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CAPITAL
Le private equity s’invite à table
Longtemps destinée une clientèle institutionnelle, l’industrie du capitalinvestissement s’ouvre de plus en plus aux particuliers. Une démocratisation pour des investisseurs avec un horizon de placement à long terme, comme le confirme Johnny El Hachem, CEO de Edmond de Rothschild Private Equity.
Depuis une dizaine d’années maintenant, l’industrie du private equity se taille une place de plus en plus importante sur les marchés financiers. Et notamment au Luxembourg, qui s’est érigé, ces dernières années, en véritable place forte pour cette classe d’actifs en constante progression. Les raisons de cet engouement sont nombreuses. Et pour s’en rendre compte, il suffit de regarder les chiffres. « Cette classe d’actifs a démontré des rendements supérieurs aux autres sur le marché ces 10 dernières années », rappelle Johnny El Hachem, CEO de Edmond de Rothschild Private Equity.
L’illiquidité, plus un problème Dans le contexte actuel de taux bas, de nombreux investisseurs ont décidé de s’intéresser de plus près à cette classe d’actifs performante. Pour espérer des rendements intéressants sur ce marché, il faut toutefois faire preuve de patience puisque l’investisseur doit immobiliser son épargne sur une période relativement longue (entre 5 et 7 ans au minimum). « Dans un environnement de taux faibles, l’illiquidité inhérente à cette classe d’actifs n’est plus un problème. Les investisseurs, en recherche de rendement, acceptent de bloquer leur argent sur un horizon de temps plus long », explique Johnny El Hachem.
Pour le CEO de Edmond de Rothschild Private Equity, si le capital-investissement rencontre aujourd’hui un tel succès auprès des investisseurs, c’est notamment en raison de la prise de conscience collective de l’importance de donner du sens à son investissement. « Les investisseurs, les ménages, les épargnants... Tout le monde a pris conscience que le seul moyen d’avoir un impact réel sur le monde aujourd’hui est de donner du sens à son placement. Et c’est ce que le capitalinvestissement permet justement de faire au travers de stratégies qui associent la performance financière à l’utilité sociale et à la responsabilité environnementale, assure Johnny El Hachem. L’étroite proximité des équipes d’investissement avec les entreprises dans lesquelles elles investissent ainsi que leur implication dans la gestion et dans les décisions stratégiques permettent de créer une valeur durable. Le côté très humain et très tangible de ce produit d’investissement est de plus en plus apprécié. »
Une classe d’actifs résiliente Cette classe d’actifs alternatifs possède la particularité d’être décorrélée des marchés financiers cotés. Ce qui lui confère l’avantage d’être, théoriquement, moins impactée par des facteurs extérieurs, comme des catastrophes naturelles, des conflits géopolitiques ou… des pandémies. Toutefois, l’industrie du private equity n’a pas échappé à la crise sanitaire et a connu une période de ralentissement
JOHNNY EL HACHEM CEO, Edmond de Rothschild Private Equity
« Dans le domaine du private equity, l’amateurisme n’a pas sa place. »
en 2020, après une dizaine d’années de croissance. « Si l’on regarde les trois indicateurs que sont la levée de fonds, les investissements et les sorties, force est de constater que les mois de mars et avril 2020 ont connu une importante baisse d’activité, avoue le CEO de Edmond de Rothschild Private Equity. Toutefois, dès les troisième et quatrième trimestres, les activités ont repris. Les chiffres dans leur globalité, sur l’année 2020, montrent que si le nombre de transactions en investissement a été plus faible (-24 % selon le cabinetconseil américain Bain & Co, ndlr), le volume d’investissement, lui, a été plus important (+8 % par rapport à l’année précédente, ndlr). Par contre, on a vu une chute importante du nombre de nouveaux fonds (first-timer) qui ont été levés et de leur montant. »
Sur les deux derniers trimestres de l’année, l’industrie du capital-investissement présente tout de même des chiffres supérieurs à l’année précédente. « Ce qui témoigne donc d’une certaine résilience du private equity dans ce contexte très incertain. » Ce sont surtout les secteurs du commerce de détail, de la consommation, des médias et du divertissement qui ont été les plus durement touchés, alors que ceux de la technologie ou des télécoms n’ont pas connu de baisse.
Un ticket d’entrée relativement élevé Pour espérer obtenir des rendements intéressants, en plus d’immobiliser leur capital durant une longue période, les investisseurs doivent disposer d’une surface financière assez importante. Afin de pouvoir s’offrir une petite part de private equity dans son portefeuille d’investissement, il faut en effet pouvoir investir au minimum 125.000 euros. De nombreux épargnants préfèrent donc ne pas s’aventurer sur ce terrain compte tenu des montants devant être immobilisés, au contraire de la clientèle institutionnelle disposant de davantage de
Edmond de Rothschild Private Equity Photo
fonds et d’une appétence au risque plus élevée. « Investir dans le private equity, ce n’est en effet pas destiné à tout le monde, rappelle Johnny El Hachem. L’investisseur qui n’a pas compris qu’il faut du temps pour créer de la valeur n’est pas fait pour le private equity. D’un autre côté, je suis convaincu que n’importe quel investisseur, quels que soient sa taille, sa nature ou ses objectifs, devrait aujourd’hui allouer une partie de son investissement à cette classe d’actifs. Ce pourcentage dans l’allocation doit être défini, évidemment, en fonction du profil de risque de l’investisseur. Par ailleurs, il faut se garder d’être opportuniste, mais veiller au contraire à réinvestir dans les ‘fonds successeurs’ en maintenant l’enveloppe allouée à cette classe d’actifs. Cela crée un effet boule de neige car les investissements d’hier financent les investissements de demain », poursuit-il.
Le private equity doit être considéré comme une piste de diversification dans le portefeuille d’investissement, aux côtés d’autres produits comme les actions, les obligations, l’immobilier ou encore les métaux précieux. « La diversification est en effet extrêmement importante pour réduire les risques. L’ouverture du private equity à un plus grand nombre d’investisseurs doit être accompagnée d’une capacité de diversification suffisante. En permettant notamment de se diriger vers des fonds de fonds ou des fonds par nature très diversifiés. »
Pour espérer profiter des rendements offerts par le private equity, certains investisseurs décident de se regrouper. Longtemps réservé à une poignée d’investisseurs institutionnels, l’investissement en club deal se démocratise et s’ouvre aux épargnants particuliers. S’ils permettent à des investisseurs plus petits de pouvoir acquérir des actifs qui leur seraient individuellement inaccessibles, les club deals ont parfois mauvaise réputation auprès des gérants. « Pour des investissements de ce type, il faut s’assurer d’avoir un accompagnement par des professionnels du monde de la gestion de fonds », rappelle Johnny El Hachem. LES 4 CHIFFRES À RETENIR
24
En matière de volume, le nombre d’investissements des fonds de private equity a chuté de 24 % l’année dernière, passant d’environ 4.100 à 3.100 financements.
592
En matière de valeur, les sociétés de private equity ont effectué 592 milliards de dollars d’investissements en 2020. C’est 8 % de plus qu’en 2019, et 7 % de plus par rapport à la moyenne des cinq années précédentes (555 milliards).
410
Sur les 592 milliards de dollars investis en 2020, 410 l’ont été au deuxième semestre. Le dernier trimestre a d’ailleurs atteint un niveau record d’après-crise financière.
776
Le prix moyen des opérations a sensiblement augmenté en 2020, passant à 776 millions. C’est 148 millions de plus qu’en 2019 (+24 %).
Un marché en ouverture Depuis quelque temps, on constate que cette industrie plutôt fermée tend à s’ouvrir à une plus large clientèle. « De nombreux acteurs œuvrent aujourd’hui pour rendre ce produit plus accessible, que ce soit d’un point de vue réglementaire ou au niveau des gérants de fortune et des banques privées, qui affichent aujourd’hui leur volonté d’offrir à leur clientèle un accès plus facile à cette classe d’actifs », explique le CEO de Edmond de Rothschild Private Equity, qui rappelle toutefois que le marché possède des caractéristiques propres et qu’il n’est pas accessible au premier venu. « Dans ce domaine, la discipline est de rigueur. Pour cette classe d’actifs, il est en effet capital de confier ses avoirs à de véritables professionnels qui ont une bonne méthodologie, une bonne discipline de la gestion des fonds d’investissement et de bonnes pratiques du marché. Aujourd’hui, les investisseurs font de plus en plus confiance aux gérants bien établis. Et ce sont ces derniers qui doivent rendre l’accès plus facile à cette classe d’actifs en diminuant la taille des tickets d’entrée. Cela commence à se faire savoir sur la Place luxembourgeoise. La discipline et le savoirfaire spécifique des hommes et des femmes qui possèdent une réelle expertise dans le domaine du capital investissement restent la clé pour une création de valeur à long terme », rappelle Johnny El Hachem. En fonction du fonds ou de l’équipe choisi(e), le profit peut en effet varier du simple au triple, comme le soulignait encore récemment Rajaa Mekouar, l’ancienne CEO de la Luxembourg Private Equity and Venture Capital Association (LPEA), dirigée aujourd’hui par Stéphane Pesch. « D’où l’importance de faire confiance aux gestionnaires expérimentés, qui dédient leur carrière à cette industrie et surtout qui alignent leurs intérêts avec ceux de l’investisseur. »
Cet alignement des intérêts entre le gestionnaire de fonds, l’investisseur et la société doit dépasser les aspects strictement financiers. « Il faut considérer ce que cet investissement génère en matière d’impact environnemental, social et de gouvernance. Il ne faut jamais opposer durabilité et rentabilité. Dans ce métier, ce qui n’est pas durable n’est pas rentable et ce qui n’est pas rentable n’est pas durable », assure le CEO de Edmond de Rothschild Private Equity.
Les défis de l’industrie du private equity S’il rencontre un succès grandissant, le private equity reste confronté à certains défis aujourd’hui. Ils résultent justement de cet intérêt croissant pour cette classe d’actifs. En effet, de plus en plus de gérants peu disciplinés viennent s’aventurer sur ce segment. « Et ce manque de compétences peut coûter cher au gérant et à l’investisseur. Il est donc important, je le rappelle, de se tourner vers des professionnels qualifiés, explique Johnny El Hachem. Ensuite, cet engouement pour le private equity génère davantage de dry powder (« poudre sèche » faisant référence aux capitaux en réserve, ndlr), soit le montant dont disposent les gestionnaires et qui n’a pas encore été investi, faisant monter ainsi le prix des actifs. Et je pense que cette situation va durer », explique le CEO.
Pour réaliser de bonnes affaires dans ce climat, les gérants devront donc sortir des sentiers battus. « Pour ce faire, les gestionnaires avertis devront se concentrer sur des transactions sujettes à moins de compétition. Non pas parce que cellesci sont de mauvaise qualité, mais parce que les concurrents ne disposent pas du savoirfaire requis pour la bonne exécution. Ceux qui vont pouvoir en tirer profit sont ceux qui sont dotés de moyens et de capital humain au sein de leur société de gestion. Par exemple, les stratégies de dépollution des sols permettent d’avoir accès à des actifs immobiliers intéressants, mais seuls les gérants bien établis, qui disposent de compétences solides, pourront se positionner sur ce type de stratégies. Chez Edmond de Rothschild, c’est notre philosophie, nous allons où les autres ne vont pas. »