L e coin du traducteur VIVIANE ANDRÉ
Dans les coulisses du texte biblique
Le coin du traducteur. Dans les coulisses du texte biblique
© édition : La Maison de la Bible, 2023
Case postale 50
Chemin de Praz-Roussy 4bis
CH-1032 Romanel-sur-Lausanne, Suisse
Tous droits réservés. info@bible.ch
www.maisonbible.net
Conception de la couverture : Clémentine Jund
Image de la couverture : © iStock - xijian
Sauf indication contraire, les textes bibliques sont tirés de la version Segond 21 © 2007 Société Biblique de Genève
www.universdelabible.net
ISBN édition imprimée 978-2-8260-3623-4
ISBN format epub 978-2-8260-0090-7
ISBN format pdf 978-2-8260-9952-9
Imprimé en France chez Sepec numérique
De Viviane André, je garde le souvenir d’une étudiante très douée (un devoir a été publié). Ses talents ont encore fructifié ensuite. Co-traducteur de la NBS, j’apprécie la solidité scientifique et la sagesse pratique de ses courts articles.
Henri Blocher, doyen honoraire de la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine et auteur de nombreux ouvrages théologiques
Cette exploration captivante des coulisses de la traduction biblique (en particulier de la Segond 21) par une spécialiste passionnée inspire, éclaire, parfois suscite le débat, interpelle, mais toujours nourrit !
Valérie Duval-Poujol, docteure en Histoire des religions et en Théologie, auteure de plusieurs ouvrages et chef de projet de la traduction Nouvelle Français Courant, publiée en 2019
Préface
Que le Seigneur te donne en effet de l’intelligence en toute chose.
2 Timothée 2.7
Viviane André a œuvré au sein de la Société Biblique de Genève durant plus de 21 ans, où elle avait la responsabilité du département Editions. Après des études en langues anciennes (hébreu, grec et latin), elle avait désiré approfondir ses connaissances théologiques à la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine. Elle a ensuite choisi de mettre cette double formation et toutes les capacités qu’elle avait reçues au service du texte biblique, et en tout premier lieu de sa traduction. Elle a ainsi présidé aux travaux qui ont mené à l’édition de la Bible Segond 21 et en a été en même temps la cheville ouvrière principale.
Dans le cadre de ces travaux, puis au fil des années, Viviane a consigné des explications ayant trait aux difficultés ou choix de traduction. Elle les a ensuite diligemment publiées dans la rubrique « Le coin du traducteur »
du journal Bible-Info. Que ce soient les variantes de manuscrits originaux, les subtilités de la langue hébraïque ou les difficultés à restituer le texte original dans une langue française en constante évolution, rien ne l’effrayait. Par souci de pédagogie, elle prenait soin d’articuler les principales options et de proposer, autant que possible, des avis nuancés. Quand elle ne le faisait pas, c’était afin de faire réfléchir le lecteur.
Viviane nous a quittés en octobre 2022, suite à une maladie foudroyante. Si elle nous a devancés pour « connaître complètement, tout comme elle a été connue », elle nous a laissé ses nombreux articles.
Nous sommes aujourd’hui heureux de les publier en un seul ouvrage, afin de rendre hommage à son travail et à sa mémoire. Si l’adage « traduire, c’est trahir » est parfois cité, que ces articles puissent le nuancer et, ainsi, éclairer chacun sur la richesse du texte biblique, sur la complexité du travail de traductrice et de traducteur et sur la rigueur mais aussi la sagesse qu’il nécessite.
Christophe Argaud, directeur de la Société Biblique de GenèveChrist a-t-il été désobéissant ?
Le texte bien connu de Philippiens 2 à propos de Jésus-Christ et de son abaissement n’est pas des plus simples à traduire. Selon la manière dont certains termes sont rendus, ils peuvent susciter une interrogation dans l’esprit du lecteur. Tel peut être le cas du verset 8, en particulier. Diverses versions consultées traduisent comme suit :
Bible Segond 1978 (Colombe) :
Il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix.
Nouvelle Edition de Genève (NEG) 1979 :
Il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix.
Darby 1991 :
Il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix.
Bible du Semeur 2000 :
Il s’abaissa lui-même en devenant obéissant, jusqu’à subir la mort, oui, la mort sur la croix.
Nouvelle Bible Segond 2002 :
Il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort – la mort sur la croix.
Voici la première définition du verbe « devenir » selon le Petit Robert : « passer d’un état à (un autre), commencer à être (ce qu’on n’était pas) ». Quant au verbe « se rendre », la notion de changement n’en est pas absente. Voici ce que le même dictionnaire propose : « se faire (tel), devenir par son propre fait ».
Ainsi donc, le lecteur moyen des versions citées peut comprendre que Jésus était désobéissant, mais qu’il s’est amélioré et a changé d’attitude pour devenir obéissant.
Peut-on alors continuer à affirmer que notre Seigneur était sans péché ?
Le texte grec peut certes être traduit littéralement :
« Il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » Toutefois, le participe aoriste (le temps qui correspond à notre passé composé ou passé simple) grec « étant devenu » peut aussi être traduit « ayant été ». En effet, dans la langue de Platon, le verbe « être » est défectif : il n’a pas d’aoriste et emprunte cette forme verbale au verbe « devenir ».
C’est pourquoi les réviseurs de la Segond 21 ont choisi de proposer une traduction du texte qui évite toute
Christ a-t-il été désobéissant ?
ambiguïté inutile et qui est tout à fait autorisée par la formulation grecque :
Il s’est humilié lui-même en faisant preuve d’obéissance jusqu’à la mort, même la mort sur la croix.
h
Une contradiction qui n’en est pas une
Les hommes qui l’accompagnaient demeurèrent stupéfaits ; ils entendaient bien la voix, mais ils ne voyaient personne.
Actes 9.7 NEG 1979
Ceux qui étaient avec moi virent bien la lumière, mais ils n’entendirent pas la voix de celui qui parlait.
Actes 22.9 NEG 1979
Dans ces deux récits de la rencontre du futur apôtre
Paul avec Christ sur le chemin de Damas, la contradiction paraît évidente : une fois, l’auteur des Actes affirme que les compagnons de Paul entendaient la voix qui lui parlait, et quelques chapitres plus loin, dans son propre récit de l’événement, l’apôtre déclare expressément le contraire. Nous trouvons-nous en face d’une erreur du texte biblique ?
Un regard sur l’original permet de constater que ce sont bien le même verbe grec (akouein) et le même mot pour « voix » (phônê) qui sont utilisés dans les deux textes. En revanche, la construction grammaticale est différente. En Actes 9, le mot « voix » est au génitif (cas normalement utilisé pour les compléments du nom), en Actes 22 il est à l’accusatif. Cette différence révèle deux nuances du verbe grec, qui peut signifier « entendre » ou « comprendre ». D’où les traductions proposées dans la Segond 21 :
Les hommes qui l’accompagnaient s’arrêtèrent, muets de stupeur ; ils entendaient bien la voix, mais ils ne voyaient personne.
Actes 9.7
Ceux qui étaient avec moi ont bien vu la lumière [et ont été effrayés]1 , mais ils n’ont pas compris celui qui me parlait.
Actes 22.9 h
1 Les mots entre crochets apparaissent dans les manuscrits majoritaires, mais sont absents du codex Sinaiticus et du codex Vaticanus.
Une histoire d’Ecriture
Toute l’Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice.
Segond 21
Toute Ecriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice.
NEG 1979
Vous ne voyez pas de différence entre ces deux versions de 2 Timothée 3.16 ? Relisez-les bien, et vous verrez qu’un « l’ » a été ajouté dans la Segond 21. Pourquoi cette variation ?
Lorsqu’un texte est lu du haut de la chaire, les majuscules n’apparaissent pas (!), et un simple auditeur pourrait comprendre, en entendant la version proposée par la NEG 1979, que n’importe quel écrit (même en dehors de la Bible) bénéficie de l’inspiration divine. Ne parlet-on pas couramment d’inspiration même à propos de textes et d’auteurs profanes ?
De fait, le mot grec graphê désigne « l’art d’écrire », « l’action d’écrire », puis « ce qui est écrit », et c’est dans l’un ou l’autre de ces sens qu’il est employé dans la version grecque de l’Ancien Testament, appelée la Septante. Il pourrait donc avoir la même palette de significations ici.
Dans ce cas, il faudrait traduire (ce qui est possible d’un point de vue grammatical) : « Tout écrit inspiré de Dieu est aussi utile… ».
Mais en réalité, cette interprétation ne « colle » pas avec l’usage du mot dans le Nouveau Testament : dans chacune de ses 49 autres occurrences, il renvoie aux Ecritures saintes, c’est-à-dire à l’Ancien Testament (avec parfois, une inclusion possible des textes existants du Nouveau Testament ; voir Romains 16.26 ; 2 Pierre 3.16), et ce, qu’il soit au pluriel ou, plus fréquemment, au singulier, précédé ou non de l’article (il est au singulier sans article dans 2 Pierre 1.20).
Dans certains cas, graphê désigne plus précisément un passage de l’Ecriture. Ainsi, il faudrait traduire littéralement
• Marc 12.10 : « N’avez-vous pas lu cette Ecriture ? »
• Jean 19.37 : « Et de nouveau une autre Ecriture
dit : … »
• Actes 1.16 : « Il fallait que soit accomplie l’Ecriture que l’Esprit saint a dite d’avance à travers la bouche de David. »
• Actes 8.35 : « Philippe ayant ouvert sa bouche et ayant commencé à partir de cette Ecriture lui annonça (la bonne nouvelle de) Jésus. »
• Jacques 2.23 : « Et fut accomplie l’Ecriture qui dit : … »
Au vu des considérations précédentes, il a paru le plus naturel d’interpréter de la même manière 2 Timothée 3.16 : « Tout passage de l’Ecriture est inspiré de Dieu », ce qui revient à dire : « Toute l’Ecriture est inspirée de Dieu. » La traduction Segond 21 ne force donc pas le sens du verset en vue d’appuyer la doctrine évangélique de l’inspiration de la Bible ; elle en livre une traduction cohérente avec la manière de s’exprimer des auteurs sacrés.
L e coin du traducteur
VIVIANE ANDRÉ
Les articles publiés par Viviane André dans la rubrique «Le coin du traducteur» du journal Bible-Info ont marqué de nombreux lecteurs. Rédigés au fil du temps et jusqu’à ce que, tragiquement, la maladie l’emporte, ils restent vivants et accessibles à tous.
Les voici désormais rassemblés en un seul ouvrage, pour proposer un «regard derrière les coulisses» du travail de traduction des Ecritures.
De Viviane André, je garde le souvenir d’une étudiante très douée. Co-traducteur de la NBS, j’apprécie la solidité scientifique et la sagesse pratique de ses courts articles.
Henri BlocherCette exploration captivante par une spécialiste passionnée inspire, éclaire, parfois suscite le débat, interpelle, mais toujours nourrit!
Valérie Duval-Poujol
Après des études de langues anciennes et de théologie, Viviane André a travaillé à la Société Biblique de Genève durant plus de 23 ans, où elle avait la responsabilité du département Editions. Elle y a notamment coordonné les travaux sur la Bible Segond 21, ainsi que la préparation de plusieurs Bibles d’étude et ouvrages de référence.
CHF 18.00 / 16.00 €
ISBN 978-2-8260-3623-4