LES PETITES FLEURS NE MEURENT JAMAIS - J'AI VECU L'INCESTE

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Christiane Berville

Les petites fleurs ne meurent jamais J'ai vĂŠcu l'inceste


Table des matières Préface ............................................................................ 7 Dédicaces ..................................................................... 11 Prologue .. ..................................................................... 15 Partie 1. L’enfance bafouée ........................................ 19 1. Patrick ...................................................................... 21 2. Mon papa ................................................................. 25 3. Mourir à 5 ans .......................................................... 31 4. Le placard ................................................................. 35 5. Survivre .................................................................... 39 Partie 2. Du Spleen de Paris à l’Evangile ................... 45 6. Mourir pour mieux vivre . . ........................................ 47 7. Une nouvelle vie ....................................................... 51 8. Vers la guérison . . ....................................................... 57 9. Jésus… la Vie . . ........................................................... 63 10. Dieu comme un père ou Dieu quand même Père? .75 11. Pardonner afin d’être libre ..................................... 83 12. Je ne suis plus une petite fille . . ................................ 87 13. L'intimité sexuelle réconciliée . . .............................. 93 14. Aimer vraiment ...................................................... 97


Partie 3. Comprendre l’inceste . . .............................. 101 15. L’inceste, qu’est-ce que c’est? ............................... 103 16. Les stigmates de l’inceste ..................................... 111 17. Un temps pour guérir .. ......................................... 131 18. Un temps pour le pardon ..................................... 137 19. Un temps pour être aimé(e) et un temps pour aimer .. .............................................. 145 20. Plus jamais seul(e) ................................................ 149 Epilogue ..................................................................... 155 Annexes ..................................................................... 159 Prévention .................................................................. 163 La loi française et l’inceste ......................................... 166 La loi belge et l’inceste ............................................... 169 La loi suisse et l’inceste .............................................. 174 La loi canadienne et l’inceste ..................................... 179 Maltraitance: associations, sites Internet ................... 181 Ils ont lu le livre .......................................................... 185 Remerciements .. ......................................................... 193 Poème de Nadine ....................................................... 197 Références bibliographiques ...................................... 199


P r Éf a c e

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Raconter sa vie est certainement l’expérience la plus intime qui soit. C’est le résultat d’un long processus, le fruit d’une décision mûrement réfléchie et maintes fois revisitée. En mettant en mots et en livre sa vie, on peut bien sûr se libérer d’un passé douloureux, mais on fait en même temps le choix de s’exposer aux regards des autres, à leur compassion, leur solidarité, mais parfois aussi à la curiosité et au questionnement. Quand on sort ainsi du privé et de l’intime – pour résolument prendre les autres à témoin – nous ne sommes plus totalement propriétaires de notre vie. C’est un risque, mais aussi un beau signe de maturité, de liberté et de paix retrouvée. En nous livrant son témoignage, Christiane Berville lève courageusement le voile sur des moments douloureux de sa vie. De l’enfance piétinée jusqu’à la réalisation de ce livre, elle nous parle d’elle: de ses souffrances de petite fille, face à des adultes décalés et pervers, de sa vie éteinte prématurément, de son combat pour revenir dans le monde des vivants, de ses rencontres multiples et salutaires avec des hommes et des femmes de bonne volonté, de sa découverte de la foi, de sa lente reconstruction, de l’espoir et de la vie qui renaissent malgré tout… Elle ne nous présente pas ce livre comme le point final ou la conclusion d’un cheminement chaotique, mais comme une étape vitale dans le travail de restauration qu’elle a commencé depuis son enfance. 8


La maltraitance et l’inceste ne sont pas des sujets faciles à aborder. La littérature, les médias et le cinéma, il est vrai, explorent ces thèmes de plus en plus, et de façon très appropriée. Mais cette liberté, admettons-le, n’a pas encore franchi le seuil de nos églises. Christiane Berville veut apporter sa modeste pierre à la réflexion qui s’amorce. Elle nous rappelle, entre autre, que l’on ne peut pas «bâcler» le processus de restauration des gens qui ont été blessés dans leur vie affective et sexuelle. Elle nous redit aussi simplement que, cachée dans les méandres et les chambres sombres de notre cœur, nourrie par notre silence, la haine grandit et infecte notre vie entière. Nous sommes invités à apporter nos pires sentiments à Dieu, car en déposant nos rages indomptées, nous mettons à la fois notre «ennemi» et nous-mêmes en présence de Dieu qui aime et qui fait justice. Le miracle du pardon et la liberté sont à ce prix. Que ce livre soit un espoir et une consolation pour tous ceux qui se reconstruisent et croient que le meilleur reste à venir! Gérard Hoareau 8 mai 2008

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D É D I CACE S

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A Roger Eykerman, merci de tout cœur pour votre aide si précieuse. Votre professionnalisme m’a permis de quitter cet «hiver trop rude», de mettre des mots sur mes douleurs et de retrouver mon identité féminine. Je voudrais exprimer toute ma reconnaissance et mon affection à Florent Varak. Ton profond respect, ton écoute active et tes coups de pouce m’ont fait faire des pas de géant. Merci vraiment. Tu m’as aidée à me recentrer pleinement sur Jésus. Ton amitié est pour moi un pur «joyau». A Gérard Hoareau, toi tu étais là au tournant crucial, et tu es le seul qui sois rentré au cœur même de mon enfer. Tu as été le «réceptacle» de toutes mes hontes, de mes peurs, de mes émotions, mais aussi de mon affection. En dépit de ta sensibilité et de tes propres émotions, tu as toujours été présent, et je te dois la vie que j’ai aujourd’hui. Merci, Gérard, parce que tu as su mettre en valeur tout ce qu’il y avait de caché en moi, et à présent, je suis la «grande dame» que tu voyais déjà, alors que je n’étais encore qu’une «petite fille» perdue et apeurée. J'admire le grand pédagogue que tu es! Et même si nos échanges ont été quelquefois douloureux, aujourd’hui, Gérard, je sais, et je comprends. Sache que tu comptes «grand» pour moi… 12


A Nolann, mon cher petit-fils, combien j’apprends la vie avec toi! Mais ne grandis pas trop vite, «p’tit bonhomme», garde toujours ce sourire et ce regard qui pétille, et continue de cueillir les petites fleurs; elles sont la preuve qu’il y a bien un printemps! A Mickaël, ne change pas ce «grand cœur» d’enfant que tu as au fond de toi. J’admire cette tendresse que tu transmets, cette capacité d’écoute et cette faculté que tu as de voir la souffrance dans le cœur de ceux qui t’entourent. A Cyril, continue à dire ce que tu penses, c’est ce qui fait ta force! Je suis toujours émerveillée de voir à quel point tu as gardé ta spontanéité d’enfant et combien ta générosité de cœur n’a pas de mesure! Vous êtes tous les deux mes rayons de soleil, mes «boosters» pour croire à demain…Vous m’avez forcément aidée à être la mère que je suis. Je vous aime. A toi Jean-Paul, mon mari bien-aimé, mon ami de tous les jours. Merci pour ta patience, merci pour tes silences. Je me rends compte à quel point je n’ai pas eu besoin de te parler pour que tu comprennes ma souffrance. Et combien ce n’était pas simple pour toi de vivre mon quotidien! Mais le bien a triomphé du mal, et aujourd’hui je veux te dire merci pour tous ces merveilleux moments de complicité et aussi de fous rires que nous pouvons avoir 13


toi et moi. Mon affection pour toi n’a pas d’égale. Avec toi à mes côtés, je sais que nous pourrons vivre encore bien d’autres merveilleux printemps! A toi, Dieu, MON Père par excellence, je dédie ce livre. Ton amour m’a transformée. Toi, tu as toujours été là. Et aujourd’hui, je le sais… A tous les enfants de par le monde qui sont victimes de la perversité des «grands» et en particulier à Camille, ma «grande amie» de huit ans qui, à l’aurore de sa vie, doit déjà se battre pour revivre; à Micheline, tu es une «grande», et tu verras, on s'en sortira! A toi, Dan, pour que tu croies que le bien triomphe toujours du mal. A vous toutes et tous qui avez figé votre mémoire dans l’oubli, puisse ce livre vous aider à découvrir qu’après l’hiver vient forcément le printemps, et même s’il reste des «traces» de ces longues années glaciales, le soleil peut briller et redonner la vie! A maman... Et à toi mon grand frère bien-aimé.

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Prologue C’est toi qui as fait mes organes si délicats à l’intérieur de mon corps, et qui les as tissés ensemble dans le sein de ma mère (…) Ton habileté est merveilleuse (…) Tu étais là, alors que j’étais formée dans le secret le plus total! Tu me connaissais (et tu m’aimais) bien avant que je vienne au monde, et tu as prévu chaque jour de ma vie, avant même que je commence à respirer… (Psaume 139, versets 13 à 16‌‌)1

1  Extraits d’une version paraphrasée dans Lee Ezell, Une vie en pièces, Bevaix, Editions Radio Réveil - Paroles de Vie, 1989.

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J’ai souvent entendu dire qu’écrire était une véritable thérapie. Traduire en mots son histoire et se relire permettaient de prendre un certain recul vis-à-vis de son vécu. Aujourd’hui, je le crois. Mais je sais aussi que rien n’est jamais acquis. Même si, en me retournant, je peux voir que le chemin était long, je ne suis pas encore arrivée au bout. Et tous les jours je dois me battre contre ce «fléau» qui un jour a ravagé ma vie. Mais il y a des étapes, et chaque fois que je les atteins, je peux dire avec fierté que c’est un véritable combat que je viens de gagner. Et c’est cela que je souhaite faire passer à travers ces lignes. Dire à tous ceux qui ont vécu l’inceste, que l’on peut s’en sortir, que l’on peut vivre s’en y penser tous les jours. Que l’on peut fonder une famille, que l’on peut aimer, avoir plein d’amis, vivre le bonheur et surtout le partager. Je souhaiterais dire aussi que pour «guérir» on a besoin de se sortir de ce statut de victime, de ne pas s’y conforter. Au contraire, il faut apprendre à dépasser sa souffrance pour se reconstruire. J’ai également appris à ne pas cacher cet abus, mais aussi à ne pas le mettre en avant, parce que l’inceste n’est pas mon identité. Je l’ai subi, certes, et c’est une réalité morbide, mais l’inceste n’est pas moi!! Je suis Christiane, souriante, aimante, rieuse, et qui aime la vie! C’est cette espérance de vie que je souhaiterais transmettre à travers ces lignes. 16


Ce livre «dessine» une partie douloureuse de ma vie. J’ai essayé de rester la plus sobre possible, tout en mettant l’accent sur la gravité du sujet. La première partie du livre retrace certains faits, non pas pour arracher une larme au lecteur, ni pour torturer sa conscience, mais pour l’aider à comprendre les conséquences de telles ignominies. La deuxième partie relate les merveilleuses interventions de Dieu dans ma vie, comment il reconstruit cette vie en pièces, comment il me restructure par ses innombrables manifestations d’amour. La troisième partie enfin se veut être plus théorique et explicative concernant le dur sujet de l’inceste. Je ne prétends pas vouloir apporter une solution, mais j’espère cependant pouvoir donner un peu de lumière et de compréhension sur ce qu’est le monde meurtri de l’inceste. Je souhaite que ce livre laisse un message d’espoir pour tous ceux et celles que la violence de l’inceste a terrassés. Pour que l’on puisse enfin entendre, à travers ces quelques lignes, leur S.O.S. et leur souffrance. Et surtout pour que l’on puisse rendre l’enfance à l’enfance, afin qu’elle ne soit plus piétinée, humiliée, manipulée, assassinée. Pour que l’on ne puisse plus dire: «Je ne savais pas.» Et je souhaite avant tout que ce livre soit le témoignage et le partage qu’avec Dieu, tout est possible. 17


A Lui soit toute la gloire! Et enfin, ce livre est mon véritable défi à la vie, mon pied de nez à l’inceste… Oh! Regarde. La nuit. Elle se décolore et se transforme en aurore. Si, penche-toi à la fenêtre, et regarde, tu vois! On repeint en rose les nuages, et on va essuyer les pleurs, les gouttes de pluie sur les petites fleurs. Et puis… et puis on va chanter, que demain sera un autre jour, plein d’espoir et d’amour… Oui, demain sera le plus beau jour. (Bernard et Bianca2)

2  Extrait de la chanson «Demain sera un autre jour», paroles de Carol Connors et Avn Robbins, tiré du film Bernard et Bianca de Walt Disney, 1977.

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P AR T I E 1

L'enfance bafouée Nous pouvons ne pas garder dans le silence les violences reçues dans l’enfance. Nous pouvons oser mettre des mots sur les silences imposés. L’inceste devrait être reconnu comme un crime imprescriptible. Peut-être le sera-t-il un jour!!1

1  Jacques Salomé, Contes d’errances, contes d’espérance, Paris, Albin Michel, 2007, p. 79.

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1. PATRICK Il est des géniteurs qui ont beaucoup de mal à devenir des papas ou des pères. Il en est d’autres qui ne le seront jamais, car l’enfant blessé qui est en eux ne supporte pas l’enfant qui sera devant eux.1

1  Jacques Salomé, Contes d’errances, contes d’espérance, Paris, Albin Michel, 2007, p. 79.

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– Lève ta tête bien haute, mais tiens-la haute! Et là, tu vois bien que les nuages, ils flottent. Mais si! Et regarde, quand ils avancent, ils se transforment. Regarde, regarde! Celui-là, on dirait un cœur d’amour. – Ouah! Un vrai cœur d’amour… Aïe! J’avais la tête dans les mains de mon grand frère, et il me la tordait pour que je puisse la garder aussi haute que possible. Je ne voyais pas ce cœur d’amour, j’imaginais plutôt une grosse tête de chien sans oreille! Mais je voulais lui faire plaisir. J’étais heureuse de lui dire que je voyais son cœur d’amour. Tous les jours, j’apprenais de nouvelles choses avec lui. On se comprenait, il me considérait, nous étions de vrais amis. – Quand j’serai grande, je voudrais me marier avec toi. – Quand j’serai grand, j’voudrais voler dans les nuages! Patrick était le troisième d’une fratrie de sept enfants. Il était mon aîné de trois ans, il avait huit ans dans ce «monceau» de vie. Lui et moi étions victimes tous deux de la perversité des grands. Je ne saurais décrire les horreurs qu’il a subies durant cette enfance meurtrie. Horreurs qui me liaient toujours plus à lui, incapable que j’étais d’agir pour le sortir de perversités innommables. Tu es mort, mon grand frère, de la folie d’un homme. Je n’oublierai jamais ces moments où, 22


dans notre douleur, nous nous promettions de ne jamais nous quitter, nous nous promettions de nous protéger. Non, grand frère, je n’oublierai jamais. Et pardon, Patrick, pardon de n’avoir pas tenu ma promesse. Pardon de n’avoir pas réagi, quand «il» te violait et m’obligeait à ne pas fermer les yeux, cher et tendre grand frère, pardon… de n’avoir eu que cinq ans. (Patrick est mort à l’âge de 36 ans, tué sur le coup par un chauffard ivre, qui a pris la fuite. Patrick était musicien professionnel, il sortait d’un concert ce soir-là. Il était papa d’un petit garçon de sept ans.)

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2. MON PAPA Une femme ne se construit pas en un jour. Pour chacune, il s’agit d’assumer pleinement sa féminité, que ce soit dans le domaine amoureux et sexuel, ou dans son désir d’être mère. Le père est l’un des piliers de cette réussite. Il est l’indispensable soutien qui va aider sa fille tout au long du périlleux chemin qui l’attend dans son devenir de femme. Il est l’expérience d’un amour unique en son genre. Ce lien si intense se déploie pour un être de l’autre sexe, mais avec l’impératif qu’il n’y aura jamais de sexualité entre eux. C’est même cet interdit qui présidera à la qualité du lien, et à l’épanouissement du féminin. Une petite fille devient femme sous le regard de son père.1

1  Didier Lauru, Père-fille. Une histoire de regard, Paris, Albin Michel, 2006.

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Le soleil était déjà bien haut dans le ciel quand on entendit un bruit de moteur. – Papa, c’est papa! Mon cœur s’est mis à battre, c’était mon papa. Mon héros, celui qui savait tout, qui me protégeait, qui savait si bien me faire rire, qui me portait sur ses épaules pour que je sois «grande jusqu’au ciel». Mon papa. Je courais, du haut de mes cinq ans, aussi vite que mes petites jambes me le permettaient. – Papa! Papa! Je me jetais dans ses bras et me laissais enlacer et embrasser par celui qui était tout pour moi. – Ma princesse, comment vas-tu? As-tu été sage? Comme tu es belle! Mon papa. Comme c’était bon d’être blottie dans ses grands bras forts! En fait, je ne savais plus trop: allais-je me marier avec mon frère ou avec mon père? Avec mon père, c’était mieux. Lui, au moins, il ne me tirait pas les couettes et il ne me traitait pas de poule mouillée! La maison résonnait de cris et de rires d’enfants. C’était la fête. C’était toujours la fête quand papa rentrait du travail. Maman était plutôt «dure». Elle ne s’inquiétait que de sa maison qui devait rester propre. «Dehors les gosses!» Elle me faisait très souvent peur. Je n’aimais pas quand elle me lavait ou me coiffait. Elle me tirait si fort les cheveux. Et je n’avais pas à broncher, sinon je me prenais une claque. 26


– Pour être belle, il faut souffrir, princesse! J’étais sa poupée. Elle passait son temps à m’habiller, à me déshabiller. A m’ausculter tous les petits trous pour voir s’il n’y avait pas un brin de crasse qui traînait encore. Elle me détestait, et moi je faisais tout pour lui plaire, pour gagner un peu de son affection. – Maman, tu m’aimes? – Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter une gosse pareille?! Oui, qu’est-ce qu’elle avait fait au Bon Dieu? Et moi, qu’est ce que je lui avais fait au Bon Dieu? Dans mes cauchemars d’enfant, je la voyais très souvent voler dans le ciel sur un balai de paille. Elle me poursuivait avec sa savonnette et sa brosse à cheveux. Et je m’imaginais Dieu, recouvrant tout ce ciel, me faisant les gros yeux: – Qu’est-ce que tu as fait à ta maman, dis… qu’est-ce que tu lui as fait? Mais là, j’étais bien, dans les bras de mon papa. Que pouvait-il m’arriver? Je me sentais heureuse et je riais. J’aimais tant les histoires qu’il me racontait! C’était comme un rêve qui ne devait jamais finir. Il aimait la nature, il aimait la poésie, il chantait toujours. Je garderai toujours en mémoire l’air qu’il me fredonnait: «Ma petite est comme l’eau, elle est comme l’eau vive, elle court comme un ruisseau que les enfants poursuivent, courez, courez, vite si 27


vous le pouvez, jamais, jamais vous ne la rattraperez…» On allait au jardin et il me racontait l’histoire des fleurs qui meurent en hiver parce qu’elles souffrent de ce qu’elles ont subi en automne, du vent, de la pluie, des tempêtes. Et il disait qu’après, il y a forcément un printemps, et là, elles s’éveillaient à la vie, encore plus belles, encore plus odorantes. Et moi, je riais, je tapais dans les mains. J’étais heureuse parce qu’il y a toujours un printemps et que, quoi qu’on puisse penser, les petites fleurs, finalement, ne meurent jamais! Ce jour-là était un dimanche, un dimanche de printemps, là où les fleurs s’éveillent à la vie, où les rayons du soleil sont encore bien timides. «Il» me faisait danser et je tournais, et je tourbillonnais, et je dansais, et je riais, et ma robe se gonflait. J’étais vraiment une princesse, la princesse de MON papa. «Il» disait que mes cheveux blonds de l’enfance brillaient sous le soleil, que j’étais sa petite fleur printanière. – Princesse, danse, danse encore! «Il» me prenait dans ses bras, ses bras tendres qui me faisaient tout oublier, qui me réjouissaient, qui me faisaient penser que j’étais aimée, que j’étais une petite fille heureuse à qui rien ne manquait. Oui, j’étais heureuse. – Princesse, viens, je t’emmène faire un tour sur ma mobylette. 28


Ouah! Les mots magiques! Faire un tour sur la mobylette de papa: ce moment que tous mes frères et sœurs souhaitaient vivre. Je n’étais jamais partie avec papa sur sa mobylette. Il disait toujours que c’était pour les grands. Et aujourd’hui, j’étais donc assez grande? Je n’avais pas encore cinq ans, mais presque, et j’étais fière de savoir que j’allais faire partie du «groupe» des grands, comme disait souvent un de mes grands frères. Ce «grand frère» me rejetait. Ma grande sœur et lui disaient de moi que j’étais la «chouchou du paternel» et j’étais très souvent exclue de leurs jeux. Mais là, peu m’importait: j’allais vivre des moments de rêve avec mon papa. Aujourd’hui, pourtant, je comprends qu’à ce moment-­là aucun de mes frères ne pouvait soupçonner quels étaient les «privilèges» que je vivais avec «le paternel»…

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