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Sous un feu nourri de réglementations

La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ainsi que les exigences en matière de protection et d’information des investisseurs figurent en première ligne de l’agenda 2021 de la banque privée en matière de conformité réglementaire.

AML, Mifid II, SFDR, Dac 6… Les dossiers s’empilent sur les bureaux des départements Compliance des banques privées à un rythme soutenu. Dans ce fatras de documents, parfois complémentaires, parfois divergents, les professionnels du secteur identifient deux grands thèmes principaux pour cette année 2021 : d’une part, la lutte renforcée contre le blanchiment et le financement du terrorisme ; d’autre part, la protection accrue des investisseurs dans un monde de la finance de plus en plus durable.

Au rang des sujets importants figure le volet AML / CFT, pour antimoney laundering and combating the financing of terrorism. « Le dossier n’est pas nouveau. Les régulateurs européens, y compris la CSSF, en ont fait une priorité, analyse Bertrand Parfait, partner au sein du département Risk Advisory de Deloitte Luxembourg. Selon la dernière évaluation nationale des risques (National Risk Assessment of Money Laundering and Terrorist Financing), l’activité de banque privée est particulièrement exposée aux risques de blanchiment d’argent. Le régulateur reste très attentif à la qualité des dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en place au sein des établissements. Il ne faut pas sous estimer l’aspect réputationnel fort de cette thématique sur le pays. En cas de problèmes de blanchiment ou de dispositifs de lutte défaillants avérés, c’est toute l’image de la place financière qui peut être atteinte. »

Un règlement qui s’impose à tous La cinquième version de cette directive (AMLD 5) a été transposée en droit luxembourgeois au mois de mars 2020, et une sixième version est déjà en cours de transposition. « On pressent que, très rapidement, l’Union européenne va sortir une proposition de règlement AML, confie Catherine Bourin, membre du comité de direction de l’ABBL. Jusqu’ici, les textes européens laissaient énormément de latitude aux États membres lors de l’étape de transposition. Ce ne sera plus le cas à l’avenir. » « Un tel règlement, dont le texte est attendu dans les prochaines semaines, pourrait, après discussion devant le Parlement et le Conseil européens, être adopté dans un délai d’un an et directement applicable, sans nuances d’un pays à l’autre. Le Luxembourg a toujours été un bon élève dans la transposition de telles directives, ne touchant que très peu au texte initial. La même rigueur n’était pas toujours de mise dans d’autres pays voisins. Or, au Luxembourg, l’application très stricte des directives était parfois vue comme un désavantage concurrentiel par les banques de la Place. Un tel règlement va apporter une plus grande uniformité dans les pratiques, et on peut s’en réjouir », précise-t-on à l’ABBL.

CATHERINE BOURIN Membre du comité de direction, ABBL

« Jusqu’ici, les textes européens laissaient énormément de latitude aux États membres lors de l’étape de transposition. Ce ne sera plus le cas à l’avenir. »

Cette volonté d’imposer des règles communes à tous les établissements européens est clairement dans l’air du temps. « La création d’une autorité de surveillance européenne est d’ailleurs à l’agenda. Tous les détails ne sont pas connus. Les premières informations devraient encore être dévoilées au premier trimestre 2021, explique Tim Geyens, responsable Advisory au sein du département Compliance chez Pictet & Cie (Europe) SA. On va aussi vers davantage de coordination entre les cellules de renseignements financiers nationaux. À terme, le législateur européen veut interconnecter les registres des comptes bancaires nationaux. »

Un appétit aux risques à définir Aujourd’hui, pour être en règle avec la directive AML, les banques privées ont plus que jamais l’obligation de connaître leurs clients, ce qui inclut leur identification précise, mais aussi celle de leurs éventuels mandataires et des bénéficiaires économiques, à savoir la personne physique qui se cache derrière une structure. « En outre, le règlement CSSF 2005 du mois d’août 2020 vient mettre à jour le règlement 1202. Il stipule notamment que le professionnel doit définir son appétit aux risques AML, position qui doit être approuvée par le conseil d’administration et transposée par la direction autorisée. Ensuite, la stratégie, les politiques, les procédures et les contrôles mis en place doivent être en cohérence avec l’appétit pour ce risque préalablement défini », partage Catherine Bourin.

Sur le volet répressif, la transposition de la sixième directive AML amène également des nouveautés en venant modifier le code pénal. « Jusqu’ici, l’infraction de blanchiment doit être liée à certains crimes et délits bien spécifiques énumérés dans le texte de loi. À l’avenir, par contre, cette liste n’existera plus. En conséquence, tout crime, tout délit pourrait être constitutif d’une infraction AML », détaille Julien Leroy, en charge des questions Legal  & Compliance au sein de l’ABBL. Ce qui élargit grandement le champ des possibles.

ABBL Photo

Une étude récente de l’association a montré que l’AML était le sujet qui occupait le plus de personnel dans les métiers de la compliance au Luxembourg… « Le gouvernement grand ducal comme la CSSF font preuve d’une tolérance zéro dans ces matières qui peuvent avoir des répercussions très graves sur la réputation du secteur, précise Jean-Philippe Peters, partner et risk advisory leader au sein de Deloitte Luxembourg. Le régulateur attend donc des banques privées qu’elles s’autoévaluent, qu’elles identifient en permanence les risques potentiels, en veillant à faire remonter la responsabilité du suivi des risques AML jusqu’au sommet de chaque entité. »

Un investisseur averti en vaut deux L’autre grand thème de cette année concerne le vaste sujet de l’information et de la protection des investisseurs, avec deux composantes distinctes : la directive Mifid II et le règlement SFDR. « À ce propos, il est bon de noter que le Parlement européen a voté, le 15 février dernier, un quick fix de Mifid. Dans le contexte de la crise que nous traversons, le législateur s’est rendu compte que certaines règles trop strictes empêchaient le bon fonctionnement du marché, relate Tim Geyens. On assiste donc à un certain relâchement en matière d’obligations qui incombent aux professionnels. Certaines barrières sont tombées afin de simplifier le financement de l’économie européenne. » Il n’en reste pas moins que l’information des investisseurs a fortement occupé les banques depuis 2018, le défi étant d’apporter la bonne communication au client, dans le respect des obligations. « Le constat presque immédiat a été que la simple information telle que prévue par la directive n’était pas suffisante. Les banques ont consacré beaucoup d’efforts afin de contextualiser cette information, de la rendre plus digeste, tout en s’assurant que le client la comprenne,

QUE REPRÉSENTE LE NOUVEAU PAYSAGE RÉGLEMENTAIRE ?

Le panel interrogé est composé à 56 % de ManCo et à 44 % de banques.

Opportunité d’affaires (%) 48 28

Charge opérationnelle (%) 16 64

Rétablir la confiance du public (%) 16 20 44

Pas nécessaire (%) 4 12 28 36 16 8

12 4 4

8 8 4

16 4

Tout à fait d’accord Neutre Pas du tout d’accord D’accord Pas d’accord Ne se prononce pas

GRANDES ÉCHÉANCES 2021

30 JANVIER Première échéance déclarative sous Dac 6

10 MARS Entrée en vigueur du règlement relatif aux obligations de transparence en matière de produits d’investissement durables (SFDR)

AVRIL Proposition de règlement européen AML

30 JUIN Prochaine échéance déclarative sous CRS et Fatca

OCTOBRENOVEMBRE Publication d’une proposition de revue Mifid II / Mifir

explique Gilles Walers, en charge des aspects liés à la réglementation des marchés financiers à l’ABBL. Le grand défi a été de trouver le bon équilibre entre les obligations légales des banques et les attentes du client. Cette période d’ajustement arrive à son terme. On a désormais trouvé le juste équilibre entre l’information, sa mise à disposition et les besoins réels des clients. »

Vu le changement d’approche des investisseurs en faveur d’investissements durables, domaine dans lequel l’information est d’une importance de premier ordre, la banque privée est devenue l’intermédiaire central de ce partage de données. Elle peut dégager une réelle valeur ajoutée dans la production et la diffusion des bonnes données, de manière efficace et flexible. « J’ai l’habitude de dire qu’il faut un processus standard tailor-made pour répondre aux exigences du régulateur et rencontrer les attentes des investisseurs. Il s’agit d’un grand challenge pour la banque privée, qui s’adresse à une clientèle particulière, avec un certain degré de sophistication. Sans être des investisseurs professionnels, ces clients ont des attentes différentes d’un simple investisseur retail », précise Gilles Walers.

Des règles communes pour la finance durable En lien avec ce vaste sujet de la transparence en matière d’informations relatives aux aspects durables vers les investisseurs, c’est le règlement SFDR qui donne désormais du fil à retordre aux banques privées. « SFDR, pour Sustainable Finance Disclosure Regulation, porte sur la publication de diverses informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers, partage Jean-Philippe Peters. Les banques privées, depuis ce 10 mars 2021, doivent mettre à jour une série d’informations dans leurs documents précontractuels et sur leur site internet en lien avec le caractère durable des produits et leur intégration dans les stratégies d’investissement qu’elles proposent à leurs clients. » L’initiative est peut-être saluée. Jusqu’ici, une grande cacophonie existait dans le monde de l’investissement durable, chacun y allant de sa recette et prenant en compte ses propres critères de sélection. « La philosophie qui se cache derrière la législation européenne est louable. Il est devenu important d’utiliser les moyens financiers disponibles pour financer le développement durable. Tout l’intérêt est de définir des règles du jeu communes à tous les établissements européens afin de permettre à l’investisseur de comparer les produits dits durables, qui s’appuient sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), témoigne Tim Geyens. Un problème vient notamment du fait que nous n’avons pas encore de définition claire et unique d’un investissement ESG, alors que nous devons déjà publier certaines déclarations et adapter nos processus internes. »

Le challenge est de taille pour l’ensemble des banques privées. « Le règlement SFDR est un texte spécial dans le sens où il ne vient pas combler un vide juridique, mais il se rattache à toute une série d’autres textes, notamment à Mifid. La grande difficulté, dans les premiers temps, a été de bien identifier les points de contact. Ensuite, au niveau de SFDR, il a fallu détecter quels étaient les produits concrètement touchés, relate Gilles Walers pour l’ABBL. Sur base de ce premier exercice d’identification, les banques ont dû revoir leurs procédures liées à ces obligations d’information. Cela représente un travail colossal. Ce règlement implique une analyse de chaque produit pour vérifier s’il tombe dans le champ d’application de la nouvelle réglementation et, si c’est le cas, entraîne la production de l’information attendue. »

Afin d’aider ses membres, l’ABBL a édité un guide SFDR qui donne une piste de réflexion, une aide par rapport au classement des produits et aux obligations qui découlent de ce classement des investissements durables. Au-delà des coûts de mise en place de ces nouvelles procédures, SFDR va demander de nombreux efforts au cours de ces prochaines années, entraînant des charges récurrentes, ne fût-ce que pour trouver et agréger les bonnes informations à fournir à l’investisseur final, toujours plus friand de ce type d’investissement.

Toujours plus d’échanges d’informations D’un point de vue réglementation fiscale, la directive Dac 6, qui vise à combattre l’évasion fiscale en améliorant la circulation de l’information entre États membres, est un sujet pleinement d’actualité. Les premières échéances sont tombées fin janvier. « Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, et ce depuis un certain nombre d’années déjà, notamment sur base d’un dialogue régulier avec l’Administration des contributions directes et le ministère des Finances,

relève Laétitia Carroz, spécialiste du volet fiscalité au sein de l’ABBL. Récemment encore, nous avons eu des échanges sur le sujet du Brexit et de ses impacts potentiels, puisque le RoyaumeUni a annoncé revoir le champ d’application du reporting sous Dac 6. »

Dans cette matière, les banques privées sont essentiellement concernées par ce qu’on appelle le marqueur D, qui concerne les dispositifs ayant pour effet de faire obstacle à l’échange automatique de renseignements (common reporting standard ou CRS) ou à l’identification des bénéficiaires effectifs. « Malgré le fait que les banques, en tant qu’intermédiaires financiers et non fiscaux, sont essentiellement visées par ce point, elles ont mené de grands chantiers afin d’opérer des due diligences (vérifications nécessaires, ndlr) sur l’ensemble des autres marqueurs, poursuit Laétitia Carroz. Au final, on se retrouve avec un déséquilibre entre l’étendue de ces travaux et le reporting qui en ressort. » Ces textes vont continuer leur évolution dans les années à venir, puisque l’on parle déjà en coulisses des versions numéro 7 et 8. La directive Dac 7 concerne les plateformes numériques, relate Camille Seillès, secrétaire général de l’ABBL. La date d’échéance de transposition en droit national est fixée au 31 décembre 2022. Dac 8 s’intéresse aux cryptoactifs et à la monnaie électronique. « Ces éléments reflètent l’évolution de la finance et montrent très bien que le cadre européen de l’échange de renseignements doit évoluer en parallèle, analyse Camille Seillès. Aujourd’hui, les fournisseurs de services d’actifs virtuels opèrent largement en dehors du champ de l’échange automatique de renseignements. Dans un sens, Dac 8 va

FRÉQUENCE DE RÉVISION DE L’ÉVALUATION DES RISQUES DE CONFORMITÉ

Le panel interrogé est composé à 56 % de ManCo et à 44 % de banques.

28 %

68 %

Plusieurs fois par an Moins d’une fois par an Une fois par an BERTRAND PARFAIT Partner au sein du département Risk Advisory Deloitte Luxembourg

« En cas de problèmes de blanchiment ou de dispositifs de lutte défaillants avérés, c’est toute l’image de la place financière qui peut être atteinte. »

garantir une concurrence plus équitable entre tous les opérateurs financiers, entre toutes les classes d’actifs. Il est très important que le cadre de la transparence reste à la page des évolutions financières et technologiques. Ce texte est donc très attendu, même si nous n’en sommes qu’au stade des réflexions préliminaires. »

Des lignes de défense à consolider En 2020, la CSSF a beaucoup travaillé sur la gestion de la crise actuelle. Des extensions de délai ont été accordées aux opérateurs financiers au niveau des reportings ou des audits. « Les banques ont pu bénéficier d’une certaine flexibilité au niveau des obligations prudentielles… Au cours de ces derniers mois, le fil rouge a été le maintien des capacités opérationnelles afin de permettre à chacun de se focaliser sur les tâches essentielles et, pour les banques, d’assurer le financement de l’économie, constate Camille Seillès. Nous attendons par ailleurs une circulaire sur le télétravail dans le secteur financier visant à donner un cadre à plus long terme alors que ce mode de fonctionnement est certainement amené à se pérenniser. » Au-delà de la crise, un gros sujet a également été la mise à jour de la circulaire 12 / 552 sur la gouvernance interne et la gestion des risques. Suite aux nombreux échanges avec la CSSF, des FAQ ont été récemment publiées afin de préciser le champ d’application. « Une fois de plus, le régulateur souligne l’importance des mécanismes de défense. En première ligne, le business doit contrôler ses risques. La compliance se situe en deuxième ligne afin de vérifier que tous les contrôles nécessaires sont en place. Cette circulaire permet de remettre à plat l’organisation interne des organisations et de s’assurer que les niveaux de responsabilité sont bien là où ils devraient être », précise Tim Geyens.

Si le flux des réglementations ne tarit pas depuis une dizaine d’années, les objectifs tendent à évoluer. Les textes récents dénotent un focus croissant sur l’information des investisseurs, la typologie des produits d’investissement, leur conformité par rapport à certains objectifs comportementaux, éthiques, de transition énergétique ou climatique. « Au sortir de la crise précédente, on a essentiellement parlé de réglementation prudentielle, qui visait à s’assurer que les banques avaient une politique de risque qui soit satisfaisante, une meilleure capacité d’absorption. 12 ans plus tard, les banques sont plus solides, mieux capitalisées. L’enjeu, à mon sens, ne se situe plus au niveau de la réglementation prudentielle, où il est possible que nous ayons atteint un pic, mais davantage dans l’intégration des critères ESG dans les modèles d’affaires, avec en parallèle une information accrue des investisseurs. Certains parlent de ‘verdir’ la finance. C’est ça, le sujet du moment », glisse Camille Seillès. « Pour compléter ce propos, on assiste à un basculement de la compliance, qui était au départ de l’ordre de la contrainte et qui s’invite aujourd’hui à l’agenda stratégique des banques privées, constate Jean-Philippe Peters. Les différentes directives AML peuvent avoir un impact important sur la réputation d’un établissement, et ces éléments influencent les décisions stratégiques des banques privées. De la même manière, l’investissement durable et les critères ESG impliquent une adaptation de l’offre commerciale, alignée avec cette stratégie. En résumé, le grand challenge des organisations est aujourd’hui de voir comment se prémunir des risques inhérents à l’activité, tout en répondant de la meilleure manière qui soit aux attentes des clients et en veillant à assurer une profitabilité à long terme. »

De la proportionnalité des exigences prudentielles Plus l’établissement est petit, plus le coût de la réglementation est grand. En conséquence, un mouvement de concentration, dans le but de dégager des synergies, a commencé à s’opérer et pourrait s’accentuer dans les années à venir. « Au sein de l’ABBL, nous pensons que, au même titre que d’autres pays européens, certains allègements pourraient être envisagés au niveau de la réglementation prudentielle, plus particulièrement les obligations déclaratives y afférentes, suivant la taille de l’établissement et la complexité de son modèle d’affaires, explique Camille Seillès, le secrétaire général de l’association. L’objectif est de maintenir une certaine diversité au niveau du paysage bancaire européen pour ne pas se retrouver, in fine, avec un nombre très restreint d’acteurs, ce qui pourrait soulever des questions en matière de concurrence par exemple. »

Deloitte Luxembourg Photo

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