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INTERVIEW CORINNE CAHEN
Un an avant les prochaines élections communales et législatives, grand tour d’horizon avec Corinne Cahen, la ministre de la Famille et de l’Intégration, des défis des maisons de retraite et de soins ainsi que des challenges qui se posent en termes de racisme, d’inclusion de la communauté LGBT+, des personnes en situation de handicap et du Pacte du vivre-ensemble des communes.
Guy Wolff Photo
Pour la ministre, « la non-éducation et la non-connaissance sont souvent le problème ».
La ministre de l’Environnement a démissionné suite à l’affaire des Gaardenhaischen. Vous avez aussi subi des pressions pour démissionner. Comment les avez-vous digérées ? Ça m’a montré le mauvais côté de la politique. Certains politiciens viennent avec des mensonges pour vous détruire. On n’a plus envie de se défendre parce que c’est tellement gros… Le rapport de la commission d’enquête l’a d’ailleurs démontré. La crise a été très bien gérée dans les maisons de retraite et les maisons de soins au Luxembourg. Tout le monde a fait de son mieux. À l’étranger non plus, on ne connaissait pas le virus. C’était un jeu politique pour me détruire. Je ne suis pas féministe et je n’ai jamais eu l’impression d’être discriminée par rapport à mon sexe. Je pense être une femme assez forte, mais je constate qu’en politique, ici au Luxembourg, certains hommes qui se croient plus forts aiment bien attaquer les femmes. Peut-être parce que les femmes ont moins le sens de la répartie.
Vous avez déjà souligné le fait qu’on vous pose des questions qui ne sont pas adressées à vos collègues masculins… C’est exactement cela. Quand j’étais ministre, au début, mes enfants avaient sept et neuf ans. Tous les jours – vraiment tous les jours –, on me demandait : « Mais tu gères comment avec les enfants ? » On n’a jamais, même pas une seule fois dans toute leur carrière, posé cette question ni à Claude Meisch (ministre de l’Éducation nationale, ndlr) ni à Marc Hansen (ministre de la Fonction publique, ndlr) ! On a une responsabilité en tant que femme et en tant que mère. Je ne condamne pas la question. C’est juste un constat. On parle d’égalité, mais on n’y est pas vraiment.
Si c’était à refaire en ce qui concerne la gestion de la pandémie au sein des maisons de soins et de retraite, que changeriez-vous ? Je ferais une story sur Instagram tous les jours pour rapporter tout ce qu’on fait, parce que, apparemment, c’est ce qu’il faut faire. Nous étions en pleine crise sanitaire, donc c’était plutôt à la ministre de la Santé de communiquer, et mon rôle était de travailler et de faire en sorte qu’il y ait le matériel nécessaire, les dispositions nécessaires, et qu’on n’oublie pas le secteur du handicap. C’était très, très, très dur pour les fonctionnaires, les gestionnaires des maisons de soins et de retraite, le personnel et les résident(e)s, qui étaient enfermé(e)s dans leur chambre. Nous avons travaillé sept jours sur sept, 24 heures sur 24. La seule chose que je changerais, c’est que je communiquerais tout le temps, puisque c’est ce qui m’a été reproché.
Déjà avant la pandémie, vous avez mis en place un projet de loi réglant les relations entre l’État et les organismes œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutique. Après le Covid, vous avez ajouté des modifications. Quels sont les accents phares de la loi ? Si je devais en retenir deux, ce serait d’abord la qualité. Nous mettons l’accent sur la qualité qui revient au consommateur, donc à la personne résidant dans une maison de retraite ou une maison de soins, qui est actrice de sa vie et qui doit aussi pouvoir décider de son projet de vie et de la façon dont elle veut être traitée. Ensuite, je citerais la transparence : transparence des prix, savoir ce que je reçois, où et à quel prix. Nous sommes en train de faire ce registre des prix. Souvent, on ne sait pas ce qui est inclus dans le prix d’une chambre, par exemple en ce qui concerne le linge ou bien les boissons servies avec le repas. Suite à la crise, nous avons décidé de déposer une série d’amendements. Un exemple est l’obligation de créer des comités d’éthique qui peuvent trancher sur les questions qui relèvent de leur compétence. Pendant la crise sanitaire, on a remarqué qu’il y avait des questions éthiques qui se posaient. Au ministère de la Famille, nous avons souvent joué le rôle de médiateur. Nous sommes d’avis qu’il faut un médiateur ou une médiatrice externe assumant cette médiation entre les résident(e)s, les familles des résident(e)s et les gestionnaires.
À quel moment et comment le ministère entreprend-il le contrôle de la gestion et de la gouvernance dans les maisons de soins et les maisons de repos ? Le ministère est en charge de donner un agrément à ces maisons. Avec la loi actuelle, pour avoir l’agrément, il faut remplir certaines conditions. Une fois par an, nous faisons une visite d’agrément pour voir si toutes les dispositions sont toujours en place et si l’agrément est toujours valable. Les maisons de retraite n’appartiennent pas à l’État, mais peuvent appartenir soit à un établissement public – comme Servior –, soit à des congrégations – comme Elisabeth, HPPA –, soit à des gestionnaires privés. La nouvelle loi sera d’ailleurs un petit peu plus exigeante concernant les critères de qualité. Comme nous n’avons pas actuellement de médiateur ou médiatrice, nous sommes en contact permanent, que ce soit les services ou moi-même, avec les gestionnaires pour désamorcer des conflits potentiels.
De facto, vous ne jouez donc pas à la police… C’est donc aux établissements de gérer leurs propres affaires et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de maltraitance ? On n’intervient pas au quotidien. Nous accordons un agrément aux maisons de retraite et notre participation peut atteindre jusqu’à 70 % de la construction du bâtiment. C’est un long processus et il faut faire la demande bien à l’avance. Et puis, il y a des commissions de contrôle. Les maisons de retraite se financent par deux biais. Le premier, c’est le prix de la chambre. Et le second, c’est l’assurance dépendance, qui, elle aussi, fait des contrôles. Même s’il n’y a qu’un soupçon de maltraitance, nous nous rendons tout de suite sur place avec l’assurance dépendance. Nous parlons aux gens, aux gestionnaires pour constater ou ne rien constater… C’est une collaboration très étroite entre le ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région et celui de la Sécurité sociale. Le but ultime recherché, c’est toujours la bientraitance et le bien-être des résident(e)s.
Selon l’étude Le Racisme et les discriminations ethno-raciales au Luxembourg, réalisée par le Liser et le Cefis, les discriminations sont devenues de plus en plus sournoises. Le rapport parle surtout de micro-agressions quotidiennes. Qu’est-ce que vous allez entreprendre pour réagir à cela ? Trois domaines sont principalement touchés par les discriminations et le racisme – et cela n’étonne personne –, à savoir le marché du travail, l’éducation et le logement.
Souvent, une personne en discrimine une autre sans même le remarquer. Tout le monde a des idées reçues. C’est un exercice que nous devons tous faire avec nous-mêmes. Il faut proposer des formations sur le racisme et les discriminations. D’abord, il s’agit de sensibiliser les enseignant(e) s, et ensuite de conscientiser les entreprises avec l’aide de BIO EXPRESS
La politique Corinne Cahen se présente pour la première fois aux élections en octobre 2013 et est élue députée. Dès le mois de décembre, elle devient ministre de la Famille et de l’Intégration, et ministre à la Grande Région. Un portefeuille qu’elle conserve également dans le deuxième gouvernement dirigé par Xavier Bettel. Depuis novembre 2015, elle est présidente du DP.
Les médias et le commerce Corinne Cahen a commencé sa carrière comme free-lance pour différents journaux et radios, puis devient journaliste à RTL et à l’agence de presse AFP. En 2008, elle quitte le monde des médias pour prendre la gérance de son magasin de chaussures à Luxembourg. Elle devient présidente de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg en 2008 et membre élue de la Chambre de commerce en 2009.
Les études Après des études secondaires à l’Athénée de Luxembourg, Corinne Cahen débute ses études supérieures à l’Université des sciences humaines de Strasbourg, où elle est licenciée en langues étrangères appliquées. Elle passe ensuite par l’Université NiceSophia-Antipolis, où elle obtient une maîtrise de langues étrangères appliquées (section affaires et commerce), et termine son cursus à la Sorbonne avec un diplôme supérieur de journalisme bilingue français-anglais.
l’UEL et la Chambre de commerce. Les entreprises ou les responsables des ressources humaines qui appliquent la Charte de la diversité reçoivent par exemple les CV sans photo et sans nom, ils regardent les qualifications. Plusieurs enquêtes d’ailleurs, réalisées au Luxembourg ou à l’étranger, ont prouvé qu’une entreprise inclusive a de meilleurs résultats économiques. Ce n’est pas seulement vrai pour le racisme, mais aussi quand on parle de handicap, de la communauté LGBT+, de la discrimination en général basée sur le sexe, l’âge ou la religion. Quant au marché du logement, nous réfléchissons à une charte pour les agences immobilières, pour qu’elles n’acceptent pas de client(e)s qui refusent de louer leur bien à telle ou telle personne.
Ce sont des choses qui sont difficiles à imposer… On ne peut pas l’imposer, mais on peut faire des chartes. La non-éducation et la non-connaissance sont souvent le problème.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez également lancé un guide d’inclusion pour les personnes transgenres en entreprise ? Absolument. Il est très important de montrer que notre société est diverse et que chacun(e) est différent(e), comme nous le faisons actuellement avec la campagne « Wat ass normal? » (« Qu’est-ce qui est normal ? »). Tout est normal et tout est anormal. Très souvent, les gens ne savent pas comment se comporter avec les autres, que ce soit la personne transgenre elle-même ou l’entourage. Ce guide est censé aider les personnes transgenres à pouvoir vivre leur identité sans être jugées et apprendre aux autres que chacun(e) est différent(e) et que chacun(e) est fantastique comme il/elle est.
En ce qui concerne le handicap, toutes les entreprises avec plus de 300 employé(e)s doivent occuper 4 % de leurs postes avec des personnes qui ont le statut de salarié(e) handicapé(e). Selon les statistiques, 81,7 % des entreprises ne le font pas. Ce chiffre est énorme. Comment voulez-vous changer cela ? J’ai essayé, c’est très difficile. Les chiffres de l’État ne sont pas meilleurs. Avant d’imposer aux autres, il faut commencer par soi-même et, en bon père de famille, l’État devrait montrer l’exemple. Deux choses sont difficiles. Premièrement, le matching. Il faut engager une personne non pas parce qu’elle est handicapée, mais parce qu’elle possède les compétences nécessaires. Et nous avons des services qui fonctionnent très bien, par exemple le service téléphonique de l’Adem, où il n’y a que des travailleurs et des travailleuses handicapé(e)s. Chaque fois que je vais dans les entreprises, je leur rappelle que l’État paie la totalité de l’aménagement du poste de travail. C’est un sujet qui me tient vraiment à cœur. J’ai essayé, avec la loi sur l’accessibilité, de faire en sorte que le monde devienne plus accessible à tous. Cette fonction est un peu la victime de la pandémie. En fait, l’assistance à l’inclusion dans l’emploi n’est pas uniquement là pour la personne en situation de handicap, mais surtout pour l’entreprise, pour les collègues de travail. Souvent, des personnes en situation de handicap accèdent encore à un poste de travail, mais elles n’y restent pas. Pourquoi ? Parce que les collègues de travail ne savent pas comment s’y prendre. Tout l’enjeu est d’arriver à un engagement à long terme. C’est la raison pour laquelle nous aménageons les postes de travail et nous offrons l’assistant(e) à l’inclusion dans l’emploi. Nous faisons tout pour que cela puisse réussir. Je lance un appel aux entreprises : Chères entreprises, tentez le coup ! Si vous vivez votre diversité pleinement avec les personnes en situation de handicap, vos résultats économiques seront meilleurs. Faites-le !
Sur le plan de l’intégration, vous avez signé un projet pilote : Pakt vum Zesummeliewen (Pacte du vivreensemble). Pourquoi avez-vous lancé ce projet ? Le but est d’inclure les citoyen(ne)s dans le vivre-ensemble de la commune. On souhaite que les gens deviennent acteurs et que les initiatives au niveau communal ne viennent pas du bourgmestre, mais des citoyen(ne)s eux/elles-mêmes. Signer ce Pacte du vivre-ensemble, c’est aussi se faire accompagner par des conseillers et conseillères à l’intégration qui suivent et conseillent les communes.
Par exemple, Esch-sur-Alzette est, pour l’instant, la seule commune dans le pays ayant un projet Sport pour Tous, incluant des enfants à besoins spécifiques et en situation de handicap… Différents projets existent dans différentes communes. C’est donc justement bien de copier ce qui fonctionne dans d’autres communes. Le Pacte du vivre-ensemble est un projet transversal de participation citoyenne, qui concerne à la fois les jeunes, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap… en fait, toutes les communautés. Esch et Luxembourg-ville sont des grandes villes avec plusieurs services à leur disposition, alors que beaucoup de communes de petite ou moyenne taille ne savent pas gérer tout cela seules. On est en train de les sensibiliser, et ça prend du temps afin que cela devienne quelque chose de solide.
Vous ne voulez pas d’un troisième mandat en tant que ministre de la Famille et de l’Intégration et ministre à la Grande Région. Mais qu’en est-il du poste de bourgmestre de la Ville de Luxembourg ? Les élections seront organisées l’année prochaine, au mois de juin. Je ne vous cache pas que j’adore ma ville. J’ai énormément d’idées. Donc on verra… Kommt Zeit, kommt Rat. (« Le temps nous le dira », ndlr).
Mais vous comptez rester active en politique ? Bien sûr. Je ne peux pas rester inactive ! Je resterai ministre et je resterai membre du bureau exécutif et du comité directeur du DP. Il faut faire de la politique parce qu’on est comme on est. Moi, j’adore être chez les gens. On me dit avoir été à toutes les assemblées générales possibles et imaginables du DP partout dans tout le pays. C’est vrai. Dès que je peux, j’y vais.