paperJam economie & finances juin 2012

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Juin 2012 | économie & finance

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luxembourgeois www.paperjam.lu

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5 édito

Désastreux Marc Gerges, directeur des rédactions Maison Moderne

Se laisser piéger dans un tel contexte relève, au mieux, d’une naïveté décapante…

Le Luxembourg, c’est un paradis fiscal où les impôts n’existent pas, où les innombrables banques accueillent des fortunes à l’origine douteuse sinon soustraites au fisc des pays d’origine, où pullulent les sociétésécrans sans activité réelle, servant à blanchir ces mêmes fortunes. Le tout, bien sûr, avec le soutien actif des administrations publiques et sous l’œil bienveillant de la classe politique… Clichés, approximations et mauvaise foi, dites-vous ? Il s’agit pourtant de l’image du Luxembourg, telle que les médias nationaux la ressentent, lorsque le Grand-Duché est « attaqué » par des médias étrangers. Un ressenti partagé par le ministre des Finances, Luc Frieden, dans sa prise de position par rapport au reportage diffusé sur France 2 le 11 mai dernier. Un reportage sur l’évasion fiscale vers le Grand-Duché, en version française. Sur l’optimisation fiscale au Luxembourg, en version luxembourgeoise… Certes, l’émission est truffée de clichés, d’approximations et même, ci et là, de mauvaise foi. Il n’en reste pas moins que ce reportage montre une réalité, qui est celle de l’« optimisation fiscale », devenue un des piliers de la Place. Ce qui est loin d’être un secret. Les conseils, consultants et avocats fiscalistes – dont le nombre a connu une croissance vertigineuse ces dernières années – en vivent, les administrations gouvernementales en sont conscientes, et les missions financières grand-ducales en vantent même les avantages lorsqu’elles parcourent le monde pour chanter l’attractivité du Luxembourg. Point de scoop donc. De plus, l’optimisation fiscale est loin d’être une spécificité luxembourgeoise. Le ruling, c’est-à-dire la négociation du taux d’imposition entre administration fiscale et entreprise, existe ailleurs aussi. Londres ne serait pas une capitale financière si elle ne l’appliquait pas. La France perdrait beaucoup de son attractivité si elle imposait les multinationales à la lettre. Luc Frieden a donc raison lorsqu’il dit qu’il est plus difficile de se défendre contre des campagnes de dénigrement lorsqu’on est petit. Mais il a tort de brandir cet argument. Le Luxembourg, et sa place financière, sont régulièrement « dénigrés » par les médias et les politiques étrangers, de préférence européens. Mais depuis le temps que ces « attaques » ont lieu, le Luxembourg ne sait toujours pas anticiper les mises en cause, ni trouver une réponse adéquate aux accusations. Faute de communication appropriée, l’image de Place est écornée. La communication autour de l’émission Cash Investigation a ainsi été désastreuse. Désastreuse dans la gestion des responsables luxembourgeois durant la réalisation du reportage. Désastreuse par la prise de position – avec un jour de retard – du ministre, qui ne s’adressait de surcroît qu’aux journalistes locaux. Car le caractère et la finalité de l’émission étaient prévisibles. Se laisser piéger dans un tel contexte relève dès lors, au mieux, d’une naïveté décapante…

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« On souhaite qu’il y ait une personne qui connaisse et nous montre avec précision la voie à suivre. Or, cette personne n’existe pas » Jean-Claude Juncker (Premier ministre)

un contexte d’incertitude au niveau mondial, au niveau continental et au niveau national. Et comme toujours, lorsque les hommes et les nations cherchent leur voie, qu’ils sont à la recherche de nouvelles certitudes et demandent qu’on leur donne des indications claires pour l’avenir, on souhaite qu’il y ait une personne qui connaisse et nous montre avec précision la voie à suivre et l’avenir qui nous attend. Or, cette personne n’existe pas. »

Ce constat établi d’emblée imprègne la suite du discours. Fil rouge de tous les développements du discours, la crise est omniprésente. Mais uniquement en tant que telle, car à aucun moment ne sont citées ou présentées des solutions de sortie de crise. Côté certitudes, par contre, Juncker n’a pas lésiné. La certitude qu’en temps de crise il faut davantage d’Europe : « L’Europe est un aspect essentiel de la raison d’État luxembourgeoise. » La paperjam  | Juin 2012 | éc onomie & finance

certitude qu’un petit pays a besoin d’investisseurs et de capitaux étrangers : « Nous vendons nos produits et services au niveau international. Cela nous oblige en contrepartie à accueillir chez nous des activités commerciales internationales », traitant de « provincialistes » les critiques émises çà et là à l’encontre des capitaux d’origine russe ou qatarie. La certitude que la dépendance à la place financière est malsaine et qu’il faut trouver }  18




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{ contre Lakshmi Mittal prit finalement un air

aussi pathétique que symbolique. Car cette attaque, aussi sincère qu’elle puisse être, est avant tout un aveu d’échec, l’aveu de l’impuissance du dirigeant politique devant le décideur économique. Cet échec est corroboré par l’absence, tout au long du discours, d’une vision politique pour favoriser la sortie de crise, l’absence de projet réunificateur ou rassembleur, et surtout l’absence de réponse à la question « De quoi demain sera-t-il fait ? ». Le caractère moralisateur du discours de JeanClaude Juncker n’est ainsi rien d’autre qu’une échappatoire, lui permettant de voiler son impuissance en dénonçant le Mal – et ceux qui le font ou le veulent. Que ses propos ne risquent dès lors pas d’être suivis de mesures concrètes, est une évidence. Mais que Jean-Claude Juncker, le « communiste », ait laissé Luc Frieden présenter les mesures d’économie nécessaires et peindre un avenir sombre pour le Grand-Duché avant son dis-

cours sur l’état de la Nation, prête tout à coup à de nouvelles interprétations… Que faut-il dès lors retenir du discours sur l’état de la Nation, mouture 2012 ? L’avenir incertain de l’économie luxembourgeoise ? Les reproches moralisateurs prononcés par M. Juncker ? La compilation de toutes les mesures en cours ou annoncées (voir encadré cidessous) ?

« Voulte bien, mais pouffe te pas » Les prévisions de croissance de la dette publique ? Le fait que Jean-Claude Juncker se soit implicitement positionné comme allié du nouveau président de la République française, François Hollande, en matière de politique européenne – et qu’il s’est donc mis en marge par rapport à la chancelière allemande Angela Merkel ? L’absence de sujets sociétaux dans le discours, comme pour

souligner la gravité de la situation économique ? Probablement, la quintessence du discours sur l’état de la Nation réside-t-elle dans le constat d’impuissance du Premier ministre, pris en tenaille au sein de sa coalition entre tendances néolibérales et convictions syndicalistes, livré au bon vouloir des patrons des banques et de l’industrie lourde, et donc incapable d’imposer sa volonté. En argot luxembourgeois, cela se traduit par « Voulte bien, mais pouffe te pas », autrement dit « Je voudrais bien, mais je ne peux point. » Une position malheureuse pour Jean-Claude Juncker, habitué à dominer les débats et à imposer ses initiatives depuis qu’il a pris la tête du gouvernement, il y a 16 ans. Mais cela revient aussi à dire que le Premier ministre luxembourgeois, à défaut d’être un vrai communiste, est d’abord un homme politique mis en échec et donc désabusé… Quant à l’état de la Nation, il n’est pas rose. Mais cela est encore une autre histoire.

Extraits

Catalogue d’annonces Économies à réaliser par l’État – Manipulation de l’index (effet sur traitements des fonctionnaires) – Frais de voyages – Gestion du parc automobile – Centralisation des achats d’énergie, de bureautique – Moins d’expertises et d’avis juridiques, de campagnes de publicité et de communication, de personnes siégeant dans les commissions d’examen intra-administratives Investissements publics – Plus de 1,8 milliard d’euros en investissements publics directs et indirects – Choix de construire moins luxueux et moins cher – Projets abandonnés : vélodrome, participation au stade national, bâtiments administratifs, travaux routiers (échangeur de Livange, A4 sur 3 voies vers la France), reconstruction halls Luxexpo

– Projets maintenus : infrastructure scolaire, Université à Belval – Mobilité : tram à Luxembourg (avec participation financière de la Ville), voie ferrée Luxembourg-Bettembourg, doublement ligne LuxembourgPétange, doublement de la voie ferrée Sandweiler-Pulvermühle, amélioration de la voie ferrée vers la Belgique Impôts et taxes – Pas de taxe spécifique sur les transactions financières – Pas de hausse de la TVA avant 2014 – Pas d’impôt de crise – Hausse de l’impôt de solidarité de 2 %, ce qui porte l’impôt à 4 % pour les individus et à 6 % pour les foyers aux revenus annuels supérieurs à 300.000 d’euros, à 7 % pour les entreprises et à 2 % pour les communes

Efficacité administrative – Table ronde, présidée par le Premier ministre, en automne, regroupant tous les investisseurs privés et publics (dont les communes) pour faciliter les investissements Recherche & Développement – 280 millions d’euros investis en 2012 – Fusion des CRP Tudor et Lippmann pour davantage d’efficacité – Développement de fonds d’investissements pour le secteur de la biotechnologie (25 millions d’euros) et des entreprises innovantes (150 millions d’euros) Social – Subsides aux loyers pour faibles revenus – Pas de réduction des contributions étatiques aux prestations sociales (sécurité sociale, pensions…) – Hausse du salaire minimum au 1er janvier 2013

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– Ni imposition ni réduction des allocations familiales – Développement des infrastructures pour la garde des enfants – Révision du système des chèques-services, meilleure prise en compte des revenus des familles – Subside de scolarisation pour les élèves de l’enseignement secondaire Mais aussi – Développement du secteur du tourisme, notamment le tourisme d’affaires et de congrès – Internet à haut débit pour 80 % des foyers et 100 % des entreprises en 2013 – Classement de 552 ha en terrains à construire ; créer 18.000 logements pour 44.000 personnes – Application de la taxe anti-spéculative sur les logements vides – Introduction, par étapes, d’un prix unique de l’eau













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g n u o Y e v i t a r e r u C e n e r p e r t n g r E u o b m e x Lu 2012 Concours

S’il ne doit en rester qu’un… La Jeune Chambre Économique du Luxembourg révèlera, le 6 juin, le nom du vainqueur du concours annuel – qu’elle organise pour la sixième fois en 2012 – récompensant le jeune entrepreneur de l’année. Sven Breckler (Beewee), Thibaut Britz (Trendiction) et Fabrice Dewasmes (Neopixl) sont les finalistes et représenteront le Luxembourg au concours organisé par la JCEL. Pierre Sorlut (texte), Jessica Theis (photos)

Ils sont encore trois en lice pour obtenir le titre de jeune entrepreneur de l’année au Luxembourg. Il s’agit de Sven Breckler, Thibaut Britz et Fabrice Dewasmes. Ils sont ici classés par ordre alphabétique. Le classement final ne sera, lui, dévoilé que le 6 juin, lors de la cérémonie de remise des prix au siège d’ArcelorMittal, partenaire de l’événement. Ils ont d’ores et déjà franchi – avec brio – la présélection effectuée par la Jeune Chambre Économique du Grand-Duché de Luxembourg (JCEL), organisatrice du concours Creative Young Entrepreneur Luxembourg (Cyel), et la sélection du jury, présidé par l’homme d’affaires et entrepreneur luxembourgeois, Jean-Claude Bintz. Le Creative Young Entrepreneur Award récompense tous les ans, dans une centaine de pays, un manager (de 18 à 40 ans) ayant accompli un acte fondamental pour le développement de son entreprise. Cette année, les trois finalistes « luxem-

bourgeois » du millésime 2012 ont tous fondé leur société, respectivement Beewee, Trendiction et Neopixl. Auksé Packeviciute, secrétaire général de la JCEL et chargée de l’organisation du Cyel, explique par ce concours vouloir « soutenir les jeunes entrepreneurs aux idées créatives et innovantes (…) en les mettant sous les projecteurs afin de leur donner la visibilité dont ils ont besoin pour continuer à mener à bien leurs projets ».

Sous les projecteurs En effet, les 12.000 euros distribués aux finalistes sont peu de choses comparés à l’exposition glanée dans les médias et notamment celle permise par la participation, déjà garantie, au concours organisé par la Jeune Chambre Internationale (JCI), fédération mondiale de jeunes leaders et entrepreneurs à laquelle la JCEL est affiliée. MM. Breckler, Britz et Dewasmes y reprépaperjam  | Juin 2012 | économie & finance

senteront le Grand-Duché, conformément aux vœux du jury. Ce dernier avait décidé de se focaliser sur la créativité, la passion et la capacité innovante de l’entrepreneur. Il était composé de personnalités luxem­bourgeoises influentes dans le milieu entre­preneurial local. Outre Jean-Claude Bintz (Lakehouse), il comptait entre autres dans ses rangs Diego De Biasio (CRP Henri Tudor), Rachel Gaessler (Chambre de Commerce), Frédérique Gueth (1,2,3 Go), Marc Ferring (Luxinnovation), Éric Hieronimus (INDR), Gérard Hoffmann (Telindus), Hedda Pahlson-Moller (Omnisource International), Paul-Michael Schonenberg (Amcham), Patrick Wies (KPMG), Jean-Paul Wolff (BGL BNP Paribas) et Olivier Raulot (iNUI studio). L’intéressé a d’ailleurs gagné le concours précédent en présentant sa société pionnière dans le domaine des interfaces homme-machine. Cette année encore, un seul remportera le premier prix de la JCEL. Néanmoins, selon l’avis du jury – unanime sur la question – tous ont devant eux un avenir professionnel prometteur.


33 actualité

Sven Breckler

« Sur la bonne voie » Informaticien de formation, le Luxembourgeois est surtout un entrepreneur-né. Le jury du Cyel a loué ses capacités à conjuguer les derniers développements technologiques aux attentes du marché grâce à sa société de développement d’applications web, Beewee, mais aussi et surtout avec son logiciel de facturation en cloud, LaCuenta.

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Sven Breckler (Beewee) béni du Cyel ? Il n’attend en tout cas pas le résultat final pour attirer la lumière.

Le jeune entrepreneur de l’année au Luxembourg sera peut-être… Sven Breckler. En octobre 2009, âgé d’à peine 25 ans, il créait Beewee, une société de développement d’applications web. Si l’objet de la société, la prestation de services informatiques, paraît dorénavant plutôt classique, l’entrepreneur a su lui conférer un véritable caractère novateur, « dans l’utilisation des dernières technologies ». D’abord pour créer une page web qui s’adapte automatiquement à la résolution du support. L’intégration d’une solution esthétique est un second critère. Il est même possible de dire que l’intégration de la technique figure dans l’ADN de la société puisque Sven Breckler, ingénieur informaticien a son frère comme associé. Benjamin est lui graphiste de formation. Ce n’est pour autant pas ce qui pousse Rachel Gaessler, membre du jury et observatrice privilégiée de par le programme Business Mentoring de la Chambre de Commerce qu’elle coordonne, à dire que « règne dans cette société un esprit presque familial ». Elle fait là allusion à un management très porté vers l’humain malgré un effectif déjà relativement important pour une

start-up, puisqu’elle compte une vingtaine d’employés. La taille de la société répond en fait à une stratégie de diversification, permise notamment par un double financement externe via les sociétés d’investissement Rollinger Venture Capital et Sting.

LaCuenta por favor Beewee opère d’abord dans le développement de projets web (notamment des sites), d’applications mobiles et d’applications classiques. Mais travaille aussi sur du tangible avec ses deux front offices que sont les IT Heroes shops, à Remich et Ettelbrück, dans lesquels des techniciens réparent le matériel informatique endommagé et/ou en vendent du nouveau. L’ITshop.lu vient même compléter la force de vente. Lancée en janvier, la plate-forme compte déjà plus de 200.000 articles. Mais pour Olivier Raulot, vainqueur de l’édition 2011 du concours Cyel et fondateur d’une société technologiquement innovante, iNUI studio, le projet dans son ensemble est intéressant. Il souligne cependant une application développée par paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

Beewee : LaCuenta, un logiciel de facturation et de gestion du stock basé sur le web. « On parle aujourd’hui du cloud. Or le Luxembourg a développé une réelle infrastructure. Derrière LaCuenta se cache un vrai business model. Ils sont en train de se frayer un chemin. Aujourd’hui très peu d’applications sont réellement cloudable. Il y a donc de la place pour les PME avec un vrai marché applicatif. » Depuis le Technoport d’Esch-sur-Alzette, Diego De Biasio observe lui que Beewee répond tout simplement aux besoins du marché. D’ailleurs le CV en ligne de Sven Breckler n’indique-t-il pas qu’il a pour ambition d’en combler les vides ? Encore faut-il les voir. Pas si facile de s’apercevoir d’une absence. Mais le natif d’Esch est un entrepreneur-né. Rachel Gaessler en témoigne. « Il a ça dans le sang. C’est quelqu’un de très passionné. » Elle ajoute même avoir été « impressionnée par la gestion de la croissance de l’entreprise ». En effet, la start-up se développe vite grâce notamment à un financement externe, et ce malgré la jeunesse de son staff. La diversité de ses activités lui permet de pratiquer le cross-selling de ses différents produits. De même, privilégiant une diversification des lignes de revenu pour minimiser le risque, l’entrepreneur se distingue encore par ses capacités de management. Sa participation au concours n’est, elle, pas de son fait, mais de celui de son frère. En effet, Benjamin a inscrit Sven à son insu. Ce dernier ne boude néanmoins pas l’intérêt d’un tel concours : « Cela sert notre visibilité, mais cela nous permet aussi de voir ce que font les autres concurrents et de savoir si nous avançons sur la bonne voie. »


34 actualité Thibaut Britz

« Un outil qui voit tout » Le jeune dudelangeois s’est résolument engagé dans l’exploitation des NTIC en fondant Trendiction, une start-up opérant un moteur de recherche abouti, passant notamment en revue le web 2.0. Sa conviction, sa créativité et son approche moderne du management sont aujourd’hui remarquées.

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Thibaut Britz (Trendiction) s’affirme au gré des succès rencontrés par la société qu’il a fondée.

Le jeune entrepreneur de l’année au Luxembourg sera peut-être… Thibaut Britz, 29 ans. Il est l’avatar, au sens pieux, de la prégnance des nouvelles technologies de l’Internet et de la communication sur l’économie dans son ensemble. Son œuvre, Trendiction, combine parfaitement maîtrise de l’outil informatique, innovation et contrôle de l’image. La start-up basée au Technoport d’Esch-surAlzette, l’incubateur du Centre de recherche public (CRP) Henri Tudor, opère dans le web crawling, c’est-à-dire la veille et la collecte de données ciblées sur la toile. Pour schématiser, ses services permettent aux clients d’exploiter les occurrences des termes de référence relevées sur le web, et notamment sur les réseaux sociaux. Ce dernier aspect sert d’ailleurs de principal vecteur de différentiation par rapport à des moteurs de recherche plus classiques, comme Google. Thibaut Britz rappellera également que Trendiction permet d’affiner davantage la recherche par la multiplicité de critères autorisés. « C’est un outil qui voit tout », résume-t-il. Ainsi, sur la plate-forme en ligne Talkwalker, dernier produit commercialisé par la start-up, le client peut quantifier et visualiser l’utilisation de sa marque ou des sujets qui le préoccupent. Par

exemple, une analyse statistique fournie par l’outil permettra à une société de quantifier les références à ses produits ou à ceux de ses concurrents. Voilà pour le côté innovant du business model. Mais le jury a surtout retenu les qualités de l’homme pour le hisser en finale. Car derrière son visage de jouvenceau, un réel entrepreneur bouillonne.

Un modèle d’entrepreneur Pour Jean-Claude Bintz, président du jury, Thibaut Britz a manifesté pendant son exposé une réelle sincérité qui a donné « envie de croire en la personne. Il a su convaincre », confie l’entrepreneur aguerri. Mais ces dernières années parlent davantage pour sa détermination. Entre 2009 et 2011, lui et son premier associé, Christophe Folschette, ont bâti l’infrastructure sur fonds propres et sans se verser de salaire. « Peu croyaient en nous, explique le jeune dudelangeois. Nous faisions face à de nombreuses objections et nous n’avions pas de financement, mais nous avons continué de croire en notre idée. » Et ils ont eu raison. La start-up devrait atteindre le seuil de rentabilité au deuxième paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

semestre. « Je pense qu’il y a un avenir énorme pour ce business », insiste celui qui a fondé l’opérateur téléphonique Tango, M. Bintz. Les agences de communication, les sociétés d’analyse de marchés, les institutions publiques, les médias ou encore toute entreprise s’inquiétant de son image de marque figurent parmi les prospects. La star-tup créée en 2009 compte aujourd’hui 13 employés et avance sur de bons rails, notamment grâce à la maturité son fondateur. D’abord, il a su composer un équipage complémentaire. Outre Christophe Folschette pour le développement technique, il s’est associé à Robert Glaesener, ancien managing director de la banque en ligne Internaxx et dorénavant CEO de Trendiction, pour travailler à l’expansion commerciale. « Ils ont construit une stratégie raisonnable commençant par les pays germanophones. Ils abordent cette année d’autres marchés. Maintenant, c’est une entreprise en pleine croissance », constate Diego De Biasio, le manager du Technoport. « On entendra encore parler d’eux », insiste-t-il. Aujourd’hui la start-up continue de recruter des ingénieurs. Thibaut Britz espère d’ailleurs que le concours lui offrira davantage de visibilité et de crédit pour attirer de bons éléments. Ces derniers seront, le cas échéant, certainement heureux de goûter à la gestion, plutôt libérale, des ressources humaines. C’est ce qui a plu à Rachel Gaessler, manager du programme Business Mentoring à la Chambre de Commerce. « Il développe l’état d’esprit d’une entreprise libérée en privilégiant la flexibilité des horaires et congés. Ce type de management moderne paraît idyllique. Il représente bien l’entrepreneuriat, de ce qu’on peut connaître comme difficultés, mais aussi des réussites », résume-t-elle. Suffisamment pour remporter le prix ?



36 actualité Fabrice Dewasmes

« Applications bien pensées » L’entrepreneur français, actif dans la création de logiciels et d’applications pour Mac et mobiles avec la société qu’il a fondée, Neopixl, séduit le jury du Cyel par sa capacité créative et son observation du marché.

liste a n i F 2012 L E Y C

Depuis le Technoport, Fabrice Dewasmes (Neopixl) observe le marché et met en pratique les idées qu’il souhaite lui mettre à disposition.

Le jeune entrepreneur de l’année au Luxembourg sera peut-être… Fabrice Dewasmes. Le Français a pris son envol entrepreneurial à 35 ans, en 2011, après avoir engrangé expérience et connaissance du marché dans différentes sociétés informatiques. Sa start-up basée au Technoport d’Esch-surAlzette, Neopixl, développe des logiciels dédiés aux plates-formes MacOS et aux supports mobiles. Elle offre même dans ce dernier domaine un service de conseil. Mais la société travaille également sur des programmes pour des marchés de niche. Parmi eux, Running Order, un outil d’aide à la conduite d’émissions de télévision. Et cela ne s’arrête pas là. L’entrepreneur jouit en fait d’une véritable verve créatrice. D’abord pour se différentier de ses concurrents, Fabrice Dewasmes a choisi une approche centrée sur l’aspect technologique, sur l’experience design et sur l’ergonomie. « Trois composantes qui font qu’un logiciel va être adopté, dit-il. Nous estimons que les utilisateurs ont droit à des applications à la fois bien pensées et agréables à utiliser. » Presque une promesse électorale. Mais l’entrepreneur sait aussi observer la demande. La spécialisation sur le « marché Mac » répond à un besoin né « d’une cadence imposée par Apple ». Le développement de la partie mobile est lui lié à une évolution structurelle. « Nous voulons accompagner les utilisateurs dans l’ensemble de leurs process, explique l’entrepreneur. Pratique-

ment plus rien ne se fait sur le desktop. Tout est déplacé sur la partie mobile. Nous n’y sommes pas allés parce que c’était hype, mais parce qu’il y avait un réel besoin. » D’ailleurs, tous les smartphones sont concernés. Pas seulement les iPhones. Placer le cadre de travail dans une situation mobile constituait l’un des objectifs suivi par la start-up.

Je suis donc je pense Olivier Raulot, ancien vainqueur du concours Cyel et public averti de la scène new technology luxembourgeoise, n’admire chez Fabrice Dewasmes pas tant ses capacités innovantes que les réalisations techniques. « L’approche open source et crossplatform valorise les qualités de l’ingénieur. Ses compétences techniques sont gage de réussite. » Jean-Claude Bintz, président du jury du Cyel, mais surtout homme d’affaires luxembourgeois averti, a déjà rencontré Fabrice Dewasmes à plusieurs reprises lors de son parcours professionnel. Pour lui, le CEO de Neopixl a « toujours su mettre la réponse sur les problèmes ». L’entrepreneur français suit donc d’abord le marché avant de lui répondre avec une solution idoine. Parmi celles-ci, en bonne place dans la vitrine virtuelle de Neopixl, figure Running Order, un programme de conduite d’émissions télé née de paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

la commande d’un client. Fabrice Dewasmes a d’ailleurs choisi de partager les frais de production afin de pouvoir continuer à exploiter le logiciel après sa conception. La start-up est aujourd’hui en discussion avec la société de production de télé-réalité néerlandaise Endemol pour céder l’exploitation de Running Order durant la sixième saison de Secret Story, un Big Brother français légèrement retravaillé. Diego de Biasio, membre du jury Cyel, connaît lui aussi bien Fabrice Dewasmes pour l’héberger au Technoport. Il le complimente bien volontiers, mais prévient. « C’est quelqu’un de très dynamique, doté d’un bon potentiel. Maintenant son challenge consiste à ne pas trop se disperser avec des activités superflues. » En effet, à vouloir répondre à toutes les demandes du marché, Neopixl et ses deux employés courent le risque de perdre des forces sur tous les fronts. Participants au programme business mentoring de la Chambre de Commerce, ils devraient être néanmoins conseillés pour éviter ce type de piège. La capacité d’écoute de l’entrepreneur est à ce titre louée par son entourage professionnel. Elle ne se limite d’ailleurs pas à ce seul cercle puisqu’il a pris en compte les arguments de… sa femme avant de faire la démarche pour postuler au concours Cyel. Pour l’intéressé, la participation à des concours génère une stimulation de la créativité. Avec Doogies, jeu conçu pour les téléphones mobiles, il a d’ores et déjà remporté un concours international d’applications organisé par Samsung. Et c’est par le biais d’un autre concours de développement d’applications (sur 36 heures), l’Apps foundry contest, coorganisé avec le Technoport, que la société souhaite rencontrer, et éventuellement recruter, des développeurs. Ainsi, la force de frappe de la start-up serait démultipliée et elle pourrait donner vie aux idées de l’inventif entrepreneur.


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38 actualité Yvette Hamilius

« Landsbanki ne leur doit rien » La liquidation de Landsbanki Luxembourg se poursuit dans la douleur. Plusieurs centaines d’investisseurs se disent victimes de fraudes de la part de l’établissement, mis en examen en France par Renaud Van Ruymbeke pour escroquerie. Ils accusent le liquidateur Yvette Hamilius d’agir contre leurs intérêts. Interview de l’avocate luxembourgeoise. Nicolas Raulot (interview), Jessica Theis (photo)

Madame Hamilius, quand et pourquoi avezvous été désignée liquidateur de Landsbanki Luxembourg ? « La liquidation judiciaire est intervenue à la suite d’une décision du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Celui-ci m’a désignée liquidateur le 12 décembre 2008. Landsbanki Luxembourg ne pouvait-elle plus faire face à ses engagements ? « Landsbanki Luxembourg est une filiale indirecte de Landsbanki Islande. C’est Landsbanki Islande qui ne pouvait plus faire face à ses engagements. Landsbanki Luxembourg a donc demandé une mise sous sursis de paiement ou gestion contrôlée en saisissant le tribunal luxembourgeois le 8 octobre 2008. Dans ce cas, une société commerciale ou un établissement bancaire doit faire examiner par des commissaires désignés par le tribunal si sa survie est possible ou s’il faut aller en faillite ou en liquidation judiciaire. Que s’est-il passé entre décembre 2008 et les perquisitions réalisées le 17 avril dernier chez Landsbanki Luxembourg ? « Les liquidateurs, Franz Prost de Deloitte et moi-même, avons procédé à l’activité de liquidation. Je suis seule depuis la démission de Franz Prost en mai 2009. Il y a deux volets dans la liquidation. Vous récupérez les actifs. Et puis, vous distribuez des dividendes aux créanciers. Pour Landsbanki, il y a eu près de 2.000 déclarations de créances. En l’espèce, j’ai payé un dividende de 100 % à tous les créanciers privilégiés (notamment les salariés) et à tous les déposants et fournisseurs. Pourquoi ces perquisitions ont-elles été réalisées ? « Je ne sais pas. Je dois vous rappeler que la perquisition n’a rien à voir avec mon activité de liquidation. La perquisition est une affaire islandaise, pas luxembourgeoise. Il s’agit de l’exécution au Luxembourg d’une commission rogatoire islandaise. Les prétendus malfaiteurs ont été désignés par les autorités islandaises, pas luxembourgeoises. Il ne faut pas confondre une perquisition et une mise en examen. La personne perquisitionnée est généralement détentrice de documents, qui peuvent être utiles à la découverte d’informations.

Vous essayez de recouvrer des créances auprès de personnes débitrices, parmi lesquelles beaucoup de retraités qui ont hypothéqué leur maison du sud de la France… « Je vous rappelle que tous les déposants de Landsbanki ont récupéré leurs fonds. C’est exceptionnel. Il reste deux créanciers : la Banque centrale du Luxembourg (BCL), qui a déjà récupéré une partie de sa créance, et Landsbanki Islande. La créance actuelle de la BCL doit avoisiner les 250 millions d’euros, celle de Landsbanki Islande 800 millions d’euros. Environ 400 personnes physiques ou morales ont contracté des emprunts chez Landsbanki avant la liquidation, sous forme d’equity release loans. Chacun de ces prêts était garanti par l’inscription d’une hypothèque sur un bien immeuble de ces emprunteurs. Aujourd’hui, ce sont des débiteurs de Landsbanki. Landsbanki ne leur doit rien. Pour quelles raisons, les victimes sont-elles en France et en Espagne ? « Landsbanki Luxembourg disposait d’établissements en Espagne et en France. Le produit a également été vendu par des conseillers financiers qui ont mis leurs clients en relation avec Landsbanki. Oui, mais les prêts consentis ont donné lieu à des créances beaucoup plus importantes… « Il faut tenir compte des intérêts débiteurs, qui ne sont pas remboursés et qui s’ajoutent au principal. Par ailleurs, les prêts ont été consentis en deux parts. Une partie a été remise à l’emprunteur pour son usage personnel, l’autre a été investie dans un portefeuille titres ou, au choix du client, dans une police d’assurances, ou un compte à terme. Or, les portefeuilles titres ont été particulièrement affectés par la crise de 2008, qui a conduit à l’effondrement des banques islandaises, Glitnir, Landsbanki et Kaupthing. Résultat : les actions et les obligations de ces établissements ont été fortement dévalorisées. Ce n’est pas la liquidation qui a rendu les prêts exigibles. Mais si l’établissement bancaire a un prêt non remboursé et que les garanties ne sont plus suffisantes, le contrat de prêt est dénoncé et l’emprunteur doit rembourser. C’est la situation dans laquelle se trouvent un certain nombre de débiteurs en France et en Espagne. paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

Les avocats de Enrico Macias disent par exemple qu’il a emprunté 8 millions d’euros et qu’il en doit 43 aujourd’hui… « C’est une fausse information. M. Gaston Ghrenassia (Enrico Macias est son nom d’artiste, ndlr.) a eu un prêt bien supérieur à 8 millions d’euros (la somme de 35 millions d’euros est évoquée, ndlr.). Un tel prêt ne pourrait engendrer un passif de 43 millions d’euros. Les portefeuilles titres dont vous parlez étaientils constitués des actions de Landsbanki elle-


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Polémique

Le ton monte

Yvette Hamilius « La créance actuelle de la BCL doit avoisiner 250 millions, celle de Landsbanki Islande 800 millions d’euros. »

même ? « Non. Cela a été répandu partout, mais c’est faux. L’argent a été utilisé pour acheter des obligations à court terme de Landsbanki et des autres banques islandaises, pas des actions. Tout l’argent était-il investi de cette façon ? « Non. Seulement 3 à 4 % de l’argent était investi de cette manière. Le reste était placé dans des actions ou des obligations d’autres sociétés. Cela dit, certaines personnes avaient choisi d’investir une grande partie de leur prêt dans des obliga-

tions de banques islandaises. Ceux-là ont en effet subi une perte importante. Votre mission consiste-t-elle désormais à vendre les maisons ? « La vente intervient en tout dernier lieu, si le débiteur n’est vraiment pas en mesure de rembourser Landsbanki. Dès les premiers mois de la mise en liquidation, nous avons commencé à transiger avec ce genre de débiteurs. Une bonne partie d’entre eux ont remboursé ce qu’ils devaient. Nous avons assez vite }  40 paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

C’est la guerre entre les investisseurs en equity release de Landsbanki Luxembourg et le liquidateur luxembourgeois de l’établissement, maître Yvette Hamilius. En arbitre, le juge français Renaud Van Ruymbeke, qui a mis la banque en examen à l’automne dernier pour escroquerie. Les deux parties se sont affrontées au début du mois par voie de communiqués. Le Landsbanki Victims Actions Group, a sonné la charge en demandant : « Le Luxembourg est-il en faillite morale ? ». Selon ces investisseurs, qui ont souscrit à ces produits miracles, et sont aujourd’hui menacés de perdre les maisons qu’ils ont hypothéquées, il y a eu fraude : « Landsbanki Luxembourg n’était pas déclarée et ne possédait aucune autorisation pour être une banque d’investissement en France et en Espagne et, de ce fait, la vente de ce produit était illégale. Ceci fut confirmé par un acte judiciaire dans ces deux pays, puis par une caution de 50 millions d’euros. » « Le 12 janvier 2012, le juge Van Ruymbeke a prononcé une amende de 1,875 million d’euros », poursuivent-ils. Quelques heures plus tard, le procureur général d’État Robert Biever réagissait et prenait la défense de Yvette Hamilius : « L’autorité de contrôle bancaire luxembourgeoise (CSSF) a confirmé que Landsbanki Luxembourg disposait d’un agrément en bonne et due forme délivré par le ministre des Finances et ce après avoir respecté les conditions et suivi la procédure pénale. La validité des contrats equity release a d’ailleurs été reconnue aussi bien par les juridictions luxembourgeoises que par les tribunaux et cours d’appel français saisis par les emprunteurs. » Le communiqué du procureur général d’État ajoute : « Il est encore inexact de dire que le juge d’instruction aurait prononcé une amende de 1,875 million d’euros contre Landsbanki Luxembourg. » Madame Hamilius a aussi déposé une plainte pénale avec constitution de partie civile le 11 mai dernier contre le Landsbanki Victims Action Group, auteur du communiqué. N. R.


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Yvette Hamilius : « Le tribunal de Luxembourg a décidé que Landsbanki n’était pas autorisé à payer 50 millions d’euros. »

{ proposé de rembourser 80 % de leurs dus. Cette

proposition de remise n’a pas été faite à la tête du client. Elle a été homologuée par le Tribunal de Commerce. Nous continuons aujourd’hui à transiger. À l’heure actuelle, nous adoptons d’autres modes de calculs, qui aboutissent à des taux inférieurs à 80 %. En fait, nous demandons à nos débiteurs de nous rembourser la partie du prêt à usage personnel, auquel s’ajoutent les intérêts. Landsbanki prend à sa charge la partie du prêt qui a été utilisée à des fins d’investissement. Toute cette partie du prêt est oubliée. Des maisons ont-elles déjà été saisies ? « Des procédures de saisie-exécution ont commencé, mais aucun immeuble n’a encore été vendu. Ceux que vous appelez débiteurs s’estiment victimes d’une fraude. Ils estiment que la banque était déjà en difficulté quand on leur a proposé ces montages, qu’on n’aurait jamais dû leur vendre… « Les procédures d’exécutions en cours en France ne sont possibles que s’il y a des jugements définitifs français autorisant la liquidation de faire exécuter des saisies et des ventes. À ce jour, aucun jugement n’a estimé que Landsbanki a commis une escroquerie, un abus de confiance, une tromperie, à l’égard de ces personnes. Tous les jugements mentionnent que les gens étaient avertis.

De quels jugements et de quelles juridictions parlez-vous ? « Je ne peux pas vous dire de mémoire. Mais certains de ces jugements ont déjà été confirmés en appel, comme à Aix-en-Provence. Il y a des procès à Paris, à Versailles, Douai, Grasse, un peu partout.

(Photo : Étienne Delorme/archives)

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qu’il y a eu des défaillances réglementaires… « Je ne pense pas que la mise en liquidation de Landsbanki soit à mettre en relation avec un défaut de surveillance de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF). Par ailleurs, les prêts dont on parle n’ont pas été inventés par Landsbanki. D’autres banques les ont pratiqués. Ce n’est pas typiquement islandais ou luxembourgeois.

ment de gens qui ont perdu parfois toutes leurs économies… « Le liquidateur n’agit pas dans l’intérêt de la place financière. Le liquidateur n’a pas à plaire à la CSSF, à la Banque centrale ou au ministre. Le liquidateur est indépendant et placé sous le contrôle du tribunal. Et nous avons au Luxembourg une séparation des pouvoirs. Je dépends du pouvoir judiciaire. Je ne veux pas plaire à la Place.

Vous parlez de la CSSF, mais la Banque centrale n’avait-elle pas le devoir de mieux contrôler cet établissement ? « Non.

Avez-vous déjà conduit d’autres liquidations de banques au Luxembourg ? « Oui. Notamment la BCCI (Bank of Credit and Commerce International) qui a été mise en liquidation judiciaire en 1992. J’en étais le liquidateur de 2003 à fin 2011, lorsque j’ai démissionné parce que la liquidation touchait à sa fin et parce que j’avais trop de travail. Pour BCCI, un dividende de 86,5 % a déjà été payé. La liquidation concernait 65 pays. Ce fut également une réussite pour la place financière. Beaucoup de fonds d’investissements sont également en liquidation, que ce soit volontaire ou judiciaire. C’est le cas depuis 2005 des fonds Amis et Top Ten. Toutes ces affaires sont toujours compliquées, car il y a beaucoup de déclarations de créances. Pour BCCI, il y en avait eu 150.000 ou 200.000. Ce ne sont pas des jobs qu’on fait en un an. En plus, dans ce genre de liquidations importantes, des comités de créanciers sont désignés pour surveiller les opérations de liquidation.

Comment se fait-il que la Banque centrale du Luxembourg soit créancière de 250 millions d’euros ? « La Banque fait des prêts aux banques établies à Luxembourg. Elle a octroyé un prêt à Landsbanki. Ce prêt n’était-il pas garanti par du collatéral ? « Si. Ce sont des portefeuilles titres qui ont été donnés en gage à la Banque centrale. Il ne s’agit pas de titres de Landsbanki.

La Cour de cassation a confirmé le 4 avril dernier une condamnation de Landsbanki Luxembourg (datant du 12 janvier) à verser une caution de 50 millions d’euros et une amende de 1,875 million d’euros… « Nous n’avons pas à payer cette amende. Ce serait le cas seulement en cas de condamnation de l’établissement pour escroquerie. Concernant la caution, M. Van Ruymbeke a rendu une ordonnance le 30 janvier en en suspendant le versement jusqu’au 31 mai. Le 31 janvier, le tribunal de Luxembourg a aussi décidé que Landsbanki n’était pas autorisée à payer 50 millions d’euros.

Les victimes de Landsbanki vous accusent de les traiter comme des débiteurs alors qu’ils s’estiment créanciers… « Si un débiteur fait valoir, lors de la liquidation, qu’il a été victime d’agissements incorrects par Landsbanki, il demande des dommages et intérêts. Certains demandent des montants de dommages et intérêts équivalant au montant de leur prêt. Mais, certaines de ces personnes ne veulent pas comprendre qu’ils ne sont pas créanciers. Landsbanki ne leur doit rien. À ce jour, après trois ans et demi de procédures judiciaires, des jugements sont en cours, mais il n’y a encore eu aucun jugement définitif, allouant des dommages et intérêts à des emprunteurs.

Les plaignants font aussi valoir que la Place de Luxembourg ne s’honore pas dans ces pratiques,

On vous reproche aussi d’agir uniquement dans l’intérêt de la Place de Luxembourg, au détripaperjam  | Juin 2012 | économie & finance

Avez-vous reçu des menaces dans le cadre de la liquidation de Landsbanki ? « J’ai déjà eu des menaces de mort. Mais pas pour Landsbanki. C’est arrivé dans le cadre de la liquidation des fonds d’investissement. Mon coliquidateur et moi avions déposé plainte. Pour Landsbanki, j’ai reçu des menaces par mail. Mais cela relevait plus du harcèlement. Je recevais 30 mails par jour. Làaussi j’ai déposé une plainte pénale contre cette personne. »





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Wickrange, Livange

Affaire d’État ? Alors que les deux promoteurs partenaires, Guy Rollinger et Flavio Becca, se livrent une guerre de communiqués, pointent des interrogations sur le rôle joué par le gouvernement dans cet imbroglio juridico-financier. Les grosses zones d’ombre qui planent depuis quelques temps sur le projet de stade-zone commerciale de Livange passent désormais au-dessus de la BCEE.

Photo : Luc Deflorenne (archives)

Plasman, l’ancien patron d’ING Real Estate et aujourd’hui à la tête de Wereldhave, le groupe qui a racheté l’activité immobilière de la banque orange. Nous avons perdu une somme conséquente, principalement en frais d’étude, mais ça fait partie des risques. Nous n’avons pas en revanche été impliqués dans un quelconque accord avec l’autre promoteur. »

Pressions... ou pas ?

Marc Gerges et Jean-Michel Gaudron

À l’heure où nous clôturions cette édition, d’Lëtze­buerger Land a ajouté une pierre dans le jardin du projet du stade national de Livange : l’hebdomadaire indépendant rapporte que le gouvernement aurait donné « un coup de pouce » pour que le Groupe Guy Rollinger obtienne un prêt à taux réduit de 16 millions d’euros de la part de la BCEE. Un prêt sensé faciliter l’apport de surfaces commerciales, initialement prévues par le groupe pour son propre projet à Wickrange, au profit du projet de Livange porté par Flavio Becca. Cet épisode fait suite à une sortie remarquée du groupe Rollinger qui, quelques jours plus tôt, avait remis le feu aux poudres en annonçant son intention d’introduire une action en justice contre M. Becca, pour « non-respect de ses engagements ». Les racines de cette histoire remontent à 2007 lorsque le Groupe Guy Rollinger (propriétaire des terrains) et ING Real Estate Belgium, associés dans la société Wickrange Shopping Center, avaient reçu l’autorisation du ministère des Classes moyennes (alors tenu par le chrétien-social Fernand Boden) pour la réalisation d’un centre commercial à

Wickrange, avec 120 à 130 magasins répartis sur une surface de vente de 31.540 m2. Dans le même temps, dans la discrétion, le projet de Livange avait commencé aussi à prendre forme. Ce qui amena le gouvernement à trancher et à privilégier, finalement, ce dernier. Et, comme le formule Guy Rollinger lui-même, à « fortement (l)’inviter » à rejoindre le projet de son concurrent devenu alors partenaire. Selon le Land, l’apport en nature de 22.000 m2 de surfaces commerciales par le Groupe Rollinger aurait été valorisé à 22 millions d’euros, somme que Becca aurait dû verser à Rollinger lorsque le projet de Livange aurait reçu toutes les autorisations nécessaires. Simultanément, Guy Rollinger serait intervenu auprès du Premier ministre lui-même pour que la BCEE, banque étatique, lui accorde un prêt de 16 mil­ l­ions d’euros sans véritable calcul de solvabilité et à taux réduit. Cette somme aurait été utilisée pour dédommager, à hauteur de 10 millions d’euros, le partenaire ING Real Estate de la non-réalisation du projet initial. Problème : « Nous n’avons jamais touché le moindre dédommagement, affirme à paperJam Luc paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

Qui dit vrai, qui dit faux ? Il est certain que les intentions de Guy Rollinger d’aller en justice contre Flavio Becca ont déclenché des hostilités que personne ne semble plus contrôler. Le Land fait aussi état de problèmes de trésorerie du Groupe Rollinger, qui aurait renfloué ses caisses ou payé des dettes avec les 6 millions d’euros restant du prêt. Dans la partie de ping-pong jouée par Rollinger et Becca à coups de communiqués de presse, c’est aussi une petite phrase mentionnée par ce dernier qui n’est pas passée inaperçue : « Le Groupe Rollinger (…) tente d’agir par son truchement contre l’État, alors que les griefs portés dans le communiqué de presse ont en réalité comme destinataire final, l’État. » Du coup, le ministre de l’Intérieur a été amené à faire une déclaration publique au Parlement pour essayer, vainement, de clore la polémique: « Dans cette histoire, je vois deux promoteurs qui ont des divergences d’interprétation sur un accord, mais à ce jour je n’ai pas connaissance d’un quelconque accord entre eux et je n’ai rien d’autre à ajouter concernant cette histoire. » C’était avant que le Land n’en rajoute une couche… La partie est bel et bien relancée et le coup de sifflet final ne semble pas encore prêt d’être donné.





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Diekirch

De la bière et des briques En 2010, Saphir Capital Partners et ses partenaires avaient permis le maintien de la production brassicole de la Brasserie de Luxembourg sur son site historique. Aujourd’hui, ils y prévoient la création de logements, de commerces et de bureaux, tout en renouvelant l’outil industriel.

Sébastien Lambotte

Après avoir sauvé les marques Diekirch et Mousel de la délocalisation, Saphir Capital Partners et ses partenaires ont présenté, en ce mois de mai, leur projet de réhabilitation du site historique de la Brasserie de Luxembourg. Baptisé « Dräieck Dikrech », il prévoit la création d’une nouvelle brasserie, de logements et de commerces au cœur de la ville de Dierkirch. Ce projet est le fruit de près de deux ans de travail, d’une négociation puis d’une collaboration fructueuse, entre AB InBev, propriétaire de la Brasserie de Luxembourg et des deux marques de bières luxembourgeoises, et les investisseurs locaux. On se rappelle que le 30 juin 2010, Saphir Capital Partners, avec CM Participations et la famille Schneider, avaient racheté le site de la brasserie, afin que la production d’une des bières préférées des Luxembourgeois, la Diekirch, soit maintenue dans la ville du même nom. AB InBev envisageait en effet de la « rapatrier » en Belgique. « En tant que Luxembourgeois, il y a quelques marques auxquelles nous sommes attachés, commente Patrick Hansen, directeur de Saphir Capital Partners. Diekirch et Mousel en font partie. Quand nous avons appris la volonté d’AB InBev de délocaliser, pour des raisons purement économiques, la production de ces marques en Belgique, nous avons voulu réagir. De manière proactive, nous sommes allés à la rencontre des dirigeants, pour les convaincre de la valeur de ces marques et de l’importance d’en maintenir la production au Grand-Duché. »

Raison sentimentale La première motivation des investisseurs était donc, en grande partie, sentimentale. Même s’il paraît aujourd’hui évident qu’une marque comme Diekirch aurait sans doute perdu beaucoup de sa valeur en étant produite en dehors du Luxem-

bourg. AB InBev n’avait sans doute pas pris en compte l’attachement des Luxembourgeois à une marque nationale. Simplement, aux yeux du brasseur, l’outil de production présentait une structure de coûts bien trop conséquente. C’est pour cette raison principale qu’AB InBev voulait l’abandonner. L’annonce de cette intention avait suscité une vague d’indignations importantes au cœur du premier semestre 2010. « Le consommateur, en premier, a fait entendre son mécontentement. Au sein du groupe, nous croyons beaucoup dans la production de produits de qualité et dans nos outils de vente et de marketing. La conjoncture, toutefois, exige un suivi rigoureux des coûts, assure Simon Wuestenberg, directeur de la Brasserie de Luxembourg, arrivé en mars 2011, après une restructuration importante. Le groupe jugeait que, par rapport à d’autres sites de production, celui de Diekirch présentait des coûts de maintenance trop importants et n’était plus adapté à la demande du marché. » Alors que la Brasserie de Luxembourg produit environ 140.000 hectolitres de bière par an, l’outil peut permettre d’en brasser 400.000. « La production n’a atteint la capacité maximale qu’une fois, à une époque où l’on vendait la bière à un prix dérisoire », commente le directeur. Pour convaincre AB InBev de maintenir sa production à Diekirch, Saphir Capital Partners et ses partenaires ont dû proposer une solution qui permette de satisfaire tout le monde. Les investisseurs ont racheté le site, l’infrastructure et les terrains, pour les mettre à disposition du brasseur à travers un accord de partenariat. AB InBev, dans ce contexte, a gagné en flexibilité. Désormais, la Brasserie de Luxembourg peut se concentrer sur la production de ses bières, le développement de ses marques, sans avoir à assumer la gestion d’une infrastructure inadaptée. Elle emploie, à l’heure actuelle, 75 personnes. La production comme le nombre d’emplois devraient rester stables dans les années à venir. paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

Mais les investisseurs de Saphir Capital Partners, aussi sentimentaux soient-ils, ne se sont pas lancés dans ce projet pour faire de la philanthropie. Une fois les garanties du maintien de la production brassicole acquises, il leur appartenait de valoriser ce site. Alors qu’ils n’avaient jusqu’alors jamais investi dans l’immobilier, les voilà propriétaires de murs et de terrains. « L’enjeu, aujourd’hui, est de pouvoir organiser le site de manière optimale, explique John Penning, managing director de Saphir Capital Partners. Vu la demande du marché, il ne peut plus être intégralement dédié à la production industrielle de bière. D’autre part, avec des bâtiments classés en son sein, il n’aurait pas facilement attiré des investisseurs immobiliers. Le projet est techniquement difficile. » Les investisseurs se sont donc positionnés en intervenants tiers, facilitateurs des démarches, permettant à la fois le maintien d’une activité industrielle historique et la valorisation immobilière du site. « C’est l’immobilier, on peut le dire, qui va permettre le maintien de la production brassicole. Mais la réhabilitation de la brasserie permet aussi d’envisager des développements intéressants, de mettre en valeur un site remarquablement situé », poursuit M. Penning. Leur projet, longuement mûri, et conçu avec le bureau d’architectes Beiler & François Architectes, a été présenté au moment même où une demande de PAP (projet d’aménagement particulier) a été introduite. « Ce projet prévoit la préservation des anciens immeubles protégés, qui présentent une réelle qualité architecturale. La conservation du patrimoine, un atout majeur pour l’identité du site, était la principale contrainte. On pense notamment à la ‘Zockerfabrik’, bâtiment remarquable qui contient actuellement l’administration et le laboratoire de la brasserie, explique Tom Beiler, associé du bureau d’architectes. On prévoit aussi, au cœur du projet, l’extension de bâtiments existants ainsi que de nouvelles constructions. »


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Visuel : Beiler + François Architectes

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Le projet « Dräieck Dikrech », conçu par le bureau Beiler + François Architectes, permet d’envisager l’organisation du site de manière optimale.

Quant à la production en elle-même, alors qu’il fut un temps envisagé de la déplacer à un autre endroit à Diekirch, elle va finalement être maintenue sur son site historique. « Nous allons développer une nouvelle brasserie, adaptée à la demande du marché. Elle sera construite en collaboration avec les ingénieurs d’AB InBev, pour qu’elle puisse répondre aux plus hauts standards de qualité », poursuit John Penning.

Nombreuses potentialités Cette infrastructure industrielle sera exploitée par une nouvelle société, la Grande Brasserie du Nord, constituée par Saphir Capital Partners et ses partenaires financiers, en exclusivité pour la Brasserie de Luxembourg Mousel-Diekirch, filiale du groupe AB InBev.

Pour le reste, l’auteur du projet a pris en compte les potentialités du site, à proximité du centre de Diekirch, de la gare et des parcs aménagés le long de la Sûre. Il a prévu d’y déve­ lopper du logement, du commerce et, peut-être, des bâtiments à même d’accueillir une administration. Deux scénarios sont actuellement encore envisagés. Le premier prévoit la création de 322 logements, de 2.050 m2 de surfaces commerciales et de 1.000 m2 de surfaces administratives. Le second envisage la création de 200 unités d’habitation, 3.850 m2 de commerces et une surface de 12.050 m2 dédiée à des fonctions administratives. « Les volumes du patrimoine historique seront conservés et les nouveaux volumes créés mettront en évidence le patrimoine, définiront les espaces extérieurs, s’adapteront aux constructions en péripaperjam  | Juin 2012 | économie & finance

phérie du site tout en contribuant à créer un ensemble immobilier, poursuit Tom Beiler. Vu l’envergure du projet et la volonté de créer des quartiers vivants, une certaine mixité s’impose. » Le bourgmestre de la commune de Diekirch, Claude Haagen, est particulièrement attentif aux facteurs devant permettre cette mixité des fonctions et des publics. Entre les bâtiments anciens et nouveaux, des surfaces vertes seront aménagées, ainsi que des chemins devant favoriser la mobilité douce. Le développement de ce projet, dont le volet financier n’a pas été évoqué par ses instigateurs, doit être mis en relation avec le développement de la Nordstad. Il lui est complémentaire. Dans une région qui connaît une croissance démographique significative, ce projet est évidemment plus que bien accueilli.




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Applications mobiles

Payer du bout des doigts Deux solutions de paiement mobile ont été développées et sont déjà mises en œuvre au Luxembourg. D’autres sont annoncées… La révolution est en marche.

Sébastien Lambotte

Depuis la mi-mai, il est possible, au Luxembourg, de payer de nombreux achats au moyen de son téléphone mobile. La société Mobey, grâce à l’application Flashiz, que l’on peut qualifier de porte-monnaie électronique, a rendu cette avancée possible. Mais si cette start-up est la première à offrir une solution de paiement mobile à l’ensemble des détenteurs d’un smartphone fonctionnant sous iOS d’Apple ou Android, elle n’est pas la seule à avancer sur le créneau. La société Mpulse, elle aussi de droit luxembourgeois, annonce, avec son application Digicash, l’arrivée d’une solution qui ressemble fortement à celle de son concurrent. Entre les deux acteurs, seule l’approche du business varie. Mobey, récompensée en mai par le Flagship Award décerné par l’Association des professionnels de la société de l’information, s’est positionnée en tant qu’établissement de monnaie électronique, agréé par la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF). L’application Flashiz permet à tous ceux qui le désirent de payer leurs achats et factures, ou même d’échanger de l’argent de personne à personne, par voie électronique. « L’utilisateur accède au service de paiement depuis son smartphone connecté à Internet, via notre application mobile dédiée, télé­ chargeable gratuitement, explique Alexandre Rochegude, directeur général de Mobey. Elle lui permet de scanner un QR code, reprenant les données du paiement, présenté sur une facture, un ticket de caisse ou encore un écran. L’utilisateur est alors invité à valider le paiement grâce à un code PIN. Le donneur d’ordre et le bénéficiaire recevront alors une notification immédiate confirmant la transaction. » Les QR code (QR pour Quick Response) sont ces fameux petits carrés, en noir et blanc, que l’on voit fleurir sur de nombreuses campagnes publicitaires, sur des affiches, dans les magazines ou sur des produits. Une technologie bien éprouvée, accessible via tous les smartphones, qui facilite

l’émergence de ce nouveau moyen de paiement. Pour pouvoir utiliser cette application, l’utilisateur doit au préalable ouvrir un compte personnel et l’alimenter, soit par virement, soit auprès d’un commerçant qui propose ce mode de paiement. Mobey annonce aussi que, prochainement, il sera possible de lier son compte Flashiz à une carte de crédit. « La solution se veut simple d’utilisation et n’engendre aucun investissement particulier pour le commerçant », poursuit le directeur général de Mobey. La solution Digicash de Mpulse, récompensée, elle, lors des premiers Accenture Innovation Awards for financial services, fonctionne de la même manière. Mais plutôt que de s’adresser directement au grand public, la start-up a préféré discuter avec les banques. « Nous avons choisi de nous positionner comme établissement de paiement. Notre offre s’adresse aux banques qui, à leur tour, pourront proposer un service nouveau à leurs clients, explique Raoul Mulheims, managing partner de Mpulse. Nous nous appuyons donc sur le lien de confiance préexistant entre la banque et son client. » Dans le cas de Digicash, l’application est directement attachée au compte d’un client au sein de l’établissement bancaire qui lui proposera alors de profiter d’une telle solution. Selon son développeur, cette solution doit faciliter des paiements plus importants à partir du compte en banque, sans devoir forcément se connecter à une solution de web banking.

Convaincre sur deux pans Tout l’enjeu, désormais, est de pouvoir con­ vaincre un maximum d’utilisateurs de l’intérêt d’utiliser de tels modes de paiement. Pour cela, il faut pouvoir offrir, très rapidement, la possibilité de payer dans un grand nombre d’endroits, à de multiples occasions. Or, pour con­vaincre un nombre croissant de commerçants, il faut aussi pouvoir fédérer rapidement un nombre important d’utilisateurs. C’est l’éternel problème de la poule ou de l’œuf... paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

À la mi-mai, Mobey revendiquait déjà plus de 1.500 points de vente, commerçants, restaurants et cafés au Luxembourg, où son application Flashiz était disponible. « S’y ajoutent des transports publics et les parkings Vinci à LuxembourgVille », précise Alexandre Rochegude. Mpulse, pour sa part, indique – sans néanmoins désirer entrer dans les détails – avoir conclu des accords avec plusieurs enseignes, qui déploieront des QR code sur les factures ou tickets de caisses qu’elles émettront, notamment, dans le secteur de la grande distribution. Pour convaincre l’utilisateur, il fallait déjà développer une solution simple à utiliser. Ce que, semble-t-il, les deux acteurs sont parvenus à proposer. Leurs solutions présentent plusieurs avantages, le premier étant la rapidité d’exécution. Mais se pose aussi directement la question de la sécurité. Et là, les deux développeurs précisent que leur solution respective présente un niveau de sécurité identique, sinon plus élevé, que pour l’utilisation d’une carte de crédit. « Chaque transaction, avant d’être passée, doit être confirmée par un code PIN, précise Raoul Mulheims. De plus, l’utilisateur, en cas de perte, a la possibilité de faire bloquer son compte. » Enfin, aucune information relative aux transactions n’est stockée dans le téléphone et le QR code ne contient que l’identité du bénéficiaire, le montant à payer et la référence de la transaction qui se déroule, effectivement, à partir des serveurs sécurisés d’acteurs, euxmêmes sous le contrôle de la CSSF. « Alors qu’une carte présente le risque d’être copiée au moment de la transaction, c’est plus difficile au niveau d’un téléphone que l’on garde en main à tout moment », commente encore Alexandre Rochegude. Mpulse négocie actuellement avec plusieurs acteurs du secteur bancaire au Luxembourg. « La BCEE et la Banque de Luxembourg ont déjà exprimé leur intérêt. Des discussions avec d’autres acteurs en vue de leur adhésion prochaine sont en cours », assure Raoul Mulheims, qui précise que la solution devrait pouvoir être testée durant l’été au niveau de la première banque avant


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Flashiz et Digicash ont pris un peu d’avance. D’autres applications sont attendues.

d’être mise à la disposition des clients dès septembre. « Au-delà des questions de sécurité, les banques mesurent avant tout le risque réputationnel lié à l’adoption de telles solutions. Elles se demandent si le produit peut prendre, s’il sera adopté par un nombre suffisant d’enseignes avant d’investir dans une telle stratégie, explique-t-il. D’une banque à l’autre, les motivations pour adopter une solution comme celle que nous proposons peuvent être sensiblement différentes. »

La bonne taille Reste que la Place, en matière de paiement mobile, sera la première à voir se déployer de telles solutions à l’échelle d’un pays. Mobey,

comme Mpulse, ne cachent pas que la taille du territoire, permettant une proximité et facilitant l’accessibilité des divers acteurs, a facilité leur mise en œuvre. Pas de doute qu’ensuite, les résultats de ces premières expériences seront analysés avec attention, ici comme ailleurs. Aussi, les deux acteurs ne veulent-ils pas se limiter au territoire luxembourgeois et ont, à moyen terme, des ambitions internationales, du moins européennes. Entre eux, la concurrence pourrait être tendue. Et si Flashiz semble avoir pris un peu d’avance, les développeurs de Digicash restent sereins, confiants en l’approche qu’ils ont privilégiée. « Il est tout à fait possible, par ailleurs, que les deux solutions coexistent », assure M. Mulheims. D’autres acteurs, ces dernières semaines, ont également paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

déclaré préparer des applications mobiles dédiées au monde de la finance. C’est notamment le cas du groupe allemand Otto, avec le lancement depuis le Luxembourg de Yapital, en mars dernier. La société, dont le concurrent visé n’est autre que PayPal, a fait part de son ambition de développer des solutions permettant une série d’opérations financières en ligne et via les télécommunications mobiles. Contacté par nos soins, Yapital a néanmoins tenu à préserver un certain mystère autour de ses développements. « Avec nos solutions, les consommateurs seront en mesure de payer avec leur mobile, s’est contenté de commenter Nils Winkler, managing director de Yapital. Mais nous ne sommes pas un porte-monnaie mobile. Nous avons adopté un point de vue un peu plus global. »


54 actualité Services financiers

Une réelle volonté d’innover Au travers de la remise d’awards dédiés, Accenture mise sur l’innovation en matière de services financiers. Le Luxembourg a une carte à jouer en la matière.

« Les solutions innovantes permettent d’améliorer la relation avec le client » Pascal Denis (Accenture)

Photo : David Laurent / Wide (archives)

Sébastien Lambotte

Digicash, Funds For Good et Seezam : voilà les trois sociétés luxembourgeoises lauréates des premiers Innovation Awards for Financial Services délivrés à Luxembourg par Accenture. Une récompense qui, au-delà du prestige d’un prix reçu, met surtout en lumière les démarches d’innovation en matière de services financiers, peu, voire pas du tout, connus, quand bien même cela constitue un pilier important pour le développement de la Place. « De manière générale, les solutions innovantes permettent d’améliorer la relation avec le client et tendent à lui faciliter la vie. En permettant une meilleure connaissance du client et du business, elles permettent d’ouvrir de nouveaux horizons », résume Pascal Denis, country managing director d’Accenture Luxembourg. Entre théorie et pratique, qu’en est-il au Luxembourg ? Et comment stimuler davantage cette démarche d’innovation ? « Elle est bien présente au Luxembourg. On peut le voir à travers les nombreuses candidatures luxembourgeoises pour ces awards, mais aussi en interne, dans nos entreprises, a expliqué Carlo Thill, CEO de BGL BNP Paribas, à l’occasion d’un débat tenu lors de la remise de ces Innovation Awards. Les gens ont des idées, les par-

tagent, les défendent. L’innovation n’est pas forcément technologique. Elle peut, simplement, concerner les produits et les services. »

Plus qu’une bonne idée Entre les nombreuses start-up, mises sur pied pour porter des solutions novatrices, et les grandes structures, qui désirent améliorer leur business grâce à l’innovation, l’émulation est bien réelle. « Sur 10 ans, au cœur d’une de mes expériences professionnelles pour un fonds de capital à risque, nous avons pu analyser environ 10.000 dossiers, a témoigné Nobert Becker, président ou membre du comité de direction de plusieurs structures de la Place. Bien sûr, tous n’ont pas obtenu de financement. Parce qu’une bonne idée ne suffit pas, il faut pouvoir l’inscrire dans un business case. Mais cela prouve que l’innovation est ancrée dans la culture et des valeurs et qu’au Luxembourg il y a des idées. » L’État, lui aussi, a fait de l’innovation un cheval de bataille. L’Université et les centres de recherche sont des moteurs en la matière, tout comme des structures telles que Luxinnovation. On déplore toutefois, comme les intervenants à cette table paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

ronde, une faible culture de l’entrepreneuriat, des difficultés pour les petits acteurs à se retrouver dans les méandres des aides étatiques, ou encore un manque de capitaux disponibles. « Il faudrait peut-être mieux fédérer l’ensemble des acteurs soutenant l’innovation, au cœur, pourquoi pas, de l’organisation d’un Grenelle de l’innovation. Cependant, une fois les aides obtenues et les fonds trouvés, on constate une réelle mobilisation derrière l’entrepreneur, assure Norbert Becker. On peut dire que le Luxembourg est un petit pays, avec une vraie volonté d’innover. » Il n’est pas rare, d’ailleurs, que des idées développées au Luxembourg soient reprises au sein d’un groupe à l’échelle internationale, ou de voir des start-up luxembourgeoises s’adresser à la planète entière. « Vraiment, le rêve est possible », insiste M. Becker. En matière de finance précisément, même si dans ce secteur l’innovation revêt un caractère permanent, Carlo Thill précise que la prochaine étape importante se situe au niveau des paiements mobiles. Et, en la matière, les projets luxembourgeois ne manquent pas. Outre Digicash, primée par Accenture, de nombreuses autres initiatives sont actuellement en cours de développement. (voir page 52).



56

ecaF

Face

actualité

à

Les dix vérités de Jean-Claude reding

Résumé en 10 phrases clés de la longue interview, sur paperJam.TV, du président du syndicat OGBL et président de la Chambre des salariés.

1 « Il y a des réformes de régression et de progrès. Actuellement, nous constatons qu’il y a peu de réformes de progrès »

2 « Le monde politique est assez isolé et n’a pas beaucoup de contact avec le monde du travail réel, ce que l’on appelait les ouvriers, la base. Il devrait faire un effort »

3

Jean-Michel Gaudron (interview)

« Je ne sais même pas si le Luxembourg existera encore sous sa forme actuelle en 2050 »

4 « Nous revendiquons de créer un quatrième pilier de recettes, en prenant à contribution les revenus qui ne reposent pas seulement sur le travail, mais aussi sur les revenus des retraités. Il est juste que les pensionnés contribuent au financement des pensions »

paperjam  | Juin 2012 | économie & finance


57 actualité

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« La représentation du personnel dans les entreprises n’a pas été rénovée. Elle date des années 70 et n’est pas adaptée à la filialisation de notre économie »

« Si l’on regarde les débats aujourd’hui, le parti socialiste a de plus en plus de mal à se situer par rapport au monde syndical »

« Les syndicats devront inventer de nouvelles formes d’expression et d’interaction, car les formes traditionnelles ne touchent plus la majorité des gens qui adhèrent aux syndicats »

6 « En 2011, sur tous les dossiers qualitatifs, le patronat a toujours dit ‘non’ »

7 « La tripartite est un organe consultatif, et non pas un organe de décision. Le gouvernement est toujours décideur en dernier lieu »

« Créer un syndicat unique est toujours une nécessité pour l’avenir du pays. Ce n’est pas très intelligent de disperser ses moyens » Retrouvez l’interview intégrale sur www.paperJam.TV

Photo : paperJam TV

8









65 actualité Microfinance

« Créer une base de compétences » Pour préparer AIFMD, répondre aux coûteux changements réglementaires, bénéficier du soutien de la Place à la microfinance, la société de gestion suisse BlueOrchard réinstalle certaines activités au Grand-Duché. Cet événement annonce-t-il une tendance durable pour l’ensemble du secteur ? Éléments de réponse avec Marc Beaujean, acting CEO, et André Roelants, fondateur et président du conseil de la Sicav DMCF. André Roelants (au premier plan) et Marc Beaujean espèrent que leur société emploiera une dizaine de personnes au Luxembourg d’ici trois ans.

du 1er juillet 2012. Nous pouvions soit sous-traiter ce rôle-là à un tiers, soit devenir nous-mêmes gestionnaires en exercice. En 2013, avec la directive AIFM, la microfinance pourrait être assimilée à un investissement alternatif. Être incorporés à Luxembourg dès 2012 devrait nous aider à vendre nos produits partout en Europe beaucoup plus facilement. Nous anticipons un mouvement.

Pierre Sorlut (interview), Olivier Minaire (photo)

Monsieur Beaujean, Blue Orchard déballe ses cartons à Luxembourg. Pourquoi ? « BlueOrchard est une société de gestion d’actifs basée en Suisse, mais gérant des fonds de microfinance domiciliés au Luxembourg. À partir du 1er juillet 2012, et sous réserve d’approbation de la CSSF, la société BlueOrchard Asset Management reprendra, depuis le Luxembourg, la gestion du fonds Dexia Microfinance Fund Luxembourg. Ce dernier sera rebaptisé BlueOrchard Microfinance Fund. Puisque notre sponsor, Dexia Asset Management, va luimême vraisemblablement être vendu dans très peu de temps et que la marque Dexia va disparaître, nous nous sommes dit que c’était l’occasion de donner notre nom à notre principal fonds. Monsieur Roelants, quelle sera la substance de cette société ? « Notre filiale luxembourgeoise se limitera à trois ou quatre personnes pour commencer. Jusqu’à maintenant seule la Sicav et son administration étaient au Luxembourg. Les fonctions de conseil juridique, de gestion du risque, de compliance et une partie du middle office se

retrouveront à terme au Grand-Duché. Nous voulons devenir plus visibles sur la Place. Car, c’est un peu ironique, en 1998, nous étions le tout premier fonds spécialisé en microfinance commercialisé et créé au Luxembourg, mais il a pris de l’ampleur en Suisse, et quasiment personne ne nous connaît au Grand-Duché… alors que la Sicav représente environ 350 millions d’euros d’actifs. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir ? A.R. « La Place a fait entretemps de la microfinance un axe de développement. C’est une classe d’actifs spécifique qui inclut des compétences spécifiques. Cette Sicav investit en direct sous la forme de prêts qu’elle fait à des banques de développement dans le monde, pour des montants assez modestes de 3 à 4 millions d’euros. Or, nous voulons créer au Luxembourg une base de compétences. Cela pourrait être utile pour la Place dans le futur. On y trouve peu de compétences en risque crédit spécifique à la microfinance. Nous voulons aussi être beaucoup plus présents dans le portefeuille des banques privées de la Place. Par ailleurs, la loi de 2010 veut que les Sicav partie 2 aient une substance au Luxembourg à partir paperjam  | Juin 2012 | économie & finance

Comment le Luxembourg compte-t-il soutenir la microfinance ? M.B. « Deux mesures sont en gestation. Au niveau européen, il serait question d’une exemption partielle des fonds de microfinance par rapport à la directive générale AIFM. Au Luxembourg, je comprends que l’on veut mettre en place un mécanisme par lequel, sur un plan fiscal ou sur un plan de facilité réglementaire, de tels fonds et leurs investissements seraient favorisés. C’est encore assez vague, mais il y a une volonté d’en faire plus. Cela dépend à nouveau de ce qu’il y aura comme dérogation pour ce genre de fonds par rapport au régime général AIFM. D’autres sociétés de gestion du secteur vontelles vous suivre ? M. B. « C’est possible. Mais cela a un coût : il faut un compliance officer, un chief risk officer, etc. et des fonds propres pour se les payer. Nous en avons les moyens, mais c’est loin d’être le cas de tous les fonds. Nous pensons donc qu’une consolidation de l’industrie va intervenir, que les plus petits acteurs vont se vendre ou partir en run off. Le coût d’exploitation augmente tout le temps. La marée monte et seuls les plus grands garderont la tête en dehors de l’eau. Quels objectifs vous fixez-vous ? M. B. « Nous avons pour ambition de doubler la base sous gestion dans les trois-quatre années à venir avec nos fonds existants, mais aussi avec les fonds sur mesure. Notre effectif augmentera conjointement à notre base d’actifs. Nous espérons être une dizaine dans trois ans. »










74 actualité

Jean-Claude Bintz

« Le pays a besoin d’un certain courage politique » Le collectif « 5 vir 12 » attendait le discours sur l’état de la Nation de Jean-Claude Juncker avec impatience. Le porte-parole du mouvement regrette que le Premier ministre ne soit pas allé assez loin dans certaines des directions esquissées et annonce se concentrer désormais sur les prochaines élections législatives de 2014. Jean-Michel Gaudron (interview)

Monsieur Bintz, par rapport aux attentes que vous en aviez, qu’avez-vous pensé du discours sur l’état de la Nation de Jean-Claude Juncker ? « Nous n’en attendions pas forcément grandchose. Au final, nous n’avons été ni déçus, ni surpris. Mais nous avons tout de même retrouvé différents éléments dans son discours qui repren­ nent des idées que nous avons lancées. Nous avons aussi conscience que certaines de ces idées sont tellement évidentes qu’il ne pouvait pas faire autrement que de les évoquer. À quoi pensez-vous par exemple ? « Nous pensons à certaines expressions, voire mots qu’il a utilisés. Par exemple le mot ‘clivage’ que nous avons évoqué entre la société civile et la fonction publique. Il l’a prononcé à deux reprises. Évidemment, nous n’avons pas de copyright sur ce mot ! Mais nous sommes satisfaits qu’il l’ait utilisé. De même, il a dit que l’état des finances publiques est proche de la catastrophe. Pour nous, ‘proche de la catastrophe’, c’est synonyme de ‘5 vir 12’ ! On ne peut que lui donner raison. Il y a donc tout de même un regard positif sur ce discours ? « Nous trouvons qu’il n’a pas été assez loin dans ses propositions. Actuellement, le pays a besoin d’un certain courage politique. C’est ce qui manque le plus. Or, Jean-Claude Juncker a du courage et il a l’expérience et le background nécessaires pour endosser ce rôle de dictateur que

certains lui attribuent. Il devrait vraiment le faire. Pourtant, il a abordé des sujets qu’il traite tous les ans, comme la problématique des prix des terrains ou de la lourdeur administrative. Il dit qu’il s’en occupe, mais il ne fait rien. Tous les cinq ans, des élections sont organisées afin de désig­ner les députés qui formeront la majorité, à partir de laquelle sera formé le gouvernement. Aux membres du gouvernement, le message des électeurs est, en quelque sorte, ‘Allez-y, vous avez l’autorisation de le faire’. Alors qu’ils le fassent ! C’est tout ce que l’on attend d’eux. Mais qu’ils aient aussi le courage de prendre des décisions qui ne seraient pas forcément populaires, si c’est pour le bien du pays. Je prends un exemple qui sort un peu du cadre de notre initiative : le parti socialiste, dans sa campagne, a clairement pris position en faveur d’une séparation de l’Église et de l’État. Au final, dans le programme de coalition, il n’en est plus question ! Or, je suis persuadé qu’un certain nombre d’électeurs a voté pour le parti socialiste dans cette perspective. Mis à part Jean-Claude Juncker, y a-t-il d’autres ministres qui, à vos yeux, font preuve de ce courage ? « Oui. Mady Delvaux-Stehres, par exemple, a le courage de mener cette réforme de l’enseignement secondaire. Mars Di Bartolomeo aussi avec sa loi non-fumeur… Que retenez-vous plus spécifiquement du discours du Premier ministre ? « Il a évoqué l’impaperjam  | Juin 2012 | éc onomie & finance

portance du dialogue et du fait de davantage parler entre nous tous. Nous sommes évidemment d’accord et nous avions même formulé des propositions allant dans ce sens. Mais il est important aussi d’écouter en particulier ceux qui ont des choses à dire ! Il ne faut surtout pas rester sur ses acquis et se contenter de dire ‘c’est comme ça’. Le dialogue est important au moment où se créent les lois et se prennent les décisions. Il faut arrêter d’attendre que tout soit décidé pour aller manifester avec des banderoles devant les ministères. Nous serions favorables à une réforme qui imposerait que syndicats et patronat disposent, d’office, de quelques sièges à la Chambre des députés. Comme ça, ils seraient directement au cœur du processus aux moments les plus importants et pourraient faire valoir leurs arguments contradictoires. De la sorte, lorsqu’une décision serait prise, elle ne susciterait plus nécessairement de manifestations. À l’heure actuelle, les avis qu’on leur demande ne sont que consultatifs. Il faudrait qu’ils soient vraiment exécutifs. Ce serait comme recréer une sorte de tripartite au sein de la Chambre. Ce n’est peut-être pas réalisable techniquement, voire constitutionnellement, mais l’idée serait à creuser. Le Premier ministre a également émis le souhait que le mot ‘réforme’ ne soit plus considéré comme un mot obscène… « Nous sommes évidemment entièrement d’accord ! Mais il faut aussi se pencher sur les raisons qui font que c’est comme ça. La réforme dans l’éducation nationale,


75 actualité

« Tous les acquis d’aujourd’hui peuvent être autant de freins pour demain »

par exemple, est nécessaire. D’une manière plus générale, quand il y a des réformes à faire, il faut évidemment les faires. Mais on constate que tous les acquis d’aujourd’hui peuvent être autant de freins pour demain. Sans chercher à rediscuter de tous ces acquis, on ralentit l’évolution de demain. Une fois encore, on touche à l’essentiel : un nécessaire changement de mentalités. Il faut notamment un changement à l’intérieur même de la fonction publique et aller dans le sens d’une véritable approche client. En Angleterre, par exemple, un fonctionnaire s’appelle un civil servant. Il faut que ce soit cette mentalité qui fasse son entrée dans la fonction publique au Luxembourg. Bien sûr, certains fonctionnaires font très bien leur boulot. Mais pour d’autres, c’est tellement grave… La solidarité que Jean-Claude Juncker a prônée plusieurs fois dans son discours est également une des clés dans bon nombre de thèmes que votre collectif aborde… « Il est évident que cette solidarité a un rôle à jouer. Mais là aussi il faut aller plus loin dans les idées et savoir être sélectif dans le domaine social aussi. Peut-on se permettre de payer un même montant d’allocations familiales à quelqu’un qui touche le salaire minimum et un autre qui touche 20.000 euros par mois ? C’est la même chose en ce qui concerne l’indexation automatique des salaires. Nous avons volontairement refusé de parler de l’index dans nos différentes interventions, pour ne pas créer de nouvelles polémiques. Mais nous restons per-

Jean-Claude Bintz (5 vir 12)

Photo : paperJam.TV

suadés qu’il n’est pas normal que quelqu’un qui gagne 1.000 euros par mois touche un même pourcentage d’augmentation que quelqu’un qui touche 10.000 euros. Il n’est pas normal de donner encore davantage aux plus riches. Comment réagissez-vous à l’annonce de la tenue d’une table ronde à l’automne prochain afin de trouver des solutions pour accélérer la prise de décision relative à un investissement public ou privé ? « C’est une bonne chose. Mais la thématique des investissements ne doit pas être la seule pour laquelle une telle table ronde devrait avoir lieu. Et surtout, il ne faut pas que Jean-Claude Juncker délègue ça à d’autres ministres. C’est à lui d’y aller. Ne pas faire le stade de foot à Livange ou le vélodrome à Mondorf, ce n’est pas un souci. Quand on n’a pas d’argent, on ne fait pas de stade ou de paperjam  | Juin 2012 | éc onomie & finance

vélodrome. Un investissement doit nécessairement inclure, dans la réflexion, un vrai retour sur le futur. Et maintenant ? Quelle est la suite que vous comptez donner au mouvement ‘5 vir 12’ ? « Nous avions concentré nos objectifs sur ce discours de Jean-Claude Juncker, afin de voir ce qu’il en sortirait. Nous avons décidé de continuer à suivre de très près l’évolution des choses et de voir comment toutes ces idées seront ensuite transposées dans les programmes électoraux de 2014. Il y a des politiciens qui ont souhaité nous rencontrer pour parler de tout ça. Nous avons également pus de 1.200 personnes inscrites sur notre groupe de discussion LinkedIn. Clairement, l’initiative a pris un très bon départ. »




78 actualité

Immobilier

Sandra Müller (LuxReal)

LuxReal Forum C’est dans les locaux de State Street Bank Luxembourg qu’a été présenté, le 2 mai, le « IPD Pan-European Funds Index ». Olivier Minaire/LuxReal (photos)

Retrouvez toutes les photos sur www.paperjam.lu

Xavier Hauboldt (Hochtief) et Clemens Goss (Amazon)

Alexander Taft (Invesco), Jan Wit (Property Partners), Stéphane Haot (KPMG) et Catherine Martugine (Arendt & Medernach)

Thomas Goergen (Luxembourg Investment Solutions) et Sonia Biraschi (State Street)

Jürgen Wiegand (BBH) et John Wantz (Pandomus)

Alessandro Bronda (Aberdeen)

Keith Burman (State Street)

Jeff Rupp (INREV)

David Hedalen (Standard Life)

paperjam  | Juin 2012 | éc onomie & finance





82 actualité Caspar

Un café en mode espresso La société d’investissement Sting a injecté 300.000 euros dans Cofee & More, dépositaire de la marque Caspar. Objectif : accélérer le développement du concept alliant produit et lieux de dégustation. Le tout étiqueté 100 % Luxembourgeois.

« Notre objectif est d’avoir 2 à 3 magasins d’ici à 2013, puis entre 5 et 7 d’ici à 2014 »

Nicolas Raulot et Jean-Michel Gaudron (texte), Julien Becker (photo)

Devenir le Starbucks luxembourgeois… mais en mieux. Les ambitions de la société Coffee & More, dépositaire de la marque Caspar, ont le mérite d’être claires. Elles sont désormais renforcées par une assise financière à leur hauteur, avec une injection directe de 300.000 euros apportés par la société d’investissement Sting. Une prise de participation qui valorise la société à 750.000 euros et qui équivaut à 40 % d’un capital détenu en autres par le gérant de la société, Roland Asselborn (20 %), et par les associés du cabinet d’architectes eschois Beng (Marco Bidaine, Nico Engel, Yves Noury et Albert Goedert), qui a conçu le cadre « à l’américaine » du point de vente. « Nous avons commencé le 20 octobre 2010, explique M. Asselborn. Le nom Caspar vient d’une blague et sonne bien dans toutes les langues. La croissance potentielle du concept de coffee shop est très importante, tant en Europe qu’au Grand-Duché. » Avec ce renforcement financier, la société est désormais armée pour mener à bien ses ambitions de développement. Raffermis par le succès du premier coffee shop ouvert à Esch-sur-Alzette et grâce à la participation active de Sting, les par-

tenaires comptent ouvrir d’autres établissements suivant le même concept à travers le pays, explique l’investisseur. « Après le premier magasin de Esch, nous allons bientôt en ouvrir un deuxième à Belval et nous cherchons des emplacements dans tout le pays, en particulier à Luxembourg-ville, même si les loyers y sont très élevés. Nous cherchons des lieux très fréquentés (gares, aéroports…), soit en takeout, soit en lounge. Notre objectif est d’avoir 2 à 3 magasins d’ici à 2013, puis entre 5 et 7 d’ici à 2014 », explique le gérant. Caspar prévoit également à terme de s’implanter dans la Grande Région, éventuellement à Metz ou à Trêves.

Une identité visuelle forte Roland Asselborn dit ne pas redouter l’arrivée éventuelle d’une enseigne internationale, Starbucks ou Coffee Fellows, au Luxembourg. « Notre qualité de café est supérieure. Il vient de Mondo del Café, un torréfacteur d’Echternach. » En début d’année, Sting avait levé un coin du voile sur cet investissement, sans pour autant révéler l’identité de la société concernée. « Le manager de cette société connaît parfaitement bien son métier, paperjam  | Juin 2012 | éc onomie & finance

Roland Asselborn (Coffee & More)

mais a besoin d’un accompagnement en matière de stratégie marketing », avait alors expliqué à paperJam Jean-Claude Bintz, un des six associés de Sting. La société d’investissement siège, du reste, dans le conseil d’administration de Coffee & More, dont la création « physique » date du 23 mars dernier. Mais le concept Caspar, lui, n’est pas inconnu pour ceux qui suivent de près l’actualité des médias et de la communication. La création de la branding identity de la marque de café Caspar, adossée à un nouveau concept de coffee shop, figurait en effet parmi les 10 projets nommés à l’occasion du dernier Grand Prix paperJam – Communication, Marketing, Design. Une identité visuelle conçue et réalisée par l’agence Moskito, dont le fondateur et président du conseil d’administration n’est autre que… Jean-Claude Bintz. La boucle est bouclée. L’image et le logo créés plongent le consommateur directement au cœur d’un environnement très international. « Il y a beaucoup de clients qui entrent et dont la première question est ‘vous êtes une chaîne internationale ?’, témoigne M. Asselborn. Et cela est en ligne avec notre ambition de nous développer comme une chaîne luxembourgeoise. » La marque va également s’appuyer sur une autre forme de commercialisation, Caspar Mobile, des coffee shop sur roues qui se déplacent là où se trouvent les clients lors de manifestations, fêtes et autres marchés. Une prise directe sur les consommateurs qui doit, elle aussi, contribuer à faire monter la marque au niveau national.





86 actualité

Anniversaire

Jean-François Mirarchi (Luxair)

Les 30 ans de Marsh au Luxembourg Le courtier d’assurances a organisé l’événement, le 26 mars, au Château de Septfontaines (Villeroy & Boch). Luc Deflorenne (photos)

Retrouvez toutes les photos sur www.paperjam.lu

Frederick Gabriel (Marsh)

Pit Hentgen (Lalux)

Alexander Sebastian (Bâloise Assurance)

Victor Rod (Commissariat aux Assurances)

Roger Pitt (Balini Pitt & Partners) et Philip Aspden (West of England)

Gérald Briclot (Visalux)

Arlette Mannes (Cargolux)

Markus Popp (Alpine Energie Luxembourg)

paperjam  | Juin 2012 | éc onomie & finance

















102 CoversTory

« Les idées sont à creuser. Les collaborations sont à construire »

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Bernard Caprasse

{ déplacements en mission, c’est l’aéroport du Findel qui est notre point de

chute, et pas l’aérodrome de Saint-Hubert évidemment… Plus sérieusement, il faut se rendre compte des liens économiques, extrêmement étroits, qui existent au quotidien depuis des années. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur moins de 270.000 habitants dans la province, on compte, selon les dernières données, 27.926 personnes qui vont tous les jours travailler au Grand-Duché. En tout, il y avait plus de 38.800 Belges travaillant au Luxembourg ! Le rayonnement transfrontalier du GrandDuché va donc au-delà de notre territoire provincial. Mais chez nous, il y a une exposition directe. Je remarque d’abord que ce nombre de frontaliers augmente encore, malgré la crise, et malgré un va-et-vient conjoncturel de la main d’œuvre. Pratiquement 28.000 Luxembourgeois de la province, ce sont quelque 700 travailleurs frontaliers de plus, entre 2010 et 2011. C’est important, c’est rassurant. L’essor du Grand-Duché est une formidable chance pour nous. Cela veut dire aussi que nous suivons avec beaucoup d’attention ce qui se passe au Grand-Duché, sur un plan économique, politique, social… Car si le Luxembourg s’enrhumait, la province aurait la grippe. Et si le Luxembourg devait contracter la grippe, nous serions aux urgences ! C’est aussi pour cela qu’il convient, absolument, que nous évitions l’hyper dépendance en assumant notre propre développement. Les voies empruntées par le Grand-Duché de Luxembourg vous semblent-elles bonnes ? « Le bilan est assez parlant, même si rien n’est jamais acquis ad vitam æternam. J’observe ce qui se passe au Luxembourg depuis 40 ans. Et les Luxembourgeois ont toujours réussi, à chaque génération, à émettre des idées et à jouer avec un coup d’avance. Il faut dire aussi que le pays a toujours eu le génie pour sortir des leaders emblématiques, de grands hommes d’État, d’un calibre réel, qui s’expriment sur le terrain international et y sont entendus et respectés. Pour un pays de cette taille, c’est tout simplement remarquable. Pour la province, le Luxembourg est donc une perspective, voire un exemple ? « Nous avons notre existence propre et le Luxembourg est un État souverain… Pour la province, il y a néanmoins une double perspective. Nous devons bien sûr veiller au renforcement des liens existant par-dessus nos frontières. Et être proactifs dans ce domaine. D’autre part, nous devons veiller au développement de notre propre territoire. Nous devons défendre notre modèle. Et nos synergies. En fait, il y a une forme de dépendance de la province vis-à-vis du Grand-Duché, mais cette dépendance ne doit pas

être ou devenir un handicap. Nous avons, en tant que responsables et promoteurs d’un territoire, un devoir de dynamisme, pour un destin commun. Comment s’entretient le lien avec le voisin grand-ducal ? Est-il informel, institutionnel, quotidien, épisodique ? « Vu d’Arlon ou d’un des nombreux points frontières entre les deux Luxembourg, qui ont 120 km de frontière commune, le lien est quotidien pour des milliers d’habitants. Pour ce qui est des contacts officiels, plus institutionnels, cela dépend un peu du niveau auquel on se situe… Il y a des contacts réguliers entre des représentants des autorités grand-ducales et les autorités provinciales. Pour ma part, j’ai rencontré régulièrement des ministres luxembourgeois. J’ai un rôle d’interface officielle pour l’État fédéral et pour la Région wallonne, que je peux représenter. Je suis un peu un ambassadeur, sans lettre de créance, mais à qui l’on fait confiance. Cela étant, la Wallonie a pris conscience du besoin de contacts directs. C’est assez récent. Cela s’est matérialisé par une visite du ministre-président wallon Rudy Demotte, qui a rencontré le Premier ministre et le gouvernement luxembourgeois. C’est important et c’est symbolique. Les relations bilatérales s’entretiennent tra-

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103 coverstory

ditionnellement d’État à État. Mais il faut bien prendre conscience à tous les niveaux que la Wallonie est une région qui a des compétences d’État, en matière d’économie, d’emploi, d’aménagement du territoire, d’enseignement, etc.

ler sur des dossiers prioritaires. Le Luxembourg est un partenaire dont le rôle déterminant n’échappe plus à personne. Il suffit de rappeler qu’il y a 38.800 Belges qui travaillent au Grand-Duché, à comparer avec 48.000 Wallons qui travaillent en Flandre.

La Wallonie semble donc aussi découvrir les vertus du dialogue accru avec le Luxembourg ? « Découvrir, c’est exagéré… Mais c’est vrai qu’il nous a fallu convaincre, montrer l’exemple, faire remonter les dossiers… Les liens ne sont pas nécessairement aussi naturels, vus de Bruxelles ou de Namur. Mais ce mouvement, bien perçu désormais, ne va faire que s’amplifier. L’autonomie de la Wallonie en général va s’accentuer, pour la simple raison que le pacte politique fédéral prévoit un jalon : en 2022, les régions devront être capables de fonctionner seules, sous la coupole d’un État fédéral aux compétences restreintes. Il y a, de facto, besoin d’un dialogue institutionnel fort entre la Région wallonne et l’État luxembourgeois, par exemple. Et je veux y contribuer, dans la modeste mesure de mes moyens de premier représentant des pouvoirs wallons. Il y a en tout cas une volonté affichée d’aller vers du concret, de travail-

En matières économiques, il y a les grandes entreprises présentes dans la province et aussi, le plus souvent, au Luxembourg. Mais il y a aussi des entrepreneurs de la province qui jouent les pionniers au Grand-Duché. « Oui, et c’est un volet dont on peut être très fiers, dans notre province. Nous avons des entrepreneurs emblématiques. Certains se sont complètement intégrés et développés dans le tissu économique grand-ducal. Je pense par exemple à Michèle Detaille : cette femme chef d’entreprise très écoutée au Luxembourg a, en son temps, été l’une des premières femmes bourgmestres de Belgique, dans sa commune de Vauxsur-Sûre. Il y a des entrepreneurs de la province qui s’appuient sur le GrandDuché pour développer leurs affaires. Au niveau de la Grande Région, comme Xavier Goebels, fondateur de la chaîne Pointcarré, ou Philippe Emond, important concessionnaire automobile. Ou carrément à l’échelle } 104

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« Si le Luxembourg s’enrhumait, la province aurait la grippe. Et si le Luxembourg devait  contracter la grippe, nous serions aux urgences ! » Bernard Caprasse

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{ planétaire, comme Jean-Pierre Lutgen, créateur des montres Ice-Watch. Ce

sont des exemples parmi d’autres, des managers de la nouvelle génération. Une entreprise comme Thomas & Piron fait aussi figure de vaisseau amiral. Or elle est née dans un petit village près de Paliseul, au cœur de l’Ardenne belge. Le groupe était encore au Mipim à Cannes cette année. J’y étais aussi, avec la délégation provinciale. Et, avec Louis-Marie Piron, un des fondateurs de Thomas & Piron, nous avons assisté à la journée grandducale… Bref, il y a là toute une pépinière d’entrepreneurs au dynamisme intéressant. C’est un modèle en soi, qui vient en complément de business models plus anciens mais toujours bien actifs, à cheval sur les deux Luxembourg, pour des multinationales comme Ferrero, Ampacet ou ExxonMobil, pour ne citer qu’elles. Les mentalités ont évolué. Comment voyez-vous les prochaines évolutions du territoire ? « Il faut déjà se réjouir que la province soit sortie de son provincialisme. Il y a une véritable politique économique qui s’est mise en place au fil du temps. Il y a des opérateurs efficaces, des décideurs qui peuvent passer outre leurs différences philosophiques et politiques pour avancer dans l’intérêt général. Cette province a de solides lignes de conduite. Le pôle spatial qui se développe, en partenariat étroit avec SES, est un bel exemple. C’est aussi un horizon, parce que les jeunes entrepreneurs qui le côtoient ont d’office une vision internationale. Nous avons un environnement économique qui est naturellement tourné vers l’extérieur. Il faut s’en servir pour attirer de la valeur et aussi faire en sorte que nos valeurs s’exportent.

Avec le Grand-Duché de Luxembourg comme concurrent ou comme partenaire ? « Il n’y a évidemment que le partenariat qui ait du sens. Les synergies sont productives, dans une logique de réseaux. Chacun a ses arguments. Dans la province, nous avons de l’espace et un environnement protégé par exemple. On doit jouer la carte des complémentarités. La proximité doit pouvoir se décliner en réunissant les atouts des deux territoires. Quelles sont les priorités ? « Les soucis de mobilité reviennent comme un frein à l’environnement économique. C’est un axe de préoccupation majeure : les routes saturées, les dessertes ferroviaires insuffisantes, les problèmes de tarification… On doit pouvoir travailler en commun sur des dossiers aussi fondamentaux. On le fait, mais les processus institutionnels sont encore trop lents. À nouveau, la complexité que prend un dossier en Belgique lorsqu’il est du ressort de différents niveaux de pouvoir, cela peut être difficile à comprendre… Il y a d’autres préoccupations, comme les prix de l’immobilier qui ont flambé dans la bande frontalière belge, laquelle remonte de plus en plus vers l’intérieur des terres. Les communes de la province doivent avoir une politique foncière à destination des revenus moyens ou modestes. La question des équipements collectifs est importante aussi : la population du Luxembourg belge augmente deux fois plus vite que dans le reste du pays… Et les besoins en infrastructures augmentent en parallèle : écoles, crèches, sport, loisirs… Comme les frontaliers paient } 106

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Les armoiries reconnues de la province de Luxembourg sont « un burelé d’argent et d’azur de 10 pièces au lion de gueules, armé, lampassé et couronné d’or, à la queue fourchue et passée en sautoir ». Le blason du Luxembourg est aujourd’hui commun au GrandDuché de Luxembourg et à la province de Luxembourg, les deux parties du Duché de Luxembourg séparées par les traités de 1839. L’origine de ce blason remonte au 13e siècle. Il est le signe d’Henri le Blondel, fils de Waleran IV et d’Ermesinde, laquelle Ermesinde (dont les restes sont conservés dans le site de son abbaye de Clairefontaine à Arlon), est la fondatrice du Duché de Luxembourg.

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{ l’impôt sur le revenu au Luxembourg, on doit souligner que le Grand-

Duché accorde une compensation, via un fonds spécial négocié il y a quelques années d’État à État, et qui permet aux communes belges de recevoir une dotation au prorata du poids fiscal réel et du nombre de frontaliers qui y habitent.

Quels sont les axes de travail commun que vous mettez en avant ? « L’enseignement et la formation, c’est fondamental ! Et cela rejoint évidemment l’économie, par le biais de l’innovation et de l’investissement dans la matière grise. On rejoint aussi les préoccupations luxembourgeoises dans ce domaine, avec Esch-Belval en point de mire notamment. J’estime d’ailleurs que, là où la Lorraine s’est bien focalisée sur le projet Belval, la province reste encore en retrait, alors que nous sommes tout proches et dans le rayon d’influence. Ce domaine de coopération dans l’enseignement, on le retrouve dans les rapprochements stratégiques entre universités. À Arlon, l’ancienne FUL (Fondation universitaire luxembourgeoise, ndlr.) a intégré l’université de Liège, qui en a fait son département de Sciences et Gestion de l’environnement. Il y a une coopération directe avec l’Université du Luxembourg. Les recteurs Rolf Tarrach et Bernard Rentier promulguent une prochaine co-diplomation pour un master dans ces disciplines d’avenir. Deux labels universitaires pour un même diplôme, ce sera un exemple fantastique. Au-delà de la valeur pour les étudiants, il y aura une valeur symbolique forte. Les échanges d’étudiants sont déjà effectifs. Et l’université de Liège prévoit de mettre à disposition toutes les ressources en ligne de ses bibliothèques, riches de travaux de recherche internationaux. Pour la formation en général, la langue luxembourgeoise est à développer du côté belge et, d’ailleurs, les cours qui y sont organisés connaissent déjà un beau succès. Cela nous mène aussi à la culture. Les collaborations fonctionnent bien. Je suis président du Royal Juillet Musical, un festival classique, proche dans l’esprit de celui de Wiltz. Nous aurons un partenariat accru

en 2013, avec une programmation de prestige en commun. En outre, je me réjouis de l’importance de l’offre culturelle au Grand-Duché. Je rêve d’ailleurs d’un triptyque, dont les deux premiers pieds sont déjà posés : à côté du Mudam à Luxembourg et du Centre Pompidou à Metz. Je soutiens l’idée d’un projet muséal complémentaire, qui pourrait prendre place dans l’ancien palais de Justice, repris par la Ville d’Arlon. J’espère que cela pourra se réaliser. Je me souviens de Jean-Claude Juncker, en conclusion d’un sommet de la Grande Région à Liège : il avait eu l’idée géniale de proposer une extension de la deuxième « capitale culturelle européenne » dévolue à Luxembourg, à une cause commune à l’échelle de la Grande Région ! Comme en toutes choses, je crois vraiment dans les synergies. Les idées sont à creuser. Les collaborations sont à construire… »

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« On doit apporter de la valeur à l’ensemble d’un territoire, et dans une logique de bassin de vie  »

Fabian Collard (Idélux)

Entr epr en eurs a u grand-d

u ché

Un quart de Belges

Strassen –, a piloté les grandes années. Avec le gouverneur Jacques Planchard, qui présidait l’intercommunale (ce cumul est aujourd’hui défendu par la loi), les « missi dominici » de la province allaient vendre le territoire outre Atlantique. Ont débarqué Levi’s (Arlon), Mobil (ExxonMobil, à Virton), Champion (Federal-Mogul, à Aubange) ou encore Ampacet (à Messancy). D’autres, de toutes origines, ont constitué un solide tissu, créant des emplois par milliers : Burgo, L’Oréal, Ferrero, SaintGobain… « À l’époque, on vendait le Luxembourg. On jouait sur une certaine confusion », se souvient un ancien de la maison. Mais, vu du Grand-Duché, il faut avoir l’humilité de se dire que des multinationales bien présentes sur le sol grand-ducal aussi, n’y auraient peutêtre jamais posé le pied si elles n’avaient pas été attirées dans les filets du voisin belge… Le Pôle européen de développement (PED), laboratoire trifrontalier pour reconvertir le bassin sidérurgique malmené au début des années 80, a fait du triangle RodangeLongwy-Athus un point de rencontre naturel entre la main d’œuvre, les usines presque données et le cadre financier accueillant. « Cette ingénierie, ce jeu sur les frontières, en tirant parti du meilleur de chaque côté, on le propose maintenant, clairement. C’est un package qui va de soi », avoue le directeur général d’Idélux. Toute une nouvelle génération d’entrepreneurs – héritiers de « l’ardeur d’avance », mythique slogan né

en 1985 – ont aussi, souvent, un pied sur chacun des marchés, consolidant le développement endogène et leur structure financière. « On ne peut plus espérer faire venir des grosses unités de production. Mais on peut multiplier les structures plus modestes, en complément du maintien de l’existant. On doit apporter de la valeur à l’ensemble d’un territoire, sur plusieurs axes, et dans une logique de bassin de vie. Le voisinage transfrontalier en fait partie », résume Fabian Collard.

De la place pour entreprendre Les axes de création de valeur sont bien définis. La logistique est venue de l’idée visionnaire du Terminal Containers d’Athus, à la place de l’usine (fermée en 1977) : un « port sec » pour Anvers et les grands havres de la mer du Nord, au bout de l’axe ferroviaire, avec ouverture sur le sud de l’Europe… On voit bien que la stratégie globale et les thèmes retenus sont proches de ceux mis en avant par le gouvernement luxembourgeois ! « Pour nous, la proximité du Grand-Duché est un atout, qui s’ajoute aux nôtres, explique le patron du groupe intercommunal. Nous proposons à nos candidats investisseurs des formules hybrides, et la bi-localisation est une carte en soi. Mais nous avons aussi un } 110 paperjam  | Juin 2012 | éc onomie & finance

C’est sans doute un peu curieux mais on ne trouve pas (ou plus) de statistiques, au Luxembourg, permettant d’estimer la part des créateurs d’entreprises nonrésidents dans l’économie du pays. De toute évidence, les seules données disponibles à ce sujet remontent… à 2006. Elles avaient été collectées dans le cadre d’une enquête, menée par le Statec pour un projet pilote lancé par Eurostat : « Factors of Business Success » (FOBS), menée dans 14 pays européens (dont l’Allemagne et la France, mais pas la Belgique), souhaitait proposer des données harmonisées sur les créateurs d’entreprises. Au Luxembourg, l’enquête, réalisée entre juillet 2005 et avril 2006, portait sur un échantillon d’entreprises créées en 2002 et toujours en vie en 2005 (car le taux de survie des entreprises au bout de trois ans n’est que d’environ 66 %). Une partie de l’étude se focalisait sur la nationalité et le pays de résidence des entrepreneurs. Et les chiffres de l’époque (l’étude n’a pas été renouvelée depuis) étaient clairs : la grande majorité des « entrepreneurs luxembourgeois » sont étrangers. Seulement un bon quart d’entre eux (26 %) ont la nationalité luxembourgeoise. Et même parmi les entrepreneurs résidant au Grand-Duché, la proportion de ressortissants luxembourgeois n’est que de 44 %. Et d’où viennent ces extérieurs qui entreprennent au Luxembourg ? Selon ces données, qui mériteraient d’être actualisées, un quart d’entre eux viennent de Belgique. Davantage que les 22 % de Français. A. D.


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Photo : Idélux

Galaxia à Redu : un pôle d’excellence, une pépinière d’entreprises, à côté de l’Euro Space Center et de la station ESA (agence spatiale européenne). On y trouve un ESA Business Incubator Center.

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{ argument phare : nous avons de l’espace, des terrains disponibles, de vastes

étendues. » Et les formules d’aménagement sur mesure et de financement en leasing, le plus souvent, ont de quoi séduire. Même des entreprises ayant leurs bases au Grand-Duché. « Nous sommes approchés par des entreprises luxembourgeoises qui ont besoin de place », confirme Fabian Collard. Sont demandeurs, le secteur logistique – avec des flottes entières sous plaque jaune mais un parc de véhicules et des halls sur Aubange-Athus ou Neufchâteau –, des entreprises de construction voire des entreprises commerciales ayant besoin d’endroits de stockage, trop rares et trop chers sur le versant grand-ducal. Plusieurs gros coups, côté belge, ont d’ailleurs échappé au Luxembourg. Ikea, à l’origine, visait le Grand-Duché. Il a trouvé son bonheur juste sur la frontière, à Sterpenich (Arlon), le long de l’autoroute, à des tarifs à l’are divisés par deux. Certes le payroll est côté belge, ce qui est moins drôle. Mais la chalandise est sur les trois frontières, les finances et les brevets sont au Luxembourg. « Et le big boss d’Ikea connaît bien le chemin du GrandDuché pour ses affaires », glisse, dans un clin d’œil, un interlocuteur arlonais bien au fait. Autre dossier qui a stupéfait au Luxembourg ? L’annonce du choix de BNP Paribas d’implanter ses datacenters géants du côté de Bastogne, à deux pas du pays des banques, de l’IT sécurisé sur mesure et du plug in à vitesse grand V. « Ils ont étudié beaucoup de sites, dans différents pays, explique Georges Cottin, directeur général adjoint du groupe Idélux. Ils

voulaient être chez eux, c’est-à-dire ne pas dépendre d’une infrastructure standard, ne pas partager le système, quelles que soient les garanties de sécurité pour les données. » Fabian Collard observe : « On leur a apporté 20 hectares, en pleine propriété. On aménage les accès. Ils se chargent du reste. Ils auront environ 80 personnes à la pleine maturité du projet (la mise en service est prévue pour 2015, ndlr). Le ratio entre le personnel et le besoin en surfaces ne plaidait pas pour le Grand-Duché dans ce cas. » Mais, avec un projet phare et quelque 250 millions d’investissements de la part d’un groupe bancaire international, c’est l’autre Luxembourg qui se met, aussi, sur la carte de l’IT à haute valeur ajoutée, avec ses propres arguments.

La matière grise pour avancer Et puis Idélux prolonge sa stratégie à plusieurs vitesses. Le maintien de l’existant est un défi, à côté de la dynamisation de zones d’activité. Des petites zones, pour les PME, les artisans, le commerce, pour aider le tissu endogène à se développer. Et des zones plus ambitieuses, pour des thèmes forts. Un pôle bois du côté de Gouvy. Ardenne Logistics à MolinfaingNeufchâteau. Et puis, pour utiliser l’espace et prolonger l’odyssée, Idélux a promu Galaxia, un pôle d’excellence et une pépinière d’entreprises, plantés à côté de l’Euro Space Center et de la station ESA (agence spatiale } 112

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« Nous sommes approchés par des entreprises luxembourgeoises qui ont besoin de place » Fabian Collard (Idélux)

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An al yse

Une terre, des hommes, un livre Luxembourg, une terre d’investissement et des hommes. Eric Burgraff, journaliste au quotidien belge Le Soir, suit sa province depuis une vingtaine d’années. Et les sujets économiques le passionnent, au point de consacrer un ouvrage (aux éditions Weyrich) à l’histoire, aux jalons, aux enjeux, aux personnes, qui ont fait sortir cette province du misérabilisme rural où elle était engoncée jusque dans les années 60. « La Province de Luxembourg, c’est aujourd’hui 15.000 entreprises. J’en ai choisi une cinquantaine, pour illustrer le demi-siècle écoulé, explique notre confrère. Dans les années 60, pour mille nouveaux emplois créés en Belgique, un seul l’était au Luxembourg ! En revanche, l’été meurtrier de 1977, la chute de la mono-industrie sidérurgique à Athus, a donné, après le séisme, une claque salvatrice. La reconversion est passée par des aides exceptionnelles pour revalider les friches, créer des zones et des aides exceptionnelles pour les investisseurs. Il y a eu la naissance du PED, de grands noms attirés, comme Mobil, Champion, Ferrero… 500 millions d’investissement des pouvoirs publics en moins de 10 ans ! » Dans les années 90, la fameuse « ardeur d’avance » est devenue, en parallèle au boum grand-ducal, celle du développement endogène, avec une

nouvelle génération d’entrepreneurs du cru. « Dans une économie mondialisée, l’avenir n’est plus aux multinationales mais aux nouveaux patrons », observe Eric Burgraff. L’auteur s’est aussi livré à un petit exercice de prospective. « Il est important aujourd’hui de réinventer un modèle de développement, où la province de Luxembourg est ambitieuse pour elle et pour les régions qui l’entourent. En 2022, c’est dans 10 ans, le pacte fédéral belge prévoit que les régions devront s’assumer financièrement. La Wallonie devra être économiquement autonome. Il faut un projet mobilisateur, et convaincre les pouvoirs de tutelle de nous donner des instruments de développement. Il faut aussi réinventer les relations avec le GrandDuché : on n’est plus dans la dépendance mais dans des échanges, alimentés par de vraies collaborations. » A. D.

{ européenne) de Redu. Un coin de planète bien connu de son

pilote privé majeur, le Luxembourgeois SES-Astra… « Nous y avons un Business Incubator Center, souligne Fabian Collard. Le 6e ESA BIC en Europe, il est ici, dans la province. Et il est ouvert sur le monde. » Dans ce bâtiment tout en transparence, parois offertes à l’énergie solaire, les spin-off et les start-up de la recherche spatiale et de ses dérivés peuvent éclore avec la caution scientifique des grands opérateurs du secteur et le soutien économique requis. Cette quête de valeur ajoutée par la matière grise, Idélux la mène aussi avec son parc Novalis, sur Marche-en-Famenne, en appui du Centre d’économie rurale (CER) – un vivier de 150 chercheurs –, un pôle agroalimentaire et biotechnologique qui monte en puissance. Le lien avec les technologies vertes est aussi fait via le département des Sciences de l’environnement de l’Université de Liège, qui a posé ses valises à Arlon, et travaille avec son homologue de Luxembourg. « Chacun développe son territoire, résume Fabian Collard . Chacun a ses spécificités. Luxembourg belge ou Grand-Duché, les frontières sont administratives, légales, parfois encore dans les esprits. Mais les réseaux passent. Et la logique est celle du bassin de vie. C’est ce qu’on rappelle dans nos missions de prospection, avec des conseillers, belges et luxembourgeois. Quand on va à Sao Paulo, on parle en temps de parcours d’un point à l’autre, pas en kilomètres ou en pays différents. » Le candidat investisseur peut s’intéresser à la place financière, à l’aéroport international où il descendra et où les avions cargo pourront véhiculer ses produits, aux plates-formes de fret routier et ferroviaire. Il verra sa structuration, l’endroit où il va implanter ses forces de production, où il va investir dans les terrains, où il va mettre des bureaux, où il va consolider ses bilans. Il va tout voir. Sans s’arrêter aux frontières entre deux Luxembourg.

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Post-scriptum

Nom de fratrie Alain Ducat

Plus d’une rue porte le nom des « deux Luxembourg ». Ces artères témoignent qu’un sang historique coule dans les veines des Luxembourgeois, qu’ils soient de la province ou du pays. Les deux entités n’ont-elles pas le même blason au lion rouge ? Dans l’Arelerland – le pays d’Arlon, dans le francique mosellan que les plus anciens pratiquent encore –, on rappelle volontiers que le Duché de Luxembourg était naguère bien plus grand que l’actuel Grand-Duché… Les habitants de la « verte province », comme on la qualifie en Belgique, sont attachés à leur identité. « Il n’est ici que des Luxembourgeois », chante le chœur des forces vives à chaque grand rassemblement provincial. Un des couplets de cet hymne, dû à l’historien arlonais Godefroid Kurth, martèle : « Des souverains, les volontés altières, jusqu’aujourd’hui nous séparent en vain, et par-dessus d’impuissantes frontières, en souriant, nous nous tendons la main. De nos aïeux, morcelez l’héritage, divisez-nous en deux peuples, ô rois ! Notre amitié se rit de vos partages, il n’est ici que des Luxembourgeois ! » La petite histoire a, cependant, souvent rattrapé la grande. Et, parfois, c’est un « je t’aime moi non plus » qui a joué à saute-frontière. Quand, en 1977, la grande usine d’Athus a été le premier gros bastion sidérurgique à s’effondrer, la voisine de Rodange, mue par le même cœur d’acier, est restée debout, brisant l’idylle. La MMRA (Métallurgique et Minière de Rodange-Athus) s’est fissurée. 35 ans plus tard, Rodange, passée sous Ares, Arcelor puis ArcelorMittal, vacille sur ses bases…

Les premiers frontaliers étaient sans doute de souche sidérurgiste. Et, tandis que la province, doucement, se relevait, se diversifiait, renaissait à l’économie, bien d’autres frontaliers y ont pris pied aussi. Venus d’un peu partout alimenter l’Eldorado grand-ducal, ils ont aidé à regonfler la démographie d’une province vieillissante et qui avait davantage connu l’exode des jeunes pousses que l’arrivée de nouvelles familles. La province de Luxembourg n’en a, pour certains, que mieux porté son nom, en devenant comme une grande banlieue du pôle économique aimanté du Luxembourg. Mais, au-delà des dépendances mutuelles, des ponts ont perduré, comme une évidence. Comme souvent, ce sont les hommes et les femmes, davantage que les institutions, qui les ont bâtis. Les exemples sont légion. Et les liens économiques sont aussi nombreux que les esprits d’entreprise qui ont poussé, souvent, des voisins belges à installer ou à développer leurs activités sur le sol luxembourgeois. Il y a même, à chaque volée de balbutiements communautaires belges, des velléités rattachistes, un peu provocatrices. Il y a en tout cas des centaines de citoyens belges qui ont élu domicile réel au Grand-Duché. Et au moins autant qui ont voulu, ces deux dernières années, raviver la mémoire de l’aïeul né outre-Sterpenich pour recouvrer la nationalité luxembourgeoise. Dans tous les cas, sans angélisme ni diabolisation, il y a comme une filiation naturelle. Une inclination de fratrie. Luxembourgeois ? Un nom commun pour une identité propre. Et un nom propre pour une identité commune.

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