Philippe Mayer Marc Sauvageau
SACRE´ GOBE MOUCHE •
Depuis le début des temps, à l’aube de l’éternité, le grand Yavé cherchait par tous les moyens à me prouver sa supériorité. Rien encore ne nous départageait.
C
ette fois-ci, pour parvenir à ses fins, Dieu avait choisi les échecs; jeu de concentration et de rationalité. Quelle arrogance de sa part… Les échecs ! M’affronter moi, Lucifer, dominateur des légions sataniques… Espérer me déclasser dans l’une de mes spécialités, les échecs! Avec les tours du chaos et de l’absurdité, les cavaliers de la vengeance et de la rébellion, les fous invincibles, les pions entêtés dans mon équipe… Ses chances de succès étaient à peu près nulles. Enfin, il subirait le châtiment d’une profonde humiliation. Sans hésitation, tout sourire, je vins siéger sur mon trône, prêt à affronter mon congénère dans ce duel d’intellectualité. La partie s’entama sur une note positive. Un pion en avant plan, un fou éliminé dans son camp. Mon cerveau bouillonnait, les stratégies proliféraient. Je préparais un coup de maître, un petit tour de passe-passe où le Tout Puissant n’y verrait que du feu, quand soudain…
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Mon siège de chair morte s’affaissa. Impossible de poursuivre la joute dans de pareilles conditions. Un joueur d’échec sans trône - chevalier sans monture, prêtre sans autel - ne survit pas indéfiniment aux attaques répétitives d’un solide opposant. Il faut un minimum de quiétude pour se maintenir concentré. Un siège confortable est donc une nécessité. Je devais convaincre le Créateur de stopper la partie, le persuader que me laisser détruire une nouvelle vie humaine - m’approprier un corps pour l’employer comme trône - constituait une exigence à la continuation du duel. Son regard inquisiteur m’indiqua qu’il ne se laisserait pas séduire aussi facilement qu’une fleur. Je dus user d’adresse, maîtriser l’art de la rhétorique, m’enfoncer dans des explications saugrenues afin de justifier mon point de vue. Je me félicite d’être armé d’un pouvoir de persuasion aussi flamboyant. Mille fois bravo ! J’imagine encore la scène… Passant par toute la gamme des émotions - de la simple interrogation à la supplication - jouant la comédie, implorant mon Père, le priant de bien vouloir approuver ma proposition. Il accepta. Dieu merci ! Qui gagnerait l’immense privilège d’incarner ce rôle majeur ? Je passai au salon où repose la machine aléatoire de la « déshumanisation », anxieux de connaître l’identité de ma victime. Il ne me restait plus qu’à actionner la roue. Je la tournai de toutes mes forces…
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Voici le nom deJetonte prochain trône. laisse du temps pour l’apprivoiser…
S’il te plaît, cette fois, un peu d’indulgence. Ne le fais pas souffrir inutilement !
Hi ! Hi ! Hi !
La main de Dieu stoppa la roue d’un coup sec. Reno Bodie, come on down ! Je bouillonnais d’exaltation. Je connaissais l’identité de ma proie, de mon joujou. Il ne me restait plus qu’à le rencontrer, apprendre à le connaître… Pour mieux le faire mourir ! Après une courte période de réflexion, je sus que je dédierais l’épilogue de cet homme pathétique à la création. Je saluai cordialement mon hôte, le remerciai pour son infinie bonté, lui promis de respecter sa requête, « prendre soin de la victime », puis quittai le jardin du Paradis. Je reviendrais achever la joute d’échecs dans les plus brefs délais… Très bientôt, aussitôt ma tâche complétée ; cette offense à la vie qui portait maintenant un nom, Reno Bodie.
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J’écrirai un scénario, un film délirant… La mort tragique d’un nobody !
Des anges inouïs me louangèrent, me chantèrent de mélodieux cantiques - hommage à ma dignité et ma magnificence - jusqu’à ce que j’atteignisse la rive. Certaines âmes aussi soupiraient, mi jalouses, mi contemplatives. Ma pirogue glissait allègrement sur les eaux du fleuve du Styx et se dirigeait vers mon royaume. Mon palais incendié gonflait à mesure que je m’en approchais. L’inspiration m’envahissait; une ribambelle d’images se formait et se déformait dans ma tête. Ma pensée jouait de l’accordéon. L’histoire s’entamera au point zéro, à minuit le Jour de l’An. Je m’imposerai dans sa vie, le posséderai et lui infligerai les pires châtiments. Mon plan est clair : quelques coups bien orchestrés, de la souffrance à profusion. On assistera à une montée de désespoir, une fin atroce… Un chapelet de supplices ! Le misérable me priera de le zigouiller en me baisant le dessous des pieds.
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Je vous remercie, fidèles légionnaires, esclaves inconscients de mon brûlant univers. Je tâcherai une fois de plus de me surpasser… Pour vous épater, pour vous démontrer ma très grande supériorité. Je vous remercie comme je remercie Dieu de m’avoir accordé le privilège de régner sur vous !
Merci ! Merci ! Je vous aime tous !
Rouge, exalté, incandescent, je présentai le projet, « mon bébé », aux légionnaires des ténèbres. Leur réaction fut unanime. Un «oui » catégorique qui ne laissait aucun doute. Ils m’encourageaient à exécuter mon plan et à écouter ma puissante intuition au pied de la lettre. Seules quelques langues fourchues m’apostrophèrent, posèrent des points d’interrogation. Je les chassai vite fait de mon trajet; ni vues ni connues. Tous les autres m’acclamèrent longuement. Ovation de boue et de flammes ! Je jouerai avec la vie d’un humain, le possèderai, le manipulerai avec soin – marionnette de soie – l’attirerai lentement, dou-ce-ment, le propulserai dans le vide. Il se dirigera – somnambule funèbre – vers une mort certaine. Je couperai le fil de fer au dernier instant, il tombera tête première dans le gouffre qui le mènera droit en enfer. Je le capturerai, le prendrai dans mes bras juste avant que le vent ne souffle les cendres de sa dépouille et qu’il se disperse - parcelles de son corps fragmenté - aux quatre coins du monde… »
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Mesdames, Messieurs, directement des entrailles de l’enfer, voici pour vous, en exclusivité, le medley freak show, le clou de la soirée.
Une gargantuesque fête suivit. On rit, on but, on chanta… Tous les invités, sans exception, levèrent leur verre à ma santé et se prosternèrent devant ma rayonnante immortalité. Une odeur de fièvre se répandait à des kilomètres à la ronde. La démence jaillissait de toute part. Je ne connaissais pas le déroulement exact de l’histoire ; ni la cascade d’événements qui la forgeraient, ni ce qui marquerait officiellement son dénouement. Je visualisais par contre la portée infinie du chef-d’œuvre… Un accomplissement monumental, du jamais vu sur les écrans du monde infernal !
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LE CLOU DE LA SOIRÉE
Un p’tit clou clou clou, un p’tit clou Un p’tit coup coup coup, un p’tit coup Un p’tit trou trou trou, un p’tit trou c’est tout Un p’tit trou trou trou à l’aide d’un clou ! Hey !
Savez-vous planter des clous, à la mode à la mode Savez-vous planter des clous, à la mode de chez nous !
Au clair de la lune, mon ami le fou Prête-moi un clou-hou pour qu’j’me perce un trou Ma cervelle est bousillée, je n’ai plus de sang J’pense que j’vais crever-hé ! Pour l’amour d’Satan !
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Je montai,
montai,
montai, gravis marche après marche l’escalier de la déchéance…
qui menait à…
ma loge personnelle.
Je devais peaufiner mon idée, fignoler les détails cruciaux, étudier le caractère de mon personnage, comprendre sa psychologie... Bref, trouver une façon inusitée de le posséder. Je profitai de ce moment d’extase généralisée pour m’absenter, disparaître en douceur, m’isoler sans qu’on ne constate mon absence. L’élaboration d’une œuvre d’art exige du temps et de la réflexion. Tout doit être prévu, calculé et organisé. Ne rien laisser au gré du hasard… Un élément déclencheur, un déroulement structuré, une prise de contrôle de plus en plus grande, une fin violente, dramatique. Une vraie tragédie ! Pauvre Reno Bodie.
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Quelques jours plus tard, dans l’auditorium d’Hadès.
Je descendis l’écran géant…
La projection en direct de l’épopée de Reno Bodie s’amorça.
QUE C’EST JOYEUX LE TEMPS DES FÊTES…
Dans le sous-sol d’un appartement délabré, trois jeunes désinvoltes, enivrés, célèbrent la venue de la nouvelle année.
Un quatrième fêtard, Reno Bodie, se pointe avec du renfort, une douze de grosses frettes, un quarante onces de Ricard…
Ne pénétrant pas l’avenir, il ne soupçonne rien. Voici le préambule du cauchemar.
La cave des exclus L’air est infect, trop peu de molécules d’oxygène, que les vapeurs d’une drogue indigeste. Quelques désirs minables, fuir la réalité, trouver la recette magique de l’absence, un moyen d’échapper à la nullité… Et oublier de changer le calendrier. Une question simple me vient à l’esprit… Pourquoi fêtons-nous le passage d’aujourd’hui à demain, anyway ? Pourquoi pas après-demain et son lendemain ? Serons-nous réellement transformés, demain, avant que le soleil se pointe à l’horizon ? Bof, n’importe quelle raison justifie la consommation à un camé. Alors santé !
Un autre Jour de l’An bousillé. « Nothing changes on new year’s day ! » Nous inaugurons la nouvelle ère glaciale; le frimas s’agrippe à ma barbichette, l’humidité me gruge les os, l’eau du robinet sort en patinoire, même le mercure du thermomètre gèle… Que faisonsnous dans cette cave d’exclus ?
Dix - Minuit approche, pas une seule demoiselle n’est proche… Que nous sommes moches ! Neuf – Le nouvel an s’en vient, demain je me prendrai en main. Seulement demain. Huit – Ah ! Tant pis pour les résolutions, je suis trop soûl pour y porter attention ! Sept – Où se cachent-elles, apparaîtront-elles à temps pour les baisers formels ? Six – J’angoisse, claque des dents, je suis né au mauvais endroit, au mauvais moment ! Cinq – Retour en arrière, le temps qui se consume me laisse un goût amer. Le goût corsé d’une mauvaise bière. Quatre – Que me réserve l’avenir ? De bons souvenirs ? J’appréhende mon devenir. Trois – J’ai soif, ma cervoise s’est évaporée ! À qui l’honneur de me la renflouer ? J’ai soif, un baril sans fond ne parviendrait pas à me désaltérer. Deux – Qu’une faible poussée, qu’une faible poussée… Un rien me fera chavirer. Mon univers est un champ de bataille déserté. Un – Last call , dernier service ! Pause. Flash caméra. Le temps d’un refill… Bon ! Un solide Gin Spritz Up, un de plus et je galope. Est-ce que j’ai le temps de m’allumer une clope ? Zéro – Bingo ! Tosto ! Bonne année !
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« Prends donc un peu de vin, »
proposa le Lièvre de Mars d’un ton encourageant.
La gorgée fatidique « Je n’en ai pas ! Ici, on ne boit que du Ricard, du gros gin, de la bière… Rien de bien bien divin. »
« Alors prends une gorgée de ton n’importe quoi !», « Prends une bonne lampée, allez ! Sens-toi à l’aise ! Il faut célébrer la venue de la nouvelle année. »
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Le fluide empoisonné glisse le long du palais, envahit l’œsophage.
Possession subtile.
La gorgée fatidique Le goût âcre de la bière me monte au nez. Je suffoque. Une gorgée de trop. Mes muscles abdominaux travaillent temps double et demi. Je suis bourré, saturé. Une forme de vie s’anime en moi… Un ver solitaire chatouille ma bedaine. Mon estomac gargouille. Ma tête se tord, mes yeux vacillent. J’ai la nausée. L’impression étrange de jouer le rôle d’une victime dans le film Aliens me vient à l’esprit. Est-ce qu’une forme de vie anonyme aurait élu son logis à l’intérieur de mon corps ? I’m not here ! Un violent haut le cœur surgit de nulle part et me matraque. J’inspire à fond, retiens mon souffle. La vie intracorporelle s’impose, prend de l’expansion. Elle circule dans mes veines, combat mes globules rouges. Le sang bouillonne, la pression artérielle quintuple. Un hoquet profond me surprend. Où se trouve la salle de bain ? Un second hoquet accompagné d’une montée de bière gastrique me souligne qu’il y a urgence. Où se trouve la salle de bain ? Vite ! 9-1-1 ! Ma bouche est pleine de jolis « crastillons ». Je ne me contiendrai pas indéfiniment. Mes joues sont gonflées. Mon estomac, troublé.
J’aimerais crier, mais je dois conserver mes mâchoires serrées. Je râle en écoutant mon ventre gémir. Pincement. La douleur est atroce. J’échappe ma bouteille d’alcool sur le sol… Elle se fracasse lourdement. Tous les yeux se rivent sur moi. Je m’affaisse et, à l’image de la bouteille d’alcool, explose en mille morceaux. Mes os sont de verre. Impossible de me retenir davantage. Les muscles de ma bouche doivent se relâcher. Elle s’ouvre sèchement, avec une violence surprenante. APOCALYPSE ! Mon corps se vide, puis se revide, puis se rerevide… À l’infini. Mon intérieur est un gouffre.
Je suis faible. Il ne me reste que quelques secondes de conscience pour m’exprimer. Quoi dire ? Je ne supporte pas le ridicule que je désire extérioriser. Je dirai n’importe quoi. Une phrase pointée, un petit quelque chose pour rassurer les copains ; cacher la vérité, prétendre que tout va bien. Je gueule très fort. On dirait un ouaouaron. Je mâchouille un top shape sans portée. J’embrasse le sol. Mes lèvres restent collées. Mon oreille droite écoute les planches du parquet. J’entends le battement de son cœur. Mes paupières pèsent le poids de la situation. Le son hypnotique du plancher me berce. Le sommeil me vainc. Voilà qui marque la fin des festivités.
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L’âme de Charles Manson venait encore me perturber.
Et tâche d’être expéditif enfant haï ! Je n’aime pas gaspiller mon temps précieux pour des futilités.
Retourne sur terre, continue de purger ta peine dans le cachot d’un pénitencier. On parlera plus sérieusement le jour de ta mort, si je t’accepte dans mon royaume évidemment…
Pour l’instant, je te dirai poliment :
Fous le camp !
Quel plaisir ! Regarder le pauvre Reno Bodie vomir m’exaltait. Je sentais l’approche d’un orgasme quand un homme vêtu de noir se pointa dans ma loge. Il entra sans cogner. Petit effronté ! J’arrêtai momentanément le film puis fis volte face pour affronter ce… ce minable perturbateur, ce… ce briseur de rêve. Je le reconnus à son signe Nazi dessiné sur le front… Je lui demandai sèchement ce qu’il désirait. Il me présenta un bébé qu’il m’offrait en échange d’un brin d’éternité. Je lui répliquai, contrarié, que j’avais mieux à faire que de m’occuper du cas d’un misérable, médiocre petit tueur en série non décédé. Enfin débarrassé de cet importun visiteur, je retournai à mon chef-d’œuvre adoré. La présentation se poursuivit.
L’interlude Je ne suis ni d’ici, ni d’ailleurs… D’ailleurs je ne sais trop d’où je viens. J’erre depuis toujours dans le vaste monde de la folie. La vie m’angoisse, le futur m’empêche d’avancer. J’imagine les autres en action. Je reste inerte et ébahi devant la splendeur des êtres forts. Il m’arrive même de croire que je suis un simple d’esprit, un déficient né avec un certain jugement. Je ne maîtrise rien, ne possède rien. Même mon âme ne m’appartient pas. Pourtant, j’entends clairement une voix intérieure crier que la conscience est un lourd poids à supporter. Je tremble d’effroi. Bientôt, je m’éveillerai. Je ne veux pas voir le jour. L’absence est mon âme sœur. Le soleil me brûlera vif, la lumière me transpercera le cœur. Je dois évoluer dans la noirceur. Je suis le fils des ténèbres. Je ne veux rien voir, surtout pas m’apercevoir que je vagabonde dans un champ... Loin de la réalité.
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prendre le temps de respirer. Je souffre ! Est-ce que je souffre vraiment ?
Bah !
Je veux disparaître, à tout jamais, m’effacer,
J’enfle un problème microscopique.
stopper l’évolution ou vivre une retraite fermée,
Une courte pause ne se refuse pas. Surtout quand la proposition vient de soi même.
Un moment de répit devrait provoquer un engouement grandissant. Je profitai de cette interruption improvisée pour me remplir la panse… Créer ouvre l’appétit.
Mon œil est une lentille grossissante.
Je suis né dans la ouate, je mourrai dans les cendres.
Suite 66 de l’interlude
Conscience ! Éloigne-toi ! Rejoins mon discernement. Ensemble, attendez-moi à la fin des temps. Je veux évoluer dans la cécité, ne pas voir jaillir ce malaise qui ne cesse de grandir. Conscience ! Éloignetoi ! Ne regarde pas derrière. Éloigne-toi au plus vite ! Laisse mourir cette carcasse où loge l’insanité.
Quelque chose de poignant doit s’extérioriser. Une abstraction fragmentée, un souvenir, un chœur de voix angéliques. Je suis une fontaine d’émotions. Je perçois un visage, de longs cheveux noirs, une injection. L’image se brouille. J’aurais dû me contenter d’une éternité de bonheur en conserve, cet instant d’instabilité me tue beaucoup trop. Je subis les conséquences de mes inconséquences. Je subis les choix que la vie m’impose. On me dicte qui je suis, quand je dois me déplacer et où j’irai. Nulle part ! À force de pivoter sur moi-même, j’y arriverai. Je stagne. Une pellicule de saleté recouvre mon corps. Je suis enduit de poussière. Laissez-moi me baigner dans une source d’eau purificatrice; j’exorciserai le mal. Dénichez-moi un lit. Je me reposerai… À tout jamais. Une larme solitaire ruisselle sur ma joue. J’aimerais pleurer. Je suis une fontaine d’émotions. Un jour viendra où je m’inonderai de larmes. Il m’attriste de savoir que tout n’est qu’en attendant. La vie n’a un sens que si on décide de lui en donner un.
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Début de la session d’hiver
Le monde est en mutation…
F FF !
Souffre-t-il du syndrome de la déraison?
Affecté d’une douleur intestinale,
Reno Bodie va chercher son horaire scolaire.
Entendre les cris de jubilation de la foule me procura une énergie nouvelle. Je doublerai d’ardeur, amplifierai la perspective machiavélique de l’histoire pour m’assurer l’accomplissement d’un chef-d’œuvre inégalable.
Cité de l’univers
À peine le premier pas posé dans la cité de l’univers que déjà les congés se perdent dans la dense brume du passé. Souvenirs lointains, égarés, incohérents ! Certaines secondes forment un mur dans l’histoire du temps. Je dois blâmer quelqu’un, trouver le responsable de cette absurdité. Mais qui ? L’alcool ? La mémoire ? Le temps ? La perception ? Impossible de dénicher un coupable. Je généralise : j’accuse la vie !
Il fait atrocement froid. L’humidité transperce les pores de ma peau. Mon sang gèle. Oui, j’ai raison d’accuser la vie… Mon entourage n’a jamais été aussi bizarre, déformé. Je ne rêve plus comme avant. Même éveillé, la réalité me semble biaisée. Je me sens frêle, sensible, les émotions à fleur de peau. La paranoïa me paralyse. Trop de temps libre, trop de temps pour me tourmenter. J’ouvre la porte, m’infiltre silencieusement dans les entrailles de la bâtisse centenaire. Un courant de chaleur me frappe en plein visage. Ma peau s’assèche. De trop froid à trop chaud. N’y a-t-il pas de juste milieu ? Je crache sur ce monde immonde ! Mais que s’est-il passé durant les vacances de Noël ? Je ne reconnais plus le royaume des étudiants. La cité de l’univers est un dépotoir d’étrangetés. Le monde est transformé, de banalité ordinaire à exagérément éclaté. Je glande pour tuer le temps. Il reste vingt minutes avant mon rendez-vous avec le responsable du module.
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LA CHARITÉ S’IL VOUS PLAÎT !
Un cri aigu, violent déchire l’atmosphère.
HI ! HI ! HI ! ILS NE VEULENT PLUS DE TOI ! TU M’ENTENDS ! ALORS DÉGUERPIS !
VOYONS, MON ENFANT. IL NE FAUT PAS TOUJOURS CROIRE EN LA PAROLE D’UNE BÊTE DÉCORATION. SON RÔLE N’EST PAS DE S’EXPRIMER MAIS D’ATTIRER L’ATTENTION.
Première période
L’odeur de bois pourri me répugne. Un fou dodu, déguisé en guignol aveugle, mendie. Le son strident de sa clochette m’agresse. Je raffolerais de lui crier des injures mais je décide plutôt de ruminer en silence. Lorsqu’on sent qu’une seule syllabe extériorisée nous fera exploser, il vaut mieux se la fermer. Je suis vraisemblablement détraqué. Si le poète tapi au fond de mon esprit était au moins susceptible de modifier les saisons… Mais non ! Il faut «se geler les couilles » cinq mois par année. Pourquoi ? Pour rien ! Tout simplement parce qu’on est né ici et non ailleurs. Le lieu de la naissance détermine l’essence et le caractère du malheur.
« Reno Bodie ! » On m’appelle. Que me veulent-ils encore ? Un point d’interrogation ailé voltige au-dessus de ma tête. Ah oui ! Mon horaire… Je suis venu chercher mon horaire. La voix qui beugle est sans doute celle de mon agent d’inscription.
Pour une raison absurde, j’hésite à avancer. J’hallucine… Deux voix internes se chicanent. Qui dit vrai ? L’une m’assure que tout sera parfait, pendant que l’autre prétend qu’on ne voudra plus de mes braies. Je chasse le négatif du revers de la main. Je ne suis pas devin, mais j’assume que tout ira bien. J’entre donc dans le bureau de l’agent d’inscription la tête haute, la pensée saturée de bonnes présomptions. Je le vois m’annoncer que je suis le récipiendaire de l’horaire rêvé…
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Bureau de l’agent d’inscription. 9h45
La différence est la source première de la paranoïa. 9h47
Insert a coin to continue the game ! 9h49
Dernière période
Où suis-je ? On dirait un petit enfer. Une fête d’Halloween avec quelques mois de retard. Le responsable du module porte un le symbole de la croix gammée. Cibole ! Il a une sacrée mauvaise haleine. Un groupe de disciples singuliers – des âmes faibles, sans défense – l’accompagne. Pitoyable popularité. Le bureau est délabré, les murs craquelés. Une odeur de morgue me monte au nez. Il me regarde, sourit fièrement, brandit haut dans les airs une feuille qu’il place en avant plan. Photo! J’y lis en grosses lettres que je suis refusé. Le ministère de la désorientation a décidé qu’il n’y avait plus de place pour moi dans cet établissement.
Où se trouve la caméra cachée ? O.k. ! La blague a assez duré. Je hoche la tête à plusieurs reprises, pince la peau de mon avant bras gauche à l’aide du pouce et de l’index de ma main droite. Ce cauchemar doit cesser ! Il ne s’arrête pas. Le petit Nazi siège toujours devant moi, tenant l’enfer sur papier du bout de ses longs doigts. Je suis refusé ! On ne veut plus de moi ! On m’expulse, sans raison, par pur plaisir perfide de me voir sombrer. Je défie l’agent du regard. Je dois lui prouver que je suis le plus fort. Une boule d’angoisse obstrue ma voie respiratoire. J’aimerais gueuler, exprimer mon désarroi, ma haine, ma résignation. Je m’égosille. Arrrr ! La terre tourne trop vite. Les plaques tectoniques s’entrechoquent. Je tourne sur moi-même ; une vraie toupie. Le vent me donne un solide crochet. Incapable de m’y accrocher. Me voilà, à la suite de quelques vrilles bien exécutées, K.O., le nez écrasé sur le plancher. J’ai tout donné. Je ne possède pas les qualificatifs, assez de combativité et d’endurance pour continuer. Exclu, perdu, une fois de plus… Incapable de changer le cours des choses.
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Eli,
lam Eli,
ma saba
cthani
La furie atteignait un sommet que je n’escomptais point embrasser. Les fils de l’enfer m’offraient une merveilleuse ovation. Encore ! Je calmai l’enthousiasme grandissant, cachant mal les sentiments de supériorité et de joie qui me picotaient l’esprit. Quelle ambiance délirante !
Lettre à Dieu Mon dieu mon dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Moi ! Ton fidèle serviteur... Celui qui croyait en toi, qui dédiait toutes ses prières à ta majestueuse infinité. Pourquoi as-tu refusé de m’écouter ? Ne prétend surtout pas que le son de ma voix ne portait pas jusqu’à toi. Je gueulais, je gueulais – surdose de décibels – mille fois la puissance de ma foi. Tu as préféré jouer à la sourde oreille. Un dieu maître dans l’art de l’hypocrisie. Un dieu sans conscience. Un dieu sans conseil. Je ne croirai plus en la parole d’un être, suprême ou pas, irrespectueux à l’égard de la vie humaine. Ce n’est pas toi, mais la vie qui me mène ! Ta puissance s’évapore. Le nombre de tes disciples rétrécit.
Combien de fois t’ai-je louangé ? Combien de fois ? Quelle compensation m’as-tu offerte en échange… Rien ! Pas même un soupçon de bonheur. Étrange, suspect… Bien ? Je ne vois que deux possibilités ; tu n’existes pas ou abrites l’âme d’un imposteur. Père du diable ! Source des espoirs désuets, du malheur et de la déchirure du temps. N’es-tu pas confortablement assis sur ton trône pour écouter la voix plaintive des pêcheurs ? N’es-tu pas «un psy à l’écoute » à ta manière ? À quand viendra le jour où nous devrons payer un interurbain pour te rejoindre… Gratuit les soirs et les week-ends ?
Miséricorde à mon cœur périssable. Fait que le jour de ma mort, j’emporte un poignard au paradis pour te tuer de mes propres mains en te criant : Sois maudit, sale escobar ! Vaut mieux brûler en enfer que veiller à ton bord ! Sois maudit et meurs sans rechigner ! Il faut bien qu’il y ait une fin un jour à cette damnée éternité.
Mon dieu, mon dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Moi ! Émoi ! L’un des rares occidentaux qui croyait toujours en la vertu d’une prière. Maintenant, je comprends pourquoi tes vicaires subissent l’incrédulité des gens, pourquoi tes églises sont désertées ! On y vend l’idéologie d’une spiritualité en conserve. Leur maître est un charlatan ! Leur maître est un sale Satan !
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Entre les quatre murs d’un monde restreint,
l’heure sonne la lamentation.
Une quantité innombrable de voix murmurent des sottises, rappellent à Reno Bodie qu’il n’est pas à l’abri de la schizophrénie.
Le silence s’attaque à l’âme sensible de la pièce.
Le Rat La tête
Lâche solitaire, mes possessions sont rudimentaires. Dieu m’a abandonné. Je ne sais plus à quel saint me vouer. Un trou béant loge dans ma tête «Ô toi, le plus savant et le plus beau des anges, dieu trahi par le sort et privé de louange, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 1. » Ma vie est un bordel sans prostituées, un désordre sans passion. Je regarde dehors… Rien ! J’écoute… Un inconnu crie à tue-tête que l’ère de la démence vient de s’entamer. Je me console, je ne suis donc pas seul; la folie s’abrite dans un nombre impressionnant d’êtres humains. À la télévision, un exécutant publicitaire m’invite à goûter au délice de la science de la vie. Une entreprise contractuelle de recherche effectue diverses études portant sur des médicaments nouveaux et à peu près commercialisés. Elle m’appelle par mon nom…
«Ô prince de l’exil à qui l’on a fait du tort et qui, vaincu, toujours te redresse plus fort, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 2. » Le monde est un étrange laboratoire et nous, êtres étrangers dans un domaine particulier, ne sommes pas foutus de contrôler les paramètres qui guident notre destinée. N’importe quoi pour combler ses besoins primaires ! Quelques jours dans la peau d’un rat. Pourquoi pas ? « Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines, guérisseur familier des angoisses humaines. Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 3 ! »
1, 2 et 3. Charles Beaudelaire, « Les Litanies de Satan », Les Fleurs du Mal, 1861.
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J’attends ma mort avec impatience, pourtant je la crains.
Donnez-moi à boire de cet élixir d’intemporalité.
Je dois cesser d’exister ! Je dois cesser d’exister! Je dois
cesser d’exister! Je dois cesser d’exister!
Je dois cesser d’exister! Je dois cesser d’exister!
La cérémonie
Le temps, sournois ennemi de l’accomplissement, s’effrite en silence. J’erre dans un univers sans but. Des morts dansent autour de mon corps inerte, attaché à une chaise vieille comme le monde. Les bras cloués, je ne peux d’aucune façon m’échapper. Ma carapace soumise attend donc qu’on la vide de tout son sang. Je dévisage le néant d’un regard vide, absent.
Combien de temps vais-je souffrir ainsi ? J’ai peur ! La vie est infiniment longue pour celui qui languit sans fin. Ma chair tremble. Un cri intense jaillit de mes tripes et va se perdre dans le noir du ciel. Silence ! Personne n’a perçu mon malaise. Le cri est resté pris dans le fond de ma gorge. Ai-je même ouvert la bouche ? Le sentiment de désarroi m’accable. J’erre dans un univers sans but, repose à la limite du maelström ; incapable de vaincre l’inertie. Ma faiblesse me dicte la souffrance. La souffrance, horrible souffrance, m’empêche d’agir.
Un vilain sorcier, bête sauvage panachée, maître de la magie noire m’a jeté un sortilège. Je me suis éveillé en pleine nuit, en sursaut, le corps imprégné de sueur, la mort venait me chercher… Un rêve trop réaliste.
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Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour 500$?
Le Rat
Le corps et la queue Entre les quatre murs d’un monde qui n’est pas mien, je ne possède rien… Vendre son corps n’équivaudra jamais la piètre quantité d’or qu’on vous remettra pour souligner votre servitude. «Ô toi qui de la mort, ta vieille et forte amante, engendras l’espérance une folle charmante. Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 1 ! »
Deux jours enfermés, à consommer de la merde pharmaceutique, à se faire sucer le sang. « Toi qui sais en quels coins des terres envieuses le dieu jaloux cacha les pierres précieuses, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 2 ! » Trop de temps pour réfléchir à la bêtise humaine. Juste assez pour réaliser son tourment. On se détruit toujours à petit feu.
Il faut une montagne de courage pour s’enterrer vivant. «Toi dont l’œil clair connaît les profonds arsenaux où dort enseveli le peuple des métaux, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 3 ! » Le laboratoire est le royaume temporaire d’une bande de fous. Personne ne parle ; zombis au sommet de leur agonie. Une injection toutes les quatre heures, deux jours sans sommeil. Les scientifiques vous rassurent : «La drogue qu’on vous refile sera commercialisée. »
Il faut croire au génie de la science. « Toi dont la large main cache les précipices au somnambule errant au bord des édifices, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 4 ! » Pourquoi alors ne sont-ils pas leurs propres cobaye ? Bande d’hypocrites ! Je tourne la tête, impulsif. Le sang circule trop vite. Influx nerveux, ma chair fourmille. Tout ira bien – court-circuit – Quand ça? Je transpire du sang. J’ai chaud ! J’ai froid ! Je ne sais plus si je crève ou si je gèle. Des voix paranoïdes retentissent en moi, de partout. Je répète sans arrêt un mot précis, clairement articulé : Satan ! Je me débats, crache sur l’argent qu’on me refilera avec un large sourire. Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour les géants de la finance. « Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os de l’ivrogne attardé foulé par les chevaux, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 5 ! »
1, 2, 3, 4 et 5. Charles Beaudelaire, « Les Litanies de Satan », Les Fleurs du Mal, 1861.
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Le corps et la queue Les yeux du préposé dissimulé derrière le comptoir cachent mal le remords. Il sait trop bien qu’il participe à notre mort. Chaque dose est calculée… Juste assez pour nous accorder la subsistance, le temps du test. Je ne souhaite pas finir mes jours dans le contenant de formol d’un centre de recherche avare. Non! «Toi qui, pour consoler l’homme frêle qui souffre, nous appris à mêler le salpêtre et le soufre, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 6 ! »
Impossible de ficher le camp. Le contrat est signé. Si je survis, je jure au ciel de me prendre en main ! Le regret s’impose. Je n’aurais pas dû ! Pourquoi ? Quel nom porte cette drogue qu’on m’injecte ? Non ! Cinq cents dollars ! Si peu… Un loyer, le chauffage, l’épicerie pour une semaine, un mois de survivance. Non ! Pourquoi? Cinq cents dollars; une vie gaspillée. « Père adoptif de ceux qu’en sa noire colère, du paradis terrestre a chassés Dieu le Père, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 7 ! »
Tant de pensées en une fraction de seconde. Je suis le produit d’une génération d’enfants gâtés… Qui veulent tout, maintenant ! Je rêve au soleil. L’ambiance malsaine détruit ma sensibilité. Je suis morose. Dites-moi ce que je consomme avant de m’administrer une dose. Les pernicieux scientifiques se réunissent en conciliabule. Ils suivent avec attention l’évolution de nos cheminements en sachant très bien que le résultat ne déterminera rien. Que nous survivions ou mourions n’empêchera jamais la consommation du fruit ! Entêtement. Le gain de capital compte mille fois plus que la guérison. Il faut seulement s’assurer de bien paraître dans l’immédiat; un bon goût, peu d’effets secondaires momentanés, ni maux de ventre, ni diarrhée. Aussi simple que cela. Le produit se retrouvera sur les tablettes de toutes les bonnes pharmacies supportées par le marché. «Bâton des exilés, lampe des inventeurs, confesseur des pendus et conspirateurs, Ô Satan, prends pitié de ma longue misère 8 ! » Il suffit d’un ou deux miracles pour oublier tous ces rats qu’on a amèrement, volontairement tués. 6, 7 et 8. Charles Beaudelaire, « Les Litanies de Satan », Les Fleurs du Mal, 1861.
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L’histoire évolue… Je dois trouver un moyen pour surprendre le spectateur… de quoi le charmer davantage ! Conquérir son âme, l’assujettir. Permettre à ma splendeur de jaillir. J’orchestre donc un faux espoir, construit un puits de lumière.
J’offre à Reno Bodie, sur un plateau d’argent plaqué, un emploi digne de son incompétence.
Recherche d’emploi
J’affronte la vie, la prends d’assaut avant qu’elle ne m’assène un coup fatal. Flak ! J’accepte donc de perdre tout, mon statut social, mon identité, ma dignité. Je dois survivre, peu importe le prix à payer. Un brillant curriculum vitae se compose en moins de dix minutes ; j’écris un tas de conneries, des mensonges scénarisés, n’importe quoi pour éviter de mentionner la vérité : « Jeune homme en détresse, prêt à accepter un emploi minable pour assurer sa survie. » Je suis en contrôle de mon être. Rien ne peut plus m’empêcher d’avancer, de m'élancer - tête baissée - de défoncer la porte qui me donne accès au marché du travail. Je recherche une certaine forme de stabilité, tant pis pour mon intégrité. Je lance des « CV » un peu partout au hasard, au gré de ma volonté…
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PAUVRE TYPE DÉSEMPARÉ !
PAS UNE SECONDE À PERDRE, TRÈS CHER, JE VOUS EMBAUCHE !
POUR TRAVAILLER ICI, IL FAUT ÊTRE SOIGNÉ ! À VOUS REGARDER L’ALLURE « DÉCRONCHÉE » J’OSE CROIRE QUE CETTE LOI SAURA VOUS CONTRARIER.
DEUX CHOIX S’IMPOSENT : L’UNIFORME OU LES CHEVEUX COUPÉS !
Jamais je ne couperai un seul des cheveux qui poussent sur ma tête pour vous les donner…
Mais remettez-moi l’uniforme, je veillerai à l’honorer !
DépanEscroc L’entrevue
Le propriétaire d’un Dépan Escroc se montre le premier et le dernier intéressé. Je suis prêt à tout pour travailler. L’employeur remarque cette faiblesse. Il voit l’occasion rêvée pour abuser de son pouvoir de dirigeant. Il affiche clairement son caractère manipulateur. Son visage en dit long. Le mot avarice scintille, illumine son front. Bonjour le crosseur ! Monsieur L’Escroc me regarde d’un air songeur. Je sens qu’il hésite. Il recule d’un pas maladroit pour mieux observer sa proie. Son sourire est presque franc, enfin, je crois... Il se fait une fausse idée de moi, prend une décision rapide, impulsive. Je vois le reflet de sa frime dans le miroir de ses pupilles. Il m’insulte gratuitement, lance une flèche en plein cœur d’une zone névralgique. Mon orgueil me pousse à rouspéter. Vaut mieux se faire piétiner que de donner à un propriétaire avare le fruit de plusieurs années de patience et d’entretien. Son regard s’intensifie… Aussi peu et déjà je plie. Merde de vie ! Je ne me croyais pas capable de lécher aussi bien le derrière d’un sale cul-pitaliste.
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Subitement, je me souviens des paroles de mon Père ; « S’il te plaît, cette fois, un peu d’indulgence. Ne le fais pas souffrir inutilement ! »
Je ne veux pas désobéir aux ordres d’un dieu tout puissant. Fini les faux espoirs, je ne lui accorderai plus d’illusion de bonheur, que des souffrances brutes, palpables!
Premier quart de travail
La soirée s’entame sur une note d’amertume. Un sentiment insondable se balade en moi. Je me sens misérable et étrangement languissant. Caissier dans un Dépan Escroc… Hum ! Dans un quartier défavorisé. Au service des indigents de la société. Pitoyable ! Un noble dans un ghetto d’esclaves. L’emploi est atroce. Les secondes ressemblent à des minutes, les minutes à des années lumières. Je ne verrai jamais s’effriter la première heure complète de travail. Une lignée de clients antipathiques, s’impatientent attendent leur tour pour m’injurier, pour m’informer que le coût de la vie ne cesse d’augmenter. Vivre n’est plus abordable. Témoin de la jungle urbaine, gardien des freaks de la nuit. Un punk me dévisage, me provoque du regard. Un héroïnomane en manque, vomit ses entrailles. Une bande de laiderons armés de couteaux effilés s’enferment dans le réfrigérateur à bières. La situation est exaspérante, elle surpasse de loin mes capacités d’autorité. L’effet boule de neige provoque une avalanche. Lost control ! Le téléphone sonne… La porte s’ouvre. Le patron se paie une visite surprise. Il veut s’assurer que tout se déroule bien. La catastrophe lui saute aux yeux. Il me fusille d’une batterie d’insultes. J’aimerais me cacher au fond de ma culotte, disparaître, me désintégrer. Il y a de ces moments où l’on regrette d’exister. En voilà un !
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CONGÉDIÉ !
Dernier quart de travail
Victime une fois de plus de la fatalité de l’existence. Une nuit moche, un patron qui s’énerve, des clients hystériques. Je sens le poisson pourri. Le stress me fait moisir par en dedans. Le Dépan Escroc est en ruine ; des mégots de cigarettes partout, des bouteilles fracassées. La senteur nauséabonde du vomi obstrue mes narines. Je ferme les yeux, l’horreur se poursuit. J’entends la voix plaintive, nasillarde de Monsieur L’Escroc. Il me nargue, m’injure, me jure qu’il n’a sous ses ordres aucun employé aussi peu débrouillard. Je suis un type sans testicules... Je ne possède aucun alibi, rien pour défendre ma cause. Il cherche un moyen efficace, subtil pour me rabaisser, m’affaiblir davantage… Pour mieux m’achever. Son discours dure une éternité, une éternité qui aurait pu s’écourter, se résumer en un seul mot dit sur un ton autoritaire… «CONGÉDIÉ ! » Un message mille fois plus clair qui, par-dessus tout, m’aurait épargné les oreilles. Monsieur L’Escroc, je vous emmerde ! À présent, je suis libre, sans le sou, mais libre. Tant pis pour le job ! Tant pis pour l’argent. J’accepte ma destinée et fais semblant que la vie m’exalte. Je me moque de mon désarroi avec un sourire ardent. Un jour, il réalisera son tort. Tant mieux ! Je sais que la vie me réserve une foule de joyaux, un trésor miraculeux. Le bonheur m’attend au prochain tournant.
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FIFTY BUCKS LITTLE MAN ! WANNA SOME PLEASURE !
Tu meurs ! Il se fait tard, les rues sont désertes. Seule une prostituée à moitié dénudée, en quête d’un client potentiel – une fellation, une pénétration, n’importe quoi pour lui permettre de se réchauffer quelques instants – arpente un coin de rue avec nonchalance. En janvier, quatre heures et demie du matin, moins trente degrés, un temps particulièrement opportun pour les aubaines.
Je continue ma balade nocturne. L’image de la péripatéticienne ne me quitte pas l’esprit. Je rigole à l’idée d’utiliser ses services. Payer pour la baiser… Deux êtres minables qui baisent. Une prostituée sans preneur, un jeune sans employeur. Une prostituée sans argent, un jeune loup ardent. Une prostituée solitaire, un jeune has been universitaire. Que de points en commun. Je dois l’aborder, lui expliquer que si la vie a permis notre rencontre, c’est que nous devions… Douleur instantanée, poignante. Ma tête va éclater. Qui m’a asséné ce violent coup de massue ? Ma boîte crânienne ne protège plus la substance gélatineuse de mon cerveau. Le sang gicle. Des parcelles de ma conscience profitent du trou cyclopéen pour s’évader. Black out. Je m’effondre sur le sol, m’absente de la réalité pour un centième de seconde… Lorsque je rouvre les yeux, je suis couché sur une civière qui fonce dans un long corridor blême, retenu, supporté par une équipe d’Urgence Cinglé. On m’injecte des substances délirantes. Des machines me maintiennent en vie. Anesthésie totale. Je perçois, mais ne sens rien. Je vois, mais n’analyse pas. Des spécialistes m’entourent, on dirait des fourmis. Stressées, concentrées sur une tâche précise. On ne prend pas le temps de répondre au pourquoi du comment quand il s’agit d’une question de vie ou de mort, on s’exécute tout simplement. Je sais que la noirceur ne tardera pas à m’envahir à nouveau. À peine le temps de lever un peu la tête, voir au loin deux portes battantes, un écriteau où il y est inscrit, où il y est inscrit… Même pas le temps de le lire, les anesthésiants ont fait leur boulot.
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Enlevez cette tumeur ponto-cérebelleuse de l’angle droit.
P
te ata
SCALP HEAD ! DÉVISSE CRÂNE ! ÉPLUCHE PATATES !
u
vea
Cer
Un petit apéro mes amis, ne trouvezvous pas que charcuter ouvre l’appétit ? Une semaine plus tard.
L’opéra Scions
En visite au seuil de l’Enfer, j’ai vu Lucifer jouer dans ma tête. Il me disséquait vivant. Je l’entendais chantonner un hymne à la joie intense, s’accompagnant d’un chœur de voix maléfiques. Sa voix portait comme mille voix. Sa scie coupait comme mille scies. Satan pratiquait la coupe à blanc de ma cervelle. Le son jaillissait du creux de son ventre, sortait de sa bouche avec une telle ampleur qu’il en faisait vibrer les dalles du plancher. Je l’imaginais étalant la matière visqueuse de mon cerveau sur la table d’opération ou offrant les morceaux plus tendres à manger à ses assistants. Le masque qu’il portait ne cachait pas son sourire diabolique. Entre deux coupes sadiques, il brandissait haut dans les airs les bras, créant ainsi le tempo de la symphonie, pointant ici et là l’un ou l’autre de ses acolytes, les encourageant à hausser ou à baisser le volume de la voix. Un chef d’orchestre incontestable ! Un bien drôle de chirurgien. Une semaine passa, je m’éveillai enfin… Avec la boîte crânienne de Frankenstein. Mais que s’est-il passé ? Je m’endors avec ce que je crois être un mal de bloc, je m’éveille à l’hôpital transporté d’urgence sur une civière, je m’endors artificiellement dans l’incompréhension, je me réveille la tête rafistolée en courte pièce et les membres paralysés. J’aimerais mourir mais je ne jouis pas d’assez de force pour concrétiser cette pensée. La douleur est insupportable ; elle veille sans relâche à mon chevet. Il ne me reste qu’une chose à faire : rapatrier toute mon énergie pour crier aussi fort que possible - appuyé d’un trémolo un seul mot puissant : Morphine !
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L’être se referme sur lui-même.
Il roule comme il le peut, essayant d’oublier
... sa grandiose malédiction.
Qui veut aller loin ménage sa monture !
Le point de fuite Je me remets peu à peu de ma peine ; de morphine, je passe à codéine. Mon côté droit reste insensible. La baisse de douleur physique s’oppose diamétralement à la hausse de douleur psychique. Je souffre en silence. Je ne peux plus vivre au présent. Je tente donc de me rattacher au passé – glorieux souvenirs – scrute l’insondable avenir dans l’espoir d’y voir surgir une source lumineuse divine, une guérison miraculeuse. Impasse ! Le présent obstrue tout mon champ de vision. L’impotence, l’incontinence, l’absence de sensation sont les seules pensées que j’arrive à formuler.
Je ne veux pas terminer mes jours dans le corridor du 22e étage d’un hôpital insalubre. Je dois trouver un moyen de sauver ma peau, suivre le point de fuite jusqu’à son extrémité, découvrir ce qui suit. Je fonce, défonce, refonce… à pas de tortue. Je cours contre un scarabée. Chaque tour de roue est une lourde épreuve. Les scientifiques qualifieraient ma forme physique de déplorable. Qui veut me trouver un budget, assez d’argent pour me procurer une chaise roulante électrique ?
Le temps de broyer assez de noir pour en concevoir l’intégralité d’un ciel sans étoiles une nuit de nouvelle lune, j’atteins, enfin, le point de fuite. Il n’y a que deux issues : un escalier d’urgence ou une fenêtre avec vitres amovibles. J’opte pour l’escalier. La descente durera davantage, la douleur quintuplera, mais je survivrai. Mes membres et mon flanc droit éprouveront peut-être à nouveau une certaine sensation, celle de l’affliction.
Les yeux fermés, sans hésitation, je me lance vers le bas… Direction monde extérieur. La dégringolade s’arrête sèchement entre le 22e et le 21e étages, dans le mur du premier tournant. Je m’écrase lourdement, encore plus paralysé qu’avant.
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Un fou, tapi dans le sous-sol de son for intérieur, le supplie de vouloir le réconforter. Il voit son visage gonflé, sa langue disproportionnée, la morve coulant de son nez… Il tend un bras mais ne le rejoint pas.
Intouchable spécimen isolé dans un monde insensé.
Cloué au lit
Je tente de me lever mais une force invisible me pousse à rester couché. Terrassé, cloué au lit. On dirait un Jésus sur sa croix. La tête coincée entre deux étaux qu’on resserre lentement, très lentement, à la vitesse du supplice. Je m’enfonce dans le lit — sable mouvant de la nuit — de plus en plus creux. Les paramètres sont extérieurs, la pression s’exerce sur la partie arrière de mon cerveau. Ma tête pèse plus que mon corps en entier. Mes membres ne bougent plus. Stop ! Moment de lucidité. Je gueule, réussis de peine et de misère à me faire basculer hors du lit. Je tombe sur le côté et me cogne l’épaule sur le sol. Des fourmis se dispersent dans mon corps. Mes membres sont toujours glacés, liés. Je suis un prisonnier somnambule.
Un léger rire s’échappe de ma bouche, un rire involontaire, inconscient. Je déclare la guerre à la force invisible qui manipule mes sens. Regain d’énergie. Je réussis miraculeusement à me déplacer, tout d’abord à quatre pattes puis ensuite debout, à pas de Chinois. L’escalier menant au caveau de mes pensées se trouve à ma portée. Je descendrai. Même les chevilles liées, je descendrai.
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MONSIEUR BODIE ! NOUS CROYONS SINCÈREMENT QUE VOTRE CAS NÉCESSITE UNE AIDE PSYCHIATRIQUE
Je sentais l’approche du dénouement.
Il fallait donc que je trouve un moyen d’annoncer le début du requiem. Quoi faire ? Feuilleter une revue de Play Demons m’inspira la solution… Le supplice ultime.
Cloué au lit
Le malaise s’intensifie. Ma tête clignote, suit un rythme cardiaque défini. Le vent se lève, il souffle sur mon visage, m’empêche de progresser. Il s’accentue. Bref, sec, net. Je me retrouve, à nouveau, à l’horizontal. La voix intérieure résonne et s’accompagne d’un écho terrifiant. Je dois m’éveiller, maintenant ! Avant qu’on me pulvérise. Je ne réponds toujours pas à mes commandements. Je dois m’éveiller, maintenant ! Qui dirige en moi ? Debout ! Réveille-toi ! Rien à faire, mes paupières closes ne se décollent pas. Deux mains géantes poussent sur mes épaules. Elles m’immobilisent. J’ai peur. Je sens une bouffée d’adrénaline monter. S’en suit un combat féroce… Je défi la mort et la vaincs. Je m’assois sur mon lit, faible mais délivré… Pour un instant.
Ma tête est un tourbillon d’événements. Une cohorte de médecins m’observe, impassible, insensible à ma douleur. L’aube a atteint son apogée. Je me fous de tout… Je suis simplement heureux de toujours percevoir la réalité. Il me reste un peu de temps. Je ferme les yeux et dors d’un sommeil profond, soulagé d’avoir temporairement vaincu.
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Je fais surgir le symbole absolu de la dictature et du fantasme masculin :
Le succube.
Cette irrésistible beauté…
Qui le questionne,
Sous tous… Les angles.
L’évalue,
L’examine,
Monica, bombe sexuelle, psychologue chevronnée.
Le psy fantasme Érection
Je l’entends s’approcher. La sonorité aiguë que provoque le claquement de ses talons aiguilles sur les tuiles marbrées du plancher m’inspire une série d’images à haute teneur pornographique. Je me dessine mentalement une psychologue voluptueuse, entreprenante, qui s’occupera davantage de mes caprices que de mes soi-disant troubles psychologiques.
La scène s’entame : elle me grimpe dessus. Je sens la délectable odeur de sa chair, elle me griffe, me matraque de plusieurs baisers violents et, et… Elle apparaît dans le cadre de la porte. Je suis éberlué, ma bouche forme un «V» dégoulinant ; sa beauté dépasse de loin mes espérances les plus aphrodisiaques. Devant moi se dresse une déesse. Lèvres pulpeuses, regard intense, taille fine, poitrine proéminente, ferme. Solid Rock ! Seul son caractère m’indique – désillusion momentanée – qu’elle ne réalisera pas le fantasme que j’hallucinais avant son arrivée. Le ton de sa voix est aussi ferme que ses seins. Woaaa ! Horrible ! Plus la discussion progresse, plus elle s’insensibilise. Je ne lui plais vraisemblablement pas. Pourtant… Je l’imagine nue. La perfection esthétique. Une beauté rare. Je plane dans un univers de sensualité, de passion et d’amour. Je rêve éveillé. Nous baisons. Deux bêtes sauvages en rut… Je porte le regard vers mes jambes, il s’arrête sur mon entrejambe. Un pénis en érection sort de mon caleçon. Je – suis – en – amour ! Je réponds des nullités à ses questions, lui propose un rendez-vous galant, lui offre cinquante sous pour une fellation.
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Mon analyse psychiatrique me démontre clairement que vous souffrez d’érotomanie, d’exhibitionnisme, de sadisme et de phallocratie. Vous êtes également victime d’une folie incurable. En d’autres mots, vous êtes un danger pour la société. Conclusion : recours à la castration.
Éjaculation
Elle m’écoute avec attention, prend des notes ici et là, à ce que je crois être n’importe quoi…
Mais, aussi imprévisible qu’une chatte de luxe – à la suite d’un court regard accusateur – elle bondit sur ses jambes, ouvre très grand les bras et s’exprime d’une voix travestie. Je remarque sa longue queue fourchue. Je veux répliquer mais ma langue ankylosée ne m’obéit pas. Je viens de démasquer une démone. Elle déploie ses ailes.
CASTRATION ! Castration ! Castration ! Castration ! Castration ! Castration ! Castration ! Ce mot résonna longtemps. Élément catalyseur, prologue de ma longue et misérable mort. Il déclencha une guerre interne qui se termina avec l’utilisation de la bombe atomique. Mon âme vient d’exploser. Pas une seule parcelle de conscience n’a subsisté à l’impact. Il ne me reste plus qu’une carcasse lourdement amochée, brûlée de l’intérieur.
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L’agonie de ma victime me procure une sensation orgasmique.
Le pouvoir d’imposer une mort cruelle…
À un individu innocent est tout à fait sublime, gé-ni-al !
De ce geste indulgent, je soulage la souffrance d’un pauvre type dénudé de plaisir.
Requiescat in pace !
Le Requiem La messe, dernière célébration, s’entame à l’instant. Je ne crains pas la mort. Voir s'écailler le moment est mille fois plus souffrant. Mon récit doit se clore.
Je ne sais point où je vais, mon instinct me guide. Je ne sais point où je vais, je sais uniquement que j’y vais. Candide. Je fonce vers ma fin. Et je ne crains rien. Même si mon âme survit et brûle en enfer, Ce sera là une bien douce misère. Le pouvoir destructeur des flammes N’atteindra jamais la contorsion de mon cœur, Le dégoût, l’horreur qui hante ma conscience à toute heure. Homme sans ressources, je ne domine pas ma peine. Il n’y a plus d’eau dans la source, le soleil a asséché la fontaine. Âmes périssables. Célébrons ce décès affable.
Mon dessein achevé, Je choisis l’immolation comme ultime voie à mon destin. Le poison pour combattre la vie, Le feu pour brûler le moteur sensitif, La mort pour ne plus exister. La dernière célébration s’achève. Je ne crains toujours pas la mort. Attendre en vain que le jour se lève Serait ici un bien plus triste sort.
J’accorde ma dernière pensée à la psychologue démone, emprunte son bras, ses doigts de fée pour qu’ils tiennent l’arme fatale : une allumette en bois, aussi banal que ça ! Timidement, je lui demande de m’allumer. Son sourire me fait craquer… L’allumette. Wouf ! Elle sort les guimauves puis regarde un pauvre type se consumer avec sérénité.
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Le chef-d’œuvre se couronna sur cette note spectaculaire.
Echec et mat !
Il ne me restait plus qu’à lever les bras, attendre qu’on m’arrose de champagne et me couvre de fleurs. On m’offrit des félicitations et me remit, comble du bonheur, la palme du meilleur réalisateur. Certaines défuntes célébrités de l’industrie hollywoodienne soulignèrent également mon succès. Je remerciai mes plus humbles supporters, la famille, les personnes ressources et commanditaires, mes légionnaires, tous les anges cornus de la terre et Dieu, pour m’avoir accordé le droit de jouer une fois de plus avec la vie d’un pauvre humain anodin. Ensuite, je me remis à l’ouvrage… Une partie d’échecs inachevée m’attendait dans la suite numéro sept du Paradis. Je continuai la joute dans la même veine que je l’avais commencée. Dominateur, fonceur, destructeur. La chance me souriait. Je prévoyais deux à trois coups à l’avance. Quatre à cinq coups encore et Dieu me concéderait la victoire. Quatre à cinq coups avant de le mettre en… La voix de Dieu retentit, toute puissante… Quoi ? Moi, un héros déchu ? Maudit banc inconfortable ! Je souhaite prendre ma revanche. Mais d’abord, je dois me trouver un nouveau trône, plus luxueux, plus douillet, moins fumant ; un pouf un peu plus rembourré. Dieu me regarda et décocha l’un de ses sourires à en faire frémir n’importe quel démon. Une mouche profita de mon inadvertance pour s’infiltrer dans ma bouche. Je m’étouffai. Dieu s’esclaffa d’un rire franc. Pause. Il hocha la tête en signe de négation, signe universel de fraternité. Je compris qu’il sous-entendait quelque chose comme… Vas-y fort si cela te console. Je t’attends de pied ferme sacré gobe-mouche ! 71
Illustrations et scĂŠnario
Philippe Mayer Textes
Marc Sauvageau Encrage
Julie Robinson Graphisme
Dominique Desbiens