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INTERVIEW FRANÇOIS BAUSCH

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SERGE ALLEGREZZA

SERGE ALLEGREZZA

« En 2030, tous les transports en commun seront électriques »

Quoi qu’il arrive lors des prochaines élections législatives, François Bausch (déi Gréng), vice-Premier ministre et notamment ministre de la Mobilité, quittera ce ministère en 2023, après une décennie à sa tête. « Sans avoir de regrets », dit-il. Mais en laissant un héritage qui risque d’influencer pour longtemps le développement économique et environnemental.

Quel bilan tirez-vous de la gratuité des transports publics, un peu plus de deux ans après son instauration ? Il est positif. Lorsque nous avons introduit la gratuité, l’objectif était double. D’une part, avoir une approche davantage sociale, avec une gratuité financée par le système fiscal général, et donc les plus gros contributeurs fiscaux. D’autre part, nous voulions également faire réfléchir le public sur ses habitudes de mobilité. Ce que nous sommes parvenus à faire, en lui faisant découvrir notre plan en la matière, dont la gratuité n’est qu’un petit élément.

Cette gratuité est un levier pour booster l’utilisation des transports en commun. Mais toute seule, elle ne fonctionne pas. Pour apporter ses effets, elle doit être accompagnée d’une offre qualitative. Et elle a aussi besoin d’être introduite dans une vision plus globale en matière de développement et d’investissements. Or, c’est le cas ici. Les Luxembourgeois ont compris le chemin que nous souhaitons emprunter.

Avant de présenter, en avril dernier, la feuille de route pour les 15 prochaines années avec le PNM 2035, il y avait eu, en 2018, le Modu 2.0. Ce dernier définissait la stratégie gouvernementale pour une mobilité durable… Et il a fortement modifié la manière dont les gens appréhendent et vivent la mobilité. Avant, on me demandait d’agrandir les routes parce que celles-ci étaient embouteillées. Désormais, on m’interroge plutôt sur les solutions possibles pour remédier à ce même problème. Il y a eu une évolution des mentalités. Et celle-ci s’est encore accentuée depuis la présentation du PNM 2035. Parce que si le Modu était une nouvelle base théorique, ce PNM est sa mise en pratique. Il a donc apporté de la clarté, du concret.

Dans le Modu 2.0, comme dans le PNM 2035, vous fixez des objectifs à atteindre. Les premiers ont l’année 2025 comme horizon. Seront-ils atteints ? Je suis confiant. Ils devraient pour la plupart aboutir. Si les ambitions en matière de covoiturage ont été mises à mal par la crise sanitaire, l’augmentation souhaitée de 50 % du nombre d’utilisateurs dans les transports publics, elle, est en bonne voie, par exemple. Boostée par des réalisations importantes depuis 2018. D’autres, prévues dans le PNM 2035, se termineront dans les deux ou trois prochaines années. Je pense là, notamment, à l’extension de la ligne du tram qui reliera alors la Cloche d’Or au Findel, à l’agrandissement de la gare de Luxembourg qui en augmentera la capacité, au dédoublement des voies ferroviaires à Bettembourg, à la livraison de 400 millions de matériels roulants commandés par les CFL, etc. Je m’arrête là, mais je pourrais continuer.

Avez-vous des chiffres concrets ? Le tram est un bon exemple de l’utilisation plus spontanée des transports en commun. L’instauration de la gratuité a provoqué, dès les premiers jours, une hausse de 26.000 à 35.000 passagers journaliers. Désormais, nous tutoyons les 80.000. Nous sommes en avance sur les estimations. À la rentrée, une fois que le tracé ira jusqu’à Bonnevoie, nous allons très vite monter à 100.000 utilisateurs. Un chiffre que nous envisagions, au départ, pour l’ensemble du tronçon Cloche d’Or-Aéroport du Findel. De fait, lorsque celui-ci sera opérationnel, les chiffres devraient être encore bien plus élevés.

Est-ce que cela va poser un souci ? Non. Parce que des solutions existent. Tout d’abord, augmenter la cadence. Nous pouvons descendre à trois minutes, au lieu d’un tram toutes les quatre minutes (aux heures

Une décennie à la tête de la Mobilité

Décembre 2013

François Bausch est assermenté ministre du Développement durable et des Infrastructures. Juin 2014

Vote du projet de loi pour la construction d’un tram allant de la gare centrale au Kirchberg. Septembre 2015

Inauguration de la route du Nord (A7), en présence de François Bausch qui fut un opposant historique à sa construction. Décembre 2017

Inauguration de la première ligne de tram, en même temps que la gare et le funiculaire Pfaffenthal-Kirchberg. Mai 2018

Présentation de la nouvelle stratégie pour une mobilité durable, le Modu 2.0.

FRANÇOIS BAUSCH Ministre de la Mobilité

« J’ai réalisé tout ce dont je rêvais.

La mobilité a toujours été une passion chez moi. »

Matic Zorman (archives) Photo de pointe) actuellement. D’ailleurs, ce sera probablement déjà le cas en fin d’année. Ce qui boostera la capacité d’accueil de 30 %. Il est également possible de fonctionner avec des rames plus grandes aux heures de pointe et passer ainsi de 400 à 600 passagers.

Beaucoup de choses sont au programme du PNM 2035. Au point qu’on peut se demander si la ville de Luxembourg ne sera pas qu’un chantier pendant les 15 prochaines années. C’est une impression que l’on peut avoir. Et dans le centre-ville, il y a effectivement quelques chantiers qui risquent de faire mal… Mais ce ne sera pas pire que tout ce que nous avons déjà réalisé ces sept ou huit dernières années. En ce qui concerne le chemin de fer, par exemple, les plus gros chantiers programmés sont en cours. Et puis, on doit aussi se dire que si on veut évoluer dans le bon sens, on doit passer par là. C’est une obligation.

Ce PNM ne risque-t-il pas, justement, d’être un héritage encombrant pour celui qui vous succédera à la tête du ministère fin 2023 ? On me pose souvent la question de savoir si le prochain gouvernement aura l’obligation de continuer sa mise en œuvre. Et la réponse est non. Mais ce même PNM montre bien que si on ne le fait pas, le risque de bloquer le développement économique, social et, évidemment, environnemental du pays est important. On peut ignorer certaines choses, mais il y a un danger : celui d’aller droit dans le mur. C’est un peu comme pour le changement climatique, vous êtes toujours rattrapé par la réalité. Or, au Luxembourg, cette dernière est que, d’ici 2035, on prévoit 40 % de demandes de mobilité supplémentaires. Verser dans le catastrophisme ne servirait à rien. Il faut plutôt proposer des solutions. Or, celles-ci se trouvent dans ce document.

J’ajouterai que les villes les plus efficientes en termes d’organisation urbaine et de mobilité, à l’échelle internationale, sont également les plus attractives et compétitives, économiquement parlant. Je songe à Copenhague, à Vienne, à Stockholm, à Oslo, à Vancouver, etc. Si on souhaite attirer les talents de demain, il faut pouvoir les intéresser. Et la mobilité est la clé du succès pour le Luxembourg.

Les villes que vous citez figurent aussi parmi les plus vertes. La décision de l’Europe d’acter l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs dès 2035 a dû vous ravir… C’est une excellente idée. Cela va accélérer la décarbonisation de la voiture individuelle. Avec Claude Turmes (déi Gréng), le ministre de l’Énergie, nous avons un plan qui prévoit l’implantation de 1.600 points de charge publics Chargy d’ici la fin 2023 et de 88 stations SuperChargy dans les deux ans. Les premières s’ouvrent d’ailleurs cet été sur les autoroutes, à Capellen et à Berchem. Des infrastructures, situées sur des axes importants, qui vont permettre de lancer cette décarbonisation. Tout comme les nouvelles aides aux entreprises mises en place pour l’installation de bornes.

Sur les plus de 500.000 véhicules du parc automobile luxembourgeois, seuls un peu plus de 13.000 sont électriques. N’est-on pas en retard dans le domaine de l’électromobilité ? Nous étions en retard, mais, désormais, nous avons rattrapé celui-ci. Au point d’être dans le top 3 européen. Les chiffres de ces derniers mois sont impressionnants. Avant, l’électrique représentait 1 à 2 % des ventes. En 2022, on finira sans doute entre 13 et 15 %. Et là, je ne parle que de voitures 100 % électriques. Si vous ajoutez les hybrides, on monte quasiment à un véhicule sur quatre vendu cette année. Les primes ont joué un vrai rôle, il faut le reconnaître. Et on ne pourra pas éternellement offrir de cette manière jusqu’à 8.000 euros d’aide. Mais, pour l’heure, force est de constater que cela a bien aidé !

Quant aux transports publics, ils seront 100 % électriques en 2030. Le tram et les trains

Décembre 2018

François Bausch commence son deuxième mandat, il est désormais ministre de la Mobilité et des Travaux publics. Mars 2020

Instauration de la gratuité dans les transports en commun. Décembre 2020

Le tram traverse pour la première fois la ville, de la gare centrale au Kirchberg. Avril 2022

Présentation du Plan national de mobilité 2035.

L’Observatoire digital de la mobilité arrive

Lorsqu’il s’agit de montrer l’évolution de la fréquentation dans les transports en commun, ce sont pratiquement toujours les chiffres du tram qui sont mis en avant. La raison est simple : actuellement, ce moyen de transport est le seul où un système de comptage des passagers est mis en place dans tous les véhicules. « Au niveau des bus, nous en sommes désormais à 65 % du parc, mais nous continuons à les équiper. La démarche est la même pour les trains, explique François Bausch. Dans six à huit mois, nous devrions avoir des données complètes. »

Celles-ci seront alors traitées par l’Observatoire digital de la mobilité. Annoncé en 2018 lors de l’accord de coalition du gouvernement, ce dernier « devrait être en place pour l’été 2023, glisse le ministre de la Mobilité. D’autres datas, dont celles d’opérateurs téléphoniques avec qui nous collaborons, seront également étudiées. » Des données qui seront anonymes évidemment, le but étant ici de déterminer une image précise des déplacements des populations. Et de réaliser un monitoring des changements de comportement.

le sont déjà. Et en ce qui concerne les bus, il y a un objectif de 50 % à atteindre dans les deux ans. Puis un autre fixé à 100 % en 2030, au niveau du réseau RGTR.

Vous quitterez le ministère de la Mobilité dans quelques mois. Avec des regrets ? Sincèrement, non. Il y a peut-être l’une ou l’autre petite chose que j’aurais pu faire autrement, mais je n’ai aucun vrai regret. Je me considère plutôt comme chanceux d’avoir pu travailler une décennie dans ce ministère. J’y ai réalisé tout ce dont je rêvais. La mobilité a toujours été une passion chez moi. Si on jette un œil à mon CV, on voit que j’ai travaillé aux CFL, puis pris ce dossier de la mobilité à brasle-corps lorsque je suis devenu échevin dans la capitale en 2005. Et, aujourd’hui, je me vois bien encore continuer dans cette voie après la fin de cette législature.

Mais, au-delà de ma personne, nous pouvons vraiment être satisfaits du travail réalisé pendant cette décennie. Et je ne suis pas le seul à le dire. Grâce à la gratuité de nos transports en commun, des journalistes de toute l’Europe viennent m’interviewer. En général, j’évacue en deux phrases la gratuité, pour leur présenter ensuite toute notre stratégie à une plus grande échelle. Et là, je vois leurs yeux s’agrandir. Cela en dit plus que tous les discours.

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