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VIE PROFESSIONNELLE
Agissons contre les discriminations en entreprise !
Face aux situations de discrimination ou de harcèlement, que prévoit le cadre légal ? Les mesures prévues sontelles suffisamment adaptées et efficientes ? Comment peuvent agir les victimes pour faire valoir leurs droits ?
RÉPARTITION DES QUALIFICATIONS DE CAS DE DISCRIMINATION Dossiers introduits au niveau du Centre pour l’égalité de traitement, pour un total de 245 dossiers.
Source Rapport d’activité du CET 2021
Orientation sexuelle
Religion
Discrimination multiple
Sexe
9
9
10
16
Handicap
Autres
Origine ethnique
43
48
50 Ce printemps, un compte Instagram a commencé à faire parler de lui au Luxembourg. « Balance ton employeur » (@balancetastartupluxembourg) se présente comme un « compte dédié à la libération de la parole des salariés du Luxembourg », recueillant, vérifiant et diffusant anonymement des témoignages évoquant du harcèlement ou de la discrimination au sein d’organisations locales. Cette pratique du name and shame, qui s’inscrit dans la continuité de #balancetonporc, se répand largement en Europe, soulevant de nombreuses questions et suscitant un débat. La pratique, s’il s’agit effectivement de libérer la parole, laisse supposer que les mécanismes en place, au niveau de la législation et plus spécifiquement du droit du travail, ne fonctionnent pas.
Name and shame « Autour de ces enjeux relatifs à la discrimination, au harcèlement moral ou encore sexuel, dans la société comme plus spécifiquement dans un contexte professionnel, il existe un cadre légal résultant principalement de directives et accords sociaux européens transposés au niveau des législations nationales, explique Guy Castegnaro, avocat spécialisé dans le droit du travail. Les mécanismes en place, visant à lutter contre toute forme de discrimination et garantissant l’égalité de traitement, s’avèrent le plus souvent peu efficients. » Si le cadre juridique permet effectivement de faire valoir des droits devant un juge, c’est bien souvent trop tard. La victime qui se défend devant la Cour a le plus souvent fait l’objet d’un licenciement et se trouve dans une situation où elle essaie de faire valoir ses droits, en démontrant une situation de harcèlement ou le caractère abusif de son éviction. Le mieux, sans aucun doute, aurait été de pouvoir remédier à la situation au plus proche des faits, pour faire cesser toute forme de discrimination ou de harcèlement et permettre à la victime de se maintenir la plus épanouie possible dans l’entreprise.
Balancer ne règle rien « Considérant la faiblesse des mécanismes en place aujourd’hui, les personnes ciblées pensent que ‘balancer’ celles ou ceux dont elles sont les victimes ou les pratiques douteuses qu’elles constatent dans l’entreprise constitue le seul moyen d’espérer faire bouger les choses », poursuit Guy Castegnaro. Or, en réalité, rien ne prouve que cela règle les choses. Les personnes à l’origine des témoignages, si l’on parvient à remonter jusqu’à eux/elles, s’exposent à des risques supplémentaires, comme des poursuites pour injures et diffamations, une rupture de l’obligation de confidentialité de l’employé(e). L’employeur pourrait aussi intenter une action en justice de demande de dommages et intérêts liés à d’éventuelles ruptures ou pertes de contrats clients suite à
MSS Photo la dégradation de l’image de l’entreprise ou à des difficultés pour recruter. « Finalement, la dénonciation publique, au-delà d’une satisfaction à court terme, dans un esprit de vengeance, ne règle rien à long terme », conclut Guy Castegnaro.
Que prévoit la loi ? C’est donc par d’autres moyens que la dénonciation qu’il faut travailler sur la problématique. Aujourd’hui, que prévoit la loi ? Quelles sont les obligations de l’employeur ? Et quels sont les moyens dont disposent les victimes pour remédier (ou tenter de remédier) à une situation problématique avant de recourir à la justice ?
Si l’on parle de discrimination, le Code pénal interdit toute forme de discrimination dont les motifs sont l’origine, le sexe, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, la situation familiale, l’âge, l’état de santé, le handicap, les opinions morales, politiques ou philosophiques, l’appartenance à un syndicat réelle ou supposée, l’appartenance à un groupe ethnique, une race ou une région particulière et la non-appartenance à un groupe ou une communauté. « Le Code du travail, pour sa part, interdit toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge, l’orientation sexuelle, ou l’appartenance ou non à une ethnie ou à une race réelle ou supposée. La discrimination directe et indirecte fondée sur le sexe est interdite, explique Christophe Knebeler, secrétaire général adjoint du LCGB. Le harcèlement et le harcèlement sexuel sont considérés comme des formes de discrimination fondées sur le sexe et sont donc interdits. Les dispositions relatives à la protection de la grossesse et de la maternité ne constituent pas une
CHRISTOPHE KNEBELER Secrétaire général adjoint dans le droit du travail LCGB discrimination, il s’agit plutôt de situations relevant de l’égalité de traitement entre femmes et hommes. »
La loi ouvre aussi la possibilité de mettre en place des mesures et actions de discrimination positive. Il s’agit d’avantages accordés à des salarié(e)s d’une catégorie pour les mettre sur un pied d’égalité avec les autres et lutter ainsi contre une inégalité de fait. Le but de ces mesures est de réaliser une égalité des chances entre salarié(e)s par compensation. Le cas type de la discrimination positive est la mise en place de quotas (pour femmes, personnes âgées, personnes d’ethnie différente, etc.) au niveau de l’embauche, de l’accès à la formation, de la promotion, etc. Ces mesures doivent, par nature, être temporaires.
De la discrimination au harcèlement Au sein de l’entreprise, comme partout ailleurs, nul n’est censé ignorer la loi. L’employeur et toutes les personnes dans l’entreprise investies d’un pouvoir décisionnaire doivent donc veiller à respecter les règles de non-discrimination. « C’est à eux/elles, en premier lieu, de s’assurer d’une égalité de traitement entre les personnes à travers les décisions prises », poursuit le représentant syndical. Au sein de l’entreprise, d’autres problèmes peuvent se poser, et ce, même entre personnes n’ayant pas entre elles de liens de subordination. Entre collègues, on ne parlera alors pas de discrimination, mais de cas de harcèlement discriminatoire. « Certains cas de harcèlement constatés peuvent constituer une forme de discrimination. Ils ont pour origine une différence de couleur, de conviction ou de croyance, de sexe, précise Guy Castegnaro. Cependant, il peut y avoir également harcèlement sans discrimination. Un cas de discrimination, qui relève des différences de traitement dans les décisions prises ou les politiques mises en place, est facile à établir. Pour parler de harcèlement moral, il faut qu’il y ait répétition. »
Un comportement déplacé, une parole qui dépasse la pensée, à la suite par exemple d’un excès de colère ou de stress, ne relève pas du harcèlement s’il est isolé et, évidemment, contenu. Pour qu’il y ait harcèlement discriminatoire, il faut attester d’une volonté de nuire. Jusqu’à présent, la victime d’un tel harcèlement bénéficie du régime de la charge de la preuve allégée. Le législateur considère que l’on n’a pas besoin de preuve parfaite pour prendre en compte le litige. L’employé(e) doit établir des faits qui font présumer qu’il y a eu ou qu’il y a discrimination. La simple présomption suffit à faire en sorte que l’employeur doive ensuite démontrer qu’il n’y a pas discrimination. « Mais, malgré tout, cela reste un défi pour les victimes, car elles doivent rassembler des éléments concrets et recueillir des témoignages, souvent dans un contexte où les personnes peuvent craindre des représailles, avoir peur du licenciement », explique 5 NORMES POUR LUTTER CONTRE LA DISCRIMINATION LGBT+ EN ENTREPRISE Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a publié des normes de conduite à l’attention des entreprises.
1 Toutes les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits de la personne – y compris les droits des LGBT+ – dans leurs activités et relations commerciales. Dans les cas où leurs décisions ou activités auraient une incidence négative sur l’exercice des droits de la personne, il est nécessaire de prendre des mesures pour y remédier.
2 Les employé(e)s et les autres personnes avec lesquelles l’entreprise travaille ont le droit de ne pas subir de discrimination. Les entreprises devraient y veiller en ce qui concerne les recrutements, l’emploi, les conditions de travail, les prestations, le respect de la vie privée ou le traitement des cas de harcèlement.
3 Dans l’entreprise, les LGBT+ sont nombreux et nombreuses à se heurter à d’énormes obstacles pour être accepté(e)s et inclus(es) au travail. Les entreprises doivent instaurer un climat positif qui permette de travailler dans la dignité sans être stigmatisé(e)s.
4 Veiller à ne pas faire preuve de discrimination à l’égard des fournisseurs, distributeurs ou des client(e)s LGBT+ pour ce qui est des conditions d’accès aux produits ou services que les entreprises offrent. Lorsqu’un partenaire commercial fait preuve de discrimination, elles doivent user de leur influence pour empêcher cet acte de discrimination.
5 Les entreprises sont encouragées à user de leur influence pour faire cesser les violations des droits fondamentaux, notamment des LGBT+. Elles peuvent mener des activités de sensibilisation, prendre des initiatives collectives, prendre part au dialogue social ou apporter une aide financière ou une assistance en nature.
Guy Castegnaro. Ce contexte de peur, dans la plupart des cas, rend le règlement des conflits et des problèmes délicat. LA DISCRIMINATION RÉPANDUE SUR LE LIEU DE TRAVAIL
25,9 %
Plutôt répandue (oui)
Le premier levier : informer Quels sont, dès lors, les moyens à la disposition des victimes, en dehors du recours à la justice, pour mettre un terme à une situation de discrimination ou de harcèlement ? « Le premier moyen d’action est d’informer l’employeur d’une situation problématique, assure Christophe Knebeler. Aujourd’hui, les dirigeants d’entreprise prennent ces sujets très au sérieux. Dans beaucoup de cas, l’employeur n’est pas forcément au courant de cas de discrimination dont sont victimes les collaborateurs et collaboratrices. Étant informé, dans la mesure où la loi est formelle, il est obligé d’agir, d’analyser la plainte avec sérieux. Et s’il arrive à la conclusion qu’il y a discrimination, il lui incombe de redresser la situation en accordant au/à la plaignant(e) les avantages dont il/elle a été privé(e). »
Il n’est toutefois pas toujours évident, dans le chef de l’employé(e), de trouver l’interlocuteur ou l’interlocutrice à qui l’on peut se confier. Le/la salarié(e) a également la possibilité de s’adresser aux délégué(e)s du personnel qui, avec l’appui du service juridique du syndicat si cela s’avère nécessaire, pourront servir d’assistant(e)s ou d’intermédiaires dans les discussions avec l’employeur. « Il est aujourd’hui préférable de trouver des solutions, au sein même de l’entreprise, plutôt que de recourir à la justice, à travers un dossier du droit du travail ou, le cas échéant, une procédure pénale, poursuit le représentant syndical. Le plus souvent, on peut trouver des solutions en interne, pour peu que l’on parvienne à qualifier la situation, à travers la prise de mesures pour remédier à des situations de discrimination ou encore en prenant des sanctions adaptées à l’égard des personnes ayant commis des actes de harcèlement. »
Adapter et renforcer le cadre Il y a toutefois lieu d’adapter les instruments mis en place pour mieux répondre aux problématiques qui se posent, mieux considérer les enjeux actuels, dans un objectif d’identification claire et de règlement plus rapide des cas, et même pour inclure un volet préventif. Les partenaires sociaux, dans cette optique, se sont saisis du sujet, en établissant une convention relative au harcèlement, aujourd’hui déclarée d’obligation générale. Cette convention comporte une définition précise du harcèlement moral et impose à tout employeur d’interdire tout acte de harcèlement moral dans son entreprise, de mettre en œuvre une politique de sensibilisation et des mesures de prévention en la matière et de mettre en place une procédure de gestion des plaintes de harcèlement moral.
En matière de prévention, les mesures doivent notamment porter sur l’information 34,6% des résidents pensent que la discrimination s’exprime de manière répandue sur le lieu de travail.
Source Rapport d’étude sur le racisme et les discriminations ethno-raciales au Luxembourg (ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région, Cefis et Liser) 8,7 %
Très répandue (oui)
Aujourd’hui, au Luxembourg, diriez-vous que la discrimination s’exprime sur le lieu de travail de manière répandue, rare, ou qu’elle n’existe pas ? 29,9 %
Plutôt peu répandue (non)
22,7 %
Je ne me prononce pas
4,4 %
N’existe pas (non) 8,5 %
Pas du tout répandue (non)
et la formation des salarié(e)s et dirigeant(e)s sur la politique de prévention et de protection contre le harcèlement au travail, l’identification d’un(e) interlocuteur ou interlocutrice compétent(e) en matière de prévention et de protection contre le harcèlement au travail, la définition des moyens et procédures mis à disposition des victimes pour obtenir de l’aide.
Un projet de loi très discuté À côté de cette convention, un projet de loi visant à renforcer les moyens mis à la disposition des victimes de harcèlement est actuellement dans les cartons du législateur. Pour Guy Castegnaro, considérant l’inefficience des mesures actuelles, le texte introduit certaines mesures qui peuvent être utiles. « Il y a lieu, en effet, d’être aujourd’hui plus précis et plus explicite sur la définition de ce qui relève du harcèlement. D’autre part, il faut des outils et des mesures plus adaptés à la gestion des conflits. Le projet ne va pas jusqu’à introduire le renversement de la charge de la preuve, qui obligerait l’employeur ou l’auteur d’actes dès qu’il y a présomption à apporter la preuve que les accusations sont infondées, explique l’avocat. Toutefois, une mesure intéressante réside dans le renforcement du rôle de l’Inspection du travail et des mines (ITM), à travers l’instauration d’une procédure spéciale lui permettant d’instruire un dossier au départ d’auditions et d’établir un rapport au départ duquel des décisions pourraient être prises dans l’entreprise ou permettant d’éclairer des décisions de justice établies dans le cadre d’une procédure. »
Le projet de loi, toutefois, semble aujourd’hui bloqué dans le processus législatif. Et rien ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’il sera adopté avant la fin de la législature actuelle. Du côté des partenaires sociaux, l’initiative se heurte à certains bémols. La Chambre des salariés, par exemple, trouve la nouvelle définition du harcèlement, prévue dans le projet de loi, « à la fois longue et imprécise », affirme qu’elle « pêche par manque de rigueur » et qu’elle « ne permet pas de mettre facilement en évidence les éléments caractéristiques du harcèlement moral, contrairement à celle retenue par les partenaires sociaux luxembourgeois ». Elle a aussi émis de sérieuses réserves sur le recours facilité à l’ITM dans le cadre d’une procédure.
Éviter la judiciarisation à l’excès Pour Christophe Knebeler, s’il faut agir plus efficacement visàvis des cas de harcèlement, il s’agit aussi d’éviter la judiciarisation des dossiers à l’excès, ne pas engager des poursuites dès qu’il y a un doute. « Il y a un risque de dérive important. Dans ces dossiers, il y a souvent beaucoup de zones grises, exigeant d’agir avec nuance, expliquetil. Il est préférable, avant toute procédure ou l’intervention d’acteurs extérieurs, d’explorer les voies de médiation et de discussion en interne, pour trouver des solutions. Le premier défi est de pouvoir évoquer tout problème au sein de l’entreprise, pour intervenir avant que la situation ne dérape ou pour corriger des situations constatées. Dans la plupart des cas, cela permet de trouver des solutions, de prendre les mesures les plus adaptées et, le cas échéant, des sanctions. »