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AGENDA RÉGLEMENTAIRE
Fiscalité : la grande vague réglementaire
Depuis la crise financière de 2008, la réglementation fiscale est en pleine évolution. Elle se joue désormais à un niveau international, en pleine évolution. Elle se joue désormais à un niveau international, les différents pays ayant moins de marge de manœuvre pour adapter les différents pays ayant moins de marge de manœuvre pour adapter les règles adoptées à l’échelon supérieur. Des changements majeurs, les règles adoptées à l’échelon supérieur. Des changements majeurs, longtemps évoqués, deviennent à présent concrets. De quoi inciter longtemps évoqués, deviennent à présent concrets. De quoi inciter les acteurs luxembourgeois à se préparer à affronter la vague… Auteur Q. D.les acteurs luxembourgeois à se préparer à affronter la vague… Q. D.
Marielle Voisin Collage
Guy Wolff Photo
#Befit
En matière de réglementation fi scale, l’Europe est friande d’acronymes. L’ancien projet CCCTB (Common Consolidated Corporate Tax Base) refait ainsi surface sous le nom de Befi t (Business in Europe : Framework for Income Taxation). « La volonté de l’Europe, à travers ce nouveau projet réglementaire, est d’harmoniser la base taxable pour l’ensemble du territoire européen, détaille Sébastien
Labbé, head of tax au sein de KPMG
Luxembourg. De la sorte, l’Union compte à la fois simplifi er les procédures pour des sociétés basées dans plusieurs pays, et lutter contre l’évasion fi scale. » Concrètement, les bénéfi ces réalisés par des groupes multinationaux basés en Europe seraient agrégés dans une assiette fi scale commune, répartie ensuite entre les États membres suivant une formule à déterminer. Ces montants seraient ensuite imposés dans chaque pays en fonction du taux national d’imposition des sociétés. « On évoque la possibilité d’utiliser les règles mentionnées dans le pilier 2 de l’accord-cadre de l’OCDE pour déterminer la clé de répar tition de cette assiette commune entre pays mais, dans ce cas, on comprend diffi cilement pourquoi une autre réglementation est nécessaire », souligne Bart Van Droogenbroek, tax leader chez EY Luxembourg. « Il est aussi question de prendre en compte le chiff re d’aff aires de ces sociétés dans chaque pays, voire le nombre de collaborateurs qu’elles emploient. Mais tout cela reste à déterminer. » Sébastien Labbé abonde dans ce sens, insistant sur « l’importance de s’assurer que toutes ces nouvelles mesures soient cohérentes ».
« Le but est de s’attaquer aux sociétés sans aux sociétés sans substance, qui n’ont substance, qui n’ont pas de réelle activité pas de réelle activité ou d’employés dans ou d’employés dans un pays. »
SÉBASTIEN LABBÉ Head of tax KPMG
15 %
Selon le dernier accord-cadre de l’OCDE, les sociétés multinationales pesant plus de 750 millions d’euros de chiff re d’aff aires seront imposées à un minimum de 15 % dès 2023.
#OCDE
L’annonce a fait grand bruit au mois d’octobre dernier : 136 pays membres de l’OCDE ont approuvé une réforme majeure du système fi scal international, qui sera concrétisée, au Luxembourg, par des directives européennes. Cet accord repose sur deux piliers. « Le premier est une vraie révolution, car il vise à taxer les très grandes entreprises, non plus seulement dans le pays où elles sont basées, mais aussi là où leurs clients résident », explique Sébastien Labbé. En ciblant les sociétés avec un chiff re d’aff aires supérieur à 20 milliards d’euros, l’OCDE a clairement en ligne de mire les Gafa actifs dans le monde entier, mais qui ne payent un impôt que là où ils sont basés. « Ce nouvel outil va permettre à certains pays, dont les fi nances ont été aff ectées par la crise, d’accéder à une manne intéressante. Mais la clé utilisée pour déterminer quel montant sera versé à chaque pays reste à déterminer. De toute évidence, vu la taille à déterminer. De toute évidence, vu la taille de son marché domestique, le Luxembourg de son marché domestique, le Luxembourg ne sera pas le plus grand gagnant à ce ne sera pas le plus grand gagnant à ce niveau », ajoute Sébastien Labbé. niveau », ajoute Sébastien Labbé.
Le deuxième pilier, quant à lui, impose Le deuxième pilier, quant à lui, impose un impôt minimum de 15 % aux multinatioun impôt minimum de 15 % aux multinationales réalisant un chiff re d’aff aires de plus nales réalisant un chiff re d’aff aires de plus de 750 millions d’euros, et ce dès 2023. de 750 millions d’euros, et ce dès 2023. « Il s’agit d’une noble initiative mais, pour « Il s’agit d’une noble initiative mais, pour ce pilier aussi, des questions se posent sur le ce pilier aussi, des questions se posent sur le taux eff ectif d’imposition qui sera applitaux eff ectif d’imposition qui sera appliqué dans chaque pays, estime Bart Van qué dans chaque pays
Droogenbroek. Des particularités Droogenbroek. nationales comme, au Luxembourg, nationales comme, au Luxembourg, la possibilité de reporter ses pertes la possibilité de reporter ses pertes d’une année à l’autre, rendent ce calcul d’une année à l’autre, rendent ce calcul complexe. L’OCDE a déjà fourni des complexe. L’OCDE a déjà fourni des guidelines, mais des précisions doivent guidelines encore nous être apportées. » encore nous être apportées.
#Transparence
Dans une communication publiée au mois de mai dernier, la Commission européenne a lancé toute une série de propositions, dont Befi t. Mais on trouve aussi dans cette liste des projets destinés à renforcer la transparence fi scale des grandes entreprises. L’un d’eux concerne l’obligation, pour un grand groupe, de publier chaque année son taux eff ectif d’imposition. « La même méthode que celle utilisée dans le pilier 2 de l’accord de l’OCDE devrait être employée pour défi nir ce taux eff ectif d’imposition. Mais pour ce point également, nous attendons des précisions de l’Europe », indique Bart Van Droogenbroek.
La principale conséquence de cette mesure sera un renforcement des obligations de reporting de ces sociétés. Mais elle renforcera également la nécessité, pour ces groupes, de développer des stratégies de communication effi caces. « Dernièrement, un bureau d’études a publié un article sur le taux d’imposition eff ectif de diff érentes banques, situées dans plusieurs endroits du monde. Certaines diff érences de taille sautaient aux yeux et, même s’ils peuvent tout à fait se justifi er, les acteurs doivent être prêts à détailler de façon claire les raisons qui expliquent ces variations. C’est un exercice de communication très délicat, auquel il faut réellement se préparer », ajoute le tax leader d’EY Luxembourg. S’il peut en paraître proche, le Public CBCR (countryby-country reporting) est toutefois un élément indépendant de cette nouvelle obligation. Déjà approuvé et devant entrer en vigueur en 2023, ce dernier va encore plus loin dans la volonté de rendre plus transparente la fi scalité des multinationales en Europe. « Aujourd’hui, un country-bycountry reporting est déjà appliqué en Europe. Des données comme les bénéfi ces par pays, le chiff re d’aff aires par pays ou le nombre d’employés par pays sont déjà à disposition des administrations fi scales nationales. Le but, ici, est de rendre ces informations publiques, ce qui mettra sans conteste une pression supplémentaire sur ces entreprises », indique Bart Van Droogenbroek.
#Debra
Debra (Debt-Equity Bias Reduction Allowance) : voilà un autre acronyme qui risque de faire parler de lui au cours des prochains mois. Derrière ce nom un peu barbare se cache une proposition visant à mettre sur le même plan le fi nancement par la dette et celui par fonds propres. « Jusqu’à présent, les entreprises qui souhaitent investir, se développer, sont souvent incitées à s’endetter plutôt qu’à utiliser leurs fonds propres. En eff et, les intérêts sur cette dette sont généralement déductibles fi scalement, alors que le fi nancement par capital propre ne donne pas lieu à une déduction fi scale », indique Sébastien Labbé. La dette est donc utilisée massivement par les sociétés dans leur stratégie de planifi cation fi scale. Mais ce large recours au fi nancement par la dette pourrait menacer le système fi nancier global, accroissant notamment le risque de faillites et d’augmentation du chômage. « Pour limiter cette pratique, la Commission européenne veut introduire des déductions des intérêts notionnels sur le capital, à l’image de ce qui se fait déjà dans certains pays comme la Belgique, par exemple », complète Bart Van Droogenbroek. Cette déduction pourrait prendre la forme d’une prime versée pour tout nouvel investissement fi nancé sur fonds propres. La Commission, qui entend inscrire rapidement cette proposition dans le droit européen, souligne que le dispositif légal fi nal intégrera également des règles strictes en matière de lutte contre l’évasion fi scale.
« La Commission euro pé enne veut ouvrir la possibilité d’introduire des déductions des intérêts notionnels sur le capital, à l’image de ce qui se fait déjà dans certains pays comme la Belgique. »
BART VAN DROOGENBROEK Tax leader EY Luxembourg
136
C’est le nombre de pays membres de l’OCDE qui ont approuvé une réforme majeure du système fiscal international.
#Atad 3
Le nom est déjà bien connu des fi scalistes européens. En eff et, Atad 1 et 2 sont des réglementations qui ont découlé des premiers projets Beps (Base Erosion and Profi t Shifting) de l’OCDE. Cette directive Anti-Tax Avoidance vise, comme son nom l’indique, à lutter contre l’évasion fi scale dans l’ensemble de l’Union européenne. La problématique est en eff et devenue une priorité de la Commission européenne suite à la crise fi nancière de 2008. Avec Atad 3, l’Europe veut à présent cibler en particulier les sociétés-écrans. « Le but est de s’attaquer aux sociétés sans substance, qui n’ont pas de réelle activité ou d’employés dans un pays et qui existent donc essentiellement pour des motifs fi scaux, explique Sébastien Labbé. Atad 3 privera ces sociétés de certains avantages. Le périmètre exact de cette réglementation reste à défi nir mais, en principe, les entités régulées devraient y échapper. » De manière générale, le head of tax de KPMG estime que le Luxembourg devrait être relativement épargné par cette mesure. « Une étude récente menée par notre fi rme montre que les gestionnaires de fonds alternatifs – susceptibles d’être visés par Atad 3 – ont considérablement augmenté Atad 3 – ont considérablement augmenté leur substance au cours des dernières leur substance au cours des dernières années. Il n’y a donc pas de raison de années. Il n’y a donc pas de raison de s’alarmer », précise-t-il. Bart Van s’alarmer », précise-t-il. Bart Van
Droogenbroek souligne toutefois Droogenbroek souligne toutefois qu’un reporting important sera qu’un reporting important sera nécessaire pour faire face à nécessaire pour faire face à Atad 3. « Les fonds alternatifs, Atad 3. « qui travaillent beaucoup avec qui travaillent beaucoup avec des special purpose vehicles, des special purpose vehicles, devront justifi er l’utilité de devront justifi er l’utilité de ces sociétés, comme les soparfi ces sociétés, comme les soparfi par exemple. Il faut donc se par exemple. Il faut donc se préparer à cette augmentation préparer à cette augmentation des exigences de reporting, des exigences de reporting, sachant qu’une directive pour sachant qu’une directive pour rait déjà être votée à la fi n de rait déjà être votée à la fi n de cette année. »cette année.
#Luxembourg
S’il est vrai que ce sont désormais les institutions internationales qui donnent le ton de la réglementation fi scale, particulièrement en Europe, chaque pays peut encore introduire ses propres changements en la matière. À la fi n du mois d’octobre, le gouvernement luxembourgeois a ainsi publié son projet de loi concernant le budget des recettes et des dépenses de l’État pour l’exercice 2022. Plusieurs mesures fi scales y sont mentionnées et devraient rapidement entrer en vigueur. « Il s’agit plus de corrections techniques et de simplifi cations que de réelles révolutions, mais ces décisions auront toutefois un impact sur les acteurs économiques et les citoyens luxembourgeois, explique Bart Van Droogenbroek. Parmi celles-ci, il faut tout d’abord noter l’introduction de la déductibilité pour toute participation au plan de pension paneuropéen, le PEPP. » Les citoyens luxembourgeois bénéfi cieront en eff et des mêmes déductions fi scales pour ce produit que pour un autre contrat de prévoyance-vieillesse, tel que défi ni dans l’article 111 bis de la loi modifi ée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu. D’autres mesures évoquées dans ce projet de loi concernent plus les entreprises. C’est le cas de la taxation forfaitaire sur les rémunérations versées par les entrepreneurs dans le cadre d’un contrat de mission aux salariés intérimaires dont le salaire horaire ne dépasse pas les 25 euros. Enfi n, il est également proposé de prolonger jusqu’au 31 décembre 2023 la bonifi cation d’impôt sur le revenu en cas d’embauche de chômeurs.
POURQUOI LE LUXEMBOURG NE DOIT PAS AVOIR PEUR
1 Le pays collabore. « Toutes les initiatives légales que nous évoquons ici ont été conçues et mises en place avec la participation du Luxembourg. Le pays a donc démontré qu’il était, lui aussi, favorable à plus de transparence fiscale », estime Sébastien Labbé.
2 La Place est réglementée. Dans le secteur financier, un régulateur robuste fait déjà un travail important sur la Place luxembourgeoise. « Certaines pratiques n’existent plus et certaines des nouvelles règles pourraient ne pas s’appliquer aux entités régulées », précise Sébastien Labbé.
3 Le pays doit être enthousiaste. Au lieu de craindre le changement, mieux vaut anticiper les défis qui s’annoncent (climatiques, digitaux…). « Le Luxembourg doit continuer à rester un pionnier et moderniser ses outils fiscaux pour faire face à ces défis », explique encore le head of tax de KPMG.
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5 réglementations qui vont impacter la Place
Chapo entre 150 et 200 signesSi le secteur financier a été confronté à d’incessantes vagues réglementaires au cours des dernières années, ce mouvement n’est pas terminé.
Nous pointons cinq paquets de réglementations qui impacteront considérablement la Place au cours des prochains mois. Auteur Q. D.
1 LA DURABILITÉ EN HAUT DE L’AGENDA La réglementation européenne encadrant la fi nance verte est en cours de fi nalisation. « CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui impose aux entreprises d’une certaine taille de communiquer des informations sur la façon dont elles gèrent les aspects sociaux ou environnementaux, devrait entrer en application en 2023 ou 2024 », rappelle Benoît Sauvage, director regulatory chez Deloitte Luxembourg. SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) et le règlement Taxonomie complètent cet arsenal.
2 REVERSE HYBRID ENTITY RULE
Le projet Beps de l’OCDE a donné naissance à Atad 1 et 2 (Anti-Tax Avoidance Directive). L’un des reliquats, pas encore appliqué, de ces réglementations est la Reverse Hybrid Entity Rule. « Elle concerne par exemple des sociétés de l’industrie des fonds au sens large, transparentes fi scalement, qui pourraient dans certaines conditions devoir payer un impôt sur le revenu dans le pays où elles sont enregistrées, et ce dès l’année fi scale 2022 », explique Julien Lamotte, partner fi nancial services tax chez Deloitte Luxembourg.
3 UN ARSENAL LÉGISLATIF POUR LES ACTIFS DIGITAUX Les actifs digitaux ont le vent en poupe et, pour la Commission européenne, il devenait essentiel de légiférer sur le sujet. « Dès 2024, des dispositifs légaux vont venir encadrer l’ensemble de ces actifs Dès 2024, des dispositifs légaux vont venir encadrer l’ensemble de ces actifs au plan européen, ce qui constitue une révolution comparable à la création des Ucits en 1985 », estime Benoît Sauvage. Mica (Markets in Crypto-assets regulation), DLT Regime (Distributed Ledger Technology) ou Dora (Digital Operational Resilience Act) font partie de ce paquet.
4 AML, DE DIRECTIVE À RÈGLEMENT Bien connue des acteurs financiers, la directive AML (Anti-Money Laundering) va devenir un règlement européen, s’appliquant indifféremment et de manière uniforme dans tous les pays de l’Union. « Une agence de supervision sera en outre créée pour contrôler le respect du règlement. Ce n’est pas une révolution, mais un important tour de vis supplémentaire en matière de lutte contre le blanchiment », précise Benoît Sauvage.
5 ATAD 3 L’utilisation d’entités juridiques, dans un but uniquement fi scal, sera la principale cible de la directive Atad 3 (Anti-Tax Avoidance Directive). « On ignore encore quel sera le champ d’application exact de la directive, mais un grand nombre de sociétés européennes pourraient devoir assumer des obligations additionnelles », explique Grégory Jullien, tax senior manager chez Deloitte Luxembourg. Le texte fi nal est attendu mi-décembre.
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