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Cinq scénarios de reprise de société
from Paperjam mars 2023
En l’absence d’un intérêt dans le cercle familial, les entreprises s’engagent dans la recherche d’un repreneur extérieur. Outre les fonds de private equity, d’autres options existent, comme le rachat par un concurrent, par les salariés de la structure, voire par une autre société.
Soludec : un MBO en béton
C’est un casting particulier que Jacques Brauch mène à l’été 2019, année des 70 ans de Soludec : la recherche d’un acheteur pour la société, les propriétaires de l’époque désirant vendre en raison de leur âge avancé. « Je me suis rendu compte que la société n’allait plus exister telle que nous la connaissions. J’ai alors proposé qu’on la conserve », explique le directeur général depuis 2012. Associé avec sept autres membres de la direction, l’ingénieur procède en juillet 2020 à un MBO, après avoir trouvé le financement auprès de banques et créé une holding pour la reprise. Certains immeubles et terrains ont été cédés à des tiers, mais les 400 salariés sont restés et l’entreprise poursuit son activité, en gardant son cœur de métier. « Un MBO requiert beaucoup de patience, d’énergie et de courage », conclut-il.
Comodo : d’affaires et d’amitié
Le lien entre le marketing et la construction ? Difficile à dire, sauf pour David Gavroy, qui a vu dans la recherche d’un repreneur pour Comodo Construction l’opportunité d’ajouter une corde à l’arc de sa holding. Actif dans la communication avec l’agence Noosphere, puis d’autres sociétés de marketing, DG Group a repris le bureau comptable Z6 Consulting avant Comodo, en décembre 2022. « Avec l’acquisition de Comodo, nous allons pouvoir proposer du retail design à nos enseignes partenaires », avance l’entrepreneur. Les 25 recrues de Comodo gonflent aussi les effectifs de DG Group, qui atteint 75 salariés. De plus, cet investissement représente une sorte de renvoi d’ascenseur à Daniel Coljon, fondateur de Comodo, qui avait soutenu financièrement David Gavroy dans la création de sa première société, une quinzaine d’années plus tôt.
Quand CK Group intègre iTEC
« Nous pouvons envisager un rachat externe », confiait, en octobre 2021, David Gray, general manager de CK Group, lors du 75e anniversaire du fournisseur de services digitaux. Cinq mois plus tard, la structure aux 200 salariés annonçait le rachat d’iTEC, un spécialiste des services informatiques doté de 19 salariés et actif depuis 2004. Aujourd’hui, iTEC poursuit ses activités avec son équipe, son management, son identité et ses propres locaux à Esch-sur-Alzette.
« Il ne faut pas précipiter l’intégration d’une petite structure dans une grande, au risque de perdre la culture d’entreprise, mais aussi des employés et des clients qui n’auraient plus leurs repères », préconise David Gray. La partner, Laure Elsen, a choisi de ne pas communiquer sur le montant du rachat : « Je pense que c’est dans la culture luxembourgeoise d’être plutôt réservé et discret. »
Kneip dans le giron de Deutsche Börse
Sa société spécialisée dans la gestion des données des fonds était à la recherche d’un partenaire capable d’investir afin d’améliorer sa compétitivité. Cette quête a donné lieu au rachat de Kneip par Deutsche Börse Group en mars 2022. « Les discussions ont débuté à la fin de l’année 2021 et nous avons signé trois mois plus tard », évoque Hugues Delcourt, président du conseil d’administration à l’époque. L’intéressé évoque un « double attrait » pour ce repreneur : « Sa proposition faisait du sens pour le projet industriel de l’entreprise et, d’autre part, il apportait une assise financière importante au nouveau Kneip. » L’entreprise fondée par Bob Kneip en 1993 a conservé son identité, ses activités et ses salariés. Ils sont actuellement 110 au Luxembourg.
La chute de la maison Fortuna
La faillite de Fortuna est un bon cas d’école d’une entreprise « invendable » parce que son modèle d’affaires n’avait pas su évoluer avec son temps et parce que ses actionnaires – quelques grandes familles luxembourgeoises – avaient des attentes irréalistes sur le prix de vente. Un premier candidat, l’anglais Chenavari, s’était intéressé à la banque. Mais la due diligence à mener s’était révélée très compliquée. Trop, même, face à un régulateur exigeant. L’offre d’un second repreneur généreux (mais sulfureux) – Bank of Beirut – pouvaitelle l’emporter ? Non. Resollicité en 2020, Chenavari revint dans le dossier. Avec une offre bien moins alléchante, crise oblige. Le dossier capotera rapidement et la banque disparaîtra. Les actionnaires n’avaient pas la bonne vision de la valorisation et leur gourmandise aura précipité la fin de l’histoire.
La Société nationale de crédit et d’investissement est une banque appartenant à 100 % à l’État. À la différence de Spuerkeess, orientée « grand public », la SNCI est spécialisée dans le financement à moyen et long terme des entreprises. Elle accorde différents crédits d’équipement, de développement, de financement de la recherche et de l’innovation, ainsi que des crédits à l’exportation. Elle réalise par ailleurs des opérations en fonds propres en prenant des participations directes dans de grandes sociétés stratégiques. Soit en direct, soit par l’intermédiaire du Luxembourg Future Fund ou d’autres fonds d’investissement dans lesquels elle détient une participation. Dans cet esprit, la SNCI est actuellement à la manœuvre dans le dossier Liberty Steel où, pour le compte du gouvernement, elle cherche à acquérir l’usine de Dudelange. Comme elle avait pu le faire en son temps avec CTI, puis Paul Wurth.
BRAS ARMÉ DU GOUVERNEMENT
La SNCI est le bras armé de la politique industrielle du gouvernement et contribue à implémenter ses orientations de politique économique. Comme en 2009, lorsque la promotion et le développement de l’économie sociale et solidaire étaient le credo. De même aujourd’hui, où le mot d’ordre est d’accompagner les entreprises vers une double transition écologique et digitale. En 2009, à la suite d’une étude qu’elle avait menée dans le cadre de la stratégie de Lisbonne – dont l’objectif était de faire de l’économie européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » –, la SNCI s’est dotée de deux nouveaux instruments destinés à cofinancer des transmissions d’entreprises : le prêt de reprise et le prêt de rachat, regroupés aujourd’hui sous l’étiquette « prêts de créationtransmission ».
15,7 MILLIONS PRÊTÉS
En 2021 – derniers chiffres connus –, ce sont huit projets de créationtransmission qui ont été financés, pour un montant de 935.000 euros (en 2020, aucun prêt de ce type n’avait été accordé, ndlr). Depuis leur création, l’encours des prêts de créationtransmission a atteint 15,7 millions. En 2021, en raison du Covid, la SNCI a accordé à ce titre pour 5 millions de financements « anticrise ». Depuis 1978, elle a décidé des interventions financières pour un montant de 3.826,7 millions d’euros. Soit une moyenne annuelle de 87 millions d’euros.