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III- Les archéologues du futur

c) L’ectoplastique - Et si on allait encore plus loin ?

L’homme se fait servir par l’aveugle matière.

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Il pense, il cherche, il crée ! A son souffle vivant les germes dispersés dans la nature entière. Tremblent comme frissonne une forêt au vent !

Victor Hugo

Le plastique nous a rendu tant de service que nous en sommes devenus des consommateurs frénétiques. L’amour rendant aveugle, l’être humain a su se surpasser pour créer ce matériau et en faire une substance incontournable, comme existentielle. Mais les débris que le plastique a laissé font désormais défaut à tout un écosystème. Nous tremblons face à son expansion, ne sachant comment cela va se terminer. Cette interprétation d’un extrait de texte écrit par Victor Hugo est l’une des premières images du chant du styrène.

C’est le groupe français Péchiney qui en 1958 a commandé et financé ce court métrage. L’usine de plastique filmé par Alain Resnais s’offre une œuvre à la gloire de leur noble matériau. Seulement, le titre semble révéler une critique, un chant mortellement envoûtant. En effet, si le chant des sirènes permet d’attirer puis de faire échouer les marins contre les rochers, le plastique en a tout autant le pouvoir. Sur un fond de propagande, le plastique est esthétisé comme un être vivant qui s’élève et pousse partout. Cette interprétation métamorphique du plastique peut être extrapolée. Dans ce contexte catastrophe nous pourrions très bien imaginer ce dernier scénario dans un projet de design événement, légitime pour faire choc. A la frontière avec le design fiction, ce projet jalonné d’exagérations rendrait compte d’un avenir plastique dystopique. Une matière qui aurait bel est bien, au sens propre, envahit la planète. Puiser dans les informations précédentes et concrètes du mémoire nous permet d’envisager un futur possible. Afin de dénoncer la négativité de son utilisation actuelle. C’est une prospective imaginée et appuyée sur une rétrospective des modes de vie passés et présents.

Pratique plastique, recherche de forme pour une collection de luminaire nommé fossile, 2022, avec Elouan Tran Ba Tho, Chloé Tran-duc et Quentin Wattebled.

Les avancées de la santé et du médical pourraient permettre d’implanter au sein même des êtres vivants de nombreuses matières synthétiques. Et puisqu’au début du XXIe siècle nous faisions déjà des valves cardiaques artificielles en polyester (plastique), cette substance s’est retrouvée de plus en plus dans le corps des humains. Si fière de sa création, il a fini par devenir en quelque sorte un être plastique. Cela étant accéléré par les aliments emplis de microplastique et ingérés par l’humanité toute entière. L’hybridation homme-plastique est une prospective envisageable et cohérente d’un point de vue sanitaire. Le plastique pourrait également muter avec l’aide des microbes trouvés par le biologiste Muhammad Reza Cordova. A force de nourrir ses derniers de polymères, il se serait transformé comme une dégénérescence ou une évolution en un être semi artificiel. L’idée que l’on devient ce que l’on mange prend sens, c’est alors que l’artificiel deviendrait en quelque sorte naturel.

Ces deux exagérations permettent de faire le lien ou tout du moins d’amorcer les problèmes d’ordre sanitaire qu’engendre déjà à l’heure actuelle le plastique.

De même que les conflits pourraient s’accentuer entre les pays dans lesquels sont déversés les déchets plastiques entre autres. Une guerre pourrait éclater entre les deux hémisphères et provoquer des oppositions irréversibles. Ainsi nous pourrions assister à un exode conséquent des êtres humains. Pour aller où ? Le plastique sera accumulé sur toutes les surfaces terrestres. Rendant difficile les déplacements, les premières sources d’amas plastique étaient le 7ème continent et les énormes décharges à ciel ouvert.

Ce fait fictionnel, appuie sur l’énorme impact de ces déchets et donc du plastique sur l’économie, la vie et l’environnement de notre monde. Si il y a conflits, jusqu’à l’exode et dû à une seule matière, c’est bien qu’elle a pris une part trop importante dans notre quotidien. De plus, la planète étant un espace fini contrairement à la production et à la durée de vie du plastique, rendre compte de sa quantité est un moyen de nous en faire prendre conscience. Car si les chiffres sont alarmants, et qu’à l’heure actuelle nous voyons quelques plastiques s’accrocher aux arbres, imaginer un monde dans lequel il sera difficile de nous déplacer à cause de la place qu’occupe physiquement le plastique, nous pousse à nous interroger.

Ce scénario tient peut-être de la fantasmagorie mais il pourrait, par le biais d’une dystopie, dénoncer l’action des hommes sur le plastique, ou plutôt son inaction. L’espoir de jours meilleurs, serait une dernière partie du projet et un parallèle à ce qui est préférable pour l’avenir de nous même et de ce matériau. Un dénouement heureux est donc envisagé dans l’événement pour donner à voir des perspectives positives. Les réponses aux problèmes soulevés dans la première partie de ce mémoire et décrites dans la deuxième, pourront être exposés ainsi que les acteurs de ses solutions. Le visiteur pourra prendre part au changement en s’informant ou se dirigeant vers des structures locales qui résolvent l’épineux problème du plastique.

Pratique plastique, expérimentation de la matière, 2022, stage chez Precious Plastique Provence, avec Elouan Tran Ba Tho, Chloé Tran-duc et Quentin Wattebled.

Nous avons pu le constater tout au long de ce mémoire, le plastique est ancré dans le temps et dans les esprits. Si ses débuts suscitent l’enthousiasme, il n’a pas fallu longtemps pour découvrir les contreparties de ce matériau innovant. Et puisqu’il est si pratique et peu coûteux, nous avons du mal à nous en débarrasser. En effet les points de vue divergent et ce qui sert les intérêts des uns, dessert l’intérêt de tous. Les lobbies qui défendent les industries du plastique affrontent ceux qui défendent l’environnement. Grâce à ces oppositions, des solutions émergent. Recycler permet d’atténuer le problème, mais ce n’est pas une solution suffisante à long terme si nous considérons produire toujours plus de plastique. De même, substituer un produit plastique jetable par un autre produit à usage unique dont la composition serait différente (bioplastiques), ne signifie pas nécessairement un impact environnemental réduit. Il peut même entraîner l’effet inverse et causer d’autres problèmes d’ordre écologiques. Pour endiguer la production croissante du plastique, il faut avant tout cesser de le consommer. Notre surconsommation est souvent liée aux types de pollutions, et si nous attaquons majoritairement les emballages plastiques c’est qu’ils sont principalement à usage unique. Afin de conduire à une prise de conscience puis de décision, les domaines scientifiques mais aussi artistiques mettent en œuvre des prospections plus ou moins alarmistes. De telle manière, imaginant le monde de demain, nous sommes plus aptes à décrire ce que nous voulons qu’il advienne ou non. Ainsi le projet de design fiction que nous proposons, entre dans ce cadre prospectif et dénonciateur d’un monde non souhaitable.

Pré(sur)face

Demain, c’est aujourd’hui. Nous avons dû quitter cette terre qui était autrefois la nôtre. Nos ancêtres vivaient dans un monde dans lequel la production de plastique n’a fait que croître, et où cette matière les a bel et bien envahi. Il y a eu de graves problèmes écologiques et sanitaires, rendant la vie sur terre impossible au fil des siècles. Il paraît que les modes de vie, de consommation et de production seraient la cause de cette désertification humaine. Le plastique comme grande invention mais aussi grande désillusion, a eu raison de la folie des hommes. Il a fini par prendre trop de place et a engendré bon nombre de maladies mais aussi de conflits. Des archéologues ont trouvé une substance qu’ils ont nommée ectoplastique. Nous sommes dans l’après « ère du plastique ». Quel est donc cet artefact venu du futur présent ?

Sources et références

Livres :

Thommeret, R. 2014, Plastiques & Design, page 1 - 92. Paris: Eyrolles

Messika, L. et Couette, P. 2004, Plastic no plastic. Paris: L’Archipel

Guidot, R. 2006, Industrial Design Techniques and Materials, page. 214 - 263. Paris: Flammarion.

Documents :

Résumé du bilan de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’environnement, 2020

Atlas du Plastique - Heinrich Böll stiftung, bureau Paris, 2020

Global Plastics Outlook : Policy Scenarios to 2060, OECD iLibrary, 2020

Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relative à la réduction de l’incidence sur l’environnement de certains produits en plastique, COM/2018, Lex - 52018PC0340 - en - EUR-lex

Dossier de presse :

Opening of the vitra exhibition «plastic: Remaking our world», 2022, Professur

Nachhaltiges Bauen

Journaux :

Science, 2015, Evaluating scénarios toward zero plastic pollution, Vol 347 , Numéro 6223, pages 768 - 771

Science, 2021, The plastic eaters, Vol 373, Numéro 6550, pages 36-39

Sites internet :

Thiberge, C. 2017, Depuis 1950, l’homme a fabriqué 8,3 milliards de tonnes de plastiques, Le Monde

AFP, L.M, 2022, Un enjeu pour l’afrique : Ne Pas devenir « la poubelle du Monde

« Des déchets plastiques, Le Monde

Documentaires/ Films :

Le Chant du Styrène, 1958, Alain Resnais

L’ina éclaire l’actu, INA, les années 80, ina.fr

L’île aux fleurs, 1989, Jorge Furtado

Waste Land, 2010, Lucy Walker

Cash investigation, (2018), Plastique : la grande intox

Musiques :

Le plastique c’est fantastique, Elmer Food Beat, 1990

Le plastique c’est dramatique, Elmer Food Beat, 2019

Mémoire de Diplôme supérieur d’arts appliqués, spécialité design mention espace - événement Promotion 2021-2023

ECTOPLASTIQUE - Par l’histoire des usages et en tenant compte de ses changements de valeurs, quel sera l’avenir du plastique ?

Maïwenn Humbert Chevalier Février 2023

Remerciements

Merci aux membres du jury pour leur attention et leur lecture. Merci à mes professeurs de l’esdm de marseille pour leur soutien au cours de ces deux années de master. Un merci particulier à monsieur Muller qui a toujours montré beaucoup d’enthousiasme et d’intérêt dans mes projets. Je remercie également mes camarades de classe (les produits, les graphistes et les espaces) et surtout mon amie Chloris Jourden qui me pousse sans cesse à faire de mon mieux. Un grand merci à mes anciennes camarades de licence, Firdaws, Sara et Eva qui sont devenues bien plus que des amies. Un merci chaleureux à Miki pour son soutien, son expertise, sa motivation et pour m’avoir nourri quand je n’en avais pas le temps. Je remercie enfin ma famille pour leur relecture mais aussi pour avoir attendu de mes nouvelles pendant de longues semaines.

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