Désolé j'ai ciné 5

Page 1

DÉSOLÉ J’AI CINÉ

#5 MARS 2018

the disaster artist un des meilleurs films sur le pire film au monde, le phénomène the room

Et aussi : paul thomas anderson, spielberg, la société cannon, samuel benchetrit, top of the lake s2, olivia cooke & tye sheridan... 1


2


eDiTo Here’s to the fool who dream... S’il y a bien un fou qui rêve c’est Tommy Wiseau. Qu’est-ce qu’on sait de lui ? Pas grand chose au final. Juste qu’il est à l’origine du plus mauvais film du monde, et c’est bien suffisant. James Franco s’est emparé de ce monument du nanar en réalisant «The Disaster Artist», l’adaptation du livre du même nom narrant l’épopée absolument abracadabrantesque pour finalement réussi à sortir «The Room» en salle. Et parce qu’on a beau se moquer, le bonhomme est un amoureux du cinéma et a réussi à aller au bout des choses. Tommy Wiseau est un rêveur, un vrai. Et vous savez quoi ? On en a besoin. Tandis que le lycée veut absolument vous orienter dès la seconde histoire de pas que vous voulez plantez, qu’on nous demande h24 de faire les bons choix, tout

3

de suite, immédiatement et de réussir sa vie en un claque de doigt, il est bon de se souvenir que oui, on a le droit de se ramasser. Et c’est tant mieux. Essayez, tentez de nouvelles choses, allez dans une direction, partez dans l’autre, trébuchez, ramassez-vous comme une merde, prenez-vous des portes en pleine gueule, doutez, hésitez, prenez vous des remarques à longueur de temps mais jamais, jamais ne cessez de rêver, d’y croire et d’essayer. Il y a deux ans je regardais le Festival de Cannes de chez moi, l’année d’après j’étais accréditée. Il y a un an je regardais les César, l’année d’après j’étais dans la salle pour y assister. Alors à tous les fous qui osent rêver, continuez parce que personne ne le fera à votre place. Margaux Maekelberg


4


sOmMaIrE 6 - Critiques

32 - the isaster artist

34 - le phénomène the room

36 - cannon mon amour !

46 - tye sheridan & olivia cooke

48 - samuel benchetrit

50 - spielberg : l’aventurier du cinéma éclectique

58 - Spielberg : le double face du ter ter

62 - films cultes : les flash-backs au cinéma

68 - rétropsective paul thomas anderson

74 - il était une fois john mcclane

76 - instant séries

82 - sorties dvd

84 - La page des non-cinéphiles

DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG RÉDACTEURS : JONATHAN CHEVRIER, SEBASTIEN BOULLY, JULIE RAGOT, MARION CRITIQUE, TANGUY RENAULT, CORALIE DELMUR, ANTOINE BOUILLOT & VANESSA BONET, 5


cRiTiQuEs

SORTIES DU 28/02

LA CH’TITE FAMILLE Tout récemment récompensé par le César du public pour ‘‘Raid Dingue’’ sorti l’année dernière -, Dany Boon pourrait bien devenir habitué à ce prix puisque son dernier film ‘‘La Ch’tite Famille’’ effectue de jolis scores pour ses premiers jours d’exploitation. Après la confrontation nordiste/sudiste, c’est désormais la confrontation nordiste/parisien qui fait des étincelles. Devenu aussi richissime qu’hautain, Valentin Duquenne alias Valentin D est devenu un designer réputé pour son mobilier et surtout ses chaises - absolument inconfortables - qui, pour s’en sortir dans le milieu de l’art parisien, a du renier ses origines prolétaires et surtout ch’tis. Sauf qu’un mensonge en entraînant un autre autant du côté de Valentin que celui de son frère et absolument tout part en vrille et surtout ce bel - et extrêmement faux équilibre qu’il s’était crée. Les ficelles de la comédie sont énormissimes et loin d’être originales mais Dany Boon sait y faire - en tout cas mieux que dans ‘‘Raid Dingue’’ - pour nous faire rire que ce soit avec la caution Pierre Richard (bien que sousutilisé dans ce film) ou en se moquant des parigots et leur drôle d’accent (selon la Ch’tite Famille), s’enfonce dans la même brèche qui a fait le succès de son prédécesseur sans pour autant innover la chose et rendre le tout plutôt redondant. Et même si la comédie française laisse un poil à désirer en ce moment, La Ch’tite Famille arrive à grailler quelques points pour se placer légèrement audessus de ce qu’on fait actuellement pour nous offrir une comédie peut-être finalement plus tendre que drôle où Dany Boon insuffle toute la générosité dont il est capable et arrive à nous toucher en plein coeur avec un film sincère, parfois, drôle et finalement plutôt «feel-Boon». M.M De Dany Boon. Avec dany boon... 1h47

6


HURRICANE Le papa des superproductions ‘’Fast & Furious’’ premier du nom et ‘’xXx’’ récidive avec ce qui a fait son succès populaire. Prenez un film apocalyptique, prenez un banal braquage et vous obtenez ‘’Hurricane’’. Le casse du siècle, près de 600 millions de dollars à voler alors qu’une énorme tempête pointe le bout de son nez. C’est malin, et même plus malin qu’il n’y parait. Parce que même si ‘’Hurricane’’ n’échappe pas aux écueils du film catastrophe, il s’en sort plutôt bien du côté film de braquage avec des méchants pas si méchants que ça (et qui pour le coup auraient une bonne raison de piquer ce fric. Enveloppez le tout de bons gros effets spéciaux au coeur de la tempête - qui sont au passage pas si mauvais que ça - et vous obtenez un bon petit film de série B qui ne casse pas trois pattes à un canard mais qui a le mérite d’y mettre du sien. M.M De Rob Cohen. Avec Toby Kebbell... 1h40

7


LA FÊTE EST FINIE Histoire d’addictions multiples, ‘’La fête est finie’’ retrace le parcours de deux jeunes femmes, Céleste et Sihem, qui vont trouver dans leur rencontre en centre de désintoxication la force nécessaire à leur survie. Point d’angélisme pour autant : il ne s’agit nullement d’expliquer qu’une amie peut être la solution à tous les problèmes. Mais seulement de montrer qu’un petit coup de pouce, une oreille attentive peut changer la donne. Avec ce premier long-métrage, Marie Garel-Weiss, qui confie avoir connu addiction et centre de désintoxication, plonge le spectateur dans un film âpre, mais non dénué d’espoir. La réalisation sans fioritures sert le combat des deux femmes contre leur dépendance : douce lors des moments de répit ou de joie fugace – lorsqu’elles trouvent leur studio, dansent en boite de nuit ou se régalent de sandwichs grecs – pour redevenir plus sèche, plus fermée quand Céleste et/ou Sihem replongent et que leur horizon s’obscurcit. Leur combat contre la drogue, cette addiction tenace car répondant à leur besoin d’oublier ce monde trop dur dans lequel elles vivent, se fait par à-coups. Des premiers moments au centre de désintoxication, avec ses règles tellement strictes qu’elles ne trouvent d’autres solutions que de s’enfermer dans une amitié fusionnelle pour se sentir encore vivre, aux retrouvailles avec leurs familles – une mère défaillante pour l’une ; une famille soudée et aimante pour l’autre mais qui en demande peut-être trop –, rien n’est facile. Elles s’accrochent l’une à l’autre pour tenter de s’en sortir, mais gare à la fusion émotionnelle, qui peut s’avérer aussi nocive que n’importe quelle addiction. Si le film n’échappe pas à quelques facilités, notamment l’ellipse temporelle permettant de présenter une Céleste «guérie», avec un emploi fixe et un appartement à la clé, il n’en reste pas moins un premier essai réussi. Un résultat qui doit beaucoup à ses deux actrices principales : Zita Hanrot, remarquée dans le magnifique ‘’Fatima’’ de Philippe Faucon et que l’on retrouvera en fin de mois dans ‘’Carnivores’’ de Jérémie et Yannick Renier, est formidable d’obstination altière. Face à elle, la débutante Clémence Boisnard accroche la pellicule et transmet une rage de vivre quasi animale à son personnage. Un film optimiste malgré un sujet qui aurait pu être plombant, qui donne envie de se battre envers et contre tout. De (sur)vivre, tout simplement. V.B De Marie Garel-Weiss. Avec Zita Hanrot... 1h30

8


cRiTiQuEs

L’AMOUR DES HOMMES Après la «révolution de jasmin», c’est dans un paysage politique qui demeure peu favorable à l’égalité homme-femme que Medhi Ben Attia nous propose dans un film juste à propos mais, où rien ne choque, le portrait d’une jeune femme qui s’émancipe, d’une artiste qui ne renonce pas à liberté quitte à être subversive. Le film dérange sans offenser, sans outrances: il manque précisément d’être subversif. Sensuel et délicat, ‘’L’Amour des hommes’’ l’est par bien des aspects. Dans une société en pleine mutation Amel, jeune photographe ose affirmer sa féminité et son désir charnel. C’est sans pudibonderie mais avec finesse qu’elle capte la beauté des hommes. Nudité et pudeur s’articulent avec élégance et justesse dans un film qui se présente comme une séduisante caresse lascive où l’érotisme est latent sans exagération. Medhi Ben Attia, à défaut d’être percutant, parvient avec douceur et sans fioriture à tracer les contours de relations hommes-femmes loin de la culpabilité, parfois complexes et tendues mais jamais dépourvues de volupté, d’une forme de rapport charnel aussi dangereux que beau, aussi instinctif que conscient de sa bravade. Ainsi, Amel ose l’ambition et la revendication de son indépendance à travers la provocation dans un film captivant qui se veut irrévérencieux mais qui manque d’audace renversant les perspectives d’une dualité homme femme dans des termes quelque peu manichéen. C.D De Medhi Ben Attia. Avec Hafsia Herzi... 1h45

9


SORTIE NETFLIX

MUTE Plus qu’un honnête et prometteur faiseur de rêve, Duncan Jones, fils du regretté Starman David Bowie, incarnait à nos yeux le futur de la SF racée et intelligente après la vision enthousiasmante de ses deux premiers essais : le bricolé ‘’Moon’’ et le grisant ‘’Source Code’’. Le hic, c’est qu’en répondant favorablement aux appels incessants des sirènes d’Hollywood, le bonhomme s’était laissé séduire par Universal pour mettre en boîte l’infaisable : un live-action ‘’Warcraft’’, dont la production chaotique n’aura eu d’égale que sa réception frileuse, autant par les critiques que par le public en salles. Remonté comme un coucou suisse, le Duncan s’est entêté pour son quatrième essai, à réaliser un projet au long cours infiniment personnel : ‘’Mute’’, vendu comme une sorte de ‘’Casablanca’’ sauce SF censé être autant le projet de sa vie. Sur le papier, ‘’Mute’’ avait tout du thriller fantastique sombre et fascinant, avec son intrigue mère solide sur un homme mutique recherchant sa bien-aimée au sein d’un Berlin cradingue, froid et aux couleurs criardes qui n’avait rien à envier au L.A. de Denis Villeneuve.Surtout que Jones semblait suivre le même terrain balisé de l’épopée SF poignante et humaniste sur la solitude et l’isolement, qui avait fait la magie de son puissant Moon, auquel il offre d’ailleurs ici un clin d’oeil enchanteur (la courte mais toujours importante présence du génial Sam Rockwell). Mais à l’écran, malheureusement, la mayonnaise n’est pas du tout la même. Volontairement - ou pas - gauche, sans grand enjeu dramatique, plombée par une love-story sirupeuse et sincèrement malaisant, l’intrigue passe autant de temps auprès du sympathique Léo (Alexander Skarsgård, convaincant en héros hanté qui ne communique qu’à coup d’expressions), que sur les aléas de deux chirurgiens décalés et détestables, Cactus et Duck (Paul Rudd et Justin Theroux, qui font ce qu’ils peuvent autant avec leurs persos que leurs looks foireux), l’un cherchant à quitter la ville avec sa fille tandis que l’autre ne masque même pas son statut de prédateur pédophile. Un partage bancal qui dessert autant l’histoire - assez faiblarde et bourré d’arcs narratifs liés à l’arrache - que le rythme - nonchalant - d’une oeuvre qui pourrait presque se voir comme un rejeton mal torché et grotesque de ‘’The Big Lebowski’’ (les freaks sont légion), n’exploitant jamais ni son univers, ni ses personnages stéréotypés aux dialogues limités; des personnages qui sont soit caractérisés à la truelle (Leo en tête), soit totalement sacrifiés (la quasi-intégralité des seconds couteaux). Duncan Jones n’est ni Ridley Scott, ni les frangins Coen, et son ‘’Mute’’, même animé de belles intentions, croule aussi bien sous le poids de ses défauts que son cruel manque d’implication et d’intérêt narratif. J.C De Duncan Jones. Avec Alexander Skarsgård... 2h06

10


cRiTiQuEs

THE OUTSIDER De base, et même si les productions ciné récentes de Netflix ont eu la fâcheuse habitude de ne pas du tout répondre aux immenses attentes qu’elles ont pourtant su susciter au fil des mois, un film sur l’impitoyable et fascinant monde des yakuzas a tout pour nous attirer au plus haut point, même si celui-ci se voit produit et cornaqué par un cinoche ricain loin d’être le mieux placé pour en parler. Mais si en plus, la péloche, un temps porté par des noms prestigieux (les duos Daniel Espinosa/ Michael Fassbender et Takashi Miike/Tom Hardy) a le bon goût de s’offrir Jared «on le préférait quand même avant son oscar» Leto, et de poser son intrigue juste après la Seconde Guerre mondiale, là ça sentait le 10/10 sur le cahier des charges pour nous donner envie de bloquer deux petites heures dans nos agendas, pour mater avec attention la chose. Grosse série B de luxe aussi bancale que prenante, axée sur l’ascension fulgurante et pas du tout crédible d’un white guy ricain vétéran de guerre, dans l’univers in fine pas si fermé des yakuzas (on peut y faire carrière facilement finalement, et même coucher avec la soeur d’un de ses frères sans le moindre stress de représailles), au sein des glorieuses 50’s qui n’ont de 50’s justement que le pitch (la reconstitution historique la plus minimaliste de ces dernières années...), ‘’The Outsider’’ est un gangster qui fait convenablement le job, avec une intrigue plus ou moins tortueuse et couillue (et une vision étonnante de l’anti-américanisme primaire qui régnait à l’époque au pays du Soleil Levant) qui réserve habilement et sans frémir son lot de violence/sexe/trahison/respect des codes du milieu, sans se perdre dans un amas de facilités et de clichés difficilement défendables (si certains dialogues sont à la limite du ridicule, au moins, le casting asiatique parle japonais). Classique, pas subtil pour un sou, prévisible, au casting solide et torché à la truelle (deux, trois néons ne permet pas au rendu final de dépasser le statut de pilote de série télé sans finesse), le film de Martin Zandvliet ne pète pas plus haut que son popotin, mais il incarne avec malice - ou pas - une certaine idée du divertissement d’exploitation limité mais fun qui magnifiait le cinéma béni des 80’s. J.C De Martin Zandvliet. Avec jared leto... 1h45

11


ANNIHILATION Passé de scénariste talentueux et demandé (’’28 Jours Plus Tard’’, ‘’Sunshine’’…) à cinéaste à suivre en l’espace d’un seul et unique film, ‘’Ex-Machina’’, le brillant Alex Garland était plus que méchamment attendue pour son second passage derrière la caméra, tant le mystérieux ‘’Annihilation’’, semblait avoir tout sur le papier, pour incarner la nouvelle bombe SF d’un genre qui en manque cruellement sur ces deux dernières décennies. Adaptation (très) libre de la trilogie best-seller ‘’Le Rempart Sud’’ de Jeff VanderMeer, portée par un casting proprement indécent (Natalie Portman, Tessa Thompson, Jennifer Jason Leigh, Gina Rodriguez et Oscar Isaac), ‘’Annihilation’’ permet non seulement à Garland de pleinement s’affirmer comme un formaliste de génie, mais surtout d’incarner la définition parfaite de proposition sciencefictionnelle aussi exigeante et complexe sur le fond, que férocement divertissante et grisante dans la forme; une gymnastique remarquable qui transpire l’amour du genre de tous ses pores. Tour de force prodigieux jonglant constamment sur le fil ténu du spectacle total et du film d’auteur à forte tendance métaphysique (la croyance en soi prime sur toute croyance en un Dieu qui n’a ici nullement sa place), vraie oeuvre polymorphe où la beauté côtoie constamment l’étrange et le lugubre au sein d’une étreinte à la radicalité et à l’intégrité à toute épreuve, la péloche est une plongée fascinante en terre aussi hostile qu’inconnue; un cadre surréaliste à l’atmosphère inquiétante où le temps ne semble avoir aucune emprise (seule la nature impose sa loi), dans lequel le cinéaste va peu à peu distiller une sensation de trouble au point de forcer son auditoire à pleinement lâcher prise et se laisser happer par ce cauchemar viscéral et hypnotique, dont on ne ressort pas complètement indemne. Surfant avec subtilité sur les codes du genre, brouillant les pistes et son immersion en multipliant les interrogations et les bonds temporels avec un savoir-faire aussi pervers que machiavélique, Garland sonde les zones d’ombre de la nature humaine et pousse son spectateur à redécouvrir encore et encore son oeuvre pour décrypter son infinie richesse tout en développant ses nombreuses obsessions (la notion de deuil, de rédemption, d’humanité et la cellule familiale brisée en tête). Visuellement incroyable, d’une mélancolie destructrice, citant un spectre large de références montant petit à petit en tension jusqu’à un final époustouflant, et même si l’on pourra sans doute reprocher à Garland de trop polariser l’attention sur le personnage de la biologiste - Lena - campée par Portman (parfaite), et moins sur le reste de ses personnages féminins, croquées avec plus ou moins de finesse; ‘’Annihilation’’ n’en est pas moins une oeuvre sombre et moderne qui refuse justement toute la modernité de son genre pour mieux incarner un moment de cinéma étrange, poétique et poussant constamment à l’introspection. Qui a dit classique instantané ? J.C De Alex Garland. Avec natalie portman... 1h55

12


SORTIE E-CINEMA 02/03

cRiTiQuEs

MY FRIEND DAHMER Présenté en compétition à Deauville l’année dernière, My Friend Dahmer est l’adaptation de la bande-dessinée du même nom faite par Derf Backderf, un ancien camarade de classe de Jeffrey Dahmer, un tueur en série qui a avoué à la fin des années 90 avoir tué 17 jeunes hommes. Personnage complexe, ‘’My Friend Dahmer’’ revient donc sur l’origine ou tout du moins ses dernières années de lycée avant qu’il ne bascule du mauvais côté. Elève un peu étrange laissé mis de côté, le jeune homme aimait passer ses journées dans sa cabane dans les bois où il entreposait des cadavres d’animaux trouvés au bord de la route. Une fascination déjà bien étrange pour les os, les corps et le sang et qui ne cessera d’aller en déclinant. Jeffrey Dahmer vivait déjà une situation compliquée à l’époque que ce soit au lycée ou à la maison avec des parents qui passaient leur temps à se déchirer. Pour se faire remarquer Jeff imite des crises d’épilepsie pour faire marrer ses camarades et ça fonctionne, il a enfin la reconnaissance qu’il attendait tant mais tout ceci n’est jamais éternel. Une descente qui va accentuer sa psychose même s’il est intéressant de voir dans le film comment Jeffrey essaie malgré tout de se battre avec lui-même et de faire la part entre le bien et le mal lorsqu’il épie par exemple un homme courant régulièrement devant chez lui et qu’il ne souhaite qu’une chose c’est de l’abattre. Pour incarner ce futur psychopathe, c’est le jeune Ross Lynch, poulain de l’écurie Disney, qui a été choisi. Un premier rôle puissant et déstabilisant qu’il incarne à merveille et avec authenticité. Oui parce que le souci d’authenticité était quelque chose d’important pour le réalisateur Marc Meyers qui a poussé le vice jusqu’à tourner dans la véritable maison de Jeffrey Dahmer. Mais ‘’My Friend Dahmer’’ soulève aussi un autre problème : celui de ces enfants souvent mis à l’écart notamment à l’école et dont la situation familiale peut peser. Même s’il est impossible de savoir si quelqu’un deviendra un jour tueur en série, le film nous montre qu’il faut faire attention à ceux qui sont autour de nous et que non, parfois les tueurs en série ne deviennent pas tueur en série pour le plaisir mais parce qu’il y a bien un traumatisme derrière tout ça et ici c’est notamment le départ de sa mère mais aussi de ses amis et de son «fan club». Même si ‘’My Friend Dahmer ‘’cumule parfois quelques longueurs, dans son ensemble il offre une perspective intéressante mais aussi effrayante d’un des tueurs en série les plus connus des Etats-Unis et forcé de le constater, les petits jeunes volent la vedette lors de cette dernière édition à Deauville que ce soit Ross Lynch ou Olivia Cooke (‘’Ready Player One’’ et ‘’Katie Says Goodbye’’). M.M De marc meyers. Avec ross lynch... 1h47

13


SORTIES DU 07/03

MME MILLS, UNE VOISINE SI PARFAITE Troisième long-métrage de Sophie Marceau - qui se retrouve devant et derrière la caméra - ‘’Mme Mills, une voisine si parfaite’’ est la quintessence même de la comédie au scénario écrit avec des moufles et des acteurs en roue libre. Escroc professionnel, Leo décide de se faire passer pour une femme, Madame Mills, et trouve le moyen d’habiter en face de chez Hélène, éditrice de romans à l’eau de rose afin de s’emparer d’un objet de valeur chez elle. En plus d’être sans intérêt, la nouvelle comédie de Sophie Marceau frise surtout le ridicule sans jamais réussir à nous décrocher un sourire, un rire ou une larmichette d’émotion. M.M De sophie marceau. Avec sophie marceau... 1h28

14


cRiTiQuEs

LA NUIT A DÉVORÉ LE MONDE Cet astucieux film fantastique conte le destin de Sam, un jeune homme se réveillant dans un appartement haussmannien à Paris au lendemain d’une fête, et découvre qu’il se retrouve seul rescapé alors que les rues de Paris sont envahies par des hordes de morts-vivant. Mais est-il vraiment le dernier survivant ? Pour son premier long métrage, Dominique Rocher confirme l’élan du cinéma français pour les films de genre après le succès mérité de ‘’Grave’’ (2017) de Julia Ducournau, le revenge movie gore ‘’Revenge’’ (2018) de Coralie Fargeat et les futures productions ‘’Dans la brume’’ et ‘’4 Histoires fantastiques’’ notamment. Le réalisateur choisit d’adapter sur grand écran le roman éponyme de Pit Agarmen (Martin Page) publié en 2012 avec un budget modeste par rapport aux productions habituelles pour ce type de films qui ne cesse d’agrandir son auditoire depuis ‘’La nuit des morts-vivants’’ (1968) de George A. Romero jusqu’à la célèbre série ‘’The Walking Dead’’. Le cinéaste offre un atypique survival apocalyptique qui se réapproprie astucieusement le genre zombie au cœur de la capitale. Le metteur en scène reste humble dans sa manière de filmer en livrant une mise en scène minimaliste quasiment toujours en huis-clos se servant avec ingéniosité des décors étroits sans forcément jouer la carte de la terreur (malgré de très bons moments de tensions) et du gore par un bruitage parfaitement dosé et une hémoglobine raisonnable. Un parti-pris modeste dans la réalisation tout à son honneur, permettant d’ingurgiter çà et là de judicieuses références cinéphiles bienvenues sans que cela plombe un récit austère bien ficelé. Le réalisateur se place du point de vue du survivant en le plongeant dans le vide absolu, nous offre des vues saisissantes de rues de Paris désertes où en proie au chaos, une somptueuse séquence visuelle entre nuit et brouillard au milieu des zombies et oriente son projet vers un habile drame horrifique intimiste et psychologique à l’atmosphère silencieuse malgré le danger qui guette. Dominique Rocher explore la psychologique de son anti héros au bord du gouffre en évitant brillamment une narration un peu longue grâce à un montage pertinent, des touches humoristiques (parties de paintball, footing, Alfred) et des respirations poétiques (créations musicales), comme seuls moments de vies au milieu d’une solitude vertigineuse. Une métaphore de nos vies dans des mégalopoles où l’attention portée aux autres semble définitivement disparue au profit d’une apathie généralisée. Sommes-nous déjà ces mortsvivants qui s’ignorent ? Pour porter cette fiction réaliste inspirée le cinéaste livre un casting épatant avec l’excellent et vibrant Anders Danielsen Lie, accompagné par un très surprenant Denis Lavant et une touchante Golshifteh Farahani. Un premier film très prometteur. S.B De dominique rocher. Avec Anders Danielsen Lie... 1h34

15


LE SECRET DES MARROWBONE Alors que plusieurs pays européens - dont la France - commencent sérieusement à disputer à l’Espagne le titre de terre promise du cinéma de genre, Juan Antonio Bayona se la joue figure tutélaire pour le scénariste de son fantastique ‘’L’Orphelinat’’, Sergio G. Sanchez, qui fait ses débuts derrière la caméra ce mois-ci avec le bien nommé ‘’Le Secret des Marrowbone’’. Le premier long du scénariste de ‘’L’Orphelinat’’, produit par le réalisateur dudit film et qui débarque dans les salles obscures presque dix ans jour pour jour après celui-ci (le 5 mars 2008)... les parallèles sont nombreux, d’autant plus que le wannabe cinéaste espagnol ne se facilite pas la tâche en cherchant lui aussi à revisiter à sa sauce les classiques du film hanté. Mais Sanchez est allé à la bonne école, et même si son premier essai souffre douloureusement de la comparaison avec ses glorieux aînés (‘’Les Autres’’ et la ‘’méthode Amenabar’’ en tête), son oeuvre est une vibrante ghost story, flippante et émouvante à la fois, évitant soigneusement les clichés inhérents aux situations fantastiques (bye-bye les effets cheaps et tapageurs), pour mieux se focaliser sur l’humanité sincère de ces jeunes personnages et la mélancolie émouvante de son tortueux récit. Huis clos dramatico-horrifique calibré à la mise en scène aussi élégante que subtile, qui distille avec puissance une atmosphère gothique lancinante poussant le spectateur à voir au-delà des apparences (il réclame une implication totale de son auditoire, une démarche émotionnelle déjà opérée par le scénariste sur ‘’L’Orphelinat’’) avant d’un poil se plomber dans une accumulation de twists sentant un brin le réchauffé; ‘’Le Secret des Marrowbone’’ transpire le déjà-vu de tous ses pores, mais se pare d’une approche sensitive du genre tellement sérieuse et sensible qu’il est bien difficile de ne pas y succomber, ne seraitce que pour la justesse de son jeune casting vedette que l’élégance de son univers.D’un classicisme revendiqué et assumé, poétique et d’une rigueur étonnante, le film est un chouette et prometteur premier long, rien de plus, rien de moins. J.C De Sergio G. Sanchez. Avec George MacKay... 1h51

16


cRiTiQuEs

TESNOTA UNE VIE À L’ÉTROIT Cette déroutante chronique au sein de la communauté kabarde située dans la petite ville de Naltchick (capitale de la République de Kabardino-Balkarie) dans la région du Caucase Nord, dresse un sensible portrait d’Ilana une jeune femme rêvant d’un ailleurs et une auscultation amer de la cellule familiale dans un pays troublé par des questions identitaires. Pour son premier long métrage le jeune réalisateur russe Kantemir Balagov, âgé de 26ans, s’empare d’un fait divers pour tisser une radiographie clanique de sa région natale à travers le prisme d’une famille. Cette œuvre sélectionné au Festival de Cannes dans la sélection « Un Certain regard » a remporté le prestigieux prix FIPRESCI de la critique internationale suscitant depuis une certaine attente. De façon étonnante les premiers cartons apparaissent situant l’action en 1998 en étant commentés par une voix off utilisant le « je » dont le narrateur s’avère être celle du réalisateur lui-même offrant une proximité particulière avant que ne commence la fiction. D’emblée la caméra se concentre près du visage volontaire d’Ilana championne des réparations de bagnoles Lada et plus douée que pour aider sa mère en cuisine. Le format 1 :37 carré impose d’emblée un coup de projecteur démontrant l’exiguïté de l’existence de la jeune femme. L’intrigue austère s’appuie sur le kidnapping hors-champ de David (frère d’Ilana) fiancé avec Léa, tous deux de confession juive engendrant le paiement d’une rançon exorbitante et l’éclatement de la cellule familiale et les nombreux soubresauts au sein de la communauté comme un miroir grossissant des conflits internes du pays secoué notamment lors de la première guerre en Tchétchénie (dont les maux ne sont pas encore refermés en 1998), et des relents antisémites. Le seul désir autorisé au-delà des relations ambiguës entre frère et sœur se cloisonne dans l’amour d’Ilana pour un « Roméo » d’une autre confession. Un tiraillement intérieur qui trouve son paroxysme dans une scène de boîte sous un effet stroboscopique de lumière bleue hypnotique et glaciale d’une échappatoire tranchant avec les couleurs ocre oppressantes de la maison. De façon presque viscérale nos ressentis sont mis à l’épreuve. ‘’Tesnota’’ permet de découvrir notamment une épatante révélation avec la sauvage et volontaire Darya Zhovner, dont le visage est un étonnant reflet de toutes ses contradictions intimes et de voir la naissance d’un cinéaste devant nos yeux étourdis par ce premier bijou. Une sensorielle tragédie intime tendue au climat de claustration et aux moments suspendus terrassants. Un coup d’essai prometteur. S.B De Kantemir Balagov. Avec Darya Zhovner... 1h58

17


LA CAMÉRA DE CLAIRE Tourné en quelques jours pendant le Festival de Cannes 2016, ‘’La Caméra de Claire ‘’est un Hong Sangsoo un peu à part bien qu’on y retrouve la poésie et les remises en question amoureuses chères à son auteur. Claire (Isabelle Huppert, une nouvelle fois devant la caméra du réalisateur après ‘’In Another Country’’ en 2012) est à Cannes avec une amie venue présenter son film sur la Croisette. Flânant dans les rues de la ville, elle rencontre Manhee (Kim Min-hee), jeune Coréenne tout juste licenciée sans raison apparente par sa patronne. La douceur de Claire, professeur de musique capturant chaque instant avec son Polaroïd, apaise une Manhee désemparée. Jeu de l’amour et du hasard, Claire fait également connaissance avec le réalisateur coréen So Wan-Soo (un double de Hong Sangsoo ?) venu présenter son film… et accessoirement compagnon de l’ancienne patronne de Manhee. Grâce aux photos de Claire, qui soumet ses images au regard de chacune de ses rencontres, des révélations sont faites (Manhee a été renvoyée pour avoir succombé aux charmes de So Wan-Soo), mais surtout un léger décentrement s’opère : chaque protagoniste ne regarde plus les autres en partant de lui-même. Sa façon d’appréhender ses relations n’est plus la même. Le pouvoir de l’image, selon Claire. Elle explique que celle-ci peut changer les êtres et les choses. Il suffit de prendre le temps d’observer et, imperceptiblement, le regard porté se modifiera. Entre marivaudage, tromperie, réflexion sur l’art et abus d’alcool (le fameux soju ?), le spectateur retrouve l’univers d’Hong Sangsoo dans ce nouveau film. L’expérience particulière du tournage impacte la mise en scène, très classique sans pour autant desservir le propos de l’auteur. Il ne visait pas avec ‘’La Caméra de Claire’’ à tourner une grande œuvre, mais à faire un pas de côté. Ce fameux petit rien qui permet d’appréhender le monde différemment. V.B De Hong Sangsoo. Avec Isabelle huppert... 1h09

18


cRiTiQuEs

LE JOUR DE MON RETOUR Le grand Colin Firth a cette faculté plutôt déconcertante avouons-le, à aligner ces dernières années, des projets tout aussi différents qu’ils peuvent être, parfois, difficilement défendables. Mais le bonhomme semble ne rien (se) refuser, et c’est une denrée assez rare dans le septième art moderne, pour être notifié. De retour en 2018 avec pas moins de 5 films dans sa besace (dont le dernier Vinterberg et ‘’Mary Poppins Returns’’), nous le retrouvons donc en ces dernières heures de l’hiver, en vedette du nouveau long-métrage du brillant James Marsh (‘’Shadow Dancer’’, ‘’Une Merveilleuse Histoire du Temps’’), ‘’Le Jour de mon Retour’’. Ou la mise en images de l’histoire vraie et totalement suicidaire, de Donald Crowhurst, un père aimant et homme d’affaires au bord de la faillite mais vrai passionné de la mer qui, en 1968, se lança comme défi de remporter la première course à la voile en solitaire organisée autour du monde; une aventure proprement inconsciente pour ce marin du dimanche sans la moindre préparation ni connaissance des nombreux dangers qui se dresseront face à lui. Itinéraire d’un fiasco maritime prévisible mais pas moins puissant, ‘’The Mercy’’ en v.o (titre bien plus juste) colle aux basques de ce doux rêveur naïf, heureux en ménage mais malmené par la réalité apathique du quotidien, totalement habité par l’idée d’accomplir quelque chose d’important, autant pour le sauver lui-même que d’une banqueroute certaine; qu’il n’hésitera pas à berner tout le monde. Marsh n’invente rien, saisit parfaitement les tenants de son histoire tout autant que le spleen existentiel de son héros attachant, et s’attache à conter avec finesse cette arnaque folle d’un homme dépassé par les événements, très vite victime d’une aventure qu’il ne contrôle plus et qui ne sera d’ailleurs plus réellement la sienne, bien avant les premiers miles franchis par sa brinquebalante bicoque. Solide dans sa critique acerbe de la dictature du profit ainsi que des médias et de leur instrumentalisation d’un évènement ou d’un être humain (qui résonne encore plus fort aujourd’hui), prenant et joliment touchant grâce à la prestation tout en subtilité et délicatesse d’un Firth qui porte le film sur ses larges épaules, ‘’Le Jour de mon Retour’’ est un mélodrame poignant, une épopée humaine et mélancolique sur un monsieur Tout-le-monde au rêve voué à la dérive. Oui, l’océan est sans pitié, mais la dure réalité l’est finalement bien encore plus... J.C De James Marsh. Avec colin FIrth... 1h42

19


SORTIES DU 14/03

HOSTILES

D

Qu’on l’aime ou que l’on vulgarise son cinéma à une simple copiecalque de ses nombreuses références (l’avis de certains, fou mais vrai), force est d’avouer pourtant que le talentueux Scott Cooper s’est solidement imposé dès son premier - et merveilleux - long ‘’Crazy Heart’’, comme l’un des cinéastes les plus importants à suivre du moment. Offrant ni plus ni moins que l’un des meilleurs rôles de sa carrière à l’immense Jeff Bridges - il n’y a que chez les Coen qu’on l’a vu aussi merveilleux -, le bonhomme attirait surtout notre fibre cinéphile pour sa passion envers les personnages

profonds et admirablement bien sculptés, tout autant que sa vision d’une Amérique white trash épurée de son idéalisme et de son triomphalisme gerbant. Une vision radicale et sans aucune concession qui trouvait son paroxysme dans le chef d’œuvre Les Brasiers de la Colère, riche drame familial aussi bouillant que douloureux sur fond de revenge movie viscéral et déchirant, dans lequel Christian Bale (de loin son plus beau rôle) éclabousse l’écran dans la peau d’un col bleu à la détresse poignante, qui se lance dans une quête vengeresse pour 20

liquider un Woody Harrelson bestial et ainsi sauver autant son honneur que celui de son frère décédé (Casey Affleck, incroyable). Même s’il était encore un peu tôt, le jeune cinéaste s’imposait sans forcer comme l’héritier légitime et naturel de John Ford, Sam Peckinpah mais également de Clint Eastwood, avec qui il partage une certaine sobriété de ton salutaire. Moins de deux ans plus tard, le Scott décidait une nouvelle fois de relever un défi hautement casse-gueule en s’attaquant au sacro-saint gangster movie, et qui plus est en s’attachant à compter le destin hors normes d’une des


cRiTiQuEs Mais le cinéma de Peckinpah est définitivement dans l’ADN du cinéaste, et il n’aura pas fallu attendre longtemps avant qu’il ne s’attaque lui aussi au western pour mieux lui offrir autant une renaissance qui tardait à pointer le bout de son nez, que de le débarrasser avec force de ses oripeaux racistes en suivant la voie tracée ces dernières années par Quentin Tarantino (‘’Django Unchained’’, ‘‘Les Huit Salopards’’), via ‘’Hostiles’’, pour lequel il permet une fois n’est pas coutume, à Christian Bale de briller face caméra.

De Scott Cooper. Avec Christian Bale... 2h13

personnalités les plus importantes du grand banditisme de chez l’Oncle Sam, Whitey Bulger, avec ‘’Strictly Criminal’’. Tragédie fascinante et cohérente de bout en bout, ‘’Strictly Criminal’’ jouissait pleinement de la patte brillante et impliquée de Scott Cooper derrière la caméra, qui retrouvait à nouveau ses thèmes chers (la famille, la fraternité, la loyauté et le cycle implacable de la violence) et se jouait habilement des passages obligés du genre pour mieux accoucher d’une relecture réaliste du gangster movie comme rarement on a pu en voir sur grand écran ses dernières années.

En prenant pour toile de fonds deux sujets brûlants gravés dans les fondements du continent Américain, et dont la résonance avec le gouvernement actuelle est criante de vérité (l’endoctrinement de l’armée et le traitement inhumain des autochtones d’Amérique du Nord), Cooper se réapproprie l’histoire et pose son regard acerbe sur une terre meurtrie où les mots liberté et paix n’ont de sens que pour les hérétiques. Véritable odyssée homérique aussi mélancolique que rude dans les entrailles des enfers où le danger et la haine de l’autre gangrènent chaque parcelle sableuse et rocheuse d’espaces que l’on jugerait presque interminables, ‘’Hostiles’’, à l’instar du chef-d’oeuvre ‘’Danse avec les Loups’’ de Kevin Costner, détourne la fausse image de la fameuse conquête de l’Ouest véhiculée par un septième art jadis complice, 21

pour mieux pointer du doigt avec une violence frontale, les dérives d’une nation entière bâtie sur et par le sang, d’hommes « civilisés « finalement encore plus sauvages que ceux qu’ils exterminent pour les déposséder de leurs terres. Investi comme jamais, Cooper s’intéresse autant à la déconstruction de l’épopée US triomphante qu’à la culpabilité et les traumas qui rongent une poignée d’êtres épuisés confrontés à leur conscience, de Blocker (Christian Bale, tout en retenue), légende de guerre tourmenté qui a plus de sang sur les mains qu’il ne le voudrait, à Yellow Hawk (Wes Studi, magnifique), chef Cheyenne bouffé par le cancer et un désir de mourir sur ses terres tribales; en passant par Rosalie (Rosamund Pike, lumineuse), femme minée par le deuil et la colère. Brutal, viscéral, émotionnellement dévastateur, d’un souffle épique et d’une puissance cinématographique rare, pas dénué de quelques défauts (on pourra sans doute lui reprocher une vision assez limitée des Comanches, où même son climax) mais cherchant constamment à rendre chacun de ses plans, d’une beauté sans nom (magnifique travail de Masanobu Takayanagi), férocement inoubliable pour son auditoire; Scott Cooper, toujours aussi cohérent dans son cinéma, fait de son ‘’Hostiles’’ un diamant brut à la poésie et à l’humanité aussi sombre qu’intime et enivrante. J.C


GHOSTLAND On avait laissé le papa de ‘’Martyrs’’ avec une expérience mi-figue, mi-raisin : ‘’The Secret’’, où il maltraitait la jolie Jessica Biel dans un thriller «Silent Hill-esque» au twist improbable, qui baladait gentiment son spectateur sans forcément le séduire avec autant de maestria que ses précédents essais. Reste que malgré tout, le film arrivait sans forcer à distancer de quelques coudées d’avance, aussi bien toutes les productions fantastiques made in France de l’époque, que celles souvent malheureuses de nos cinéastes exportés au pays de l’Oncle Sam. Cinéaste atypique aux péloches aussi généreuses que radicales, qui prend sensiblement son temps pour revenir hanter nos salles obscures (il tourne peu mais bien), le Pascal nous revient donc en 2018 avec une petite bombe qui a gentiment mis tout le monde d’accord au dernier Festival de Gérardmer : ‘’Ghostland’’, gros choc sismique qui fait date dans un cinéma de genre hexagonale qui ne s’est jamais aussi bien porté que ces derniers mois. Au moins aussi extrême que son chef-d’oeuvre ‘’Martyrs’’, ‘’Ghostland’’ bouscule son auditoire pour mieux le marquer au fer rouge au sein d’une épopée sensorielle dévastatrice renouant avec la folie sauvage des bandes horrifiques du milieu des 70’s où tout semblait possible, même le plus insoutenable. Imprévisible, volontairement exagéré autant qu’il est sincèrement déstabilisant, le nouveau film de Laugier prend le spectateur à la gorge dès les premières minutes, s’amuse comme un sale gosse à alterner les genres à la pelle pour mieux étoffer son cauchemar sur pellicule, intense, anxiogène à mort et sans pareil. Le cinéaste ose tout, martyrise ses personnages autant qu’il (semble ?) les aimer, maîtrise son oeuvre avec une indécence folle (comme Shyamalan, Laugier use de l’art fin du twist pour mieux bouleverser les règles de sa propre narration et accentuer une atmosphère de trouble constant et glaçant), fait de Mylène Farmer une muse mystique séduisante en diable et donne l’occasion à Crystal Reed (‘’Teen Wolf’’) et Anastasia Phillips (‘’Reign’’) de littéralement crever l’écran par la force de deux interprétations aussi délirantes que crédibles. Fascinant, agressif, éprouvant et définitivement à part, ‘’Ghostland’’, comme une réponse aussi à ‘’Martyrs’’, transcende l’idée que l’esprit n’est jamais aussi libre que lorsque le corps est à l’agonie, au sein d’un poème macabre qui met notre coeur et nos nerfs à rude épreuve, où l’on assiste impuissant et captiver au calvaire endurée par des héroïnes vivant rien de moins que l’enfer. J.C De Pascal Laugier. Avec Mylène farmer... 1h31

22


cRiTiQuEs

CHIEN Après l’adaptation remarquée de ‘’Asphalte’’ en 2015, l’auteur et cinéaste Samuel Benchetrit, porte à nouveau un des ses romans à l’écran. ‘’Chien’’ – du roman éponyme publié en 2015 – est, au delà de l’histoire un peu ubuesque de cette homme (Jacque Blanchot) qui devient un chien, une gracieuse et surprenante allégorie de la chute, de la dépression, de la mélancolie. Un monde antipathique et dystopique où la naïveté, la simplicité et le manque d’ambition n’ont pas leur place, où un homme qui tombe, ne lutte pas et se laisse porter par sa déchéance est mis en marge de la société, c’est ce que Samuel Benchetrit nous dépeint ici. Un appel de la nature ou une envie de s’extraire de ce monde factice, artificiel, ivre de conventions sociales, c’est ce qui conduit Jacque Blanchot à devenir un chien. C’est un perdant magnifique, malmené par la vie, parfois un peu simplet mais qui ne contient aucune violence en lui. Il transporte une humanité pure qui s’oppose à la figure de Bouli, celle de la violence à la recherche d’affection, celle d’un malaise ambiant d’une société malade, craintive et souffreteuse. Jacque Blanchot se contente d’échapper à un monde qui ne lui appartient pas, dont il reste hermétique aux codes. Il se regarde déchoir dans les abîmes d’un monde animal et le spectateur assiste impuissant à sa chute, sans jamais y participer pleinement. Il n’existe pas, ici, d’identification avec le personnage principal qui ne s’abstrait jamais de son environnement donnant au format choisi (ndrl: le scope) et à la composition des plans qui ont toutes leurs importances. Le temps s’allonge, s’écoule lentement, il devient celui d’un chien, dont les pulsions battent à contre temps de celle du monde. Les plans fixes tels des épures sensibles se laissent admirer langoureusement, pour faire éclore une mélancolie pleine de douceur et d’humour propre à la poésie benchetritienne: celle de la fêlure, du trébuchement, de la chute. Parfois déjanté, absurde, ou cynique, l’humour est présent en filigrane de l’oeuvre comme dernier rempart face à l’atrocité, à l’insurmontable. Alors que les hommes le rejettent, que le monde contemporain lui est hostile, qu’il perd pied face à la réalité, que ses caractéristiques humaines se disloquent, Jacque Blanchot s’approprie dans une fantaisie angoissée celles du chien qui désormais le relieront de nouveau à autrui. L’humour comme politesse du désespoir, manifeste alors toute son ampleur permettant de faire de ‘’Chien’’ un conte déconcertant et audacieux, tendre et cruel emplit d’un lyrisme singulier d’où se dégage une profonde humanité. C.D De Samuel Benchetrit. Avec Vincent Macaigne... 1h34

23


L’AFFAIRE ROMAN J Après la bombe ‘’Night Call’’ il y a quatre ans, Dan Gilroy est de retour derrière la caméra avec L’Affaire Roman J. aux côtés de Denzel Washington et Colin Farrell. Un nouveau portrait d’homme dans le Los Angeles judiciaire où l’avocat Roman J. Israel va devoir faire face à des choix de vie qui vont se retrouver totalement chamboulés après la mort de son mentor, la rencontre avec une militante de l’égalité des droits une affaire délicate qu’il va devoir traiter. Les talents de portraitiste de Gilroy sont de nouveau mis en valeur avec à sa tête un Denszel Washington transformé, impérial en avocat qui n’est plus en phase avec la société. On regrettera cependant des seconds couteaux trop vite esquissés et une fin un poil trop mielleuse. M.M De dan gilroy. Avec denzel washington... 2h03

24


cRiTiQuEs

TOUT LE MONDE DEBOUT Force est d’avouer qu’au milieu des premiers films made in France balancés dans les salles obscures ses dernières semaines (‘’Revenge’’, ‘’Jusqu’à la Garde’’, ‘’La Nuit a Dévoré le Monde’’...), la présence du premier passage derrière la caméra de Franck Dubosc pourrait presque faire «tâche» sur le papier tant le bonhomme, brillant quand il est bien dirigé, a souvent associé son nom à une pléthore de péloches hexagonales difficilement défendable. Mais les apparences semblent décidément - et heureusement pour nous - trompeuses en ce début d’année 2018, tant ‘’Tout le Monde Debout’’ est non seulement un baptême du feu colossal (il porte la triple casquette de réalisateur, scénariste et comédien vedette) et réussi, mais surtout un petit bijou de comédie romantique fine et émouvante, comme on en voit que trop rarement dans les salles obscures. Jamais cynique et se moquant gentiment de son image de playboy romantico-ringard forgé sur scène tout en offrant un regard pétri de tendresse sur le handicap et la différence, Dubosc démonte les fausses impressions que pouvait laisser son pitch (un dragueur invétéré se fait passer pour un paraplégique pour séduire une voisine dont la soeur l’est réellement, avant de tomber sous le charme de celle-ci) pour mieux coiffer au poteau les comédies récentes en signant une sympathique fable sur l’amour comme antidote à tous les maux et toutes les supposées barrières (même physiques), un véritable bonbon acidulé à l’humour enchanteur et à la sensibilité rare. Misant habilement sur la carte du film populaire (et sur celle plus risquée de la chronique sociale un poil dénonciatrice), Dubosc donne beaucoup de lui-même (qui suit l’artiste reconnaîtra instinctivement toutes les touches personnelles qui parsèment l’histoire), et donne du corps à son héros imbuvable qui se découvrira une humanité et une âme au contact d’un petit bout de femme dynamique et attachante (Audrey Lamy, très charmante). Modeste, volontairement simpliste et un tantinet naïf (ce qui n’est pas un défaut ici) mais porté par un capital sympathie énorme et des personnages gentiment empathiques (tous croqués avec passion et incarnés avec malice par un casting de talents impressionnant), ‘’Tout le Monde Debout’’ parle de la vie dans tout ce qu’elle a de plus banale et universelle, s’adresse avec bienveillance à son auditoire et cherche à l’émouvoir avec sincérité sans le moindre effet de manche putassier. Avec un premier film aussi humble qu’il a un coeur gros comme ça, Franck Dubosc s’offre des débuts à son image (drôle et touchant) et infiniment réussi. J.C De franck dubosc. Avec franck dubosc... 1h30

25


RAZZIA Sensible description de 5 parcours d’hommes et de femmes, issus de milieux différents rassemblés par la même envie de vivre leur existence comme ils l’entendent au cœur du Maroc, à Casablanca. Plus de deux ans après le séisme provoqué par le brillant ‘’Much Loved’’ (2015), le talentueux réalisateur Nabil Ayouch revient sur nos écrans avec son projet : ‘’Razzia’’. Point de départ de ce nouveau long métrage : 1982, les magnifiques décors des montagnes de l’Atlas où l’on découvre Abdallah, un professeur dans un village isolé et très apprécié dont le destin va basculer à l’arrivée d’un inspecteur venu faire appliquer les nouvelles doctrines étatiques et imposer la langue arabe dans l’enseignement alors que les élèves ne comprennent que le dialecte berbère. Les prémices et point de bascule du Maroc vers le salafisme et la fuite contrainte d’Abdallah. « Partir et vivre libre, rester et se battre… mais se battre contre quoi ? » entend-on en voix off, toute la problématique du film est posée. 2015 dans les rues d’une ville où l’on suit la ravissante Salima en robe courte et cheveux lâchés alors qu’une virulente manifestation se déroule contre la réforme de la loi sur le code l’héritage où les femmes montent au créneau. Une vague de censure et d’événements qui entrent en conflit avec l’envie d’émancipation d’une certaine jeunesse connectée, au monde occidental et toutes ses représentations. Dans ce contexte de tiraillements intimes et psychologiques Nabil Ayouch, en reliant deux périodes, livre un puissant plaidoyer sur les libertés individuelles à travers 5 personnages montrant différents combats, différentes trajectoires, différents visages tous unis par la même quête de liberté alors que la révolte gronde, prête à exploser face à une vision rétrograde de la cité. La caméra vibrante du réalisateur offre une audacieuse mise en scène en suivant une narration mosaïque à travers les parcours du professeur en fuite, de Salima (femme libre mais qui se questionne sur l’avortement), Ilyas serveur dans un bar (vivant dans le souvenir du mythique film ‘’Casablanca’’ (1942) de Michael Curtiz) tenu par Joe un juif qui aspire à la douceur de vivre, et Hakim, un jeune homme homosexuel vivant dans la Médina et rêvant de devenir le nouveau Freddie Mercury (leader du groupe de rock Queen). Un film coup de poing servi par un magnifique casting impeccable sans oublier la ville capturée par la caméra, s’avérant être comme un vrai personnage à part entière.’’Razia’’ est aussi courageux que salutaire et riche en questionnements. Une admirable réponse à l’intolérance. S.B De nabil ayouch. Avec Maryam Touzani... 1h58

26


cRiTiQuEs

LA PRIÈRE

De Cédric Kahn. Avec Anthony Bajon... 1h47

27

SORTIES DU 21/03

Profondément passionné et politique dans son opposition entre rats des villes et rats des champs, Kahn faisait de son précédent essai, ‘’Une Vie Sauvage’’ - inspiré de la retentissante affaire Xavier Fortin -, un véhicule pertinent à la question de la «normalité» et de «marginalité» qui nourrit la société depuis toujours, tout autant qu’une interrogation subtile sur l’impossibilité d’une utopie hors du système. Quatre ans plus tard, il s’intéresse à nouveau à une nouvelle sorte d’utopie, plus spirituelle et religieuse cette fois avec ‘’La Prière’’, où il compte à coups d’ellipses la rédemption et la guérison presque miraculeuse via la croyance en Dieu, d’un jeune écorché par la vie, Thomas, toxicomane mutique qui débarque dans un foyer de «redressement» en pleine montagne tenu par des religieux. Un foyer qui lui permettra par la force d’un dur labeur, de l’amitié, de chants et de nombreuses prières, de «retrouver» un droit chemin qu’il pensait impossible à atteindre. Vrai film sur la foi (autant en Dieu qu’en soi) qui ne tombe jamais dans les griffes de la chronique mi-ronflante, mi-effrayante sur l’intégrisme religieux (comme 90% des documentaires religieux du petit écran), montrant la religion comme une solution possible aux maux les plus terribles (sans forcément faire du christianisme le propos majeur de son oeuvre), d’un naturalisme poignant proche du documentaire; ‘‘La Prière’’ se veut comme un regard intime au sein d’un cadre sublime, de la transformation intérieure d’un gamin rebelle (Anthony Bajon, parfait) au sein d’une communauté religieuse où la liberté et la solitude sont limitées, et où chacun doit se battre pour autant trouver sa voie auprès des autres que dans la grandeur du monde. Un gosse qui, en s’abandonnant totalement en la foi et au respect de l’autre, switchera ses addictions et trouvera la volonté de changer et de ne plus dépendre de l’héroïne. Jamais austère et ne jugeant pas ses personnages (grâce à un scénario elliptique et une volonté d’imposer une distance entre les personnages et son auditoire), prenant même si un poil plombé par un troisième acte amené avec la finesse d’un marteau-piqueur; ‘’La Prière’’, plus qu’un film sur la foi religieuse, est un beau et vibrant drame sur la guérison coûte que coûte d’un jeune homme versatile s’offrant un futur plein d’espoir, concocté par un brillant cinéaste qui tourne (trop) peu mais (très) bien. J.C


MEKTOUB MY LOVE

Dire que le cinéaste Abdellatif Kechiche a mis du temps pour faire son retour dans les salles obscures, est un doux euphémisme. Cinq ans (déjà) après le triomphe ‘’La Vie D’Adèle’’, le cinéaste nous revient à quelques semaines du festival de Cannes, avec un nouveau long-métrage plein de promesses : ‘’Mekthoub My Love : Canto Uno’’ (titre qui appelle, logiquement, une ou plusieurs suites), produit au forceps et s’inspirant très librement du roman ‘’La Blessure, La Vraie’’ de François Bégaudeau, concentrant sa caméra sur les vacances d’une poignée de jeunes adultes durant l’été 1994. Fresque solaire resserrée sur une courte période (le cinéaste travaille et étire le temps comme personne), immortalisant avec vivacité une tranche de vie encore pleine de candeur (le début de la vingtaine) où tout semble possible, et encore plus sous le soleil écrasant du sud de la France - à Sète -, Kechiche qui n’a rien perdu de son penchant pour le voyeurisme un poil excessif/abusif (notamment sa tendance à insister sur la beauté des corps féminins), suit les aléas sentimentaux et initiatiques d’une bande attachante tout en prenant pour témoin central le timide Amin (que l’on peut presque voir comme un alter égo du cinéaste), et signe avec une authenticité et un naturel proche du documentaire, une formidable ode à la liberté et à la jeunesse dans tout ce qu’elle a de plus pure, sensuelle et empathique; captant avec une émotion renversante, l’effervescence de la période charnière d’une poignée d’existences fougueuses avant le douloureux passage à la vie adulte. Jamais trop redondant malgré une longueur encore une fois astronomique (trois heures au compteur), esthétiquement fabuleux (formidable travail de Marco Graziaplena), sublimant jusqu’à l’épuisement parfois (certaines scènes tirent vraiment en longueur) ses nombreux interprètes - tous d’une justesse rare -, Kechiche ne révolutionne - évidemment - pas son cinéma mais ajoute une nouvelle pierre à son édifice, un vent de fraîcheur aussi poétique et vivant qu’il est exaltant et mué par un esprit carpe diem enchanteur. Bref, une nouvelle oeuvre singulière qui ne laissera décemment pas indifférent, signée par l’un des cinéastes les plus iconoclastes du septième art hexagonal de ces vingt dernières années... J.C De Abdellatif Kechiche. Avec Shaïn Boumedine... 2h55

28


cRiTiQuEs

LES BONNES MANIÈRES

Un surprenant conte de fée pour adulte narrant le destin de Clara, une infirmière solitaire de la banlieue pauvre de São Paulo, engagée par Ana, une mystérieuse et riche jeune femme enceinte vivant dans les nouveaux beaux quartiers, pour être femme de ménage, avant de devenir nounou lorsqu’Ana donnera naissance à son enfant. Une fiction auréolée de multiples récompenses, à L’Étrange Festival 2017 (Prix du jury) et au festival international du film fantastique de Gérardmer 2018 (Prix du jury) notamment, c’est dire la curiosité suscitée par cette fiction à l’heure de sa sortie sur nos écrans. D’entrée les cinéastes adoptent un ton très réaliste pour évoquer avec dichotomie les liens entre travail et classes sociales (Ana femme blanche milieu aisée et Clara noire issue de milieu populaire). Juliana Rojas et Marco Dutra utilisent les décors pour accentuer cette différence avec le chemin parcouru par Clara, de la périphérie jusqu’au centre de la ville où la tour ressemble presque à un château où la servante doit rejoindre sa reine patronne. Le long métrage glisse ensuite de la chronique sociale naturaliste à la romance pour un rapprochement inattendu mélangeant peur et envies, avant que l’intrigue prenne un nouveau virage plus radical faisant tomber les barrières sociales et tous les tabous. Un étrange drame fantastique subversif hybride (portrait existentiel de l’humain face à l’animal, comédie sociale, politique) avec le mythe du loup-garou au Brésil comme colonne vertébrale dramaturgique à l’histoire. Un film aux multiples couches et aux nombreuses thématiques qui se dévoilent à travers une superbe mise en scène très esthétique allant du gothique de la première partie aux codes horrifiques dans la deuxième partie. Les cinéastes s’appuient sur un récit métaphorique, pour décliner une fable politique et intime où les rapports familiaux et maternels structurent les actes, sans oublier l’invitation à l’imaginaire. Malheureusement la narration elliptique s’avère trop longue et la première partie intrigante génère plus de plaisirs dans l’attente que la deuxième partie horrifique très réussie, mais plus convenue dans son traitement quand la lycanthropie voit le jour de façon monstrueusement superbe dans un écrin photographique coloré du plus bel effet de l’animatronique du bébé jusqu’à l’enfant de 7 ans et une fin abrupte particulièrement ouverte. Juliana Rojas et Marco Dutra offre une œuvre très ambitieuse en créant leur propre univers onirique et cauchemardesque, avec un talent certain pour repousser les frontières des genres. S.B De Juliana Rojas & Marco Dutra. Avec Marjorie Estiano... 2h15

29


SORTIES DU 28/03

MARIE MADELEINE

Le réalisateur Garth Davis revient deux après le plus ou mojns réussi ‘‘Lion’’ pour s’approprier l’histoire de Marie Madeleine, supposée «compagne» de Jésus, dernière à l’avoir vu mourir sur la croix et la première à l’avoir vu résuscité. Dans une dynamique féministe de l’industrie cinématographique, ‘‘Marie Madeleine’’ aurait pu tomber à point avec un personnage charismatique (Rooney Mara au visage d’ange) à qui l’on rend enfin justice - elle a longtemps été considérée comme une prositutuée et accusée d’avoir détourné Jésus de sa mission principale - malheureusement le film s’embourbe dans une sorte de road trip au christianisme indigeste (2h10 de métaphores en tout genre) ni forcément beau, ni forcément émouvant, force est de constater que Joaquin Phoenix n’a ni le charisme, ni la stature d’un leader comme Jésus. M.M De garth davis. Avec joaquin phoenix... 2h10

30


cRiTiQuEs

THE RIDER Ce sincère portait nous dépeint le destin de Brady, un jeune cowboy accidenté lors d’un rodéo, vivant dans la réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud aux États-Unis, au milieu d’une famille bancale. Découverte à la Quinzaine des réalisateurs en 2015 avec le touchant ‘’Les Chansons que mes frères m’ont apprises’’, la réalisatrice sinoaméricaine Chloé Zhao continue de creuser un sillon particulier sur l’Amérique, à travers ce deuxième émouvant long métrage. La réalisatrice repose sa caméra dans les mêmes décors que son précèdent film pour apporter un coup de projecteur sur le milieu fermé du rodéo à travers le parcours de Brady membre de la tribu des Sioux des Brûlés, véritable dresseur de chevaux sauvages, s’appliquant à le débourrer et les dompter avant la vente. La cinéaste choisit de montrer la vie quotidienne de ce jeune homme qui joue son propre rôle (comme les membres de sa famille et ses proches), et le parcours psychologique d’une existence à repenser loin des rêves de champion auxquels il aspirait. Fort de cette authenticité-là, Chloé Zaho n’oublie pas de créer du cinéma en nous offrant une mise en scène très contemplative aux allures de western élégiaque qui revisite les mythes du Far West. La cinéaste suit avec bienveillance cet être sans monture ni mère décédée trop tôt, subissant le regard d’un père accro aux machines à sous, à l’alcool et au «je» et responsable d’une sœur souffrant du syndrome d’Asperger. Tout le fragile récit quasi documentaire, tourne autour du point de vue de Brady sans espoir qui doit se reconstruire une place dans la société et le regard des autres. L’auteur s’appuie sur une narration lente pour mieux révéler l’intimité et la mélancolie de son personnage, obligé à une résilience pour continuer à avancer, qui passe par l’acceptation d’un travail de caissier, ou se faire un tatouage référence à sa passion ajoutant à cette mise en abîme une authenticité non feinte des désillusions et des envies d’espoirs devant soi. Brady se permet de «rêver» lors de fascinantes séances de dressages équestres. Chloé Zaho profite également de cette histoire pour rendre hommage avec détails aux laissés pour compte et au peuple amérindien du Lakota. À travers une photographie somptueuse, la réalisatrice peint sur les plaines sublimées par les sensationnels couchers de soleil du Dakota du Sud une autre vision de la masculinité du cowboy, loin de l’image d’un John Wayne ou d’un Gary Cooper. Un hommage aimant au cœur de cette Amérique rocailleuse qui ne voit les étoiles que dans le ciel ou sur le drapeau. S.B De Chloé Zhao. Avec Brady Jandreau... 1h45

31


THE DISASTER ARTIST Tout comme Woody Allen, James Franco est aussi dans le collimateur hollywoodien suite aux accusations d’agressions sexuelles qui pèsent sur lui depuis sa consécration aux Golden Globes. Il n’empêche qu’il serait fortement dommage de passer à côté du meilleur film sur le plus fantasque des cinéastes et son film considéré comme l’un (peut-être même le pire) des pires films au monde. Rapidement érigé au rand des nanars cultes, il était temps de rendre hommage à son créateur Tommy Wiseau, personnage

totalement à part mais qui a le une rencontre lors d’un cours de mérite d’aimer le cinéma comme théâtre où l’on découvre toute personne d’autre. l’ampleur du personnage Tommy Wiseau : excentrique, sans retenue, Pour ceux qui n’auraient pas vu passionné. Un personnage ‘’The Room’’ vous savez ce qu’il atypique qui attire immédiatement vous reste à faire et pour ceux l’oeil de Greg Sestero, un jeune qui l’ont vu, vous vous délecterez homme qui se rêve acteur mais d’avance de découvrir, au-delà incapable de prononcer une seule de la naissance de ce projet phrase devant un groupe de totalement fou, un personnage personnes. Deux personnalités excentrique et cette sorte de diamétralement opposées qui bromance qui née entre Tommy porteront à bout de bras le projet Wiseau et celui qui deviendra d’une vie (enfin surtout celui de son comparse de toujours Greg Tommy bien décidé à prouver Sestero. Tout commence par aux autres qu’il peut faire un 32


cRiTiQuEs bizarrement sincère, incroyablement drôle et parfois même émouvant. Parce que derrière l’exubérance du personnage, James Franco filme avant tout un amoureux du cinéma, rêveur et certainement pas réaliste mais c’est peut-être ce qui fait la magie du personnage. Un personnage bien mystérieux (à ce jour personne ne connait encore son âge, d’où il vient ni même comment il a trouvé ces 6 millions de dollars pour réaliser son film) dont émane un côté presque dramatique, jamais désespéré, qui lui confère un côté attendrissant presque insoupçonné. Sorte de ‘’La La Land’’ du nanar, James Franco explore le processus créatif d’un artiste, ses espoirs tout comme ses limites et le dur retour à la réalité sans jamais perdre l’aspect comique du film (qui s’appauvrit cependant un poil dans le dernier tiers du film).

De james franco. Avec james franco... 1h44

film) : ‘’The Room’’. Tourné en 2003, ce film où joue Tommy et Greg raconte l’histoire de Johnny et Lisa, un couple heureux en apparence sauf que Lisa voit en cachette le meilleur ami de Johnny, Mark. Une romance dramatique autant sur papier qu’à l’image. Mais ce qui tient probablement du génie dans ce film est la prestation de James Franco. Ahurissante, bluffante, il n’y avait que James Franco et sa folie habituelle pour incarner à l’écran Tommy Wiseau. Même mimique, même accent indéchiffrable, même extravagance. Et qui de mieux que son propre frère, Dave Franco, pour jouer le rôle de meilleur ami. Toute la bande de James Franco est là : Brie Larson femme de Dave Franco -, Seth Rogen et sans compter des cameos à profusion. Un véritable film de famille, 33

Joyeux bordel mené d’une main de maître par James Franco, ‘’The Disaster Artist’’ est un hymne à l’amour pour Tommy Wiseau mais aussi au cinéma et qu’au fond rien n’est jamais impossible. Véritable concentré d’humour, parfois même d’émotion mais surtout de belles barres de rires offertes généreusement, vive le cinéma, vive Tommy Wiseau. M.M


POURQUOI AIME-T-ON THE ROOM ? Au cours de 15 années séparant la sortie de ‘’The Room’’ de celle de ‘’The Disaster Artist’’, la notoriété de Tommy Wiseau et de son œuvre n’a jamais cessé de grandir de jour en jour. Si son culte est arrivé en France plus tardivement, cela ne l’a pas empêché d’avoir réussi à rassembler et à fidéliser une immense fan-base à travers le monde, égale à celle que peuvent désormais avoir des classiques du genre nanardesque comme ‘’Samuraï Cop’’, ‘’Hitman le Cobra’’ ou bien ‘’L’Homme-Puma’’. Mais ce qui distingue ‘’The Room’’ de tous ces produits issus de la culture eighties, c’est qu’il s’agit d’un film porté contre vents et marées par un seul homme, dont le rêve le plus cher n’aura été que de poursuivre son rêve américain. Dès lors, on ne peut s’empêcher de réfléchir sur les raisons, bonnes ou mauvaises, nous poussant à aimer cette œuvre désormais culte malgré elle. On entend d’ailleurs très souvent que ce culte se rapproche plus d’un phénomène de moquerie organisée, à la manière d’un « dîner de cons », par la venue fréquente de son réalisateur aux multiples projections du film. Cet élément est à prendre en compte, tant il semble évident que l’on n’apprécie pas nécessairement Tommy Wiseau pour sa vision artistique. Néanmoins, au-delà de ses qualités cinématographiques plus que discutables, il est indéniable que quelque chose ressort de The Room à son visionnage. Un envie de cinéma. Un rêve. Une âme. Il y a énormément de choses que l’on peut reprocher au film, ne serait-ce que dans sa thématique, son écriture, son casting, bref toute sa fabrication même. Mais force est de constater qu’au travers des fonds verts mal incrustés et des scènes de sexe à la logique anatomique toute relative, un vrai aspect attachant se ressent instantanément dès les premières images, comme si l’on sentait bien malgré-nous toute la foi d’un réalisateur en son projet. C’est pour cette raison que beaucoup de personnes aiment et soutiennent ‘’The Room’’, parfois même à l’excès. Non pas pour s’en moquer comme dans une cour de récré, mais plutôt pour montrer un profond et véritable amour pour un film qui, même s’il rate tout ce qu’il l’entreprend, l’a fait avec sincérité, voire naïveté. La culture du nanar a toujours été ainsi et The Room n’est certainement pas le premier film a avoir été moqué de cette manière, mais il est certain que le film génère des réactions bien plus attentionnées que de nombreux autres nanars qui eux, ont été tournés dans le désintérêt le plus total par des réalisateurs et producteurs méprisant leur public. Pour ce qui est de la réaction de l’intéressé en question, il est probable que personne ne saura jamais vraiment ce qu’il pense réellement de tout cela. Certains pensent qu’il en joue avec auto-dérision tandis que d’autres estiment qu’il est sûrement trop naïf pour se rendre compte de ce qui lui arrive. Ce qui est sûr, c’est que cela n’a pas empêché le bougre de s’engouffrer dans la faille la plus capitaliste de son rêve américain 34


et de créer un véritable business de produits dérivés en tous genre, avec grand succès. Alors peut-être qu’après tout, même s’il ne l’a pas trouvé là où il l’aurait voulu, Tommy Wiseau a bel-et-bien accompli son objectif de vie. A la manière d’une séance endiablée du Rocky Horror Picture Show, voir ‘’The Room’’ nous dévoile une facette nettement plus ludique du cinéma, bien loin de l’académisme parfois élitiste dont il peut souvent faire preuve. Une facette où, contre toute attente, la sincérité et l’honnêteté prime sur la qualité. Il serait indécent de dire que cette sincérité rend le longmétrage meilleur, mais on peut affirmer sans faille que c’est ce qui le rend attachant, plaisant et surtout, humain. Et si ça n’était pas ça avant-tout, le cinéma ? T.R

THE ROOM AU GRAND REX : LE WTF LE PLUS TOTAL Pour sa diffusion sur l’écran géant de la salle, Le Grand Rex n’a pas fait les choses à moitié en invitant ni plus ni moins que Tommy Wiseau et Greg Sestero. Deux soirées complètes et absolument surréalistes. Après des signatures et photos pour les plus téméraires prêts à acheter quelque chose sur le stand (le bonhomme sait rentabiliser son affaire depuis des années), Tommy

Wiseau fait le show sur la scène du Grand Rex avec une aisance et une folie absolument singulière. A 21h, les spectateurs découvrent ou redécouvrent ‘‘The Room’’ et le spectacle le plus wtf n’a pas lieu sur l’écran non, il a bien lieu dans la salle entre lancée de cuillères (en plastique évidemment), huées pour Lisa qui ose tromper Johnny et des spectateurs qui demandent humblement - comprenez en 35

hurlant - de fermer ces fichus portes. Incensé pour certains, inutile pour d’autres, moqueur… Comprendre la folie autour de The Room et de son créateur relève du mystique. Cependant force est de constater que le public vit le film à 200% et rien que pour ça, on peut dire chapeau à Tommy Wiseau qui a réussi à fédérer autant de monde autour d’un nanar qui est désormais culte. M.M


CANNON MON AMOUR !


Pour les amoureux du cinéma béni des 80’s, impossible de ne pas racoler au mot «nanar» ou à l’appellation bien plus savoureuse de «B Movie de luxe», le nom de la regrettée Cannon, studio de l’impossible à la trajectoire aussi fulgurante que sa chute fut retentissante, dont les titres à la qualité férocement diverse, résonnent encore dans les coeurs et mémoires de cinéphiles beaucoup trop endurcis pour l’admettre sans un sourire en coin. Plus vite que la pilule rouge de tonton Morpheus, ces pages vont vous faire (re)tomber avec nostalgie dans le pays des Merveilles d’une époque sincèrement magique... Par jonathan chevrier


Il était une fois en 1979, dans le monde féérique d’Hollywood où tout est (faussement) permis, deux cousins autant possédés par l’amour du septième art que par l’envie furieuse de bouffer par la racine l’American Dream, le producteur réalisateur Menahem Golan et son administrateur Yoram Globus, vont se lancer dans une conquête du business aussi rocambolesque que mémorable, dont les exploits sur pellicule vont retentir dans l’histoire du cinéma ricain - mais pas que - pendant des décennies et des décennies. Rachetant une petite compagnie spécialisée dans les bandes horrifiques au rabais et les bandes un peu cul, la Cannon, les deux cousins vont littéralement la métamorphoser en faire une fantastique étoile filante au modèle économique proprement catastrophique (produire en

masse pour compenser une pluie d’échecs ou de succès timides), qui n’aura eu de cesse de fuir en avant jusqu’à l’inévitable banqueroute à l’aube des années 90, avec le rachat douteux par une MGM qui connaîtra ironiquement le même sort quelques années plus tard. Plus de dix ans d’une douce folie où le génialement jouissif croisera sans trembler le nanardesque indéfendable, où les genres les plus improbables se mélangeront dans un melting-pot aussi indigeste qu’attachant dans son ensemble; une putain d’anomalie indépendante au coeur du système Hollywoodien dirigé par un Orthos mégalomane qui, de manière totalement improbable dans les grandes heures de son odyssée, arrivera même à concurrencer les majors reines sur leur propre terrain du gros cinéma purement commercial, avec des semi-blockbusters. 38

Car la Cannon a tout produit : du polar hard boiled à la comédie musicale, en passant par du film d’art martiaux, de la comédie musicale, du péplum, du thriller SF et même du film d’auteur visant à draguer les festivals les plus prestigieux (avec des Cassavetes, Godard ou Zeffirelli à la barre); le tout porté par des figures de proue autant maison (Michael Dudikoff, Jean-Claude Van Damme, David Bradley et Shô Kosugi) qu’à la célébrité déjà établie voire (é) prouvée (Charles Bronson, Chuck Norris, Franco Nero et dans une moindre mesure, Sylvester Stallone).


Une firme aux productions décomplexées - et le mot est faible -, qui auront bâti par la force démente de leur pouvoir d’attraction et du plaisir coupable qu’ils incarnent, la légende d’un culte qui n’a décemment rien perdu de sa superbe avec le temps.

KUNG-FU NG-FU FOU Le cinéma d’arts martiaux est en plein essor au début des 80’s, bien aidé autant par le culte d’un Bruce Lee encore pleinement dans les mémoires depuis sa disparition tragique, que par l’arrivée massive de péloches venu du pays du Soleil Levant (les tataneries délirantes de Jackie Chan en tête).

39


Raison de plus selon le nez très fin de Menahem Golan, pour importer la sauce en terres US, et de produire des films de castagnes ninjas avec des héros occidentaux, quitte à ce que les héros euxmêmes, ne sachent ni jouer, ni réellement se bagarrer... comme Franco Nero, légende du western spaghetti (le Vrai Django, c’est lui), qui pour ‘’L’Implacable Ninja’’ de Golan justement, se fera doubler par le cascadeur Mike Stone - un temps voulu comme le rôle-titre une fois qu’il aura revêtu sa tenue de ninja.

‘’L’implacable Ninja’’, premier opus de l’une des premières vraies franchise de la firme - ‘’Ninja’’ -, qui connaîtra d’ailleurs plusieurs suites d’excellente facture (surtout le second, ‘’Ultime Violence’’), toutes portés par Shô Kosugi, ancien cascadeur catapulté figure de proue du giron «ninja» de la Cannon, avec le musclé David Bradley et (surtout) le blondinet Michael Dudikoff. Moins expérimenté en matière d’arts martiaux, le bonhomme fait pourtant méchamment illusion au sein de la populaire franchise ‘’American Warrior’’ (également un temps porté par Bradley) dans la peau de Joe Armstrong, soldat ricain élevé au Japon dans la plus pure tradition ninja, qui fera régner l’ordre dans des opus à la limite du Z (le franchement génial ‘’American Ninja 2 : Le Ninja Blanc’’), accompagné de son fidèle ami à la gouaille d’enfer, Curtis Jackson (immense Steve James).

40


La timbale, Golan la décrochera avec les aptitudes physiques et scéniques (non, JCVD n’est pas un mauvais acteur) du karatéka belge Jean-Claude Van Damme, second couteau de luxe dans une flanquée de péloches maisons (‘’L’Arme Absolue’’ avec la star Shô Kosugi où il campe un agent secret russe, le mémorable ‘’Karaté Tiger’’ où il campe à nouveau un russe, karatéka cette fois), avant de littéralement crever l’écran dans ce qui reste l’un des B movie les plus cultes des années 80 : ‘’Bloodsport - Tous les coups sont permis’’. L’histoire, on la connaît tous : JCVD supplie le

nabab de lui confier le lead-in de ce simple scénar qui croupissait sur une étagère, le tourne sous la houlette d’un Newt Arnold peu inspiré, avant d’être obligé de remonter le tout à la va-vite (et d’accentuer l’impact des scènes d’action). Résultat, le film débarque non plus en VHS mais dans les salles et cartonne, Frank Dux étant dès lors le billet vers le star-système pour un Van Damme qui restera fidèle à la firme en tournant le sympathique ‘’Cyborg’’, bande post-apo à la violence assumée, où le comédien incarne un Mad Max du pauvre...

L’A L’AIMANT À STARS Aussi fou que cela puisse paraître, la Cannon aura réellement su attirer durant sa courte existence, une pléthore de grands noms du cinéma d’action - mais pas que -, venus autant remplir leur compte en banque que cachetonner dans des productions parfois (très) limitées - on pense à Stallone avec ‘’Cobra’’ mais surtout ‘’Over The Top’’. Mais les deux têtes de gondoles de la firme auront clairement été Charles Bronson et Chuck Norris, deux comédiens à la renommée imposante, l’un étant au crépuscule de sa carrière (Bronson), le second à son apogée (Chuck).

41


Vexé d’avoir été considéré trop vieux par John Carpenter pour camper Snake Plissken dans le vénéré ‘’New-York 1997’’, Bronson signera sans trop de réticence le juteux contrat que lui propose Menahem Golan - 1 million et demi de $ -, et n’aura de cesse que de reprendre la panoplie de l’architecte vigilante Paul Kersey, dans un nombre incalculable de vigilante flick torchées en quatrième vitesse que de suites

au merveilleux ‘’Un Justicier dans la Ville’’ de Michael Winner - ellemême décliné par la Cannon avec l’excellent dyptique ‘’The Exterminator’’ -; dite suites qui laissent à penser que la famille Kersey est la plus poissarde de toute l’histoire de la série B... Du pur produit d’exploitation solide (‘’Un Justicier dans la Ville 2’’, ‘’Kinjite - Sujets Tabous’’), au jubilatoire WTF-esque (‘’Le Justicier de New-York’’, ‘’Le Justicier Braque

42

les Dealers’’), en passant par le thriller de bas étage (‘’Le Messager de la Mort’’, ‘’La Loi de Murphy’’, ‘’Le Justicier de Minuit’’, avec son climax dantesque où il court dans les rues, en pleine nuit, après un tueur littéralement à poil); les Bronson movies peuvent presque se voir comme des compléments délurés à la franchise ‘’Dirty Harry’’, qu’ils auront d’ailleurs pillé sans le moindre remords.


De son côté, Carlos «Chuck» Norris lui, devenu célèbre en tant que victime de Bruce Lee dans l’inestimable ‘’La Fureur du Dragon’’ (le meilleur Lee, tout court), s’imposera carrément comme un égal à Schwarzenegger et Stallone dans des actionners qui démontreront par A+B son amour pour les armes (le bonhomme est républicain et soutien fortement la NRA). La trilogie ‘’Portés Disparus’’ en tête, où il campe le charismatique colonel des Forces Spéciales américaines James Braddock (sorte de John Rambo, en plus barbu et moins torturé), parti pour sauver ses camarades de guerre au Vietnam tout en remettant les pendules de l’histoire US à l’heure en zigouillant des méchants communistes vraiment méchants.

Manichéen, généreux en action, la trilogie (le troisième, incohérent mais fun, est le moins défendable) est prise en grippe par la critique mais adulé par le public en salles, ce qui pousse la Cannon à donner carte blanche pour une accumulation de films réacs estampillés Norris aux traductions VF anthologiques, du bandant ‘’Invasion U.S.A’’. («Toi, tu te casses ou tu vas repartir avec la bite dans un tupperware… « mais surtout «Toi, tu commences à me baver sur les rouleaux !») aux deux ‘’Delta Force’’ (ou quand la Cannon nous éduque sur les tenants ahurissants de la ligne gouvernementale indéfendable de la politique Reagan), en passant par le wannabe Indiana Jones ‘’Le Temple d’Or’’. Des péloches franchement régressives qui ne feront que bâtir la légende du désormais célèbre Walker, Texas Ranger, et qui auront permis de lancer le plus fun des trollages internet : les Chuck Norris Facts, dont l’aboutissement ultime est d’avoir vu Norris himself s’en moquer dans ‘’Expendables 2 : Unité Spéciale’’.

43


Mais plus que les comédiens, la Cannon aura également attiré dans ses filets des cinéastes de renom, que ce soit pour des expériences douloureuses (Zeffirelli avec ‘’Othello’’, Goddard avec ‘’King Lear’’, Schroeder avec ‘’Barfly’’) ou plus heureuses (Cavani avec ‘’Berlin Affair’’, Cassavetes avec ‘’Love Streams’’). Et son plus gros hold-up restera sûrement d’avoir su convaincre le regretté Tobe Hopper de signer pour eux quelques-uns de ses meilleurs films : l’ambitieux et déluré ‘’LifeForce’’ (avec une Mathilda May à tomber), le remake inspiré des ‘’Envahisseurs de la Planète Rouge’’, ‘’L’Invasion vient de Mars’’, mais surtout l’injustement conspué ‘’Massacre à la Tronçonneuse 2’’; suite aux antipodes du film original, volontairement baroque et barrée, dans laquelle surnage un Dennis Hopper des grands jours.

MENAHEM FAIS-MOII PEUR Outre sa volonté de loucher vers le péplum et l’héroïc fantasy de bas étage post-‘‘Conan le Barbare’’ (même si ‘’Les Barbarians’’ avec les jumeaux David & Peter Paul et Lou « Hulk « Ferrigno, reste toujours aussi fun), le mégalomane Menahem Golan aura surtout surpris son monde dans sa volonté de produire rien de moins que des blockbusters couteux, et de boxer dans une cour des grands où il n’était décemment pas le bienvenue.

44


Véritable cas d’école, qui précipitera autant le destin de la firme que de l’Homme d’Acier sur grand écran (qui mettra près de deux décennies avant revenir), ‘’Superman IV’’, porté par des effets spéciaux pitoyables (la faute à un budget tout riquiqui) et un Christopher Reeve qui se demande bien ce qu’il fout là (Golan l’avait piégé en l’appâtant avec le douloureux drame ‘‘La Rue’’ de Jerry Schatzberg, drame sur le milieu du proxénétisme et de la prostitution) est une catastrophe sans nom, presque aussi indéfendable que l’adaptation live du dessin animée ‘’Les Maîtres de l’Univers’’, ou Dolph «Drago» Lundgren en slip et tout de muscles sortis, cachetonne joyeusement dans un sous-‘’Star Wars’’ devenu sympathique avec le temps. Deux fours monumentaux aux pertes colosales, que les recettes des succès d’estime des nombreux actionners de la firme n’auront pas su combler, et qui nous auront privés de quelques projets franchement alléchants/flippants sur le papier.

Outre un ‘’Superman V’’ et un ‘’Masters of The Universe 2’’ tués dans l’oeuf, la Cannon avait développé un monster movie avec Charles Bronson, ‘’The Golem’’ (monstre fait d’argile issue du folklore juif, qui aurait mit à feu et à sang la Grosse Pomme avant que Paul Kersey ne le vire à coup de bazooka), une relecture du mythe de Pinocchio façon SF robotique sous la houlette de Tobe Hooper (‘’Pinocchio The Robot’’ avec, un temps, feu Lee Marvin en Gepetto), un ‘’Captain America’’ où Red Skull vole rien de moins que la Statue de la Liberté (projet in fine totalement différent et tourné par Albert Pyun sous la bannière de la 21st Century Fox); mais surtout un film ‘’Spider-Man - The Movie’’, passé entre les mains de Tobe Hooper, Joseph Zito (‘’Portés Disparus’’, ‘‘Invasion U.S.A.’’) et Albert Pyun (‘’Cyborg’’, ‘’Kickboxer 2’’ et 4), et qui aurait vu Spidey se friter avec le Dr Zork, un vilain fabricant des mutants à la chaîne... 45


HOLLYWOOD’S NEXT BIG THING

TYE SHERIDAN OLIVIA COOKE 46


Lui, a débuté avec force face à rien de moins que l’immense Brad Pitt sous la caméra enivrante et contemplatrice de Terrence Malick, dans le chef-d’oeuvre ‘’The Tree of Life’’ reparti de la croisette cannoise en 2011 avec la Palme d’Or. Elle, pour son premier grand rôle sur le petit écran, a joué les BFF fragile de la légende de l’horreur Norman Bates dans l’extraordinaire ‘’Bates Motel’’, qu’elle aura illuminée de sa grâce - avec la sublime Vera Farmiga durant cinq saisons. Lui, a tissé des liens puissants sur grand écran et rendu meilleur Matthew McConaughey, Jack Huston et surtout Nicolas Cage,

tout en jouant les mutants juvéniles au regard ravageur - Cyclope pour la franchise ‘’X-Men’’. Elle, n’a pas hésité à donner physiquement de sa personne (elle s’est rasé la tête pour le très beau ‘’This is not a Love Story’’), à devenir une tueuse en série terrifiante dans le Londres de la fin du XIXème siècle (‘’Golem, Le Tueur de Londres’’) et même à fighter du revenant pas gentil (‘’Ouija’’). Ensemble, ils ont tourné pour Terrence Malick, Jeff Nichols, Alfonso Gomez-Rajon, Juan Carlos Medina, David Gordon Green, Rodrigo Garcia, Bryan Singer et... Steven Spielberg, pour ‘’Ready Player One’’. 47

Vedettes titres de ce qui est, sans l’ombre d’un doute, le blockbuster de plus attendu de l’année ciné 2018 - avec ‘’Mission : Impossible - Fallout’’ -, les deux jeunes comédiens auront la lourde tâche de rendre vibrante et attractive cette chasse au trésor dans l’univers virtuel et fantastique d’Oasis; certainement leur billet first class pour définitivement s’imposer au sein de la tortueuse jungle Hollywoodienne. On ne doute décemment pas d’eux pour nous éblouir et nous divertir d’ici le 28 mai prochain, et encore moins de ce bon vieux papy Spielberg... J.C


DE LA BANLIEUE SAMUEL BENCHETRIT AUX CÉSARS 48


pOrTrAiT Il a l’œil rieur et le regard empli d’une douce mélancolie. On ne sait jamais s’il est sérieux, ou s’il se moque de nous, mais ce que l’on sait c’est qu’il transpire la bienveillance et démontre avec panache que qu’on peut allier art et bons sentiments. Ecrivain, dramaturge, peintre, acteur, réalisateur, parolier, père, Samuel Benchetrit multiplie les cordes à son arc. Pourtant, rien ne prédestinait ce môme des banlieues à entrer dans le monde du cinéma et de la littérature si ce n’est une sensibilité exacerbée et développée au contact de l’art. Il quitte le lycée à 15 ans, sans aucun diplôme en poche, enchaîne les petits boulots avant de débarquer dans la capitale, il apprend la photo mais lui, ce qu’il veut faire c’est du cinéma. Ce à quoi il consacre tout son temps libre tournant ses premiers courtmétrages. Ce sont ses premiers pas et pourtant l’essentiel de la marque benchetritienne est là : de la tendresse, un humour à la fois noir et loufoque parfois cocasse ou burlesque combiné à une intelligence du texte et une esthétique déjà réfléchie, mêlant mélancolie et humour comme politesse du désespoir. Cet humour mélancolique ne cessera de se retrouver dans ses romans ou ses pièces de théâtres comme dans ‘’Moins deux’’, pièce sur la mort pleine d’humour écrite pour consoler Jean-Louis Trintignant de la perte de sa fille (Marie Trintignant).

Marie Trintignant fut la première rencontre déterminante dans la carrière du jeune réalisateur. Elle est sa première épouse et la mère de son premier enfant. En 2017 il lui rend hommage dans un récit vibrant. Dans ‘‘La nuit avec ma femme’’, il transforme la douleur en tendresse et la violence en sagesse. Une vraie déclaration d’amour. Anna Mouglalis fut la seconde femme à compter dans la vie de l’artiste qui en fait sa muse avec un film audacieux, drôle et surprenant : ‘’J’ai toujours rêvé d’être un gangster’’, film à sketches qui emprunte à Scorcese, Jarmush ou Brautighan. Il lui confie également un rôle dans tout ses films de 2008 à 2014. Période durant laquelle, elle lui réapprend à aimer, lui donne la confiance dont il a besoin ainsi qu’un second enfant. Néanmoins, ayant du mal à financer ses films, c’est sur les conseils de son ancien beaupère et désormais ami Jean-Louis Trintignant que Samuel Benchetrit retourne à son amour pour la littérature. Après son premier ouvrage, ‘’Récit d’un branleur’’, sorti en 2000, c’est avec les trois premiers volumes des ‘’Chroniques de l’Asphalte’’ puis avec ‘’Le Coeur en dehors’’ qu’il connait le succès. Nous sommes en 2005, c’est la crise des banlieues, alors il prend la plume afin d’en montrer une autre image. Celle de la banlieue où il a grandi, entouré de l’amour et de la douceur de ses parents et de ses amis. Dans ses écrits, 49

la banlieue est loin des images sensationnelles et des clichés véhiculés par les médias. C’est là que grandissent des dizaines de petits Bench’ et Charly : des enfants vifs et talentueux. Cette poésie si singulière, il la retranscrit dans ‘’Asphalte’’, premier film qui marque le début d’un cinéma personnel qui lui vaut la reconnaissance de ses paires une nomination aux Césars. Après s’être essayé à différent genre de la comédie (‘‘Chez Gino’’), au drame (‘’Un Voyage’’), en passant par le film à sketch, (‘’J’ai toujours rêvé d’être un gangster’’), . Singulier, drôle, touchant, plein d’humanité, ‘’Asphalte’’ ne trahit pas le charme des nouvelles. Entre onirisme et absurde, on est toujours étonné mais jamais dérouté. Il a su, au moyen de trois fables intemporelles, dévoiler l’intime et l’invisible sans jamais tomber dans l’impudeur. Samuel Benchetrit a su faire de son handicap d’être né en dehors du cercle – qu’il considère encore comme un complexe – une force, comme de chacune de ses faiblesses d’ailleurs, ce qu’il traduit dans un très beau texte nommé «Chant d’honneur» que son ami Raphael – qui signe la B.O d’Asphalte – a mis en musique. Émotions sublimées, humour fantasque et décalé, pudeur et poésie c’est la signature de Samuel Benchetrit qui sort son prochain film ‘’Chien’’ adapté du roman éponyme le 14 mars prochain. C.D


L’AVENTURIER DU CINÉMA ÉCLECTIQUE 50


à deux semaines de la sortie de ready player one, le dernier bébé du géant spielberg, l’équipe de désolé j’ai ciné revient sur son fIlm spielbergien préféré et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y avait du choix !

51


LE FILM DE JONATHAN

LA GUERRE DES MONDES Le début des années 2000 l’avait doublement prouvé avec panache : Steven Spielberg opérait un virage sensiblement adulte dans son approche du septième art par la force de propos SF forts, sans pour autant laisser sur le carreau son statut d’entertainer génial. Une métamorphose radicale (que l’on impute directement à la disparition de son défunt ami l’immense Stanley Kubrick), débuté par ‘’A.I’’ (douloureux mélodrame sur l’abandon), confirmé avec ‘‘Minority Report’’ (critique virulente sur la politique sécuritaire des USA) et totalement achevé avec ‘’La Guerre des Mondes’’, nouvelle adaptation du roman de H.G. Wells qui s’apparente presque comme le premier - et seul - film horrifique du cinéaste à ce jour. Pure expérience physique et sensorielle impliquant un auditoire qui ne peut que faire corps avec le cauchemar ambulant dans lequel il est catapulté sans concessions, ‘’War of The Worlds’’ est un condensé de terreur brutale et cruelle où les moments d’anthologie sont légion. Vrai pamphlet habité sur le gouvernement de Bush pointant autant du doigt l’individualisme de ses citoyens que sa folie patriotico-guerrière et militaire, Spielberg frappe là où ça fait mal dans cette odyssée apocalyptique inconfortable où l’humanité est impuissante face à la loi du plus fort, tutoyant la mort par le prisme d’un point de vue isolé : la tentative de survie extraordinaire et quasisuicidaire d’une famille lambda. Porté par une mise en scène épurée et complexe, mettant en valeur l’inconnu et le fond de l’image (où l’horreur est bien réelle), se payant quelques écarts iconoclastes jamais indigestes, ‘’La Guerre des Mondes’’ est une relecture à peine masquée de sa ‘’Liste de Schindler’’ à la puissance évocatrice imparable (un train en feu lancé à vive allure suffit à vous glacer le sang). Alors certes, même s’il est un poil tronqué par un happy end prévisible, le film, loin d’un divertissement popcorn basique racoleur de billets verts, est un sommet de cinéma racé et primitif, dont la brutalité n’a d’égale que son intelligence.

52


LE FILM DE SEB

LE PONT DES ESPIONS Un palpitant film d’espionnage à l’ancienne racontant l’histoire d’un avocat spécialisé dans les assurances qui va se trouver chargé de défendre un espion russe, puis négocier la libération du pilote d’un avion espion américain U-2 qui a été capturé en plein cœur de la Guerre Froide. Steven Spielberg s’empare magistralement de ce destin individuel pour nous plonger dans les coulisses de l’histoire avec élégance et humanité. Le réalisateur déploie une mise en scène élégante, classique, où chaque plan est signifiant (premier plan donne le ton sur la duplicité des hommes), il nous livre une reconstitution brillante du climax de l’époque des années 50. Maitrisant l’art cinématographique comme un vieux sage, se reposant sur un scénario solide (tiré de faits réels) où les frères Joel et Ethan Coen apportent leur patte humoristique salutaire à cette œuvre hommage aux grands classiques du genre américain, le cinéaste à son meilleur, nous livre une partition sans fausse note. Un long métrage en clair-obscur (magnifique photographie), qui malgré son rythme lent et bavard ne manque pas de rebondissements. Un long métrage brillant porté par l’impeccable Tom Hanks qui nous régale dans cet avocat homme courageux profondément humaniste et convoque le personnage de James Stewart dans le chef-d’œuvre ‘’Monsieur Smith au Sénat’’ (1939) de Frank Capra. Une œuvre académique, pertinent miroir de l’Amérique actuelle. Thriller historique sobre, intelligent, efficace, un grand Spielberg !

53


LE FILM DE CORALIE

LA LISTE DE SCHINDLER Avec ‘’La Liste de Schindler’’, Spielberg s’attaque pour la première fois à la réalité ou plus exactement au traitement de la réalité sur un mode fictionnel. Le film avant de traiter de la Shoah est le portrait d’un industriel, à la personnalité complexe et ambigu aussi généreux que détestable, ce qui en fait un personnage profondément humain. C’est en grande partie sur la construction romanesque de ce personnage que l’intrigue s’appuie. Il existe donc au cœur de ce projet le désir de redonner vie à un homme à la personnalité haute en couleur et aux actes digne d’une fiction qu’elle soit romanesque ou cinématographique. Néanmoins, Spielberg ne se cache pas derrière cette mise en récit romanesque pour oublier les enjeux propre de la représentation de la tragédie du 20e siècle : l’Holocauste. L’esthétique ne laisse rien au hasard, pour tenter de montrer l’inmontrable avec respect et probité. Près de la moitié du film est tourné caméra à l’épaule comme en témoigne la scène de la femme sous la douche ou cette longue scène insoutenable de quinze minutes où tous tentent d’échapper à la mort. Ces deux scènes filmées avec beaucoup de froideur et un certain recul, contrastent avec le lyrisme de la musique ou l’espérance que porte ce film, mettant en question l’esthétique propre au reportage voire au reportage d’actualité. En effet, ‘’La Liste de Schindler’’ est le premier film de Spielberg qui s’attaque à la réalité. Ce soudain besoin de mettre en scène une histoire dérivée du génocide juif répond à l’actualité à savoir le génocide qui se déroule en Bosnie à cette époque. Dès lors, cette sobriété adopté par Spielberg, démontre avec brio que la réalité dépasse parfois la fiction montrant l’inimaginable, l’inhumain, tout en posant la question de la fictionnalité du reportage. Comment par le choix du cadre, de la composition de ce que l’on filme, le reportage dit d’information ou d’actualité contient-il une part de mise en récit ? C’est une des questions qui renvoie à un monde de l’image que pose ce film. Ainsi, malgré une longueur qui peut paraître excessive (plus de trois heures), ‘’La Liste de Schindler’’ parvient à raconter l’indicible - tout en engendrant des réflexions à la fois éthique et ancrée dans l’actualité - grâce à une mise en récit qui parfois l’emporte sur l’Histoire percutant durablement le spectateur. 54


LE FILM DE TANGUY

JURASSIC PARK Parmi l’incroyable quantité de films mythiques dont Steven Spielberg est à l’origine, il est indéniable que ‘’Jurassic Park’’ est très certainement celui ayant le plus marqué l’enfance de nombreux jeunes cinéphiles, même encore aujourd’hui. A une époque où 99 % de nos blockbusters actuels ne sont uniquement composés que d’effets spéciaux numériques (pas toujours bien finalisés), ‘’Jurassic Park’’ parvient malgré tout à encore nous impressionner par sa richesse visuelle couplée à une économie de moyens folle, privilégiant l’esprit d’aventure à celui du «toutspectaculaire». Parfaite métaphore de la création et de l’obstination d’un homme face à celle-ci, ‘’Jurassic Park’’ est un film qui nous emporte et arrive à transmettre à son spectateur une palette immensément riche d’émotions, de la comédie à la découverte, pour finir sur de l’horreur pure. Chaque scène a été travaillée avec minutie par un réalisateur au meilleur de sa forme et ayant comme seule ambition de franchir les barrières de l’imagerie numérique, sans néanmoins délaisser son histoire pour autant. Le résultat, nous le connaissons tous et toutes. ‘’Jurassic Park’’ fît un véritable carton au box-office mondial et lança une mode incessante de dinosaures en tout genre et à toutes les sauces, pour le meilleur mais surtout pour le pire. Car dans toute cette mode, seul Steven Spielberg avait compris l’essence de leur mythologie et avait donc décidé de ne conserver qu’un point de vue purement humain, rendant plus incroyable encore la découverte de cet univers, magnifié par la bande-originale somptueuse de John Williams. Malheureusement pour nous, la réussite totale de ‘’Jurassic Park’’ ne restera limitée qu’a un seul film et même le chef himself n’arrivera pas à égaler le même niveau avec ‘’Le Monde Perdu’’, qui lui servira plus d’œuvre cathartique après un tournage éprouvant sur ‘’La Liste de Schindler’’. Reste que le premier opus, même 25 ans après sa sortie initiale, continue et continuera d’enchanter son audience et de montrer à qui veut l’entendre qu’avec le cinéma, tous nos rêves peuvent se réaliser. 55


LE FILM DE MARION

IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN Steven Spielberg est un véritable maître du box-office. Passant du dramatique au grand spectacle, le cinéaste moderne ne cesse de s’imposer comme un véritable réalisateur à part entière à l’empreinte unique. Avec ‘‘Il faut sauver le soldat Ryan’’, Spielberg s’attaque brillamment à l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire. Les premières minutes du film retracent le débarquement, projetant le spectateur dans une espèce d’horreur apocalyptique. Le réalisateur ne triche pas et nous démontre toute l’atrocité de la guerre à travers des bains de sang et divers détails gores qui ponctueront son œuvre. L’intensité du film retombe ensuite pour ouvrir l’intrigue. L’histoire du capitaine Miller, chargé d’une mission périlleuse; celle de retrouver le soldat James Ryan dont les trois frères sont morts au combat, pour le ramener sain et sauf chez lui. Tandis que la brigade progresse à la recherche du soldat, une question existentielle surplombe les esprits : Est-il juste de risquer la vie des huit hommes à défaut de n’en sauver qu’un seul ? ‘‘Il faut sauver le soldat Ryan’’ est une expérience éprouvante à travers son réalisme qui nous glace le sang et nous coupe le souffle. Spielberg tombe cependant parfois dans le cliché du «film patriotique» (même s’il assume tout à fait ce choix) mais qui - selon moi - n’enlève rien à l’authenticité de son œuvre. Comme à son habitude, Tom Hanks crève l’écran, au sommet de son art, dans la peau d’un chef qui a le sens du sacrifice et des véritables valeurs. Spielberg approfondira ensuite son incroyable fresque historique avec ‘’La Liste de Schindler’’ prouvant avec force son génie artistique, sur des thèmes profondément difficiles. L’un des meilleurs films de guerre du cinéma moderne, mettant en lumière la moralité qu’une vie, si insignifiante qu’elle puisse paraître, vaut bien tous les sacrifices.

56


57


SPIELBERGÂ : LE DOUBLE FACE DU TER-TER 58


Steven Allan Spielberg est un nom qui envoie du pâté de haute qualité provenant d’une agriculture respectueuse, c’est clair et net. Connu pour... tous ses films, il est le cinéaste le plus important de ses 40 dernières années et celui dont les films ont bercé de nombreuses enfances. Cependant, son œuvre n’est pas cantonné au cinéma pour enfant et à du simple divertissement, il est aussi l’un des cinéastes les plus polyvalent de l’industrie. En 1974, outre la sortie du film ‘’Emmanuelle’’, c’est aussi celle de ‘’Sugarland Express’’, premier long-métrage de Stevie. Ce film, malgré sa bofitude, pose les premières bases de son cinéma : d’un côté les films de divertissement, ce sont ses films les plus connus et ceux qui se rapprochent le plus de l’enfance et la seconde catégorie qui aborde des thèmes plus sérieux, comme la guerre, avec un ton généralement plus grave. Une première catégorie de films qui commence avec ‘‘Sugarland Express’’ son premier film. Il raconte l’histoire de Clovis Poplin qui va s’évader de prison à l’aide de sa femme pour aller récupérer les gamins qui sont à Sugarland. Du bon gros délire quoi. Pas de bol, ce sera un échec commercial (assez drôle quand on voit que ses prochains films seront des succès plutôt gigantesques), et Spielberg reniera ce film, à tel point qu’il est maintenant compliqué de se le procurer. Faut dire que ce n’est pas le meilleur de sa filmographie. Mais, je ne le répéterai jamais assez : c’est un premier film, et un premier film c’est rarement un chef d’œuvre. Avez-vous peur des requins ?

Bien sûr que non, nous sommes d’accord. Cependant, ‘‘Les Dents de la mer’’ de 1975 aurait pu vous faire changer d’avis. Second film de Steven Spielberg, il est le premier blockbuster de l’Histoire du cinéma. Le film, vous le connaissez, il raconte l’histoire d’un requin méchant pas beau qui bouffe tout le monde. Qui dit blockbuster, dit divertissement. Ce film aura un impact monstrueux sur Hollywood, et nombre des prochaines productions signées Steven Spielberg auront des influences similaires.

des merveilles. Il est celui qui sait le mieux parler des enfants, et celui qui sait le mieux parler aux enfants. Il utilise les enfants comme matériau de base, et leur fait traverser des aventures parfois aussi cruelles que celles d’adultes. C’est son terrain de jeux, l’enfance. Tous les autres metteurs en scène préfèreraient faire jouer des adultes, car c’est beaucoup plus évident. Mais pas notre cher Steven, qui a vu en eux un potentiel inexploité, une ouverture vers des histoires fantastiques.

‘’Rencontres du troisième type’’ de 1977 suit de près ‘’Jaws’’, et le succès phénoménal de celuici poussera le jeune réalisateur à se lancer dans des projets encore plus ambitieux. Dans ce célèbre film de science-fiction, qui faisait directement concurrence au peu connu ‘’Star Wars’’ d’un dénommé George Lucas, Spielberg aborde le sujet de manière très différente de son copain Lucas. Dans ce film, il réunit beaucoup de thèmes qui lui sont chers comme le pacifisme, la tolérance et en prime il est cool, donc cool + cool = GigaCool. Et évidemment il continuera avec les désormais célèbres ‘’Les Indiana Jones’’, ‘’E.T.’’, ‘’Jurassic Park’’, ‘’A.I.’’, ‘’Catch Me If You Can’’ … Et à travers ses films, on peut dénoter plusieurs récurrences. Par exemple, le fait d’utiliser des animaux comme principaux antagonistes de certains films, la critique de la société et plus particulièrement de l’administration qui laisse sérieusement à désirer et évidemment, l’enfance. Steven Spielberg et l’enfance ça fait 59

Attaquons désormais la seconde catégorie des films de Spielberg avec tout d’abord ‘’1941’’… sorti en 1979, film sur une panique à Los Angeles après Pearl Harbor. Film plutôt méconnu, car le premier à ne pas être un divertissement. Les spectateurs n’étant pas habitué à ce genre de film de la part de leur jeune réalisateur prometteur, on ne peut pas dire qu’ils vont se ruer en nombre pour aller le voir. C’est donc un film de guerre, et


vous allez voir que c’est loin d’être le dernier. A savoir que par «film de guerre», je ne parle pas forcément de films où ça se tire dessus tout le temps, là on est plus dans un contexte de guerre. ‘’La couleur pourpre’’ c’est l’histoire d’une gamine de 14 ans, enceinte après s’être fait violer par son père, qui est forcée de se marier avec un connard pas trop trop féministe, et donc on va suivre cette bande de joyeux lurons dans cette histoire qui paraît radieuse. Avec ce film de presque 3h, qui sort juste après ‘’Indiana Jones et le Temple maudit’’, le changement est radical. Ce film a choqué beaucoup de monde qui ne s’attendaient pas à voir ça. C’est un film pour adulte, absolument déconseillé aux enfants. La rupture est totale : aucun effet spécial, douze acteurs principaux et une histoire très dure. Ça change de d’habitude, et c’est très bien. Steven Spielberg c’est quand même un mec qui en jette. Il est aussi fort pour faire des films de science-fiction avec des enfants comme protagonistes, que pour faire des drames ultra durs, nous montrant ainsi son envie de faire du cinéma plus dur mais qui dit les choses plus explicitement. Avec des films comme ‘‘La liste de Schindler’’, ‘’Lincoln’’, ‘’Il faut sauver le soldat Ryan’’ ou encore ‘’Empire du Soleil’’, il traite de nombreux sujets. En prenant régulièrement le contexte et la base de la guerre, il parvient à nous montrer toutes les dérives, les abus de notre société. Ou tout simplement pour le devoir de mémoire, en faisant des films aussi beaux qu’ils sont tristes. Un artiste aussi bon dans deux catégories de films si différents est forcément un artiste doté d’un talent gigantesque. Donc lorsque l’on dit qu’un tel est le futur Spielberg, juste parce qu’il a fait un bon blockbuster, c’est oublier que c’est la polyvalence du monsieur qui fait son talent.

60


61


CITIZEN KANE LE FLASH-BACK EST TRÈS CERTAINEMENT L’UN DES PROCÉDÉS TECHNIQUES LE PLUS UTILISÉ AU CINÉMA. IL SERT À ÉVOQUER UN ÉVÉNEMENT PASSÉ AU POINT DE L’HISTOIRE OÙ L’ON SE TROUVE, S’INTÉGRANT DONC À LA FRISE CHRONOLOGIQUE DE BASE. LORSQU’IL EST BIEN RÉALISÉ, LE SPECTATEUR A TOUT À FAIT CONSCIENCE QU’IL SE TROUVE À UN MOMENT ANTÉRIEUR DE L’HISTOIRE. IL POURRA ÊTRE AINSI DAVANTAGE RENSEIGNÉ SUR UN ÉLÉMENT-CLEF DU FILM. COMMENT ÉVOQUER LE FLASH-BACK SANS S’ATTAQUER AU MONUMENT QU’EST ‘’CITZEN KANE’’ ? DIFFICILE DE FAIRE PLUS CULTE.

62


« Rosebud ». Intriguant mot prononcé dans le dernier souffle de Charles Foster Kane. L’oeuvre s’ouvre sur cette scène ; un vieillard solitaire sur son lit de mort. L’histoire passionnante d’un petit garçon insouciant qui s’élèvera ensuite au rang de propriétaire d’un journal réputé. Une enquête démarre donc brillamment menée par le reporter Thompson qui interrogera les proches du milliardaire, pour en découvrir davantage sur cet homme visiblement complexe. Au fil des interviews ponctuées par les souvenirs en flashback de l’entourage de Kane, le spectateur comprendra rapidement la personnalité et les faiblesses de ce personnage. Un amant déçu, un ami décevant, un homme riche et mégalomane que l’échec n’épargnera pas, nous faisant donc assister à sa chute en première loge. « Je pense qu’aucun mot ne peut suffire à expliquer la vie d’un homme » dira Thompson. Et pourtant. C’est bel et bien tout le mystère engendré autour de l’ultime mot prononcé par Kane qui maintiendra le spectateur en

haleine pendant deux heures de procédés artistiques mêlés dans film. un désordre organisé, offrant un fil conducteur non linéaire, mais tout à Citizen Kane est bien souvent fait accessible. cité comme « le meilleur film de tous les temps » pour la Citizen Kane s’inscrit au panthéon simple et bonne raison qu’il est du septième art comme étant une extrêmement audacieux. En effet, véritable avancée artistique, frôlant avec son œuvre, Orson Welles même le génie. Sur la forme, il est revisite d’une main de maître le vrai que l’oeuvre était tout à fait langage cinématographique, à en avance sur son temps, inspirant travers le maniement du plan- encore aujourd’hui bon nombre séquence, de la profondeur de de procédés techniques. En ce qui champ ou bien des flash-back. concerne le fond, il est tout aussi Tous ces procédés novateurs satisfaisant. En effet, lorsque la pour l’époque s’inscriront dans fin du film arrive et dévoile ainsi la l’histoire du cinéma comme étant signification du fameux « Rosebud une véritable prouesse artistique. » le spectateur se trouve alors face En plus d’être un réalisateur à une ironie du sort troublante. hors pair, Welles s’avère être Le dénouement propulse donc un acteur talentueux qui crève l’assistance au début de l’histoire, l’écran, dans la peau de Charles prouvant ainsi la bonne efficacité Kane, nous démontrant avec des flash-back précédents. Une sorte poigne sa capacité à exceller sur de philosophie nostalgique s’installe différents tableaux. Revenons- alors, bouleversant toute l’entièreté en à cette fameuse succession de l’oeuvre, nous laissant songeur et de flash-back. Cette technique ébranlé. Orson Welles réussit le pari permet de dresser au spectateur, difficile de faire de son œuvre une le portrait du milliardaire à véritable référence intemporelle en travers divers évènements de tout point. Citizen Kane est la preuve sa vie. On y découvre alors un même que le cinéma est un art à part monstre charismatique à la fois entière et que les chefs-d’oeuvres ne tourmenté et effrayant. Des meurent jamais. Marion Critique 63


L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE Mythique portrait crépusculaire des États-Unis à travers l’enterrement de Tom Doniphon homme abandonné de tous, dont l’histoire va être narrée à travers un long flash-back par le sénateur Ranson Stoddard venu assister à ses obsèques et revenant ainsi sur la véritable histoire du bandit Liberty Valance. John Ford oublie les grands espaces et livre une mise en scène très étudiée, souvent en huis-clos, utilisant judicieusement les nombreux fondus enchaînés pour établir les différents rapports temporels à travers les séquences, notamment pour conclure et introduire le flash-back colonne vertébrale scénaristique centrale du récit. Cette structure en flash-back joue un rôle prépondérant, car dès l’entame du film le cinéaste nous présente un monde déjà mort, fait de poussières en opposition au nouveau monde plus terre à terre. Émouvant poème testamentaire au mythe de l’Ouest par le prisme de la presse, magnifié par une mise en scène précise, une narration vive et un scénario solide. Une pépite cinématographique sublimée par une somptueuse photographie en Noir et Blanc et la bouleversante partition musicale de Cyril Mock. Un chef-d’œuvre légendaire porté par le duo mythique John Wayne en cowboy las et désabusé, l’émouvant James Stewart et l’éblouissant Lee Marvin en « bad guys ». Un mélancolique et splendide chant du cygne, à revoir ou à imprimer, pour la mémoire de tous les amoureux des légendes du 7ème art. S.B

64


fIlMs CuLtEs

BOULEVARD DU CRÉPUSCULE Cette cynique comédie dramatique narre le destin funeste de Joe Gillis, un scénariste sans le sou fuyant les huissiers et trouvant par hasard refuge dans une luxueuse villa du célèbre Sunset Boulevard à Beverly Hills. Une coquette demeure appartenant à Norma Desmond, une vieille gloire de l’âge d’or du cinéma muet, tombée dans l’oubli. Le long métrage débute comme un polar où l’on découvre un homme décédé sous la ligne de flottaison d’une piscine et une voix off narratrice sortie d’outre-tombe entamant un récit. Cette pensée provient du corps de la victime ! Une mise en scène inédite introduisant la construction en flash-back de l’intrigue, rythmée ainsi par la voix du héros défunt qui va ainsi conter toute son histoire jusqu’à l’issue tragique. Une mise en abyme renforcée par l’incarnation de l’actrice déchue par Gloria Swanson (elle-même ancienne gloire du cinéma muet avant d’être mis à l’écart avec l’apparition du parlant) livrant une épatante prestation schizophrénique aux côtés du majordome interprété excellemment par Eric von Stroheim (l’un des plus grands réalisateurs de l’époque du muet) et l’excellent William Holden. Billy Wilder filme un monde disparu par le biais de décors gothiques d’un autre temps, écorne les vanités en les mettant au bûcher. Le mythe hollywoodien est enseveli par les feux de la rampe où il ne reste plus qu’une odeur de poudre et un cadavre noyé près du boulevard du crépuscule. Un bijou intemporel. S.B

65


LE SAVIEZ-VOUS ? - Le chef-d’oeuvre serait inspiré de l’histoire vraie de William Hearst, un magnat de la presse écrite, qui aurait tout mit en œuvre pour empêcher son lancement. Lors de la sortie du film, Hearst aurait fait interdire toute mention de Citizen Kane dans ses propres journaux, engendrant malgré lui, une véritable publicité autour de ce quasibiopic. - Annoncé comme étant une histoire d’amour, le chef-d’oeuvre de Welles est tourné dans le plus grand secret, puisqu’il s’inspire d’un personnage très puissant (Hearst), souhaitant ainsi ne pas être interrompu dans sa réalisation. - Citizen Kane a tout d’abord été un véritable désastre financier lors de sa sortie aux États-Unis, tandis qu’en Europe il ne pouvait être diffusé dans les salles obscures en raison de la Seconde Guerre mondiale. - Bernard Hermann, ici compositeur de la bande originale, est à son premier exercice dans Citizen Kane. Cependant c’est un tout autre réalisateur qui le mettra dans la lumière ; un certain Alfred Hitchcock, à qui il devra sa célébrité et son appellation de « plus grand compositeur de l’histoire du septième art ». - Orson Welles avait seulement vingt-six ans lorsqu’il a réalisé Citizen Kane (qui était également son tout premier film). 66


67


PAUL THOMAS ANDERSON ALORS QUE SA DERNIÈRE ŒUVRE TAILLE PATRON ‘’PHANTOM THREAD’’ DÉFILE ENCORE SUR NOS ÉCRANS HEXAGONAUX, COUP DE PROJECTEUR CE MOIS-CI SUR L’ORFÈVRE RÉALISATEUR AMÉRICAIN PAUL THOMAS ANDERSON. À TRAVERS HUIT FILMS MÉTICULEUX, LE METTEUR EN SCÈNE PERFECTIONNISTE, OBSÉDÉ PAR LE CONTRÔLE, AURA FAIT MONTRE D’UN SAVOIR-FAIRE MAGISTRAL ET D’UNE ÉTUDE PUISSANTE DES NÉVROSES INDIVIDUALISTES. PETIT VOYAGE EN CINQ FILMS, POUR METTRE EN HAUT DU PODIUM DU 7ÈME ART CE RÉALISATEUR VERTIGINEUX. PTA, THE MASTER…

68


rEtRoSpEcTiVe

INHERENT VICE (2015) Ce voyage hallucinatoire cinématographique nous embarque à Los Angeles en 1970 aux côtés du détective privé Larry « Doc » Sportello qui enquête sur l’étrange disparition d’un milliardaire. Paul Thomas Anderson offre un polar suave déjanté très stylisé, hommage aux années psychédéliques sixties américaines, et nous embarque dans une enquête labyrinthique où il faut aimer se perdre, la raison mise de côté pour goûter aux délices vaporeux dans une atmosphère de folie et de paranoïa. Le metteur en scène fait avancer sa caméra en terrain mouvant, qui erre aux fils des digressions, entre mélancolie, amour et drôlerie de manière très stylisée et laisse parfois sur le bord de la route, déconcerté, le spectateur attaché à un fil conducteur narratif plus traditionnel. Une œuvre hallucinante, un trip mental réjouissant porté par un formidable numéro d’acteur de l’impressionnant Joaquin Phoenix bien accompagné par l’impeccable Josh Brolin et la délicieuse Katherine Waterston sous une délectable bande originale. Un festin exigeant burlesque et sexy, à la mélancolie existentielle. S.B

69


THERE WILL BE BLOOD (2007) Somptueuse œuvre intransigeante narrant le destin de Daniel Plainview, un prospecteur misanthrope qui part avec son fils adoptif à la recherche de nouveaux gisements de pétrole en Californie au début du XXe siècle. D’entrée le cinéaste nous plonge de manière immersive et sensorielle au fond d’une mine, à la recherche de dernières pépites d’or, avant qu’un peu plus tard le sang de la terre jaillisse enfin, par la foi du minéral Daniel Plainview. Le metteur en scène compose alors chacun de ces plans comme de véritables tableaux de maître, où les ellipses narratives illustrent de manière crescendo les antagonismes entre le pouvoir du verbe religieux et la corruption engendrée par l’argent de l’or noir. Un conflit d’intérêts dévoilant une intrigue complexe mais d’une fluidité remarquable sous la caméra cohérente et prodigieuse du cinéaste. Cette magistrale fresque, de la fin de la ruée vers l’or au règne des derricks est transcendée par la musique discordante et angoissante de Jonny Greenwood (Radiohead) accompagnant viscéralement la folie des hommes. Ici, la virtuosité cinématographique de Paul Thomas Anderson atteint des sommets et s’appuie également sur une interprétation impressionnante et totalement habitée de Daniel Day-Lewis, bien accompagné par le convaincant Paul Dano. Une œuvre monumentale, cruelle, intime et lyrique à la fois, dont on ressort fasciné et meurtri, ébloui par la majestueuse photographie et conscient d’avoir assisté à un très grand film dépeignant une Amérique naissante dans le sang au milieu de l’or noir… Un chef d’œuvre non conformiste, un joyau épique d’un éclat et d’une ampleur remarquable. Vivant. Terrassant. Sublime. S.B 70


rEtRoSpEcTiVe

PUNCH DRUNK LOVE (2002) Une comédie romantique décalée suivant la vie quotidienne de Barry Egan, un trentenaire introverti aux troubles autistiques dont la vie est cadenassée entre son travail et 7 sœurs trop envahissantes ne lui permettant pas de trouver l’âme sœur. Paul Thomas Anderson livre une épatante mise en scène esthétique éclatante de couleurs en cinémascope, avec des plans-séquences élégants pour décliner une intrigue audacieuse et acidulée. Le cinéaste prolonge la durée d’un plan, d’un gag pour accentuer l’aspect désarticulé et bancal en s’appuyant sur une originale intrigue aux ruptures de tons inédites (parfois très sombres et surréaliste pour ce genre de film). L’auteur dévoile une innovante rencontre amoureuse par le biais d’une maline mécanique scénaristique enveloppée dans une superbe bande originale avec de magnifiques sons provenant d’un harmonium abandonné. Le réalisateur confirme son éblouissant talent de directeurs d’acteurs en dévoilant la fragilité d’Adam Sandler accompagné par l’excellente et craquante Emily Watson, pour incarner cette love story chaotique à travers une alchimie réjouissante. Soyez ivre d’amour et venez déguster sans modération ce cocktail détonnant. S.B

71


MAGNOLIA (1999) Une tragédie moderne, un melting-pot d’émotions, découpé en tranches de vie, sublimé en 3 actes comme un magnifique opéra sous la virtuose réalisation virevoltante cumulant de nombreux effets de caméras et de cadrages différents orchestrés par le maestro Paul Thomas Anderson, toujours à la recherche de la meilleure composition de plans signifiants. Un mélodrame choral transcendé par un montage intelligent pour mieux dévoiler un récit polyphonique métaphysique dont il bouscule les codes. Le cinéaste opte pour une languissante narration patchwork riche en thèmes (La vie, la mort, le doute, la peine, la colère et l’amour) soutenue par de mélancoliques chansons d’Aimee Mann et la superbe bande originale composée par Jon Brion. Une fable d’épanouissements surabondante et kaléidoscopique à travers une intrigue parfois boulimique où le réalisateur pollinise la fine fleur du cinéma américain (Tom Cruise, Julianne Moore, Philip Seymour Hoffman, William H. Macy), entremêlant plusieurs destins qui se croisent lors d’une journée à mettre les grenouilles dehors, lors d’un bouquet final ahurissant … S.B

72


rEtRoSpEcTiVe

BOOGIE NIGHTS (1998) Phénoménale saga disco et porno relatant le parcours d’Eddie Adams, jeune homme serveur dans une boîte de nuit, doté d’un sexe avantageusement développé qui va être repéré par un réalisateur de films X et devenir une star de l’industrie pornographique grâce à ce don de la nature. Pour son deuxième film après son polar ‘’Hard Eight’’ (1996), Paul Thomas Anderson surprend tout le monde en livrant cette impressionnante satire. Dès la séquence d’ouverture illustrée par un prodigieux plan-séquence présentant tous les protagonistes de l’histoire à l’intérieur de la boîte de nuit, le cinéaste livre une mise en scène vertigineuse composée de plans virtuoses, fluides, dynamiques, à la composition de cadres très étudiée. Une œuvre extrêmement ambitieuse déclinée en deux parties distinctes, de l’épanouissement jusqu’à la descente, filmé comme un trip réjouissant, brillant et poignant. Ce judicieux récit scrute une période charnière des Etats-Unis, où le peace and love laisse place à un nouveau monde dans un climat plus anxieux. Une débandade rassérénée par un casting épatant : Mark Wahlberg, Burt Reynolds, Julianne Moore, William H. Macy, Don Cheadle notamment, et accompagné par une délicieuse bande originale très dansante. Un corrosif classique des années 90 ! S.B

73


IL ÉTAIT UNE FOIS... JOHN MCCLANE On en a connu des flics malchanceux dans l’histoire du vénéré cinéma des 80’s/90’s (Roger Murtaugh et ses WC peuvent en témoigner), mais des fessiers pas bénis comme celui de ce bon vieux John McClane, on en croise pas dans toutes les salles obscures. Né sous la plume de Steven de Souza et Jeb Stuart, tout en étant plus ou moins inspiré du détective fictionnel Joe Leland (personnage tiré du roman ‘’Nothing Lasts Forever’’, dont ‘’Piège de Cristal’’ est une lointaine adaptation), le personnage avait été proposé à une belle brochette de comédiens populaires (Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Charles Bronson, Clint Eastwood,...) avant de prendre vie sous les traits de Bruce Willis, fraîchement auréolé du succès de la série TV culte ‘’Clair de Lune’’.

« ‘‘J’ai soudain voulu changer, ne plus incarner des personnages de comédie. Mais y aller à fond la caisse dans le remue méninge. Cela m’a pris deux bons mois pour me préparer et ça n’a pas été de la tarte ! Mon objectif était de perdre 8kg et de transformer en muscles tout le reste de mon corps.’’« 74


Moins baraqué et mystérieux que Marion Cobretti, moins expéditif et mutique qu’Harry Callahan, moins torturé et suicidaire que Martin Riggs mais surtout plus sarcastique et délirant que ses petits concurrents de la police ciné de l’époque, John McClane est l’antihéros parfait, aussi charismatique qu’il est vulnérable, et auquel il est si facile de s’identifier, entre deux explosions massives et punchlines bien senties. Monument du cinéma burné - mais pas que -, le bonhomme a su atteindre le coeur des cinéphiles endurcis autant par sa propension bigger than life à se foutre dans des galères sans nom - souvent pour sauver ses proches -, qu’à trouver la détermination de s’en y extirper avec panache. Prise d’otages dans un gratte-ciel une nuit de noël (‘’Piège de Cristal’’), une attaque de mercenaire dans un aéroport (’’58 Minutes pour Vivre’’), un terroriste aux exigences tordues qui veut piller Wall Street (‘’Une Journée en Enfer’’), un autre qui veut faire plier l’oncle Sam par la force du cyberterrorisme (‘’Retour en Enfer’’) et une crise politique en Russie (‘’Belle Journée pour Mourir’’); McClane, son débardeur et son Beretta 92 (mais pas son mariage), survivent à tout, même au ridicule - le honteux cinquième opus. Et alors que la FOX cherche activement à offrir un sixième opus à la saga ‘’Die Hard’’ qui n’aurait jamais dû dépasser son jadis statut de trilogie, dans une sorte de reboot citant directement le film original (entre passé et présent) et que, tel un James Bond des temps modernes, le personnage est certainement appelé à se voir camper par un autre acteur dans un futur plus ou moins proche (Hollywood la putain, bonjour...); McClane résiste, s’entête à avoir le dernier mot - comme avec sa femme - et telle «une mouche dans le lait», craint pour sa vie mais s’amuse à faire la nique autant aux vilains qu’à la nouvelle génération d’action men ne lui arrivant décemment pas à la cheville. Bref, un putain de héros, un vrai. J.C


INSTANT

76


SÉRIES

77


EVERYTHING SUCKS (S1) Jusqu’à aujourd’hui, Netflix a plutôt eu le nez fin avec ses créations originales centrées sur les adolescents (‘‘13 Reasons Why’’, ‘’Atypical’’, ‘‘Stranger Things’’, ‘’The End of The F***ing World’’,...) et on ne pouvait qu’être franchement enthousiasmé à l’idée de mirer leur dernière production en date, ‘’Everything Sucks !’’, show qui titille méchamment notre fibre nostalgique en nous replongeant tête la première dans les merveilleuses années 90. Et le charme opère vite, très vite, à tel point que la vague mélancolique de cette époque bénie qui nous ravive pléthore de souvenirs, submerge presque les défauts criants du show, que ce soit le mélange hasardeux entre le mélodrame et la comédie ou la prévisibilité effarante de son histoire, aussi sincère soit-elle, qui semble recycler les canons du genre avec plus ou moins d’habileté (on pense autant à ‘’Dawson’’ qu’à la cultissime ‘’Freaks and Geeks’’); idem pour la caractérisation de ses personnages, assez faiblarde dans la généralité - hors les héros-titres - voire même carrément pas crédible. Mais passé une première moitié où la série se cherche comme ses protagonistes principaux (ados attachants/ énervants comme les adultes un brin ignorant), avec sa love story précieuse entre un wannabe cinéaste en herbe et la fille du directeur du collège (alors que leurs parents célibataires en font de même...), enlacée au son d’une bande originale au poil et d’un petit projet de série Z SF concocté par un club d’audiovisuel; ‘’Everything Sucks !’’ commence à véritablement trouver son ton entre teen movie touchant et vrai drama familial, et détourne nos attentes notamment par la force d’un twist improbable (mais entièrement satisfaisant) et un canevas puissant de thèmes universels (l’acceptation de soi, l’amitié, l’honnêteté), qui font toujours mouche quand ils sont distillés avec honnêteté et sérieux. Divertissante, prenante, plus douce que mordante (même si certains passages ne sont pas si confortables que cela), porté par de jeunes comédiens impressionnants - Peyton Kennedy et Jahi Winston en tête -; la nouvelle création Netflix est aussi joliment confuse qu’elle est charmante, un petit morceau d’époque nostalgique (comme ‘’Stranger Things’’, en moins maîtrisé) qui ne contentera décemment pas tout le monde, mais qui saura atteindre les coeurs de tous ceux qui se laisseront séduire et aller au-delà des premiers épisodes maladroits... J.C

78


JESSICA JONES (S2) Certes un poil en dessous de la référence ‘’Daredevil’’ (qui aura su à lui seul, ringardiser tous les shows superhéroïques toutes chaînes confondues), mais avec plusieurs coudées d’avance sur ses amis ‘’The Defenders’’, ‘’Luke Cage’’ et ‘’Iron Fist’’, la première - et solide - salve d’épisodes de la série ‘‘Jessica Jones’’ nous avait autant étonnement séduit que fait tomber in love de l’héroïne du même nom, super nana un brin alcoolique, solitaire et cynique, au passé compliqué et douloureux; une VRAIE figure féminine émouvante et forte, une survivante impulsive de la dureté de la vie campée à la perfection par une Krysten Ritter captant à merveille l’essence même du personnage. Et si l’on pouvait reprocher quelques maladresses/longueurs dans la construction de la première saison,, autant l’avouer tout de suite : on attendait avec une impatience non feinte cette seconde saison, qui aura mis deux bonnes années bien tassées avant de pointer le bout de son nez. On y suit une Jessica toujours aussi captivante et empathique, une femme en souffrance qui doit reconstruire sa vie après s’être enfin débarrassée de son démon violacé et télépathe. Une héroïne populaire (en deux ans, elle a gagné une réputation de « super tueuse « à New-York) qui désire aller de l’avant sans être écrasé par le boulet qui lui sert de passé, et qui semble bien plus enclin à s’ouvrir aux autres et laisser - un peu - parler sa vulnérabilité. Un changement d’attitude (qui ne l’empêche pas pour autant, de continuer à se frictionner avec sa BFF Trish, plus important cette saison tant elle pousse Jessica à renouer avec son trauma) qui s’accompagne instinctivement d’un changement d’atmosphère pour le show, plus « lumineux « que lors des premiers sombres épisodes. Sans grand vilain majeur - le grand manque du show -, majoritairement tourné vers le passé de son héroïne et la tentative de dévoiler le mystère entourant ses pouvoirs, tout en s’échinant à nous faire découvrir une autre facette de plusieurs personnages que l’on pensait pourtant connaître, construit crescendo comme la seconde saison de ‘’Daredevil’’, avec une tension constante et un propos encore une fois infiniment riche, sans pour autant brader son aspect de « série détective «; ‘’Jessica Jones’’ saison 2, évidemment pas dénué de quelques longueurs et d’un rythme en dents-de-scie, n’en est pas moins un joli petit moment de télévision pour un show intimiste et moderne qui n’a rien perdu de son pouvoir de fascination. J.C 79


TOP OF THE LAKE (S2) Après le sauvage des paysages de Nouvelle-Zélande, Jane Campion, toujours aux commandes de la série, ramène Robin Griffin (Elisabeth Moss) dans la grande ville. A peine débarquée à Sydney, l’inspectrice réintègre la brigade criminelle. Lorsqu’une jeune asiatique est retrouvée morte dans une valise échouée sur la plage, elle s’empare de l’affaire… qui s’avérera liée à son passé. Car ces nouveaux épisodes sont aussi ceux des retrouvailles avec Mary, la fille biologique que Robin a fait adopter à la naissance. Si cette deuxième saison séduit toujours, elle se révèle en deçà de la précédente, la faute notamment à quelques facilités scénaristiques : il semblerait que tout Sydney soit lié, d’une manière ou d’une autre, à Robin ou son enquête ! Le côté caricatural de certains personnages (Mary, jouée par Alice Englert, la fille de Campion ; et Alexander, son amant quadragénaire à la morale pour le moins ambiguë) parvient à être compensé par les prestations tout en nuances d’Elisabeth Moss (découverte dans ce chef-d’œuvre du petit écran qu’est Mad Men, et plus récemment premier rôle de la très réussie The Handmaid’s Tale), Gwendoline Christie, impeccable dans le rôle de la nouvelle coéquipière de Robin, ou encore Ewen Leslie, qui joue le père de Mary. Cette fois encore, la place des femmes dans la société et la lutte sans fin qu’elles doivent mener sont au cœur de la saison, avec une belle mise en valeur de la maternité. Qu’est-ce qu’être mère ? Qu’en est-il des mères porteuses ou des mères adoptives ? Quid du lien d’attachement et de sa lente construction ? Autant de questions qui irriguent ces huit nouveaux épisodes. Un saison à découvrir, malgré quelques défauts, ne serait-ce que pour la mise en scène toujours inspirée de Jane Campion et l’intensité du jeu d’Elisabeth Moss. V.B

80


À l’heure où les séries américaines ont pris le leadership sur nos écrans, de Netflix au streaming en passant même par la télévision, ‘’La Casa de Papel’’ détonne et réveille en nous des senteurs de paella et de sable chaud. Car oui depuis ‘’Un, dos, tres’’, on n’a pas tellement vanté les mérites de l’Espagne en termes de séries et pourtant 2017 (et 2018) signent le retour du pays ibérique dans le coeur des téléspectateurs. À mi chemin entre ‘’Prison Break’’ et ‘’Hostages’’, ‘’La Casa de Papel’’ nous plonge dans une ambiance dramatique, entre escroqueries et machineries sur fond de billets de banque virevoltant à chaque épisode. Les adeptes du « bing-watching » (fait de regarder une série en très peu de temps) n’en feront ou en ont déjà fait une seule bouchée et pour cause : ‘’La Casa de Papel’’ nous immerge dans cette fabrique de monnaie aux côtés de huit preneurs d’otages et leur maître : El Profesor, un homme d’une intelligence et d’une ruse exceptionnelles, ce descriptif étant presque un euphémisme pour le personnage incarné par l’excellent Àlvaro Morte. Chaque étape est calculée à la seconde près, chacune des éventuelles fautes anticipée, tout pourrait se passer comme sur des roulettes et pourtant, cette opération de grande ampleur, qui devait se dérouler sans une goutte de sang, se révèle bien plus destructrice que ça, d’un point de vue moral comme d’un point de vue physique. Et outre cette équipe de braqueurs aux noms urbains, l’autre personnage phare de cette série est bel et bien Raquel Murillo, inspectrice de police chargée de l’affaire et des relations téléphoniques avec le Professeur, qui crève l’écran, tant par son charisme que par son charme, ponctué de temps à autre de désarroi, avec cette petite manie d’attacher ses cheveux avec un crayon à papier dès que le stress l’envahit. Indépendamment du talent de ses acteurs, ‘’La Casa de Papel’’ enflamme par ce décor teinté d’ombre, de rouge et de masques mais aussi par ce cadre sonore, emporté par le chant italien « Bella Ciao », entonné à plusieurs reprises et restant dans la tête pendant des heures, rythme et puissance s’entremêlant, donnant de vives frissons. Il est clair que la série d’Àlex Pina mérite le coup d’oeil car furieusement bien construit et pensé, nous faisant rêver d’un jour avoir la moitié de la lucidité et sagacité du Professeur. J.R 81


sOrTiEs DvD

Geostorm de Dean Devlin (Sortie le 31/03) ‘‘ Geostorm ou un blockbuster de destruction massive autant spectaculaire et jouissif qu’il est naïf et bête comme ses pieds. Du (bon) nanar . ’’

Battle of The Sexes de Jonathan Dayton & Valerie Farris (sortie le 31/03) ‘‘ Aussi sincère que délurée, Battle of The Sexes est un excellent feel good movie, manquant un poil d’audace mais joliment ludique et grisant. ’’

‘‘ Charmante épopée intime, Le Brio use intelligemment de l’humour pour mieux nous faire réfléchir sur une société encore figée dans ses travers. ’’

Simon et Théodore de Mikael Buch (sortie le 28/03)

Flatliners de Niels Arden Oplev (sortie le 28/03))

Le Musée des Merveilles de Todd Haynes (sortie le 21/03)

‘‘ Bouleversante dramédie façon buddy movie sur deux écorchés vifs en quête de « normalité «, Simon et Théodore est un beau film d’acteurs, pétri de chaleur et de bienveillance.’’

‘‘ Remake rarement légitime du film de Schumacher, L’Expérience Interdite version Oplev moins sinistre et plus tendu, est une relecture plutôt sympathique et prenante, loin

‘‘ Le Musée des Merveilles ou un conte vibrant ,intemporel, intime et organique qui narre la vie dans tout ce qu’elle a de plus beau et douloureux. ’’

82

Le Brio d’Yvan Attal (sortie le 28/03)


Maryline de Guillaume Gallienne (sortie le 21/03)

Le Château de Verre de Destin Cretton (sortie le 21/03).

Justice League de Zack Snyder (sortie le 21/03).

‘‘ Une épopée tragique/mélancolique sur une femme bouffée par le monde, porté par le regard bienveillant d’un Guillaume Gallienne joliment sensible.’’

‘‘ Chronique bouleversante sur le passage à l’âge adulte, Le Château de Verre est un mélodrame aussi touchant qu’il est noble et sensible. ’’

‘‘ Justice League est un opus difforme tiraillé par la vision distincte de deux cinéastes aux styles et ambitions esthétiques cruellement différentes. ’’

Happy Birthdead de Christopher Landon (sortie le 20/03).

Jalouse de David et Stéphane Foenkinos (sortie le 20/03).

Borg/McEnroe de Janus Metz Pedersen (sortie le 14/03).

‘‘ Actrice d’exception, Karin Viard se fait muse des frères Foenkinos et sublime Jalouse, portrait de femme aussi complexe qu’il est grisant. ’’

‘‘ Véritable choc des titans entre le feu et la glace, Borg/ McEnroe ou un fascinant, énergique et haletant drame sportif sur 2 immenses légendes. ’’

‘‘ Happy BirthDead ou un thriller façon teen movie horrifique des 90’s aussi tendu que jouissif, qui donne un coup de fouet salvateur au genre. ’’

83


la page des non-cinéphiles PAR JULIE RAGOT

Sudokulberg Vous connaissez le sudoku ? Vous connaissez Spielberg ? Voici un parfait mélange des deux. A vous de compléter la grille non pas à l’aide de chiffres, mais à l’aide des lettres du nom du fameux réalisateur. Aucune lettre ne doit se retrouver dans la même case, la même ligne ou la même colonne. (Une coquille a été faite volontairement afin de ne pas avoir deux fois la même lettre) 1=S;2=P;3=I;4=F;5=L;6=B; 7=E;8=R;9=G

Chronolberg Relies chaque film réalisé par Steven Spielberg à sa date de sortie officielle au cinéma ! C’est bête comme chou (expression de vieux spotted) !

Les Dents de la Mer · Il faut sauver le Soldat Ryan · Le Bon Gros Géant · Jurassic Park · Pentagon Papers · Sugarland Express · La Couleur Pourpre · Indiana Jones et le Temple Maudit ·

84

· 1998 · 1984 · 2017 · 2016 · 1993 · 1985 · 1974 · 1975


85



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.