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Les tailleurs et couturières

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Texte : Corinne Daunar

S’il est un métier sans âge, c’est bien celui de tailleur, malgré de profondes évolutions, des premiers petits ateliers de début de colonisation aux créateurs les plus fins de ce début XXe. Et dans ce monde de fils et de tissus bariolés, une dichotomie est par ailleurs intéressante, où le tailleur portera plus volontiers, dans l’imaginaire, le savoir-faire professionnalisé et la couturière la pratique informelle et héritée.

Un métier sans âge

Naturellement, c’est assez tôt dans l’histoire de la colonisation que ces savoir-faire apparaissent dans la société, sur les habitations et dans les premiers réduits urbains. Comme pour beaucoup de spécialités, ce sont, au départ, des blancs engagés ou simplement débarqués dans ces nouvelles sociétés qui proposent leurs prestations de tailleurs. Les années passant, ces artisans voient leurs affaires s’installer, et les ateliers s’augmenter de quelques esclaves formés à l’art de la coupe et de la couture. Les premières femmes de la colonie sont-elles décrites par le gouverneur Blénac filant le coton, tricotant des bas, des mitaines, des jupes… La pratique est également importante sur les habitations, où le propriétaire a l’obligation de fournir, si ce n’est deux ensembles à l’année, de quoi en confectionner à chaque esclave. En parallèle, les registres, en Martinique, enregistrent tôt la diversification du travail, où le nombre d’affranchis devenus tailleurs semble croissant tenant parfois boutique dans les bourgs les plus florissants. Les femmes libres elles, s’approprient aussi des métiers du vêtement : elles sont alors lavandières, lingères, ou bien couturières.

Une histoire de mode

Pour les tailleurs, le marché est croissant : les premiers habitants sucriers, dès lors leur fortune entamée, mettent leurs gains dans leurs habits, à l’image des officiers et hauts fonctionnaires de l’île. La constitution d’une société de l’apparat, avec la multiplication des mariages, l’envoi de jeunes femmes pour fonder des foyers stables et la sédentarisation d’une nouvelle petite France contribuent autant à la diffusion d’une culture de la mode et du plaisir du bien se vêtir. Au long des siècles de colonisation coexistent plusieurs mondes et modes : le vestiaire antillais est éminemment fourni, où chaque époque et classe sociale voit se succéder son porte-drapeau stylistique. C’est ainsi que résonne, au fil des mœurs, des modèles fameux tels la jupe-chemise, utilise depuis le XVIIIe siècle ou les Colinette des milieux plus populaires à la fin XIXe, la gaule d’abord privilégiée par la bourgeoisie de la même époque, la douillette qui s’impose début XXe. Face à ces modes autant que ces besoins, deux mondes coexistent : pour les foyers les plus aisés, c’est le tailleur, au creux de sa petite maison de bourg-atelier, qui confectionne la garde-robe, sous l’influence des modes parisiennes. Dans les classes ouvrières, où s'offrir les services d’une couturière est impensable, l’on assemble à la main, tant les lourdes Singer en fonte sont onéreuses, à leur arrivée fin 1890, et inaccessibles aux maigres salaires des travailleuses agricoles.

Les dernières traces du métier

En ce début de siècle, les assauts répétés des grands magasins de métropole, la tradition des colporteurs qui livrent de nouvelles logiques d’habillement au plus près des campagnes remettent en question la confection à la main. Si les tailleurs de quartier continuent de travailler en retouches, en ourlets, en adaptations, le volume de commande diminue autant que la pratique de la couture s’estompe au logis dès la deuxième moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, si la révolution-monde du prêt-à-porter a profondément entamé les usages intimes de la couture et de la conception individuelle du costume, les tailleurs et couturières se renouvellent, sont de mieux en mieux reconnus et arborent désormais un flambeau vivace, celui du maintien de l'habitus et de la multitude du vêtement créole, à travers les arts, la haute couture et le savoir-faire décuplé.

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