifiques voitures, mais elles sont sans cesse coincées les unes derrière les autres sur une route minuscule. Heureusement que la conférence a lieu à l'hôtel, parce que la circulation est insupportable. À certains endroits, en ville notamment, on croirait qu'il y a eu un bombardement tellement les trous sont nombreux, larges et profonds dans les rues. Après les fortes pluies de ces derniers jours, c'est une vraie désolation. Aux carrefours, les feux sont arrachés avec des fils qui pendent et chacun passe comme il veut. Le soir, la ville est à peine éclairée et l'on hésite à s'y aventurer.

Pourtant, les prix sont incroyables. Tout est facilement trois ou quatre fois plus cher que chez nous. Je me demande comment font ces gens pour vivre.

Nous avons été très bien accueillis (entre nous, cela a dû leur coûter une fortune). Nous n'avons pas une minute, car nous sommes sans cesse invités de cocktail en déjeuner et de dîner en réception. Tant et si bien que l'on a tendance à dormir pendant les conférences. Nous avons même été invités à visiter Moruroa. Mais, pour ça, tout le monde s'est dégonflé.

Il me tarde de rentrer... »

1er juillet 1993

Piqûres de nono

123

Piqûres de nono

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Gaston Flosse reçu à Nukualofa par Sa Majesté Tupou IV, monarque absolu de Tonga

Invisible

Dites donc, quand elle a été élue pour succéder à Juju à la mairie de Papeete, il y en a qui ont laissé entendre que Louise Carlson ne serait qu'une femme de paille. La réalité est bien pire. C'est la femme invisible. Depuis son élection, c'est clair, on ne l'a plus revue. Elle est aussitôt partie pour Paris et Juju a simplement continué à diriger la mairie comme si de rien n'était.

On se moquerait un tout petit peu de nous que ça ne m'étonnerait pas. Je me demande si c'est bien légal tout ça. En tout cas, maintenant, on n'y comprend plus rien. On se demande qui est maire et qui est député. C'est vrai ça, Juju a été élu à l'Assemblée nationale, mais il n'y va jamais. En réalité, on s'y attendait. Juju n'a jamais caché que Paris, c'est pas son truc. Prendre l'avion, avoir froid, rester des heures en séance, quelle galère ! Gaston a dû se dire qu'il valait mieux faire le travail lui même, que ça irait plus vite.

Et même pour la mairie, c'est lui qui s'occupe. C'est Gaston qui vient de négocier avec le ministre à Paris pour le contrat de ville. Vous savez, ce truc super qui devrait transformer Papeete en vraie ville sympa avec des espaces verts, de belles rues bien propres, des parkings et tout. Bref une ville qu'on n’aurait pas envie de quitter à toute vitesse en sortant du bureau.

Je sais pas si on le verra un jour, mais y'a du boulot. C'est le moins qu'on puisse dire.

2 juillet 1993

Piqûres de nono

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Manifestation indépendantiste pour le 14-Juiillet

Piqûres de nono

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Essais

Ah, ma pauv’ dame, c'est bien difficile de faire des prévisions en politique. Tenez, tout le monde misait sur une reprise imminente des essais. À Moruroa, ils avaient même déjà commencé à creuser et plusieurs centaines de personnes étaient paraît il attendues dans la perspective des prochains tirs. Il fallait faire exploser la bombe avant les pluies, qu'ils disaient.

Les militaires étaient contents. On allait bientôt revivre le bon vieux temps des campagnes. Manque de pot, le vice-président américain est un écolo pur et dur et Bill Clinton a besoin de se refaire une image. « Les bénéfices tirés de ces essais seraient inférieurs au prix payé par rapport aux objectifs », voilà ce qu'il a dit le président américain. Traduction : ma cote dans les sondages est déplorable, il faut absolument donner un gage à tous ces pauvres électeurs que j'ai réussi à arnaquer. En plus, les Russes sont out et on a déjà de quoi faire sauter plusieurs fois la planète. Alors pourquoi dépenser plus ? Mitterrand, vous pensez bien, avec la cote qu'il a, c'est pas non plus le moment de jouer les matamores. Alors, il suit. Comme au poker. Pas de bombinette à Muru ! De Gaulle a dû se retourner dans sa tombe. Pensez, lui qui voulait sa bombe justement pour ne pas dépendre des Américains. Accroc dans la cohabitation. Tonton montre qu'il est toujours le patron. Chez nous Oscar est super content, mais on peut s'attendre à voir encore quelques milliards s'éloigner.

Piqûres de nono

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6 juillet 1993

Piqûres de nono

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Danseuse prodige au Heiva i Tahiti

Août

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. L'an dernier, à la même époque, on nageait en pleine affaire Chanut. Tahiti frémissait sous les révélations quotidiennes des journaux. Toute la classe politique déjà bien épinglée par les trois cents participants aux ateliers de réflexion de la Charte de développement, semblait devoir être emportée par ce raz de marée judiciaire.

Trafics en tout genre et notamment d'influence, perquisitions quotidiennes, interrogatoires, corruption, dépaysement, tout un vocabulaire nouveau et souvent obscur emplissait les médias et les conversations en ville. Le juge d'instruction était la vedette d'un feuilleton de l'été dans lequel les voitures bleues de la gendarmerie remplaçaient les voitures pie des séries américaines. Un feuilleton qui a fait rêver les Polynésiens d'un grand nettoyage, de l'avènement d'une société plus juste, et d'un nouveau départ.

Un an après, Chanut et Tetoe sont libres, on ne parle plus du tout des poursuites menées contre untel ou untel, la Charte de développement n'est plus qu'un souvenir et même Rivnac semble sombrer dans l'oubli.

Le mois d'août polynésien s'écoule paisiblement entre quelques imprécations politiciennes malvenues et, Dieu merci, la vision magique d'une jeune danseuse prodige, soudain surgie du néant et qui noie toutes ces laideurs sous sa grâce et sa beauté.

14 août 1993

Piqûres de nono 129

Gaston Flosse s’envole pour la Nouvelle-Calédonie avec son épouse Tonita et Edouard Fritch

Piqûres de nono

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Baleines

Une baleine dans le lagon... non mais ça va pas ! Vous vous souvenez ? C'est dans une publicité pour des lunettes. Et pourtant c'est vrai. Il y en avait même trois, ces jours ci, batifolant tout près de l'aéroport de Faa’a. Plusieurs témoins les ont remarquées. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'était des copines de Greenpeace qui venaient saluer Oscar en passant, vous me prendriez pour un zozo.

Des baleines dans le lagon, c'est très rare. Mais, vous savez, dans notre pays, on se retrouve souvent face à des situations pour le moins surprenantes. Tenez, prenez Gaston. Le voilà parti pour Nouméa pour aller éplucher les comptes de la Nouvelle Calédonie. Cocasse, non ? Les Caldoches ne semblent pas apprécier du tout. Gaston, lui, boit du p’tit lait. Pensez, sa qualité de rapporteur spécial du budget des Tom lui donne le droit de fourrer son nez partout. Il ne va sûrement pas s'en priver. Des fois qu'il découvre le secret des Caldoches pour obtenir des milliards de Paris.

Attendez, il y a beaucoup mieux. La gestion de Gaston président du gouvernement est contrôlée par le haut-commissaire. Ça, c'est normal, c'est le statut d'autonomie interne. Mais, en tant que député, rapporteur spécial du budget, Gaston peut désormais contrôler ce que fait le haut commissaire des fonds de l'État. Savoureux, n'est ce pas ? Quand je vous le disais, on est comme les baleines, on nage vraiment en plein surréalisme.

18 août 1993

Piqûres de nono 131

Piqûres de nono

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Gaston Flosse accueilli à son retour de Nouméa

Shocking

Qu'est ce qui se passe en Nouvelle Calédonie ? Pourquoi une telle hargne à l'égard de Gaston ? Certes, c'est traditionnel, chaque territoire est chatouilleux sur son autonomie et n'aime pas que les “cousins” se mêlent de trop près de ses affaires. On peut du reste se demander quelle eût été la réaction de Gaston et de sa majorité si Lafleur était venu à Tahiti en mission de contrôle financier.

Les relations Flosse-Lafleur41 sont tumultueuses depuis la nomination de Gaston en qualité de secrétaire d'État en 1986. Nul n'ignore que Lafleur voulait le job. Il paraît même qu'il était tellement convaincu d'être ministre cette fois, en avril dernier, qu'il s'était installé à Paris et avait déjà recruté les membres de son futur cabinet. Nouvelle blessure d'amour propre sur laquelle le Premier ministre a mis du baume en lui confiant une mission de développement des échanges commerciaux entre la France et les pays de la région Asie Pacifique. Véritable secrétariat d'État qui ne dit pas son nom et avantposte politique privilégié pour la promotion de Jacques Chirac dans cette partie du monde. Lafleur, en effet, ne désespère pas de décrocher le maroquin en 1995 sous une présidence Chirac dont il aurait été l'un des principaux artisans dans la région.

Gaston, dont le succès de Chirac est également la priorité politique, s'est empêtré dans le piège calédonien. Pourtant, rien dans tout cela ne justifie l'outrance de l'attaque RPCR qui a choqué tout le monde en Polynésie, y compris parmi les adversaires du président.

21 août 1993

41 Jacques Lafleur, député de la Nouvelle-Calédonie.

Piqûres de nono 133

Gaston Lafleur

Ce matin Gaston rentre de Nouméa via Wallis. Vu qu'il n'est resté qu'une heure dans le petit territoire pour une escale technique, il est fort peu probable que sa présence ait causé des remous semblables à ceux qui continuent de parcourir la Nouvelle Calédonie où Lafleur a publié une violente lettre ouverte à Gaston.

La presse parisienne s'est emparée de l'affaire, laquelle, tout en ne parvenant pas à détourner l'attention de la série Tapie-OMValenciennes, fait tout de même quelques gros titres dans la torpeur estivale française. Les journaux ne sont du reste pas totalement d'accord dans leur analyse. S'ils soulignent tous la profonde inimitié entre Gaston et Lafleur, les causes de cette situation sont expliquées différemment.

Une chose est certaine, tout ce petit monde va bientôt se retrouver à Paris et l'on peut penser que l'affaire sera réglée au plus haut niveau du RPR avec, on s'en doute, quelques éclaboussures. Les indépendantistes kanak ont naturellement tout intérêt à mettre de l'huile sur le feu, mais quand on les entend soutenir publiquement un Gaston Flosse conspué par le RPCR, on se dit que la politique est une bien étrange chose.

Hier, je vous disais que Gaston est tombé dans un piège. En réalité, c'est encore lui qui s'en sort le mieux. Il aura beau jeu à Paris de mettre en avant l'attitude inqualifiable des Caldoches à l'égard d'un député en mission officielle, pour expliquer qu'il n'est pas raisonnable de leur faire confiance dans le Pacifique.

22 août 1993

Piqûres de nono

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Historique

Est ce que vous vous rendez compte que nous vivons des moments historiques ? Oh, bien sûr, le mot a fortement tendance à être galvaudé ces temps ci. Mais, cette fois, je crois vraiment qu'on peut qualifier ainsi les semaines qui vont suivre.

D'abord, il y a le Pacte de progrès. Ils sont tous partis à Paris. Jeudi prochain, une grande réunion est prévue chez le ministre Perben et l'on devrait, enfin, parler de gros sous. C'est-à-dire qu'on devrait à peu près savoir ce qu'il va y avoir comme maa42 dans ce Pacte de progrès, à partir de quand et pendant combien de temps.

En tout cas, c'est sûr, la belle vie, celle du temps du CEP, c'est terminé. On a vraiment fini de faire la bombe. Maintenant, il va falloir resserrer la ceinture. Ça c'est historique. D'ici quelques années, Tahiti sera éventuellement le paradis des touristes, mais plus le nôtre. Il faudra réellement ramer pour s'en sortir. Impôts, charges sociales et tout le toutim vont nous rattraper vite fait. Quant aux fonctionnaires, je serais à leur place, je me ferais du souci pour mon indexation.

Heureusement, il va y avoir un autre truc historique dans les prochaines semaines. C'est la télé. Si tout se passe bien, on devrait connaître le nom de la nouvelle chaîne le mois prochain. Il paraît qu'il y a un projet prévoyant douze canaux différents.

De quoi nous faire oublier nos tracas. 23 août 1993 42 Nourriture.

Piqûres de nono

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Cocasse

Je craque ! Observateur politique, c'est déjà pas une sinécure, mais s'ils continuent, ça va devenir un vrai casse tête chinois.

La semaine dernière on vous en a assez parlé Gaston était en Nouvelle Calédonie pour mettre son nez de rapporteur du budget des Tom dans les comptes des Caldoches. Ça n'a pas plu. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas été accueilli avec des fleurs. En revanche, Lafleur l'a accueilli à sa manière. Plutôt musclée.

Bref. Ce qui est vraiment curieux, c'est les à-côtés politiques de l'épisode. Sur le Caillou, Gaston ne tarit pas d'éloges sur les indépendantistes, comme quoi ils sont vraiment forts en business et tout. Qu'ils ont fait de bons choix et que, même, ils devraient venir investir en Polynésie. Du coup, les Kanak sont ravis et soutiennent Gaston (ça me rappelle le corbeau et son fromage).

Attendez, c'est pas fini. Oscar, lui, il soutient Lafleur et donne raison au RPCR. Plutôt cocasse, la situation, non ? Comme je connais Gaston, il a dû se dire que si les Kanak investissaient en Polynésie, ce serait une sacrée pierre dans le jardin d'Oscar. Ces gars, ils se sont lancés dans plein d'affaires. Ils y croient au développement de leur pays. Alors qu'ici, c'est le contraire, au seul mot de développement, il leur pousse des boutons aux indépendantistes. Imaginez un peu que les Kanak s'intéressent à un projet d'hôtel à Tahiti. Je sais pas moi, à Rivnac par exemple.

Vous voyez un peu le topo ?

Piqûres de nono

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août 1993

Ordures

L'autre soir, je me baladais du côté de la Punaruu. L'angoisse ! Il y avait une de ces fumées. À couper au couteau. Yeux en larmes et suffoquant, j'ai fini par me rappeler. C'est là qu'ils déchargent les ordures maintenant. Ils nous refont le coup de Tipaerui.

Alors là, attention. Au lieu d'avoir une vallée de mécontents, ils vont bientôt en avoir deux. Certes, à Punaruu, ils sont moins nombreux. Mais, d'ici à ce qu'ils aillent demander le soutien des squatters de Rivnac qui sont à deux pas et qui n'ont plus rien à faire... Faut reconnaître, ces histoires de déchets, c'est un vrai problème. Il y a des tas de solutions, mais pas une seule vraiment efficace. Se débarrasser des ordures, ça n'a jamais été facile. Surtout qu'il y en a de plus en plus, si vous voyez ce que je veux dire.

Moi aussi, j'ai pensé à une solution. L'autre jour j'ai vu à la télé une zozotte qui se fait opérer tous les huit jours et vend les morceaux à des collectionneurs (si, si, même qu'elle avait les cheveux à moitié bleus). Alors je me dis, s'il y a des cinglés pour acheter ce genre de trucs (et cher en plus) et les exposer dans leur salon, je suis sûr qu'on pourrait en trouver qui achètent nos ordures. Il n'y aurait qu'à bien les emballer et, avec le label Tahiti, pas de problème. On pourrait les parfumer au tiare en mettant une petite fleur ou les glisser dans un bambou comme la vanille.

La grande classe quoi !

Piqûres de nono

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25 août 1993

Piqûres de nono

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Louise Carlson, maire de Papeete, inspecte la police municipale

Octroi

Les employés de la mairie de Papeete, ça fait pitié. Vous savez, hier, on vous a encore reparlé de tous ces nids de poules (d'ailleurs quand je dis nids de poules, ce serait plutôt des nids d'autruche) dans lesquels vous vous plantez régulièrement et même que parfois ça fait très mal. Ni une, ni deux, hier matin, dès la parution du journal, les pauvres ouvriers municipaux ont été envoyés en mission de replâtrage.

Je vous dis, ça fait pitié pai ! Vous les avez peut-être vus. Un camion de gravier, deux malheureux qui balancent quelques pelletées dans les trous, avant de tasser un peu du pied et un troisième qui passe un coup de balai par dessus pour égaliser le tout. Une heure après, le trou a entièrement expulsé son gravier et la rue est encore plus dégueulasse qu'avant. Mais où sommes nous ? En Afrique, au Bengladesh ?

Quand est-ce qu'on va enfin faire quelque chose dans cette ville ? Madame le Maire, vos petits saupoudrages sont ridicules et inutiles. Mais, vous n'y êtes évidemment pour rien. D'ailleurs personne n'est responsable et tout le monde s'en fiche royalement.

Vous n'avez pas les moyens ? Les gens sont irresponsables ? Admettons. Je vais vous donner un truc. Rétablissez l'octroi. Prélevez une taxe tous les matins à l'entrée de la ville sur tous ceux qui y passent la journée sans la respecter. Vous allez voir, tout s'arrangera très vite. 26 août 1993

Piqûres de nono

139

Le carrefour d’Outumaoro à Punaauia avant la construction de l’échangeur de la route des collines

Piqûres de nono

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Échangeur

On parle beaucoup de développement, d'économie productive et de création d'emplois en ce moment. Le doux temps où la France nous aspergeait de milliards qu'on pouvait dépenser comme on voulait, c'est (presque) fini. Depuis le fameux “Qui paie contrôle” de Rocard, la situation n'a fait que se dégrader.

Vous vous rendez compte ? Maintenant, il va falloir bosser pour s'en sortir. Il faut même déjà payer des impôts. C'est tout dire...

Le problème, c'est que ceux qui s'y mettent les premiers sont plutôt mal vus. Si j'en crois les gens qui m'écrivent ou viennent me raconter leurs malheurs, on dirait que, dès qu'ils veulent faire quelque chose, des barrières se lèvent immédiatement pour les en empêcher. En tout cas, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on ne leur facilite pas la tâche. La Polynésie est en train de se faire une réputation auprès des investisseurs, je vous raconte pas. C'est bien simple tout le monde se plaint.

Moi, j'y comprends plus rien. On supplie les investisseurs de s'intéresser à nous et, quand ils arrivent, on les chasse quasiment à coups de pierres. Faudrait savoir. Pour les touristes, c'est pareil. On dépense un fric pas possible pour les décider à choisir nos lagons plutôt que ceux des Antilles ou des Seychelles et, quand ils sont là, on fait tout pour leur faire regretter.

On vient d'inaugurer un superbe échangeur d'un milliard. Espérons qu'il va nous permettre enfin de nous engager sur la bonne voie.

27 août 1993

Piqûres de nono

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Contaminés

Si ça continue, on ne va bientôt plus pouvoir se nourrir. Depuis quelques semaines, ça n'arrête pas. Un gars se fait empoisonner par un crabe aux Tuamotu, les yaourts sont contaminés, la tortue, non seulement c'est interdit de la manger, mais en plus vous en crevez si vous le faites quand même, l'eau, on a beau dire, mais il vaut mieux faire gaffe, les tomates puent le produit chimique, le poisson vous colle la gratte et j'en passe.

Qu'est-ce qui nous arrive ? Le poison est omniprésent, la gastroentérite nous guette, la colique nous paralyse, l'intoxication alimentaire nous menace. Je vais vous dire une chose, bientôt pour la bouffe, ce sera comme pour le sexe, il va falloir manger avec un préservatif.

Les microbes sont partout et les virus nous envahissent. C'est ça le vrai danger. Le nucléaire ? Du pipi de chat à côté. La guerre bactériologique est engagée. C'est bien plus subtil. Vous draguez une jolie petite poulette et crac... manque de pot, c'était une bombe sexuelle. On vous transfuse du sang pour vous sauver la vie ? L'ennemi en profite pour s'infiltrer dans vos défenses. Vous salivez devant un maa juteux et il vous met raide mort en moins de deux.

À présent, c'est fini. On ne peut même plus crier : “Faites l'amour pas la guerre”. C'est de plus en plus la même chose. 28 août 1993

Piqûres de nono

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Et après...

Alors ce Pacte de progrès, ça roule on dirait. État et Territoire se sont mis d'accord sur “les grandes orientations de leur vie commune pour les dix ans à venir”. Toutefois, il reste encore pas mal de points financiers importants à régler. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je trouve que tout cela ne sent guère le grand amour. Quand une belle petite vous prend la tête et que vous décidez de rester avec elle, ça vous viendrait à l'idée de tracer les grandes orientations de votre vie commune pour les dix ans à venir ? En revanche, on sent nettement la sagesse, vous savez, du genre de celle qui arrive inéluctablement après de nombreuses années de vie à deux. La sagesse et puis, peut être aussi, la lassitude. France Polynésie, faut reconnaître, on ne peut pas vraiment parler de passion en ce moment. Ce serait plutôt le style marchandage. Faut voir comment Gaston rame à Paris pour obtenir ce qu'il demande. Ah, pour ça, il ne ménage pas sa peine. Mais, on dirait que c'est même plus dur qu'avec les socialistes. D'ailleurs, certains l'avaient prédit et on ne les a pas tellement écoutés.

Bon, admettons qu'ils parviennent à se mettre d'accord et qu'on soit peinard pour dix ans encore. Ce serait bien. Mais après ? Ça passe vachement vite dix ans. En principe, ce Pacte de progrès, c'est pour nous donner les moyens de nous préparer à nous débrouiller tout seuls. Vu comme on a réussi jusqu'à maintenant, ça fait peur...

août 1993

Piqûres de nono

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31

Piqûres de nono

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Le Boeing d’Air France a manqué son atterrissage, tout un symbole

Irremplaçable

Quel progrès ! En 1973, un Boeing de la Pan Am se crashe à Faa’a, un seul rescapé. En 1993, un Boeing d'Air France se crashe à son tour, pas une seule victime. “Air France va où vous rêvez d'aller”, qu'ils disent. Jusque dans le lagon. Ça c'est du marketing...

En tout cas, on peut dire qu'on l'a échappé belle. Pensez donc, s’il y avait eu un véritable accident. Pire, si nos missionnaires du Pacte de progrès, Gaston en tête, avaient été dans l'avion comme c'eût été le cas si Balladur n'avait pas reporté son arbitrage. Non seulement le Pacte était à l'eau, mais imaginez un peu qu'il arrive malheur à Gaston... Tout l'avenir de la Polynésie repose actuellement sur ses seules épaules et ses qualités de négociateur largement soutenues par ses relations d'amitié privilégiées avec Jacques Chirac. Qu'il disparaisse (ce qu'à Dieu ne plaise) et nous voilà dans une mélasse pas possible. Qui donc pour reprendre le flambeau autonomiste ? Juventin ? Léontieff ? Buillard ? Fritch ? Vernaudon ? Lequel pour tenir tête à Oscar et discuter avec Paris ? Lequel pour mener le Pacte de progrès à son terme ?

Nul n'est irremplaçable, a t on coutume de dire. Il suffit de constater l'engourdissement de la Polynésie pendant les absences du “patron” pour se rendre compte à quel point ce n'est pas toujours vrai. C'est tout à la fois la personnalité de Gaston et le système institutionnel qui ont provoqué une telle situation. Il serait sûrement judicieux de s'en soucier.

14 septembre 1993

Piqûres de nono 145

Verts

Jacky Bryant, c'est le genre de gars, tu peux difficilement l'obliger à la fermer. Il n'y a rien à faire, il faut toujours qu'il la ramène. C'est pas de sa faute, il est comme ça. Les atteintes à la Nature, il supporte pas. Surtout quand c'est le gouvernement ou ses services qui sont en cause.

Regarde, à peine muté à Tahiti, le voilà qui part en guerre pour une pauvre tortue disséquée par l'institut Malardé. Et la rentrée date à peine d'une semaine. Imagine un peu. Maintenant qu'il est ici, le bazar qu'il va mettre. Tahiti, c'est pas Bora Bora. En matière de dégradation de l'environnement et du non respect des normes, ici on est les champions du monde toutes catégories. Alors, tu penses, s'il commence déjà à rouspéter pour une malheureuse tortue...

Gaston43 (non pas celui là, l'autre) il a été vachement malin. Il a réussi à s'en débarrasser. Mais, maintenant, j'en connais qui vont regretter de pas l'avoir laissé à Bora Bora, le Jacky. Au moins, là-bas, Flosse était son seul souffre-douleur et ses querelles se limitaient à quelques histoires d'eau. Maintenant, il a tout le champ du possible pour lui. Un vrai filon. Il doit déjà se demander pourquoi il n'a pas sollicité lui même sa mutation à Tahiti plus tôt. Tout ce temps perdu, tu te rends compte ?

Finalement, les écolos, on les appelle les verts. Mais, en réalité, c'est ceux qui se font sans arrêt astiquer qui sont les plus verts... ou qui vont très vite le devenir.

15 septembre 1993

43 Gaston Tong Sang, maire de Bora Bora.

Piqûres de nono

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Couleuvres

Gaston est rentré. Il a l'air un peu crevé. Faut dire qu'il s'est démené comme un beau diable à Paris. Il leur en a fait voir. Même qu'ils auraient aimé qu'il leur lâche un peu les baskets à la fin. Pour les ministres à Paris, Tahiti c'est pas le paradis vous pouvez me croire. Ce serait plutôt le casse tête chinois.

Pour le Pacte, Gaston se dit satisfait. C'est vrai que soixante-deux milliards sur cinq ans, c'est pas mal. C'est en tout cas plus de la moitié de ce qu'il voulait au départ. Mais, il vous dit ça sur un tel ton, qu'on se demande s'il le pense vraiment. À mon avis, il a dû en avaler des couleuvres. Un max. Surtout, venant de ses amis politiques, ça a dû être encore plus dur.

Il se passe aussi que la plupart du moni sera mis à la disposition du haut commissaire. La confiance règne. Naturellement, les projets d'investissement seront proposés par le Territoire, mais c'est quand même l'État qui décidera en fin de compte. Gaston, il est malin. Il a demandé au ministre Perben de garder Michel Jau comme hautcommissaire. Si ça marche, ça devrait quand même faciliter les relations.

Mais, pour le fonctionnement et la solidarité, je crois malheureusement qu'il va falloir se débrouiller. Paris n'a pas été très généreux dans ce domaine. Ça veut dire qu'il faut s'attendre à payer plus de CST44 l'an prochain. Y'a pas de secret.

16 septembre 1993

44

Piqûres de nono

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Contribution de solidarité territoriale, premier impôt sur le revenu polynésien.

Canal +

Alors là, les gars, ça va pas être triste ! Je dirais même qu'on va franchement se marrer. Les huiles de Canal + sont à Tahiti pour étudier la possibilité de s'implanter ici. Encore un projet de télé privée, pensez vous ? C'est vrai. Mais attention, celui ci a l'appui de Gaston qui en a même parlé au président du CSA45 lorsqu'il l'a rencontré à Paris. Alors, forcément, ça a l'air sérieux.

Pourtant, je me demande si notre président a bien mesuré tous les risques. Vous imaginez un peu, si Canal + s'installait à Tahiti et qu'on ait droit tous les jours aux Guignols de l'Info ? Ok, d'accord, des guignols dans l'info, c'est pas vraiment ce qui manque à Tahiti. Il y en a même sans arrêt de nouveaux en ce moment. Mais, ceux de Canal +, attention, c'est autre chose. Ils font rire eux. Sauf leurs victimes, naturellement. Demandez à Balladur par exemple. Il n'apprécie pas, mais pas du tout, sa caricature sur Canal +. Faut reconnaître que les gars sont féroces. Ils n'y vont pas de main morte. Gaston, lui, il doit essayer de se rassurer en se disant que même allumé par les Guignols, ça n'empêche pas de grimper dans les sondages.

Moi, en tout cas, quand je vois les réactions qu'ils ont tous pour une malheureuse petite piqûre de nono de rien du tout, je peux vous dire que si les Guignols rappliquaient, ce serait une vraie panique dans le microcosme.

21 septembre 1993

45 Conseil supérieur de l’Audiovisuel.

Piqûres de nono

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Tourisme

C'est la semaine du Tourisme. On va se gargariser quelques jours avec de beaux discours et plein de bonnes intentions. Exactement comme on fait depuis des années. C'est tout. Il faut bien se l'avouer, en dépit de ce que l'on dit, des touristes, on n'en veut pas.

Tiens, l'autre jour, on a reçu un pavé de cent cinquante pages sur le tourisme avec des tas de tableaux et de machins, débrouille-toi avec, pas même une séance de présentation pour t'expliquer.

Pire, les hôtels ferment, ceux qui se construisent ont bien du mal à se terminer et ceux qui sont en projet, les populations les rejettent. Les activités touristiques ont toutes les peines du monde à se développer.

Est ce vraiment la peine de mentionner les tarifs exorbitants des produits locaux ? Quatre cents francs46 pour un malheureux jus de fruit, par exemple, les Américains ça les rend fous. Ils passent une semaine en Polynésie et les prix c'est 90 % de leurs conversations.

En plus, le thème de la semaine, c'est : “Tourisme et environnement”. Parlons-en ! Y'a un sacré boulot dans le domaine. Dans le lagon, on voit déjà plus de sacs en plastique que de poissons et, sur terre, il y a tellement d’ordures qu'on croirait toujours à une grève des éboueurs. Certains voudraient que la justice fasse interdire la décharge à la Punaruu. Où est ce qu'on mettrait les déchets ? Personne n’en veut. Il faudrait peut être passer de vallée en vallée autour de l'île pour, finalement, se retrouver à... Tipaerui.

28 septembre 1993 46 3,35 euros.

Piqûres de nono

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Small is beautiful

On n'entend plus que ça. Les gens se plaignent des obstacles qu'ils rencontrent dans leurs initiatives, dans leurs projets d'investissement et toute cette sorte de choses. Ils rouspètent contre une administration et un pouvoir politique tatillons, mesquins et jaloux de leurs prérogatives. Je peux vous dire qu'on n'a rien inventé. Cette peste frappe partout. Nous l'avons simplement importée comme les cafards, les rats, le miconia ou la grippe espagnole.

Aux États-Unis, le vice-président Gore s'est attaqué à une bureaucratie prévoyant, par exemple, l'intervention de quarante trois agents pour changer une ampoule. En Europe, la vieille Europe, les administrations vivent encore sous des règles napoléoniennes désuètes. Et quand on voit les juges anglais se balader jusqu'au fin fond du Commonwealth avec leurs fausses perruques en poil de j'sais pas quoi, on se demande si on ne s'est pas trompé de chaîne.

Ici, forcément, on ne s'est pas foulé. On a copié plein pot. Tout ce qu'il y avait de pire, on l'a ramassé. C'est pas qu'on soit plus stupide qu'ailleurs, mais, le pays est petit et ça se voit plus.

Tout n'est pourtant pas irrémédiablement perdu. Il suffirait de s'y mettre et le moment est bien choisi. Des petits qui font mieux que les gros, il y en a des exemples à la pelle. Regardez les fables de la Fontaine, David et Goliath, l'homéopathie...

Small is beautiful.

Nous n'avons pas beaucoup de ressources ? Alors, retournons nous vers le futur, essayons d'avoir des idées neuves. 29 septembre 1993

Piqûres de nono

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Illusions

Vous avez vu à la télé ? Une super émission sur les magiciens, prestidigitateurs et autres illusionnistes. Je sais pas pour vous, mais moi, ce genre de trucs, je plonge complètement. J'adore.

En tout cas, ici, question illusion, on n'est pas privé. Des spécialistes de la poudre aux yeux, on n'en manque pas.

Des exemples ? Vous avez les manipulateurs de l'information, experts dans l'art de vous faire prendre des vessies pour des lanternes (ils essaient de nous piéger tous les jours). Vous avez la banque, vachement forte, qui jongle avec les milliards sans jamais en laisser tomber un. Et puis, naturellement, vous avez les plus grands, les éléphants de l'illusion : les politiques.

Emile, tiens. Il vous fait le tour de la malle magique de main de maître. Vous savez, le gars s'enferme dans sa malle, on l'attache avec une chaîne et, quand on ouvre, pfffittt, il a disparu. Emile, il a remplacé la malle par un cocotier (spécificité locale), mais, le problème, c'est qu'il a VRAIMENT disparu. On ne l'a plus revu.

Juju, encore un magicien expert. Tout le monde vous le dira. Il a même réussi à hypnotiser Louise pour qu'elle fasse tout ce qu'il veut.

Et Oscar, le roi de l'illusion, qui vous berce de paradis retrouvés et de lendemains enchanteurs dans une Polynésie enfin libérée des milliards de la France.

On a tant d'artistes, chez nous, que la télé pourrait faire une émission spéciale. La Marche du Siècle, ils nous ont plantés47, mais pour la magie, pas de danger : il y a matière !

30 septembre 1993

47 Jean-Marie Cavada avait envisagé de produire une émission “Spéciale Polynésie française” de cette série, mais le projet n’a pas eu de suite.

Piqûres de nono

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Le haut commissariat à Papeete

Piqûres de nono

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Pizza

Le haut commissaire a le sens des formules. Il souhaite faire passer le message selon lequel l'État et le Territoire sont “ en harmonie”.

Il y a quelque temps, on aurait sans doute dit qu'ils étaient “ en phase”. Les modes changent, les verbales comme les autres. En tout cas, du point de vue des restrictions budgétaires aussi, l'harmonie semble régner. On a pu s'en rendre compte vendredi soir, au cocktail de départ du secrétaire général, au cours duquel la frugalité du service a été remarquée et abondamment commentée par les invités. Désormais, paraît il, il faut montrer l'exemple et, de toute façon, on n'a plus les moyens. Du coup c'est pizza en hors d'œuvre, pizza au milieu et... pizza en dessert. Tant pis pour ceux qui n'aiment pas l'Italie.

Ne me faites pas dire que le haut commissaire devient un adepte de la cuisine florentine. Bien qu'il ait eu l'occasion, au cours de sa brillante carrière, de s'y initier auprès des plus grands. Je crois qu'il ne faut pas chercher si loin le symbolisme de cette histoire de pizza et n'y voir qu'un louable souci d'économie.

Les crédits qui ne passeront plus en petits fours variés, sucreries et autres gâteries mondaines, vont être, c’est certain, entièrement reversés au profit des populations nécessiteuses dans le cadre du Pacte de progrès.

4 octobre 1993

Piqûres de nono

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Criantes

Mais qu'est ce qui se passe avec les ordures ? On nous avait annoncé, il y a quelques semaines, que l'État prenait les choses en mains et que, nous allions voir ce que nous allions voir, tout allait rentrer dans l'ordre, vite fait bien fait.

Pas du tout.

Nous aurait-on menés en bateau ? Je me demande si entre les divers Zorros de l'État, il n'y aurait pas quelque petite jalousie qui viendrait encore retarder leurs actions justicières et nettoyantes. Pour ma part, je trouve qu'il y en a un peu marre de cette histoire. On ne nous fera jamais croire que l'on est incapable de résoudre le problème. On ne parle plus simplement de gros sous ou de problèmes techniques. On n'en est plus à savoir si untel ou untel est gêné par des bruits lorsqu'il écoute sa chaîne hi fi. Maintenant, c'est la santé des gens qui est en jeu. On ne rigole plus. Même moi.

Ces pauvres riverains, il faudrait peut-être enfin penser à eux. Si l'on en croit ce qu'ils disent, leur vallée est devenue un véritable enfer. Oh, je sais, une fois de plus, personne n'est responsable dans cette affaire. Tout le monde était d'accord pour que Tipaerui soit la poubelle de l'île. Le hic c'est que les choses évoluent tellement vite à présent, qu'ils sont de plus en plus nombreux à souffrir et à se plaindre.

Bravo pour le Pacte de progrès ! Bravo pour tous ces milliards que la France nous accorde généreusement. Mais, de grâce, qu'ils servent avant tout à régler les difficultés les plus criantes.

Piqûres de nono

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Mentalités

Le Pacte de progrès commence à porter ses fruits, on dirait. On nous a déjà goudronné la route des collines (entre nous, il y avait d'autres priorités en matière de routes, mais ne faisons pas la fine bouche), on lance une grande enquête sur la contraception et... les projets refleurissent. Pour les projets, on est champion du monde. Espérons simplement que, cette fois, ça va marcher.

Pour le reste, il semble que ce que dit Gaston est vrai. Les mentalités évoluent. On a accepté de payer la CST, on parle ouvertement de planning familial, les exportations commencent à intéresser du monde et l'État et le Territoire sont en harmonie. Tout arrive. La confiance pointe son nez et on en a bien besoin.

Mieux, grâce aux Chinois, on pourrait bien se retrouver une fois encore avec le beurre et l'argent du beurre. Ils viennent de faire péter une bombe dans leur désert (on n'a d'ailleurs pas spécialement entendu les râleurs habituels). Du coup, Clinton s'est fâché et menace de reprendre les essais américains. Auquel cas, Mitterrand suivrait, forcément. Et nous, on se retrouverait avec les retombées économiques des essais PLUS le Pacte de progrès. Génial, non ? À condition toutefois que la loi d'orientation soit votée avant la reprise à Moruroa. Ils sont pas complètement demeurés à Paris.

Le problème, c'est que, si ça marche et que le moni coule à nouveau à flots, on risque de voir le naturel rappliquer au galop et les mentalités repasser vite fait par la case départ.

octobre 1993

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Le père Paul Hodée (1930-2016) signe son recueil Tahiti 1984-1993 (Papeete, librairie Archipels)

Rêves

Nous avons une nouvelle attraction à Tahiti. C'est un spécialiste de l'interprétation des rêves. Celui là, à mon avis, il a oublié d'être idiot. En Polynésie, c'est un véritable filon qu'il va trouver et il n'est pas près d'être au chômage.

Ne dit on pas déjà que Tahiti est une île de rêve ? N'évoque t on pas le rêve polynésien ? On a des filles de rêve et les touristes sont censés passer des vacances de rêve. C'est bien connu, on rêve tellement ici qu'on le fait même éveillé. Et l'on en voit de tellement bizarres, qu'on est parfois obligé de se pincer pour se prouver qu'on ne rêve pas.

En plus, le gars qui interprète les rêves, il ne devrait pas avoir trop de mal. Ici, nous sommes des gens simples. Nous rêvons de façon banale. Par exemple que nous gagnons au Millionnaire. “Allô, Docteur, j’ai rêvé que je gagnais au Millionnaire, qu'est ce que ça veut dire ?”.

Il y a quelques variantes, naturellement. Certains rêvent que la France fait couler une marée de milliards sur la Polynésie. D'autres, au contraire, qu'elle ferme le robinet (on ne peut jamais contenter tout le monde). J'en connais qui rêvent de prendre la femme de leur copain, de conduire sa béhème et de se baigner dans sa piscine (ne cherchez pas de qui je veux parler, ils sont bien trop nombreux).

Moi, ce que je voudrais, c'est voir des tas de groupies sympas m'attendre le soir à la sortie du journal. Oh, je sais bien ce que vous allez me dire. Mais quoi, on peut toujours rêver, non ?

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octobre 1993

Tourisme kanak

Alors là, c'est la meilleure ! Un élu calédonien, indépendantiste de surcroît, vient chez nous, en Polynésie, pour s'inspirer de nos merveilleuses réussites en matière de tourisme. Le gars, je ne sais pas qui l'a informé, mais il risque de ne pas être déçu du voyage.

S'il avait voulu vraiment savoir comment s'y prendre pour développer le tourisme dans ses îles, il aurait pu visiter les pays qui ont réussi dans ce domaine. Je ne sais pas, moi, il aurait pu aller à Honolulu, à Miami, à Guam ou même à Fidji. Mais, pensez donc, il a préféré Tahiti.

Peut être que c'est parce que ses îles ont des points communs avec les nôtres et qu'on lui a dit que les bungalows sur l'eau marchent très fort. Alors, il va à Bora. Et il n'y comprend plus rien. Il voit d'un côté des hôtels super, toujours pleins. Et puis aussi des indépendantistes, comme lui, qui essayent de le persuader que, pouah caca ! c'est pas bien du tout les bungalows sur l'eau. Qu'il vaut mieux les autres hôtels, ceux qui sont toujours vides. Ou mieux encore, pas d'hôtels du tout. “Mais comment je fais, moi, pour développer mes îles et donner du travail à mes jeunes ?” qu'il leur demande le Kanak, perdant ainsi une excellente occasion de se taire.

Et puis, il ira voir Oscar. Alors là... Des recettes pour développer le tourisme, il est sûr d'en récolter, à base de chaînes et de cocotiers, de marae, de vieux os et de squatters. Le maire de Faa’a, il en connaît un bout sur la question. 9 octobre 1993

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Mutoi Farani

Les gendarmes, c'est bien vrai, les enfants les adorent. Avec leurs képis et leurs uniformes, ils les impressionnent tant que les chers petits vous disent bien souvent qu'ils veulent être gendarmes quand ils seront grands.

Pourtant, en grandissant, ils changent d'avis. Le gendarme, c'est aussi vrai, c'est celui qui se cache derrière son radar pour vous coincer sur la route. C'est lui qui déniche la plantation de paka que vous aviez si bien planquée et amoureusement soignée. C'est lui qui vous traque si vous avez fait un sort à votre belle mère.

Maintenant, le gendarme à Tahiti, est surtout devenu la terreur des hommes politiques et des businessmen. Le gendarme s'est transformé en Zorro, pas toujours suivi, du reste, par la justice qui laisse souvent échapper les proies qu'il lui livre. Le gendarme avale les couleuvres et poursuit sa tâche, imperturbable.

Malgré les techniques ultramodernes dont il dispose désormais, le gendarme reste un élément majeur de la communauté. Surtout dans les districts et dans les îles où le mythe du brave pandore, gendarme de Saint Tropez ou gendarme de Huahine, est toujours bien vivant.

Cela fait cent cinquante ans que le gendarme est en Polynésie française. L'espèce, connue localement sous le nom de mutoi farani se porte bien et n'est pas menacée de disparition pour le moment. Elle est même tellement vivace qu'elle investit dans l'immobilier et que son chef local a été promu général.

11 octobre 1993

Piqûres de nono

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Mémère

J'ai déjà attiré votre attention sur les pièges de la langue française. Certains tombent dedans plein pot.

Hier, à la radio, j'en ai entendu un qui parlait d'un certain salon auquel il avait participé sur le motu48 d'Arue. Le journaliste lui demandait ses impressions après ce salon. “L'affluence n'a pas été formidable, a répondu le gars en substance, mais il est toujours agréable et instructif de pouvoir se regrouper sur la mémère...”

J'avoue avoir été un peu surpris. Je me demandais bien de quelle mémère il voulait parler, et qu'est ce qu'ils avaient bien pu lui faire à cette pauvre vieille ! Puis, j'ai fini par comprendre. Le gars voulait dire “même aire”. Il faut faire gaffe à ce qu'on raconte quand on cause dans le poste.

De toute façon, le français dégénère de plus en plus. Prenez les interviewers les plus célèbres sur les chaînes de télé les plus prestigieuses. Ils ne savent même plus (entre autres) qu'il existe une forme interrogative. C'est tout de même pas banal pour quelqu'un dont c'est le métier de poser des questions. La culture des banlieues envahit tout. Très bientôt, les présentateurs télé ou radio ne parleront plus qu'en verlan ou par onomatopées, avec quelques mots d'argot et d'anglais au milieu.

Tiens, on nous offre une semaine du goût pour nous rappeler que dans la vie il y a de la richesse, de la variété et aussi, peut être, qu'il y a une langue et des mots pour exprimer tout ça. Avec beaucoup de précision.

12 octobre 1993

Piqûres de nono

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Ilot.

Gratteur

Un oiseau migrateur, naturellement, vous savez tous ce que c'est. C'est un oiseau qui ne se gratte que d'un côté. Et un homme politique migrateur, qu'est ce que ça peut bien être ? Mais c'est Gaston bien sûr. Notre cher président n'arrête pas de migrer. Il migre tellement qu'on se demande toujours où il est. Un jour ici, un jour là. Ses adversaires ont un mal fou à le localiser. Malin, non ? Mais, Gaston n'est pas seulement migrateur. Il n'est pas du genre à faire les choses à moitié. Il est aussi gratteur. En fait, gratter est devenu son activité favorite. Cela ne veut pas dire qu'il a la gratte. Pas du tout. Il l'a expliqué aux journalistes qui l'accompagnaient à l'aéroport, hier matin. À Paris, il a l'intention de voir s'il ne peut pas encore “gratter” quelques millions par ci, par là.

Un reporter parisien à l'aéroport de Roissy : “Monsieur le Président, peut-on vous demander ce qui vous amène à Paris aujourd'hui ?”

Gaston : “Je suis venu pour gratter”.

L'autre (qui n'a pas suivi les épisodes précédents) : “Vous avez des problèmes de santé ?”

Gaston (légèrement irrité) : “Pas du tout. Je vous ai expliqué que ce n'était qu'un simple bilan. Je suis venu gratter pour le Pacte”.

Moi, je trouve qu'il a raison Gaston. Plus il grattera, plus il a de chances de décrocher le banco et peut être même les trois télés. Qui sait ?

Alorrrrs là...

Piqûres de nono

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octobre 1993

Martyrs

Dites donc, le mythe de l'enfant roi en Polynésie, il se prend un sacré coup de vieux. Les chers petits, on les croyait chouchoutés, cajolés, libres de faire ce qu'ils veulent, grandissant comme ça, naturellement, dans une sorte d'éden où ils ne connaîtraient ni la tristesse, ni la souffrance.

Pas de bol, on avait tout faux. Soudain, le couvercle de la cocotte saute. Les bandeaux tombent de nos yeux. Et qu'est-ce qu'on découvre ? Des tas de pauvres petits êtres martyrisés, battus, violés, mal éduqués, promettant de faire des hommes et des femmes malades dans leurs têtes et qui, à leur tour, martyriseront leurs propres enfants. Pour se venger de la vie.

Brrrr ! Sombre histoire...

Heureusement, des voix s'élèvent, de plus en plus nombreuses, pour casser le tabou, ce mythe qui arrangeait tout le monde et ne correspondait à rien. Ou à pas grand-chose. Des enfants-rois, il y en a partout dans le monde. De petits martyrs aussi. La Polynésie, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, s'aperçoit peu à peu, avec étonnement, qu'elle n'est pas différente du reste du monde. Que les hommes et les femmes n'y sont ni meilleurs ni pire qu'ailleurs et que les solutions expérimentées depuis des années dans d'autres endroits peuvent très bien s'adapter ici aussi avec bonheur.

À une condition toutefois. Que le soufflé ne retombe pas aussitôt sorti du four et qu'on ne replace pas la chape du silence sur un problème qui nous semblerait insurmontable par manque de moyens… ou de courage.

14 octobre 1993

Piqûres de nono

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Goût

Heureusement que c'est la semaine du goût, parce que moi, il y a des jours, je n'ai plus de goût à rien. Alors je vais demander aux Toques blanches de me réapprendre les bonnes choses. Et toc !

D'abord, il y a la base, les quatre saveurs simples, comme les couleurs ou les notes de la gamme : amer, acide, sucré et salé. Jusque là, pas de problème. La difficulté c'est quand vous commencez à les mélanger. J'y comprends plus rien. D'ailleurs, ça me fait penser à la politique. C'est exactement pareil. Vous avez la base et les partis de base. Vous rajoutez les différentes tendances et les susceptibilités de chacun, vous remuez bien le tout et, neuf fois sur dix, vous obtenez une cuisine électorale immangeable.

Tout ça a de quoi vous dégoûter. C'est ce que je vous disais tantôt. Les Toques, ils feraient bien de réapprendre aussi à nos politiques à améliorer leurs recettes. On serait peut être moins assailli de toute part de déclarations amères, de répliques acides ou de communiqués aigres-doux.

Vous voulez mon impression ? Je crois que l'on se dirige vers une crise de régime et que, de toute façon, la note risque d'être salée.

Peut être que vous n'avez rien compris à mon chop suey. Je vous avais prévenu. J'ai perdu le goût. Je crois que je vais demander aux Toques blanches...

15 octobre 1993

Piqûres de nono

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Piqûres de nono

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Michel Buillard, ministre de la Santé, entouré des membres de son cabinet, reçoit Anne Boquet, secrétaire générale du haut-commissariat

Puzzle

Le puzzle se met en place et prend forme. Au début, il y a eu l'arrêt des essais. Tout le monde a flippé. Puis, la Charte de Développement. Tout le monde s'est défoulé. Il y a eu la noria des voitures bleues. Les perquisitions et les gardes à vue ont remplacé le foot et les jolies filles dans les conversations en ville. On a bien senti qu'il se passait quelque chose.

Puis, on a eu le Pacte. D'abord, on n'a pas très bien compris. On mélangeait tout. Mais, quand ils nous ont mis la CST, alors là, on s'est réveillé avec la bouche pâteuse. Comme après une nuit de bringue. Tout le monde KO, c'est passé comme lettre à la poste. Le Pacte c'était ça, en fait. Il fallait absolument “changer les mentalités”. Arrêter de tendre la main à tout bout de champ et aussitôt gaspiller le moni en mairies, emplois non justifiés et autres mirobolantes babioles. Désormais, on pourrait réclamer uniquement pour des dépenses “raisonnables”. Et puis, aussi, il allait falloir mettre un peu la main à la pâte et à la poche.

On peut dire que les choses bougent. Oh, naturellement, il ne faut pas rêver. Il y a bien encore des dossiers qui croupissent ici où là. Des financements qui se perdent faute d'avoir été employés. Quelques passe droits par ci, par là. On ne se débarrassera pas facilement des vieilles habitudes. Mais on voit déjà des trucs inimaginables il y a peu. En tout cas, il y a un argument qui doit nous motiver très fort, c'est qu'on n'a plus le choix...

Piqûres de nono

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16 octobre 1993

Stress

La semaine dernière a été meurtrière pour les mythes tahitiens. D'abord, c'est celui de l'enfant roi qui a été remisé aux oubliettes. Puis, celui de la vie facile et de la décontraction en a pris un vieux coup derrière les oreilles. On s'aperçoit que l'on est stressé à Tahiti. Le monde entier nous enviait notre style de vie mais, patatras, c'était tout faux. En réalité, en Polynésie, ce n'est qu'ulcères à l'estomac, dépressions nerveuses, mélancolie chronique et autres troubles de la personnalité.

Je vais vous dire, tout ça, c'est normal. Ce ciel toujours bleu, ce soleil qui n'arrête pas de briller, cette mer turquoise et chaude, ces vahinés si belles, il y a vraiment de quoi se flinguer. Tous les jours que Dieu fait, ça finit par vous taper sur le système. C'est bien simple, on n'en dort plus. Et de l'insomnie à la maladie mentale...

Ce qu'il nous faudrait, au fond, ce serait quelques bonnes gelées dans la grisaille, le matin, avant d'aller pointer au chômage. Il nous faudrait des banlieues bien sordides, des transports en commun surchargés, ou en grève, avec leurs hooligans et leurs skinheads qui vous font les poches et la peau sitôt la nuit tombée.

Ah, Monsieur, le paradis n'est plus ce qu'il était. C'est d'un ennui... À présent, ce qui fait rêver les jeunes, ce sont les jungles de béton et l'enfer des villes. Il n'y a qu'à voir les pubs les plus à la mode pour certaines boissons gazeuses.

Vous avez dit Tahiti ? Ringard, mon pauvre ami, et si déprimant...

octobre 1993

Piqûres de nono

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Au secours !

Vous savez combien la généalogie a d'importance dans nos sociétés océaniennes de tradition orale. Eh, bien, ça y est ! Moi aussi, Nono, j'ai réussi à établir ma généalogie. C'est grâce à trois chercheurs de l'Orstom49 et d'une université australienne qui feront une communication, rien que sur moi et mes ancêtres, aux prochaines Journées de la Recherche qui auront lieu la semaine prochaine à Papeete.

Alors, tenez vous bien ! Il paraît d'abord que mon vrai nom c'est Culicoides Belkini. Pas mal, non ? Ça fait plus chic que Nono. Mais c'est moins sympa. Tiens, je crois que j'utiliserai mon vrai nom quand j'irai chez ces fa’a’oru50 de Parisiens, juste pour leur en mettre plein la vue. Ici à Tahiti, vous pouvez continuer à m'appeler Nono.

Mes parents sont arrivés en Polynésie en 1959, en provenance de Fidji. Le pays leur a bien plu et, après les îles Sous le Vent, la famille s'est installée un peu partout à Tahiti et aux Tuamotu.

C’est pas drôle pour vous, je suis un “moucheron hématophage anthropophile”. Ne vous en faites pas, ça veut simplement dire que j'adore piquer les gens et leur sucer le sang. Rien d'extraordinaire, comme vous voyez. À ne pas confondre avec les “hémophiles anthropophages”, cannibales au sang clairet, beaucoup plus dangereux.

J'ai été ravi de connaître toutes ces choses sur mon passé et ma famille. Il n'y a qu'un problème. Je viens d'apprendre que l'on récolte toutes ces informations dans le seul but de me supprimer.

Au secours !!!

21 octobre 1993

49 Comme son nom ne l’indique pas : Institut de Recherche pour le Développement. 50 Fier, prétentieux.

Piqûres de nono 167

Autruches

Dans le communiqué du conseil des ministres de cette semaine, on parle d'une mobilisation contre la toxicomanie chez les jeunes. On sait que cela ne concerne en réalité que le pakalolo, le cannabis. Il n'y a pour ainsi dire pas d'autres drogues (illégales) en Polynésie et c'est fort bien.

Or, la même semaine, RFO diffuse un débat intitulé “J'ai fumé du hash” dont le but était de toute évidence de dédramatiser la consommation de cannabis et d'expliquer la profonde différence entre ce produit, considéré comme inoffensif lorsqu'il est pris avec modération, et les autres drogues qui entraînent accoutumance et le plus souvent délinquance.

On y voyait Yannick Noah, le célèbre champion-chanteur, dans une pose alanguie au milieu d'un décor exotique, expliquer que le paka est un phénomène de société, qu'il n'est plus tolérable de passer sous silence avec hypocrisie. Propos confirmés par un journaliste de Libération qui avouait publiquement savourer son petit joint quotidien sans problème depuis vingt cinq ans. Ambiance cool. On s'attendait à ce que quelqu'un allume un pétard et qu'ils nous fassent le coup de 50 millions de consommateurs en direct. Y'a pas à dire, les mentalités évoluent.

Alors, bravo pour les actions en faveur des jeunes. Mais, ici où le paka est plus qu'un phénomène social, un véritable style de vie, saurons nous aborder la question avec les yeux ouverts ? Souvenons nous quand même que se cacher la tête dans le sable, comme le font les autruches, n'a jamais empêché de recevoir des coups de pied aux fesses.

22 octobre 1993

Piqûres de nono

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Air France

Dites donc, sale temps pour la compagnie Air France. Après l'accident de son 747 dans le lagon le mois dernier, la voici en proie à la grève la plus violente que l'on ait connue dans toute l'histoire de l'aviation civile. Finies les années de prestige, c'est l'heure du serrage de boulons. Et pour ceux qui sont dans le pas de vis, ça fait très mal. Il va falloir se mettre au diapason des concurrents. Voilà ce que c'est les entreprises publiques. Un déficit ? Qu'à cela ne tienne ! Hop, une petite perfusion anesthésiante à base de sueur de contribuable. Comment ? Il ne prend jamais l'avion ? Et alors ? Il paie bien des cotisations sociales, même quand il n'est pas malade. C'est pas pareil ? Comment ça, c'est pas pareil ? Il faut bien que la France ait sa compagnie aérienne, non ? Vous imaginez un peu la France sans Air France ? Mais Monsieur, c'est impensable ! Ce serait comme... comme, je sais pas moi... Paris sans Tour Eiffel, les Alpes sans Mont Blanc, Pamela Anderson sans poitrine... Plat !

Air France, on va la privatiser, c'est sûr, elle est sur la liste. Et qui va l'acheter ? À bas prix, naturellement, vu la situation. Les Anglais, tiens, qui font des bénéfices énormes depuis la privatisation de British Airways, la grande rivale. Ou les Américains, qui restent les maîtres du transport aérien.

Et alors là, pauvre de nous à Tahiti, il faudra être rentables. Parce que, sinon, on aura intérêt à s'entraîner à ramer. Si vous voyez ce que je veux dire... 25 octobre 1993

Piqûres de nono

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Piqûres de nono

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Thérèse Heikapua Moke, Miss Tahiti 1993

Fragile

Décidément, les Marquises explosent complètement cette année. Miss, danseurs, musiciens, artisans, tout y est. Au top. Preuve que la qualité est là et que cet archipel n'aurait besoin que d'un petit coup de pouce pour y arriver. Voilà en tout cas des gens qui se sont pris en mains tout seuls et qui en veulent vraiment.

Un exemple.

La petite Heikapua Moke est Miss Tahiti. À ce titre, elle représente la Polynésie française. Mais elle symbolise surtout la réussite et les talents de son peuple. Certes, chacun lui manifeste encouragements et soutien. Toutefois, il ne faudrait pas que la pression se fasse trop pesante sur ses frêles épaules. Patiente, intelligente et posée, Heikapua n'en est pas moins fragile et il serait sans doute judicieux de la laisser souffler un peu avant la grande épreuve parisienne du mois de décembre. On en a assez vu craquer à quelques jours de l'élection (pas plus tard que l'année dernière) et l'expérience doit servir. Les êtres exceptionnels méritent un traitement tout aussi exceptionnel. Heikapua a donné énormément depuis son couronnement de juin dernier. Peut être déjà trop.

Pour une fois, essayons d'accorder toutes les chances de réussite à notre Miss en l'aidant matériellement (c'est en bonne voie) mais aussi en la préparant psychologiquement.

Une fois de plus, en tout cas, il se confirme que c'est dans les archipels, si délaissés en matière de développement, que la Polynésie possède ses richesses les plus précieuses. 27 octobre 1993

Piqûres de nono

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Clones

Un clone, vous savez ce que c'est ? C'est la reproduction exacte d'un être vivant à partir d'une de ses cellules. La science fiction, depuis des années, est pleine de ce mythe du clone. Imaginez un monde où les êtres ne seraient plus créés par Dieu ou le hasard, mais ne seraient que les reproductions de certains êtres choisis. Rigolez pas. On nous fait déjà le coup avec les tomates. Je l'ai vu à la télé. Maintenant, c'est plus sérieux. Des chercheurs américains viendraient de créer des clones humains. Alors, on peut naturellement craindre que, dans quelque temps, la Terre ne soit plus peuplée que de millions de clones d'hommes et de femmes sélectionnés comme étant les meilleurs. Oui, mais, sélectionnés par qui ? Encore, en sport, c'est facile. Le meilleur, c'est celui qui court le plus vite ou qui saute le plus haut. Mais, en politique, c'est qui le meilleur ? C'est vrai, ça n'arrête pas de changer. Un jour, c'est l'un, le lendemain, c'est l'autre. Avant que le premier ne refasse surface à la faveur d'un caprice populaire.

En tout cas, j'en connais un qui adorerait avoir des clones. C'est Gaston, bien sûr. Il pourrait ainsi être en même temps à Paris et à Papeete. Et puis, plus de problème de cumul des mandats. S'il voulait, il pourrait même se nommer dix fois ministre et occuper tous les postes du gouvernement à lui tout seul (si l'on peut dire).

Des Flosse partout… Le cauchemar d'Emile...

28 octobre 1993

Piqûres de nono

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Dinomania

Je voulais pas le faire. Mais est ce qu'on peut lutter contre la pub aujourd'hui, hein ? Je vous le demande. La dinomania nous submerge. Tout le monde y va de sa petite blague paléonto politique. Alors, pourquoi pas moi ?

D'autant qu'il y a matière. La politique locale, il faut bien le reconnaître, ressemble souvent à s'y méprendre à la jungle antédiluvienne où s'entredévoraient les monstres de l'époque. Bienvenue à Juju Rassis Park.

Au coin d'un bois, dans une clairière, vous pourrez sans problème rencontrer un Alexandrosaure en train de brouter tranquillement en compagnie d'un Graffodocus ou d'un Rauzyctérops. Pas dangereux. Vous pouvez y aller.

En revanche, si vous voyez un Frébausaure en plein combat à mort avec un Tefaarerex, ne faites pas comme le Lesegnonyx, éloignez vous et passez votre chemin. Vous pourriez y laisser des plumes.

Il est un endroit où niche une famille de sauriens particulièrement farouches et jaloux de leur indépendance. C'est l'Oscarosaurus Faaaiensis. Attention, aspect débonnaire, mais réactions rapides.

Et puis, avec de la chance, vous pourrez peut être apercevoir le Flossodactyle, très haut dans le ciel, au dessus des arbres. Difficile à étudier car sans cesse en déplacement dans les airs grâce à ses grandes ailes.

Il y en a des tas d'autres. Mais je ne voudrais pas vous raconter le film. Installez-vous confortablement. Pas besoin de salle obscure. Tout est là sous vos yeux. Action !... 29 octobre 1993

Piqûres de nono

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Riens

La vie est souvent faite de petits riens. C'est bien connu. Mais trois fois rien, ce n'est plus vraiment rien et, en tout cas, c'est mieux que rien.

Si l'on écoute attentivement les déclarations des signataires de ce protocole d'accord patrons syndicats du 21 octobre (qui va effectivement finir par devenir historique), on a affaire à un de ces riens. Je m'explique.

Pour les uns, les patrons, ce qui compte dans ce protocole, c'est la première partie (le gel des salaires). Et le reste, alors ? Oh, le reste, c'est rien. Ils l'ont accepté juste pour faire plaisir. En face, chez les syndicalistes, l'important c'est justement ce rien là (l'affectation de la CST à la CPS).

Et pour le reste ? Allez y, devinez... Gagné ! C'est rien ! Ils n'ont signé que parce qu'ils ne voyaient pas de réel inconvénient à l'accepter. De toute manière, ils vous disent tous que ce fameux document qui fait tellement parler de lui et qui provoque tous ces remous, n'a aucune valeur juridique, qu'il ne vaut pas la peine d'en faire tout un plat. Bref, que, au fond, c'est rien du tout. Rigolez pas, c'est vrai. Hiro l'a expliqué à la radio hier. Et, du coup, la grève de mercredi prochain ne repose sur rien.

Conclusion : en Polynésie française on se dispute et on se bat pour rien. Zéro. Vous me direz, zéro, pour une affaire de gel, quoi de plus normal ? 30 octobre 1993

Piqûres de nono

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Mort

Week end de la Toussaint. Le plus meurtrier de l'année sur les routes de France. Se tuer pour fêter les morts, avouez que c'est un comble...

La mort, on n'en parle jamais. C'est vrai, on n'ose pas. Ça fait peur. Et pourtant, quoi de plus naturel que la mort ? S'il est une chose dont on peut être sûr dans la vie, c'est bien de la mort, non ? Alors, ça vaut la peine d'y penser au moins une fois par an.

Les morts, vous me direz, c'est toujours les autres. Forcément. Et les autres, le plus souvent, on n'y pense que lorsqu'on en a besoin. Tenez, par exemple, ces pauvres morts de Rivnac, bien tranquilles depuis des siècles. C'étaient de braves morts, bien ordinaires (j'allais presque dire, comme vous et moi) qui ne demandaient rien à personne. Et puis, tiens, ils peuvent resservir. Du coup, les voilà bombardés vedettes culturelles.

En politique, c'est pareil. On utilise les morts pour justifier n'importe quoi. C'est pratique, on ne risque pas d'être contredit. Les grandes figures du passé, mises à toutes les sauces, doivent se transformer en toupies dans leurs caveaux chaque fois qu'on leur extorque un appui politique posthume.

Et puis, vous avez la sanctification des morts. Les pires crapules, dès qu'ils sont morts, se transforment en héros bienfaiteurs de l'humanité. On est tellement content qu'ils soient plus là pour nous enquiquiner, qu'on est prêt à leur reconnaître toutes les qualités.

Bon, allez, ça suffira pour cette fois. Après tout, la mort, y'a pas qu'ça dans la vie !

2 novembre 1993

Piqûres de nono

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Piqûres de nono

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L’acteur Yves Rénier (Commissaire Moulin) visite la rédaction des Nouvelles de Tahiti

7 sur 7

Dites donc, heureusement que la semaine se termine. On va enfin pouvoir souffler. Il y a des fois où l'actualité s'emballe.

Tiens, je vais vous le faire à la 7 sur 751 .

Lundi : Ah, mais non, ça va pas, lundi c'était férié. Tout le monde était au cimetière, bien tranquille. Vous savez, le genre “calme avant la tempête”.

Bon, je recommence. Bonjour Anne Sinclair !

Mardi : Le président de l'université promet de régler les problèmes de diplômes dans l'année. Au tribunal, le Territoire se désiste après avoir assigné Téléfenua52 en référé. Il paraît que le fameux décret va sortir (suite au prochain épisode). Plus croustillant, Samantha raconte ses histoires de massages spéciaux. “Personne ne m'a forcée”, déclare t elle au juge. Mais qu'on la laisse tranquille cette pauvre femme, si ça lui fait plaisir (chhhut ! on sait jamais, si je lui fais de la pub, elle va peut être m'en faire un gratuit, de massage).

Mercredi, jeudi : CPS, CST, grève, manif, syndicats, patrons, Territoire, bagarres médiatiques, compromis, soulagement, bonheur. Le projet de loi d'orientation est adopté à l'A.T. à l'unanimité. Même les indépendantistes n'ont pas voté contre. Faut dire, en ce moment, voter contre le Pacte, c'est pas évident. Incontournable.

Vendredi : Pas content, Paul Emile Victor quitte l'association Atuatu Te Natura qu'il avait fondée. Il trouve que Bryant fait trop de politique.

Samedi : Bronzette avec Vahine piti53 (ne le répétez surtout pas).

6 novembre 1993

51 Émission d’information hebdomadaire à succès sur TF1.

52 Première télévision privée polynésienne. Sa création avait provoqué la méfiance puis la colère de Gaston Flosse qui voyait en elle un instrument au service de l’opposition. Une guerre sans merci les a opposés jusqu’à sa disparition en 2002.

53 Deuxième femme, petite amie.

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Dépistage

Les politiques, ils sont vraiment super. Je me demande ce qu'on ferait sans eux. Prêts à inventer n'importe quoi pour justifier leurs indemnités. En tout cas, des fois, ils feraient mieux de réfléchir avant de l'ouvrir.

La semaine dernière, y'en a un, à l'assemblée, qui a proposé qu'on institue un dépistage systématique du sida à l'entrée du territoire pour toutes les personnes arrivant de l'extérieur. Je suppose qu'il voulait qu'on interdise l'accès du pays aux séropositifs pour nous sauver du fléau.

Voilà une idée qu'elle est bonne. Le hic, c'est qu'il faut plusieurs jours pour un dépistage. Et alors, qu'est-ce qu'on fait des voyageurs pendant ce temps, hein ? On les garde à l'aéroport jusqu'à ce que les résultats soient connus ? Extra pour encourager le tourisme, non ? Tiens, on pourrait même leur faire payer l'hébergement et les tests. Le trou de la CPS comblé en moins de deux. Ben voyons... On peut toujours délirer.

Attends, c'est pas fini. Il suffit d'une fois pour être contaminé, il faudrait donc dépister aussi tous les Polynésiens qui voyagent à l'étranger et, cela, à chaque retour. Y compris les politiques. Comme c'est eux qui voyagent le plus, je vous dis pas le cirque. D'autant que si on commence avec le sida, pourquoi ne pas imposer des tests pour toutes les autres maladies contagieuses ? Je me demande pourquoi il n'a pas proposé aussi une délibération interdisant les rapports sexuels avec les étrangers.

Heureusement, je vous rassure, l’idée de notre brave conseiller a été rejetée pour ce qu'elle est. Stupide.

Piqûres de nono

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8 novembre 1993

PROE

Une délégation du PROE est chez nous. PROE ça veut dire Programme régional océanien pour l'environnement. Avant, c'était une branche de la Commission du Pacifique sud mais, depuis un an ou deux, c'est devenu une organisation indépendante basée à Samoa. C'est bien de vouloir surveiller l'environnement régional. Mais avouez, placer une organisation chargée de ça à Apia, faut tout de même le faire. Oh, je sais, il faut bien que chaque pays de la région ait sa petite part de gâteau institutionnel. Et puis, le Samoa occidental, impossible de trouver moins cher.

Quant aux problèmes d'environnement, je doute qu'on puisse sérieusement les observer là bas. C'est un des pays les plus pauvres du monde, où l'on vit encore de façon traditionnelle. Pas d'industrie, presque pas de voitures, un tourisme quasi inexistant. Le PROE, on aurait voulu l'éloigner de son sujet qu'on n'aurait pas pu mieux faire. Ça me rappelle l'histoire du gars qui cherche sous un réverbère la clé qu'il a perdue ailleurs. Simplement parce que là, il y a de la lumière.

Alors, vous pensez, la délégation du PROE, elle va pouvoir se régaler à Tahiti. Ordures, lagons pollués, gaz d'échappement, usines, extractions sauvages de matériaux, bruit, fumées, assainissement inexistant, record du monde de gaspillage de l'eau, etc, j'en passe et des meilleures. Bref, pour des spécialistes de l'écologie, la Polynésie est un endroit rêvé. L'image même de ce qu'il ne faut pas faire. Du travail assuré pour des générations rien qu'en études et en rapports divers.

En revanche, pour les actions...

Piqûres de nono

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novembre 1993

Poilus

Les poilus de la Grande Guerre, on leur doit tout. Non seulement, ils se sont battus et fait tuer pour défendre le pays et la liberté, mais, en plus, grâce à eux, tous les ans, on ne travaille pas le 11 novembre. Demain, vacances. Comme c'est un jeudi, vous allez voir qu'il y en a un tas qui vont faire le pont. Rendez vous lundi. Merci les Poilus !

Je vais vous dire un truc. Y'a intérêt à ce qu'il y ait du monde demain au monument aux morts. C'est vrai, aux commémorations, d'habitude, il y a les officiels et les anciens combattants. Point. Le problème, c'est que ceux ci sont de moins en moins nombreux. Normal. Pour la guerre de 14, c'est pas dur, il n'y en a plus qu'un. Heureusement, ceux des autres guerres viennent aussi.

Faut faire gaffe, quand il n'y aura plus d'anciens combattants, comme tout le monde s'en fiche, faut bien le dire, il n'y aura plus personne aux cérémonies. On va finir par nous le sucrer notre 11 novembre (et le 8 mai aussi). Va falloir bosser ces jours-là. Alors, un conseil, demain, faites un effort, passez avenue Bruat. Qu'il y ait au moins un peu de public.

Imaginez qu'on n'ait plus de guerres et donc plus d'armistices ni de morts à commémorer. Imaginez qu'il n'y ait plus d'anciens combattants. D'un côté ce serait pas mal. Mais si en plus la religion se perdait encore un peu, plus de fêtes. Ils seraient capables de nous faire bosser toute l'année.

Et peut être même avec des salaires gelés, si ça se trouve.

10 novembre 1993

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Parrainage

Noël approche. Certains pensent déjà à vous proposer des idées de cadeaux originaux. Tiens, si vous voulez, vous pouvez offrir une baleine. Voilà un cadeau qu'il est surprenant, non ? Je ne blague pas, c'est tout ce qu'il y a de plus vrai. Vous payez une somme modique et devenez le parrain d'un cétacé. On vous adresse un magnifique certificat de parrainage avec le nom de votre “filleul”, sa photo et un journal vous tient régulièrement au courant de la santé de votre petit protégé et de l'utilisation des fonds recueillis.

Super idée, vous ne trouvez pas ? Pour aider à la protection des espèces en voie de disparition. Entre nous, ça tombe bien, mes espèces sont en voie de disparition. Qu'est ce que je peux faire ? Vous pourriez peut être me parrainer pour Noël. Envoyez moi vos dons aux Nouvelles. Je vous enverrai ma photo en train de siroter un drink à Bora Bora et le journal vous tiendra au courant de ma santé. Ça, c'est une idée de cadeau. En plus, vous ferez une bonne action écologique. Les nonos comme moi, vous pouvez y aller, il n'y en pas beaucoup. Vous avez vachement intérêt à me chouchouter.

Au fond, je vais vous dire, les écolos n'ont rien inventé. Aux Nouvelles, on fait ça depuis longtemps. Aux dernières élections, vous avez parrainé quelques spécimens d'hommes politiques. Chaque jour, nous vous tenons au courant de leur santé et vous leur envoyez votre pognon tous les mois…

La différence, c'est après, pour savoir où il passe !

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novembre 1993

Régime

Alors, il paraît qu'on est foutu, qu'on mange trop ? Comme dans la chanson. Trop gros, trop gras, trop d'alcool, trop de tabac, trop de sucre. On s'empiffre à ce qu'il semble, vu que, quand on meurt dans ce pays, on a une chance sur deux pour que ce soit à cause de ça. L'autre chance, c'est de se faire écrabouiller sur la route. Moralité, mettez-vous au régime, ne sortez plus de chez vous et vous ne mourrez plus.

Blague à part. Le sucre, c'est vrai qu'on n'y va pas de main morte à Tahiti. C'est sûrement le seul endroit au monde où l'on en rajoute dans le coca ou sur les ice creams. Encore une spécificité locale qui nous coûte la peau des fesses et déforme celles de nos belles vahinés.

Alors bon, on nous dit remettez vous au poisson et au taro comme au bon vieux temps. Vous aurez les dents blanches et l'haleine fraîche. Pour les dents, je veux bien. Pour ce qui est de l'haleine, pour peu qu'on assaisonne au fafaru, je m’demande...

En tout cas, c'est facile à dire. Allez convaincre les jeunes de renoncer aux twisties et au coca. À moins de ruser. Ils ne veulent rien que des trucs américains ? Pas de problème ! Y'a qu'à envelopper notre poisson et notre taro dans de beaux emballages plastiques tout écrits en anglais, en faisant croire que c'est du fishburger californien.

Malin, non ?

17 novembre 1993

Piqûres de nono

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Agriculteurs

Sympas nos agriculteurs. Pour être sûrs de vendre leur camelote, ils voudraient qu'on nous oblige à la bouffer. Pourquoi importer ?, y'a des tas de pamplemousses et d'ananas qui ne se vendent pas, qu'ils disent.

D'abord, ils ne se vendent pas, mais c'est pas pour ça que les prix baissent. Et puis, si on préfère manger des fraises ou des raisins, on a quand même bien le droit, non ? Bientôt, au titre de la solidarité, il faudra non seulement payer la CST mais aussi se goinfrer de pamplemousses toute l'année pour soutenir les producteurs locaux.

Y'a déjà des saisons ou vous ne pouvez plus acheter vos produits préférés. On vous oblige à consommer local... ou à faire ceinture. Un peu facile. Qui est incité à améliorer la qualité de ses oranges immangeables s'il n'a aucune concurrence ?

Ils ont quand même un peu de mal à expliquer comment des produits importés, qui viennent de si loin, par avion, et qui sont aussi taxés à l'arrivée, sont encore moins chers chez le marchand que les produits locaux. Comment se fait-il aussi que les gens n'hésitent pas à acheter des fraises à sept cents balles la barquette, des raisins à mille balles le kilo ou même des litchis à près de trois mille francs (qui viennent de Calédonie où ils sont donnés) ? Quand on a envie et que le produit est bon, on fait l'effort. Garanti.

Moralité, chers amis agriculteurs, proposez nous de bons produits, variés, et y'aura plus de problème.

novembre 1993

Piqûres de nono

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Cogneur

Faites des colloques, écrivez des articles, parlez à la télé. Tout ce ramdam médiatique a t il seulement un effet ? C'est à se demander. Quelques jours à peine après la réunion sur la maltraitance, un homme (peut on encore l'appeler ainsi) roue sa femme de coups jusqu'à ce que mort s'ensuive parce qu'elle... ne lui avait pas préparé son repas. Faut croire qu'il n'avait pas la télé et ne lisait pas les journaux.

En tout cas, les ministres qui lui ont remis son fare MTR54 , il y a quelque temps, et avec qui il se faisait fièrement photographier, ils doivent être contents, tiens ! Edouard était justement aux Australes hier pour remettre les clés des derniers fare. Il les a sans doute lancées de loin aux heureux bénéficiaires. C'est pas la peine de prendre le risque de se retrouver encore en photo dans les journaux en mauvaise compagnie. D'autant qu'aux Australes, ces temps ci, ils ont le coupe coupe rapide.

Vous me direz, les ministres, ils ne pouvaient pas se douter que le type allait tuer sa femme. Quoique. Il avait déjà fait dix mois de taule pour l'avoir copieusement amochée. Dans sa petite tête de cogneur, il a dû se dire que s'il recevait un fare MTR après ça, avec ministres et tout, on lui fournirait sûrement les meubles, la télé et la bagnole en plus pour le récompenser d'avoir achevé le travail.

Allez savoir...

54 Logement social.

Piqûres de nono

19 novembre 1993

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Solaire

J'ai du mal à le croire. Alors tous ces atolls des Tuamotu, que l'on a équipés en solaire à grands frais, ne seraient pas contents ? Même à Anaa, l'île modèle, que l'on a fait visiter avec fierté à tous les responsables du Pacifique sud, on serait en train de faire machine arrière ?

On nous avait dit, le solaire, pour les Tuamotu, c'est l'idéal. C'est vrai, ça paraissait logique. Pas de problème de matière première, pas de problème d'approvisionnement. Cher au départ, certes, mais on leur payait l'investissement et, ensuite, peinards, pas d'entretien. Parfait pour des îles très éloignées de tout.

On s'est donc mis à en installer à tour de bras des panneaux solaires, dans tous les atolls. Ça a coûté des milliards. Et maintenant, qu'est ce qu'on nous dit ? Qu'on construit une belle centrale thermique à Anaa. Que le solaire, c'est trop compliqué et que le système n'a pas donné satisfaction. C'est vrai. Passer de temps en temps un coup d’éponge sur des panneaux solaires, c'est plus difficile qu'entretenir un moteur diesel.

Alors le solaire, ça ne marche pas. La télé, ça ne marche pas. Les aérodromes sont dans un état lamentable et il n'y a toujours pas d'eau. À côté de ça, la perle rapporte des fortunes.

Je crois vraiment que dans le cadre du changement des mentalités et du Pacte de progrès, il va falloir très sérieusement revoir le problème des archipels.

22 novembre 1993

Piqûres de nono

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Fête du tiaré

Piqûres de nono

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Valeurs

Vous avez vu le sondage ? Il paraît qu'à Tahiti, la famille est le principal pilier de la société. La valeur la plus sûre. Le refuge pour la majorité des sondés. Après ça, il y a le pays, la justice, la langue et la religion. Quinté plus dans l'ordre...

Moi, on ne m'a pas sondé. Normal. Les nonos, on ne les sonde pas. Il vaut mieux d'ailleurs. Parce que le sondeur, il n'aurait pas été déçu du voyage avec mes réponses. D'abord, moi, toutes ces niaiseries, je trouve ça ringard. Pour moi la première valeur c'est le fric, le pognon, le blé, l'oseille. Ça, ça a de la valeur. La famille, mon œil. Avec les gosses qui cassent tout et la vahiné qui ne pense qu'à dépenser. Sans parler de la belle mère (vous voyez ce que je veux dire), des cousins et tout le toutim. Ah, non, merci !

Et puis après le fric, juste après, il y a le sexe. Alors là, d'accord. Voilà une vraie valeur fondamentale. Personne n'en a parlé du sexe. Et pourtant, c'est bien ça qui mène le monde non ? Le sexe et puis la violence. Z'avez qu'à voir au cinéma. Quels sont les films qui font le plus d'entrées ? Ceux qui parlent de famille et de religion ou ceux qui parlent de sexe et de violence ? Sûr que le sondage, ils ne l'ont pas fait à l'entrée des cinémas. Ni à celle des casinos.

Il faut bien se faire à cette idée. Les valeurs, mon pauv' Monsieur, c'est plus ce que c'était.

novembre 1993

Piqûres de nono

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Poils

Il y en a qui savent profiter de toutes les occasions. À peine avaient ils entendu parler de gel, qu'ils se ramènent avec des manteaux de fourrure. Seulement voilà, ils auraient dû écouter jusqu'au bout. Le gel, dont il était question, c'était celui des salaires. Du coup, allez donc vous acheter un manteau de fourrure avec un salaire gelé. Et puis, contre ce type de gel, je doute que le poil de vison ait le moindre effet.

Dans le cas contraire, on aurait déjà vu Frébault défiler en ville coiffé d'une chapka et avec des moufles. À l'arrivée de la manif, il aurait pu dire : “On a eu chaud !” en s'estimant heureux qu'on n'ait pas RÉDUIT les salaires.

On ignore encore quels animaux ont été sacrifiés pour la confection de ces magnifiques parures féminines qui doivent si bien mettre en valeur notre chère perle noire de Tahiti. Il paraît, en tout cas, que ce n'est que de l'élevage. Ouf, les écolos sont rassurés. Il y a peut-être des castors. Mais si, vous savez bien, celui qui travaille en eau trouble avec sa queue. On ne serait pas trop dépaysé.

De toute manière, moi je vais vous dire. Les poils, ça m'ennuie. Je m'emmêle les pattes dedans et ça m'empêche de piquer. En revanche, à poil, c'est tout à fait différent.

Alors là, oui, un défilé avec des perles, super !...

Piqûres de nono

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24 novembre 1993

Réconciliation

On se réconcilie dans la communauté chinoise. Il était temps. Toutes ces chamailleries faisaient vraiment désordre. Maintenant qu'ils ont même un ministre, et à l'économie en plus, ils ont tout intérêt à se montrer solidaires.

Les temps sont à l'union. La vie est plus difficile qu'avant et les affaires marchent moins bien. Et puis, il y a toute une culture qui menaçait de se perdre à cause de ces querelles stériles. Ce serait dommage. Elle apporte un sérieux plus à la société polynésienne. Pourrait on imaginer Tahiti sans maa tinito, hein ? Sans riz, ni chao mein ? Papeete ne serait plus Papeete sans ses boutiques chinoises. Sans ses Mercédes et ses Béhèmes. Sans ses cercles de jeux et, surtout, sans ces jolies filles au cheveu noir et lisse et à la démarche élégante. Cette réconciliation, c'est quelque chose quand même. Historique. Peut être un nouveau départ pour une communauté qui s'est toujours entredéchirée en clans et en factions sans qu'on comprenne d'ailleurs très bien pourquoi. Il paraît que la culture chinoise commence même à attirer les jeunes. Des bourgeons tout verts émergent de la vieille souche qu'on croyait perdue.

Depuis qu'elle s'est installée en Polynésie, la communauté chinoise a beaucoup donné à ce pays... et beaucoup reçu. Personne ne conteste aujourd'hui qu'elle fait partie intégrante de la société. Son rôle sera sans doute capital dans la mutation que nous commençons à vivre. 25 novembre 1993

Piqûres de nono

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Décharges

À Tahiti on n'a pas beaucoup de terrains. C'est vrai, l'île est petite et la population s'accroît rapidement. Heureusement, on a des idées formidables pour pallier ce genre de difficulté. On gère l'espace rigoureusement, voilà tout.

Prenez les lotissements sociaux, par exemple, c'est un vrai problème. Où peut-on les mettre ? Il y a bien ce fond de vallée, là. C'est un endroit magnifique. Oh, bien sûr, il n'y a pas beaucoup de soleil. Et il faut traverser une décharge publique nauséabonde et pleine de rats pour l'atteindre. Pas grave. De toute façon, on n'a pas le choix. En plus, cette décharge, pour des pauvres, c'est une vraie mine d'or. Ils pourront aller y passer le week end en famille, glaner quelque trésor passé de mode. Les gosses y auront une aire de jeu idéale pour les mercredis après midi.

Et le sport ? Vous connaissez la zone industrielle de la Punaruu ? Même topo. Fumées, bruit, poussière et compagnie. Surtout depuis qu'on y a installé la nouvelle décharge. Eh bien, on n'a rien trouvé de mieux que d'y construire un stade. C'est pour les prochains Jeux du Pacifique sud. Comme ça, nos voisins sportifs pourront admirer les merveilles de notre industrie tout en faisant leur métier.

Question performances, je ne crois pas qu'il faille s'attendre à des prodiges. Les gars risquent d'être sérieusement handicapés au niveau pulmonaire. Mais, qui sait ?, poursuivis par les mouches, ils pourraient aussi bien battre des records.

décembre 1993

Piqûres de nono

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7

Qantas

Qantas se casse. Ça fait quand même quelque chose. Au fait, depuis combien d'années voyait on la compagnie au kangourou à Tahiti ? Un sacré bail. Sans tambours, ni trompettes, elle assurait mine de rien un sacré nombre de sièges et nous transportait pas mal de touristes.

Le transport aérien bouge. À chaque fois, ça nous touche de près. Après tout, c'est notre cordon ombilical avec l'extérieur. C'est là qu'on voit que nous sommes directement concernés par ce qui se passe ailleurs, dans le monde.

Après Pan Am, Continental, UTA, SPIA, c'est au tour de Qantas de disparaître du ciel polynésien pour cause de non rentabilité. Ça fait peur. Tous ces noms prestigieux envolés (c'est le cas de le dire) on est en droit de se demander : à qui le tour ?

Qantas explique son retrait par le fait que son chiffre d'affaires, déjà faible sur la ligne, a encore diminué avec l'arrivée d'une forte concurrence et la baisse des tarifs qui a suivi. En clair, les Australiens ont subi “l'effet Corsair”. Ah, ça, on peut dire qu'il n'a pas volé son nom celui là. Jusqu'ici on en a vachement profité, mais si les compagnies se tirent les unes après les autres, on va avoir un gros problème.

Heureusement, Gaston nous confirme la création prochaine d'une compagnie internationale locale. Alors là, on se dit qu'on est peinard. Si elle est locale, elle devrait rester celle là.

Au fait, vous savez qui sera majoritaire dans la compagnie ? Allez, au hasard… Corsair. Gagné !

Piqûres de nono

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1er décembre
1993

Piqûres de nono

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Le peintre François Ravello (1926 2001) à Moorea

Polynésie éternelle

Le surréalisme des situations, je n'arrête pas de vous le répéter, est absolument délicieux en Polynésie. En voici encore deux exemples à même d'enrichir le bêtisier collectif local.

Vous avez le gars qui est convoqué à la CPS pour passer sa visite médicale annuelle. Bon, il y va. Il y passe pas loin d'une heure quand même. Et puis, comme il est prévoyant, qu'il doit bientôt quitter son job et qu'il veut s'assurer volontaire, en sortant de la visite, il traverse le couloir et se présente au bureau ad hoc. Là, on lui demande de fournir tout un tas de papiers (normal) et... de passer une visite médicale.

Le gars dit que ça tombe bien, il vient justement d'en passer une. - Ah non, qu'on lui répond. Celle-là ne compte pas. Il faut tout refaire.

Attendez, dit le gars, c'est le même docteur et le même patient, non ?

- Oui, qu'on lui répond, mais c'est écrit qu'il faut une visite médicale, alors il faut la repasser. Pas la peine de discuter. Vous commencez à comprendre pourquoi il y a des déficits à la CPS ? Et n'oubliez pas que c'est avec votre argent qu'ils les comblent. Deuxième exemple. Vous connaissez Atimaono et son golf magnifique qui s'étire au milieu des pamplemoussiers, n'est ce pas ? Allez un peu au club house et commandez un jus de pamplemousse. Vous allez rire, ils n'en ont pas. Ils vous proposent du jus en boîte importé. Ils sont entourés de pamplemoussiers qui donnent les meilleurs fruits du monde, et ne sont pas fichus de vous servir un verre de jus frais.

Je vous le disais, on n'arrête pas le progrès.

10 décembre 1993

Piqûres de nono

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Piqûres de nono

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LA DÉCENNIE DE LA RECONVERSION 1993 - 2002

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Cl ôture du congrès de la Pacific Is lands News Association à Fijdi (au centre, le général Rabuka )

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INDÉPENDANCE ? SOYONS CLAIRS !

Un éventuel vote séparatiste démocratique doit s'appuyer sur une réelle connaissance de ses conséquences probables

Il serait fort intéressant de connaître le montant des capitaux qui ont déjà, ou qui vont bientôt fuir la Polynésie à l'annonce des résultats du premier tour des élections législatives au cours duquel les candidats indépendantistes du Tavini Huiraatira ont multiplié par deux leur représentativité.

L'indépendance inquiète à plus d'un titre. Oscar Temaru en est conscient qui, lors de ses dernières apparitions à la télévision, se veut de plus en plus rassurant. Cette appréhension est bien naturelle lorsque l'on connaît réellement la situation des pays insulaires indépendants de la région. Opter pour l'indépendance est parfaitement respectable dans un pays démocratique. Là n'est pas la question. Encore faut-il que ce choix s'opère en toute connaissance de cause.

La poussée séparatiste était attendue. Rejet de la classe politique, affaires politico-financières, relents de corruption et situation économique très difficile, le terrain est actuellement fertile pour la floraison d'idées extrémistes et donc indépendantistes. Qu'importent les risques quand on n'a plus rien à perdre ?

Quand le désespoir s'exprime

Le succès remporté par Oscar Temaru au premier tour des élections législatives, notamment aux îles du Vent où il arrive en tête avec 33,13 % des voix, et de James Salmon, surtout aux Tuamotu Gambier où il rafle 23,55 % des suffrages exprimés, est révélateur du désespoir, des angoisses et de la lassitude d'une partie non

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négligeable de la population polynésienne. Les deux leaders séparatistes recrutent parmi les groupes les plus touchés par la crise, c'est naturel. Comme ceux-ci s'accroissent de jour en jour, le temps et la pression démographique jouent évidemment en leur faveur.

Malgré un vibrant soutien de la municipalité de Punaauia à Alexandre Léontieff, Oscar Temaru remporte un quart des suffrages de cette commune. Un tel résultat amenuise les chances de voir rapidement se dénouer l'affaire Rivnac. À Moorea, même proportion d'insatisfaits du système. À Papeete, le maire de Faa’a arrive en seconde position avec 23,79 % des suffrages. Une surprise de taille. À Paea, même chose, près d'un quart des bulletins lui reviennent. Dans sa commune de Faa'a, n'en parlons pas, les électeurs sont fidèles à Oscar à plus de 60 %.

Il serait vain de se voiler la face. Le président du Tavini recueille 11 206 voix dans la première circonscription et son ami James Salmon en obtient 4 654 dans la seconde. Au total le Tavini Huiraatira “pèse” aujourd'hui 15 860 voix, soit plus de la moitié du capital électoral de la majorité (Flosse + Juventin) qui culmine à 29 467 voix.

On peut penser qu'il s'agit là d'un vote de protestation, d'une révolte-sanction contre une classe politique déconsidérée. Certes. Il serait néanmoins dangereux de prendre cet avertissement à la légère. Selon toute évidence, le message séparatiste passe bien en ce moment. Les circonstances, on l'a vu, s'y prêtent et les dirigeants du Tavini savent les exploiter, soutenus en cela par un certain syndicalisme aux discours plutôt flous.

L'indépendance, tout le monde en parle. Pourquoi pas, si une majorité se dessinait en sa faveur ? À Paris même, certaines oreilles complaisantes n'en rejettent pas l'éventualité qui permettrait quelques économies en ces temps difficiles. Mais, pour que la démocratie s'exerce normalement, il faut que ce choix s'opère en parfaite connaissance de cause et que ceux qui se sentent tentés par l'aventure et qui n'ont pas tous “rien à perdre” prennent bien conscience des conséquences de ce “remède miracle”.

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Le vrai visage de l'indépendance

Pour cela, rien de plus simple. Il y a de nombreux pays indépendants dans la région du Pacifique. Ils sont souvent comparables à la Polynésie française en termes de population, géographie, culture et ressources. Il suffit de les étudier. C'est ce que nous avons d'ailleurs fait avec grand soin au cours des trois dernières années que nous avons vécues dans l'un d'entre eux, à Fidji précisément, d'où nous nous sommes efforcé de faire découvrir aux Polynésiens et à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie les réalités totalement méconnues de ces voisins du grand Pacifique (lesquels, de leur côté, ignorent pratiquement tout du Pacifique francophone).

Les leaders indépendantistes, pour leur part, se déplacent souvent dans la région. Ils connaissent donc très bien la situation dans ces pays insulaires indépendants. Voilà pourquoi nous estimons que leur discours manque parfois d'honnêteté.

Oh, naturellement, la classe dirigeante, toujours courtisée par la communauté internationale, qui joue le jeu, est très à l'aise dans les archipels indépendants. Mais pour le reste...

Il est d'abord malhonnête de prétendre que l'indépendance est la condition préalable du développement. Pour un petit archipel quasiment privé de ressources, l'indépendance, bien au contraire, est synonyme de sous-développement. Il faut le savoir. Tous les États insulaires de la région, indépendants depuis dix ou vingt ans, sont sur la liste des pays du Tiers monde, donc sous développés (ou en voie de développement comme on dit plus pudiquement) avec des revenus moyens par habitant ne dépassant pas pour les moins pauvres 2 000 dollars par an, soit environ 200 000 francs CFP (pour mémoire le revenu moyen par habitant en Polynésie française se situe aux alentours de 1,5 million de francs).

Voici des faits : en 1991, la Banque mondiale publiait un rapport faisant grand bruit sur le bilan de dix années d'aide internationale massive aux pays insulaires du Pacifique sud (massive signifie que

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cette aide a été la plus importante au monde par habitant, tout en étant, de très loin, inférieure à ce que la France accorde à ses Territoires). Ce bilan était catastrophique. La Banque mondiale constatait que, malgré l'importance des sommes investies, la croissance moyenne des pays concernés était restée proche de zéro voire parfois négative compte tenu de l'inflation et de la poussée démographique pendant toute la période. L'argent de la coopération a surtout profité aux administrations et aux classes politiques locales, alimentant la corruption qui est un véritable fléau dans la région.

Évoquez les petits scandales financiers polynésiens auprès de qui connaît bien le Pacifique et l'on vous rira au nez. Simples broutilles au regard de la réalité quotidienne des archipels voisins. Partout, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, à Fidji, à Samoa, à Tonga, etc., la corruption est un phénomène de société profondément ancré. Prétendre par conséquent qu’elle disparaîtrait avec l'indépendance est un second mensonge.

A t on la moindre idée du montant du budget national de Fidji, par exemple, un pays quinze fois grand comme la Polynésie française et qui compte presque quatre fois plus d'habitants ? Il est de 30 milliards de francs CFP, à peine, contre 70 milliards pour notre budget territorial. Un ouvrier fidjien (ou samoan, ou ni vanuatu) gagne 8 000 francs par mois (sans protection sociale de toute manière les structures sanitaires sont indigentes) et un instituteur plafonne à 35 000 francs CFP par mois. On pourrait ainsi multiplier les exemples.

L'aide internationale se raréfie

Comment qualifier l'indépendance de pays qui dépendent presque entièrement de l'aide internationale ? Veut-on construire une route, un pont ou un hôpital à Fidji, ou ailleurs, qu'il faut au préalable dénicher un financement international. Les pays insulaires du Pacifique ne disposent pratiquement pas de budget d'investissement. Après les cyclones qui ont tout dévasté ces derniers mois à Fidji, ou

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l'an dernier à Samoa, la reconstruction dépend presque exclusivement de la charité internationale. Des dizaines de milliers de personnes sont toujours sans un abri digne de ce nom. Certains pays dits “indépendants”, comme Tuvalu par exemple, dépendent même à 100 % de l'aide extérieure pour leur simple survie.

Or, il faut absolument savoir que cette aide internationale, largement pompée par les pays de l'Est, l'Afrique, etc., tend à se raréfier rapidement au point, d'ailleurs, que les petits États océaniens lorgnent de plus en plus vers la France, seule métropole à maintenir, plus ou moins, le niveau de ses transferts dans la région.

Là encore, les indépendantistes se trompent quand ils affirment que l'ONU viendrait prendre le relais financier de la France. L'ONU n'a plus d'argent. Les cotisations des pays membres rentrent très mal (en particulier celles des Américains) et les dépenses croissent à toute vitesse avec la multiplication des interventions pour le maintien de la paix qui coûtent des fortunes. L'ONU doit ainsi près de deux milliards de francs CFP à Fidji dont les soldats participent à ces opérations un peu partout dans le monde depuis plus de dix ans.

L'Australie et la Nouvelle-Zélande, gangrenées par le chômage, sont dans une situation économique dramatique et réduisent toutes leurs aides régionales. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États Unis n'ont jamais beaucoup gratifié le Pacifique de leurs subsides, excepté, et encore pas très généreusement, en faveur de leurs propres territoires. Quant à l'Europe, elle fait déjà le maximum. Seuls les pays asiatiques, dont la croissance est soutenue, pourraient éventuellement apporter quelque soutien. Malheureusement, ils se livrent aujourd'hui à une concurrence et à une course aux armements telles qu'il ne leur reste guère le loisir de s'occuper des petits archipels du Pacifique.

Bref, on aura compris que l'indépendance est loin d'être une solution aux problèmes économiques. Serait elle un remède politique et social ?

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Démocratie ? Où ça ?

Il est permis d'en douter quand, une fois encore, on étudie la situation chez nos voisins. Les régimes politiques sont divers. Ils vont de la monarchie absolue (Tonga) à la démocratie à l'anglaise (par exemple Fidji ou la Papouasie Nouvelle Guinée) en passant par la féodalité comme à Samoa. Mais partout, le pouvoir des chefs est omniprésent, avec un système clientéliste et clanique très implanté. L'opinion est minutieusement contrôlée ainsi que la presse. Quant aux syndicats, ils n'existent pratiquement pas, ou plus (comme à Fidji où le gouvernement les a muselés pour mettre en œuvre sa nouvelle politique économique). On pourrait enfin évoquer à l'infini les difficultés des systèmes de santé, l'absence de protection sociale, les carences de l'éducation, le manque de communications, etc. Bien malheureusement, on subit en ce moment dans ce Territoire les conséquences pénibles d'une diminution soudaine des moyens financiers et matériels. Comment peut on affirmer sérieusement que tout irait mieux si ces moyens étaient davantage réduits ?

(Les Nouvelles de Tahiti - 15 mars 1993)

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LÉGISLATIVES SECOND TOUR

Et maintenant, le Pacte....

Les autonomistes ont gagné face à la menace indépendantiste. Mais, cette victoire de la raison, fondée sur la promesse du Pacte de progrès avec la France, serait de courte durée si celui-ci n'était pas rapidement mis en oeuvre

Bien qu'elle ait été, sans conteste, le personnage central de la campagne entre les deux tours, l'indépendance n'est pas encore à l'ordre du jour en Polynésie française. C'est l'enseignement le plus immédiat de ces élections législatives.

Certes le candidat indépendantiste, Oscar Temaru, réalise un score particulièrement brillant dans cette première circonscription en passant de 11 206 voix le 13 mars, à 19 059 samedi dernier, soit une progression de 7 853 voix, ce qui est considérable.

On peut également remarquer, ici où là, certaines de ses performances comme à Raivavae, par exemple, où il domine largement Jean Juventin, à Haapiti (Moorea) où il frôle les 60 %, à Maiao, surtout, où il recueille plus de 64 % des suffrages, dans deux bureaux de vote de Paea où il dépasse les 50 % et à Parea (Huahine), enfin, où le président Flosse est pourtant implanté depuis longtemps, mais où Oscar obtient plus de 58 % des voix.

15,16 % pour l'indépendance

Néanmoins, c'est le premier tour qui, dans un scrutin de ce type, mesure l'audience exacte d'un parti politique. Et l'audience du Tavini Huiraatira en Polynésie française c'est, au total, 15 860 voix soit un peu moins de 21 % des suffrages exprimés (13,7 % des inscrits). Si le suffrage universel et ses résultats ont un sens, on peut affirmer qu'en

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Polynésie française, une personne sur sept est pour l'indépendance. Très légèrement plus, si l'on tient compte des pourcentages marginaux réalisés par Ia Mana Te Nunaa (1,24 % des inscrits) et le RDP de François Nanai (0,22 % des inscrits). Au total 15,16 % des électeurs polynésiens sont ouvertement pour l'indépendance.

Il n'en reste pas moins que ce chiffre dénote une progression spectaculaire en cinq ans, puisque la fraction indépendantiste de la population électorale ne dépassait pas 4,73 % en 1988. En outre, sous la rigueur des chiffres, se cachent des éléments dont l'importance est tout à fait considérable. Ainsi, par exemple, la nouvelle répartition géographique de la mouvance indépendantiste qui s'implante désormais un peu partout dans les îles et notamment aux Tuamotu.

Tout cela pour dire que les responsables de ce pays, ainsi que la nouvelle majorité nationale, auraient grand tort de se rassurer trop vite au vu des seuls résultats du scrutin. Les quelque 19 000 Polynésiens ayant voté Oscar Temaru le 27 mars ne sont pas (encore) tous indépendantistes, c'est vrai. Mais ils estiment que le candidat, l'homme comme l'a dit Emile Vernaudon, possède les qualités nécessaires à une mission politique du plus haut niveau.

Il n'est pas contestable que M. Temaru fait preuve d'un charisme et d'une faculté oratoire hors du commun. Il a su habilement se forger une image d'homme libre, intègre et courageux. Il est de fait que les résultats qu'il obtient seul face à l'union des autonomistes viennent largement conforter cette opinion.

L’élection de Jean Juventin est avant tout le fruit d'un travail d'équipe. C'est la victoire, à l'arraché, d'une majorité dans laquelle son suppléant, Michel Buillard, a joué un rôle particulièrement important. En outre, les reports de voix d'Alexandre Léontieff se sont dans l'ensemble bien passés malgré la prise de position de son frère Boris pour le vote blanc. Un vote qui était également prôné par Tireo, mais qui n'a séduit personne.

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Tenir les promesses

Les partisans de l'autonomie, Gaston Flosse, Jean Juventin, Michel Buillard, Edouard Fritch ou Alexandre Léontieff, semblent pleinement conscients de la situation. Tous, dans leurs déclarations d'après scrutin, ont manifesté un soulagement, mais mêlé d'inquiétude, à l'égard de l'avertissement très clair que constitue la poussée indépendantiste.

Car, la victoire de l'autonomie serait de bien courte durée si les promesses faites pendant la campagne n'étaient pas, très rapidement, suivies d'effet. Tout repose entièrement, désormais, sur la concrétisation du Pacte de progrès. Mot magique, qui a permis d'exorciser le spectre de l'indépendance, il est hautement souhaitable que le bon génie sorte maintenant de la bouteille où il est enfermé depuis trop longtemps.

Le choix des Polynésiens repose en grande partie sur l'assurance que leur a donnée Gaston Flosse et ses amis, à savoir que la relation privilégiée qu'il entretient avec Jacques Chirac permettra le redressement du territoire par la mise en oeuvre du Pacte de progrès dans tous ses aspects.

On a manqué d'explications, pendant la campagne, sur ce que sera le contenu de ce Pacte. Peut être parce que ceux qui en ont fait leur cheval de bataille ne le savent pas exactement eux-mêmes. Puisque le vote des Polynésiens est un vote de raison, il est grand temps maintenant, de leur expliquer ce qu'ils pourront retirer concrètement, et dans quels domaines, de ce nouveau contrat avec la France. En effet, on l'a vu, nombreux sont ceux qui, en Polynésie, ont adopté la célèbre petite phrase de Gaston Flosse : “À quoi nous servirait d'être Français si la France n'assumait plus ses devoirs à notre égard ?”

Une fois établis le contenu et le financement du Pacte de progrès, sa mise en œuvre exigera une efficacité rigoureuse. Il serait à cet égard souhaitable de mettre en place une structure, légère mais très qualifiée, chargée de faire la liaison entre l'Etat et le Territoire pour

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régler les problèmes pratiques notamment sur le plan de la communication. Le sénateur Daniel Millaud le rappelait une fois de plus avant le second tour, il existe au sein de la haute administration française une ignorance souvent profonde des problèmes de l'outremer en général et de la Polynésie française en particulier.

Cette structure pourrait ainsi épauler les parlementaires polynésiens en travaillant sur place à Paris à l'avancement des dossiers. La mission de cette structure pourrait du reste s'étendre avantageusement à l'Europe, qui aura un rôle grandissant à jouer dans notre territoire. Et même au Pacifique sud et à ses organisations régionales dont la Polynésie a le plus grand intérêt à se rapprocher rapidement si elle ne souhaite pas laisser le champ entièrement libre à la Nouvelle-Calédonie dans ce domaine.

Le soutien de Jacques

Les deux nouveaux députés polynésiens ont quitté Tahiti hier matin pour Paris où, grâce aux nouvelles modalités du scrutin, ils pourront participer à la première séance de l'Assemblée nationale. Gaston Flosse l'a annoncé, ils seront reçus dès mardi matin par Jacques Chirac qui a renouvelé la promesse de son soutien sans faille en faveur de la Polynésie française. MM. Flosse et Juventin tenteront également d'obtenir un siège respectivement au sein de la commission du Budget et de la commission des Lois de l'Assemblée nationale

Quant à Alexandre Léontieff, député sortant, il s'est également envolé pour Paris où il devrait finaliser le passage de témoin à Jean Juventin et sans doute prendre des contacts avec les responsables de l'UDF qui lui avait accordé son investiture. Quel sera son rôle désormais ? Son appui a permis en grande partie au maire de Papeete de battre celui de Faa’a au second tour. Bien que l'entourage du président Flosse y semble assez peu favorable, cela devrait logiquement entraîner un retour d'ascenseur politique dont on ignore

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encore la nature exacte. Il semble que M. Léontieff serait assez heureux de diriger une structure du type de celle que nous évoquions plus haut. Gaston Flosse n'y serait peut-être pas opposé dans la mesure où dans ce cas de figure l'ancien député résiderait le plus souvent en Europe.

Le facteur temps est aujourd'hui essentiel. Comme nous l'avions fait remarquer à l'issue du premier tour de ces élections législatives, la Polynésie et ses problèmes vont subir une terrible concurrence de la part des autres Dom-Tom et même des régions de France où les difficultés sont considérables après l'échec de douze ans de socialisme. La double victoire de la majorité polynésienne est un élément capital de la négociation. Dans ce contexte, l'élection d'Oscar Temaru aurait en effet pu fournir à Paris un excellent prétexte pour laisser traîner les choses.

Pour réussir, il faudra à Gaston Flosse et à Jean Juventin tenir les promesses qu'ils ont faites à leurs électeurs. Ils auront besoin pour cela de toute la rapidité et de toute l'efficacité dont ils seront capables ainsi que du soutien de tous les partisans du maintien des liens entre la Polynésie française et la France.

(Les Nouvelles de Tahiti 28 mars 1993)

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L'ARGENT EST INDISPENSABLE, MAIS IL NE SUFFIRA PAS

Le président est rentré gonflé à bloc de son voyage à Paris. Il fait totalement confiance à la nouvelle majorité parisienne pour aider le territoire à réussir sa reconversion post-CEP.

Les essais reprendront peut être un jour, mais il vaut mieux ne plus compter sur leurs retombées pour le développement économique et social de la Polynésie. L'actualité est au Pacte de progrès qui devrait bientôt prendre la forme d'une loi d'orientation laquelle, Gaston Flosse l'a confirmé, devrait permettre à l'État, en dix ans, d'accompagner le territoire sur la voie d'une autonomie économique aussi large que possible.

Il est naturellement prématuré, et même déplacé, de se demander ce qui se passera au delà de ces dix ans tant la situation actuelle comporte d'urgences. Le logement vient en tête de ces dernières, suivi de près par le manque de formation professionnelle, le chômage, la délinquance qui en est la conséquence directe, la perte de confiance des investisseurs, la crise économique, la pollution, l'engorgement de la zone urbaine ou le sous-développement des archipels pour ne citer que les plus criantes.

Tous ces problèmes graves supposent des moyens financiers considérables, dont on est loin de disposer et que Gaston Flosse compte bien obtenir du gouvernement central.

C'est clair, l'heure n'est pas à la rêverie.

Gaston Flosse, rendu sans doute lucide par l'avertissement des dernières élections législatives, reconnaît toutefois qu'une efficacité économique, même optimale, pourrait ne pas suffire à régler tous les problèmes de la société polynésienne.

Plus conscient que jamais, semble-t-il, de la profondeur des aspirations culturelles et nationalistes d'une grande partie de la

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population, le président admet, avec modestie, que cet aspect des choses n'a peut être pas été suffisamment pris en compte jusqu'à présent par sa majorité. Le champ, à ce point de vue, a été presque entièrement laissé libre à Oscar Temaru qui a su exploiter avec habileté les frustrations pour faire avancer son idée d'indépendance.

Pour réussir, Gaston Flosse et sa majorité devront absolument obtenir de Paris les milliards indispensables au retour de la confiance. Mais, ce ne sera pas suffisant. Le président devra aussi, par la définition - qui reste encore à faire - d'un véritable projet de société, trouver le chemin du cœur des Polynésiens, les jeunes surtout, leur proposer un idéal qui les séduise et ainsi combattre directement le maire de Faa'a sur son terrain de l'amour propre et de la dignité.

(Les Nouvelles de Tahiti - avril 1993)

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RIVNAC OU NU'UROA, QUEL AVENIR POUR LA POLYNESIE ?

Le projet Méridien - Rivnac est devenu un “symbole puissant” selon les termes d'un communiqué publié par l'Église catholique. L'affrontement qui menace entre opposants et partisans de l'hôtel constitue en réalité l'élément visible, et malheureusement explosif, de la bipolarisation de la vie politique locale. Le débat pour ou contre Méridien est dépassé. C'est un choix de société qui est maintenant en cause. Un choix dramatique entre deux façons de vivre, entre l'ouverture et l'isolement, entre le progrès et le “retour aux sources”.

Le problème est, qu'entre les deux camps, le dialogue est désormais totalement coupé. Il est devenu impératif pour chacun d'imposer sa conception. Le combat politique, au sens strict de lutte pour le pouvoir, a pris le dessus. Et pourtant, les choses ne sont jamais aussi tranchées. On peut naturellement ironiser sans fin sur la naïveté (voire la mauvaise foi) de ceux qui prônent le retour à une économie de subsistance et rêvent des délices d'un passé dont la splendeur repose pourtant largement sur les fantasmes de ceux-là même qui sont jugés responsables de sa disparition.

On peut parallèlement s'interroger sur la signification de la notion de “progrès” pour une population passée en quelques décennies d'une civilisation à l'autre, quand cette même notion est remise en question jusque dans les pays et sociétés qui en ont fait leur credo depuis des siècles.

Il faut bien reconnaître que cette triste affaire Rivnac (ou Nu'uroa selon de quel côté on se place) n'est que la manifestation locale, et particulièrement concentrée, d'une crise, d'un découragement et d'une angoisse qui frappent aujourd'hui l'humanité tout entière. Le communiqué de l'Église catholique, qui se garde bien avec raison de

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prendre une position partisane est à cet égard particulièrement lucide et intéressant.

Quel avenir pour nos enfants dans ce pays ? Comment continuer à vivre ensemble dans la paix et l'harmonie malgré la croissance démographique et la raréfaction des richesses ? Par delà l'usure des formules trop souvent galvaudées, c'est pourtant bien les questions essentielles que chacun, toutes ethnies confondues, se pose et pour lesquelles il est bien trop rare de trouver des réponses rassurantes.

(Les Nouvelles de Tahiti - mai 1993)

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MESURES FISCALES

La fin et les moyens

Sur le principe, il est indispensable que nous acceptions l'effort fiscal que nous demande le gouvernement. D'abord parce qu'une large partie de la population polynésienne est dans une situation difficile qui réclame cette solidarité. Ensuite parce que certains secteurs, la santé notamment, souffrent de manques énormes. Et, enfin, parce que ce premier pas est pour Paris un témoignage de notre bonne volonté.

Il semble bien, en effet, que ce geste marquant une évolution radicale dans les rapports entre la France et la Polynésie française, ait été posé par le gouvernement central comme condition préalable à tout appel à la solidarité nationale et à la mise en œuvre du Pacte de progrès. L'équipe de Gaston Flosse n'avait par conséquent pas le choix.

En revanche, sur les modalités de cet effort de solidarité envers nous mêmes, il y a beaucoup à dire et de nombreuses interrogations subsistent. Toute cette affaire apparaît malheureusement placée sous le signe de la précipitation. Il y a une semaine, à son retour de Paris, Gaston Flosse ne démentait-il pas fermement toute éventualité d'introduction d'un impôt direct sur les salaires ? Il se peut que la confirmation de la visite prochaine du ministre des Dom Tom à Tahiti ne soit pas totalement étrangère à ce brutal revirement.

Parmi les principaux signes de précipitation, on note l'absence totale de garde fou dans le futur système de couverture sociale. Ceux qui travaillent et cotisent aux divers systèmes d'assurance de la CPS vont désormais payer pour ceux qui ne travaillent ni ne cotisent. Or, le président Flosse évaluait mercredi à quelque soixante mille le nombre de personnes qui devraient bénéficier de la solidarité nouvelle manière. Soit presque un Polynésien sur trois. Quand on sait le gouffre qu'a été le RPSMR dont les charges ont quasiment doublé

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entre 1988 et 1992, on peut craindre le pire pour l'avenir. Il plane en effet un flou épais sur les critères permettant d'identifier les ayants droit du système de couverture sociale gratuite. On ignore tout autant les conditions dans lesquelles ils pourront bénéficier de ce dispositif. Il semblerait qu'il n'y en ait aucune. C'est à dire qu'ils profiteraient des mêmes avantages que les cotisants, les inconvénients en moins. Ils seraient même privilégiés puisqu'un salarié doit d'abord cotiser pendant trois mois à la CPS avant sa prise en charge. On ne voit guère les médecins, dont beaucoup sont dans une situation délicate, refuser cette clientèle nouvelle qui n'aura aucune raison de se priver du moindre soin. On peut ainsi s'attendre chaque année à un nouvel appel à la “solidarité” pour combler les trous béants d'un tel système.

On évoque aussi beaucoup l'aspect anti économique d'un collectif budgétaire qui ne se contente pas de créer une imposition sur les salaires, mais augmente parallèlement certains droits indirects et parfois de façon très conséquente.

Enfin, la décision d'appliquer les prélèvements dès le mois prochain prouve à quel point le gouvernement est pressé. Autre point à souligner (il y en a d'autres), l'injustice d'un impôt qui frappe tous les salariés de la même manière sans tenir compte des charges particulières de chacun. Est-il normal qu'à salaire égal, un homme marié avec quatre enfants paie le même impôt qu'un célibataire ?

Les syndicats de travailleurs et les associations patronales sont unanimes à regretter les maladresses majeures d'un projet dont ils estiment qu'il met surtout la charrue avant les bœufs. Le gouvernement, s'il n'a aucun souci à se faire ce matin pour le vote de son collectif par une majorité très confortable, pourrait rencontrer de sérieuses difficultés dans sa mise en œuvre. En outre, le tribunal administratif, qui devrait être rapidement saisi de recours en annulation, pourrait bien juger de son côté que certaines libertés ont été prises avec les règles de droit.

( Les Nouvelles de Tahiti juin 1993)

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FAUSSAIRES

Est-ce un hasard si l'on tourne aujourd'hui en Polynésie un film qui s'appelle Les Faussaires ? La réponse est non, bien entendu. Le moment est on ne peut mieux choisi pour adapter au cinéma l'admirable roman de Romain Gary, La Tête coupable, publié pour la première fois chez Gallimard en 1968.

On imagine qu'à cette époque, les Français avaient bien d'autres sujets d'intérêt. Et pourtant, le héros du livre s'appelle Cohn tout comme le jeune étudiant juif allemand ayant pris la tête d'une révolte qui, cette année là, va balayer le monde occidental.

Quant aux Polynésiens, combien d'entre eux ont jamais su qu'un génie de la littérature, désespéré par l'absurdité du monde, avait choisi leur pays comme théâtre d'un de ses meilleurs romans ? Quelle lucidité, quelle clairvoyance !

En quelques semaines de séjour, Gary avait tout compris de la Polynésie.

Ses merveilles et ses paradoxes, sa lumière et ses coins d'ombre. Polynésie miroir, Polynésie symbole, Polynésie modèle réduit du monde, éprouvette sociale où l'humanité se reflète, parfois déformée jusqu'au comique.

Alors, sommes nous tous des faussaires ? Évidemment !

Il n'est qu'à voir le bourbier des ordures dans lequel notre hypocrisie et notre négligence (ou celles de nos élus, ce qui revient au même) nous ont enlisés pour en avoir la triste preuve.

Malheureusement, nous devrons vivre d'autres crises, plus graves sans doute, fruits empoisonnés des mauvaises graines semées dans les décennies passées.

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Ne nous laissons pas abattre, retenons les leçons de Gary ! L'humour demeure l'arme suprême face à l'absurde. Remercions donc Gérard Jugnot et ses amis d'être venus de si loin pour nous aider à nous moquer de nos propres travers et à ouvrir les yeux. (Avril 1994)

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L’ÂME DU PAYS

Où va la Polynésie française ? Vers quel futur se dirige-t-elle ?

Cette question, chacun se la pose désormais. Le fonctionnaire peut se demander s’il pourra, longtemps encore, compter sur son traitement, sa sécurité et même sa retraite. Le salarié tremble à l’idée de perdre son emploi. L’investisseur hésite face aux incertitudes économiques, politiques ou même monétaires. L’entrepreneur s’interroge sur le bien fondé d’un projet à long terme. Quant aux jeunes, ils pensent souvent qu’il n’y a pas de futur du tout.

Bref ! La confiance a mis la clé sous la porte.

À phénomène universel, réaction naturelle. Le monde change de plus en plus vite et l’adaptation s’avère difficile. Elle l’est d’autant plus en Polynésie française où l’on a la chance d’être préservé des grands maux de la terre. La guerre, la famine, les épidémies, le terrorisme, nous les voyons sur nos écrans de télévision, mais, grâce au ciel, et à la distance, leurs effets nous parviennent largement atténués. En réalité, la crise est surtout psychologique et la morosité ambiante reflète plus souvent la crainte d’un avenir cruel qu’une souffrance actuelle.

Certes, les prises de conscience se multiplient sur les difficultés de notre société, mais, fort heureusement, celles ci restent encore maîtrisables. L’évolution du monde l’est moins que nous devrons bien prendre en compte bon gré, mal gré. L’époque de l’insouciance est probablement révolue. Il s’agit maintenant de s’ouvrir à un extérieur de plus en plus rude et sans pitié, mais dont notre avenir dépend.

Le tableau n’est sans doute pas tout rose. Néanmoins, pour ce combat, la Polynésie française possède des armes efficaces. Elles sont naturelles (tourisme, mer…), mais aussi, et surtout, humaines. La société polynésienne est formée de caractères bien trempés ayant

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toujours su s’adapter aux circonstances nouvelles. Polynésiens, Chinois ou Européens ont tous, bien qu’à des époques différentes, abordé les îles sans peur, poussés par un même esprit pionnier, une même soif d’aventure et de découverte.

Les hommes et les femmes que nous avons choisi de vous présenter dans ce premier numéro de Polynésie Éco montrent tous, quelle que soit leur origine, cette volonté de réussir doublée d’une conscience professionnelle sans faille. En Polynésie française, contrairement à ce que certains comportements pourraient laisser croire, la médiocrité n’est pas une fatalité. Les progrès - social, humain, technique s’effectuent malgré elle, tandis que les exigences de la nouvelle donne laisseront de moins en moins de chances aux tièdes.

La Polynésie française doit et peut s’en sortir. Encore faut-il qu’elle le veuille vraiment. Là est le véritable cœur du débat. Or, l’incompréhension s’installe et le refus des réalités est tout aussi manifeste chez les “accros” du modernisme que parmi les nostalgiques d’un passé idéalisé.

Ouvrons les yeux et acceptons le défi tel qu’il se présente, en essayant de préserver l’essentiel : l’âme du pays. C’est sur elle que reposent toutes les opportunités et tous les espoirs.

(Éditorial Polynésie Éco n° 1 - 1995)

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VIVE LA CONCURRENCE !

Comme prévu, l'année économique 1995 a été surtout... politique. Deux élections majeures en moins de trois mois, précédant de peu des territoriales dont chacun s'accorde à reconnaître l'importance, ont, une fois de plus, soumis la vie de notre pays à l'une de ces expectatives auxquelles nous nous sommes, depuis longtemps, résignés.

Nous assistons, haletants mais impuissants, à ce va et vient entre Papeete et Paris dont notre sort dépend, sans en comprendre toujours les subtiles règles, ni même les vrais objectifs. Le président Flosse a certes obtenu une promesse de soutien de la France pour les dix prochaines années. Mais après ?

“En route vers quel futur ?” s'interrogeait déjà Polynésie Éco n° 1 dans ce climat de flou si peu propice à la confiance. Et pourtant, nous souhaitions alors mettre en évidence comment, par-delà les blocages de toute origine que chacun connaît et déplore, la Polynésie française était en train de vivre une révolution silencieuse mais profonde. Des avancées technologiques spectaculaires transforment rapidement notre vie quotidienne. L'initiative économique, l'esprit d'entreprise se développent avec opiniâtreté en dépit des protections et des scléroses, des arrière pensées et de la mauvaise foi.

Dans un tel contexte, un élément nouveau se présente. Avec le départ du CEP prend fin l'ère des monopoles. La concurrence fait irruption sur le marché. C'est sans aucun doute son développement qui, outre l'influence du politique, a le plus marqué l'économie polynésienne en 1995.

Vive la concurrence !

Elle est désormais partout, acharnée, comme dans l'audiovisuel, les transports maritimes, la location de voitures, la vente d'eau en bouteille, la grande distribution, le BTP... Même dans les entreprises

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jouissant encore, pour un temps, d'un monopole de fait, les managers les plus fins pensent et agissent comme en situation de concurrence. Ils savent que leur sursis est limité et se préparent.

Naturellement, le coup est rude pour la Polynésie des sinécures, les douillets du 5.5 et les pantouflards de comptoir tropical. Mais les consommateurs, eux, c'est à dire nous, y trouvent leur compte. Meilleur prix, meilleur choix, meilleur service. Tels sont les trois vœux exaucés par la fée concurrence. La libéralisation de l'économie polynésienne, mission à risques dont notre jeune ministre se sort plutôt bien, est en train de se concrétiser peu à peu.

Les hommes ni les entreprises ne se battent sans nécessité. La concurrence est cet aiguillon qui leur permet de se surpasser, tout comme l'excitation de la course éperonne les rameurs polynésiens que nous avons choisis comme symboles de cette volonté de vaincre dont nous avons tant besoin.

(Éditorial Polynésie Éco n° 2 1996)

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ON SOUFFLE UN PEU, D'ACCORD ?

Waoh ! Quelle année ! Cet après - CEP a vraiment commencé sur les chapeaux de roues. Façon Flosse.

Dès la fin des essais en janvier, le président, en pleine campagne électorale décisive, enclenche le turbo et, coup sur coup, obtient de Paris plus d'autonomie et une compensation inespérée pour le départ du CEP. Sur cette lancée, il emporte avec brio les élections territoriales en mai (avec néanmoins un avertissement sans frais mais particulièrement appuyé du côté des indépendantistes qui passent de quatre à onze sièges sur quarante et un à l'assemblée). Gaston Flosse est ensuite chargé par Jacques Chirac d'une délicate mission de relations publiques internationales dans la région après l'ultime salve d'essais français.

Toute cette activité frénétique dans un seul but : rétablir la confiance en jetant les bases politiques, économiques et sociales d'une Polynésie de l'an 2000 encore officiellement française, certes, mais progressivement livrée à elle même et de plus en plus responsable de ses choix et de leurs conséquences.

Le temps du président est sévèrement compté. La garantie financière de la France ne porte que sur dix ans - un éclair, compte tenu de tout ce qu'il reste à mettre en place pour assurer au pays un avenir acceptable. Cette garantie est, en outre, fragile. La fin du siècle sera riche en événements, voire en bouleversements, susceptibles d'agir sur notre futur dans un sens que nous ignorons : monnaie unique européenne (que va devenir le franc Pacifique ?), élections législatives en France en 1998 et présidentielles en 2002 (et si une nouvelle majorité ou un autre président remettaient en cause le cadeau de Jacques Chirac ?). Plus proches, l'échéance des Accords de Matignon en 1998 en Nouvelle-Calédonie et, surtout, les élections

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territoriales de 2001 Gaston Flosse aura alors soixante dix ans (et si les indépendantistes faisaient surface ?).

*

Gaston Flosse n'a que partiellement atteint ses objectifs. Sa vitalité, son punch impressionnent, sa foi est communicative. Les outils institutionnels et économiques promis se mettent en place et l'argent français continue d'arriver. Pourtant, en dépit de ses efforts et de ses succès, les Polynésiens restent méfiants et inquiets. Les investissements semblent reprendre (essentiellement grâce à la défiscalisation), mais le bâtiment et le tourisme, les deux piliers de l'économie et de l'emploi, vont toujours mal. Les hôteliers expriment leurs angoisses, les professionnels du BTP aussi. Sur le front social, la protection généralisée est désormais une réalité, mais les syndicats sont à l'affût de la moindre erreur et les dépenses de santé s'emballent dans une atmosphère de fraude à grande échelle. Le scandale de l'hôpital de Vaiami a mis en évidence les limites de la politique sanitaire territoriale et révélé le revers odieux d'un paradis livré pendant trente ans aux appétits égoïstes ou claniques. 1996 s'inscrira sans aucun doute dans l'histoire de notre pays. C'était le point culminant d'un raz de marée qui le submerge depuis avril 1992, lorsque la Polynésie française a pris soudain conscience de l'inéluctable : la fin de sa rente nucléaire. Celle-ci a été prolongée de dix années encore. Saura t on profiter de cette chance pour réaliser ce qui n'a pas su l'être pendant trente ans d'abondance insouciante ? *

Alors, c'est vrai, il n'y a pas une minute à perdre. Pourtant, précipitation ne rimera jamais avec efficacité. 1997 verra une nouvelle réforme fondamentale : celle de la fiscalité avec l'introduction de la TVA, en clair l'entrée de l'économie polynésienne dans la “normalité

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moderne”. Mais ce ne sera qu'en octobre et aucune élection n'est prévue cette année.

Et si, après cinq ans d’affolement, on en profitait pour souffler un peu, regarder tranquillement où l'on va et l'expliquer avec soin ? Cela permettrait sûrement d'éviter des malentendus aux conséquences fâcheuses.

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PRÊTS POUR L’AN 2000 ?

L’an 2000, c’est dans moins de deux ans. Quand j’étais enfant, et même bien après, l’événement m’apparaissait considérable. Il m’arrivait souvent de calculer quel âge serait le mien au moment du passage... pour estimer le temps qui me resterait alors à vivre et à goûter toutes ces merveilles que le progrès humain nous promettait.

Sans compromis, André Malraux nous prédisait un vingt et unième siècle spirituel ou inexistant. Kubrick, le magicien, nous faisait rêver de mystérieux futurs sur des valses viennoises. Chaque jour, une découverte, un exploit, relayés par des médias déjà omniprésents, confirmaient la soif de connaissance de l’homme et les capacités infinies de son intelligence à mieux connaître le monde et à le rendre plus confortable.

Nous avons été élevés dans le culte de l’an 2000. La fin du millénaire serait forcément l’entrée dans un monde totalement nouveau, le début d’un nouvel âge d’or.

On ne nous a pas totalement trompés. La vie de nos enfants et de leurs enfants sera aussi différente de la nôtre aujourd’hui, que celle ci est elle-même différente de celle de nos aïeux au siècle dernier. Nous nous habituons si bien aux améliorations de notre situation que nous les oublions aussitôt. Mais la science et la technique ont déjà bouleversé notre cadre de vie dans des proportions inouïes.

Il y a peu, les hommes étaient privés d'équipements aussi communs pour nous qu’une salle de bains, une automobile, un réfrigérateur, une télévision et tout ce qui fait aujourd’hui notre quotidien. Ils étaient frappés de maladies contre lesquelles leur médecine était le plus souvent impuissante. Les transports et les communications étaient rares, lents et très chers...

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C’est une découverte de la fin du dix neuvième siècle qui a conditionné la vie des hommes du vingtième : l’électricité, dont on ne pouvait imaginer alors les innombrables applications.

Au siècle prochain, la vie des hommes sera bouleversée plus encore par une découverte de notre temps : l’informatique et son mariage avec le téléphone. Même si l’on n’en est pas toujours très conscient, notre vie de tous les jours a déjà été complètement transformée par les ordinateurs. Mais leur association avec le téléphone est en train d’induire une révolution dont l’ampleur nous échappe encore largement.

De ce point de vue, l’an 2000 tient ses promesses !

Le prix du progrès

Le problème, c’est que ces progrès ont un prix. Et il est colossal ! Pollution de la nature et de l’environnement, bruit, encombrements, atmosphère irrespirable, déchets en quantité toujours plus grande ; bouleversement du monde du travail, chômage, précarité, délinquance et violence en tout genre. Nous vivons plus longtemps, certes, mais comment financer ces années supplémentaires ? Nous sommes en meilleure santé et mieux soignés, mais de nouvelles maladies apparaissent et les dépenses sociales provoquent des déficits publics alarmants.

Plus grave encore, la fracture de la société. Le progrès, malheureusement, n’est pas également réparti. Pour beaucoup, qui n’ont pas pu ou pas su prendre le train, il est très difficile à présent de s’y accrocher tant sa vitesse est déjà grande. Le fossé, on peut le craindre, risque de se creuser rapidement.

Bref, le mal s’est finalement accru dans les mêmes proportions que le bien. Et même si, partout dans le monde, on prépare de grandes festivités en son honneur, vu de près, l’an 2000 n’est plus aussi glamour.

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Pourtant, a t on d’autre choix que de s’y préparer au mieux ? Les Polynésiens l’ont compris, semble t il. Depuis sept ans, dans leur majorité, ils soutiennent en effet un homme, Gaston Flosse, et son équipe, dont la politique consiste justement à permettre à la Polynésie française, jusqu’ici protégée dans un cocon, doré mais un peu étouffant, de s’intégrer à son époque et de vivre au rythme du monde extérieur dans les meilleures conditions possibles. C’est un pari formidable, mais, en dépit du fabuleux pouvoir d’adaptation du peuple ma’ohi, il n’est pas gagné d’avance.

Le président a le soutien de Paris. Les socialistes ont jusqu’ici tenu leurs promesses de respecter les engagements du Pacte de progrès. Il a donc des moyens. Mais, le temps presse (la garantie financière métropolitaine ne va pas au-delà de 2005 et la loi Pons est limitée à 2001). Quant aux besoins, ils sont gigantesques car les retards dans de nombreux domaines sont considérables. En 1997, seulement deux communes polynésiennes sur quarante huit distribuaient de l’eau potable à leurs habitants.

Alors, il faut aller vite et mener tous les chantiers de front. Pour beaucoup, cela va trop vite. Cette mutation est pour eux une épreuve cruelle que l’on tente d’adoucir par une exceptionnelle générosité publique.

L’efficacité de notre protection sociale est comparable à celle de l’Allemagne, les programmes de logements sociaux sont très ambitieux et prioritaires. Mais un tel système, dont le financement explose, pourrait il perdurer sans la solidarité nationale ?

Trente cinq milliards de francs Pacifique (l’équivalent d’un tiers du budget du Territoire) sont investis chaque année, essentiellement par l’État, dans l’éducation et la formation des jeunes. Les résultats sont loin d’être à la hauteur et l’on s’inquiète.

En outre, ce plan est fragile. Il repose essentiellement sur les épaules d’un seul homme, le président du gouvernement Gaston Flosse, qui a engagé toute sa crédibilité politique dans cette aventure. Lui seul possède le charisme et l’autorité nécessaires pour convaincre

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les Polynésiens que l’avenir qu’il leur propose est le meilleur pour leurs enfants, bien qu’il soit souvent si étranger au mode de vie traditionnel. Le président possède une telle énergie et incarne tellement l’autonomie polynésienne que beaucoup se demandent qui pourra poursuivre son œuvre.

Sur la bonne voie ?

La Polynésie se prépare donc à l’an 2000 : sera-t-elle prête ? C’est le thème que nous avons choisi d’étudier dans ce quatrième numéro de Polynésie Éco. Il en est le fil conducteur.

Mais être prêt pour l’an 2000, qu’est ce que cela signifie au juste ? Très sommairement, disons que ce serait être capable de profiter au mieux des avantages de la modernité tout en souffrant le moins possible de ses aspects négatifs. Pour un pays, c’est par conséquent maîtriser sa démographie, protéger son environnement et savoir exploiter ses ressources avec intelligence et prévoyance. C’est éduquer sa jeunesse et former ses élites, en contrôlant la délinquance à un niveau tolérable. C’est maintenir sa population en bonne santé à un coût supportable et l’aider à s’adapter rapidement aux changements collectifs ou individuels.

Un pays moderne doit être doté d’une fiscalité adaptée aux flux économiques et commerciaux de notre temps. Il doit naturellement être équipé des infrastructures publiques de communication et de transports indispensables. Il doit posséder un réseau de télécommunications performant et bon marché.

Un pays moderne est forcément démocratique. Cette forme de gouvernement, qui a certes ses faiblesses, a tout de même démontré qu’elle est la seule à permettre un réel développement économique, social et culturel.

Posons nous la question : fera t il toujours aussi bon vivre à Tahiti en l’an 2000 et dans les décennies suivantes ? La Polynésie française

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est elle sur la bonne voie de sa reconversion ? Est elle prête à affronter le nouveau millénaire ?

La réponse pourrait être oui, à condition que Gaston Flosse gagne son pari : que le territoire réussisse son indépendance économique et qu’il se donne ainsi les moyens de son développement social et culturel.

Si petit, isolé au milieu de l’océan, notre pays a t il réellement une chance ? “Oui, nous affirme Georges Puchon, ministre de l’Économie, nous avons les meilleures chances de réussir.” Oui, nous disent aussi d’éminents professeurs américains dont les travaux ont été publiés à la fin de 1997. A les croire, jamais depuis des siècles, il n’a été aussi facile pour un petit pays de s’en sortir seul. Dans un monde de libre échange, globalement en paix, les frontières ont de moins en moins d’importance et les avantages des grands s’estompent, à la condition toutefois de savoir s’associer à un puissant club international. Quant à la distance, elle est de plus en plus gommée par les nouvelles technologies.

Rester soi-même

Ce qui nous menace le plus, en réalité, c’est nous mêmes. Les Polynésiens sauteront ils dans le train de la modernité avec motivation ou s’y laisseront-ils traîner sans enthousiasme ? Au moment de devoir être plus solidaires, sauront-ils partager ? Aurontils suffisamment conscience de la communauté de leurs intérêts dans la diversité de leurs origines ? Ou les démons de la xénophobie et du racisme briseront ils l’harmonie sociale comme certains signes le laissaient craindre en ce début d’année 1998 ? Des deux forces du rassemblement ou de la division, laquelle l’emportera dans cette année du Tigre dont on nous dit qu’elle sera celle de tous les rebondissements ?

La réussite d’un petit pays, affirment encore nos éminents professeurs américains, repose essentiellement sur les talents et la

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motivation de ses habitants, sur les capacités et la qualité de leurs dirigeants et, surtout, sur son ouverture vers l’extérieur.

Si elle le veut vraiment, la Polynésie française restera une oasis de rêve et un phare de culture dans l’océan, c’est possible. À condition de rester elle même, unie et accueillante, en dépit de tous les bouleversements.

(Éditorial Polynésie Éco n°4 1998)

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GENS QUI RIENT, GENS QUI PLEURENT

On nous promettait une année agitée. Nous avons été servis ! Le Tigre devait, selon les prévisions de l'astrologie asiatique, transmettre une énergie puissante laquelle se révélerait positive ou négative, nourrissante ou destructrice selon que l’on se montrerait capable ou non de la canaliser. C'est exactement ce qu’il s'est passé en Polynésie française en 1998.

Les colères du ciel ont frappé violemment et profondément à plusieurs reprises. Elles ont endeuillé de nombreuses familles polynésiennes et plongé beaucoup d'autres dans le besoin.

Dans le cyclone financier qui faisait trembler les marchés mondiaux, les jeunes industries exportatrices locales ont fait bien pâle figure. Les trois activités sur lesquelles l’avenir économique du pays est en principe fondé ont du mal à s’imposer sur une scène internationale où les chocs sont rudes. Perle : les cours n'ont jamais été aussi bas et l'on commence à s'inquiéter sérieusement. Pêche : les exportations ont chuté d'un tiers et ne représentent plus que 10 % du total de la production. Tourisme : le produit résiste bien (+ 4,7 % en fréquentation). Il se développe deux fois plus vite que la moyenne mondiale de l'industrie touristique (+ 2,4 %), mais c'est loin des objectifs du Pacte de progrès. Sans doute faudrait il revoir ceux ci sur des bases plus réalistes ?

Malades du modernisme

Les dépenses de santé ont encore explosé en 1998. Depuis 1995, la Protection sociale généralisée (PSG) ouvre l'accès aux soins à tous. C'est une avancée énorme, d'une générosité exemplaire, dont peu de pays au monde peuvent se prévaloir. Mais un Polynésien sur quatre bénéficie de cette solidarité à titre gratuit. La charge est d'autant plus lourde que le modernisme mal adapté fait des ravages. Les Polynésiens souffrent de maladies non transmissibles (diabète, hypertension, maladies vasculaires, obésité, cancer…) dans des

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proportions alarmantes. Ces affections, dont le coût social est considérable, sont le plus souvent liées à de mauvaises habitudes, alimentaires notamment.

Sous la pression des syndicats et des entreprises, le gouvernement n’a pas cédé à la tentation d'augmenter les cotisations sociales. Il a préféré fixer une limite à la consommation de santé : pas plus de 10 % du PIB. La responsabilité d'un éventuel dépassement repose désormais sur les médecins qui seraient sanctionnés à titre collectif. Furieux, considérant qu'ils sont traités en boucs émissaires, les praticiens portent l’affaire en justice.

La prévention, à laquelle on ne consacre que 4 % des dépenses de santé, est en réalité la seule à pouvoir ralentir l'hémorragie. Elle passe, bien entendu, par l'éducation et l'information du public, mais aussi par des mesures politiques urgentes.

Euphorie

Tout allait donc si mal en 1998 ? On serait tenté de le croire. D’autant plus que le grave problème des déchets et de la protection de l'environnement est resté sans solution. L'aménagement du CET de Taravao a été interrompu par décision judiciaire. Les décharges sauvages explosent un peu partout, tandis que les lagons subissent des atteintes peut être irréversibles.

Les listes d'attente pour un logement social se sont allongées, une grande partie des crédits disponibles au Fonds de reconversion de l'après CEP a dû être consacrée à ce secteur prioritaire. À l’université et dans les lycées, les résultats aux examens ne se sont guère améliorés. L’hécatombe se confirme sur un réseau routier en mauvais état, inadapté, livré aux chauffards et aux inconscients. Soixante deux personnes ont ainsi trouvé la mort (soit 27,5 pour 100 000 habitants contre 14 seulement en France dont les routes sont pourtant classées parmi les plus meurtrières d’Europe) et sept cent quarante-huit autres ont été blessées, souvent handicapées à vie.

On a même assisté à la fin d'un rêve : la séparation d'un groupe de danse beau et éphémère comme un rayon de soleil. Son succès

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foudroyant aura été fatal à O'Tahiti E, disloqué en quelques semaines par les divisions internes.

Et pourtant, 1998 restera malgré tout comme une année plutôt heureuse. Les Polynésiens dans leur ensemble ont aimé cette année du Tigre qui les a sortis de leur routine. Ils se sont même sentis si bien qu'ils ont été pris d'une véritable frénésie d'achat. Conséquence : des importations civiles et des crédits à la consommation respectivement en hausse de 21 et 18,4 %, dans une ambiance euphorique.

Fragilité

Défiscalisation, logement social, grands travaux, demande soutenue, le bâtiment est en plein boom. Tant mieux, car les besoins sont gigantesques. Les ventes d’automobiles n’avaient jamais atteint de tels sommets avec près de six mille véhicules distribués dans l’année. L’informatique, les jeux vidéo, la bureautique, l’Internet sont pris d’assaut par les Polynésiens qui s’équipent. Des Polynésiens qui veulent vivre avec leur temps, sortir de leur isolement. Ils ont repris confiance, ils investissent et, surtout, ils consomment.

Il est intéressant de noter que cette embellie survient au moment même où la fiscalité locale subit sa révolution en douceur, avec une mise en orbite parfaitement réussie de la TVA… Pourvu que ça dure.

Des Polynésiens ont pleuré, des Polynésiens ont ri en 1998. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'énergie du Tigre est venue nous rappeler notre fragilité et notre dépendance vis-à-vis de l'extérieur.

Nez qui coule, gorge qui brûle, oreilles bouchées, fièvre… Des milliers de personnes, à Tahiti et dans les îles, ont attrapé la grippe en ce début d’année 1999. Le même virus qu’à Paris, dit on. Quel progrès ! Il en va désormais pour les maladies contagieuses comme pour le cinéma, les magazines ou la mode, nous les avons à Tahiti en même temps qu’en France.

Il se passe en fait que, plus nous devenons polynésiens et autonomes, et plus nous devenons français et dépendants dans la réalité de notre vie quotidienne.

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C’est évidemment le cas d’un point de vue culturel et social. Programmes de télévision, information, cinéma, Internet, voyages plus faciles et fréquents, téléphone de moins en moins coûteux… Tahiti n’est plus une île et la modernité envahit tout, avec ses bons et ses mauvais côtés.

La Polynésie française demeure surtout dépendante d’un point de vue économique et c’est ce qui importe le plus. L’État a tenu parole et, malgré l’arrêt définitif des essais nucléaires en 1996, la perfusion parisienne n’a jamais tari. Bien au contraire ! Les dépenses de l’État en Polynésie française avoisineront probablement les 130 milliards de francs Pacifique en 1999. Nous ne créons nous-mêmes qu’un tiers environ des richesses que nous consommons. L’objectif principal du Pacte de progrès pour l’après CEP est de porter cette part à 50 %. De ce point de vue, 1998 n’aura pas été une bonne année.

Confiance

Les Polynésiens ne se précipitent pas seulement dans les supermarchés, ils investissent aussi dans le logement, dans l’automobile, ils se mettent à l’informatique et à Internet. Ce sont des consommateurs de plus en plus vigilants et avertis. Ils sont de plus en plus nombreux à occuper un emploi salarié. Et comme cela ne suffit pas à résoudre le problème du chômage, ils jouent le jeu de la création d’entreprise avec les encouragements et le soutien actif du gouvernement.

Des dizaines de micro unités de production, et surtout de service, voient le jour. Beaucoup ne tiennent pas le coup, mais celles qui savent répondre à un besoin et s’adapter à la demande ne s’en sortent pas trop mal.

Le système des patentes se révèle comme une soupape formidable et une source d’emplois irremplaçable. Le gouvernement devra toutefois revoir leur classification et leur mode de calcul souvent injuste et contre productif. La désormais puissante CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises) a fait de

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cette réforme, jugée indispensable au développement, l’une de ses principales revendications.

Les Polynésiens reprennent confiance. Celle, en tout cas, qu’ils accordent au président Flosse est extraordinaire. Ils ne comprennent pas toujours où il les conduit (un sondage publié à ce propos par La Dépêche de Tahiti en février 1999, montrait à quel point les populations sont ignorantes des institutions de l’autonomie polynésienne et de leur évolution). Ils se laissent néanmoins entraîner sans broncher dans un tourbillon institutionnel dont la dernière rafale porte notamment sur la création d’une citoyenneté polynésienne.

La principale justification de cette demande, dont la satisfaction suppose une réforme de la Constitution française, est la protection de l’emploi local. Ce fut un des principaux sujets de conversation et de débat en 1998.

Tout le monde souhaite protéger l’emploi. Il faut absolument éviter les tensions sociales qui pourraient compromettre l’équilibre du bel édifice après-CEP en pleine construction. Il ne faut pourtant pas oublier que la mise sur pied d’une véritable économie exige des entreprises dynamiques, performantes, ayant à leur disposition de la main d’œuvre non seulement qualifiée, mais surtout motivée, à la fois capable et désireuse de faire un travail compétitif sur le marché mondial.

L’année 1999 est celle du Lapin de terre. Elle est annoncée comme plutôt calme et favorable aux bonnes affaires. Acceptons en l’augure. Rappelons-nous toutefois que la dernière année du Lapin, de feu celui là, il est vrai, avait été celle de l’incendie de Papeete par des émeutiers en colère au mois d’octobre 1987.

(Éditorial Polynésie Éco n° 5 1999)

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NAISSANCE D'UN PAYS

Ouf, on a eu chaud ! Il y a bien eu un peu de panique, il faut l'admettre. Mais, finalement, tout s'est bien passé. Sans trop de bobo. Comme toujours, les anges gardiens ont fait leur boulot, le pays s'en sort avec brio. Il y a eu jadis Makatea, puis la MGM et plus tard le CEP. Cette fois-ci, c'est l'amitié Chirac - Flosse qui nous a sauvés du crash.

Je sais, j'exagère un peu… mais, pas tellement.

Faut dire que nous volions, tranquilles (pas tous aussi tranquilles, c'est vrai, mais bon, dans l'ensemble…) au-dessus des peines du monde, les observant avec compassion, mais bien contents de ne pas devoir les subir nous aussi. Ô, certes, la Nature ne nous épargnait pas et nous recevions notre part de souffrances. Nous échappions au moins aux plus insupportables : la violence et la guerre, filles de l'ignorance et de la misère.

Sur ce, on nous dit : “Attention ! ON VA COUPER LE MOTEUR”.

Nous, bien sûr, on craint le pire. C'est l'affolement dans la fourmilière.

Les uns disent : “C'est pas grave, de toute manière on n'avait pas besoin de vous. Liberté avant tout. Tant pis, advienne que pourra”. Et, ils se mettent à prier… Je caricature un peu, ok… mais, pas tant que ça.

Les autres acceptent bien qu'on les lâche, mais sans cesser de les lâcher. Vous me suivez ? Ils ne sont pas d'accord du tout : “ Mais, c'est impossible ! Vous ne pouvez pas couper le moteur, et nous alors, après tout ce qu'on a fait pour vous !”

Si, si, euh… c'est terminé. On regrette, mais les essais, on n'en a plus besoin. Et puis les bombes, en ce moment, c'est plutôt mal vu, alors on a décidé que ça suffisait, on en sait assez.

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Ah bon ? Mais nous, qu'est ce qu'on devient dans tout ça ? Ben… Va falloir pédaler.

- Ah, là non, ça ne va pas se passer comme ça. J'ai des relations, moi, Monsieur.

Et, effectivement, ça ne s'est pas passé comme ça. Ils ont bien coupé le moteur, mais, ô miracle, on plane toujours…

*

Sans crainte de se tromper, on peut déjà affirmer avec certitude que Tahiti nui, en, disons, 2010, sera très différente de la Polynésie française de l'an 2000.

Trois cent mille habitants, accueillant chaque année cinq cent mille touristes dans des hôtels nombreux et confortables ou sur des palaces flottants. Une capitale moderne, ayant réglé ses problèmes d'environnement, de circulation et d'urbanisme, capable de plaire à ses visiteurs et de les séduire. Des communes et des îles peu à peu gagnées, elles aussi, par un développement économique de plus en plus spécialisé, bénéficiant enfin d'eau potable, d'établissements scolaires de tous niveaux, de structures de santé et de télécommunications ultramodernes. Des archipels éloignés où il fait mieux vivre, où les gens restent et même retournent s'installer après une expérience tahitienne souvent douloureuse.

Un développement généralisé, donc, une modernité ayant ouvert le pays sur le monde et au monde, apportant mieux être, meilleure sécurité, meilleure éducation, confort accru dans des logements brillants et propres… Et, par dessus le marché, une culture bien vivante, vivace même, comme ressuscitée, le passé et le présent faisant excellent ménage dans une société polynésienne enfin en paix avec ses problèmes d'identité, consciente de ce que ses minorités lui apportent et qui les chouchoute.

Un pays est en train de naître, sous nos yeux, sous nos mains. Aura-t-il ce visage idéal qu'on nous fait miroiter ? La modernité

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semble inexorable, indispensable même, mais quel en sera le prix et les Polynésiens sont ils prêts à le payer ?

Un premier élément de réponse réside dans le fait qu'il est plutôt difficile de nous faire entrer dans le moule. Si nous adoptons avec enthousiasme certains aspects de la vie moderne, nous en supportons les contraintes avec peine. Malgré les centaines de milliards déversés par l'État, l'accélération des constructions d'établissements, l'échec scolaire et universitaire reste un fléau. Comme si, pour réussir dans le système qu'on leur propose, les jeunes Polynésiens n'étaient ni suffisamment motivés (parce que ni eux ni leurs parents n'ont sans doute encore pris conscience à quel point l'éducation conditionne leur avenir désormais), ni assez armés dans une réalité quotidienne et familiale trop décalée par rapport aux exigences de l'école.

Bien lente prise de conscience collective également en matière d'environnement, domaine dans lequel les égoïsmes s'expriment dans tout leur éclat. Ordures déposées n'importe où chez “l'autre”, de préférence bruit, fumées… Vallées et rivières transformées en tout à l'égout avec, comme réceptacle final, les plus beaux lagons du monde, ceux, justement, sur lesquels on compte pour développer le tourisme. Mais à qui la faute et comment faire autrement ?

La Polynésie française bénéficie d'un système de protection sociale parmi les plus généreux du monde et d'une qualité de soins digne des pays les plus avancés. Et pourtant, le bulletin de santé de ses habitants n'est pas fameux. Là encore, nous sommes victimes d'un certain laisser aller. Celui ci se manifeste, surtout, dans notre assiette (70 % de la population souffre d'un excès de poids et le diabète frappe un Polynésien sur cinq) et sur la route (le non respect des règles de conduite est une des principales causes de l'hécatombe qui fait proportionnellement deux fois plus de victimes qu'en France).

Choisir le développement, la modernité, l'ouverture au monde, c'est forcément accepter de nouvelles règles du jeu. Dans un espace vital rendu sans cesse plus étroit par une démographie encore très féconde, il faut apprendre à partager. Partager la route avec les

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piétons, les cyclistes, les animaux. Partager le lagon avec les pêcheurs, les baigneurs, les plongeurs… et les poissons.

En route vers quel futur ? s'interrogeait le premier numéro de Polynésie Éco en 1995. La direction est aujourd'hui bien définie, le cap est tenu, mais le moteur de la pirogue est encore trop faible. Pour avancer, l'aide de l'État se révèle encore indispensable.

*

Gaston Flosse est tel qu'il est… Il a pourtant une qualité politique essentielle : il sait être un chef au sens traditionnel du terme, c'est à dire celui qui se montre capable d'assurer le bien être de son peuple. En grande partie grâce à lui et aux relations personnelles qu'il a su tisser au cœur de l'État français, jamais la Polynésie française n'a été aussi riche et prospère que depuis l'arrêt des essais nucléaires. On pourra discuter à l'infini de l'utilisation des milliards que la France accorde généreusement à son territoire et des raisons pour lesquelles elle se montre si large. Le fait est que les moyens du développement sont là. Et que ça marche !

Naturellement, la richesse est encore trop mal partagée. Les syndicats, avec une nouvelle génération de dirigeants aux dents longues, avides de se faire une image, se chargent de le rappeler en ce début d'année 2000, fertile en remous sociaux.

Mais si cette richesse n'existait pas, que se partagerait-on ? Aucun état insulaire de la région n'a réussi à s'en sortir seul, même ceux qui, au départ, semblaient doués des meilleures chances. Ils ont au contraire sombré dans le marasme économique, puis dans la misère et, enfin, dans la violence. La vague est partie de Papouasie Nouvelle-Guinée, il y a une dizaine d'années. Pourtant assis sur de fabuleux gisements de pétrole et des mines d'or, les Papous s'entretuent joyeusement. Leur monnaie s'est effondrée, leur classe politique est totalement corrompue et l'unité nationale en permanence menacée. La guerre de sécession de Bougainville a fait

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plus de dix mille morts, dont de nombreux enfants. Depuis 1999, après plusieurs années de crise économique, les Salomonais s'étripent à leur tour. Aujourd'hui, la vague de violence a touché Fidji qui renoue avec ses vieux démons racistes et vit les pires moments de son histoire. À nos portes, les îles Cook pataugent et les ministres s'assassinent à Samoa.

Dans cet océan de larmes qui n'a plus de pacifique que le nom, les îles faisant encore partie d'un grand ensemble national sont de rares oasis de paix, de liberté et de prospérité. Cette situation est d'une fragilité extrême, mais, à la fois, relativement facile à préserver pour peu que l'on fasse preuve d'un minimum d'ouverture d'esprit, de tolérance et de générosité.

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LE DOUBLE VISAGE DU PROGRÈS

Une vaste étude statistique sur l'équipement et la consommation des ménages polynésiens vient tout juste d’être achevée. Nous en connaîtrons bientôt les conclusions. Elles seront sans aucun doute pleines d'enseignements précieux pour le gouvernement et les acteurs économiques et sociaux. On sait déjà pourtant déjà ce qu'elle ne pourra que confirmer : dans cette partie du monde, dans l'univers insulaire du Pacifique sud, à de nombreux points de vue, nous sommes largement privilégiés.

L'évolution rapide dans laquelle la société polynésienne s'est engagée n'est pas toujours sans douleur. Mais, grâce au ciel et au soutien de l'État, tout est fait pour rendre cette mutation plus harmonieuse et moins pénible. Les aides sociales, fiscales, professionnelles, etc., probablement encore insuffisantes, sont innombrables pour ceux qui souhaitent s'insérer dans le nouveau millénaire.

La plupart des ménages polynésiens disposent de l'eau courante, gratuite sinon potable (ce qui est peut être en train de changer) et de l'électricité. Dans les fare, il y a toujours un frigo, la télévision, souvent la vidéo, même le DVD. L'ordinateur y fait rapidement son apparition. L'éducation est gratuite et la santé accessible à tous. La pression fiscale est encore raisonnable (cela pourrait bien ne pas durer après les nombreux “cadeaux” préélectoraux et il faut certainement se préparer à un réveil brutal). L'économie est en pleine croissance. Les travaux de l'Institut d'Émission d'Outremer (IEOM) et de l'Institut de la Statistique de la Polynésie française (ISPF) montrent que les Polynésiens consomment et s'équipent de plus en plus (+ 5 % en 2000). Ils ont même tendance à s'endetter pour satisfaire leurs envies. On possède très souvent un, voire deux véhicules. Le paysage médiatique local est varié, vivant et florissant : une vingtaine de chaînes de télévision, de nombreuses radios, des publications de toute sorte… On commence même à se préoccuper sérieusement d'environnement, de culture et de loisirs. Sans oublier ces perles rares

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que sont la paix, la liberté et une place reconnue pour les femmes dans la société.

Un tel bilan semble idyllique comparé à celui des états insulaires de la région où, même les premières nécessités ne sont pas satisfaites. L'émigration s'y intensifie chaque jour davantage, que ce soit pour fuir une situation intolérable ou simplement pour trouver un emploi.

Investissement à long terme

Le 6 mai 2001, au scrutin territorial, 75 % des électeurs polynésiens ont manifesté leur choix de société et leur désir de poursuivre sur la voie du développement et du progrès. Naturellement, notre bien être collectif coûte cher. Ils sont de plus en plus nombreux, en France, à trouver que cela va trop loin. De façon un peu surprenante, le Parti socialiste au pouvoir soutient même ouvertement l'opposition indépendantiste, montrant ainsi son souci de voir la Polynésie française voler de ses propres ailes au plus tôt.

C'est regrettable, car, d'une part, la grande majorité des Polynésiens manifestent clairement depuis toujours leur volonté de rester français. Ils ont montré, d'autre part, une capacité peu commune à faire fructifier le soutien national. Le Pacte de progrès, conçu en 1992 par un gouvernement socialiste, est un succès exemplaire et incontestable. Il serait donc temps, et plus logique, de considérer enfin les transferts nationaux en faveur du territoire comme des investissements plutôt que comme des dépenses.

Or, la France n'a t elle pas toutes les raisons d'investir à long terme en Polynésie française ? Rayonnement dans cette partie du monde, promotion de la francophonie, terrain de recherche scientifique et réservoir de potentialités extraordinaires, trésors culturels et sites naturels uniques au monde, transmission, enfin, en direction de la communauté internationale, par le biais d'une autonomie réussie, d'un message de respect, de générosité et d'efficacité… Et tout cela, tous comptes faits, pour (presque) rien : environ 125 milliards de francs Pacifique par an, soit moins de 0,5 % du budget de l'État, soit environ dix francs (180 Fcfp) par Français et par mois. C'est très

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raisonnable ! Ça l'est encore plus si l'on songe que la frénésie de consommation dont les Polynésiens font preuve profite directement à l'économie française dans laquelle est réinjectée (via les importations ou l'implantation locale de grandes sociétés métropolitaines) une bonne partie des transferts de l'État. La France reste en effet le premier fournisseur et le premier partenaire économique de la Polynésie française dans de nombreux secteurs.

Les dos-d'âne de la discorde

L'optimisme est donc à l'ordre du jour, mais il faut pourtant rester réaliste. Le Pacte de progrès arrivera à terme dans peu de temps et l'on s'inquiète de ce que sera l'“après après CEP”, surtout compte tenu des mauvaises relations actuelles entre l'État et le Territoire. Mais il y a plus préoccupant.

Au matin du 20 mars 2001, des milliers d'automobilistes de la côte ouest de Tahiti ont vécu un cauchemar. Les embouteillages monstres, résorbés depuis quelques mois à peine grâce à des investissements routiers considérables, refaisaient soudain surface avec une ampleur inouïe. Dans la nuit, trois ralentisseurs avaient été construits sous la pression de riverains d'Outumaoro fiu du nombre affolant d'accidents mortels se produisant devant chez eux et inquiets pour leur sécurité. Cette affaire a brutalement mis en lumière la fragilité et les limites du développement en Polynésie française. La géographie, la démographie, l'histoire non plus que l'écologie, la météorologie ni la culture ou la sociologie (cela fait beaucoup, n'est ce pas ?) ne pourront pas être indéfiniment oubliées dans un processus qui va, certes, dans le bon sens, mais dont le rythme et les conditions doivent être adaptés aux contraintes de l'environnement naturel et humain.

Les communications terrestres, par l'unique route du tour de l'île, sont essentielles pour la modernisation du pays. Tant d'un point de vue stratégique que social. La voiture est le vecteur de l'activité, elle est aussi le symbole de la réussite personnelle et de la liberté. Pas de développement sans augmentation considérable du nombre de

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véhicules. Dans un pays aussi étroit, privé d'espace, mais à la démographie plutôt vivace, les conséquences sont évidentes.

Une poignée de riverains ont réussi à pratiquement paralyser le pays par la simple menace du blocage de la route. Casse-tête ! Comment concilier l'inconciliable ? Depuis toujours, dans les îles, les échanges se sont surtout effectués entre la montagne et la mer. La circulation “transversale” est d'apparition récente. Elle est traumatisante pour les relations traditionnelles. Au plus la route est large et fréquentée, au plus la fracture est profonde. Les populations sont socialement mutilées, coupées de leurs racines. Sans parler des paysages et de l'environnement. La passerelle n'est évidemment qu'un pis aller coûteux à l'efficacité douteuse.

Dans vingt ans, la Polynésie française devrait compter plus de quatre cent mille habitants dont trois cent mille à Tahiti, et peut être cinquante mille touristes en permanence dans le pays. Le nombre des véhicules en circulation aura plus que doublé. La construction de nouvelles voies routières est inéluctable. Les nuisances imposées aux riverains, déjà très importantes à certains endroits, vont s'aggraver. Les accidents et les morts, déjà trop nombreux, vont se multiplier, surtout chez les jeunes. La perspective n'est guère réjouissante. Elle mérite en tout cas d'être au cœur du débat social et politique.

L'exemple de la route est particulièrement significatif, mais il est loin d'être unique. C'est vrai, nous sommes privilégiés par rapport à nos voisins, mais prenons garde et réfléchissons soigneusement avant d'agir. Le progrès qui vise à nous libérer pourrait tout aussi bien devenir notre tyran. Serons nous assez sages et patients pour inventer un mode de vie réellement original et adapté ?

(Éditorial Polynésie Éco n°7 mai 2001)

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UNE CERTAINE IDÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Depuis 1996, la nouvelle économie polynésienne a montré ses qualités et son potentiel. Sachant parfaitement surfer sur la croissance mondiale et le Pacte de progrès avec l'État, elle a profité d'un essor continu confirmant ainsi la capacité des Polynésiens à l'autonomie. Pourtant, en 2001, les premiers signes de difficulté sont apparus. Il va maintenant falloir faire la preuve de la viabilité de cette autonomie, même par gros temps.

Ce qui aura le plus marqué cette période de “reconversion”, c'est justement la faculté impressionnante des Polynésiens de faire fructifier les moyens dont ils disposent et les soutiens qu'on leur apporte. On ne peut pas en dire autant de tous les peuples. Partout dans le monde, et dans le Pacifique sud en particulier, les exemples foisonnent de populations sans ressort, sans dynamisme, sans créativité, maintenues en survie par l'aide extérieure, mais comme anesthésiées, incapables de se prendre en mains et de “s'en sortir”.

Pourtant, une autonomie qui ne fonctionnerait qu'en période d'embellie économique nationale et mondiale ne serait pas crédible. Comme un navire doit être capable d'affronter l'océan en colère, l'autonomie polynésienne doit encore faire la preuve de sa résistance à l'adversité. Elle a, certes, déjà vécu des épreuves, mais à sa mesure, comme l'entraînement d'un jeune oiseau avant l'envol. Nous n'avons pas encore subi la vraie tempête !

Artificielle ?

Doit on reprocher au Territoire d’utiliser l’argent de la France pour construire des routes, des ports, des aérodromes, des bâtiments publics, un hôpital moderne ? Gaston Flosse mérite t il la critique pour vouloir éduquer son peuple, lui redonner le goût de la culture, lui permettre de s’informer jusque dans les vallées les plus retirées ?

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A t il tort de tenir à ce que les Polynésiens soient mieux logés, qu’ils puissent voyager, se déplacer plus librement et à bon marché ? Bref, faut il en vouloir au président du gouvernement de souhaiter pour les Polynésiens une vie comparable en qualité et en niveau à celle de tout citoyen du monde occidental libre ?

Pour certains, le peuple ma’ohi n’aurait rien à voir avec l’Occident et son genre de vie. Mais, la réalité prouve le contraire. On dispose désormais au fenua de tout de ce que la modernité fait de mieux dans tous les domaines et l’on a souvent les moyens de se l’offrir. Il suffit de constater l’explosion des marchés du multimédia, du téléphone portable, du DVD et, surtout, de l’automobile, mais aussi celle des dépenses de santé.

Alors, on entend parfois dire que toute cette économie serait “artificielle”, qu’elle ne reposerait sur rien d’autre que la solidarité nationale. Ce n’est pas entièrement faux. Mais c’est aussi faire bien peu de cas des Polynésiens et des Polynésiennes qui travaillent durement dans les divers secteurs d’activité. Il n’y aurait certainement pas tous ces hôtels, pensions de famille, entreprises, emplois, logements, cette protection sociale, etc. sans la défiscalisation, le FREP, le contrat de développement et les autres formes d’investissements de l’État et du Territoire. Mais, tout cela n’existerait pas non plus si des hommes et des femmes qui croient en leur pays et en son avenir, ne profitaient pas de ces soutiens pour créer et entreprendre.

Finalement, c’est toujours l’éternel débat, la question angoissante : Et si tout s’arrêtait ? Et si, soudain, on annonçait aux Polynésiens qu’ils allaient, d’un coup, perdre plus de la moitié de leurs revenus. Et s’il fallait soudain se serrer la ceinture ? N’auraient ils pas perdu leur légendaire capacité d’adaptation après un régime aussi gras ? Pourraient ils encore retrouver les gestes de survie d’autrefois ?

Monsieur Trop

C’est peut être aussi le souci de Gaston Flosse qui semble toujours en faire trop et trop vite. Voilà bien, au fond, le reproche principal.

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C’est “Monsieur Trop”. Pour ses opposants, il fait tout trop grand, trop beau, trop cher. Rien n’est jamais assez bien pour la Polynésie de Monsieur Flosse. Certains se contenteraient, affirment ils, de beaucoup moins. C’est probablement ce qui les rend si sympathiques à la gauche parisienne.

Mauvaise foi ? Ignorance ? Manque d’ambition ? Peur du lendemain, peur de perdre ses derniers repères ? Frustration de voir un seul homme décider pour tous, même si ses décisions se révèlent, la plupart du temps, les mieux adaptées à l’intérêt général ?

Le président du gouvernement a une “certaine idée de la Polynésie française”. Il est convaincu qu’elle affrontera mieux le monde de demain éduquée, logée, soignée et équipée des meilleures infrastructures.

Il reste que le débat entre tradition et modernité est plus que jamais d’actualité. La Polynésie française est profondément engagée dans son processus de transformation économique, sociale et culturelle, Il est, de toute manière, impossible de revenir en arrière. Pourtant, la fuite vers toujours plus de modernité et d’urbanisation est elle vraiment l’unique solution ? Déjà, toute cette jeunesse démotivée, alcoolisée, fauchée sur la route, diabétique, asthmatique, obèse ou même suicidaire parfois, nous interpelle violemment.

Dix ans après la psychothérapie collective très réussie de la Charte de développement, en 1992, pendant laquelle toute la population avait pu s’exprimer sur son devenir de l’après CEP, ne serait il pas temps, aujourd’hui, de faire le point et d’organiser une nouvelle consultation générale ? Après tout, c’est le privilège des petits peuples de pouvoir se réunir plus facilement. N’est ce pas aussi la manière traditionnelle en Océanie les Anglo saxons appellent cela la Pacific Way de prendre ensemble les décisions qui engageront l’avenir de la communauté tout entière.

(Éditorial Polynésie Éco n°8 - août 2002)

245
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REPÈRES CHRONOLOGIQUES

1957

Naissance des Nouvelles de Tahiti, premier journal quotidien de Polynésie française.

1961

Ouverture de l’aéroport de Tahiti Faa’a aux gros porteurs.

1962

Création du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP). 1964

Naissance de La Dépêche de Tahiti.

1966

Premier tir nucléaire français aérien dans le Pacifique le 2 juillet, nom de code Aldébaran.

Visite officielle du général de Gaulle en septembre. C’était la première visite d’un chef de l’État en Polynésie française.

1975

Premier tir nucléaire souterrain à Fangataufa.

1976

Visite officielle en Polynésie française du président de la République Valéry Giscard d’Estaing.

1977

Premier statut d’autonomie « de gestion » obtenu par Francis Sanford et le Front uni. Le représentant de l’État français n’est plus un gouverneur, mais un haut commissaire de la République. Il reste toutefois le chef du Territoire.

1981

François Mitterrand est élu président de la République.

Piqûres de
247
nono

1982

Gaston Flosse est vice président du conseil de gouvernement de la Polynésie française.

1984

Premier statut d’autonomie « interne » le 6 septembre. Gaston Flosse devient le premier président du gouvernement de la Polynésie française.

1986

Élections législatives et territoriales, Jacques Chirac est nommé Premier ministre. En Polynésie française, raz-de-marée Tahoeraa Huiraatira lequel remporte la majorité absolue des sièges à l’assemblée territoriale et les deux sièges de députés.

Gaston Flosse est nommé par Jacques Chirac, secrétaire d’État aux Affaires du Pacifique sud. Il est le premier Polynésien à faire partie d’un gouvernement français.

À la demande de Jacques Chirac, il cède la présidence du gouvernement territorial à Jacky Teuira, maire d’Arue, de préférence à Alexandre Léontieff, pourtant considéré comme son dauphin.

1987

Un mécontentement général gagne la Polynésie française. Une vague de mouvements sociaux culmine en émeute en octobre. Le centre ville de Papeete est incendié et pillé.

Alexandre Léontieff, soutenu par une quinzaine d’élus de la majorité, s’allie à l’opposition pour fomenter une révolution de palais. Le gouvernement est censuré. Alexandre Léontieff devient président.

1988

Élection présidentielle en France, François Mitterrand est réélu président de la République. Les socialistes reviennent au pouvoir. France-Antilles achète La Dépêche de Tahiti.

Piqûres de nono

248

1989

France Antilles achète Les Nouvelles de Tahiti.

1990

Visite officielle de François Mitterrand en Polynésie française, notamment à l’occasion du centenaire de la commune de Papeete dont il inaugure la nouvelle mairie. “Toilettage” du statut d’autonomie interne de la Polynésie française.

1991

Le Tahoeraa Huiraatira gagne les élections territoriales. Son président, Gaston Flosse, reprend le pouvoir perdu en 1987.

1992

Le Premier ministre, Pierre Bérégovoy, annonce la suspension des essais nucléaires à Moruroa et Fangataufa (avril).

1993

En mars, la droite gagne les élections législatives. Édouard Balladur devient Premier ministre.

Signature du Pacte de progrès État Territoire.

1995

Élection de Jacques Chirac à la présidence de la République (mai). Annonce par Jacques Chirac de la reprise des essais nucléaires pour une dernière campagne de six tirs (juillet).

La première bombe explose le 5 septembre et déclenche des émeutes à Papeete et à Faa’a, le centre ville et l’aéroport international sont incendiés.

1996

Arrêt définitif des essais nucléaires. Le dernier tir a lieu le 27 janvier. Il clôt une série de 193, dont 46 aériens.

La France ratifie le traité de Rarotonga sur la dénucléarisation du Pacifique sud. Nouvelle loi organique statutaire, l’autonomie de la Polynésie française est élargie (avril).

Piqûres
249
de nono

Le Tahoeraa Huiraatira gagne les élections territoriales et Gaston Flosse commence un nouveau mandat présidentiel (mai).

Signature de la convention État Territoire pour la reconversion économique de la Polynésie française. Création du fonds de reconversion économique (FREPF) destiné à garantir au Territoire, pendant dix ans, des revenus équivalent à ceux du CEP, soit 18 milliards de francs Pacifique par an (août).

1997

Dissolution de l’Assemblée nationale à l’initiative de Jacques Chirac, les socialistes reviennent au pouvoir. Lionel Jospin est nommé Premier ministre.

2001 Nouvelle victoire électorale du Tahoeraa Huiraatira aux élections territoriales. Troisième mandat présidentiel pour Gaston Flosse.

2002

Jacques Chirac est réélu président de la République pour un second mandat réduit à cinq ans.

2003

L’autonomie de la Polynésie française est inscrite dans la Constitution française. Visite officielle du président de la République Jacques Chirac en Polynésie française (juillet).

2004

Une nouvelle loi organique statutaire fait de la Polynésie française une collectivité dite “pays” d’outre mer. Gaston Flosse devient le premier président de la Polynésie française (février). Dissolution de l’assemblée de la Polynésie française par le président de la République à la demande de Gaston Flosse (mars). Séisme politique, treize ans après son retour au pouvoir, Gaston Flosse (73 ans) est écarté par une coalition d’opposants à la faveur d’un stratagème électoral (une prime majoritaire de 30 %) qu’il avait lui même imaginé et imposé en pensant s’assurer ainsi une majorité

Piqûres de nono 250

confortable et stable. Oscar Temaru devient président de la Polynésie française (mai). Il s’ensuit une décennie d’instabilité politique et de difficultés économiques et sociales

Assemblée de la Polynésie française place Tarahoi à Papeete (photo P.S.)

de nono

251
Piqûres

PREMIÈRE PARTIE

« Nonos » des Nouvelles de Tahiti (novembre 1992 décembre 1993) 8

DEUXIÈME PARTIE

La Décennie de la reconversion

Indépendance ? Soyons clairs ! 197

Et maintenant, le Pacte… 203 L’argent est indispensable, mais il ne suffira pas 208 Rivnac ou Nu’uroa, quel avenir pour la Polynésie ? 210

La fin et les moyens 212 Faussaires 214

L’âme du pays 216 Vive la concurrence ! 218

On souffle un peu, d’accord ? 220 Prêts pour l’an 2000 ? 223 Gens qui rient, gens qui pleurent 229 Naissance d’un pays 234

Le double visage du progrès 239 Une certaine idée de la Polynésie française 243

Repères chronologiques 247

Piqûres
252
de nono

et autres textes

Recueil de billets d’humeur écrits de novembre 1992 à décembre 1993 et publiés en première page des Nouvelles de Tahiti, alors que l’auteur en dirigeait la rédaction, suivi d’une sélection d’éditoriaux publiés de 199 3 à 2002.

Homme d’écriture, journaliste, auteur, éditeur, Patrick Schlouch est né à Besançon le 4 juillet 1949. Arrivé à Tahiti en 1976, il a d’abord collaboré à plusieurs quotidiens locaux avant de créer des publications périodiques. Il a produit un livre sur la Hinano, célèbre bière de Tahiti, puis un dictionnaire illustré de la Polynésie française et un ouvrage sur Papeete. Plume de personnalités politiques de premier plan, il a notamment rédigé de nombreux discours pour quatre des cinq premiers présidents de la Polynésie française autonome de 1985 à 2007.

Couverture : Gotz

Photos : Werner Bringold

MAHANA - LES ÉDITIONS DU SOLEIL TAHITI

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