8 minute read
INTERVIEW
Fort de plus de 25 ans d’expérience internationale, Kris De Souter a œuvré au sein d’un family office au MoyenOrient et acquis de solides compétences en private banking au Luxembourg et en Belgique.
09_credit Photos
Banquier privé et family officer, différents mais complémentaires
Offrant des services distincts mais complémentaires à ceux de la banque privée, les family offices se développent au Luxembourg avec pour ambition de répondre au mieux aux besoins rencontrés par les individus et les familles les plus fortunés. Kris De Souter, head of private banking de Degroof Petercam Luxembourg, anciennement en charge du family office du groupe de fin 2018 à mai 2020, nous livre son regard sur ces deux métiers.
Reconnue de longue date pour ses activités de private banking, la Place luxembourgeoise attire également de plus en plus de family offices. En quoi ces deux acteurs financiers se distinguentils ? Family office et banque privée se distinguent par les services qu’ils offrent à leurs clients. Chacun joue un rôle différent, mais ceux-ci se complètent. D’une part, le banquier privé a pour mission principale d’accompagner des personnes ou familles détenant un certain patrimoine dans leur gestion financière et bancaire.
Dans ce cadre, le banquier privé se charge d’ouvrir des comptes, de gérer et structurer des actifs, d’investir pour faire fructifier le capital que le client lui a confié. Il peut également l’accompagner dans la structuration et la transmission de son patrimoine. Pour réaliser ces missions, il s’appuie sur une structure solide et réglementée – la banque privée –, des outils et des ressources importants qui offrent au client un suivi minutieux en toutes circonstances.
D’autre part, le family officer se présente comme un conseiller indépendant. De manière littérale, il s’occupe de « gérer les affaires familiales ». Variant d’une structure à l’autre, les services offerts par le family officer peuvent donc être très larges. Certains s’apparentent à un secrétaire privé de la famille, qui la soutient dans ses tâches administratives et quotidiennes – tâches qui revêtent très souvent un caractère et des intérêts internationaux. À cet égard, le family officer peut par exemple l’aider dans ses déclarations d’impôts et les reportings à réaliser, mais également prendre en charge des services de conciergerie ou encore organiser ses déplacements à l’étranger. D’autres family officers sont davantage spécialisés dans la structuration patrimoniale ou la planification successorale, tandis que la plupart veillent à protéger et développer la fortune – tant les actifs liquides que financiers – de la famille.
Apportant un support personnalisé, en fonction des besoins et du niveau de fortune de son client, le family officer peut donc être considéré comme un sparring partner
TOP 3 DES SERVICES LES PLUS DEMANDÉS AUX FAMILY OFFICES
La supervision de la gestion financière Les familles aisées veulent s’assurer de la pertinence et de la performance de leur stratégie d’investissement et de l’allocation de leurs actifs. Elles chargent les family offices de vérifier que les partenaires sur lesquels elles s’appuient pour gérer leur patrimoine sont les bons.
Le private equity Dans un contexte de taux d’intérêt négatifs, le private equity intéresse de plus en plus les clients fortunés. Ils veulent savoir comment mettre en place cette forme d’investissement et en faire le reporting.
Les questions de générations Les family offices gèrent l’intégration des attentes de la nouvelle génération, notamment en matière d’investissements plus responsables, ainsi que les questions de gouvernance familiale ou encore de transmission patrimoniale. (challenger, ndlr) qui a pour vocation d’assister et de conseiller au mieux ses clients, en simplifiant la gestion administrative de leur patrimoine, en supervisant leur allocation d’actifs et leur stratégie d’investissement et en coordonnant les différents prestataires de services auxquels ils font appel.
Family officers et banquiers privés se considèrentils dès lors comme des concurrents ? Le family officer n’a pas pour vocation de remplacer le banquier privé. Mais il y a une convergence possible et souhaitée entre ces deux acteurs. Chacun peut apprendre et s’inspirer de l’autre.
Toutefois, un banquier privé va toujours trouver un family officer contraignant car il va le challenger, surveiller ses activités, suivre ses performances, parfois remettre en cause son travail. Le family officer possède une vue d’ensemble sur la situation patrimoniale et la fortune de son client, sur les différents prestataires avec lesquels il collabore. Il se positionne de manière objective et indépendante. Son rôle est de veiller à ce que chacun fasse son travail dans son intérêt, mais également de vérifier si ces différentes interventions, mises côte à côte, font sens. Il peut donc, par exemple, conseiller à la famille de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et lui proposer de confier ses actifs financiers à trois gestionnaires.
Si, bien sûr, le banquier privé réalise aussi son travail en respectant les objectifs et contraintes de son client, il veillera également, et assez logiquement, à préserver ou faire croître ses parts de marché ! Aujourd’hui, un banquier privé doit accepter le fait qu’il évolue dans un monde concurrentiel et que, lorsque l’on gère une fortune, il est normal d’être questionné, challengé.
Banque privée et family office se différencient également en matière de réglementation… En effet. Contrairement à la banque privée, qui est régulée – et même hyper régulée aujourd’hui –, le family office ne l’est pas nécessairement. Ainsi, il peut évoluer et pro-
« Le family officer peut être assimilé à un sparring partner qui cherche à accompagner et conseiller le mieux possible ses clients fortunés. »
poser un grand nombre de services, sous plusieurs statuts : société de gestion, planificateur financier ou encore courtier en assurance, par exemple.
Le family office peut être géré par plusieurs profils de personnes : d’anciens gestionnaires de fortune, avocats, banquiers, experts-comptables, etc. Actuellement, à l’échelle européenne ou mondiale, il n’existe pas de cadre officiel pour définir le family office, ce qu’il peut ou ne peut pas faire.
Le Luxembourg a toutefois fait le choix de donner aux family offices un statut légal, en les soumettant à la supervision de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). La loi du 21 décembre 2012 relative aux family offices définit ainsi leur activité comme la prestation « à titre professionnel, de conseils ou de services de nature patrimoniale à des personnes physiques, à des familles ou à des entités patrimoniales appartenant à des personnes physiques ou à des familles ».
Dans ce contexte, la prestation de services de family office est également réservée à certains professionnels réglementés : les établissements de crédit, les conseillers en investissement, les gestionnaires de fortune, les professionnels du secteur financier (PSF) spécialisés comme family office, ainsi que les notaires et les avocats à la Cour.
À noter que les structures appelées singlefamily offices, qui ne s’occupent que des intérêts d’une seule famille – généralement extrêmement fortunée –, ne sont pas visées par cette loi. Cette dernière ne concerne que les multiple family offices qui, comme leur nom l’indique, accompagnent plusieurs clients dans la gestion de leur fortune. Il s’agit de la forme la plus courante de family offices présente aujourd’hui au Luxembourg.
Quels sont les atouts d’une telle régulation des family offices pour la clientèle ? Le Luxembourg a agi comme précurseur à ce niveau. Si Dubaï et les États-Unis placent les family offices sous le contrôle des autorités de régulation, le Grand-Duché, lui, encadre la profession tout entière.
Ce cadre de référence agit comme un vecteur de confiance et un label de qualité aux yeux des clients. Il contribue également à renforcer le professionnalisme des family offices qui opèrent au Luxembourg, à faire un certain élagage. Car il ne faut pas oublier que cette profession requiert des compétences fiscales et juridiques non négligeables. Par ailleurs, cette législation et cette institutionnalisation de la profession renforcent l’image du pays en tant que place financière attractive et sûre. UN RÔLE DE PLUS EN PLUS IMPORTANT
Le family officer agit comme un interlocuteur unique à même d’accompagner les familles fortunées. Au cours de ces 10 dernières années, ces structures se sont de plus en plus développées au Luxembourg pour répondre aux attentes et problématiques d’une clientèle internationale aisée qui apprécie tout particulièrement la stabilité du pays et ses compétences en matière de fiscalité transnationale. Les clients aisés sontils aujourd’hui de plus en plus demandeurs d’un accompagnement par un family office ? À quel moment cela devientil pertinent pour eux de faire appel à une telle structure ? On constate un intérêt accru pour le type de service proposé par les family offices. Outre la gestion de leurs actifs, les clients fortunés rencontrent en effet d’autres besoins. Pour eux, il est notamment important de pouvoir être conseillés sur d’autres classes d’actifs (des biens immobiliers, des œuvres d’art, par exemple), ainsi que sur des questions de gouvernance, de monitoring des participations familiales, de gestion du risque, de structuration patrimoniale ou encore de transmission.
Et le family office peut répondre à ces problématiques variées, que ce soit grâce à des compétences internes ou externes. On constate d’ailleurs une importante professionnalisation des profils au sein des family offices.
Cet accompagnement sur mesure, adapté à l’histoire de la famille et à ses contraintes, a bien sûr un coût. Le ticket d’entrée pour bénéficier de tels services est donc généralement élevé. Être accompagné par un family office ne fait d’ailleurs sens que lorsque l’on dispose d’un patrimoine certain. Généralement, ces services s’adressent ainsi aux ultra high net worth individuals (UHNWI). Dans ce cas, les conseils et l’accompagnement d’un family office, s’il fait bien son travail, présentent une réelle valeur ajoutée.
Certaines banques privées font le choix d’adjoindre à leurs activités un family office. C’est notamment le cas de Degroof Petercam. Quels enjeux cela soulèvetil ? Il existe en effet des family offices indépendants, alors que d’autres sont adossés à une banque. Ces derniers peuvent être accusés de manquer d’objectivité, car ils sont dépendants d’un groupe bancaire. C’est pourquoi, au sein de Degroof Petercam, nous avons fait le choix de scinder ces deux activités.
Notre banque privée est spécialisée dans la gestion des actifs et les assurances depuis des décennies, tandis que notre family office, présent depuis 2018 au Luxembourg, n’intervient en aucun cas dans la gestion financière du patrimoine de nos clients. Nous laissons cette démarche à la banque privée, dont c’est le cœur de métier, faute de quoi nous manquerions effectivement d’indépendance.
Il est toutefois important de souligner que les family offices adossés aux banques présentent l’avantage de pouvoir s’appuyer sur une structure de taille importante. Le family officer lié à un groupe bancaire peut donc ainsi disposer d’outils IT, de systèmes, de ressources, de bases de données beaucoup plus importants qu’un family officer isolé.
Une famille prend potentiellement aussi un risque en travaillant avec un family officer isolé, notamment s’il lui arrive quelque chose, alors qu’une banque assurera une continuité dans la prestation de ses services. Tenant compte de ces éléments, il revient à chaque famille de décider si elle préfère ou non établir une distinction nette entre la structure qui la conseille sur sa fortune et celle qui gère concrètement son patrimoine pour éviter tout conflit d’intérêts.