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À TRAVERS LE PAYS

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Les défis de la digitalisation

Si la crise du coronavirus a considérablement accéléré la transformation numérique des banques privées, le secteur reste confronté à de nombreux défis en matière de digitalisation.

Le monde de la banque privée connaît, de manière générale, un certain retard en matière de digitalisation. Ce n’est pas nouveau. Et la crise du Covid-19, qui s’est déclarée en Europe au début de l’année 2020, a remis en lumière cette problématique. « La banque privée n’était pas préparée à faire face à cette situation. Pour des raisons historiques, notamment le secret professionnel et la cybersécurité, le travail à distance n’était pas dans la culture du secteur. Des raisons propres au Luxembourg, avec des questions complexes liées à la fiscalité transfrontalière, rendaient difficile sa mise en place », explique Xavier Turquin, senior manager Business Transformation chez Deloitte Luxembourg.

Du jour au lendemain, le secteur, peu – voire pas du tout – habitué à la pratique du télétravail, a été contraint de faire travailler ses collaborateurs à domicile, impactant complètement le mode de fonctionnement de la banque privée. « Si certaines banques avaient déjà mis en place des banquiers mobiles disposant d’outils leur permettant de travailler depuis chez eux ou chez un client, la majorité d’entre elles ont été prises au dépourvu au moment de la généralisation du télétravail. La première urgence a donc été d’identifier et d’équiper en outils informatiques les personnesclés au sein des banques, afin de leur permettre de travailler à distance. Cette opération a duré entre 15 jours et un mois », explique Xavier Turquin. Si l’impact de cette crise du point de vue organisationnel a été énorme, en matière de business, les conséquences pour le secteur de la banque privée ont été limitées. « Au Luxembourg, particulièrement, la banque privée opère depuis longtemps à distance puisqu’elle possède des clients aux quatre coins du monde. La différence, pendant la crise, c’est que les déplacements n’ont pas pu avoir lieu », explique le spécialiste.

Une digitalisation importante et urgente Conscientes de leur retard en matière de digitalisation, de nombreuses banques privées avaient déjà amorcé une phase de transformation plus ou moins rapide vers le numérique. Cette crise n’a fait qu’accélérer cette tendance. « Quelque chose d’important mais pas urgent est devenu important et urgent. Le CEO d’une grande banque privée de la Place expliquait ainsi que cette crise avait permis de faire en trois mois des choses qu’on n’imaginait pas pouvoir faire en plusieurs années. À un moment, il ne faut plus tergiverser, il faut se jeter dans le bain. C’est ce que les banques ont fait, et cela a plutôt bien fonctionné ! », rappelle Xavier Turquin. Alors que l’on craignait une fracture numérique entre la banque privée digitalisée et ses clients – généralement plus âgés –, force est de constater que ces derniers ont plutôt bien digéré cette transformation. « Il suffit de voir autour de nous comment les grandsparents ont rapidement maîtrisé les nouveaux outils de communication comme Zoom ou Skype. Il y a vraiment eu un changement de mentalité, l’âge n’est plus une excuse », poursuit-il.

CANAUX DE COMMUNICATION NUMÉRIQUE PROPOSÉS OU QU’IL ÉTAIT PRÉVU DE PROPOSER AUX CLIENTS (2019)

En 2019, bien avant la crise sanitaire, l’échange d’e-mails était le principal canal d’échange « digital ». Des données qui sont maintenant complètement bousculées avec le confinement et le télétravail.

Emails sécurisés

81 %

Messagerie instantanée sécurisée

33 %

Possibilité d’échanger en vidéo

WhatsApp / iMessage 14 %

10 % Les freins à la digitalisation Si la digitalisation de la banque privée a connu une accélération fulgurante en l’espace de quelques mois, il reste encore de nombreux freins à l’implémentation de ce nouveau mode de fonctionnement. « Ils sont principalement organisationnels », assure Xavier Turquin. Comment intégrer le paramètre digital dans un monde où la relation et la proximité avec le client sont les fondements du métier ? « La banque privée est un service interpersonnel. Cependant, il faut désormais intégrer le digital dans l’équation. Contrairement à la banque de détail où la digitalisation sert principalement à transférer des tâches de la banque vers le client pour faire des économies, dans la banque privée, la digitalisation offre davantage d’outils à l’employé. Celuici pourra alors fournir une meilleure qualité de service auprès de son client. En outre, la digitalisation permet au client d’avoir directement accès à une multitude d’informations sur son portefeuille, sans devoir passer par son banquier privé. Le client devient ainsi aussi sachant que le banquier. Dans ce contexte, quelle est désormais la force de ce dernier par rapport à son client ? », souligne-t-il.

La digitalisation change donc profondément le cœur de métier de la banque privée. « Avant, le banquier gérait le patrimoine d’un client pour le faire croître. Désormais, le banquier aide le client à réaliser ses projets grâce à l’argent dont il dispose. Le portefeuille n’est donc plus l’objectif, mais le moyen. On en arrive donc à une approche holistique patrimoniale pour le client. Et c’est là tout l’enjeu de la transformation numérique : passer d’un modèle centré sur le produit à un modèle centré sur le client », explique Xavier Turquin.

La survie atelle un coût ? Le coût plus ou moins élevé de la digitalisation en fonction de l’état du parc informatique d’une banque privée peut être un frein majeur à un processus de transformation numérique. « On a souvent entendu dire, durant cette crise du Covid, ‘la santé a-t-elle un coût ?’. Pour la digitalisation,

Maison Moderne (archives) Photo XAVIER TURQUIN Senior manager Business Transformation Deloitte Luxembourg

L’enjeu de la transformation numérique est de passer d’un modèle centré sur le produit à un modèle centré sur le client. »

c’est pareil : la survie atelle réellement un coût ?, questionne Xavier Turquin. Évidemment, certaines banques partent de très loin et tournent sur des systèmes antédiluviens… Et de manière générale, les banques actuelles s’appuient sur des systèmes qui datent des années 90 ou 2000, ce qui reste relativement ancien. »

Les technologies actuelles permettent toutefois aux banques de ne pas devoir procéder à une refonte totale de leur installation informatique. « Pour autant que le hardware tourne, il suffit de mettre en place ce qu’on appelle des couches de découplage. Ces dernières vont permettre de faire communiquer un système bancaire vieux de 30 ans avec les dernières applications sur le marché. On pourrait comparer cela à des Lego, en imaginant qu’une couche de découplage est la plaque sur laquelle je vais pouvoir imbriquer n’importe quel Lego. » C’est grâce à ces couches de découplage qu’une banque pourra, par exemple, connecter un robo advisor qu’elle n’a pas développé.

Mais concrètement, combien cela coûtet-il de digitaliser sa banque ? « C’est difficile d’être précis, naturellement, mais disons que cela va d’un à plusieurs dizaines de millions d’euros », explique-t-il. L’impact de ce coût sur l’organisation dépend également de la taille de la banque privée. « Une petite structure luxembourgeoise va devoir investir de manière significative par rapport à son nombre de clients. Si, en revanche, la filiale d’un grand groupe réutilise des programmes développés au niveau global, son coût marginal, par client, sera moindre. La question du coût est donc très vaste. »

Les clés de la réussite Pour que sa transformation digitale soit un succès, une banque devra respecter quelques règles. La première étant, comme le rappelle Xavier Turquin, que la digitalisation doit être imaginée par le top management comme un élément stratégique et non purement technologique. « Un risque d’échec, c’est de ne pas considérer l’impact du digital sur l’organisation. Il est capital que la structure soit capable d’identifier un partenaire, d’en valider la technologie et d’en faire l’intégration business, légale et technique. Le deuxième facteurclé de la digitalisation, comme je le disais précédemment, c’est l’intégration des changements au niveau de l’organisation. »

Certains pièges sont également à éviter lorsqu’on souhaite digitaliser sa banque. « Ce n’est pas parce qu’on fait du digital que l’on doit embaucher des gens qui font du digital. Cela ne fonctionne que pour la phase d’expérimentation, mais pas audelà. Et le gros risque est de passer directement de la phase d’expérimentation à la réelle industrialisation. Il est donc important d’investir dans la formation des équipes et dans l’adaptation des mentalités. L’erreur est de former une équipe digitale et de la laisser travailler dans son coin. En travaillant ensemble de manière transversale, les équipes du front et du middleoffice ainsi que les équipes techniques et de support vont pouvoir mettre leurs compétences en commun pour servir au mieux le client », assure Xavier Turquin.

L’importance de capter le client Cette transformation digitale peut également induire une certaine baisse de rentabilité passagère. Le management et les actionnaires doivent donc, eux aussi, accepter cette réalité. « On va commencer à fournir des services digitaux qui ne vont pas avoir de rentabilité immédiate. Mais ces services vont engager le client, qui luimême consommera davantage le produit – une satisfaction qui se traduira par une fidélisation sur le long terme. Grâce à la digitalisation, le banquier doit devenir un point de référence pour son client », explique Xavier Turquin.

Enfin, il convient de posséder un écosystème digital robuste et modulaire. « Ses partenaires digitaux, il faut les choisir vite… mais il faut être capable aussi de s’en séparer rapidement. Estce que ce partenaire, cette fintech, a été racheté par un concurrent ? Cette fintech faitelle un choix stratégique qui ne va plus dans la même direction que la mienne ? Il convient donc de s’appuyer sur un environnement agile qui permet à la fois de choisir rapidement ses partenaires, d’intégrer leur technologie et leur service, mais aussi de les remplacer par un autre rapidement. Et c’est ce que le digital permet de faire aujourd’hui », rappelle le senior manager Business Transformation de Deloitte. LES 5 TENDANCES DE LA BANQUE DIGITALE

De la digitalisation de la banque naît une foule de technologies permettant d’améliorer l’expérience client, de réduire les coûts ou de renforcer la sécurité. Voici les 5 tendances actuelles et futures de la banque digitale.

LA BLOCKCHAIN Si elle a commencé à se faire connaître grâce aux cryptomonnaies, la technologie de la blockchain connaît aujourd’hui de nombreuses utilisations, dans plusieurs secteurs d’activité. Permettant d’accroître la transparence et la sécurité des échanges digitaux, la technologie de la blockchain devrait sans aucun doute continuer à se développer sur les marchés des banques et des fintech dans les années à venir.

SERVICES BANCAIRES PAR MOBILE De plus en plus de clients privilégient aujourd’hui leur smartphone, accessible et facile d’utilisation, pour effectuer leurs opérations bancaires. Face à cette demande croissante, de nombreuses banques et fintech aspirent à créer leur propre plateforme bancaire mobile et à proposer davantage de services. Ces plateformes mobiles devraient constituer l’un des axes d’évolution du secteur dans les années à venir.

LE CHATBOT L’intelligence artificielle est de plus en plus utilisée par les banques, notamment au travers des services de chatbots. Cette technologie permet, grâce à des algorithmes, de répondre automatiquement aux questions des clients, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Et si l’IA ne peut pas répondre à la question, une personne physique prend le relais pour venir en aide au client. Cette technologie permettant d’automatiser les tâches simples et répétitives devrait être de plus en plus utilisée par les banques dans les années à venir.

LA BANQUE À COMMANDE VOCALE Lancé en 2014 par ING, le système de voice banking intéresse de plus en plus les banques et les fintech. Grâce à la reconnaissance vocale, il est possible de gérer de nombreuses activités bancaires, comme les transactions ou l’interaction avec le chatbot. Ce système, idéal pour les personnes âgées et les moins férus de technologie, devrait se développer dans les prochaines années.

L’IDENTIFICATION BIOMÉTRIQUE Pour garantir un niveau élevé de sécurité lors de l’authentification, de nombreuses banques ont recours à la technologie biométrique (reconnaissance faciale, vocale, d’empreinte, etc.). Ce système d’identification rend impossible l’exploitation des informations volées provenant d’une violation malveillante des données. En outre, cela permet au client de ne plus avoir à mémoriser une multitude de codes et de mots de passe pour accéder à son compte.

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