Tax, accounting & legal JANVIER 2024
ALAIN STEICHEN
« L’imposition évolue trop rapidement vers les taux les plus élevés » TILLY METZ
« Une taxe sur les ultrariches pour financer la transition écologique » KEITH O’DONNELL
« La fiscalité est le reflet des priorités de nos dirigeants »
RAOUL MULHEIMS
« Permettre aux acteurs régulés de mieux appréhender leurs obligations »
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Édito #Comptabilité
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Le vrai momentum de l’ESG
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Le ton est décapant. Les cartoons, sa spécialité pour parler des sujets qui fâchent. Au TNT Symposium à Luxembourg, Luc de Brabandere a délivré des messages forts derrière leur apparence distrayante. Si le philosophe d’entreprise, ancien directeur général de la Bourse de Bruxelles et ancien associé au sein du Boston Consulting Group, s’est largement appuyé sur sa Petite Philosophie de la transformation digitale – ou comment (re)découvrir l’art du zigzag parue en 2019, il a terminé sur un « bonus » que nous devrions entendre : si on veut que l’entreprise change dans son rapport à la nature, à ses richesses, à son impact sur l’environnement, il faut changer… la comptabilité. Notamment la rubrique Passif de cette comptabilité double pour prendre en compte ses engagements à mieux faire et ce que cela signifie en termes d’impacts financiers à court, moyen et plus long termes. On n’en prend pas encore tout à fait le chemin, ni au Luxembourg dont le projet de loi, déposé fin juillet par la ministre de la Justice, Sam Tanson (déi Greng) pour le compte du Premier ministre, Xavier Bettel (DP), cherchait « simplement » à aligner les règles luxembourgeoises sur la directive européenne de 2013 (!), ni en Europe où Bruxelles a proposé, cet automne, un allègement des règles pour les très petites et petites entreprises, afin qu’elles ne mobilisent ni forces vives ni argent. Pas encore, parce que tout en haut de la pyramide décisionnelle, même si les standards de l’International Sustainability Standards Board et de l’European Financial Reporting Advisory Group ne sont pas si éloignés que cela, ils ne sont pas encore ni alignés ni reconnus comme tels par l’UE. Investisseurs et régulateurs doivent travailler ensemble à ce qu’on puisse mesurer le progrès environnemental. Rédacteur en chef THIERRY LABRO
JANVIER 2024 TAX, ACCOUNTING & LEGAL
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Sommaire Tax, accounting & legal Janvier 2024
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06 BEPS 2
L’impôt minimal des multinationales, du rêve à la réalité 08 KEITH O’DONNELL
Alain Steichen (BSP) préconise de réduire le nombre de tranches d’imposition.
« La fiscalité mise en œuvre est le reflet des priorités de nos dirigeants » 22 AGENDA RÉGLEMENTAIRE
La législation fiscale, un chantier perpétuel 24 TILLY METZ
« Une taxe sur les ultrariches pour financer la transition écologie »
08
Justice, efficacité et simplicité devraient guider les décideurs politiques en matière de fiscalité, dit Keith O’Donnell.
COUP DE PROJECTEUR SUR...
Le métier de fiscaliste 40 Le métier d’avocat 44 Le métier d’expertcomptable 48 Le métier de compliance officer 36
« Permettre aux acteurs régulés de mieux appréhender leurs obligations »
60 ALAIN STEICHEN
« L’imposition évolue trop rapidement vers les taux les plus élevés »
70 FORECAST
Les priorités fiscales du nouveau gouvernement
64 MODERNISATION
Le nouveau projet de loi comptable en 10 points
Photos
Romain Gamba et Nader Ghavami
52 RAOUL MULHEIMS
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Beps 2
L’impôt minimal des multinationales, du rêve à la réalité L’imposition minimale des sociétés au taux de 15 % entre en vigueur au 1er janvier 2024 au sein de l’Union européenne. Elle s’appliquera aux entreprises multinationales qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros par an. Journaliste MICHAËL PEIFFER
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Entrée en vigueur au 1er janvier 2024 Le 15 décembre 2022, les dirigeants des 27 pays de l’UE ont approuvé le projet de taxation des bénéfices des multinationales à hauteur de 15 %. Connue sous l’acronyme de Beps 2 (Base Erosion and Profit Shifting), cette vaste réforme fiscale est portée par l’OCDE depuis 2016. « Au Luxembourg, un projet de loi a été déposé le 4 août dernier, suivi par un projet modifié rendu public le 13 novembre 2023. Il devrait être voté d’ici la fin de l’année pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2024 », détaille le tax director au sein de PwC Luxembourg, Philippe Ghekiere.
Entreprises luxembourgeoises impactées Beps 2 concerne en premier lieu les groupes internationaux dont le quartier général est au Luxembourg et qui affichent un chiffre d’affaires annuel consolidé de plus de 750 millions d’euros. « Le Luxembourg abrite assez peu d’entreprises de ce genre, constate Lilia Samai. Par contre, de nombreuses entreprises luxembourgeoises font partie de groupes internationaux et peuvent se retrouver en position pour collecter un impôt additionnel pour d’autres entreprises du groupe implantées dans des pays où elles paient trop peu d’impôt. »
L’industrie des fonds d’investissement épargnée Malgré son influence relative sur l’échiquier économique mondial, le Luxembourg a concentré ses efforts pour que l’industrie des fonds soit exclue du champ d’application de Beps 2. « Tout le monde connaît l’importance de ce secteur pour l’économie luxembourgeoise, partage Philippe Ghekiere. Cela dit, cette exclusion est assez logique. Les fonds en eux-mêmes sont des véhicules plutôt neutres et ce sont les investisseurs qui sont taxés. La situation est donc très différente de celle des multinationales qui, étant taxées dans leur propre chef, sont directement visées par ces règles. »
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Le principe général Quel que soit le pays dans lequel une multinationale déclare ses revenus, ils doivent in fine être taxés à un taux minimal identique. « Lorsque le groupe paie moins de 15 % d’impôts dans un pays étranger, le pays dans lequel l’entreprise opère, et le cas non échéant celui où se situe son siège social récupère la différence, à la condition qu’il soit signataire de l’accord. Si ce n’est pas le cas, l’impôt sera dû dans un autre pays qui applique cet impôt minimal et dans lequel le groupe est également implanté », explique Lilia Samai, tax partner chez PwC Luxembourg.
Une approche top-down Exemple d’un groupe international implanté aux États-Unis et dont une filiale est présente au Luxembourg. « Les ÉtatsUnis ne vont pas implémenter cette règle de l’impôt minimum. Cela implique qu’une autre entité du groupe puisse être amenée à collecter cet impôt additionnel à la place de sa maison mère. Selon les règles applicables, cette entité peut être située soit dans le pays dans lequel elle opère et est faiblement taxée, soit située dans un autre pays où elle opère en tant que première entité tête de groupe sous les États-Unis », précise Philippe Ghekiere.
Réflexions stratégiques à mener Pour les entreprises luxembourgeoises qui font partie d’un groupe multinational, l’heure est aux préparatifs. « Aujourd’hui, ces groupes évaluent l’impact de Beps 2 sur leur activité, mais ils revoient aussi leurs systèmes IT et comptables pour disposer des bonnes données au bon moment, constate Lilia Samai. Point important, même si la filiale luxembourgeoise fait partie d’un groupe qui paie plus de 15 % d’impôt dans tous les pays où il est implanté, elle aura tout de même des obligations de reporting. » L’heure est aussi aux réflexions. « Demain, être localisé dans un pays où l’impôt est trop faible n’aura plus de sens. »
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Conversation Keith O’Donnell
« La fiscalité mise en œuvre est le reflet des priorités de nos dirigeants » Pour le founding partner et managing partner d’Atoz, Keith O’Donnell, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise fiscalité. Celle-ci est avant tout un outil à la disposition des dirigeants soutenant leurs ambitions sociétales. Toutefois, toucher à l’imposition implique de considérer quelques principes essentiels, à commencer par celui d’équité et de justice fiscale. Journaliste SÉBASTIEN LAMBOTTE
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Portrait NADER GHAVAMI
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Aujourd’hui, la fiscalité est plus complexe et se développe à plusieurs niveaux, explique Keith O’Donnell.
Conversation Keith O’Donnell
Avant de nous attarder sur ce qui fait une bonne ou une mauvaise fiscalité, peut-on évoquer le rôle qu’a ce levier, entre les mains des dirigeants, au cœur de nos sociétés ? La fiscalité est un outil à la disposition des gouvernements, soutenant la concrétisation des orientations politiques prioritaires d’un pays. C’est un levier qui permet de financer les ambitions que nos dirigeants poursuivent dans de nombreux domaines, comme la santé, l’éducation ou encore le développement d’infrastructure, autrement dit les nombreux services que les pays mettent à la disposition de leurs citoyens ou de l’économie. Au-delà de la possibilité de mobiliser les recettes nécessaires à la mise en œuvre de divers projets, la fiscalité permet aussi d’encourager ou de décourager certains comportements, à travers la mise en place d’incitants. L’exemple le plus évident s’exprime au niveau de la taxation des produits de l’industrie du tabac ou de l’alcool, en vue de décourager leur consommation. La fiscalité mise en œuvre reflète donc les priorités d’un État, la vision politique de ses dirigeants, avec des gradations qui vont du communisme à l’ultralibéralisme. Ce sont les deux extrêmes. La plupart des États se positionnent quelque part entre les deux. Depuis l’émergence des sociétés organisées, que l’on évolue dans un état démocratique ou autoritaire, la fiscalité s’est imposée comme un levier pour atteindre les objectifs poursuivis. Si on vous entend bien, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise fiscalité ? Non, je ne pense pas. Après, il y a tout de même quelques principes généraux, que l’on retrouve au niveau de la conception des systèmes fiscaux et qui permettent de les évaluer. Quels sont ces grands principes ? Il en existe une petite dizaine, que j’ai tendance à regrouper en trois grands chapitres. Le premier a trait à la justice et à l’équité fiscale. Le second concerne l’efficacité. Il s’agit de s’assurer que les mesures fiscales adoptées atteignent bien les objectifs qu’elles poursuivent. Un troisième critère ou principe clé, pour évaluer la pertinence de la fiscalité, serait la simplicité. Il s’agit de déterminer si la manière avec laquelle la 10
« La fiscalité permet aussi d’encourager ou de décourager certains comportements. »
fiscalité s’applique est effectivement le moyen le plus simple de répondre à un enjeu. En la matière, particulièrement, on peut dire sans crainte que la tendance générale est à la complexification. La législation fiscale actuellement en vigueur au Luxembourg est plus conséquente et complexe que celle qui prévalait il y a 30 ans, quand j’ai débuté ma carrière dans ce domaine. Cette complexification n’est pas le seul fait du Luxembourg. La fiscalité ne relève plus uniquement des seuls États, mais aussi d’un ensemble d’organismes internationaux, comme l’Union européenne ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en vue de répondre à des enjeux sociétaux globaux, comme la lutte contre le dérèglement climatique, par exemple, avec l’introduction d’une taxe carbone. Comment considérer le premier principe que vous avez évoqué, celui de la justice et de l’équité fiscale ? La fiscalité joue un rôle-clé dans le maintien de la stabilité sociale. À plusieurs reprises dans l’histoire moderne de l’humanité, des mouvements sociaux ou révolutionnaires ont découlé d’un sentiment d’injustice, dû, notamment, à l’application d’une fiscalité inéquitable. Le Tea Party, dont le nom fait référence à la révolte qui a éclaté à Boston en 1773 et qui a conduit à l’indépendance des États-Unis, est à l’origine un mouvement de contestation face aux taxes que le Royaume britannique avait décidé de lever à l’égard de ses colonies. Le thé, qui était alors un des produits les plus taxés, était devenu un élément de discorde entre les parties en présence. Plus récemment, ce sont aussi des mesures fiscales jugées injustes qui ont conduit à la mobilisation des «gilets jaunes» en France. Si, au départ, la volonté était de taxer le carbone en vue de répondre aux enjeux climatiques, la manière avec laquelle cela a été appliqué a été considérée comme injuste par une partie importante de la population, en l’occurrence des habitants des zones rurales qui n’avaient pas d’autre choix que de prendre leur voiture et parcourir chaque
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BIOGRAPHIE Keith O’Donnell est l’un des associés fondateurs et managing patner d’Atoz. Professionnel de la fiscalité depuis 1988, M. O’Donnell conseille des groupes internationaux sur la conception et la mise en œuvre de stratégies fiscales globales. Il est activement impliqué dans plusieurs organismes fiscaux internationaux, dont le Trace Bag de l’OCDE. M. O’Donnell est président de la section luxembourgeoise de l’IFA, président de la commission fiscale de l’Alfi, vice-président du comité fiscal de Digital Europe et membre d’autres organismes consultatifs et industriels luxembourgeois. Il est également membre du conseil d’administration de Taxand. En tant qu’auteur et orateur, il intervient régulièrement dans des conférences professionnelles et académiques.
jour jusqu’à 200 kilomètres pour aller travailler. Le politique doit en permanence être vigilant quant à la manière d’appliquer la fiscalité, en veillant à mettre en place des mécanismes qui garantissent justice et équité. Entre impôts directs et impôts indirects, la politique fiscale peut se traduire de bien des manières.
que les citoyens placent dans leurs dirigeants envers leur capacité à atteindre les ambitions qu’ils se sont fixées et auxquelles les recettes fiscales doivent contribuer. En la matière, il y a aussi des enjeux importants qui se posent. La manière avec laquelle est géré l’impôt dans un environnement de plus en plus complexe apparaît particulièrement opaque à beaucoup.
Comment dépasser de tels débats ? C’est là qu’intervient le critère relatif aux Tous ces critères revêtent objectifs. L’enjeu n’est pas de se concentrer une dimension hautement subjective… uniquement sur l’idée que chacun se fait de La notion de justice et d’équité fiscale, en l’équité fiscale. C’est un critère d’évaluation effet, n’est pas quelque chose d’objectif. de la pertinence des mesures fiscales parmi L’appréciation relative à la manière d’utilid’autres. Il y a lieu aussi de considérer les ser les impôts est aussi subjective. Selon les objectifs poursuivis par les mesures fiscales sensibilités, on pourrait préférer que les mises en œuvre. La question n’est pas tant recettes servent à un objectif plutôt qu’à un de savoir ce que l’on prélève, mais bien de autre. Considérant ces aspects, on coms’assurer que l’impôt est bien utilisé, qu’il prend l’importance d’une démocratie qui sert efficacement la collectivité et à finan- fonctionne bien. Les élections servent à cer un ensemble de biens et de services que définir les orientations qui seront prises et, l’État assure. On évoque ici la confiance pour les concrétiser, les mesures fiscales correspondantes.
ÉVOLUTION DES RECETTES FISCALES (HORS COTISATIONS SOCIALES) Variation (en Mia EUR) 3
2,63
2,5 2
1,82 1,42
1,19
1,5 1
Source
Statec (données en base caisse)
0,5 0 -0,5
-0,87
2018
2019 TVA
2020
Impôts sur les ménages
Taxe d’abonnement
Droits d’accise
-1
2021
2022
-1,5
Impôts sur les sociétés Autres
Recettes fiscales totales
Le nouveau gouvernement, en l’occurrence, va devoir opérer des choix en la matière. À vos yeux, quels sont les points sur lesquels il faut agir pour le Luxembourg ? En premier lieu, je pense qu’il est important d’adapter la fiscalité pour soutenir le développement de l’activité entrepreneuriale. L’un des enjeux, en la matière, est de réduire l’imposition sur les entreprises. Au Luxembourg, le taux nominal est de 24,94%. Ce qui est supérieur au taux moyen européen, qui avoisine les 20%. Il faudrait pouvoir le ramener à un niveau plus acceptable, au niveau de la moyenne européenne ou en dessous. Amener le taux combiné à 17,5% constituerait un message fort, confirmant l’ambition d’un Luxembourg open for business. Ce taux serait en outre parfaitement cohérent avec les réglementations internationales. Toutefois, lorsque l’on allège la charge fiscale d’un côté, il est important de prendre des mesures visant à sécuriser les recettes de l’autre, notamment si l’on évolue dans un contexte budgétaire tendu. L’un des moyens, à mes yeux, serait d’augmenter l’impôt foncier qui, au Luxembourg, se situe à des niveaux ridicules en comparaison à ce qui est pratiqué dans les pays voisins. Pour donner un ordre de granJANVIER 2024 TAX, ACCOUNTING & LEGAL
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Conversation Keith O’Donnell
« La notion de justice et d’équité fiscale, n’est pas quelque chose d’objectif. » deur, les recettes de l’impôt foncier ne représenteraient aujourd’hui que 0,1 % du PIB, contre une moyenne européenne de 1,5% du PIB et une moyenne OCDE de 1,1% du PIB. En l’occurrence, on peut jouer sur cet impôt foncier dans l’optique d’encourager les propriétaires à construire ou à optimiser l’utilisation des terrains constructibles d’une manière ou d’une autre. On sait que c’est un enjeu essentiel pour répondre à la problématique du logement. Un autre enjeu concerne l’attraction des talents. Le Luxembourg ne dispose pas – ou plus – de ressources naturelles valorisables. La création de valeur et la croissance de l’économie dépendent presque exclusivement de la main-d’œuvre. En matière fiscale, il y a des choses à faire pour renforcer l’attraction des talents. L’introduction d’un régime d’intéressement des collaborateurs, assorti d’un avantage fiscal accordé sous certaines conditions, est un bon moyen de le faire. L’avantage d’un tel régime est qu’il constitue aussi un levier de productivité. Les primes versées aux collaborateurs, en effet, sont associées aux résultats de l’entreprise. L’amélioration de la productivité, en l’occurrence, contribue aussi à augmenter les recettes fiscales prélevées au niveau des entreprises. Une réforme fiscale, dans un contexte budgétaire étriqué, constitue cependant toujours un exercice délicat d’équilibriste… Oui. Et l’une des difficultés majeures est qu’il est toujours difficile d’évaluer les coûts ou gains fiscaux d’une mesure ou d’une autre. La courbe de Laffer est un concept bien connu des fiscalistes. Il formalise l’idée que les effets budgétaires favorables d’un taux d’imposition élevé sur la croissance des recettes de l’État disparaîtraient lorsque le taux d’imposition devient «trop élevé», sans que ce seuil puisse être défini. À partir d’un certain moment, une augmen12
3 ENJEUX-CLÉS POUR LE GOUVERNEMENT Soutenir l’économie Pour Keith O’Donnell, l’un des enjeux, en la matière, est de réduire l’imposition sur les entreprises. Au Luxembourg, le taux nominal est de 24,94 %. Ce qui est supérieur au taux moyen européen, qui avoisine les 20 %. Il faudrait pouvoir le ramener à un niveau plus acceptable, au niveau de la moyenne européenne ou en dessous. Augmenter l’impôt foncier L’impôt foncier, au Luxembourg, se situe à des niveaux ridicules en comparaison à ce qui est pratiqué dans les pays voisins. Pour donner un ordre de grandeur, les recettes de l’impôt foncier ne représenteraient aujourd’hui que 0,1 % du PIB, contre une moyenne européenne de 1,5 % du PIB et une moyenne OCDE de 1,1 % du PIB. Attirer les talents L’introduction d’un régime d’intéressement des collaborateurs, assorti d’un avantage fiscal accordé sous certaines conditions, est un bon moyen d’attirer les talents. L’avantage d’un tel régime est qu’il constitue aussi un levier de productivité. Les primes versées aux collaborateurs, en effet, sont associées aux résultats de l’entreprise.
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tation de la pression fiscale conduit effectivement à une baisse des recettes de l’État. Cela se passe lorsque la hausse du taux de l’impôt est plus que compensée par la réduction de l’assiette. On est alors incité à moins consommer, à moins travailler ou à moins investir, notamment dans un contexte transfrontalier. L’inverse est aussi vrai: des réductions d’impôts peuvent augmenter les recettes en dopant l’activité et l’investissement. Les restrictions budgétaires sont évidemment bien présentes. Elles ne constituent cependant qu’une part de l’équation. Un réel courage politique est aussi nécessaire pour évoluer, avancer et relever les défis. La croissance future du pays dépend notamment de notre capacité à attirer des talents et à renforcer notre compétitivité. Si l’on veut attirer des compétences, il faut inévitablement se demander ce qui va les convaincre de quitter le lieu où ils vivent pour venir au Luxembourg. Une partie de la réponse se trouve dans la fiscalité. Ne rien faire en justifiant cette inaction par la nécessité de maintenir l’équilibre budgétaire pourrait, sur le long terme, s’avérer dangereux. Une telle attitude conduit à maintenir une position statique, à ne pas évoluer. Or, au regard de la conjoncture actuelle et des enjeux de compétitivité, le Luxembourg doit prendre des risques et peut se le permettre. Le niveau de la dette reste en effet relativement faible. C’est tout l’enjeu de la réforme attendue… Si l’on considère les atouts compétitifs du Luxembourg, on peut évoquer un système social exceptionnel, des infrastructures développées, un ensemble de services aux citoyens généreux. S’il faut poursuivre les efforts, notamment au niveau de l’amélioration des infrastructures, l’enjeu n’est pas forcément d’augmenter le niveau de dépenses, mais de travailler sur les recettes, en vue, notamment, de pérenniser le modèle. Or, celles-ci proviennent principalement des impôts prélevés au niveau des entreprises et des employés, qu’ils émanent du secteur public ou du secteur privé. Dans la mesure où c’est à l’État de financer les emplois dans le secteur public, ce n’est pas en augmentant leur nombre que l’on peut dégager des moyens supplémentaires. Il faut donc travailler sur le renforcement du secteur privé. Et, par
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Conversation Keith O’Donnell
conséquent, renforcer notre compétitivité et soutenir la croissance. Le maintien du modèle luxembourgeois implique le maintien d’une croissance du PIB située entre 4 et 5 %. Un pays de la taille du Luxembourg peut-il poursuivre de telles ambitions ? Oui. Et pour justifier cette position, je vais me permettre une analogie. Une entreprise qui, représentant 1 % de parts de marché, peut facilement continuer à croître, voire doubler, sans que cela n’affecte son marché. Doubler de taille est plus compliqué pour un acteur qui représente 25 % de parts de marché, à moins que le marché lui-même ne double. Au cœur du marché européen, le Luxembourg, de par sa taille, peut continuer à grandir de 4 ou 5% par an sans que cela n’affecte considérablement l’économie européenne dans son ensemble. C’est ce que fait le pays depuis longtemps. Et les possibilités sont encore nombreuses. Que l’économie française ou allemande évolue dans les mêmes proportions, par contre, impliquerait que l’ensemble de l’économie
européenne croisse aussi de 4 ou 5 %. Ce qui est plus compliqué.
Je comprends que, pour préserver l’équilibre budgétaire, il soit difficile d’alléger la fiscalité à ce niveau. C’est pour cette raison L’enjeu est donc d’aller chercher les que, dans les recommandations que j’étarecettes fiscales à travers la croissance, blis, il est préférable d’alléger l’impôt sur le à condition d’exporter efficacement… revenu des collectivités, de recourir à la fisIl faut à la fois exporter et développer de calité pour répondre aux enjeux relatifs au l’activité localement. Si l’on veut engran- logement et d’envisager des mesures d’inger des recettes fiscales, il est nécessaire téressement. Si ces mesures sont mises en que les acteurs sur le territoire croissent. œuvre et que nos prévisions en la matière Si l’un des enjeux est aussi d’aller chercher ont été plutôt pessimistes, autrement dit des gains de compétitivité, il faut avant que cela nous laisse encore des marges de tout attirer des entreprises et des compé- manœuvre, alors je préconiserais des systences au Luxembourg. Si le système tèmes d’allégement de la fiscalité pour les social est un argument pour y arriver, la travailleurs en début de carrière, sur les problématique du logement est un frein. revenus les plus faibles. Cela contribuerait En outre, la fiscalité des entreprises n’est à attirer des talents et à les aider à s’instalpas optimale, pas plus que la fiscalité des ler de manière pérenne au Luxembourg. personnes physiques. On parle aussi de maintenir un modèle existant. D’autres défis importants, Un allégement de la fiscalité sur exigeant sans doute des moyens les personnes physiques n’est-il supplémentaires, vont devoir être pas envisageable ? Le taux marginal, en la matière, s’établit relevés, à commencer par la transition autour de 45 %. Tant que cela reste en des- écologique. Comment la fiscalité sous de 50%, je dirais que c’est acceptable. peut-elle y contribuer ?
L’ÉVOLUTION DE LA FISCALITÉ INTERNATIONALE 2011
2014-2015
2016-2017
2021
Dac (de 1 à 8)
Régime TVA sur les services numériques
Beps (Atad 1 et 2)
Piliers 1 et 2
CBAM
Dans le cadre du chantier Beps, Atad 1 (adopté par l’UE en 2016) et Atad 2 (2017) visent à lutter contre la planification fiscale agressive des entreprises, à améliorer la transparence fiscale et à instaurer une concurrence fiscale équitable pour l’ensemble des entreprises dans l’Union.
Les 141 pays membres de l’OCDE et du G20 tentent de mettre en œuvre une solution à deux piliers afin de réformer en profondeur le système fiscal international et répondre aux défis fiscaux de l’économie numérique.
En application depuis le 1er octobre, le CBAM, ou mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, vise un ajustement de prix appliqué aux importations dans l’UE de biens désignés sur la base de leurs émissions de CO2 au cours du processus de production en dehors de l’UE.
Depuis 2011, les directives relatives à la coopération administrative dans le domaine fiscal (Dac) adoptées au niveau de l’Union européenne s’évertuent à améliorer l’échange d’informations (parfois automatique) entre les administrations.
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Entre 2014 et 2015, le Luxembourg a dû faire une croix sur les recettes fiscales de la TVA sur les services électroniques. Jus– qu’alors, la taxe sur la valeur ajoutée profitait principalement au pays où l’entreprise était enregistrée. La directive a changé la donne, faisant en sorte que la TVA soit désormais celle du pays du client.
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2023
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Bonne nouvelle, notre gamme de produits responsables s’agrandit.
Conversation Keith O’Donnell
C’est, en effet, un des grands défis qui nous beaucoup d’aspects, est beaucoup plus attendent. Dans un monde idéal, la transi- limitée que par le passé. Cela ne veut toution écologique devrait se financer par l’im- tefois pas dire qu’elle est inexistante. Sur position des émissions de CO2. La taxation beaucoup d’aspects, ces dernières années, du carbone bénéficie d’un support quasi le Luxembourg a eu tendance à faire le unanime parmi les économistes. De telles dos rond vis-à-vis des options imposées mesures ont pour conséquence de dégager au niveau européen. Cependant, en revedes moyens supplémentaires, pour soute- nant au courage politique nécessaire, il est nir la transition, tout en encourageant les temps aujourd’hui de défendre à nouveau consommateurs et entreprises à adopter nos intérêts économiques lorsque cela est des habitudes moins émettrices de gaz à possible, lorsque les marges de manœuvre effet de serre. Sur la taxation du carbone, le permettent. Nous avons parfois voulu cependant, la dimension politique est plus apparaître comme les premiers de la complexe et le Luxembourg n’est pas en classe, en faisant de la sur-réglementation, mesure d’agir seul. C’est au niveau euro- ou gold plating en anglais, et en adoptant péen, et au-delà, que ces questions doivent une démarche trop timide dans la transêtre réglées. Le mécanisme européen position de certains textes. Aujourd’hui, d’ajustement carbone aux frontières je pense qu’il est important que le Luxem(CBAM), qui est entré en vigueur en bourg, lorsqu’il adopte des mesures fisoctobre, est une mesure forte dans le sens cales imposées au niveau de l’Union où elle encourage nos partenaires commer- européenne, opte pour les options posiciaux non européens à taxer le carbone tives pour les entreprises quand cela est comme nous le faisons en Europe. D’autre possible. Et, en cas de doute, qu’il fasse part, il ne faut pas oublier qu’avec cette valoir et défende les choix qu’il a jugés transition, c’est tout un nou- bons de prendre. veau pan de l’économie qui s’ouvre, de nouvelles activi- Vous parliez de l’importance tés qui se développent, de de la simplicité en matière fiscale. nouveaux modèles. La fisca- Au regard de l’évolution de la réglemenlité n’est qu’un levier pour tation au niveau international, ces soutenir cette transition. Elle dernières années, le système fiscal n’est pas la seule solution à n’est-il pas, au contraire, devenu ces enjeux. Mais il est avant bien plus complexe ? tout question de choix de Il est très complexe. Peut-être trop comsociété, d’adaptation de nos plexe. Cependant, il est ce qu’il est et a le modes de production et de mérite de répondre à des enjeux clairement consommation. Que l’on identifiés. Avec Beps, Pilier 1, Pilier 2 – qui achète cinq t-shirts à 10 entre en application en ce mois de janvier euros ou un t-shirt de meil- –, il est aujourd’hui complet pour l’imposileure qualité, qui durera plus tion des sociétés. Selon l’OCDE, l’entrée longtemps, à 50 euros, la en application de ces mesures doit perTVA payée reste la même. mettre de refermer ce vaste chantier. Le Tout au plus, on peut mettre problème, c’est que l’Union européenne, de en place des régimes fiscaux son côté, a tendance à vouloir en rajouter, plus attrayants pour cer- avec un ensemble de nouvelles mesures taines activités, comme la encore en discussion (Atad 3, Befit..). main-d’œuvre qui répare des objets ou perCela peut-il se justifier par un besoin met la réutilisation de matériaux. de trouver de nouvelles sources de financement ? Vis-à-vis de nombreux enjeux fiscaux, Pas forcément. Au bout d’un moment, au le Luxembourg n’est plus en mesure d’agir seul. Dans quelle proportion regard de ce qui est déjà en place, l’apport sa marge de manœuvre en la matière marginal d’une nouvelle mesure est très s’est-elle amenuisée ? faible. Ces volontés de légiférer toujours La marge de manœuvre des États, sur plus correspondent davantage à une
« La marge de manœuvre des États, sur beaucoup d’aspects, est beaucoup plus limitée que par le passé.»
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TAX, ACCOUNTING & LEGAL JANVIER 2024
Conversation Keith O’Donnell
approche dogmatique, en réaction à l’actualité, comme on a pu le voir avec les Pandora Papers, qui pourraient conduire à l’adoption de nouvelles mesures à travers un Atad 3 ou un Dac 9, qui pénaliseraient les sociétés européennes. Je pense plutôt qu’avant d’imposer de nouvelles contraintes, qui complexifient le système, il y a lieu de s’assurer que les mesures actuelles fonctionnent bien. Aujourd’hui, avec Atad 1 et 2, sur l’imposition des collectivités, Dac 1 à 8, au niveau de la transparence fiscale, le système est déjà bien armé pour lutter contre les pratiques d’évasion. Cette complexification du droit fiscal international, en outre, impacte considérablement le Luxembourg. Ces mesures produisent un effet dès qu’une dimension internationale entre en ligne de compte. Pour un grand pays, avec un important marché domestique, cela ne concerne qu’un nombre restreint de sociétés. Au Luxembourg, petit pays à l’économie ouverte, une grande partie des acteurs ont cette dimension internationale. À ce titre, le pays devrait mieux faire valoir ses intérêts au regard de cette complexification de la fiscalité internationale. Finalement, n’est-ce pas cela que cherchent les États partenaires qui voient cette petite économie ouverte prospérer ? Certains avancent, en effet, que si notre économie se porte si bien, c’est qu’il y a une concurrence déloyale. Mais n’oublions pas que cette économie est une infime part de l’économie européenne. D’autres avancent qu’avec moins de 1 % du PIB européen, nous avons attiré une importante masse fiscale au Luxembourg. Cela reste à démontrer. Les mesures Beps mises en place n’ont pas permis d’énormes gains sur l’imposition des sociétés dans d’autres pays. Enfin, il faut remettre les choses dans leur contexte. Toutes ces nouvelles mesures concernent uniquement l’imposition des sociétés. Or, à l’échelle européenne, l’imposition des sociétés ne représente qu’environ 7 % des recettes fiscales. Le fait est que, politiquement, c’est plus facile de prendre des mesures en affirmant que l’on va aller matraquer les sociétés. Ces dernières, rappelons-le, ne votent pas. In fine, ces mesures ne vont 18
« Cette complexification du droit fiscal international, en outre, impacte considérablement le Luxembourg.» pas radicalement faire bouger le curseur. Si l’enjeu est d’aller vers plus de justice fiscale ou d’engranger de nouvelles recettes, la TVA ou l’imposition des personnes physiques constituent des leviers beaucoup plus importants. Mais, en termes de perception, auprès de la population, il est plus facile de cibler les sociétés. Taxer davantage les grosses fortunes, par contre, est-ce que ce serait une mesure juste ? Sur beaucoup de plans, oui. Si l’on parle d’équité, de justice fiscale, il semble logique de demander davantage à celles et ceux qui en possèdent beaucoup. Cependant, en termes d’efficacité, on constate que cela reste difficile à mettre en place et que les retombées de telles mesures ne sont pas au rendez-vous. Cela n’a pas marché en France, ni en Norvège, ni en Suède. Un rapport de l’OCDE sur le sujet fait le constat que les retombées de ces mesures sont faibles. Le problème principal est que les capitaux sont très mobiles. Pour le Luxembourg, typiquement, l’introduction d’un impôt sur la fortune pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Et même si une telle mesure était envisagée à un niveau européen, il n’est pas certain qu’elle produirait les effets voulus. On risquerait une fuite des capitaux et des talents en dehors de l’Europe, vers la Suisse, le Royaume-Uni ou Dubaï, par exemple. C’est difficile d’aller chercher de l’argent chez les riches… et pourtant ce serait juste ? Oui, vous avez raison. Il est intéressant de constater la timidité de l’OCDE sur ces questions. C’est sans doute que leurs membres n’expriment pas la volonté d’aller dans cette voie.
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192 pa Éditio ges n 2024
Vol. 1
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La marque de l’indépendance, la force du réseau Contenu sponsorisé par EY LAW
Présent depuis un an au Luxembourg, EY Law incarne la figure du challenger parmi les cabinets d’avocats au Grand-Duché. Un challenger expérimenté certes, déjà fort de nombreux atouts et d’une approche inédite du Legal 2.0. Rencontre avec Raluca Silaghi, Partner, et Stephen d’Errico, Managing Partner d’EY Law Luxembourg.
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TAX, ACCOUNTING & LEGAL JANVIER 2024
Pouvez-vous nous présenter EY Law, ses services et sa typologie de clients ? STEPHEN D’ERRICO EY Law est un cabinet d’avocats indépendant, full services, ou « de plein exercice » pour reprendre l’expression française consacrée. Nous réalisons des services en droit des affaires, principalement en droit des sociétés, des contrats, droit du travail, ainsi que dans le domaine des fusions /acquisitions, par exemple. En ce qui concerne nos services, nous opérons le distinguo entre Legal Advisory Services et Legal Managed Services. Si les premiers correspondent aux services traditionnels que propose un cabinet d’avocats, les seconds décrivent notre activité de secrétariat juridique robotisée. RALUCA SILAGHI Nos clients sont à la fois des multinationales présentes au Luxembourg ou bien celles qui souhaitent s’y implanter et dont nous accompagnons le déploiement. Nous sommes aussi très fiers de servir une clientèle locale de PME luxembourgeoises, actives dans le pays comme à l’international. Qu’est-ce qui a motivé la création de cette structure ? Quel bilan dressez-vous ? S. E. EY Law est l’émanation d’une petite équipe de juristes d’EY Tax,
Photo
Legal 2.0
Eva Krins (Maison Moderne)
Raluca Silaghi, Partner, et Stephen D’Errico, Managing Partner d’EY Law réalisent une rétrospective de cette année de lancement du cabinet luxembourgeois.
BRAND VOICE
« EY Law est un cabinet d’avocats indépendant, inscrit au barreau de Luxembourg, mais connecté à un réseau qui démultiplie nos capacités. » Stephen d’Errico Managing Partner
dont l’activité juridique était limitée par le strict respect du monopole du droit. Donc, cela ne nous permettait pas une activité de plein exercice. Afin d’étendre notre champ d’activités, nous avons donc créé l’étude d’avocats EY Law, inscrite en Liste V du Barreau de Luxembourg. Les défis étaient nombreux mais très motivants, et je peux dire qu’un an après notre lancement, nous avons « transformé l’essai ». L’appui et l’appartenance à un réseau international, qu’est-ce que ça change ? S. E. Nous sommes en effet membre du réseau EY Global, qui rend notamment des services juridiques dans plus de 90 pays et nous apporte un véritable savoir-faire pour accompagner nos clients. Certains d’entre eux se tournent vers nous car nous disposons d’une expertise locale et parce qu’ils savent qu’ils retrouveront le même standard de qualité dans l’ensemble des bureaux EY Law, quels que soient leurs besoins. Nous sommes donc un cabinet d’avocats certes indépendant, local, mais connecté à un groupe qui fortifie notre expertise et nos capacités. R. S. Nombreux sont nos clients actifs à l’échelle mondiale. Ils font donc face à des thématiques juridiques transfrontalières, pour lesquelles l’étendue de notre réseau international est une réelle valeur ajoutée, notamment dans l’interprétation des problématiques et l’application de solutions adaptées.
En tant qu’avocats, quel regard portez-vous sur l’usage de l’IA dans votre activité ? R. S. Il faut distinguer l’IA algorithmique, qui est déjà intégrée dans nos services, et l’IA générative, qui pose pour le moment plusieurs questions pour un cabinet d’avocats. Bien qu’utile pour des tâches spécifiques, l’IA générative repose sur des informations disponibles en ligne qui ne sont pas toujours parfaitement fiables. D’ailleurs, pour le moment, il n’y a pas de réglementation au sujet de son utilisation dans le monde juridique. Comme dans de nombreux autres cas, la réglementation tend à être plutôt réactive que proactive, mais des questions telles que la propriété intellectuelle, la responsabilité professionnelle et la protection des données devraient être abordées le plus tôt possible. Finalement, à la question «L’IA peutelle remplacer un avocat?», ma réponse est positive, mais seulement partiellement et notamment pour des tâches assez basiques (recherches, rédaction de documents juridiques simples, conseil préalable ou très général). En revanche, elle change sans aucun doute notre façon de travailler et offre un bénéfice certain pour les raisons que je viens de mentionner. Comment EY Law emploie-t-elle ces nouvelles technologies pour ses clients ? S. E. Comme Raluca le mentionnait, nous les utilisons déjà dans le cadre des Legal Managed Services, autrement dit notre activité de secrétariat juridique robotisée. Citons, par exemple, notre plateforme EMS (Entity Management System) qui opère une gestion
EY LAW EN QUELQUES CHIFFRES
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« L’IA peut-elle remplacer un avocat? Pas sûr. Elle change, en revanche, notre façon de travailler et permet de gagner en efficacité pour nos clients.» Raluca Silaghi Partner
administrative complète – approbation des comptes, rappels de date d’expiration de contrats ou de mandats sociaux, mise à jour de documents – et qui peut être utilisée comme bibliothèque d’actes, générateur de divers rapports et analyse de données. R. S. Nous avons constitué une offre de service en réponse à un besoin du marché. Grâce à des outils avancés, la réalisation de ces tâches répétitives est automatisée, limitant à la fois les coûts pour nos clients et permettant à nos avocats de se concentrer sur des missions à haute valeur ajoutée. Quelles perspectives et quels développements s’inscrivent à l’horizon pour EY Law ? S. E. L’objectif est à présent de poursuivre notre croissance, en termes d’activités bien sûr, nous prévoyons de nous déployer vers le secteur des fonds d’investissement, pour répondre aux besoins grandissants de nos clients. R. S. Le futur s’écrira aussi sous le signe d’un renforcement de la marque EY Law, pour améliorer encore notre visibilité et l’expertise que nous proposons sur la Place Financière.
C’est le nombre de collaborateurs au sein d’EY Law, un nombre qui devrait doubler d’ici 2025.
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C’est le nombre de pays, soit autant de juridictions, sur lesquelles EY Law peut intervenir.
POUR EN SAVOIR PLUS, RENDEZ-VOUS SUR WWW.EYLAW.LU/LU/EN/HOME
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Agenda réglementaire
La législation fiscale, un chantier perpétuel Au niveau national comme international, le cadre fiscal évolue sans cesse. L’agenda législatif ne devrait pas s’alléger dans les mois à venir. Jan Neugebauer, partner au sein du département Tax Law d’Arendt, pointe cinq grands chantiers en cours. Journaliste SÉBASTIEN LAMBOTTE
JAN NEUGEBAUER Partner au sein du département Tax Law d’Arendt
« Il est en outre important de veiller à préserver notre compétitivité fiscale. C’est un des enjeux qui attend le nouveau gouvernement. » 22
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Pilier 2
Pilier 1
Le projet Pilier 2, adopté au niveau de l’OCDE, instaure un taux minimum mondial d’imposition de 15 % sur les bénéfices des entreprises multinationales entrant dans le champ d’application du dispositif. « Ce nouveau dispositif réglementaire entre normalement en vigueur au 1er janvier à travers l’Union européenne, explique Jan Neugebauer, partner au sein du département Tax Law d’Arendt. Au Luxembourg, Pilier 2 devait encore être transposé dans la loi avant la fin de l’année 2023. Pour un petit pays avec une exposition à l’international importante, la mise en œuvre de ce dispositif revêt une réelle complexité au niveau opérationnel. Elle implique notamment un besoin de renforcer la digitalisation de l’administration afin de fluidifier le traitement des données échangées. »
Si un accord est intervenu entre les pays membres de l’OCDE sur le projet Pilier 2, ce n’est pas encore le cas pour le Pilier 1 de cette réforme fiscale. « L’objectif de cette réforme vise l’établissement d’un nouveau système d’attribution des droits d’imposition des plus grandes multinationales aux juridictions où les bénéfices sont réalisés, précise Jan Neugebauer. L’un des enjeux-clés des discussions toujours en cours concerne la taxation des acteurs de l’économie digitale, en particulier la volonté de certains États membres d’imposer les revenus en fonction du lieu où se trouvent les consommateurs des services. » Par exemple, les revenus générés par les investissements publicitaires réalisés à travers Facebook ou Google pourraient être taxés au niveau du ou des marchés dans lesquels les campagnes sont déployées. Les discussions se poursuivent.
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BEFIT, HOT et prix de transfert
Compétitivité
Justesse de traitement
« Au niveau national, il est en outre important de veiller à préserver notre compétitivité fiscale. C’est un des enjeux qui attend le nouveau gouvernement. Depuis quelque temps, on voit que la compétition en la matière se renforce, avec l’évolution de la TVA en Allemagne, la mise en œuvre d’un dispositif attractif pour les véhicules d’investissement aux PaysBas ou encore la mise en place au Royaume-Uni d’un régime de sociétés holdings », commente Jan Neugebauer. En matière de fiscalité, la compétition entre les États membres demeure rude. Il faudra avoir à l’esprit les nouveaux enjeux économiques et de société, tout en veillant à préserver la sécurité juridique et la prévisibilité qui ont fait le succès de la place financière. Nous ne pouvons que soutenir l’engagement du nouveau gouvernement d’adapter le taux d’impôt des sociétés pour le rapprocher de la moyenne OCDE. Par ailleurs, Luxembourg, sur des éléments-clés de son économie, comme l’industrie des fonds, doit pouvoir préserver ses avantages compétitifs en la matière, ce qui impliquera nécessairement de revoir les possibilités de réduction de la taxe d’abonnement, voire, comme nous le suggérions, d’inclure une exonération de retenue à la source pour les dividendes distribués aux fonds d’investissement alternatifs et aux organismes de placement collectif. Finalement, l’attractivité des talents reste un défi majeur qu’il ne faudra pas occulter. « Sans quoi, on risque d’avoir beaucoup plus de difficultés à attirer de nouveaux acteurs sur place. On pourrait aussi voir des structures présentes localement partir vers de nouvelles juridictions », explique l’associé d’Arendt.
Au niveau local, le projet de loi 8186 a aussi beaucoup fait réagir ces derniers mois. Ce texte s’inscrit dans une démarche de modernisation et de simplification des procédures applicables aux contribuables en matière de fiscalité. Il s’agit de redéfinir un ensemble de règles qui régissent les relations avec l’administration fiscale. « Les interpellations relatives à ce projet concernent essentiellement la justesse de traitement des parties en présence, précise Jan Neugebauer. Le problème est que ce texte est de nature à considérablement renforcer le pouvoir de l’administration fiscale, au détriment de la capacité des contribuables, personnes morales ou physiques, à faire valoir leurs droits en la matière. » S’il y a lieu de simplifier les procédures, le cadre actuel étant directement hérité d’une époque révolue, il faut le faire avec justesse, en garantissant les droits de chacun. Le texte va poursuivre son parcours législatif et, au fil de celui-ci, pourrait être amendé dans ce sens.
Le 12 septembre dernier, la Commission européenne a proposé une nouvelle directive, baptisée BEFIT (pour Business in Europe: Framework for Income Taxation). « Il s’agit d’un ensemble de règles dont l’objectif est de déterminer la base d’imposition des grandes entreprises au niveau européen », explique Jan Neugebauer. Cette proposition s’inscrit dans la continuité de l’introduction d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés. La démarche concernerait les grandes entreprises, principalement celles qui exercent des activités dans plusieurs États européens. Elle vise une harmonisation renforcée de la fiscalité à l’échelle européenne, en permettant aux acteurs de réduire leurs coûts de conformité en la matière. « L’objectif vise à simplifier la gestion des contraintes fiscales pour les acteurs, et de cette manière soutenir les développements de flux transfrontaliers, mais la Commission européenne ne s’est pas arrêtée à BEFIT et a proposé d’autres réglementations comme la proposition de directive HOT (Head Office Tax system for SMEs) permettant l’application d’une règle fiscale unique pour les ES (établissements stables) des PME, ainsi qu’une directive prix de transfert, précise l’associé. Cependant, la mise en œuvre de ces mesures pourrait s’avérer complexe. »
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Conversation Tilly Metz
« Une taxe sur les ultra-riches pour financer la transition écologique » Selon une récente étude de l’ONG Tax Justice Network, avec un impôt modéré sur la fortune des 0,5 % les plus riches, cela rapporterait chaque année plus de 213 milliards d’euros aux caisses des pouvoirs publics. Explications avec Tilly Metz, eurodéputée écologiste luxembourgeoise. Journaliste SÉBASTIEN LAMBOTTE
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Portrait MATIC ZORMAN
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Tilly Metz appelle à introduire un impôt sur la fortune, l’empreinte environnementale des plus fortunés étant plus importante.
Conversation Tilly Metz
Quels sont les enjeux associés à cette idée de mettre en œuvre un impôt sur la fortune des ultra-riches en Europe ? L’humanité doit faire face à des défis énormes. La transition écologique qu’il nous faut opérer exigera des moyens conséquents. Il est important de veiller à ce que la transformation que nous devons mener à l’échelle de nos sociétés soit socialement juste. L’étude portée par notre groupe au niveau du Parlement européen part aussi du constat que certaines inégalités ont la vie dure. L’écart entre les personnes les plus riches, représentant une minorité de la population, qui peuvent tirer des revenus conséquents de leur capital, et la grande majorité de la société, qui peine de plus en plus à joindre les deux bouts, ne cesse de se creuser. Selon les éléments révélés au niveau de la base de données sur les inégalités dans le monde, les 0,5 % les plus riches en Europe ont vu leur fortune augmenter de 35 % au cours de la dernière décennie. L’importante disparité de richesse entre les citoyens de l’Union européenne devient problématique et il est important de s’attaquer à ce problème. Au-delà des enjeux de justice sociale, cela concerne aussi la question du réchauffement climatique, dont l’origine est liée à l’activité humaine. Les inégalités, en effet, ne s’expriment pas uniquement au niveau des conditions de vie de chacun. On constate que l’empreinte environnementale des personnes les plus fortunées est aussi la plus importante. Pouvez-vous nous expliquer comment s’appliquerait cet impôt européen sur la fortune que vous suggérez de créer ? On parle ici de l’introduction d’un impôt sur la fortune qui se veut à la fois modéré et progressif. Il demanderait une contribution raisonnable aux 0,5 % les plus riches de l’Union européenne, soit les personnes qui possèdent, aujourd’hui, 20 % de la richesse européenne. Un tel impôt, sans affecter profondément le capital de ces personnes disposant d’un niveau de richesse extrêmement élevé, aurait le mérite d’aider les États européens à rassembler ces fonds nécessaires à la transition. 26
« La grande majorité de la société, qui peine de plus en plus à joindre les deux bouts, ne cesse de se creuser. » Qu’entendez-vous par progressif et modéré ? L’idée est de mettre en place un impôt sur la fortune progressif à hauteur de 1,7 % pour les 0,5 % les plus riches, de 2,1 % pour les 0,1 % les plus aisés et de 3,5 % pour le top 0,05 %. La taxe ne s’appliquerait qu’au patrimoine net des particuliers se trouvant au-delà du seuil supérieur les plaçant dans la catégorie des 0,5 % les plus riches, sans toucher à leur patrimoine se trouvant en dessous de ce seuil. Que permettrait de générer l’introduction de cet impôt européen sur les ultra-fortunés ? L’introduction de ce seul impôt permettrait de générer 213,3 milliards d’euros par an. Un tel budget équivaut à la distribution d’un chèque annuel de 1.083 euros à chaque ménage européen. L’idée d’introduire un impôt sur la fortune n’est pas neuve. Ses détracteurs y opposent souvent l’inefficience de telles mesures ou encore un risque de fuite des capitaux vers des contrées fiscalement plus clémentes. Quel regard portez-vous là-dessus ? L’étude tient compte de ces enjeux. Le fait est que les éléments que vous évoquez – en l’occurrence, le risque d’évasion fiscale et celui de fuite des capitaux – sont, jusqu’à présent, difficiles à évaluer. D’une part, les États membres ne disposent pas d’une connaissance complète de l’ensemble du patrimoine de leurs citoyens. On ne peut toutefois pas nier que les systèmes fiscaux existants, en effet, offrent la possibilité aux super-riches de recourir à des pratiques leur permettant d’éluder l’impôt. C’est aussi un manque à gagner
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Avec un environnement réglementaire favorable, une économie résiliente, un accent mis sur l’investissement durable, l’innovation numérique, les opportunités transfrontalières et la demande croissante des investisseurs, le Luxembourg est bien positionné pour capitaliser sur le marché florissant du private equity. With a favourable regulatory environment, a resilient economy, a focus on sustainable investment, digital innovation, cross-border opportunities and increasing investor demand, Luxembourg is well positioned to capitalise on the thriving private equity market.
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Conversation Tilly Metz
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Sans correction pour les impôts sur la fortune existants
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Avec correction pour les impôts sur la fortune existants
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Avec correction pour les impôts sur la fortune existants et ajustement pour la migration potentielle
1.429
45.065
63.695
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Recettes totales en millions d’euros
pour les pouvoirs publics. Au sein du rapport que nous avons présenté au Parlement européen, nous avons évalué l’ampleur de ces pertes liées à l’évasion fiscale à 59,5 milliards d’euros. Collectivement, grâce à la récupération des fonds perdus en raison d’abus fiscaux et à la mise en œuvre d’un impôt modéré sur les personnes les plus fortunées, les États membres de l’Union européenne peuvent générer 272,8 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires par an. Ce montant équivaut à 1,73 % du PIB total de l’UE et, s’il était réparti de manière égale entre les ménages européens, se traduirait par un revenu annuel supplémentaire de 1.386 euros par ménage. Ce n’est pas rien. Avez-vous pu évaluer ce que ces montants permettraient de financer ? Oui. À titre d’exemple, 272,8 milliards d’euros permettraient de couvrir 39 % des dépenses d’éducation de tous les États membres ou d’augmenter de 23 % les dépenses de santé. Un tel montant correspond à 93 % des montants nécessaires aux mesures que les pays ont récemment mises en œuvre pour rendre l’énergie abordable et atténuer l’augmentation du coût de la vie. Ce montant permettrait de couvrir la totalité des dépenses des États membres en matière de chômage, et 28
même de les augmenter de 11 %. À ce niveau, on pourrait donc utiliser cet argent pour payer toutes les dépenses existantes et, en outre, offrir 70 % de programmes de formation de plus qu’actuellement. Si l’on en revient à la transition climatique, de telles recettes correspondent à deux fois le montant actuellement dépensé pour des mesures de transport efficaces et à faible émission de carbone. Elles permettraient d’investir 5,8 fois plus dans les chemins de fer qu’à l’heure actuelle. Quels seraient les impacts d’une telle mesure au Luxembourg ? Le Luxembourg pourrait collecter un total de 497 millions d’euros pour renforcer le budget public en mettant en œuvre cet impôt sur la fortune modéré et progressif. Cela correspond à 0,64 % du PIB. En outre, l’étude estime qu’en mettant fin aux abus fiscaux commis par les personnes fortunées qui cachent leur fortune dans des juridictions secrètes, le Luxembourg pourrait récupérer 9,7 milliards d’euros de recettes fiscales. Pour vous, quelles sont les principales raisons de croire en l’introduction d’une telle taxe ? C’est avant tout une question de courage politique. C’est un enjeu qui dépasse la
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nécessité d’augmenter les recettes. Partout, on voit que l’accentuation des inégalités engendre énormément de frustration, notamment auprès des personnes les plus démunies, et, de plus en plus, au sein de la classe moyenne. La conséquence de cela est la montée en puissance des populismes. Dans ce contexte, il y a lieu d’être vigilant dans les mesures que l’on impose en matière de transition écologique. À cet égard, on peut se souvenir du mouvement des gilets jaunes. Celui-ci a fait suite à la mise en place de mesures fiscales sur les produits pétroliers qui ont été considérées comme injustes auprès d’une partie de la population. En l’occurrence, il s’agissait de citoyens vivants dans des régions rurales, avec un niveau de vie modeste, qui ont vu les prix des carburants s’élever considérablement alors qu’ils n’ont pas d’autre choix que de prendre la voiture pour se déplacer. Une part importante de la population ne comprend pas que l’on fasse peser sur elle des mesures d’austérité budgétaire sans que l’on ne cherche à taxer davantage les personnes qui ont les moyens et qui, malgré le contexte, voient leur patrimoine s’étendre encore et encore. La question de la redistribution est un élément essentiel pour résoudre la crise de confiance actuelle et faire face aux défis qui nous attendent. En l’occurrence, ici, on ne se concentre que sur une infime part de la population, avec
Source
BEL
Groupe des Verts
ESTIMATION DES RECETTES D’UN IMPÔT PROGRESSIF SUR LE PATRIMOINE
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Conversation Tilly Metz
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Seuils par pays en euros
une mesure modérée, mais qui est de nature à engendrer des effets conséquents. Quels sont les principaux défis liés à la mise en œuvre d’un impôt sur la fortune européen ? À l’heure actuelle, la fiscalité demeure du ressort des États membres. L’introduction d’une telle taxe impliquerait donc une décision commune au niveau du Conseil européen. Cela ne nous paraît pas impossible. Nous sommes bien parvenus à un accord pour introduire un impôt minimal sur les revenus des multinationales. Pourquoi ne pourrions-nous par faire de même pour taxer cette part minime du capital des ultra-riches ? On voit, en outre, que certains pays, en Europe, n’attendent pas. L’Espagne, notamment, a pris les devants en lançant un impôt sur la fortune temporaire et progressif. Pourquoi les autres membres de l’Union européenne ne pourraient-ils pas s’engager dans ce sens ? L’autre enjeu, comme brièvement évoqué, réside dans un besoin de transparence à l’égard du patrimoine de chacun. Or, on le sait, la structuration patrimoniale, souvent, rend les choses particulièrement complexes. Luxembourg, on le sait, est une Place à travers laquelle de nombreuses personnes fortunées européennes structurent leur patrimoine, mettent 30
en place des montages parfois complexes, comme des holdings, par exemple. Quel regard portez-vous sur ces pratiques ? Au Luxembourg, les enjeux de fiscalité ont été au cœur des débats électoraux. Et l’on sait qu’il sera nécessaire de mener une importante réforme fiscale, pour notamment renforcer le pouvoir d’achat de la population mais aussi arriver à une plus grande justice fiscale entre concitoyens. Pour en revenir à votre question, je pense qu’il est important de souligner les efforts qui ont été entrepris par la coalition précédente en matière de transparence. Aujourd’hui, le Luxembourg participe pleinement à la logique d’échange d’informations entre États membres. Mais cela reste un enjeu important. Et il faut espérer que le nouveau gouvernement continuera à avancer dans cette voie. Nous devons continuer d’avancer en matière de transparence et de solidarité fiscales au sein de notre pays et avec les pays voisins.
« Une prise de conscience de la nécessité de mieux distribuer la richesse. »
Comment cette idée est-elle reçue auprès des personnes les plus fortunées ? C’est un autre élément qui nous conforte dans cette idée que l’introduction d’un tel impôt est possible : une part non négli-
TAX, ACCOUNTING & LEGAL JANVIER 2024
Source
BEL
Groupe des Verts
SEUIL DE RICHESSE POUR L’APPLICATION D’UN IMPÔT PROGRESSIF SUR LA FORTUNE
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Conversation Tilly Metz
Au Luxembourg, cela ne représente qu’une poignée de personnes. Au-delà, il est important de montrer les objectifs qu’un tel impôt poursuit. Nous sommes confrontés à une urgence en matière de transformation climatique et de préservation de la biodiversité. Cette imposition est un outil permettant de mobiliser les moyens nécessaires pour relever ce défi de manière juste et équitable pour chacun.
LE LUXEMBOURG POURRAIT PERCEVOIR UN TOTAL DE
10,2 Mrds
13 %
de recettes fiscales supplémentaires par an
Source
de son PIB
Groupe des Verts
CE QUI ÉQUIVAUT À
L’impôt ne s’appliquerait qu’au patrimoine net des particuliers dépassant le seuil supérieur de 0,5 %, sans toucher à leur patrimoine inférieur à ce seuil. Les recettes fiscales de 213,3 milliards d’euros équivalent à la distribution d’un chèque annuel de 1.083 euros à chaque ménage européen.
geable des ultra-riches, aujourd’hui, ne s’y oppose pas. L’idée fait son chemin. À New Delhi, lors du G20, un nouvel appel d’économistes et de politiques à taxer les ultrariches a été cosigné par 139 millionnaires occidentaux au nom de la justice fiscale. Que l’idée soit aujourd’hui défendue par les principaux concernés, ceux qui feront l’objet de cette taxe, est encourageant. Il y a une prise de conscience de la nécessité de mieux distribuer la richesse, que l’accumulation des capitaux et le renforcement des inégalités nuisent à la société. Après la présentation de notre étude au Parlement, personne n’a crié au scandale. Au contraire, cette idée fait son chemin.
D’autre part, collectivement, grâce à la récupération des fonds perdus en raison d’abus fiscaux et à la mise en œuvre d’un impôt modéré sur les personnes les plus fortunées, les États membres de l’UE peuvent générer 272,8 milliards d’euros supplémentaires par an. Ce montant équivaut à 1,73 % du PIB total de l’UE et, s’il était réparti de manière égale entre les ménages européens, se traduirait par un revenu annuel supplémentaire de 1.386 euros par ménage.
Au-delà de la présentation de cette étude et de l’idée de nouvel impôt qu’elle porte, qu’espérez-vous pour la suite ? Évidemment, nous aimerions voir cette idée mise en œuvre. Cependant, nous sommes conscients qu’aucune mesure de ce genre n’est en préparation du côté de la Commission européenne ou des États membres. Notre volonté, avant tout, était de montrer qu’une telle mesure est possible, d’évaluer les effets qu’elle produirait, de dire que cela n’a rien de farfelu. Il s’agit, en l’occurrence, de dédramatiser. On ne parle ici que d’une part infime de la population.
1.386 EUROS PAR MÉNAGE
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À ce titre, l’étude pointe aussi la responsabilité des plus riches vis-à-vis du dérèglement climatique… Les citoyens les plus riches sont davantage responsables des émissions de carbone, à la fois en raison de leur consommation plus excessive et de leurs habitudes d’investissement. Un récent rapport d’Oxfam, citée dans notre étude, établit que les 125 milliardaires les plus riches produisent à eux seuls 3 millions de tonnes de CO2 par an. Dix-sept de ces milliardaires sont des résidents européens. Face à la transformation socio-économique à mener, la Commission européenne a pour objectif de mobiliser au moins 1.000 milliards d’euros d’investissements durables au cours de la prochaine décennie. Si le secteur privé peut contribuer à cette transformation, une grande partie de ces investissements nécessitera un financement public ou, du moins, des garanties publiques. Pour répondre à ces besoins en financement, les États membres n’ont pas d’autres choix, en principe, que de réduire les dépenses dans d’autres secteurs, d’augmenter la dette publique ou d’accroître les recettes publiques. La volonté est, à travers cette idée – ou d’autres évoquées par le passé, comme la taxation des transactions financières – de permettre de financer cette transition sans que cela n’affecte la plus grande partie de la population, plus particulièrement celle qui est déjà fortement touchée par des mesures de rigueur budgétaire.
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Inscription sur paperjam.lu/club
Noémie Haller, Counsel, on the left, and Philippe Schmit, Partner, on the right, both specialised in Employment law, Pensions & Benefits at Arendt.
Legal
Luxembourg’s whistle-blowing law goes beyond transposing into national law the EU directive on the topic. The law covers a broad scope and applies to companies of any size and in any sector. Employers need to be aware of their obligations as well as how working with an experienced legal advisor can help to ensure compliance and protect employees. 34
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What employers need to know The law applies to both the private and public sectors, and it protects both self-employed and employed workers. This includes shareholders, volunteers, interns, contractors, individuals related to whistle-blowers, applicants, and more. Administrative fines for noncompliance range between €1,500 and €250,000 and criminal fines range between €1,250 and €25,000. “Also, a whistle-blower who has been dismissed may ask for damages and to be reinstated,” explains Noémie Haller, Counsel at Arendt.
Eva Krins (Maison Moderne)
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Photo
Whistle-blowing law: what it means for employers
In May 2023, bill no. 7945 has been adopted and went into effect. This law aims to transpose EU Directive 2019/1937, which covers the protection of whistle-blowers, in national law. It applies to any report concerning any violation of any national or EU law. All companies must now protect those who report breaches. Retaliatory measures such as dismissal, demotion, or salary decreases are strictly forbidden.
BRAND VOICE
The number of whistle-blowing cases has already risen, especially as employers are now subject to a related law (Loi du 29 mars 2023) intended to combat moral harassment in the workplace (applying to any employer irrespective of the sector and of the number of employees). The line between these laws can be blurry, and since they went into effect, there have been many reports of violations in which it is a priori not clear to which law the scope pertains. If a company employs at least 50 people, the law on the protection of whistle-blowers requires it to implement internal reporting channels for breaches, and this also applies to public-sector entities as well as most communes. “The rules are very specific: the internal reporting channel must be secure; the identity of the whistle-blower must be protected; and at least one person within the company must be entrusted with managing reports,” says Ms Haller. The burden for employers and how to lighten it Even for companies with fewer than 50 employees, having a dedicated channel and staff member for managing reports can be invaluable. Otherwise, an employee might report a perceived infringement outside of the company (directly to the competent authorities or even through public disclosure), thereby damaging the company’s reputation,
“ For most companies, it makes sense to externalise the management of whistleblowing channels and reports.” Philippe Schmit Partner – Employment law, Pensions & Benefits, Arendt
“ The whistleblowing law covers any violation of national or EU law and thus also possible breaches of labour law.”
WHAT TO KNOW
Every company is impacted Regardless of their size, all companies must comply with the law on the protection of whistle-blowers. If not, they face administrative fines up to €250,000 and criminal fines up to €25,000.
Noémie Haller Counsel – Employment law, Pensions & Benefits, Arendt
even if the infringement proves to have lacked merit. “Not every employer has sufficient resources, and some lack an understanding of the law. Seeking help from an expert in labour law can alleviate some of those pressures,” says Philippe Schmit, Partner at Arendt. Arendt, for example, assists clients at any stage covered by the whistle- blowing and moral harassment laws. They help to draft clear internal regulations. Two different internal procedures are recommended – one for whistle-blowing and one for moral harassment – as they are handled very differently. “In an investigation of a case of moral harassment, for example, the identity of subjects is not protected in the same manner as in a whistleblowing case,” says Mr Schmit. Arendt also offers full-service solutions to manage alerts and reports. Its employment law practice is able to receive reports on behalf of clients. Once a report is received, Arendt experts determine if it is justified from a legal perspective. In consultation with the client, the firm determines if an investigation should be conducted. The firm then assists with remediation measures in order to resolve the issue so that employers feel secure and employees feel their concerns have been addressed.
An additional obligation for larger companies Companies with at least 50 employees must implement an internal channel for employees to report infractions and have their identities protected. Companies with fewer than 50 employees are free to implement such internal reporting channel.
Broad range of protection The protections extend to contractors and those working for them, shareholders, volunteers, interns, new hires, relatives of whistle-blowers, and even applicants.
Benefits of externalising Hiring an experienced legal advisor to create internal processes, collect and analyse reports, and mediate can ensure compliance and resolve conflict.
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Coup de projecteur sur...
Le métier de fiscaliste Avocat fiscaliste, Georges Simon est le secrétaire de l’Association luxembourgeoise d’études fiscales (Alef), le groupement luxembourgeois autonome de l’International fiscal association (IFA). Il partage avec nous sa vision du métier de fiscaliste. Journaliste MICHAËL PEIFFER
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que j’apprécie, tant pour leur travail que pour leurs qualités humaines.
GEORGES SIMON Secrétaire, Association luxembourgeoise d’études fiscales (Alef)
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Comment évolue le métier de fiscaliste ? Quand j’ai commencé ma carrière, en 2009, nous avions beaucoup d’échanges avec les autorités fiscales. Il était alors
Alef
« Avant les années 2010, la confiance régnait. Aujourd’hui, elle semble distendue, parfois même rompue. »
À qui s’adressent vos services ? Notre volonté est de rester des généralistes du droit fiscal et du droit des affaires. Nous offrons du conseil sur mesure aux grands groupes luxembourgeois, aux multinationales, aux fonds d’investissement, mais aussi aux PME et aux personnes physiques. Nous sommes aussi reconnus pour notre expertise en contentieux fiscal, ce qui nous amène à défendre les intérêts de nos clients devant les tribunaux face aux autorités fiscales. Comme nous travaillons pour une grande diversité de clients, nos missions sont très variées. Nous pouvons apporter un conseil ponctuel sur une question précise où une haute valeur ajoutée est recherchée, et nous accompagnons également des clients dans la très longue durée pour soutenir leurs activités et répondre à toutes les problématiques juridiques et fiscales qui peuvent se poser dans ce cadre. Comme mentionné précédemment, nous représentons également nos clients dans le cadre de leurs litiges face à l’administration fiscale, à tous les stades de la procédure.
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Quel a été votre parcours avant de créer votre cabinet spécialisé en droit fiscal et droit des affaires en mai dernier ? J’ai commencé mes études ici, au Luxembourg, avec une année de « préparation » en droit, formule qui n’existe plus aujourd’hui, avant de partir à Strasbourg, où j’ai obtenu un master en droit fiscal et conseil en entreprise. J’ai ensuite étudié à Munich. Je trouvais intéressant de m’imprégner de la vision germanique de la fiscalité, d’autant plus que les textes de loi luxembourgeois sont encore fortement influencés par des textes allemands. J’ai terminé mon cursus par un master complémentaire en droit fiscal (LLM) à la New York University (NYU) School of Law. Déjà durant mes années à Strasbourg, j’ai effectué mes premiers stages au Luxembourg auprès de fiscalistes expérimentés comme Jean-Pierre Winandy. À la fin de mes études, je l’ai d’ailleurs rejoint au sein d’un cabinet d’origine néerlandaise à forte spécialisation fiscale où j’ai exercé pendant huit ans. J’ai ensuite, avec deux autres associés, participé à l’ouverture de la succursale luxembourgeoise d’un grand cabinet anglo-saxon. L’aventure a duré cinq ans. Depuis très jeune, j’ai toujours eu la volonté d’exercer la profession d’avocat et d’ouvrir un cabinet où je pourrais exercer la fiscalité, avec une approche généraliste de la matière, tout en m’entourant de gens
naturel de poser des questions pour savoir Aujourd’hui, elle semble distendue, parsi notre compréhension ou notre interpré- fois même rompue. Il ne s’agit pas ici de tation de la loi étaient en ligne avec celles généraliser la situation. Des échanges sont de l’administration, d’apporter des clari- encore possibles, bien heureusement. Il fications sur un dossier, etc. Depuis lors – ne s’agit pas non plus de blâmer uniqueet l’affaire LuxLeaks n’y est sans doute pas ment l’administration alors que la situaétrangère –, il est devenu moins aisé de tion actuelle est forcément la résultante discuter avec les autorités fiscales. Le lien d’une multitude de facteurs et d’interveest souvent moins direct et la confiance nants, dont les conseillers font partie. réciproque semble entamée. La possibilité Le constat est cependant que l’adminisd’obtenir, en amont d’une transaction, un tration adopte une approche plus méfiante. rescrit fiscal de la part des autorités confir- Le challenge est aujourd’hui de rétablir mant le traitement fiscal applicable à ladite cette confiance dans la relation. La fiscalité transaction est, depuis de trop nombreuses reste une matière complexe, requérant des années, en très fort déclin, alors même que prises de position et où les avis divergent la procédure à suivre est encadrée par la loi. parfois. Notre rôle est de conseiller notre D’un autre côté, les problématiques en client dans le respect de la loi. Mais si deux matière de fiscalité sont devenues infini- options s’offrent à nous, nous chercherons ment plus complexes, avec une prolifération des dispositions fiscales à l’échelle nationale et internationale, et un accroissement significatif de leur technicité. En quelque sorte, ces évolutions rendent aujourd’hui notre métier plus intéressant! Le fiscaliste doit sans cesse se tenir informé, se montrer curieux et prendre davantage ses responsabilités. Il effectue sa propre analyse avant de mettre en place la structure qu’il juge en adéquation avec les règles fiscales en vigueur. L’avis des autorités fiscales ne tombe finalement souvent que bien après la mise en place d’une transaction, au travers de l’émission des bulletins d’imposition ou l’ouverture d’une procédure de vérification. Avec la quasi-disparition des GEORGES SIMON rescrits fiscaux et l’augmentation imporSecrétaire, tante des contentieux fiscaux depuis mainAssociation luxembourgeoise tenant une dizaine d’années, c’est d’études fiscales aujourd’hui souvent au juge de trancher les (Alef) questions d’interprétation des dispositions légales et leur application à des cas concrets. Tout cela entraîne plus de lourdeur administrative, des coûts importants pour les contribuables concernés et des affaires qui prennent souvent des années avant d’être tranchées. Une telle situation est vectrice d’incertitude, ennemie jurée de la fiscalité.
« Un bon fiscaliste doit également bien comprendre les chiffres»
LES INFOS-CLÉS À SAVOIR SUR LE MÉTIER Le fiscaliste conseille généralement une grande variété de clients, allant des citoyens aux entreprises. En fonction des législations et des taxes en vigueur, des projets de l’entreprise (fusion-acquisition, implantation à l’étranger, investissement), son objectif est de trouver la meilleure option fiscale, c’est-à-dire en principe la moins coûteuse pour l’entreprise (sans aller à l’encontre de la loi) et la plus efficace au regard de la spécificité de son activité. Pour cela, le fiscaliste doit connaître sur le bout des doigts les législations et normes fiscales en vigueur et les évolutions de ces dernières, et être capable de les faire interagir ensemble. Il intervient également pour défendre les intérêts de ses clients et expliciter les choix faits en cas de contrôle fiscal ou judiciaire. Pour conseiller au mieux son client, le fiscaliste ne peut se cantonner à la fiscalité et la comptabilité. Bien des domaines du droit apparaissent encore dans sa pratique, que ce soit bien sûr en droit des sociétés ou bancaire, mais également en droit des obligations, droit social, etc. Très au fait des législations en vigueur, le fiscaliste suit de près l’actualité et les nouveautés dans son domaine. Rigoureux et organisé, il doit aussi avoir de réelles capacités d’analyse et de synthèse. Respectueux de la loi, sa morale est irréprochable.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la fiscalité à laquelle vous faites référence ? La relation entre les autorités fiscales, les contribuables et les conseillers que nous sommes a fortement changé. Avant les années 2010, la confiance régnait. JANVIER 2024 TAX, ACCOUNTING & LEGAL
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Coup de projecteur sur... Le métier de fiscaliste
toujours l’imposition la plus appropriée pour notre client. Au final, le plus important est d’être irréprochable dans notre approche, alors qu’en matière fiscale, l’erreur ne pardonne pas, notre responsabilité peut être engagée envers nos clients et des sanctions par les autorités fiscales existent. Assez récemment, l’administration fiscale est ainsi allée plus loin dans sa défiance envers les conseillers fiscaux en cherchant à sanctionner certains d’eux sur base de la fraude fiscale involontaire. Le risque, au final, est que le fiscaliste devienne un simple contrôleur de conformité, qui n’ose plus prendre position sur des cas d’imposition. Or, notre rôle est de fournir le meilleur conseil possible à nos clients et de rester intransigeants dans la défense des intérêts de nos clients. Quels sont les autres challenges que vous rencontrez ? Un autre challenge important pour notre métier au Luxembourg touche au savoir et à la transmission de celui-ci. Toute une génération de fiscalistes s’apprête à prendre sa retraite ou l’a déjà prise. Ces personnes ont assisté à l’évolution de notre métier depuis 40 ans et ont développé une très grande expérience dans une large variété de domaines. Aujourd’hui, vu la complexité des matières à traiter, les fiscalistes ont plutôt tendance à se spécialiser dans une matière très précise. Le marché se compose dès lors de beaucoup de spécialistes et de moins en moins de généralistes. Pour nous, le challenge est de pouvoir garder une vue globale, mais néanmoins pointue, sur tous les sujets. Le dernier défi dont nous n’avons pas parlé touche évidemment à la compétition grandissante entre les différents centres financiers pour attirer les talents d’une part, et pour convaincre de l’attractivité du Luxembourg d’autre part. S’agissant du premier sujet, l’existence d’un master spécialisé en droit fiscal à l’Université du Luxembourg est un atout pour le pays, mais il faut rester conscient qu’il devient de plus en plus difficile d’attirer suffisamment de bons candidats, venant notamment des pays limitrophes. Sur le deuxième sujet, nous espérons que le nouveau gouvernement sera à l’écoute des grandes attentes de la place financière visà-vis de celui-ci pour redorer le blason du 38
À PROPOS DE L’IFA L’Association luxembourgeoise d’études fiscales (Alef), qui est le groupement luxembourgeois autonome de l’International Fiscal Association (IFA), a été constituée le 6 juin 1988 et compte quelque 250 membres privés et sociétaires. Alors que les cabinets d’avocats, les fiduciaires et les cabinets comptables et de conseil sont majoritairement représentés parmi les membres de l’Alef, cette association compte également parmi ses membres des entreprises du secteur privé, des banques et compagnies d’assurances, ainsi que des associations et des institutions du secteur public.
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Présente dans plus de 100 pays, l’IFA a pour objectifs l’étude du droit fiscal international et comparatif et des conséquences économiques et financières de la fiscalité.
Luxembourg à l’échelle internationale, en maintenant sa compétitivité, dans un contexte de très forte concurrence, notamment en matière fiscale. Quelles sont pour vous les qualités requises pour être un bon fiscaliste aujourd’hui ? Il faut avant tout rester curieux, lire beaucoup, travailler dur et se former de façon continue afin d’être en mesure de comprendre les évolutions réglementaires qui peuvent impacter nos clients. Il faut bien sûr aimer la fiscalité et vouloir être performant dans ses missions. Un bon fiscaliste doit également bien comprendre les chiffres, cela veut dire avoir de bonnes connaissances en comptabilité, pouvoir lire un bilan, se plonger dans les comptes… À cela s’ajoute la connaissance des langues. Au Luxembourg, la maîtrise du français et de l’anglais est un minimum, et l’allemand représente un atout très important. Au-delà de ces connaissances diverses, un bon fiscaliste doit être à l’écoute de son client, comprendre ses attentes, ses problématiques, pour l’accompagner dans sa vie quotidienne et l’aider à agir sereinement. Enfin, il est aujourd’hui impossible d’ignorer l’impact des nouvelles technologies et des évolutions qu’elles ont et continueront de plus en plus à avoir dans notre pratique. De manière plus personnelle, qu’est-ce que ce métier vous apporte au quotidien ? J’aime cette idée d’évoluer dans un monde en constante évolution, avec l’obligation de s’adapter en permanence aux nouvelles règles et même de se remettre en question au vu de l’environnement fiscal. Rien n’est figé et cela représente un moteur important à mes yeux. Ensuite, en tant qu’avocat, l’aspect contentieux fiscal me semble très intéressant. J’aime me battre pour défendre les intérêts de mes clients devant les tribunaux. Mon rôle consiste à défendre au mieux les intérêts de mes clients dans le respect de la loi, et je pense qu’il faut rester intransigeant et intègre dans cette défense. Enfin, la grande diversité dans les dossiers et les cas que j’ai à traiter est une grande source de stimulation intellectuelle, obligeant à constamment s’adapter et à ajuster son raisonnement.
PARTNER CONTENT
Do not hesitate to contact members of Our New York office if you have any questions on the accounting and reporting for US managers. .
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Guidance for US fund managers using Luxembourg fund sleeves
Crédits
Loyens & Loeff picture database
For a variety of reasons, European investors generally prefer to be onboarded by US fund managers in a fund vehicle organised as a Luxembourg special limited partnership (“SLP”). The Luxembourg accounting laws do not require an SLP to prepare and publish annual accounts. However, an SLP that qualifies as Alternative Investment Fund (“AIF”) in the sense of the Alternative Investment Fund Managers Directive (“AIFMD”) and that is managed by an EU Alternative Investment Fund Manager (“AIFM”) must prepare annual accounts. The AIF’s accounts must be made available to the regulator and, upon request, to the investors no later than 6 months after the end of the financial year. While the AIFMD thus sets aside the Luxembourg
accounting laws when it comes to the absence of the need to draw up annual accounts, it respects the accounting laws when it comes to the absence of an obligation to publish these accounts. This secures confidentiality of the SLP’s financials, which is one of the reasons the SLP (and not the common Luxembourg limited partnership, which must publish its accounts) is the preferred Luxembourg fund vehicle. Read the full analysis by scanning the QR code below:
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Le métier d’avocate Le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, Pit Reckinger, et le président de la Conférence du Jeune Barreau de Luxembourg, Tim Doll, présentent le métier passionnant et varié d’avocat. Journaliste MICHAËL PEIFFER
«Le secteur de la finance occupe la majorité des avocats aujourd’hui.» TIM DOLL Président, Conférence du Jeune Barreau de Luxembourg
Comment se porte le métier d’avocat, aujourd’hui ? Pit Reckinger (P. R.) Nous assistons à une croissance annuelle du nombre d’avocats de 5 à 6 % depuis 10 ans au Luxembourg. Cette évolution est notamment due à la croissance du secteur financier et de la demande en droit des affaires. Pour illustrer ce point, il faut savoir que les huit plus grandes études du pays rassemblent à elles seules plus de 1.000 avocats, soit un tiers de l’effectif global. Et tous ces grands cabinets sont actifs en droit des affaires. Tim Doll (T. D.) Cette augmentation du nombre d’avocats, notamment en matière de contentieux, peut également s’expliquer par l’accroissement de la population au cours de ces dernières années au Luxembourg. Même si c’est, effectivement, le secteur de la finance qui occupe la majorité des avocats aujourd’hui. Quelles sont les grandes évolutions du métier constatées ces dernières années ? P. R. Nous assistons à un phénomène d’accélération généralisée. La technologie a pris une place de plus en plus importante dans nos vies et les avocats sont, eux aussi, rapidement passés à l’ère du numérique. Par ailleurs, nous constatons que les clients sont devenus beaucoup plus exigeants en termes de temps de réponse. T. D. Nous avons également assisté à un accroissement très important des textes législatifs. La principale conséquence de cette prolifération des textes est qu’un
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avocat qui s’oriente aujourd’hui dans un domaine du conseil aura plus tendance à se spécialiser, tout simplement parce que dans l’environnement législatif et réglementaire actuel, il est très difficile de maîtriser plusieurs matières à la fois. C’est un phénomène que l’on constate auprès de nos plus jeunes confrères et consœurs qui, par le choix de leur cursus universitaire, s’orientent déjà vers des domaines très particuliers. Ce n’est toutefois pas un prérequis. Il existe encore des avocats dont la formation se veut plus générale et qui, ensuite, par la pratique, se dirigent vers une matière de prédilection. Pour être tout à fait complète, cette tendance à la spécialisation est moins marquée pour les avocats qui pratiquent le contentieux et qui tendent à garder une approche un peu plus généraliste. Quelles sont les principales conséquences de ces évolutions ? P. R. Un avocat doit être capable de s’adapter. Les clients sont devenus plus exigeants. Ils sont aussi mieux informés que par le passé. La législation devient plus pointue, et les textes de plus en plus nombreux. En conséquence, la profession est considérée et ressentie comme difficile. Nous exerçons une profession indépendante. Pour en vivre, il faut faire en sorte d’avoir des clients et, donc, de fournir un travail de qualité pour les satisfaire et connaître un certain succès dans ses affaires. La profession d’avocat est similaire à celle d’un entrepreneur. Les avocats doivent,
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CJBL et Romain Gamba (archives)
évidemment, développer une connaissance d’indépendant a longtemps été une préjuridique pour apporter le meilleur conseil occupation pour de jeunes avocats en à leurs clients, mais ils doivent aussi aller début de carrière, on assiste aujourd’hui à chercher ces clients, gérer un cabinet, avoir une nette tendance vers le salariat, notamdes notions de comptabilité, de droit du tra- ment au sein des plus grands cabinets. vail – même si on ne le pratique pas –, de gestion des collaborateurs qui, faut-il le sou- Quelles sont les attentes des plus ligner, expriment des attentes différentes jeunes avocats, aujourd’hui ? de celles du passé… Tous ces éléments réu- T. D. À côté des questions liées à la nis font qu’il s’agit parfois d’une profession work-life balance et, plus généralement, qui demande beaucoup d’efforts et qui est aux conditions de travail, une attente principale des jeunes avocats qui stressante… du moins, par moment. T. D. À cela s’ajoute le fait qu’il s’agit rejoignent le Barreau a trait à la formation d’une profession réglementée. Nous avons professionnelle. Le cursus universitaire des contraintes à respecter, notamment en classique, tout comme les cours complétant que professionnels soumis à la loi mentaires en droit luxembourgeois, est anti-blanchiment pour certaines matières, essentiellement théorique. Un jeune avoà la protection des données… Nous ren- cat est donc demandeur pour apprendre controns les mêmes défis que la plupart des les aspects pratiques du métier. Comment autres entreprises, tout en ayant la particu- gérer un dossier, une relation client, larité de rester une profession autorégulée, ce qui est très important pour garantir le rôle de l’avocat au sein de la justice. Il s’agit d’un métier qui présente une multitude de facettes auxquelles on ne pense pas quand on étudie le droit à l’université. Comment le métier s’adapte-t-il aux nouvelles attentes des collaborateurs ? P. R. Comme dans tous les autres domaines, le concept de work-life balance est un sujet qui nous occupe, aujourd’hui, au sein de l’Ordre. Nous avons la chance d’exercer un métier très diversifié et nous devons permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même. Cela passe par la définition des rôles. Dans les études qui ont un plus grand nombre d’avocats, un collaborateur peut, par exemple, occuper un poste en interne, mener des recherches et apporter son aide (précieuse) pour construire des dossiers de qualité. Dans la même étude, on trouvera également des avocats qui développent davantage leurs qualités d’entrepreneur, qui seront plus visibles, qui iront chercher des clients, donneront des conférences… Chaque personne peut apporter sa pierre à l’édifice. Nous constatons d’ailleurs que l’Ordre des avocats réunit aujourd’hui 49% de femmes pour 51 % d’hommes. Cette égalité nous réjouit. En tant qu’indépendants, nous avons aussi cette possibilité d’organiser nos journées avec une « relative » liberté. T. D. Il faut aussi ajouter que si le statut
« La profession est considérée et ressentie comme difficile. » PIT RECKINGER Bâtonnier, Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg
LES INFOS-CLÉS À SAVOIR SUR LE MÉTIER Pour devenir avocat au Luxembourg, la première étape est d’obtenir un diplôme de droit (grade de master en droit émis par l’Université du Luxembourg ou un diplôme en droit délivré par une université étrangère répondant aux critères d’homologation). « Le cursus peut avoir lieu à l’Université du Luxembourg, mais aussi en Belgique ou en France par exemple », détaille le président de la Conférence du jeune Barreau de Luxembourg, Tim Doll. Un tel diplôme permet d’accéder au cours complémentaire en droit luxembourgeois (CCDL), organisés annuellement entre les mois d’octobre et d’avril. Son objectif est de permettre une mise à niveau en droit luxembourgeois de tous les candidats. Lorsqu’il a réussi l’examen des CCDL, le candidat peut demander son inscription au Barreau en tant qu’avocat et prêter serment devant la Cour de cassation. Il est alors inscrit sur la liste 2 des avocats stagiaires. « Pour cela, il doit toutefois répondre à des conditions d’honorabilité, trouver une adresse où il va établir son étude et présenter un patron de stage qui va s’occuper de lui durant les deux ans de stage », complète le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg. Durant cette période de stage, l’avocat doit encore suivre différentes formations complémentaires et passer des examens intermédiaires avant le grand examen final. En cas de réussite de cet examen de fin de stage judiciaire – que l’on appelle communément l’examen d’avoué –, le candidat est admis au Barreau en tant qu’avocat à la Cour (liste 1). Pleinement qualifié, il peut alors plaider devant toutes les juridictions et effectuer tous les actes de procédure.
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comment aborder telle ou telle situation sur le terrain… Au quotidien, un avocat doit développer un ensemble de compétences qui touchent davantage aux soft skills qu’à une pure connaissance du droit et de son application. P. R. À ce titre, il faut souligner le rôle important qu’occupe la Conférence du Jeune Barreau, émanation du Barreau de Luxembourg, qui rassemble tous les avocats qui ont moins de 11 ans d’ancienneté. Ses deux principales fonctions sont d’organiser des formations et des conférences pour les avocats sur une grande variété de sujets et, ensuite, de mettre en place de nombreux événements pour permettre à ces jeunes de se rencontrer dans un cadre moins formel et de créer du lien social. T. D. Nous essayons de donner la possibilité à chacun de s’initier au métier sous différentes facettes. Il est, bien sûr, très important de se former pour répondre aux enjeux actuels, mais il est tout aussi important de se créer un réseau. Tout au long de notre carrière, nous allons être amenés à traiter avec d’autres confrères. Dans certains cas, ils seront nos adversaires, mais cela ne doit pas empêcher de construire une approche confraternelle, dans le respect des règles du métier. Quel serait votre message pour les plus jeunes qui s’intéressent au métier d’avocat ? P. R. Venez, rejoignez le Barreau. Avocat reste une formidable profession, variée et indépendante. Pour les jeunes, aujourd’hui, le droit permet de toucher à de nombreux aspects qui auront de l’importance tout au long de leur vie professionnelle et privée : être en mesure d’analyser un problème, de l’expliquer (à un client ou à un juge), de défendre une position (en public)… Beaucoup de jeunes avocats qui terminent leur stage sont directement recrutés pour rejoindre le service juridique d’une entreprise ou d’un régulateur, etc. D’autres resteront acquis au Barreau. Les débouchés sont donc très nombreux. T. D. Pour donner une image, la profession d’avocat est comme un rond-point. On peut toujours choisir de se réorienter, à la fois en fonction de ses intérêts professionnels, mais également de ses capacités et de ses qualités personnelles. Pour 42
L’ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE LUXEMBOURG L’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg met un point d’honneur à renforcer les liens de confiance entre les avocats, le public et les autorités publiques. 3.390 avocats, exerçant en personne physique, sont aujourd’hui répertoriés au Barreau de Luxembourg. 2.053 (60 %) font partie de la liste 1 des avocats à la Cour pleinement qualifiés, 775 effectuent actuellement leur période de stage (liste 2) et 543 avocats exercent sous leur titre d’origine et sont inscrits à la fois auprès d’un autre Barreau au sein de l’Union européenne et à Luxembourg (liste 4). Si l’on s’intéresse aux nationalités, 45 % des avocats inscrits au Barreau de Luxembourg sont de nationalité française, 25 % sont Luxembourgeois, 12 % sont Belges et 4,6 % proviennent d’Allemagne.
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qu’une étude puisse bien fonctionner, il faut de la diversité. On peut avoir un avocat qui est un très bon plaideur, mais qui aura besoin de l’appui d’un autre collègue plus doué pour les aspects techniques de recherche. Ce métier se pratique rarement seul et c’est ce qui en fait toute la richesse et la beauté. Nous avons de nombreux échanges avec des confrères, des collègues. Chacun peut trouver sa place en fonction de ses points forts. D’un point de vue plus personnel, que vous apporte ce métier ? P. R. C’est un métier très enrichissant d’un point de vue intellectuel. La première satisfaction vient du fait de pouvoir aider un client et d’arriver à résoudre un problème complexe. Nous sommes constamment confrontés à un adversaire qui nous met au défi. On ne peut donc jamais prendre une affaire à la légère parce que soit un juge, soit la partie adverse essayera de vous dire qu’il a mieux compris le dossier que vous. C’est un challenge intellectuel permanent, et c’est ce qui fait la beauté du métier. T. D. De manière plus générale, en prenant la défense des intérêts de nos clients, nous contribuons au bon fonctionnement de la justice, qui est un des fondamentaux de l’état de droit. Nous pouvons y prendre une part active, et c’est très valorisant.
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Le métier d’expert-comptable La directrice générale de l’Ordre des experts-comptables (OEC), Virginie Toth, et la directrice générale d’Omnitrust, Aurore Calvi, présentent le métier méconnu d’expert-comptable. Journaliste MICHAËL PEIFFER
« Nous ne parlons pas que des chiffres. » AURORE CALVI Directrice générale Omnitrust
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Quel est le rôle de l’expert-comptable au quotidien ? Virginie Toth (V. T.) Avant toute chose, il est important de préciser qu’au Luxembourg, il existe une distinction entre le métier de comptable et celui d’expert-comptable, que l’on ne retrouve pas dans nos pays voisins, comme la Belgique ou la France. Pour exercer en tant qu’expert-comptable, il faut notamment détenir une autorisation d’établissement délivrée par le ministère de l’Économie et être enregistré auprès de l’Ordre des experts-comptables qui, en tant que régulateur, impose de suivre certaines règles précises à ses membres. Aurore Calvi (A. C.) Pour donner un exemple pratique, seul un expert-comptable est habilité à effectuer la comptabilité de sociétés dont le pied de bilan est supérieur à 2,3 millions d’euros et dont le chiffre d’affaires est de plus de 4,6 millions d’euros. Il peut également offrir des services de domiciliation, à l’instar des avocats et des PSF de support, ce que ne peut pas faire un simple comptable. Cette distinction faite, le comptable et l’expert-comptable doivent l’un comme l’autre s’assurer de l’exactitude des comptes de leurs clients, dans le respect des normes et des règles en vigueur. L’expert-comptable aura souvent une plus
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grande maîtrise dans l’analyse et le conseil économique et financier qu’il peut offrir à ses clients, même si d’excellents comptables le font aussi très bien. Ces deux professions différentes cohabitent souvent dans la plupart des cabinets aujourd’hui, ce qui prête encore souvent à confusion. Comment évolue le métier d’expert-comptable ? A. C. Comme dans bien d’autres domaines, nous sommes confrontés à une importante augmentation des obligations réglementaires. Il est évident que l’introduction du plan comptable normalisé ou de nouvelles normes standardisées pour la présentation des comptes sont de bonnes choses pour notre métier. Voici quelques années encore, chacun appliquait son propre plan comptable, plus ou moins inspiré de ce qui se faisait en France ou en Belgique. Aujourd’hui, les mêmes règles s’appliquent à tout le monde et l’analyse des chiffres est plus aisée. V. T. L’Ordre mène un travail constant, notamment au travers de différentes commissions, afin de suivre les projets de loi en cours, mais aussi pour émettre des avis et interpeller les élus quand cela est nécessaire pour, au final, aider ses membres à respecter les règles de conformité. Pour donner un exemple, nous
avons notamment organisé des journées autour de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB / FT). Lors de ces journées, nos membres sont invités à venir poser leurs questions, amener leurs dossiers et lever les points d’incompréhension…
réglementaires si nous n’avions pas d’outils pour nous soutenir dans cette tâche. Dès l’entrée en relation avec un potentiel client, nous devons lui demander pourquoi il veut travailler avec nous et quelle est sa raison d’être au Luxembourg. Nous devons comprendre son activité, revoir la structuration de sa clientèle, nous assurer de la Quel est l’impact de la digitalisation provenance des fonds et à quoi ils vont sersur votre métier ? Aujourd’hui déjà, vir. Ces mêmes questions lui seront posées le simple encodage de factures peut par son notaire, sa banque… Nous sommes se faire de façon automatisée par tous soumis aux mêmes obligations de des logiciels. Comment voyez-vous contrôle, et cela peut se révéler quelque cette évolution ? peu frustrant pour le client. A. C. Nous voyons cette évolution de V. T. Il est clair que des améliorations façon positive. La digitalisation, et notam- seraient les bienvenues dans ce domaine. ment l’automatisation de certaines tâches, Chaque acteur est obligé de faire sa propre va nous permettre d’être plus rapides dans due diligence et sa propre analyse de le traitement de certains documents et de consacrer davantage de temps pour analyser les données et offrir un conseil de qualité à nos clients, ce qui est véritablement au cœur de notre métier. Chaque client est différent. Il a construit son histoire autour de son activité et notre rôle est de l’accompagner, le conseiller. Lorsqu’il vient discuter avec son expert-comptable, nous ne parlons pas que de chiffres, mais aussi de sa stratégie, de ses projets, de ses envies. Nous l’aidons à mettre en place un budget prévisionnel, un suivi du cash flow. Nous poussons l’analyse de façon plus détaillée pour revoir les produits proposés, évaluer leur rentabilité… V. T. Nous n’avons clairement pas peur que la profession d’expert-comptable disparaisse dans 10 ans. La véritable valeur VIRGINIE TOTH ajoutée se situe au niveau du conseil et de Directrice générale l’accompagnement. Bien sûr, certains proOrdre des experts-comptables fils vont devoir s’adapter à cette évolution. Mais il en va ainsi dans de nombreux métiers. Certains devront améliorer leurs compétences en communication, sortir davantage de leur bureau pour aller à la rencontre de leurs clients. Cette digitalisation est une bonne chose dans le sens où elle vient aider le métier dans les réponses qu’il peut apporter sur des sujets comme la LCB / FT, les paperless policies, le RGPD, la facturation électronique… Ces évolutions réglementaires demandent de mettre en place des outils digitaux performants. A. C. Pour ne prendre qu’un exemple, le règlement AML évolue tellement qu’il serait compliqué de respecter nos obligations
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OEC et Omnitrust
« L’attractivité des talents est un sujet que le pays doit prendre à brasle-corps. »
LES INFOS-CLÉS À SAVOIR SUR LE MÉTIER Accès réglementé Pour pouvoir exercer la profession d’expert-comptable au Luxembourg, le professionnel doit disposer d’une autorisation d’établissement délivrée par le ministère de l’Économie. Pour l’obtenir, il doit respecter trois conditions. Il doit tout d’abord disposer, au minimum, d’un bachelor en études économiques, financières, de gestion, de droit des affaires ou équivalent. Il doit également prouver l’exercice d’une pratique professionnelle de trois ans dans la branche, dont un an au moins auprès d’un expert-comptable dûment établi. Dernier point, il doit réussir le test d’aptitude qui vient clôturer la formation complémentaire des candidats réviseurs d’entreprises et experts-comptables organisée par l’Université de Luxembourg. Par définition, l’expertcomptable est un prestataire de services indépendant qui, pour ses clients : • organise, apprécie et redresse les comptabilités et les comptes de toute nature ; • établit les comptes annuels et / ou les comptes consolidés ; • analyse, par les procédés de la technique comptable, la situation et le fonctionnement des entreprises et organismes sous leurs différents aspects économiques et financiers. Ce faisant, les activités de l’expert-comptable comportent encore bien d’autres services rendus aux entreprises tels que le conseil et la planification en matière de fiscalité directe et indirecte, la domiciliation de société, le contrôle contractuel des comptes, le secrétariat social et l’accompagnement en matière de droit du travail, etc.
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Coup de projecteur sur... Le métier d’expert-comptable
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risques par rapport à ce nouveau client, mais on pourrait imaginer la création d’un point d’entrée unique qui permettrait de récolter et de partager certaines données. Revenons-en au métier. Quelles sont les qualités d’un bon expert-comptable à vos yeux ? A. C. Un bon expert-comptable doit être en mesure d’expliquer les obligations et les responsabilités qui incombent à son client. La communication est donc un point essentiel. Il faut aussi savoir écouter, comprendre l’histoire, le vécu de chaque entrepreneur. V. T. Il faut également faire preuve de rigueur, être bien organisé, capable de passer d’une tâche à une autre, d’un sujet à l’autre. A. C. J’insiste sur ce travail d’écoute, qui est finalement primordial. Bien plus que de simples prestataires, nous sommes de véritables partenaires pour nos clients. Il arrive souvent qu’on en sache plus sur la vie professionnelle de notre client que sa propre épouse. Nous avons une vue précise sur sa société, il partage avec nous sa stratégie, ses projets. Il s’agit d’une véritable relation de confiance qui s’installe dans la durée. C’est ce qui rend ce métier si intéressant et agréable. Voyez-vous d’autres défis à venir ? V. T. Le projet de loi ayant pour objet la refonte du droit comptable luxembourgeois applicable aux entreprises, qui a été déposé le 28 juillet dernier à la Chambre des députés, va entraîner de nombreux changements pour notre profession. Le processus législatif de transposition en droit national devrait durer environ un ou deux ans. La loi devrait donc entrer en vigueur vers la fin de l’année 2024 ou en 2025 et serait donc applicable pour la première fois aux comptes annuels et consolidés des sociétés pour les exercices commençant le 1er janvier 2025 ou au cours de l’exercice 2025. A. C. L’un des grands changements apportés par ce nouveau texte est la création d’un nouveau statut de micro-entreprise. Il s’agit d’entreprises dont le chiffre d’affaires net ne dépasse pas 700.000 euros et dont le total du bilan est de maximum 300.000 euros. Ces sociétés seront 46
Au Luxembourg, la profession d’expert-comptable compte environ 1.200 personnes physiques et 560 cabinets. L’Ordre des experts-comptables du Luxembourg a été créé par la loi modifiée du 10 juin 1999 portant organisation de la profession d’expert-comptable. Il a notamment pour missions de : • défendre les droits et intérêts de la profession ; • accorder l’honorariat aux experts-comptables ayant présenté leur démission ; • assurer la défense de l’honneur et l’indépendance des experts-comptables en veillant notamment à l’application de la réglementation professionnelle et au respect, par les experts-comptables, des normes et devoirs professionnels ; • maintenir la discipline entre les experts-comptables et exercer le pouvoir disciplinaire par son conseil de discipline ; • prévenir ou concilier tous différends entre les experts-comptables d’une part et entre les experts-comptables et les tiers d’autre part ; • veiller au respect, par les experts-comptables, de leurs obligations découlant de la législation en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme.
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dispensées d’établir une annexe aux comptes annuels. Il est également proposé de revoir le seuil pour la définition d’une petite entreprise. En parallèle, une obligation d’audit sera instaurée pour la nouvelle catégorie des grandes entreprises holding… Il a aussi été décidé de supprimer purement et simplement la fonction de commissaire aux comptes dans sa forme actuelle pour éviter l’incompréhension de certains investisseurs étrangers quant à la mission de contrôle dévolue au commissaire ou la confusion dans un contexte international entre le commissaire luxembourgeois et des professionnels de l’audit. Mais ce sujet mérite d’être discuté et approfondi. V. T. Un autre défi, très actuel celui-là, concerne les problématiques liées à l’ouverture d’un compte bancaire au Luxembourg. En termes d’attractivité de la Place, le signal n’est pas le bon. On dit vouloir attirer de nouveaux acteurs sur le territoire et ceux-ci éprouvent les pires difficultés dès l’entrée en relation avec une banque… Vous parlez d’attractivité. Qu’en est-il du recrutement dans votre secteur ? V. T. Il s’agit là encore d’un véritable défi, mais ce n’est pas propre à notre secteur. L’attractivité des talents est un sujet que le pays doit prendre à bras-le-corps et rapidement. Nous avons lu avec attention les propositions du nouveau gouvernement et nous attendons des gestes concrets tant au niveau du logement que de la mobilité des frontaliers et des règles liées au télétravail…
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Elisabeth Adam, Tax Partner at Elvinger Hoss Prussen.
Interest-free loan .... Is it equity or debt? In a recent ruling dated 23 November 2023 (CA 48125C), the Administrative Court confirmed that an interest-free loan remains, given the circumstances, a loan ... but what criteria did it apply? The tax authorities (TA) took the view that an interestfree loan (IFL) granted by a shareholder should be seen as equity of the subsidiary under §11 Steueranpassungsgesetz, and thus refused the deduction of notional interest applied in accordance with transfer pricing principles and Articles 56 and 56bis of the Income Tax Act (ITA). The limited recourse clause, the absence of compensation in case of poor performance of the contract, the applied loan/equity ratio and the absence of interest rate would demonstrate the hidden contribution. The Administrative Court did not accept the State’s arguments and applied the criteria discussed in the parliamentary proceedings relating to the ITA and previously adopted by the case law.
It recalled that the qualification depends on an analysis of the financial characteristics of the loan and an analysis of the transaction as a whole, and not of certain characteristics only, to determine whether the transaction corresponds to the normal method of financing dictated by serious economic or legal considerations. After examining the contractual terms of the agreement and the economic aspects of the transaction, the Court concluded that the majority of the points relevant to classify the instrument as debt (maturity/repayment, normal debt to equity ratio, absence of profit participating clause, absence of conversion by the borrower, absence of stapling) were met and that, despite the absence of interest and security, notional interest should thus be recognised by the TA.
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Le métier de compliance officer Les crises de 2008 ont donné naissance à un vaste mouvement permanent de nouvelles réglementations. Au cœur de leurs mises en œuvre, le compliance officer joue un rôle ingrat. Présentation avec la directrice de l’Alco, Marie Grillot. Journaliste MICHAËL PEIFFER
Quel a été votre parcours avant de devenir directrice de l’Alco, l’Association luxembourgeoise des compliance officers, en 2021 ? Je suis diplômée de la Neoma Business School à Reims depuis 2008. J’ai commencé ma carrière professionnelle au Luxembourg chez PwC en tant qu’auditrice externe. En 2010, j’ai rejoint Société Générale au poste d’auditrice interne et, six ans plus tard, je suis devenue responsable adjointe de la conformité et responsable de la lutte anti-blanchiment au sein de Sogelife, la branche assurance-vie de Société Générale. J’y occupais le poste de money laundering reporting officer (MLRO). Depuis le 1er juin 2021, j’ai pris la direction de l’Alco, fonction qui n’existait pas auparavant. En résumé, lorsque j’étais active dans l’audit interne, j’ai saisi l’opportunité qui m’était donnée de m’orienter davantage vers la conformité. Je connaissais déjà ce domaine pour avoir audité des départements sur ces aspects. On retrouve d’ailleurs de nombreuses similitudes entre ces deux fonctions, qui se basent sur l’analyse et demandent de grandes capacités d’adaptation. Malgré certains a priori négatifs, ces métiers permettent de s’occuper de sujets très diversifiés, qui demandent de la réflexion, ce qui fait que l’on ne s’ennuie jamais. 48
« Il est impossible de décrire la journée type d’un compliance officer, vu la grande variété des fonctions et des expertises. MARIE GRILLOT Directrice Alco, l’Association luxembourgeoise des compliance officers
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Comment évolue le métier ? Quels sont les grands sujets du moment ? Le 28 novembre dernier, nous avons justement organisé un événement dont l’un des thèmes était l’évolution du métier de compliance officer d’hier à aujourd’hui, tout en pensant déjà à demain. Au fur et à mesure que le temps passe, le rôle du compliance officer gagne en importance. Au départ, il était vu comme un simple conseiller alors qu’il occupe aujourd’hui un rôle incontournable pour tout ce qui touche à la stratégie de l’entreprise. Cette évolution, rapide, est évidemment due à la multiplication des réglementations auxquelles sont soumises les entreprises, dans de très nombreux secteurs d’activité. Cette réglementation se renforce et va continuer à le faire. C’est aussi ça qui fait la beauté du métier. Dans le passé, le métier était avant tout lié à l’éthique de l’entreprise. Ensuite, des règles de base puis des règles de gouvernance ont fait leur apparition. Cette évolution fait qu’il est devenu difficile pour un compliance officer de maîtriser tous les sujets. Hormis dans certaines entreprises où il est encore le couteau suisse qui navigue d’une réglementation à l’autre, on assiste aujourd’hui à une spécialisation du métier en fonction de sujets comme l’ESG, la lutte anti-blanchiment, le
RGPD, Mifid, etc. Les rôles sont de plus en indépendante, un statut prévu par la loi. plus définis. Il a directement accès au conseil d’admiUne autre évolution touche à la digita- nistration de l’entreprise ainsi qu’aux lisation. La première étape a été franchie autorités de surveillance. Nous l’avons avec l’utilisation des outils de screening, déjà évoqué, mais c’est aussi une fonction ce qui nous a permis de gagner du temps qui prend de plus en plus de poids dans pour vérifier que des noms ne figuraient l’entreprise. Aujourd’hui, il se trouve au pas sur certaines listes de terroristes par cœur de la stratégie et vient conseiller la exemple. À l’avenir, il est clair que l’utili- direction qui est obligée de prendre en sation de nouveaux outils digitaux et l’in- compte les questions de conformité dans tégration de l’intelligence artificielle toutes ses décisions stratégiques ou pourraient nous soutenir dans nos tâches. business. Après, il est impossible de Ce sont des sujets à garder à l’œil et le décrire la journée type d’un compliance métier va devoir s’adapter. officer, vu la grande variété des fonctions et des expertises. Au quotidien, son rôle Comment parvenir à suivre toutes est toutefois de s’assurer que la réglemences évolutions ? tation est bien appliquée, que l’entreprise Un point important réside dans le partage de nos connaissances sur les sujets qui nous occupent. Notre association est là pour aider les compliance officers de la Place. Nous évoluons avec eux. Si chaque personne travaille pour une entreprise différente, dans un secteur différent, avec des tailles et des stratégies différentes, certaines informations communes peuvent être échangées dans le but d’aider tout le monde à résoudre les problématiques rencontrées. Cette idée de partage réside également dans les solutions qui arrivent sur le marché. Des entreprises comme i-Hub, spécialisée dans la gestion des processus liés à la connaissance client (KYC), viennent simplifier certains processus pour une grande variété d’acteurs du secteur finanMARIE GRILLOT cier, des fonds et des assurances. Partager Directrice des process et des données entre acteurs, Alco, l’Association luxembourgeoise sur des aspects non concurrentiels, me des compliance semble aujourd’hui essentiel. Ce n’est pas officers sur la récupération d’une pièce d’identité qu’une banque va faire la différence par rapport à une autre. Du coup, aujourd’hui, on voit une volonté de standardiser certaines choses, à la fois dans l’intérêt du client qui profite d’une meilleure expérience utilisateur et dans celui du compliance officer qui peut se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais cette tendance est bien d’actualité.
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Matic Zorman (archives)
« Un respon– sable de la conformité n’est pas que dans le contrôle. »
LES INFOS-CLÉS À SAVOIR SUR LE MÉTIER Les études « Il n’y a pas de parcours type pour devenir compliance officer, constate Marie Grillot, la directrice de l’Alco. Vous pouvez sortir d’une école de commerce, d’études en droit, mais on voit aussi des compliance officers qui ont étudié les sciences humaines. Il faut aussi souligner que de nombreuses formations existent sur une très grande variété de sujets en lien avec le métier de compliance officer. » Le métier La compliance peut être définie comme un ensemble de techniques, juridiques et de gestion, dont la mise en œuvre est imposée aux entreprises dans le but de contrôler l’application effective des règles éthiques et juridiques qui leur sont applicables et de diminuer le risque d’infraction à ces règles. Évolution de carrière « Ce métier permet de toucher à beaucoup d’aspects de la vie d’une entreprise, poursuit Marie Grillot. Il est donc possible d’évoluer au sein d’une même entreprise, en devenant par exemple expert sur une thématique particulière. Grâce à l’expérience acquise, le compliance officer peut aussi s’orienter vers des postes de gestionnaire de projet, d’auditeur interne, de COO, d’administrateur externe, ou encore rejoindre des sociétés de conseil ou des autorités de surveillance. De nombreuses portes sont ouvertes. »
Quel est le rôle principal du compliance officer au quotidien ? Premier élément à connaître, le compliance officer occupe une fonction JANVIER 2024 TAX, ACCOUNTING & LEGAL
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Coup de projecteur sur... Le métier de compliance officer
fonctionne correctement, que ce soit visà-vis de ses règles internes ou des règles externes. C’est le dénominateur commun. Ensuite, cela peut se faire d’une multitude de manières. Quelles sont les compétences, les qualités requises pour être un bon compliance officer ? L’agilité est une qualité essentielle à mes yeux. Il faut être en mesure de rebondir rapidement en fonction des événements, être capable de passer d’un sujet à un autre, d’une priorité à une autre. Ensuite, il faut avoir de bonnes capacités d’analyse sur un sujet particulier, tout en gardant une vue d’ensemble de la problématique. Il faut aussi avoir la capacité de synthétiser des informations, que ce soit une analyse faite sur un client ou sur une réglementation. L’objectif est de produire des informations qui sont accessibles et claires pour les autres personnes qui vont lire le texte, mais aussi pour le régulateur, afin que tout le monde comprenne notre histoire. D’autres qualités sont la proactivité et le dynamisme. Nous l’avons dit, la réglementation est en constante évolution et il y a toujours un nouveau sujet à connaître. Il faut donc continuer en permanence à s’informer, se former, anticiper les sujets qui vont nous toucher pour être force de proposition. Notre rôle est de trouver des solutions. Il faut bien comprendre qu’un responsable de la conformité n’est pas que dans le contrôle. Il est aussi là pour aider les commerciaux, pour agir dans les règles, tout en cherchant la solution qui va permettre au business de tourner, à chacun de travailler. Afin de soutenir le métier, l’Alco a développé un programme de formations en partenariat avec la House of Training. La communication est un autre point important. La conformité est un sujet qui touche plusieurs départements de l’entreprise et qui met aussi certains compliance officers en relation directe avec les clients dans certaines compagnies. Il faut donc être en mesure de faire passer les messages, avec diplomatie, mais aussi avec fermeté quand c’est nécessaire. Je dirais enfin qu’il faut avoir les reins solides. La conformité est souvent challengée au sein de l’entreprise. Une pression constante est 50
UNE ASSOCIATION DYNAMIQUE Créée en 2000, l’Association luxembourgeoise des compliance officers (Alco) est présidée par Hervé Ballone, conducting officer, chief compliance officer et MLRO au sein de Carlyle Group (CIM Europe), Marie Bourlond, chief compliance officer de la Bil, et Vincent Salzinger, chief compliance officer au sein de Credit Suisse Luxembourg. L’Alco réunit des compliance officers, mais aussi d’autres professionnels qui s’intéressent à la compliance, issus de nombreux secteurs d’activité, les banques (24 %) et les management companies (31 %) étant les plus représentées. Fin 2023, l’association compte environ 1.500 membres. Elle organise de nombreuses formations en partenariat avec la House of Training et a mis en place 16 groupes de travail, auxquels participent 300 membres. L’Alco est aussi partie prenante des comités et autres groupes de travail de la place financière, à ce titre, elle est en contact direct et régulier avec les régulateurs.
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mise sur les épaules du compliance officer par les départements commerciaux qui veulent avancer, les organes de contrôle qu’il faut contenter… Il faut donc savoir tenir la pression, les délais, les imprévus et garder un certain recul par rapport à tous ces éléments. Le métier bénéficie encore trop souvent d’une image négative dans l’entreprise ou à l’extérieur de celle-ci. Comment lutter contre cela ? Je pense qu’il faut avant tout être positif. C’est vrai que quand vous parlez de conformité autour de vous, on vous réduit souvent à un simple rôle de contrôleur, d’empêcheur de tourner en rond. Vous êtes la personne qui dit non… Pour contrer ces a priori, je pense qu’il faut développer une attitude positive, être souriant et capable de faire passer les messages pour que les personnes que vous avez en face de vous comprennent l’intérêt de votre rôle. Contrairement à ce que beaucoup pensent, c’est un métier passionnant et il est important de le démontrer par son attitude. C’est une fonction qui permet d’être proche des gens et d’apprendre tout le temps de nouvelles choses. Il faut sortir de l’idée que nous sommes dans une fonction de contrôle pur et dur. Nous sommes là pour trouver des solutions dans l’intérêt de l’entreprise. Finalement, c’est un métier qui a du sens parce qu’on est clairement dans l’éthique. Par mon action, j’ai l’impression de rendre le monde meilleur et de lutter contre la criminalité.
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Conversation Raoul Mulheims
« Permettre aux acteurs régulés de mieux appréhender leurs obligations» Le CEO de Finologee, Raoul Mulheims, revient sur le développement des acteurs de la regtech au Luxembourg. Il évoque leur rôle, aux côtés des entités régulées, pour leur permettre de faire face à une pression réglementaire croissante. Journaliste SÉBASTIEN LAMBOTTE
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Portrait ROMAIN GAMBA
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« Dans les faits, les résultats de PSD2 ne sont pas à la hauteur », analyse Raoul Mulheims.
Conversation Raoul Mulheims
La dernière mise à jour sur la directive des services de paiement (PSD2) a permis à Finologee de se positionner sur le marché. À quels enjeux réglementaires venait-elle répondre ? Elle traduit une approche que nous avons toujours mise en œuvre en tant qu’entrepreneurs. Finologee met à disposition une plateforme mutualisée qui répond à un besoin partagé par divers acteurs de la Place. PSD2, en l’occurrence, introduisait l’obligation pour les institutions bancaires de partager les informations des comptes de paiement de leurs clients qui en avaient donné l’autorisation à un tiers. Afin de permettre aux banques de se mettre en conformité, nous avons développé une plateforme permettant d’assurer la gestion des consentements accordés à des tiers par leurs clients. Cette logique de plateforme était déjà présente dans nos précédentes aventures entrepreneuriales, Digicash et Mpulse. L’idée était de permettre aux acteurs d’intégrer des innovations ou de transformer plus efficacement leurs processus au départ de solutions technologiques mutualisées, que l’on peut adapter en fonction du besoin de chacun.
Quel est l’intérêt des acteurs financiers pour ce type de plateforme ? La réglementation impose un ensemble d’obligations, les mêmes pour tous les acteurs. L’idée, à travers une logique de plateforme, est de mutualiser les efforts. Nous mettons à leur disposition un ensemble de services, conformes à la réglementation, leur permettant de répondre efficacement à leurs exigences en matière de conformité. Un bon nombre de ces réglementations visent la protection du consommateur. La mise en conformité implique des coûts parfois conséquents sans forcément générer de la valeur pour les acteurs financiers ou même pour leurs clients, surtout quand les services sont proposés uniquement à une clientèle professionnelle ou de banque privée. L’intérêt de l’agrégation de comptes ou de l’initiation de paiements, par exemple, présente un intérêt plus grand dans le monde de la banque retail. Par contre, pour les acteurs présents au Luxembourg pour servir une clientèle internationale fortunée, l’intérêt pour ces échanges de données est moindre. La clientèle elle-même n’est pas demandeuse de ce type de solutions. Et pourtant, les institutions sont soumises aux mêmes obligations. Nos solutions leur permettent d’appréhender ces enjeux, en capitalisant sur notre expertise et sur l’infrastructure que nous avons mise en place.
« Les initiatives ont été plutôt timorées. »
Au-delà de ce service lié à PSD2, comment a évolué la plateforme Finologee ? Depuis lors, d’autres fonctionnalités ont été déployées pour répondre à des besoins de conformité des acteurs du secteur. On peut citer KYC Manager, une solution numérique qui soutient les acteurs financiers vis-à-vis de leurs obligations en D’autres réglementations pointent matière de KYC et AML. Elle facilite les à l’horizon. PSD3 ou encore FIDA démarches liées à l’onboarding, à la remé- veulent renforcer l’émergence de l’open diation des informations et à la gestion finance. Comment les acteurs apprédu cycle de vie des dossiers des clients. hendent-ils ces évolutions ? Et comment Enpay, récemment renommée en Lynks, les regtech peuvent-ils les soutenir ? d’autre part, est une plateforme profes- Avant d’évoquer les défis liés à ces évolusionnelle dédiée aux paiements et à la ges- tions réglementaires, il y a lieu de revenir tion de l’accès aux comptes multibanques. sur les ambitions que portait PSD2 et les Elle permet à des organisations d’accéder résultats engrangés à la suite de sa mise en efficacement à tous les soldes, transac- œuvre. La volonté du législateur européen tions et rapports de tous leurs comptes de était d’inviter les acteurs à s’engager dans paiement et comptes titres en un seul une démarche d’open banking, de soutenir endroit. Grâce à sa connexion directe au l’innovation en démocratisant l’accès aux réseau de messagerie financière Swift, la données des comptes de paiement. Si l’inplateforme permet un accès bancaire pra- tention était bonne, on constate que, dans tiquement illimité dans le monde entier. les faits, les résultats ne sont pas à la hau54
TAX, ACCOUNTING & LEGAL JANVIER 2024
LES PRINCIPALES RAISONS D’UTILISER LES REGTECH
Changements réglementaires en cours
Pression sur les coûts
Besoin d’efficience
Besoin d’efficacité
Organiser des informations complexes
Intégration des données réglementaires
Autres
47 %
20 %
AML/CFT
80 %
60 %
90 %
67 %
60 %
Prévention de la fraude
40 %
35 %
60 %
75 %
40 %
Rapports prudentiels
85 %
69 %
85 %
46 %
54 %
Sécurité des TIC
70 %
50 %
50 %
60 %
60 %
Accès web 60 % pour les clients
40 %
60 %
60 %
40 %
40 %
80 %
59 %
80 %
66 %
73 %
61 %
Autres
20 % 85 %
15 % 15 %
10 %
22 %
Source
EBA analysis of regtech in the EU financial sector (juin 2021)
Du point de vue des fournisseurs de regtech, par segment.
teur des attentes. Peu de personnes ont effectivement agrégé les données de leurs différents comptes. Cette ambition s’est heurtée à des freins, comme la nécessité de renouveler le consentement ou, si l’on parle d’initiation de paiement, l’exigence d’obtenir une autorisation du client pour chaque transaction en passant par le canal d’autorisation de sa banque. On espérait voir de nouveaux acteurs émerger, de nouveaux services se développer. Les initiatives ont été plutôt timorées. Les évolutions réglementaires à venir dans le domaine du paiement sont-elles de nature à lever ces freins ? En juin dernier, la Commission européenne a publié un ensemble de propositions relatives aux services de paiement. La volonté est de modifier et de moderniser l’actuelle directive sur les services de paiement PSD2 – qui deviendra PSD3 – et d’établir, en outre, un règlement sur les services de paiement (PSR). À travers ce paquet «paiements», il s’agit de poursuivre
plusieurs objectifs. Le premier est de renforcer la protection des utilisateurs et la confiance dans les paiements, à travers un ensemble de nouveaux mécanismes de lutte contre la fraude, comme la vérification de l’IBAN pour tous les virements. Il s’agit aussi d’améliorer la compétitivité des services d’open banking, en facilitant l’accès aux données par les prestataires tiers tout en fournissant à l’utilisateur un tableau de bord qui lui permet de vérifier et de gérer les consentements qu’il a octroyés. La durée de validité du consentement a aussi été allongée à 180 jours au lieu de 90. Qu’est-ce que ces évolutions impliquent pour vos clients ? Cela va exiger qu’ils adaptent leurs systèmes pour répondre à ces nouvelles exigences. En la matière, notre rôle est d’être prêts, une fois les textes finalisés, à répondre aux besoins spécifiques de nos clients et leur assurer une conformité totale avec les nouvelles mesures dans les
meilleurs délais. Le rôle des regtech, à ce niveau, est de leur permettre d’appréhender plus efficacement ces évolutions réglementaires au départ de plateformes transactionnelles efficaces et d’une expertise opérationnelle dédiée à ces enjeux. Quelles ambitions poursuit la nouvelle réglementation européenne Financial Data Access (FiDA) ? Alors que PSD3 et PSR se concentrent sur les paiements, FiDA vise un périmètre beaucoup plus large, avec de réels défis pour l’ensemble des acteurs. La volonté est de permettre aux consommateurs et aux entreprises d’autoriser des tiers à accéder à leurs données détenues par des institutions financières. À quelques exceptions près, tous les produits financiers seront concernés. La vraie difficulté sera de déterminer comment partager toutes ces données de manière pertinente. Lorsque l’on parle de paiement, les données échangées sont limitées et relativement simples. Il s’agit de l’identité du
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55
Conversation Raoul Mulheims
payeur et du bénéficiaire, du montant et de la date de la transaction. Si l’on parle d’un contrat d’assurance, par contre, le nombre de variables à prendre en considération est beaucoup plus important. D’une compagnie à l’autre, selon les contrats, il n’y a, à ce jour, que peu d’éléments harmonisés. Une telle transformation implique de parvenir à appréhender une réelle complexité. La voie réglementaire constitue-t-elle le levier le plus opportun pour soutenir l’innovation ? Si l’on considère FiDA, on peut se demander si le partage de l’ensemble des données financières pour autant de contextes et de segments de l’industrie financière est réellement pertinent, cela même s’il est prévu qu’un effort de normalisation devra être réalisé par l’industrie, ou, à défaut, par l’autorité nationale compétente. N’aurait-il pas mieux valu se concentrer sur des ensembles d’informations et des contextes déterminés, pour lesquels il y a un réel intérêt pour un partage, en considérant les attentes et les besoins des clients et citoyens, afin de générer une vraie valeur ajoutée ?
« Soutenir l’émergence de nouvelles idées. »
Pour vous, en tant que regtech, ces évolutions réglementaires ne sont-elles pas de nature à soutenir le développement de l’activité ? Si, bien sûr. Notre rôle, évidemment, est d’aider les acteurs à appréhender ces nouvelles obligations. Le renforcement des exigences réglementaires a contribué à l’accélération du développement de l’activité regtech au Luxembourg et ailleurs. C’est le plus souvent pour répondre à une nécessité que les entités régulées se tournent vers les acteurs de la regtech. Toutefois, il ne faut pas limiter le rôle de structures comme la nôtre à cela. Les solutions proposées par des acteurs innovants émanant de notre écosystème contribuent à d’autres enjeux, comme à une meilleure gestion des risques, à l’amélioration de certains processus. Dans beaucoup de structures, de nombreux workflows liés à la conformité sont encore effectués de 56
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manière manuelle. Il y a lieu d’apporter des solutions qui permettent d’améliorer les traitements tout en soulageant la société de coûts prohibitifs et en améliorant le service au client. À l’avenir, quels sont les principaux défis qui attendent les regtech ? Nous sommes aussi soumis à un ensemble de réglementations. L’un des grands défis qui nous attendent a trait au recours à la sous-traitance, notamment en raison de l’adoption de Dora et des guidelines de l’European Banking Authority en la matière. Les nouvelles exigences de contrôle des fournisseurs de services par les entités régulées pourraient constituer un frein à l’adoption de solutions regtech. Ces réglementations, notamment, exigent de chaque institution financière qu’elle s’assure l’intégrité de l’ensemble des acteurs tout au long d’une chaîne de valeur, en vue de garantir la sécurité des données et des services. Dans beaucoup de cas, cela peut s’avérer compliqué et freiner des acteurs à externaliser certains processus. L’esprit des textes, tels qu’adoptés, ne favorise pas nécessairement la mutualisation. Les approches mutualisées devraient permettre la possibilité d’un partage, voire une décharge de responsabilité, du moment que l’on fait appel à ce tiers de confiance auquel on fait appel pour la sous-traitante. L’idée défendue, au départ, n’est-elle pas de s’appuyer sur des partenaires extérieurs pour mieux appréhender cette pression réglementaire ? Si. Un acteur de la regtech va, par rapport à un besoin bien précis, développer une solution robuste, qui peut facilement monter en puissance pour servir un grand nombre d’acteurs. C’est à ce niveau que l’on peut faire des économies d’échelle tout en garantissant des traitements efficaces et conformes à la réglementation. Cependant, un texte comme Dora, dont la visée est de soutenir la résilience des acteurs et du système, pourrait entraver le développement de la regtech. J’ai parfois l’impression que l’approche actuellement envisagée part d’un principe de méfiance vis-à-vis de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. Vis-à-vis
MARDI
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Pour rester une Place financière internationale, Luxembourg applique un processus de transformation continue. À l’horizon 2035, le paysage financier luxembourgeois aura fortement évolué, sous l’effet de l’innovation technologique, de l’évolution des attentes des clients et influencé par les nouvelles tendances mondiales. À quoi ressemblera notre place financière dans une dizaine d’années ? Dix experts exprimeront un avis sur l’avenir des métiers de la finance au Luxembourg. Luxembourg is undergoing a process of continuous transformation as an international financial centre. By 2035, Luxembourg’s economic landscape will have evolved considerably, driven by technological innovation, evolving customer expectations and shifting global trends. What will our financial marketplace look like in a decade’s time? Ten experts offer their views on the future of finance in Luxembourg.
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Conversation Raoul Mulheims
de chaque sous-traitant, les institutions financières sont amenées à opérer une évaluation, à documenter un certain nombre de garanties. Pour des acteurs innovants, aux ressources limitées, cela peut s’avérer très lourd à gérer, d’autant plus qu’une mutualisation de ces contrôles, par exemple par une certification ex-ante, n’est pas réellement prévue. Au final, la démarche pourrait être contre-productive, avec des acteurs qui commencent déjà aujourd’hui à faire le choix de réinternaliser certains services et se contentant de faire le minimum requis parce qu’ils ne disposent pas de toute l’expertise nécessaire. Comment appréhender ces enjeux ? Selon moi, il serait préférable de considérer une autre approche, comme en proposant une approbation des solutions disponibles sur le marché. Les acteurs de la regtech, au départ de la logique de plateforme que nous avons évoquée, contribuent à leur niveau à la résilience du secteur, à répondre plus efficacement aux obligations réglementaires, à réduire les risques, à renforcer les contrôles. L’idée, dès lors, serait d’établir un cadre clair, leur permettant de continuer à innover, en les encourageant à développer des solutions qui contribuent à répondre efficacement aux exigences réglementaires tout en permettant à chacun de mieux servir ses clients. Le régulateur, à ce titre, pourrait reconnaître un ensemble d’acteurs et de produits pour peu qu’ils aient, à leur niveau, apporté des garanties de confiance, de conformité et de sécurité. La définition de ce cadre clair serait de nature à encourager les acteurs de la regtech à investir davantage dans de nouvelles solutions tout en facilitant la mise en relation avec les entités régulées qu’elles souhaitent servir. Les utilisateurs de ces solutions, donc les banques et autres acteurs de la finance, pourraient de leur côté plus facilement se reposer sur ce genre de certification ou d’approbation tout en évaluant bien sûr le risque de sous-traitance dans leur contexte spécifique. C’est d’ailleurs dans cette direction que le statut de PSF de support pourrait peut-être évoluer à terme. 58
LUXEMBOURG DANS LE REGTECH 100 LuxHub, Governance.com et ScoreChain font partie de la dernière édition du Regtech100, dévoilée en février dernier. Par rapport à l’édition précédente, la sélection a été renouvelée à 60 %, signe de la vitalité et des enjeux du secteur. Jusqu’alors, Finologee était le seul acteur luxembourgeois à avoir figuré dans ce classement (2020-2021). Si la regtech n’a pas été reprise dans la dernière sélection (mais ce n’est que partie remise), voir figurer trois acteurs issus du GrandDuché traduit aussi le dynamisme des acteurs en la matière.
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Les réglementations étant les mêmes pour tous, ne pourrait-on pas aussi imaginer des solutions uniques pour chacune d’elles ? Cela s’est déjà vu au Luxembourg. Cetrel, à l’époque, était une solution qui venait répondre à un besoin commun au Luxembourg, pour la gestion des cartes bancaires. LuxTrust, autre exemple, est le fruit d’un consortium des banques et de l’Administration publique qui vise à offrir des garanties de confiance aux utilisateurs opérant des transactions en ligne. Aujourd’hui, elle est utilisée par toutes les banques de détail. Si l’on parle de regtech, i-Hub ou LuxHub, structures détenues par les plus grandes banques du pays, viennent répondre à des besoins réglementaires communs d’un certain type d’acteurs. Cependant, si ces démarches sont pertinentes, je pense qu’il ne faut pas se limiter à des solutions uniques vis-à-vis de chaque enjeu réglementaire rencontré. Typiquement, les stratégies les plus efficaces à long terme pour la mutualisation passent par l’établissement d’environnements clairement définis, voire réglementés, dans lesquels des acteurs – existants ou nouveaux – peuvent évoluer à partir du moment où ils répondent aux critères en place et sont en mesure de donner des garanties. Il s’agit donc de mettre en place un level playing field. Le cadre que je souhaiterais voir mis en œuvre devrait ainsi contribuer à favoriser la concurrence et, de cette manière, soutenir l’émergence de nouvelles idées ou de nouveaux concepts. En outre, les besoins réglementaires dépassent les besoins à l’échelle du pays et ceux exprimés par les grandes banques commerciales de la Place. Il faut faciliter le développement de solutions qui répondent à une diversité d’acteurs financiers.
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Conversation Alain Steichen
« L’imposition évolue trop rapidement vers les taux les plus élevés» Sur l’imposition des personnes physiques, la réforme que devra opérer le nouveau gouvernement est délicate à plus d’un titre. Pour Alain Steichen, fiscaliste, partner au sein du bureau BSP, cela relève de la quadrature du cercle. Journaliste SÉBASTIEN LAMBOTTE
60
Portrait ROMAIN GAMBA
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Pour Alain Steichen, le contexte budgétaire rend compliquée la promesse des allègements fiscaux.
Conversation Alain Steichen
En quoi une réforme de l’imposition des personnes physiques est-elle souhaitée, et même nécessaire, aujourd’hui ? Aujourd’hui, si l’on évoque la nécessité de réformer l’impôt sur les personnes physiques, sujet qui sera au cœur du chantier que devra porter le nouveau gouvernement, celle-ci devrait porter sur deux considérations complémentaires : les barèmes d’imposition, d’une part, et les classes d’impôt, d’autre part. À travers les débats qui ont eu lieu ces derniers mois, les problématiques identifiées concernaient une imposition qui évoluait trop rapidement et une classification fiscale considérée comme injuste.
LES TRANCHES DE REVENUS IMPOSABLES AU LUXEMBOURG REVENUS ANNUELS IMPOSABLES EN 2021 En-dessous de 11.265€
Source
62
TAUX D’IMPOSITION 2021 0%
Entre 11.265€ et 13.137€
8%
Entre 13.137€ et 15.009€
9%
Entre 15.009€ et 16.881€
10%
Entre 16.881€ et 18.753€
11%
Entre 18.753€ et 20.625€
12%
Entre 20.625€ et 22.569€
14%
Entre 22.569€ et 24.513€
16%
Entre 24.513€ et 26.457€
18%
Entre 26.457€ et 28.401€
20%
Entre 28.437€ et 30.345€
22%
Entre 30.345€ et 32.289€
24%
Entre 32.289€ et 34.233€
26%
Entre 34.233€ et 36.177€
28%
Entre 36.177€ et 38.121€
30%
Entre 38.121€ et 40.065€
32%
Entre 40.065€ et 42.009€
34%
Entre 42.009€ et 43.953€
36%
Entre 43.953€ et 45.897€
38%
Entre 45.897€ et 100.002€
39%
Entre 100.002€ et 150.000€
40%
Entre 150.000€ et 204.000€
41%
Au-dessus de 200.004€
42%
Administration des contributions directes
Concernant les barèmes d’imposition, quelle est la problématique rencontrée ? Il y a deux problèmes qui se posent. Dans un contexte d’inflation, on a vu les revenus nominaux des administrés augmenter en raison de leur indexation, sans que leur pouvoir d’achat ne croisse pour autant, celui-ci étant mangé par la hausse des prix à la consommation. Au niveau de l’imposition, cependant, la loi ne prévoit pas une adaptation automatique des barèmes en fonction de l’indexation. La loi fiscale précise simplement qu’il appartient au législateur de considérer s’il y a matière à opérer une révision des barèmes au regard de l’évolution des revenus. Dans un contexte budgétaire particulier, marqué par de nombreuses dépenses exceptionnelles, le gouvernement en place n’a pas souhaité procéder à cette adaptation afin d’éviter de creuser le déficit. Autrement dit, sans adaptation, la hausse des revenus nominaux fait que beaucoup ont glissé vers une tranche d’imposition supérieure. Ce qui soulève des questions en matière d’équité fiscale.
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Quelle serait la réforme à porter, à ce niveau ? Il y aurait lieu de mettre en place une adaptation automatique des barèmes associée à l’indexation. Par exemple, si le seuil d’entrée à une tranche d’imposition supérieure est situé à 10.000 euros et l’inflation sur une année est de 10 %, il y a lieu d’élever ce seuil à 11.000 euros. C’est une proposition portée par le CSV. Cependant, dans un contexte budgétaire complexe, il n’est pas certain que l’on grave cette adaptation automatique dans la loi. On assistera probablement à une adaptation des barèmes, dans une optique de régularisation de la situation. Ce qui, d’un point de vue politique, pourrait donner l’impression d’un allègement fiscal, mais qui n’est en fait que la correction d’une injustice. Au-delà, on pourrait conserver le dispositif actuel qui offre plus de flexibilité à l’État dans la gestion de ses recettes fiscales et de son budget. Vous évoquiez aussi une progressivité de l’imposition trop rapide… C’est le deuxième problème lié aux barèmes, au nombre de tranches d’imposition et à la progressivité de celles-ci. Le taux d’imposition minimal des revenus, aujourd’hui, est à 10 %. Tandis que le taux marginal, lui, se situe à 45 %. Autrement dit, les revenus les plus élevés sont taxés approximativement à hauteur de 45 %. Entre 10 et 45 %, l’imposition évolue par tranche de 2 %. Ce qui fait beaucoup de tranches… Oui. Au Luxembourg, on en dénombre une vingtaine, alors que dans d’autres pays, on en compte trois, quatre ou cinq. L’autre problème, c’est que l’on évolue très rapidement vers des taux d’imposition élevés. Aujourd’hui, un revenu de 50.000 euros sera taxé au taux marginal d’imposition, soit à hauteur de 45 %. 50.000 euros, cela correspond au revenu moyen des personnes au Luxembourg. Comment répondre à cet enjeu ? Il y a sans doute lieu, d’une part, de rationaliser le nombre de tranches et, d’autre part, de procéder à un étalement de la progressivité et de décaler l’imposition marginale vers les revenus les plus élevés.
Aujourd’hui, les personnes qui gagnent entre 100.000 euros et 1 million d’euros sont imposées au même taux que ceux qui gagnent 80.000 euros. Il y a un travail important à faire à ce niveau. À mon sens, il y a lieu de revoir ce système de barèmes de fond en comble.
beaucoup plus variées qu’il y a quelques dizaines d’années. Cette classe d’impôt 2, en outre, a tendance à inciter l’un des membres du couple à rester à la maison, en raison encore une fois de la forte progressivité de l’impôt.
Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement pour opérer Concernant les classes d’impôt, une telle réforme ? ensuite, sur quels éléments devrait porter la réforme ? À recettes fiscales inchangées, cela me C’est un sujet sur lequel, à mon sens, on a paraît très compliqué. Le contexte budgéassisté à une forte surenchère politique. taire rend difficile le fait d’opérer les allèComme vous le savez, nous avons, au gements fiscaux souhaités par Luxembourg, trois classes d’imposition : 1, la population. En 2020 et 2021, 1A et 2. Le taux marginal que nous avons le déficit de l’Administration évoqué s’applique dans le contexte de la publique a été de 30 milliards classe d’impôt 1, celle dans laquelle se d’euros, dans une situation trouvent les personnes célibataires. La exceptionnelle liée au Covid classe d’impôt 1A, elle, pourrait être ou à la crise ukrainienne, pour remise en question. Elle s’applique aux laquelle l’Union européenne a personnes veuves ou divorcées, aux autorisé ce déficit. En 2024, familles monoparentales ainsi qu’aux les règles en matière de rigueur retraités, accordant à ces administrés des budgétaire seront de nouveau abattements fiscaux qu’il est difficile de d’application. Or, pour l’Union justifier d’un point de vue économique. européenne, le seuil structurel En effet, comment justifier qu’un retraité, du déficit du Luxembourg est qui a souvent moins de charges qu’une de 0 % du PIB. Autrement dit, personne active, bénéficie d’un abatte- on ne peut pas se permettre un ment alors que son voisin, qui travaille, déficit. Réviser les barèmes en tenant avec exactement le même niveau de compte de l’inflation, remodeler les revenu, doit payer plus d’impôts ? Si l’on classes d’impôt, garantir l’équilibre budconsidère les familles monoparentales, gétaire tout en renforçant l’attractivité de d’autres dispositifs existent déjà pour l’emploi… voilà la quadrature du cercle. compenser les coûts d’un enfant à charge, On touche ici aux limites d’un système en l’occurrence les allocations familiales. luxembourgeois. Je pense que si l’on parle d’équilibre budgétaire, il ne faut pas regarIl y aurait donc lieu de supprimer der que les recettes. Des efforts s’imposecette classe 1A ? ront en matière de dépenses. Oui, mais pas forcément dans le sens espéré par la population. Mais je poursuis. On peut aussi s’interroger sur la différence de traitement fiscal entre une personne célibataire et un couple marié, et donc sur l’existence de ces deux classes. Depuis une Cette interview a eu lieu avant les cinquantaine d’années, le législateur, en annonces du ministre des Finances, effet, considère un couple marié comme Gilles Roth (CSV), fin novembre, une entité économique intégrée. Les reve- concernant l’ajustement des barèmes nus du couple sont considérés collective- d’imposition suite aux effets de l’indexation ment et le taux d’imposition est fixé au avec le dépôt du projet de loi 8343. départ d’une moyenne. Il y a donc un intérêt fiscal à être marié. Ce qui ne correspond sans doute plus aux normes actuelles, où les situations familiales dans lesquelles se trouvent les personnes sont
« Au Luxembourg, on en dénombre une vingtaine de tranches. »
UNE SEULE CLASSE D’IMPÔT ? Selon Alain Steichen, il y a un débat sur l’opportunité d’aligner la fiscalité des époux sur celle des célibataires. « Cependant, il n’est pas possible de se contenter d’opérer – comme le souhaite la population – un basculement des personnes se trouvant en classe 1 vers la classe 2, explique-t-il. Au regard du contexte budgétaire, la migration pourrait s’opérer dans l’autre sens. » Cela passerait mal. La refonte des barèmes d’imposition pourrait permettre de résoudre un certain sentiment d’injustice fiscale ressenti aujourd’hui sans qu’il soit nécessaire de pousser la réforme aussi loin au niveau des classes d’imposition.
JANVIER 2024 TAX, ACCOUNTING & LEGAL
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Modernisation
Le nouveau projet de loi comptable en 10 points En juillet, le gouvernement a déposé un projet de loi visant à moderniser le droit comptable luxembourgeois. Au-delà de quelques nouveautés, ce texte vient combler certaines lacunes et contribue à simplifier la compréhension des obligations qui incombent à l’ensemble des structures enregistrées au Luxembourg. Journaliste SÉBASTIEN LAMBOTTE
Au cœur de l’été, le ministère de la Justice a déposé un projet de loi dont l’objectif est de refondre en profondeur le droit comptable luxembourgeois. Ce texte apporte des améliorations substantielles en la matière, comble certaines lacunes et permet une meilleure lisibilité des droits et obligations qui incombent aux personnes morales enregistrées au Luxembourg. S’il est adopté en l’état, quels sont les principaux changements que ce projet de loi introduit ? C’est ce que nous avons souhaité évoquer avec Caroline Nicoletti, director, EY Luxembourg IFRS & Luxgaap desk.
1 LES SCSP DEVRONT DÉPOSER LEURS ÉTATS FINANCIERS L’un des principaux changements introduits par ce projet de loi concerne les sociétés en commandite spéciale (SCSp), très souvent utilisées dans l’industrie des fonds, avec l’introduction d’une obligation d’établir et de déposer un plan comptable normalisé ou de déposer des états financiers annuels. « Jusqu’à présent, les SCSp n’étaient soumises à aucune 64
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obligation de dépôt, commente Caroline Nicoletti. Il était, dès lors, difficile pour les autorités administratives de collecter un certain nombre de données à des fins statistiques. Bien qu’il introduise cette nouvelle obligation, le législateur a toutefois veillé à préserver la flexibilité associée à ces structures. En l’occurrence, le projet de loi maintient l’option, pour chacun, de choisir les principes de comptabilité (Generally Accepted Accounting Principles) suivant lesquels les états financiers peuvent être établis. » Il est donc possible d’opter pour diverses normes comptables : Luxgaap, USgaap ou encore pour les normes IFRS. Il est important de préciser que ces dépôts ne seront pas soumis à publication ni accessibles au public.
2 OBLIGATIONS D’AUDIT POUR LA « LARGE HOLDING » Le projet de loi comptable introduit et définit une nouvelle catégorie de structure : la large holding. Dans la réglementation actuelle, bien que certaines sociétés holding puissent
avoir un actif total important, elles demeurent le plus souvent catégorisées en tant qu’entreprises de petite taille en raison des critères de chiffre d’affaires net et d’effectifs. « Les obligations inhérentes à ces structures sont relativement légères. Elles doivent préparer des états financiers simplifiés et ne sont pas soumises à une obligation d’audit, explique Caroline Nicoletti. Toutefois, compte tenu du total bilan de certaines sociétés de participation financière présentes au Luxembourg, le législateur a souhaité faire évoluer la manière dont elles sont catégorisées. Si la disposition est adoptée, les structures dont le total bilan sera supérieur à 500 millions d’euros seront considérées comme des large holdings. Celles-ci resteront soumises aux dispositions du droit comptable applicables aux petites entreprises, si ce n’est que leurs états financiers pourront faire l’objet d’un audit statutaire. » Il s’agit, d’une part, de s’assurer que le rapport de gestion est cohérent avec les états financiers et préparé conformément aux exigences légales applicables. « Cette nouvelle disposition poursuit un objectif de transparence. Elle vise, au regard de la taille de ces structures, à sécuriser le marché », précise Caroline Nicoletti.
3 INTRODUCTION DU RÉGIME DE MICROENTREPRISE Parmi les objectifs poursuivis par la directive comptable européenne, qui a conduit à la révision de la législation luxembourgeoise en 2015, il y a celui de réduire la charge administrative des petites sociétés en vue de stimuler leur croissance. « En 2015, le législateur luxembourgeois avait laissé de côté plusieurs options inscrites dans la directive. Il s’agissait de l’adoption du régime des microentreprises et de l’élévation des seuils déterminant ce qui relève d’une petite entreprise au niveau le plus élevé », explique Caroline Nicoletti. Depuis lors, cependant, la donne a changé. La Commission européenne a émis un projet visant à modifier la première
directive comptable en vue de soutenir davantage les petites structures commerciales. « Au niveau du projet de loi, le législateur a tenu compte de cela. Il a décidé d’y inscrire le régime de microentreprise, à savoir des structures dont le total bilan est inférieur à 350.000 euros, dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 700.000 euros et qui ne comptent pas plus de 10 équivalents temps plein, poursuit l’experte. Les obligations pour ces structures vont être allégées avec, notamment, l’exemption de devoir préparer des notes aux comptes. » Le législateur luxembourgeois a intégré la volonté de la Commission européenne de relever les seuils dans lesquels se situent les petites entreprises de 20 à 25 %. « Avec cette loi, les microentreprises seront celles dont le total bilan est inférieur à 450.000 euros, dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 900.000 euros et qui comptent au maximum 10 employés (équivalents temps plein) », explique Caroline Nicoletti.
4 COMBLER LES LACUNES
• Intégration de la doctrine comptable dans la loi Le législateur entend profiter de cette révision du droit comptable pour combler des lacunes ou apporter certaines clarifications. En l’occurrence, le nouveau projet intègre des éléments figurant dans les Q&A publiées par la Commission des normes comptables (CNC). « Ce groupement qui rassemble l’Administration des contributions directes, le Commissariat aux assurances, la Commission de surveillance du secteur financier, la Chambre de commerce, la Banque centrale du Luxembourg, l’Ordre des experts-comptables et l’Institut des réviseurs d’entreprises est le principal émetteur de la doctrine comptable, explique la directrice au sein du cabinet EY. Régulièrement, elle émet des avis sur des divergences d’interprétation de la loi qui pourraient se poser, cherche à combler certaines lacunes
« Moderniser le droit comptable pour apporter plus de clarté et de visibilité » Le 28 juillet dernier, le gouvernement luxembourgeois, via le ministère de la Justice, a déposé un nouveau projet de loi visant à moderniser le droit comptable luxembourgeois. L’objectif est notamment de le rendre plus lisible, mieux structuré et mieux articulé. « Au Luxembourg, les obligations des sociétés commerciales et d’autres structures relèvent jusqu’à présent de différentes lois », explique Caroline Nicoletti, director, EY Luxembourg IFRS & Luxgaap desk. On peut évoquer la loi du 19 décembre 2002 relative au registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises. Celle-ci avait été mise à jour en 2015 dans le cadre d’une transposition d’une directive européenne en droit national. À côté de ce premier texte, on trouve aussi la loi commerciale du 10 août 1915 relative aux comptes consolidés. À cela s’ajoute un ensemble de lois dites produits ou sectorielles, qui s’appliquent à des véhicules utilisés dans l’industrie financière ou encore à des structures évoluant dans ce secteur. Elles encadrent notamment les SIF, les Sicar, les Fiar ou encore les AIFM, qui doivent répondre à des exigences spécifiques. « Cela fait de nombreuses lois qui touchent à la comptabilité des structures qui composent l’environnement économique luxembourgeois, précise Caroline Nicoletti. La volonté du gouvernement, à travers ce projet de loi, a donc avant tout été de rassembler toutes les obligations dans un texte de loi unique, contribuant à apporter plus de clarté aux professionnels de la comptabilité. L’idée a aussi été de simplifier un ensemble d’éléments et d’améliorer certaines dispositions existantes et de combler certaines lacunes existantes. » Ce projet de loi n’a à ce jour pas encore été adopté au niveau de la Chambre des députés. À partir de l’annonce du nouveau projet de loi en juillet 2023, le processus législatif de mise en œuvre dans le droit national devrait prendre environ un à deux ans, la loi étant ensuite applicable soit avec effet immédiat, soit après une période prédéterminée. La loi pourrait donc entrer en vigueur vers la fin de l’année 2024 ou en 2025.
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Modernisation
CAROLINE NICOLETTI Director, EY Luxembourg IFRS & Luxgaap desk
« La volonté du gouvernement, à travers ce projet de loi, a avant tout été de rassembler toutes les obligations dans un texte de loi unique. » 66
du contrôle Le projet de loi propose une clarification de la définition du contrôle dans le contexte des états financiers consolidés, en reconnaissant la notion d’agent par rapport à celle de principal. Elle est définie comme « le pouvoir d’influencer de façon déterminante ou de diriger la gestion et la politique financières d’une autre entreprise dont la société mère est en même temps actionnaire ou associée ». Cela est particulièrement important dans l’industrie des fonds dans la mesure où ces notions encadrent la relation entre general partners et limited partners. Pour déterminer si un general partner contrôle un fonds, il convient d’accorder une attention particulière à la question de savoir s’il agit en tant que principal ou en tant qu’agent. Le gestionnaire du fonds devra faire preuve de discernement pour évaluer qualitativement tous les aspects de son accord avec les commanditaires (limited partners), y compris son pouvoir, les droits détenus par les commanditaires et les tiers, et l’ensemble de son exposition à la variabilité des rendements.
• Prise en compte des « actifs
d’impôt différé » Une autre grande nouveauté réside dans une clarification importante relative à la prise en compte des actifs d’impôt différé au sein de la comptabilité. « Les actifs d’impôt différé sont les montants d’impôts sur le résultat recouvrables au cours de périodes futures au titre de différences temporaires déductibles ainsi que du report en avant de pertes fiscales et de crédits d’impôt, explique Caroline Nicoletti. Jusqu’à présent, par mesure de prudence,
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5 SUPPRESSION DES RÉGIMES DÉROGATOIRES Le projet de loi comptable prévoit aussi l’abolition des dérogations, que pouvait accorder le ministère de la Justice sur demande d’entité désireuse de préparer leurs comptes annuels en recourant à d’autres régimes comptables que Luxgaap ou les normes IFRS. Une dérogation aux Luxgaap ou aux IFRS a été maintenue dans le nouveau projet de loi, mais uniquement en cas de préparation d’états financiers consolidés. Autrement dit, « le ministre de la Justice peut, dans des cas particuliers et sur avis motivé du CNC, autoriser une société mère à préparer ses états financiers consolidés selon un
EY Luxembourg
• La clarification de la définition
on ne reprenait pas ces actifs, ces pertes recouvrables dans les comptes annuels. » Compte tenu de la pratique comptable luxembourgeoise, il a souvent été difficile de déterminer et de comptabiliser les actifs d’impôt différé liés notamment aux pertes fiscales reportées, étant donné l’importance du jugement et des estimations nécessaires à une entité pour évaluer le bénéfice imposable suffisant qui pourrait être disponible pour consommer ces actifs d’impôts différés. « Pour répondre à ce problème, le nouveau projet de loi, à la lumière des normes comptables d’autres États membres, propose l’option de reconnaître les actifs d’impôt différé dans la mesure où le principe de prudence est respecté », explique Caroline Nicoletti. Les dispositions relatives à la reconnaissance des actifs d’impôt différé ne sont traitées que dans le titre IV du nouveau projet de loi concernant les états financiers consolidés. Toutefois, les travaux préparatoires du nouveau projet de loi contiennent une déclaration selon laquelle, en ce qui concerne les impôts différés dans les comptes annuels et la possibilité de reconnaître des actifs d’impôts différés sous certaines conditions, il est fait référence aux commentaires relatifs aux comptes consolidés.
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ou établit un ensemble de bonnes pratiques. Cette doctrine comptable est supportée par une trentaine de Q&A. Le nouveau texte va permettre d’ancrer une partie de ces éléments dans la loi. »
7 MODERNISATION DU RÉGIME COMPTABLE DES ENTREPRISES EN LIQUIDATION À l’heure actuelle, beaucoup de professionnels de la comptabilité sont d’avis que la loi de 2002 cesse de s’appliquer aux entreprises qui sont dissoutes et mises en liquidation. « Dès lors, une fois mises en liquidation, ces entreprises échappent – sauf exception – à l’obligation d’établir, de contrôler, de déposer ou même de publier leurs états financiers conformément au titre II de la loi de 2002, commente Caroline Nicoletti. Le problème réside dans le fait que, sans la publication d’informations financières, les tiers, qui peuvent avoir des droits à faire valoir auprès
Source The Luxembourg accounting law is being modernized, but do you know where you’re going? (2023) - EY Luxembourg
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S.C.Sp. qualifiées de FIA avec un gestionnaire autorisé AIFM autorisé, non supervisé par la CSSF, préparant des comptes selon LuxGAAP ou des GAAP(a) équivalents autres que les IFRS. GAAP(a) équivalents autres que les IFRS
S.C.Sp.s supervisées par la CSSF
Autres S.C.Sp. non supervisées par la CSSF et préparant des comptes selon LuxGAAP (véhicules de titrisation, RAIFs, autres AIFs avec AIFM enregistré, non AIFs) ou tout GAAP (AIFs avec AIFM enregistré) avec AIFM enregistré, non AIFs) ou tout autre GAAP (AIF avec AIFM enregistré, non AIFs) autres que les IFRS.
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S.C.Sp.s Prochaines exigences de dépôt
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6 ABOLITION DE LA FONCTION DE COMMISSAIRE Le nouveau projet de loi abolit la fonction de commissaire, en tant qu’organe de surveillance, chargé notamment du contrôle des documents comptables des S.A.. Cette fonction était apparue en 1915 dans la loi luxembourgeoise sur les sociétés commerciales, législation inspirée de la loi belge et de la loi française. « Contrairement à ses voisins belges et français, le législateur luxembourgeois n’a jamais modifié le cadre réglementaire applicable à l’exercice de la fonction de commissaire, explique la directrice au sein du cabinet EY. Cependant, l’utilité de cette mission n’était aujourd’hui plus évidente. Son appellation, en outre, suscitait une forme de confusion en raison de sa proximité avec d’autres fonctions. »
LE DROIT COMPTABLE LUXEMBOURGEOIS SE MODERNISE
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référentiel comptable dérogatoire ». Il faut toutefois que les normes comptables utilisées soient reconnues comme équivalentes par la décision 2008/961/CE de la Commission européenne du 12 décembre 2008 relative à l’utilisation, par des émetteurs de valeurs mobilières de pays tiers, des normes de pays tiers et des normes internationales d’information financière pour l’établissement des états financiers consolidés.
Véhicules de titrisation des S.C.Sp. non supervisés par la CSSF supervisés par la CSSF et les RAIFs Toute autre S.C.Sp. préparant des des comptes selon les normes IFRS
des sociétés mises en liquidation, sont privés d’informations fiables. » Pour remédier à cela, le nouveau projet de loi a pris soin de préciser les obligations d’établissement, de dépôt et de publication des états financiers des sociétés mises en liquidation. « Elles devront établir des états financiers intermédiaires de liquidation (bilan, compte de profits et pertes, et annexe) chaque année. Ces comptes intermédiaires annuels de liquidation doivent être déposés au RCS et publiés pour les formes sociales soumises à publicité. Les associés, les tiers créanciers et les autres parties intéressées seront ainsi informés au moins annuellement de l’état d’avancement de la liquidation, explique l’experte. En outre, à la clôture de la liquidation, l’obligation d’établir des états financiers faisant apparaître l’apurement du passif par la
réalisation de l’actif pendant toute la durée de la liquidation, a été maintenue et modernisée. »
8 UN SEUL TEXTE MIEUX ARTICULÉ Il résultait de la multiplication des textes légaux établissant une mauvaise lisibilité du droit comptable luxembourgeois et une insécurité juridique, préjudiciable à toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse des professionnels chargés de préparer les états financiers, des auditeurs ou encore de celles et ceux amenés à utiliser ces documents pour diverses raisons. L’articulation du champ d’application des différentes parties du titre II de la loi de 2002 a aussi été fortement critiquée au fil des ans en raison de la confusion qui en résultait. Certaines obligations, comme la tenue de la comptabilité, le plan
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comptable normalisé, le contrôle des comptes annuels, le dépôt et la publication des comptes annuels, l’établissement du rapport de gestion, etc., s’appliquent à certains types d’entreprises, mais pas à tous. La modernisation du droit comptable s’efforce donc de résoudre les problèmes de dispersion et de présentation. « Le projet de loi regroupe toutes les dispositions comptables communes à tous les types d’entreprises en une seule loi comptable. Cela contribue grandement à la lisibilité du droit, explique Caroline Nicoletti. D’autre part, les entités auxquelles s’appliquent les différents aspects des obligations comptables (par exemple, la tenue de la comptabilité, le plan comptable normalisé, les états financiers annuels, les états financiers consolidés, les rapports y afférents ainsi que leur dépôt et leur publication) sont clairement définies au moyen de listes exhaustives des formes et des catégories d’entreprises concernées. » Il faut noter que les dispositions comptables applicables aux différents véhicules du secteur financier sont maintenues en dehors du nouveau projet de loi. « Celui-ci fournit toutefois une articulation claire permettant aux parties intéressées d’identifier facilement les dispositions communes et les dispositions des lois produits auxquelles elles sont soumises », assure Caroline Nicoletti.
9 MISE EN ŒUVRE D’UNE APPROCHE « BOTTOM-UP » L’une des critiques que l’on pouvait émettre à l’égard du droit comptable luxembourgeois concernait l’approche top-down. « La loi de 2002 sur les comptes annuels et les rapports y afférents fixe, en effet, un régime général pour les grandes entreprises et prévoit, par voie de dérogation, des exemptions et des dérogations pour les petites et moyennes entreprises, commente Caroline Nicoletti. Toutefois, étant donné qu’une très grande majorité des sociétés luxembourgeoises sont des petites entreprises, cette 68
« Le problème réside dans le fait que, sans la publication d’informations financières, les tiers, qui peuvent avoir des droits à faire valoir auprès des sociétés mises en liquidation, sont privés d’informations fiables.» CAROLINE NICOLETTI Director, EY Luxembourg IFRS & Luxgaap desk
approche n’est pas la plus adaptée au marché. » Avec cette réforme, le législateur a donc souhaité revoir sa copie en la matière, privilégiant une approche bottom-up. « Le régime des petites entreprises devient le régime de base commun à toutes les entreprises, à l’exception de la microentreprise, explique la directrice au sein du cabinet EY. Pour les moyennes et les grandes entreprises, des dispositions supplémentaires viennent s’ajouter à ce régime de base. »
10 LES SOCIÉTÉS CIVILES SERONT AUSSI CONCERNÉES En vertu de la loi de 2002, les entités relevant du droit comptable ont été, dans une certaine mesure, des entrepreneurs individuels, des sociétés commerciales, des groupements d’intérêt économique ayant leur siège social au Luxembourg, ainsi que les SCSp. Le nouveau projet de loi propose d’étendre le champ d’application aux entreprises et aux personnes physiques exerçant des activités économiques, financières ou commerciales sans avoir la forme commerciale. À ce titre, le projet de loi s’applique donc aux sociétés civiles, les soumettant à des obligations en matière de préparation des états financiers et de dépôt. Cette extension vise essentiellement à répondre à des besoins de transparence.
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Les priorités fiscales du nouveau gouvernement Le nouveau gouvernement qui vient d’entrer en fonction va devoir se pencher rapidement sur certaines thématiques, dont la fiscalité. Propos recueillis par MARIE JACQUEMIN
BERNARD DAVID Tax business leader – Partner Deloitte Luxembourg
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Je souhaite que le nouveau gouvernement développe une réforme fiscale axée sur l’attraction de nouveaux talents et la qualité de vie. Cela nécessite une aide aux plus jeunes et aux bas salaires. Cette réforme peut, par exemple, passer par une révision du barème ou de nouveaux avantages tels que des subventions de loyers. Il est essentiel d’établir des règles fiscales renforçant le positionnement compétitif de la Place sur l’échiquier international, notamment en élargissant l’exonération de retenue à la source aux dividendes distribués à des fonds d’investissement alternatifs et/ou des fonds de pension, conformément au principe de neutralité fiscale. Enfin, face à un environnement en constante mutation, il est crucial de restaurer la sécurité juridique actuellement fragilisée et ainsi, sans impact budgétaire, attirer durablement les investisseurs.
Dentons Luxembourg, Deloitte Luxembourg et KPMG Luxembourg
Depuis une dizaine d’années, les contribuables subissent un véritable tsunami législatif et réglementaire. Ces nouvelles règles, souvent basées sur des directives mal rédigées et floues, soulèvent de multiples questions et requièrent donc des clarifications de la part du fisc. Or, depuis l’affaire LuxLeaks, en 2014, celui-ci semble craindre tout échange avec les contribuables. La communication se fait essentiellement au travers de circulaires, émises souvent tardivement, sans réussir à apporter de véritables réponses. La Commission des décisions anticipées (CDA) ne remplit pas son rôle, notamment du fait de l’absence de délai contraignant à répondre. La priorité devrait être de rétablir la confiance et le dialogue entre le fisc et le contribuable. Un premier pas serait une réforme en profondeur du mode de fonctionnement de la CDA.
SÉBASTIEN LABBÉ Head of tax KPMG Luxembourg
Photos
JEAN-LUC FISCH Head of tax Dentons Luxembourg
Tout d’abord, je pense que l’outil fiscal doit accompagner l’innovation. De plus, le Luxembourg dépend fortement de sa capacité à attirer des talents pour pérenniser son modèle économique et son système de retraite. Les évolutions fiscales et sociales sur le télétravail sont nécessaires, mais insuffisantes. Il serait indispensable d’introduire des aides fiscales afin de faire face à l’inflation et au coût du logement via un subside « loyers » et rendre la prime participative plus attractive en revoyant sa base de calcul. Il faudrait ensuite revoir le fonctionnement de notre système fiscal pour assurer plus de sécurité juridique pour l’ensemble des contribuables. Enfin, les directives européennes doivent être habilement transposées et amendées, notamment pour maintenir la neutralité fiscale des fonds d’investissement.
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