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ANDY SCHLECK

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MON STYLE

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Andy Schleck a à cœur de promouvoir le Luxembourg, qui ne manque de rien pour accueillir une grande course.

« Ramener le Tour au Luxembourg est un défi qui me tente »

Retraité des pelotons depuis 2014, Andy Schleck peut être vu comme un modèle de reconversion. L’ex-vainqueur du Tour de France s’est mué en chef d’entreprise et en organisateur d’événements, il a notamment aussi parié à bon escient sur une start-up spécialisée dans la réalisation de bilans carbone.

Interview JULIEN CARETTE Photo GUY WOLFF

Le Tour de France arrivera le 7 juillet à Longwy, et ce, pour la deuxième fois en cinq ans. Au Luxembourg, s’il y a bien eu un départ de Mondorf en 2017, on attend une arrivée d’étape depuis 2006. Comment explique-t-on une si longue absence ? C’est dommage que nous ne profitions pas plus de la volonté de la société organisatrice du Tour de sortir des frontières de l’Hexagone. Au Luxembourg, la première chose que l’on entend lorsqu’on évoque un arrêt de la Grande Boucle sur notre territoire, c’est le gros investissement financier que cela demanderait. Par contre, on ne songe pas assez aux retombées qui seraient générées. On oublie que le Tour est le troisième événement le plus suivi dans le monde après la Coupe du monde de foot et les Jeux olympiques, avec un nombre d’heures consommées par les (télé)spectateurs que l’on chiffre en milliards… C’est une réflexion que je trouve typiquement luxembourgeoise. En France, par exemple, tout cela est vu avec beaucoup plus d’enthousiasme. Et, au Danemark, où j’ai été convié dernièrement en vue du grand départ du Tour prévu cette année à Copenhague, les Danois se rendent bien compte de l’opportunité qui leur est offerte. Ils n’ont pas lésiné sur les moyens afin de proposer un spectacle unique. Le Tour est aussi un événement qui peut faire étape au sommet d’un col comme celui du Galibier où on ne trouve que deux parkings. Il ne faut donc pas penser, comme certains, que nous ne possédons pas, au Grand-Duché, les infrastructures nécessaires pour recevoir une telle manifestation.

Que manque-t-il alors ? Dans l’absolu, et idéalement, le Tour devrait faire escale chez nous tous les trois ou quatre ans. Mais pour que, un jour, il en soit ainsi, nous avons besoin qu’une impulsion soit donnée. Il faudrait un project manager qui prenne un tel dossier en main…

Georges Engel (LSAP), l’actuel ministre des Sports, n’a jamais caché son amour du vélo. C’est un gros avantage ? C’est vrai. La commune dont il était bourgmestre, Sanem, a organisé les Championnats du monde de cyclo-cross en 2017. Un bel événement ayant rassemblé 30.000 personnes. Cela ne fait que quelques mois qu’il est en fonction au ministère, et on doit donc lui laisser du temps.

BIO EXPRESS

Un Tour et un L-B-L Né le 10 juin 1985, Andy Schleck, fils de Johny et frère de Fränk – également champions cyclistes –, a marqué l’histoire du sport luxembourgeois en remportant Liège-Bastogne-Liège (2009) et le Tour de France (2010).

Chef d’entreprise et investisseur Cycliste professionnel à 19 ans, il est contraint de mettre un terme à sa carrière en 2014 et ouvre, en février 2016, son magasin de vélos à Itzig, Andy Schleck Cycles. Il investit aussi dans plusieurs autres projets, dont la start-up nZero.

Président et ambassadeur Depuis 2017, il est président et directeur de course du Skoda Tour de Luxembourg, avant de devenir, un an plus tard, ambassadeur cyclisme pour la marque automobile. Amaury Sport Organisation (ASO), la société organisatrice du Tour de France, ficelle souvent ses dossiers avec pas mal d’avance. Je ne suis donc pas sûr qu’on puisse espérer quelque chose dans les quatre ou cinq ans à venir. Moi, ce dont je rêve, c’est d’un grand départ, comme le Luxembourg l’a déjà organisé en 1989 et 2002. Un prologue suivi d’une ou deux étapes sur notre sol. Actuellement, je suis trop pris par mes activités professionnelles, mais, à terme, j’avoue que ramener le Tour au Luxembourg est le genre de défi qui me tente. Mon profil peut convenir à un tel challenge. Je connais bien ASO. Et puis, depuis 2017, je suis aussi président et directeur de course du Skoda Tour de Luxembourg…

En tant que président, quelles ambitions avez-vous pour le Tour de Luxembourg ? Nous évoluons actuellement en ProSeries, soit la D2 des compétitions cyclistes mondiales, et c’est un niveau qui nous convient. En 2021, huit millions de téléspectateurs ont regardé notre course. Et ce, rien que via Eurosport, qui la diffusait dans 83 pays.

Pourquoi ne pas vouloir accéder au niveau supérieur, le World Tour, où l’on retrouve les plus grandes courses du monde ? Nous sommes une asbl, certes avec un budget assez important (environ un million d’euros, ndlr) mais qu’il n’est pas toujours simple de réunir. Le marché luxembourgeois est bien plus petit que celui de nos voisins. Là où un sponsor offre 300.000 euros en France, il en donne peut-être 30.000 chez nous… Passer à l’échelon supérieur demanderait beaucoup de changements, à commencer par nos partenaires actuels. Et c’est un sacrifice que je ne veux pas faire. Il n’est pas conciliable avec

les ambitions que je me suis fixées à mon arrivée. Désormais, tous nos fournisseurs sont luxembourgeois. On ne se dirige vers des marques étrangères que si un produit n’est pas élaboré sur notre territoire. Financièrement, je ne le cache pas, c’est moins intéressant. Mais il est important de le faire parce que nous sommes le Tour de Luxembourg.

Ce fameux World Tour, je le garde néanmoins dans un coin de ma tête, mais plutôt pour l’organisation d’une course d’un jour.

Vous voulez créer une « classique » de premier plan au Luxembourg ? Oui. C’est un projet qui n’en est plus au stade du rêve. On a dépassé celui-ci, désormais. J’ai même une échéance en tête : 2025 ou 2026 pour la première édition. Sur le marché actuel du cyclisme, si vous voulez que votre course attire l’œil, vous devez soit pouvoir mettre en avant l’histoire de celle-ci – comme LiègeBastogne-Liège ou Paris-Roubaix –, soit vous appuyer sur un concept marquant. Et je pense avoir l’idée qui nous différencierait des autres : une épreuve avec un départ et une arrivée au Luxembourg, mais qui traverserait les frontières des quatre pays de la Grande Région. Les coureurs passeraient ainsi, dans la même journée, au Luxembourg, en Belgique, en France et en Allemagne.

Présider et diriger le Tour de Luxembourg n’est qu’une de vos activités. Vous vous êtes beaucoup diversifié depuis votre départ du peloton en 2014… Mon activité principale, c’est le magasin de vélos que j’ai ouvert à Itzig. En parallèle, je voyage encore beaucoup pour des événements liés au cyclisme. Depuis que le Covid-19 est moins présent, c’est d’ailleurs reparti à 200 à l’heure sur ce plan-là. Ainsi, je serai notamment présent durant tout le Tour de France, en tant qu’ambassadeur de la marque Skoda, un des sponsors principaux de la Grande Boucle. J’y accompagne les VIP les plus importants en les guidant dans le monde du Tour.

J’ai également investi dans une entreprise de fabrication de selles en carbone située à Filsdorf et je fais partie des gens qui ont aidé à la naissance d’une start-up américaine, baptisée

95 %

Avant l’arrivée du Covid-19, la vente des vélos en stock représentait 40 % du chiffre d’affaires du magasin Andy Schleck Cycles d’Itzig. Les 60 % restants étant des commandes passées par les clients. Désormais, ces mêmes stocks constituent 95 % du chiffre d’affaires. Comme dans d’autres secteurs, les pénuries de certaines pièces sont une réalité. « Le temps nécessaire pour recevoir une commande a explosé, explique Andy Schleck. Celles que je passe actuellement concernent des vélos qui n’arriveront qu’en 2024… »

nZero, spécialisée dans la réalisation de bilans carbone. En septembre, le Tour de Luxembourg va d’ailleurs devenir, à ma connaissance, la première course cycliste à effectuer le sien.

Le but est de réduire les émissions de CO2 du Tour de Luxembourg et de tendre vers la neutralité carbone ? L’objectif est d’optimiser notre impact. D’obtenir des chiffres concrets, histoire de pouvoir demander ensuite un rendez-vous avec l’État, mais aussi avec nos principaux sponsors, pour leur dire : « Voilà où nous en sommes, et voici nos aspirations objectives pour le futur. Est-ce que vous nous soutenez ? » Le Tour de Luxembourg représente 120 voitures, une trentaine de motards, 120 coureurs, environ 200 chambres d’hôtel, etc. Et ce, pendant cinq jours de course (du 13 au 17 septembre en 2022, ndlr). Nous avons un certain impact, en tant qu’événement sportif majeur au Luxembourg. Et je suis curieux de voir comment nous pouvons évoluer en un an, puis à plus long terme. Mais ce que j’aimerais surtout, c’est que cette démarche serve d’impulsion, afin qu’un jour on en arrive à ce qu’un Tour de France, par exemple, effectue la même démarche.

On ne peut pas dire que le problème climatique soit, habituellement, la première préoccupation du monde du sport en général, et du cycliste en particulier. D’où vient votre intérêt pour ce domaine ?

« Le Tour de Luxembourg va devenir la première course cycliste à effectuer son bilan carbone. »

C’est un sujet qui me passionne. Vous savez, par exemple, que si vous remplacez 692 km de conduite en voiture par 692 km sur un vélo de la marque Trek, vous compensez alors le coût du carbone pour la fabrication de ce même vélo ? Ils appellent cela  ‘la règle des 692’… J’ai deux enfants et, comme tous les pères, je veux qu’ils grandissent dans un monde différent de celui qu’on leur promet pour le futur. Si on veut essayer d’atteindre les objectifs climatiques fixés pour l’horizon 2050, il faut bouger, des initiatives doivent naître. Investir dans nZero va dans cette logique-là. Après ma carrière de cycliste, j’ai participé aux États-Unis à des événements privés baptisés Champions & Friends où on me conviait pour rouler aux côtés d’entrepreneurs importants. Cela m’a permis de côtoyer pas mal de monde et, notamment, de faire la connaissance des personnes qui sont derrière cette start-up. Nous avons commencé petit et, aujourd’hui, nZero compte 120 employés, avec des bureaux en Californie, à Londres, à New York, mais aussi, ici, à Luxembourg.

Saviez-vous que votre vie professionnelle prendrait cette direction quand vous avez quitté le peloton en 2014 ? Non, pas du tout. Je n’avais que 29 ans. J’ai eu besoin de quelques mois afin de faire le point. Il le fallait. Du jour au lendemain, je suis passé d’Andy le cycliste à Andy l’ancien cycliste. Cela a été un moment compliqué. Dans un sens, j’ai dû réapprendre la vie. Au début, j’ai pris pas mal de poids que j’ai, en partie, perdu aujourd’hui. Désormais, je pèse toujours 20 kilos de plus que lorsque je courais, mais il faut dire que j’étais particulièrement maigre à l’époque puisque j’affichais 66 kg sur la balance (pour 1,86 m, ndlr).

Comment avez-vous débuté Andy Schleck Cycles, votre magasin de cycles ? Au bout de quatre ou cinq mois, j’ai découvert l’immeuble qui abrite désormais mon magasin de vélos. J’y ai vu un beau challenge. Le souci était que je ne savais pas comment fonctionnait une entreprise. Du coup, pendant un an, j’ai travaillé dans celle de mon beau-père, la société Delvaux, située à Itzig, spécialisée en salles de bains, piscines, wellness, etc. J’y ai beaucoup appris : comment gérer les stocks, l’administratif, etc. Et cela, en même temps que je montais mon propre magasin. Se lever tous les matins à 6 h pour aller au bureau n’a pas été simple. Qui plus est que je n’étais jamais le premier à partir le soir. Je ne le voulais pas. Si le cyclisme m’a appris une chose, c’est bien que si tu veux quelque chose, il faut travailler pour l’obtenir.

Le succès est-il au rendez-vous ? Plutôt bien, puisque nous affichons un chiffre d’affaires qui oscille entre trois et quatre millions d’euros, tout en comptant 14 employés. J’ai remarqué que notre marché est loin d’être saturé au Luxembourg. D’ailleurs, après avoir

noté qu’il n’y avait pas vraiment d’offre sur la Moselle, alors que, pourtant, tous les cyclistes y roulent, je viens d’ouvrir un deuxième magasin, à Mertert. Autre atout : Trèves et ses 120.000 habitants ne sont qu’à une dizaine de kilomètres. Les Allemands sont assez friands du service haut de gamme que nous fournissons. Or, j’ai toujours voulu un très haut niveau de qualité, qu’on offre un accueil personnalisé à chaque client. Que ce dernier passe la porte pour acheter un vélo à 300 euros ou à 13.000 euros, on lui propose un café, on discute, on permet de tester sa position sur le vélo via notre fitting studio, on amène le vélo au domicile de l’acheteur, etc. Au besoin, nous fournissons aussi les assurances en direct et nous pouvons même proposer une formule de financement.

Vous comptez continuer à grandir ? Non, ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis bien avec mes deux magasins. Grandir trop vite pourrait signifier une perte de la qualité du service. Qui plus est, je connais déjà des difficultés à trouver du personnel qualifié à l’heure actuelle…

La pandémie a-t-elle été un accélérateur pour le marché de la vente de vélos ? J’évaluerais à 30 % l’augmentation de notre chiffre d’affaires pendant la crise sanitaire. Une évolution qui a eu tendance à perdurer. Mais, à mes yeux, c’est surtout le développement du vélo électrique qui est à la base du grand boum de ces dernières années. Bien plus, selon moi, que la crise sanitaire. Les utilisateurs se rendent compte qu’il apporte les avantages du vélo sans la contrainte de la fatigue. Actuellement, chez nous, il représente une part de marché d’environ 40 %. Nous sommes loin des 95 % qu’on voit en Autriche ou en Suisse, des 70 % au Danemark et même des 60 % valables en France. Ce qui me pousse à penser qu’il nous reste donc une belle marge de progression dans le futur.

Vous avez une équipe cycliste féminine à votre nom dans le peloton professionnel. Est-ce une autre manière de promouvoir votre magasin ? Quand on a ouvert ce dernier, je me suis dit que nous devions cultiver notre propre communauté autour du vélo. Nous avons donc commencé à organiser des sorties le weekend. Mais on s’est vite rendu compte que très peu de femmes y prenaient part. Moins qu’ailleurs en Europe. Nous avons analysé la chose, et il s’est avéré qu’elles n’aimaient pas rouler avec les hommes. Nous avons donc créé des sorties qui leur étaient réservées, tout en organisant également des workshops spécialement pour elles. Et cela a débouché sur la création d’un club cycliste et, ensuite, d’une équipe – également soutenue par les sociétés Creutz & Partners et Immo Losch – évoluant au deuxième échelon mondial. Elle est composée de coureuses semi-pros.

Événementiel sportif Un pari pour doper l’économie

Réalisée en 2017 mais jamais rendue publique, une étude du ministère des Sports démontre l’intérêt économique à organiser, au Luxembourg, des événements sportifs majeurs.

« Le Tour de France ne se rend que dans les villes où il est désiré. » Cette phrase est devenue l’un des grands classiques de Christian Prudhomme, l’actuel directeur du Tour. Une manière pour ce dernier de signifier qu’accueillir le troisième événement sportif le plus populaire au monde se mérite. Il faut le vouloir, et fort, donc.

Or, cette volonté ne semble guère présente au Luxembourg. ASO, la société organisatrice de la Grande Boucle, assurant ainsi à Paperjam que, s’il existe bien des « contacts avec certaines ‘autorités’ luxembourgeoises, […] aucune candidature sérieuse pour accueillir le Tour » n’a été formulée à l’heure actuelle.

ASO a aussi confirmé les tarifs en vigueur pour voir le Tour s’arrêter dans une ville. Soit 80.000 euros pour un départ d’étape et 120.000 euros pour une arrivée. Du moins, si vous êtes une localité française. Pour une ville étrangère, les montants sont supérieurs (« en raison d’un surcoût logistique », avanceton chez ASO), sans qu’aucun barème ne soit fixé. « Il est surtout important d’avoir une vraie volonté politique derrière une candidature, que cette dernière soit appuyée par un État ou une région », expliqueton encore au sein de la société française. Il en va de même pour l’organisation d’un grand départ, pour lequel la facture se chiffre alors en millions d’euros.

En 2021, 3 euros en retour pour 1 euro investi Mais le jeu en vaut la chandelle. Ainsi, lors du grand départ de l’édition 2021, qui se déroulait en Bretagne, une étude a été menée par les autorités locales. Celleci a révélé que l’étape inaugurale, dont le coût est estimé à 2,3 millions d’euros d’argent public, a attiré une fréquentation supplémentaire de 52.000 touristes et généré 4,35 millions d’euros de recettes directes pour l’économie locale. Au total, les retombées sont même évaluées à 7,35 millions d’euros, soit près de 3 euros par euro investi. Un ratio dans la moyenne de ce qui a été calculé ces dernières années.

Belvaux, près de 13 millions d’euros de retombées Assisteraiton au même phénomène au Luxembourg ? Une étude commandée par le ministère des Sports semble le confirmer. Réalisée en 2017 – sur un échantillon représentatif de 780 personnes – en marge des Championnats du monde de cyclocross organisés cette annéelà à Belvaux, elle donne un aperçu de l’envergure économique de cet événement. Il en ressort ainsi que ces mondiaux, ayant réuni environ 30.000 personnes, ont engendré des retombées directes à hauteur de plus de 5,3 millions d’euros pour l’économie luxembourgeoise. L’impact total, incluant les effets indirects, se chiffre, lui, à plus de 12,7 millions d’euros. Et cela, pour un coût organisationnel évalué à 2 millions d’euros. Un rendement des plus intéressants, donc.

Vouée à un usage interne, cette étude n’a jamais été rendue publique. Même si elle aurait pu être davantage poussée, on peut tout de même le regretter, dans la mesure où elle tend à démontrer l’intérêt économique à organiser, au Luxembourg, des événements sportifs de portée internationale. Contrairement à de nombreuses idées reçues…

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