TEXTE 021 – LOMBRY Marianne Confidences
Bruxelles, je t’aime (concours de textes 2016) Ma très chère amie, Si tu savais le nombre de fois où je me suis installée devant mon bureau pour t’écrire. J’aurais souhaité le faire avant que ne t’arrive ce drame qui t’a laissé paralysée et sans voix.
Tu sais à quel point je tiens à toi et cet événement qui te touche m’a profondément attristée.
Cela fait si longtemps que nous nous connaissons, partageant nos peines et nos rires.
Cette année, nous fêterons nos 58 ans de complicité, tu imagines ?
De légers liftings ont effacé quelques rides du passé mais au fond de nous, nous n’avons pas changé.
Je me souviens de ce premier dimanche où je ne t’ai pas reconnue tant le silence de tes artères m’avait impressionnée.
Quel son étrange que celui des sabots des chevaux sur l’asphalte de la place
Debrouckère mêlé à celui des sonnettes de vélo et aux roulements réguliers des skateboard.
Des familles curieuses, sac au dos et casquette au vent partaient à la découverte des quartiers inconnus.
Bruxelles, aire de jeu infini et labyrinthe urbain, tu l’étais pour 24 heures.
Aujourd’hui encore, la campagne s’invite en ville te transformant pour un jour seulement en un gros bourg tranquille de province.
Souvent élégante, tu te drapes de parures multiples, fidèle aux modes et à ses créateurs.
Tu es austère et fonctionnelle dans le quartier du Botanique, élancée et rutilante
quand on te découvre européenne, extravagante et tout en courbes quand tu fais honneur à Horta.
Véritable caléidoscope, tu as toujours aimé les couleurs, toutes les couleurs.
Celles qui chantent la passion dans la Traviata, à Milan, celles qui pleurent l’amant perdu dans le Fado de Lisbonne, celles qui martèlent le sol dans le Flamenco de
Séville, celles qui ondulent sous la moiteur de Kinshasa, celles qui murmurent les
mystères de l’Orient.
Tu es multiple et unique, indomptable et docile selon ton humeur.
Tes voix se modulent en différents timbres, chacune a ses secrets, ses lieux de
rencontre où le temps d’une nuit, Malaga, Rome, Marrakesh, Lisbonne, Sao Polo et Kinshasa s’unissent et s’étreignent.
Mais c’est dans ton tram que l’on découvre à quel point, tu es cosmopolite. Les
visages de tes usagers sont un livre ouvert pour celui qui se donne la peine de le lire ; c’est le florilège du monde et des cultures : australienne, maghrébine, européenne, asiatique, latino, américaine.
Véritable tour de Babel, il m’offre un tour du monde en quelques arrêts.
Inutile de voyager pour découvrir toutes les saveurs du monde : un seul clic et la
feijoada brésilienne, la tajine, les tacos mexicains, les ashimis, le poulet tandoori, les böreks turcs, le bacalahau portugais, les pasta, la tortilla et le lapin à la kriek s’invitent à la table.
Zumba, tango, square dance, valse, tu fais danser les foules les soirs d’été sur la place du Jeu de Balle.
J’ai passé l’âge de rester jusqu’aux petites heures du matin mais ton noctis m’a ramenée plusieurs fois , envoûtée et étourdie par les sons de ton festival d’été « Couleurs café ».
Tu me parles parfois dans un langage étrange que j’ai fini par décoder.
Oui, j’ai un voisin qui est un dikkenek, mon miroir est un peu skive et j’adore manger des snootebols à la foire du midi.
Tu vois, j’ai fait des progrès ! J’espère que tout cela te fera un peu sourire. J’aime lorsqu’on se rencontre aux étangs d’Ixelles en fin de journée ou lorsque je découvre chaque année ta grand -place parée pour Noêl.
Flânant du c^té de la chaussée d’Ixelles, tu m’ouvres les portes du Matongé où un coin d’Afrique y a élu domicile.
Le dimanche, les commerces de ta place Brugmann oublient de fermer leurs portes, à mon plus grand bonheur et au Sablon, les tentes rouges et vertes des antiquaires m’offrent leurs trésors.
Je t’ai délaissée un long moment, le temps de faire quelques enfants. Je reviens vers toi, heureuse de t’avoir retrouvée pour reprendre notre conversation. Je parle de moi mais toi, comment vas-tu ?
Je sais que l’avenir te préoccupe. J’ai cru comprendre à demi- mots que plus rien ne serait comme avant, que tu ne sais pas si tu auras la force de te relever.
Je te connais bien, ce n’est pas la première fois que tu fais le dos rond pour mieux te redresser.
Comme toutes les blessures, celle-ci aussi s’estompera avec le temps. Prends
patience.
Tu sais que tu peux compter sur moi. Ni le temps ni les épreuves ne pourront nous séparer.
Te souviens-tu des mots que je t’ai murmurés un jour : « Bruxelles, je t’aime ». J’espère qu’ils t’aideront à retrouver la sérénité. Prends bien soin de toi. Ta vieille amie Marianne