Désolé j'ai ciné #4

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DÉSOLÉ J’AI CINÉ

#4 FÉVRIER 2018

Call me by your name

La romance de ce début d’année Critique et portraits

Et aussi : Margot Robbie, Blade II de Guillermo del toro, liam neeson, 1 les fIlms romantiques préférés des rédacteurs, Black Lightning...


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eDiTo c’est l’amour... Sous le beau soleil d’été d’Italie avec Call me by your name, au coeur de la mode anglaise des années 50 avec Phantom Thread, avec son petit côté SM avec Cinquante Nuances plus claires, reconstructeur avec Stronger, fantastique avec La Forme de l’eau… Bref oui février c’est le mois de l’amour. Et cette fois-ci il y en a vraiment pour tous les goûts et surtout les deux phénomènes du mois (non petit chenapan il ne s’agit pas de 50 Nuances plus claires), tous deux nommés pour l’Oscar du meilleur film : Call me by your name de Luca Guadagnino et La Forme de l’eau de Guillermo Del Toro. Les émois d’un premier amour pour l’un, une relation qui dépasse toutes les frontières pour l’autre. TImothée Chalamet et Sally Hawkins vont nous émerveiller en ce mois de février pour nous délivrer un message aussi fort qu’il est simple : aimez-vous. Peu importe votre sexe, votre âge (enfin attention quand même), vos origines, vos convictions… «Love is love is love» pour citer Armie Hammer (également à l’affiche de Call me by your name) et dieu sait que la société a besoin en ce moment d’amour et

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de s’accepter les uns les autres. Parce que ces derniers temps l’amour et le respect ne semble pas être chose commune dans notre société. Mais on y croit, on continue d’y croire. On espère qu’un jour certains hommes respecteront enfin la femme, qu’une jeune femme talentueuse ne soit pas obligée d’abandonner un télé-crochet parce qu’elle porte un voile, que certains chroniqueurs télé tournent sept fois leur langue dans leur bouche avant de parler (et de retourner sa veste par la même occasion)… Sinon on espère aussi que la neige va enfin arrêter de tomber, que le spinoff sur Han Solo sera plus prometteur que la bandeannonce, que l’académie des César récompensera à leur juste valeur Grave, 120 BPM et Au revoir là-haut et que évidemment Call me by your name rafle le maximum de statuettes dorées à la prochaine cérémonie des Oscars même si toute la rédaction est loin d’être d’accord mais que comme c’est moi la rédactrice en chef, je dis un peu ce que je veux. Et ça c’est plutôt cool… et non ce n’est pas du despotisme.


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sOmMaIrE 6 - Critiques 40 - Greta Gerwig : le talent au naturel 42 - Margot Robbie : Le feu sur la glace 44 - Guillermo Del Toro : Le magicien mexicain 46 - Blade II : Le chef d’oeuvre incompris de del Toro 56 - Call me by your name : Un chefd’oeuvre sensuel 60 - Timothée Chalamet : Le it-boy de 2018 62 - Armie Hammer : Le mésestimé d’Hollywood 64 - Jte le dis quand même... 76 - Souriez vous êtes filmés : Titanic

80 - L’amour dure trois ans : du livre au film 82 - Tron : Une révolution en avance sur son temps 86 - Films cultes : Les femmes réalisatrices 92 - Rétrospective Andreï Zviaguintsev 100 - Jamais 2 sans 3 : Liam Neeson 102 - Il était une fois... Rambo 104 - Instant séries 116 - Sorties DVD 118 - La page des non-cinéphiles

DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG RÉDACTEURS : JONATHAN CHEVRIER, SEBASTIEN BOULLY, CLEMKEY, JULIE RAGOT, MARION CRITIQUE, ANTOINE DESRUES, CORALIE DELMUR, ANTOINE BOUILLOT, ANTOINE DELASSUS, VANESSA BONET, & MATHIEU LE BIHAN 5


cRiTiQuEs Plus boulimique de pellicules que jamais avec son rythme d’une péloche par an, le bonhomme nous avait une fois n’est pas coutume, confirmé qu’il ne s’impliquait pleinement dans ses péloches qu’une fois sur deux, lui qui aligne depuis près de trois décennies maintenant un grand cru ambitieux puis un plus mineur. On attendait donc avec impatience son retour au business, mais surtout à un cinéma plus exigeant et pensé même si toutes ses œuvres s’assemblent et se ressemblent, via ‘‘Wonder Wheel’’, produit et distribué par Amazon Studios - le seul film que la firme balancera en salles - mais surtout la promesse sur pellicule d’une belle et vintage dramédie romantique en plein Coney Island, le tout porté par un couple vedette inédit : Kate Winslet et Justin Timberlake. Nostalgique comme quasiment tous les derniers longs du cinéaste, la péloche s’attache à conter les affres d’un amour impossible entre une actrice déchue qui n’a pourtant pas renoncé à ses rêves (Winslet, lumineuse) et un maître nageur plus jeune et qui n’a aucune difficulté à la séduire (Timberlake, charismatique); autour desquels gravitent une belle-fille pétillante (Juno Temple) et un mari acteur passif d’un mariage sans amour (Jim Belushi). Véritable tragédie humaine sur une femme au bord de la dépression dont la seule lueur d’espoir est une relation adultère (espoir très vite bousculé par sa belle-fille). Moralement maladroit, théâtralisé à outrance et où le cinéaste, plus personnel que jamais (et dans le sens dérangeant du terme, tant cette oeuvre apparaît comme une confession intime des travers du névrosé new-yorkais) radote ses thèmes et questions existentielles une fois de plus sans y apporter la moindre nuance ni originalité. ‘‘Wonder Wheel’’ a de fausses allures de ‘‘Blue Jasmine’’ sous prozac, jamais tranchant ni touchant mais surtout cruellement artificiel, malgré la partition appliquée d’une Kate Winslet intense et délicate. Portrait de femme abîmée jamais vraiment marquant ni prenant, le Allen ne rend nullement justice à la formidable photographie de Vittoro Storaro (déjà derrière ‘‘Café Society’’) et ne fait décemment pas partie du haut du panier de la carrière en dents de scie du cinéaste. Difficile d’être enthousiaste à l’idée d’attendre son prochain essai, très difficile... J.C

SORTIES DU 31/01

WONDER WHEEL

De woody allen. Avec kate winslet... 1h41

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HORSE SOLDIERS Quelques semaines après les attentats qui ont touché les tours du Wolrd Trade Center, 12 militaires (les premiers) des «Bérets verts» sont envoyés à la frontière afghane pour s’allier à un groupe armé afghan pour renverser le régime taliban. Outre la mission périlleuse qui les attend, c’est seulement à dos de cheval, arme à la main, que ces douze cavaliers vont devoir affronter des talibans armés jusqu’aux dents. Défiant toute raison et probabilité, cette mission sera menée à bien en trois semaines sans aucune perte américaine. Une histoire aussi vraie qu’elle semble plus qu’incroyable. Pour mener à bien cette mission on retrouve à sa tête Chris Hemsworth dont le charisme et la carrure sont faits pour ce rôle. On regrettera un Michael Shannon absolument effacé dans ce film et un Michael Peña dont on se demande bien comment il a pu atterrir là-dedans. Il n’empêche que Nicolai Fuglsig nous en donne pour notre argent de la première à la dernière minute - et notamment dans la dernière partie du film qui n’a pas à rougir des plus grosses productions américaines. Horse Soldiers aurait pu prendre le risque de virer dans le patriotisme bourratif que les films américains aiment tant nous offrir avec plus ou moins de finesse mais l’évite habilement en préférant se concentrer sur la relation qui va se tisser petit à petit entre les américains et les afghans. Une relation d’abord houleuse avant de finir sur une note bien plus positive même si cette alliance n’est qu’éphémère comme le dit le général Dostum : ‘‘Si vous restez vous devenez des ennemis, si vous partez vous serez considérés comme des lâches’’. Un aspect politique finalement que très peu abordé dans le film, préférant s’attarder sur le champ de bataille. Cependant à vouloir trop faire un film de guerre pur et dur, le réalisateur en oublie ses personnages pour finalement nous offrir une galerie de personnages plutôt fades et creux, sans connaître leurs ressentis durant ces trois semaines éprouvantes excepté la transformation à l’écran de Chris Hemsworth soldat à Chris Hemsworth guerrier. Aucuns liens ne sont faits entre les différents protagonistes laissant ainsi quelque part comme un vide dans le film. Pour son premier film, Nicolai Fuglsig peut se vanter d’avoir réussi un film visuellement assez léché, au casting efficace malgré un scénario et des intentions un peu faibles, ne laissant ainsi que peu paraître l’aspect héroïque de ces 12 cavaliers. M.M De nicola fuglsig. Avec chris hemsworth... 2h10

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OH LUCY !

Jadis next big thing d’Hollywood à la belle gueule ravageuse, ayant multiplié les choix audacieux mais rarement payant sur le circuit indépendant, avant une renaissance par la petite porte du câble US dans ‘’Penny Dreadful’’, Josh Hartnett est sans doute l’un des talents les plus gâchés du cinéma américain des années 2000, mais également l’un des comédiens qui nous manque le plus sur grand écran. Affreusement rare, le bonhomme fait cependant son retour dans nos salles obscures via le nouveau long-métrage d’Atsuko Hirayanagi, ‘‘Oh Lucy !’’, extension du court-métrage singapourien éponyme de la même réalisatrice. La péloche s’attache à compter le destin douloureux d’une employée de bureau japonaise, Setsuko, qui revit grâce à des cours d’anglais dans lesquels elle arbore une perruque blonde, symbole de son laisser aller et de la libération de ses inhibitions - elle se surnomme même Lucy. Très vite, elle s’entiche de son séduisant professeur, qu’elle n’hésitera pas à suivre quand il quittera Tokyo pour la Californie; histoire de s’offrir un road trip en terres US riche en émotions avec sa soeur comme copilote. Fable débridée et un poil tragique sur le virage douloureux de la cinquantaine avec un choc des cultures cocasse en prime, ‘’Oh Lucy !’’ est un bijou de petit film décalé et audacieux s’amusant avec panache des clichés pour mieux les détourner. Beau et attachant portrait de femme interprété à la perfection (Shinobu Terajima est magnifique, Josh Hartnett est sincèrement touchant), pas dénué de quelques défauts (une réalisation bancale et une seconde moitié US beaucoup moins prenante), le métrage d’Atsuko Hirayanagi se suit sans le moindre déplaisir. J.C De atsuko hirayanagi. Avec shinobu terajima... 1h35

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SPARRING Le noble art est férocement cinégénique, sans doute même le plus cinégénique de tous les sports, et ce n’est pas des sommets de cinéma tel que ‘’Rocky’’, ‘’Raging Bull’’ ou encore ‘‘Million Dollar Baby’’, qui contrediront cette vérité. Si le genre est plutôt pauvre dans l’hexagone, cela n’a pas empêché Samuel Jouy d’en faire le puissant sujet de son premier long-métrage, ‘’Sparring’’, portrait entre fiction et réalité d’un boxeur touchant incarné par un Matthieu Kassovitz plus investi et habité que jamais; l’acteur-cinéaste ayant même tout récemment décidé lui aussi, monter sur le ring en tant que boxeur professionnel en juin dernier. Dans la peau de Steve, sparring partner/sac de frappes du wannabe champion d’Europe Tarek M’Barek, Kassovitz emboite le pas d’un Rocky Balboa au grand coeur (jusque dans l’affiche, qui cite directement le chef-d’oeuvre de John G. Avildsen), un loser magnifique au soir de sa carrière, véritable héros fatigué solidement ancré dans un quotidien réaliste et rude, qui ne vit que pour l’amour de sa fille et pour qui il est capable de tout, même de laisser sa peau sur le ring.Brisé par les échecs et les coups, toujours debout tant que la cloche de la vie n’a pas rendu son ultime son, Steve est l’incarnation du courage, le vrai, celui qui demande de payer un lourd tribut pour atteindre son but, aussi destructeur soit-il. Avec ‘’Sparring’’, drame vrai et épique portrait sportif, Samuel Jouy ne réinvente certes jamais le genre mais lui offre une déclaration d’amour vibrante et sanglante, chorégraphiant ces ‘’boucheries’’ sportives au plus près des coeurs, filmant avec authenticité la souffrance sèche aussi bien physique que morale et psychologique de son outsider de héros. Véritable ode aux ‘’perdants’’ pleine d’humilité et de dignité, sans qui certains grands boxeurs n’auraient sans doute jamais pu exister, ‘’Sparring’’ est un beau et mélancolique premier film dont on ressort K.O, et ça fait franchement du bien. J.C De samuel jouy Avec matthieu kassovitz... 1h34

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GASPARD VA Troisième réalisation d’Antony Cordier, ‘’Gaspard va au mariage’’ s’attarde sur une famille pour le moins atypique et disloquée par le temps que le remariage du patriarche va réunir dans le zoo où ils ont tous grandi. Gaspard, 25 ans, n’avait pas remis les pieds là-bas depuis un moment et c’est accompagné de Laura (Laetitia Dosch solaire), une jeune femme extravagante rencontrée par hasard dans le train, qu’il retrouve un frère très sage et une petite soeur au comportement animal (au sens propre du terme) encore amoureuse de son grand frère. Sauf qu’à trop vouloir insister sur ces relations ambiguës entre le frère et la soeur, le film en devient rapidement malaisant malgré quelques jolis moments et des situations cocasses. Parfois tendre et espiègle, le film tire surtout en longueur sans jamais embarquer le public jusqu’à un épilogue tiré avec d’énormes ficelles. M.M

AU MARIAGE

De antony cordier. Avec felix moati... 1h45

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LES TUCHE 3 Dans ce troisième volet de la saga des Tuche, la famille Tuche investit le palais de l’Elysée pour le meilleur mais surtout pour le pire. Au-delà d’une possible réflexion sur le danger du populisme, et un sarcasme de la vie politique qu’avec beaucoup de bonne volonté on peut entrevoir, ce film n’a pas grand intérêt, là où avec un peu de finesse il aurait pu être brillant. La réalisation est propre sans pour autant offrir une quelconque trace d’originalité ou de propositions artistiques. Les dialogues sont tout au plus distrayants pour une poignée de minutes seulement. L’humour y est potache et vulgaire. Les blagues ne fonctionnent pas, pas la moindre esquisse d’un rictus de sourire devant cette interminable démonstration de beauferie qui déborde de niaiserie. Les acteurs, quand à eux ont le mérite d’être convaincants - bien que montrant un jeu digne de scripted reality - rendant leurs personnages aussi sympathiques qu’exaspérants, aussi bienveillants qu’épuisants. L’économie des Tuche semble usée et ne demande qu’à s’éteindre après ce troisième volet aussi pathétique qu’ennuyeux. Bref, dire que ‘’Les Tuche 3’’ est un navet n’est en rien une insulte mais un pléonasme : on a tuché le fond. C.D De olivier baroux. Avec jean-paul rouve... 1h35

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L’INSULTE Ce drame politique intelligent s’articule à partir d’un sujet brûlant, une altercation entre Toni, un garagiste chrétien libanais et Yasser chef de travaux réfugié palestinien engagé avec son équipe pour rénover les quartiers, et dont la cause de la discorde est simplement une gouttière d’évacuation du balcon défectueuse, reversant l’eau sur les passants dans l’une des rues de Beyrouth. Ziad Doueiri, réalisateur polyvalent, entre le cinéma depuis le brillant ‘’West Beyrouth’’ (1998) et le bouleversant ‘’L’Attentat’’ (2012) puis la télévision avec la série ‘’Baron noir’’, revient derrière la caméra pour un nouveau long métrage, en se servant d’une anecdote personnelle et d’un fait divers, afin de nous livrer un sincère plaidoyer pour la tolérance. Dès la première séquence l’aspect politique du film se déploie et nous faisons connaissance avec Toni, homme galvanisé par le discours radical et haineux du chef du Parti Chrétien stigmatisant la présence des palestiniens dans son pays. Comme pour mieux garder son territoire le quadragénaire refuse promptement à sa femme enceinte de déménager au sud de la capitale vers Damour, où se trouve la maison de ses beaux-parents, anciens cultivateurs de bananes. Cette présentation inaugurale amène le spectateur au point de départ de l’intrigue où un échange vif entre le locataire de l’installation défectueuse et le contremaître de chantier va virer à l’insulte de la part du palestinien à l’encontre du chrétien. Cette phrase malheureuse dans un pays sous tension va entraîner (après nombre de refus de Yasser pour s’excuser) les deux hommes vers une longue procédure judiciaire faisant résonner les blessures du Liban, pays passionnel qui a vécu une guerre civile de presque 17 ans, à partir de 1975 au cours de laquelle des groupes chrétiens, sunnites, chiites, druzes, palestiniens (entre autres) se sont entre-déchirés causant ainsi plus de 200 000 victimes et des traumatismes indélébiles. L’intrigue se mue alors en film de procès à la réalisation conformiste pour ainsi dire une affaire d’état divisant le pays. Ce litige verbal entraîne une escalade où tous les antagonismes vont ressurgir à fleur de maux, les séquelles de la guerre enfouies après une amnistie générale devenant par déformation mémorielle, une véritable ‘’fausse’’ amnésie générale dont cette simple dispute et une riposte de mots douloureux de Toni jeté à la figure de Yasser va engendrer une véritable plongée dans les archives

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traumatiques de ce pays pas encore cicatrisé. Ziad Doueiri outre sa mise en scène un peu paresseuse offre un récit très didactique mais pas manichéen pour offrir une vision binaire du conflit occultant pour mieux simplifier l’aspect plus hétéroclite des tensions libanaises. Ce manque d’horizon nuit un peu à la qualité de l’ambition première, à savoir faire un exhaustif devoir de mémoire de l’histoire contemporaine du Liban par le biais d’un seul procès. La caméra illustre simplement une narration régulièrement tendue, où heureusement les personnages féminins (les deux femmes des maris et l’avocate de Yasser fille de l’avocat de Toni) apportent modération voire parfois une touche d’humour pour désamorcer un peu l’engrenage d’explosions viscérales et de fêlures réprimées. Le cinéaste utilise l’intelligence de son scénario prenant uniquement partie vers un point de vue réconciliateur en prenant le temps nécessaire à tous ces protagonistes d’exprimer leurs souffrances qui ne cessent de les ronger intérieurement et mieux nous faire ressentir leurs colères sourdes, afin d’aller vers la voie de la réconciliation intime. Le cinéaste livre ainsi un film intègre où la mise en scène manque d’ampleur, s’embarrasse d’une bande originale envahissante et vraiment dispensable mais ne manque pas de souffle pour conter ce manifeste envers la paix entre les communautés grâce à des interprétations intenses dont Kamel El Basha (Yasser) reçu le Prix d’interprétation à la Mostra de Venise 2017 bien épaulé par le convaincant Adel Karam (Toni). S.B De Ziad Doueiri. Avec Kamel El Basha... 1h52

Kamel El Basha recevant le Prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise 2017

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SORTIES DU 07/02

LE 15H17 POUR PARIS Suite logique de ‘’American Sniper’’ et de ‘’Sully’’, ‘’Le 15h17’’ pour Paris permet à l’infatigable Clint Eastwood de poursuivre sa réflexion autour des héros ordinaires, voire plus précisément des héros américains ordinaires, dont la vie est capable de changer en un cours instant. Et c’est peut-être la première inquiétude que suscitait ce projet d’adaptation de l’attentat du Thalys en 2015, avorté grâce à un trio de touristes (dont deux militaires) qui ont rapidement maîtrisé le terroriste : tout s’est déroulé en une dizaine de minutes, qu’Eastwood éparpille entre deux flash-backs, avant d’en faire le climax évident de son métrage. Le problème, c’est qu’il doit néanmoins dérouler une histoire, et décide donc de suivre dès l’enfance ce groupe d’amis, afin d’expliquer comment ils ont pu arriver ensemble à cet instant charnière de leur existence. D’un point de vue théorique, ‘’Le

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cRiTiQuEs 15h17 pour Paris’’ peut se révéler assez fascinant. En se basant plus que jamais sur le réel depuis plusieurs films, le cinéaste s’interroge sur la manière dont quelqu’un ou quelque chose devient un symbole, un élément ressortant du chaos de la vie avec un sens. C’est notamment ce qui rendait ‘American Sniper’’ si incroyable, Eastwood s’attardant sur un homme et ses contradictions, avant qu’elles ne deviennent celles du peuple américain, divisé autour du symbole qu’il s’est soudain mis à représenter. Les héros n’ont pas nécessairement voulu l’être, et on le voit particulièrement avec Spencer, Anthony et Alek, incarnés par euxmêmes à l’écran, avec la limite de jeu d’acteur que cela implique. Ils n’ont rien de spécial, ne sont pas particulièrement charismatiques, et n’ont pas vraiment réussi dans la vie auparavant (le film s’attarde notamment sur leur scolarité difficile). Si ce choix de casting peut paraître étonnant, il est tout à l’honneur de Clint Eastwood d’avoir voulu construire ce projet sur le point de vue de ces personnes, et sur les interrogations qu’ils doivent avoir sur leur vie depuis seulement moins de trois ans. Difficile alors de ne pas imaginer leur implication dans le processus d’écriture, l’ensemble enchaînant des scènes du quotidien, pour beaucoup anodines, dans le but de traquer des signes annonciateurs de leur futur. Y avait-il des symboles pouvant expliquer cette soirée du 21 août 2015 ? Cette question, hautement cinématographique, puisqu’elle demande que le réel soit transformé en un tout cohérent, est la principale limite du «15h17 pour Paris»», parce que le réalisateur occulte la notion d’adaptation. C’est alors d’autres interrogations que le spectateur se pose, à commencer sur le temps nécessaire pour porter à l’écran un tel événement. Peut-être que le film a été fait trop tôt, avec un manque de recul couplé à la présence sur le plateau des vrais héros de cette journée, obligeant inconsciemment l’équipe à les mettre en valeur. Il manque donc au long-métrage cette ambiguïté qui fait le génie du cinéma d’Eastwood, dont quelques traces se retrouvent diluées dans un ensemble sans réel fil conducteur (beaucoup d’éléments de scénario sont purement et simplement abandonnés), reproduisant bêtement la réalité sans parti-pris de mise en scène, et sans cohérence de montage. Si le sentiment d’urgence du réalisateur peut être comparé à celui de Steven Spielberg sur ‘’Pentagon Papers’’, il mène ici à une fabrication vraiment bâclée, inhabituelle de l’artisanat minutieux du réalisateur octogénaire. Une vraie déception donc, que l’on pardonnera à Clint Eastwood, qui a sans doute voulu expérimenter autour des thèmes de ses dernières œuvres, quitte à ce que le symbole, et la fiction, soient sacrifiés sur l’autel d’un réel trop hasardeux et chaotique. A.DS De clint eastwood. Avec Anthony Sadler... 1h34

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50 NUANCES PLUS SOMBRES Après trois ans de longues et douloureuses souffrances, la saga ‘’50 Nuances’’ adaptée des livres du même nom s’achève enfin avec ‘’50 Nuances plus claires’’, dernier volet des aventures sulfureuses de Christian Grey et Anastasia Steele (que vous appellerez désormais sobrement Mme Grey). Pour ce film, nous retrouvons donc le jeune couple fraîchement marié en lune de miel avant que Jack, l’ancien patron d’Anastasia revienne foutre le bordel dans leur monde si parfait. Au programme de l’amour, du sexe, du SM et de l’action… Enfin sur la papier. La réalité est bien moindre puisque James Foley nous sert une nouvelle fois un film totalement indigeste, sans grand intérêt (sauf celui d’admirer le postérieur de Jamie Dornan à la limite), bien loin de servir les oeuvres originales qui elles avaient au moins un certain intérêt quant à la psychologie de son personnage principal. En attendant on est pas prêt de les revoir de sitôt et c’est tant mieux. M.M De james foley. Avec jamie dornan... 2h

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ENGLAND IS MINE Adapter l’adolescence de Steven Patrick Morrissey à Manchester dans les années 70 (celui qui deviendra des années plus tard le chanteur emblématique du groupe The Smiths nous laissez rêveurs quant à un biopic aussi rock que le bonhomme - toujours actif par ailleurs - mais finalement Mark Gill se contente d’un biopic sans grande saveur à la mise en scène plate. L’adolescence du leader des Smiths n’a pas ce petit goût rock’n roll qu’on cherchait tant. Jack Lowden est bien fade dans ce rôle où il semble se perdre. Finalement ‘‘England is mine’’ est très vite oubliable. M.M

De james foley. Avec jamie dornan... 2h

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Quasiment un an après Traque à Boston qui narrait la traque des frères Tsarnaev après l’attentat du marathon de Boston en 2013, c’est toujours le même évènement qui est au coeur de ‘’Stronger’’ mais cette fois en se plaçant du côté des victimes et d’une plus particulièrement : Jeff Bauman, une figure de ce tragique 15 avril 2013 lorsqu’un photographe immortalise le jeune homme, les deux jambes arrachées à cause de la bombe poussé par un homme au chapeau de cow-boy venu l’aider. Une photo qui a fait le tour du monde pour celui qu’on a appelé Wolverine et qui, à lui seul, représente l’esprit «Boston Strong» que la ville s’est forgée peu après l’attaque. Un homme extraordinaire auquel l’acteur Jake Gyllenhaal a prêté ses traits. Ce 15 avril 2013, Jeff Bauman est venu encourager son ex petite-amie Erin sur la ligne d’arrivée du marathon de Boston bien décidé à la reconquérir mais deux bombes posées en plein milieu de la foule lui font perdre ses deux jambes. S’entame alors une longue et douloureuse guérison autant physique que psychologique. 3 morts et et 264 blessés. parmi eux Jeff Bauman dont cette photo a fait le tour du monde et grâce à qui, la police a su identifier un des deux poseurs de bombes. S’en suit une longue guérison, un terrain aussi fertile qu’extrêmement glissant pour n’importe quel réalisateur qui voudrait s’emparer de ce sujet. Plus habitué des séries que des films (on le retrouvera cependant fin 2018 pour un - énième - reboot de l’horrifique Halloween avec notamment LA Jamie Lee Curtis), David Gordon Green s’est longuement appuyé sur le récit de Jeff Bauman pour comprendre le personnage mais également l’esprit de Boston. Au lieu de faire de ‘’Stronger’’ un énième biopic pathos combinant attentats et guérison houleuse, le réalisateur s’attèle à démontrer la force des Bostoniens à travers l’exemple de Jeff Bauman.

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STRONGER Parallèlement, on suit pas après pas les progrès mais aussi les doutes et peurs de Jeff Bauman mais également la guérison d’une ville au caractère bien à elle, toujours empreinte d’un certain humour noir, solidaire et qui ont vu en Jeff l’esprit du «Boston Strong». On pourrait reprocher à David Gordon Green d’avoir essayé d’esquisser un début de combat intérieur comme l’avait si bien fait Ang Lee dans ‘’Un jour dans la vie de Billy Lynn’’ entre l’image qu’il projette publiquement et la lente destruction intérieure qui commence. ‘’Stronger’’ ne fait aucun compromis et évite de tomber dans le mielleux que pourrait causer le sujet. Le film est brut comme l’attentat, les blessés qu’il a fait, les blessures qu’il a laissé sur Jeff sans jamais être totalement sombre et en réussissant à retranscrire à merveille l’esprit de Boston. Le tout porté à bout de bras par un Jake Gyllenhaal (comme toujours) appliqué, habité et qui est bien le seul à savoir insuffler une incroyable dimension physique et psychologique à chacun de ses personnages. On pourrait reprocher à ‘’Stronger ‘’d’être un film absolument patriotique dans ses moindres détails mais là où ce patriotisme déservirait la plupart des films, il sublime et synthétise parfaitement ce qu’est Boston, une ville toujours debout peu importe les épreuves qu’elle a subi. M.M De David Gordon Green. Avec Jake Gyllenhaal... 1h59

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JUSQU’À LA GARDE Ce poignant drame social nous plonge dans le quotidien du couple Besson en pleine séparation et qui se déchire la garde de Julien le plus jeune enfant âgé de onze ans. Xavier Legrand, acteur formé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris est découvert en tant que réalisateur par le biais du remarquable court-métrage ‘’Avant que de tout perdre’’ (2012) récompensé par le César du meilleur court-métrage en 2014. Cinq ans plus tard, il reprend les mêmes acteurs principaux pour décliner une intrigue similaire qui va se voir récompenser cette fois-ci à la Mostra de Venise 2017 (Lion d’argent du meilleur réalisateur, Lion du futur, prix ‘’Luigi de Laurentiis’’ du meilleur premier film) intensifiant l’attente de sa sortie sur nos écrans hexagonaux. Pour son premier film le cinéaste s’attaque frontalement au sujet très délicat des violences intrafamiliales. Dès la première longue scène inaugurale en plan-séquence montrant le couple devant le juge des divorces en charge de décider si Julien doit être en garde exclusive chez sa mère, qui le réclame à cause de comportements violents vis à vis de son fils, ou en garde alternée avec le père, l’aspect très fouillé quasi-documentaire s’avère extrêmement brillant dans l’écriture presque clinique de cette confrontation et la disposition des cadres. D’entrée de jeu le spectateur est balloté par le doute. Puis le réalisateur, insidieusement, distille la peur par le biais d’une magistrale mise en scène au scalpel d’une maîtrise sidérante, oriente son film de prime abord naturaliste, vers un thriller psychologique absolument tétanisant, où chaque séquence amplifie le climat de tensions et petit à petit déchire nos doutes malgré notre refus de l’impensable. Chaque plan est d’une précision diabolique, dans le choix des cadres, la durée des scènes qu’elles soient étirées ou coupées abruptement, et nous fait épouser différents points de vues, par le biais d’un placement de la caméra très étudié. La réalisation sans esbroufe trouve également toute sa puissance et son angoisse dans le travail du son envahissant à travers de nombreux bruits d’objets usuels quotidiens (bruissements divers, alarmes de ceinture dans une voiture, horloge, sonneries de téléphones portables, portes qui claquent, interphone...).

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Une dramaturgie sonore épatante. Avec maestria, Xavier Legrand, par l’écriture ciselée de chaque scène, nous inocule inexorablement la sensation de frousse et nous entraîne par le biais d’une narration inéluctable vers des sommets de suspense, et vers l’épouvantable où le spectateur pris aux tripes fait corps, soudainement tétanisé comme certains des protagonistes. Cette asphyxiante fiction réaliste convoque par certains aspects très bien digérés, le génie d’Hitchcock, le naturalisme de Pialat, des références cinéphiles comme ‘’La nuit du chasseur’’ (1955) de Charles Laughton ou encore ‘’Shining’’ (1980) de Stanley Kubrick pour en faire un sensationnel objet de cinéma personnel. Avec la même rigueur, le cinéaste opère une direction d’acteurs absolument stupéfiante avec des interprètes époustouflants : la bouleversante et épatante Léa Drucker, le prodigieux Denis Ménochet et l’impressionnant Thomas Gioria, révélation hallucinante par sa justesse et maturité de jeu. Une œuvre virtuose à tous point de vue qui marque durablement les esprits après la projection. Un véritable coup de maître ! S.B De Xavier Legrand. Avec denis ménochet... 1h33

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REVENGE Alors que l’on ne s’est toujours pas remis de la claque ‘’Grave’’ de Julia Ducourneau, le cinéma de genre made in France s’est décidé à nous foutre une ultime tatane sous le sapin, par le biais du premier long-métrage de Coralie Fargeat, ‘’Revenge’’, qui fait décemment parti des plus belles surprises du PIFFF cuvée 2017. Après un premier court férocement SF, la cinéaste s’attaque au genre plus que burné et casse-gueule du rape and revenge glorifié par Wes Craven, au sein d’une oeuvre furieuse que n’aurait décemment pas renié le papa de ‘’La Dernière Maison sur la Gauche’’. Transcendant tout du long son pitch en apparence simple (trois connards friqués, une jeune femme seule et maîtresse d’un des bougres, avec en toile de fond une chasse en plein désert aride sous un soleil écrasant), la cinéaste signe une série B musclée, rythmée et léchée (on pense évidemment, au récent et bouillant ‘’The Bad Batch’’), un vrai coup de pied dans les valseuses qui s’assume tout du long, aussi féministe (avec de vrais sujets fort, du viol au harcèlement en passant par l’objectification sexuelle de la femme dans la société contemporaine) qu’elle est jouissivement sanglante. Respectant au pied de la lettre les codes du genre (quitte à se perdre dans une caractérisation des personnages un brin facile), Coralie Fargeat fait de ‘’Revenge’’ une première péloche brute aux mille idées de mise en scène, tendue, gore et incroyablement ludique. Bref, on attend déjà avec une furieuse impatience son second passage derrière la caméra. J.C De Coralie Fargeat. Avec matilda lutz... 1h48

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LE LABYRINTHE 3 Il se sera écoulé trois ans entre la sortie du ‘’Labyrinthe : La Terre Brulée’’ et celle du ‘’Remède Mortel’’. Trois ans, c’est long. Suffisamment en tout cas pour avoir vu le genre dans lequel les films s’insèrent - le divertissement young-adult - dépérir. C’est donc dans une industrie étant passée à autre chose que le public à oublier que la franchise arrive; chargée de clore l’arc de Thomas et de sa bande, partis mater l’ultime bastion de WICKED; mais aussi celui du genre tout entier. Une double mission qui n’aura pas manqué d’être portée à l’attention du réalisateur Wes Ball, ce dernier s’évertuant à proposer tant bien que mal la conclusion spectaculaire et ambitieuse que laissait présager les deux films précédents. Sans surprises, Ball imprime de tout son poids le métrage, lui donnant ambition et maitrise, et ce dès l’introduction via une ouverture in media assez efficace, voyant la clique à Thomas effectuer un spectaculaire braquage à bord d’un train lancé à vive allure. Une ouverture qui a le chic de brosser rapidement la trame : les résistants menés par Thomas et sa bande, toujours à la recherche de Minho, kidnappé dans le climax du volet précédent, se décident à le suivre jusque dans l’ultime bastion de WICKED, grimé en une ville futuriste où les nantis se cachent derrière une gigantesque muraille. L’occasion de transformer la fuite en avant du second volet en un heist-movie futuriste et permettre à son réalisateur de convoquer de nouvelles références dans l’entreprise. Exit donc les contrées désertiques à la Mad Max et les zombies de Résident Evil et place à la lutte des classes teintée de révolution ‘’d’Elysium’’ et ‘’Hunger Games’’, les villes enchâssées autour d’une muraille de ‘’28 Semaines Plus Tard’’ et mêmes les prémices d’une guerre civile à la ‘’Détroit’’ de Kathryn Bigelow. Un bien beau cocktail émaillé ça et là de scènes d’actions invraisemblables, de retournements de situations variés d’où n’émanent qu’un gros plaisir furibard. Si bien que 2h20 durant, les cavalcades essoufflées de Thomas, Newt et Minho divertissent plus que de raison, et ce malgré un script prenant de grosses libertés par rapport au roman éponyme et quelques incohérences propre au genre. Mais, face à la tranche de divertissement proposée, condensé sincère et méga-efficace d’action et d’émotion, on ne peut que valider l’essai. A.D

De Coralie Fargeat. Avec matilda lutz... 1h48

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SORTIES DU 14/02

BLACK PANTHER

Si le MCU domine la concurrence super-héroïque depuis près d’une décennie, gageons qu’elle reste considérablement à la traine niveau projet osé, tant la firme peine franchement à s’aventurer sur des terres inconnues, là où la FOX a su enchainer avec rien de moins que deux cartons R-rated (‘’Deadpool’’ et ‘’Logan’’), produit au rabais comparé aux canons du genre, et que le DCEU a installé ‘’Wonder Woman’’, avec une femme à sa barre - Patty Jenkins -, comme la figure de proue de son univers partagé sur grand écran.

Disney et Marvel se devaient de gentiment casser leur routine ronronnante, en balançant dans les salles une riposte qui redéfinirait autant leur mythologie que notre idée même du blockbuster moderne. Ce qu’est pleinement ‘’Black Panther’’ et son casting majoritairement composé d’acteurs noirs (un cauchemar pour la quasi-intégralité des producteurs d’Hollywood), une mini-révolution offerte au talentueux cinéaste Ryan Coogler, qui a su prouver autant la finesse de son regard sur la réalité 24

sociale de la communauté afroaméricaine (‘’Fruitvale Station’’) que sa manière d’aborder avec force les notions de dépassement de soi et d’héritage (‘’Creed’’). L’homme de la situation, pour mettre en boîte un divertissement spectaculaire et grisant d’une richesse folle, un quasi-thriller d’espionnage bourré d’action façon relecture habile du mythe 007 aussi politiquement engagé (la place et l’identité culturelle du continent africain dans le monde moderne) qu’il recycle avec maestria tous les thèmes phares du cinéma de son cinéaste (la


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De Ryan Coogler. Avec Chadwick Boseman... 2h15

transmission, la quête identitaire et les doutes qui en découlent). Audacieux (on ne cite pas les autres héros du MCU, et c’est une BONNE chose) et férocement intelligent, plaçant l’humain au centre des débats, véritable ode à la culture africaine (entre tradition et modernité) aux accents politiques résonnant puissamment avec l’actualité (avec la lutte pour les droits civiques en toile de fond, qui n’a jamais été aussi vibrante outre-Atlantique), esthétiquement inventif et léché (malgré quelques fonds verts pas vraiment maîtrisé) et ne laissant

jamais de côté son statut de grosse machine populaire (l’action est prenante et lisible); ‘’Black Panther’’ est un blockbuster total qui en met plein la vue - mais pas que - et surclasse aisément ses petits concurrents du moment en se payant (enfin) autant des personnages féminins forts (on pense autant à la guerrière Danai « Michonne « Gurira, que la princesse Letitia Wright ou encore la sublime Lupita Nyong’o) qu’un premier vilain à la hauteur, campé par le comédien fidèle au cinéma de Coogler, Michael B. Jordan, totalement habité. Croqué avec une véritable personnalité forte et des ambitions crédibles (il veut renverser l’ordre établi par l’histoire en imposant avec colère une suprématie noire sur tout le globe), il est le némésis parfait qui 25

pousse un T’Challa charismatique et en plein doute (Chadwick Boseman, brillant), à se révéler et épouser pleinement son statut de souverain répondant avec les griffes et non la neutralité, aux inégalités sociales qui gangrènent la société depuis des siècles (la première scène post-générique est d’ailleurs une attaque frontale au gouvernement US de Trump). Tribal, nécessaire et faisant de sa singularité un atout implacable, sans forcer, ‘’Black Panther’’ est de loin l’aventure solo la plus grisante de la firme (et c’est peut-être son seul défaut, l’idée de devoir le rattacher au final aux autres films), ainsi qu’une formidable et dépaysante parenthèse à la lutte contre Thanos qui battra son plein d’ici mai prochain. J.C


L’APPARITION Cet intrigant drame théologique nous entraîne dans une petite ville du sud-est de la France où une jeune fille de 18 ans déclare avoir vu l’apparition de la Vierge Marie. Pour avoir confirmation de ces allégations, le Vatican demande à un journaliste reporter de guerre de venir faire une enquête canonique afin de faire la lumière sur ce fait, et prouver que ce n’est pas une simple affabulation mercantile pour tromper les pèlerins venus en masse sur les traces de cette apparition et voir «l’élue» de Dieu. Xavier Giannoli depuis quelques films, du brillant ‘’À l’origine’’ jusqu’à l’excellent ‘’Marguerite’’ en passant par l’approximatif ‘’Superstar’’, s’est avéré être le cinéaste de ‘’l’imposture’’, une quête du sens de la vérité. Cet artiste aime scruter à travers la caméra ‘’l’illusion’’ et trouve dans cette intrigue un sujet permettant d’ajouter un chapitre en plus dans cette quête du réel. Avant de se lancer avec foi dans l’aventure de ‘’L’apparition’’, le réalisateur, comme un journaliste, s’est beaucoup documenté en rencontrant des personnes ayant participé à des enquêtes canoniques et utilisent même dans son film de vrais documents ‘’confidentiels’’ pour ajouter à son long métrage plus de véracité. Dès la séquence inaugurale, le cinéaste plonge le spectateur dans le réel, à savoir l’horreur de la guerre où Jacques, un grand reporter vient de perdre un ami photographe lors d’une mission. La très bonne idée du scénario va être de confronter ce journaliste d’un grand quotidien, obsédé par les faits, blessé à l’oreille et meurtri psychologiquement par la perte de son collègue, habitué à la dure et injuste réalité du terrain face à des faits surnaturels à élucider. Ses deux entités opposées vont se croiser tout au long du

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film, tourné dans l’ordre chronologique pour plonger Vincent Lindon dans le même état d’esprit que son personnage qui questionne aussi bien la jeune fille que sa propre force de croire en quelque chose d’aussi peu cartésien. Xavier Giannoli opte pour le Scope afin d’offrir une mise en scène formaliste, à la lisière entre le western contemplatif et le palpitant thriller mystique, au milieu de splendides décors naturels ou dans l’intimité du couvent à l’atmosphère parfois étrange entre ombres et lumière divine. A l’autel des déclarations d’Anna la jeune orpheline devenue religieuse ayant vu la Vierge, le récit intime (quasiment toujours du point de vue du journaliste) devient initiatique sous la forme d’une véritable et pertinente enquête d’investigation entre monde du réel et croyances, se double d’une double quête existentielle mettant à mal les certitudes et faisant vaciller les deux camps. Le long métrage regorge de richesses thématiques mais malheureusement la lente narration chapitrée et assez théorique apporte parfois redondances et baisses de rythme ennuyeuses. L’œuvre immersive convainc davantage dans l’attachante relation qui s’instaure entre la jeune fille et le grand reporter que dans la résolution de l’enquête elle-même. Il en résulte malgré certains défauts et certaines coutures d’écritures maladroites, de par son approche documentaire, un intéressant film sur le doute, habité par une bande sonore emplie de vibrants chants religieux et de morceaux empathiques comme Stellaire de Georges Delerue ou des compositeurs Arvö Part, Jóhann Jóhannsson (récemment disparu). Un habile long métrage dont la procession scénaristique du point de vue d’un sceptique sur un mystère, offre un rôle convaincant et touchant à Vincent Lindon bien accompagné par la lumineuse et gracieuse Galatea Bellugi (révélation du film ‘’Keeper’’). Ces deux acteurs forment un beau duo cinématographique porté par la foi d’un cinéaste toujours en quête de sens. S.B De Xavier Giannoli. Avec Vincent Lindon... 2h17

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LE RETOUR DU HÉROS

On avait franchement été séduit par le dernier passage derrière la caméra du sympathique Laurent Tirard (là où ses adaptations de classiques ne nous avaient pas franchement convaincus, que ce soit aussi bien son ‘’Petit Nicolas’’ que son ‘’Astérix et Obélix : Au Service de sa Majesté !’’), la comédie ‘’Un Homme de Taille’’, belle ode à la différence faussement superficielle, plutôt avisée dans son traitement romantique d’une relation à ‘’handicap’’ (qui s’attache aussi bien du point de vue de la femme gênée par le regard des autres que du petit homme ne souffrant nullement de sa taille), juste dans son émotion sans pour autant tomber dans les écueils faciles du pathos de supermarché. Bref, un petit moment de cinéma enlevé jouant pleinement la carte du burlesque et du quiproquo amoureux, qui dénotait clairement face à ses petits concurrents de la très lisse production comique hexagonale de ces dernières années. Deux ans plus tard, et toujours avec Jean Dujardin en vedette, le bonhomme s’attaque à un projet encore plus ambitieux : ‘’Le Retour du Héros’’, ou un vaudeville historico-barré théâtralisé et en costumes (!), sur une imposture rocambolesque aussi hilarante qu’impertinente, dans laquelle Tirard s’amuse une nouvelle fois à décortiquer les rapports hommes-femmes par la force de personnages attachants, gentiment engoncés dans les carcans de la société d’époque (le 19ème siècle, qu’il égratigne sans trembler). Vraie comédie d’aventure aux dialogues savoureux, s’appuyant pleinement sur ses interprètes (Jean Dujardin fait le show en ressortant quasiment sa panoplie d’OSS 117, Mélanie Laurent est excellente), certes un poil tronqué par une mise en scène impersonnelle - voire limite en pilote automatique -, ne s’alignant jamais vraiment sur la qualité et la finesse de l’intrigue (qui met vraiment un bon quart d’heure pour démarrer et installer ses enjeux); ‘’Le Retour du Héros’’ n’en est pas moins un délice de comédie d’époque enthousiasmante et solidement charpentée, qui vaudra décemment son pesant de popcorn au sein d’un mois de février particulièrement grisant. J.C De Laurent Tirard. Avec Jean Dujardin... 1h30

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PHANTOM THREAD Il y a quelque chose de terrible à se dire qu’avant même d’être le nouveau long-métrage du brillant Paul Thomas Anderson, ni même le film des retrouvailles entre lui et son acteur vedette du chef-d’oeuvre ‘’There Will Be Blood’’, ‘’Phantom Thread’’ est avant tout et surtout, le dernier rôle sur grand écran de l’immense Daniel Day-Lewis, l’ultime chant du cygne d’un comédien à part dans le paysage cinématographique mondial. Et le spectre de cet ultime témoignage sur grand écran hante tout du long le film de PTA, formidable chronique suave et élégante sur les troubles affectifs d’un grand couturier aussi monomaniaque et adulé qu’il est bourreau des coeurs, qui aimera à en perdre la raison autant les plaisirs de la chair qu’un art qu’il n’aura eu de cesse de sublimer avec talent. Transpirant le cinéma du cinéaste de tous ses pores (la froideur intrigante qui prend son temps pour embaumer le métrage cite directement le mésestimé ‘’The Master’’, tout comme la thématique de la domination par la dépendance mutuelle), ‘’Phantom Thread’’ peut se voir autant comme une fine étude de moeurs subversive de la noblesse britannique (via le prisme d’une entreprise de haute couture familiale, gangrenée par les faux-semblants et une violence étouffée), qu’une renversante histoire d’amour tortueuse (avec une vraie question sur le rapport de force entre maître et muse); au sein d’un portrait intime, presque hors du temps, d’une figure aussi ambiguë qu’elle est fascinante, dominé de la tête et des épaules par un Daniel Day-Lewis impérial, aux côtés duquel la petite touche de poésie Vicky Krieps révélation du métrage - signe une composition sincère et touchante. D’un classicisme assumé, esthétiquement impeccable et d’une reconstitution historique léchée, le PTA cuvée 2018, drame puissant embrassant dangereusement les courbes du thriller psychologique, est un diamant noir vénéneux, cinglant et sensiblement éprouvant, dont on ressort aussi lessivé que franchement conquis. Une expérience étrange, grisante, inconfortable et définitivement mémorable, comme tout bon film du cinéaste... J.C

De Paul Thomas Anderson. Avec Daniel Day-Lewis... 2h10

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SORTIES DU 21/02

LA FORME DE L’EAU De loin la figure la plus attachante mais surtout importante du cinéma de genre depuis John Carpenter et Wes Craven, ce bon vieux magicien mexicain Guillermo Del Toro, estimé par tous les cinéphiles endurcis dès son premier essai - ‘’Cronos’’ - n’avait pas atteint nos salles obscures depuis plus de deux ans, un véritable parcours du combattant jalonné autant de projets avortés que de productions repoussés ad vitam eternam. Mais le papa de ‘’Pacific Rim’’ est connu pour bouffer du taureau enragé à chaque péloche, et il ne pouvait décemment pas laisser plus longtemps sa caméra dans le silence, là ou il y a encore dix printemps, il enchainait les réalisations de façon boulimique avec une liberté de ton et de propos proprement indécente. De la trempe de ses plus beaux essais, ‘’La Forme de l’Eau’’, estampillée bête de festival comme le vénéré ‘’Le Labyrinthe de Pan’’ en son temps, est une nouvelle raison de succomber au talent de conteur extraordinaire du bonhomme. En l’espace de deux petites heures d’une finesse intellectuelle sans bornes, Del Toro balaye tout le spectre du genre fantastique au sein d’un énième classique instantané, un hommage vibrant aux figures tragiques et monstrueuses qui animent sa cinéphilie et son cinéma, qui transpire dans sa volonté d’embrasser fougueusement un surnaturel aussi complexe que sincère. Véritable love story gothique déchirante multipliant les références aux classiques du genre (‘’La Belle et la Bête’’ de Cocteau, ‘’La Créature du Lac’’ et même ‘’Edward aux Mains d’Argent’’), sur deux amants impossibles confrontés au mal de leur époque (les États-Unis en pleine Guerre Froide), mêlant universalité et singularité avec un naturel et un humanisme bouleversant, ‘’The Shape of Water’’ - titre en v.o. - est un formidable conte fantastique plaçant l’amour au pluriel (et questionnant subtilement les fondements de la passion amoureuse, aveugle et sans préjugés) au coeur de son récit étonnement terre-à-terre; un indécent tour de force multipliant les genres (film de monstres, romance, film de guerre,...) et dont les enjeux dramatiques subordonnent douloureusement la réalité. Impossible de ne pas voir dans cette oeuvre aboutie et délicate, une charge calibrée contre le puritanisme faussement idyllique et le communautarisme abusif du pays de l’Oncle Sam de l’époque, qui fait instinctivement écho à la politique Trump actuelle. Porté par un casting renversant (Sally Hawkins est d’une sensibilité bouleversante, Michael Shannon est formidablement antipathique en vilain ambivalent), toujours enveloppé par une nostalgie enivrante et une imagerie lovecraftienne puissante, le nouveau bébé du Guillermo est une fable enchantée où les vrais monstres ne sont jamais ceux que l’on croit. Le meilleur film de l’année 2018 est peut-être déjà là... J.C De guillermo del toro. Avec sally hawkins... 2h03

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MOI, TONYA On a beau chipoter - à raison - sur le manque d’originalité du cinéma ricain et sa passion (entre autres) à aligner de manière férocement boulimique les biopics en tout genre au moment où la saison de la course aux statuettes dorées pointe le bout de son nez, impossible en revanche, de se plaindre de ‘’Moi, Tonya’’, biopic choc et prenant sortant clairement des sentiers battus autant dans le fond que dans la forme. Outsider de poids aux oscars, il suit le parcours chaotique et franchement cinégénique de la patineuse artistique Tonya Harding, ex-prodige de la glace qui deviendra plus célèbre pour l’affaire sordide la liant avec l’autre patineuse chouchou de l’Amérique, Nancy Kerrigan, que ses performances sportives (elle est pourtant la première à avoir réalisé un Triple Axel en compétition officielle). Mis en boîte avec énergie par Craig Gillespie et dominée de la tête et des épaules par la bombe Margot Robbie, ‘’Moi, Tonya’’ est la véritable autopsie d’un Rise and Fall aussi tragique qu’il est fascinant, un petit morceau de cinéma étonnement irrévérencieux et shooté aux codes de la comédie burlesque/noire chère aux frangins Coen. Axé sur les années 80/90, le film se veut autant comme un portrait doux-amer et criant de vérité d’une jeune femme à qui la vie n’a rien donné et qui tente d’envoyer bouler sa chienne de vie sur la patinoire (famille pauvre du trou du cul de l’Oregon, un paternel redneck qui l’abandonne, une mère alcoolique qui la martyrise, un mari qui la bat, une institution sportive qui la méprise), qu’une ode grisante sur l’abnégation, la détermination et le dépassement de soi (comme le récent ‘’Eddie The Eagle’’, en moins feel good movie); un vrai hommage sur pellicule à tous ses rejetés de l’American Dream, qui se battent pour réaliser leur rêves, jamais à charge contre ses protagonistes gentiment perturbés - même s’il s’amuse de leurs contradictions. Biopic totalement fou et décomplexé à l’image de sa folle héroïne, figure au moins autant attachante qu’elle est imprévisible et détestable, dynamité par une mise en scène inventive (Gillepsie est bien aidé par le brillant chef-op Nicolas Karakatsanis) et un score bouillant bourré de tubes des 80’s; ‘’Moi, Tonya’’, habile et cohérent mélange des genres au casting impeccable (Margot Robbie et Allison Janney sont époustouflantes), est une jolie et généreuse dramédie menée tambour battant et à l’énergie réellement communicative, une pure antisuccess story intelligente, empathique et pleine de peps, qui mérite amplement toutes ses louanges. J.C De Craig Gillespie. Avec margot robbie... 2h

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CRIMINAL SQUAD Quelques semaines après le blockbuster apocalyptico-ridicule ‘’Geostorm’’, Gerard Butler avec un bon actionner musclé qui dépote, ‘’Criminal Squad’’, mis en boîte par le scénariste de ‘’La Chute de Londres’’, Christian Gudegast. Projet accouché dans la douleur (le cinéaste le porte depuis 2002), ‘’Den of Thieves’’ en v.o , transpire toute l’essence même du cinéma d’action des 80’s/90’s, totalement disparu des salles suite à l’avènement des blockbusters super-héroïques dès le début des années 2000 : une histoire simple mais à l’efficacité redoutable où les frontières entre la loi et le crime est plus que brouillée (un braquage de la réserve fédérale de L.A, filmé à la fois du côté de la police que des hors-la-loi), dans un fight homérique entre gangsters et flics réglos/ripoux aux trognes atypiques, où tous les coups seront permis dans la sacro-sainte Cité des Anges. Citant joyeusement ses légendaires ainés (‘’Heat’’ en tête) dans un enchaînement de clichés inhérents au genre et de scènes d’action solidement charpentées (le tout est lisible et prenant), ‘’Criminal Squad’’ incarne sans forcer une série B jouissive et franchement décomplexée, sommet de virilité pure efficace et maitrisée (le script ne pète pas trois pattes à un canard, mais tient la route) où les balles fusent autant que la testostérone dégouline de ses interprètes vedettes, tout de muscles et de tatouages sortis. Côté casting, avec une barbe touffue et un gun affuté, Gerry Butler en impose en flic bouffé par l’alcool mais père aimant, tout autant que le mésestimé Pablo Schreiber, leader du gang de braqueurs d’élite aussi bestial qu’il est charismatique. Constamment en mouvement, tendu et régressif / extravagant juste ce qu’il faut, le premier long de Christian Gudegast est un thriller solide, western haletant sur un hold-up rondement bien mené jusqu’à un final jubilatoire. J.C

De Christian Gudegast. Avec gerard butler... 1h30

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MARY ET LA FLEUR DE LA SORCIÈRE Après de bons et loyaux services dans le célèbre Studio Ghibli pendant 18 ans, Hiromasa Yonebayashi a décidé de changer de maison pour pour créer avec Yoshiaki Nishimura le Studio Ponoc où il sort son troisième long-métrage (après ‘’Arietty Le petit monde des chapardeurs’’ et ‘’Souvenirs de Marnie’’) : ‘’Mary et la fleur de la sorcière’’. Une épopée fantastique où la patte Ghibli se fait toujours un peu sentir mais qui nous entraîne facilement dans son monde enchanteur. Mary vient d’emménager chez sa grande-tante. Petite fille pleine de vie et toujours prête à rendre service, sa maladresse a de quoi en rendre fou plus d’un. Mal dans sa peau, notamment à cause de ses cheveux roux qu’elle déteste, elle est aussi bien loin de devenir amie avec Peter, le voisin qui ne cesse de la taquiner. En suivant un chat qui change bizarrement de couleur jusque dans la forêt, Mary tombe par hasard sur un vieux balai à sa taille et une étrange fleur bleue : la fleur de ls sorcière. Pour une nuit, Mary aura des pouvoirs magiques et va découvrir un monde magique au-delà des nuages : l’école de magie Endor où derrière cette apparence idyllique, se cache de terribles expériences effectuées sur les animaux. Adapté du roman de Mary Stewart ‘’The Little Broomstick’’ sorti en 1971, ce merveilleux conte mêlant habilement dessin à la main et incrustations 3D tout en abordant différemment cette idée de magie qu’on a l’habitude de voir dans les films. Un film à hauteur d’enfant qui nous fait rentrer dans un monde magique surréaliste, disproportionné mais incroyablement beau et attirant. Loin d’être un atout pour la petite Mary, la magie (ou plutôt ici la sorcellerie) lui permettra de grandir et de poser ce constat que non, elle n’en a pas besoin, elle a déjà tout ce qu’il faut en elle pour réussir et non la magie n’a pas toujours que des côtés positifs. A la tête de cette épopée fantastique, une jeune fille au tempérament de feu. La jeune Mary est pleine de vitalité. Elle court, elle sourit, bref c’est une enfant et c’est surtout une enfant résolument optimiste. Malgré son manque de confiance en elle, Mary n’a pas de véritable conflit intérieur, ce voyage au-delà des nuages n’aboutit pas à une transformation radicale de la jeune fille. Les méchants restent méchants et les gentils restent gentils et c’est peut-être de ça que manque un peu le film. Pour leur premier film signé le Studio Ponoc, les vétérans de Ghibli nous prouvent qu’ils n’ont rien perdu de leur talent de merveilleux conteur à travers une histoire drôle, moins touchante qu’il n’y parait mais férocement vivante. M.M De Hiromasa Yonebayashi. 1h43

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SORTIES DU 28/02

LADY BIRD Sorti de nul part, ‘’Lady Bird’’ de Greta Gerwig - son premier long-métrage - est en train de se faire un petit nom dans le paysage cinématographique de 2018 entre son score de 100% sur le site Rotten Tomatoes pendant plusieurs semaines , ses nombreuses nominations aux différentes cérémonies de ce début d’année et deux Golden Globes (Meilleur comédie et Meilleure actrice pour Saoirse Ronan). Pour son premier film en solo derrière la caméra, l’actrice Greta Gerwig nous offre un teen-movie certes vu et revu mais à la sincérité et à l’humour déroutant. Comment aborder ce difficile passage de l’adolescence à la vie adulte sans tomber dans les clichés du genre et s’apparenter à tous les films du genre qui pullulent depuis des années - et qui sont plus ou moins réussis - que ce soit dans le cinéma français ou américain ? Avec un rôle titre comme Christine ‘’Lady Bird’’ McPherson, jeune adolescente en dernière année de lycée qui somme tout son entourage - y compris es professeurs - de l’appeler par le nom qu’elle s’est elle-même donnée : Lady Bird. En conflit constant avec sa mère aussi aimante qu’autoritaire, Lady Bird ne rêve que d’une chose : quitter sa Californie pour mettre à profit sa fibre artistique dans la Grande Pomme. Mais avant ça elle doit faire face à ses désillusions concernant la famille, ses amis mais aussi l’amour, l’adolescence quoi. Avec un scénario si commun, Greta Gerwig avait toutes les chances de se prendre les pieds dans le tapis mais c’est sans compter sur l’intelligence et la finesse d’écriture de la réalisatrice. Une adolescente persuadée de tout savoir, que sa mère la déteste, qui envie les belles maisons situées du bon côté de la voie contrairement à elle et qui pense trouver l’amour parfait alors que ce n’est qu’un énième Don 34


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Juan. Avec des dialogues léchés, aussi drôles que touchant, Lady Bird respire la sincérité et la nostalgie. Mais ce qui fait indubitablement basculer ‘’Lady Bird’’ du petit teen-movie sympathique à une véritable oeuvre à part entière tient du visage angélique et la chevelure rouge de «Lady Bird» aka Saoirse Ronan. Un talent brut déjà filmé à merveille par Joe Wright, Wes Anderson ou encore Ryan Gosling qui éblouit le film par sa justesse mais également sa fragilité. À ses côtés une Laurie Metcalf délicieuse en mère courage qui tente tant bien que mal de joindre les deux bouts pour sa famille et incapable de montrer un geste d’affection envers sa fille. Greta Gerwig dépeint à merveille une galerie de personnages hauts en couleurs, chacun avec leurs différences et leurs contradictions mais jamais avec un regard méchant. ‘’Lady Bird’’ est un teenmovie enchanteur, jamais moralisateur, toujours solaire comme son actrice principale. Une belle leçon sur l’adolescence, ses fauxsemblants et ses désillusions mais toujours avec un amour sincère. Des premiers pas plus que réussis pour Greta Gerwig ! M.M De greta gerwig. Avec Saoirse Ronan... 1h34

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LES GARÇONS SAUVAGES Cet étonnant conte fantasmagorique transgenre narre le destin de cinq adolescents de bonne famille venant de commettre un crime et repris en main par Le Capitaine pour une croisière rigoureuse sensée remettre les jeunes hommes dans le droit chemin, jusqu’à leur échouage sur une mystérieuse île sauvage. Le singulier réalisateur français Bertrand Mandico, jusqu’ici reconnu pour ces courts-métrages aux univers radicaux et dont certaines créations filmiques font l’objet d’expositions et d’installations livre sa première fiction inclassable. Son passage au long métrage était très attendu vu le parcours passionnant de cet artiste multi-supports. Cet ovni cinématographique semble être un film somme de toutes ses obsessions, en particulier sur l’hybridation de genres. Dès l’introduction par une voix off féminine assez solennelle et le format d’images façon vignette en 4:3 arty en noir et blanc le spectateur se trouve dérouté vers un monde inconnu où le réalisateur nous embarque. Le cinéaste opte pour une mise en scène transgressive baroque et onirique en somptueuses saynètes qui regorgent d’idées. Comme dans un shaker le cocktail Mandico utilise de multiples ingrédients et références des livres d’aventures de Jules Verne, des poètes et écrivains Genet, Cocteau, Burroughs, des images pops pleine de peps de Pierre et Gilles ou cinéphile ‘’Querelle’’ (1982) de Rainer Werner Fassbinder et ‘’Sa majesté les mouches’’ (1963) de Peter Brooks notamment, chaque plan déverse des montages, collages et surimpressions innovants. Le spectateur brinqueballé petit à petit se laisse envahir par l’atmosphère de cette île de plaisirs à travers cette nature luxuriante où les plantes ressemblent à des orifices phalliques agréables, où les fruits poilus ressemblent à un sexe féminin

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bouffés avec gourmandise par les garçons, et où de nombreuses jouissances jaillissent d’une végétation très exotique. Par le biais de ce récit très foisonnant malheureusement trop long, Bertrand Mandico déploie une narration chimérique, onirique et orgiaque où le plaisir des corps questionne l’identité sexuelle en donnant un point de vue mettant à mal la virilité masculine emplie de violence. Le cinéaste bouscule sacrément le rapport homme/femme par une vertigineuse idée scénaristique pour faire de cette expérience ludique une vraie problématique contemporaine sur la question de genre et donne ainsi à son film singulier, un l’esprit viscéralement queer réjouissant. L’intrigue est transcendée par le choix du casting se dévoilant de façon surprenante à mesure que le film avance vers une réinvention du genre et où les identités se superposent avec naturelle sous nos yeux ébaubis par cette pirouette surprenante. S.B De Bertrand Mandico. Avec Pauline Lorillard... 1h50

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SORTIES NETFLIX

NEWNESS Il y a quelque chose d’infiniment frustrant dans la manière qu’ont nos distributeurs hexagonaux de gentiment boycotter le cinéma certes peu commercial mais foutrement brillant, de Drake Doremus, qui incarne - et de loin - ce qu’il est arrivé de mieux au genre romantique depuis Richard Linklater et la trilogie des ‘’Before’’. Esthète du sentiment amoureux qui décortique la notion de couple sous toutes ses coutures, le bonhomme nous revient en ce début d’année ciné 2018 par la case Netflix avec un bijou aussi douloureux et fascinant que son mésestimé ‘’Like Crazy’’, ‘’Newness’’, pour lequel il retrouve la co-star de son mitigé ‘’Equals’’, Nicholas Hoult, mais aussi la sublime et beaucoup trop rare Laia ‘’Victoria’’ Costa. Questionnant avec virulence l’influence des nouvelles technologies sur nos rapports sentimentaux (et notre facilité déconcertante à passer, parfois, d’une relation à une autre), aussi bien d’un point de vue approche/drague (Tinder, ou le sexe peut se commander/ consommer en un clic) que dans notre intimité de tous les jours (où il est presque criminel de ne pas avoir Facebook), ‘’Newness’’ prend le parti d’un couple attachant engoncé dans ses fêlures (la perte insurmontable d’un amour passé pour l’un, la dépendance à un désir de plaire/séduire pour l’autre) : Martin et Gabi, qui se sont rencontrés via une application sur leur smartphone. Deux amants fougueux dont l’amour sincère et les nombreuses maladresses affectives (tromperies, secrets, non-dits), vont amener à devenir les protagonistes d’une relation libre et ouverte atypique; une exploration troublée et troublante de l’amour multiple où chacun aura au final bien du mal à trouver sa convenance qui va peu à peu les détruire. Doremus croque les aléas douloureux d’un couple débordant de vérité, sans se permettre le moindre jugement ni la moindre compassion à leur égard, tant il épouse avec sa caméra leur complexité avec justesse, et s’appuie uniquement sur la force évocatrice de l’alchimie magique entre deux comédiens totalement impliqués, qui donnent vie avec sincérité à cette chronique romantique bouleversante presque (trop) réaliste. Poignant, vivant, vibrant et porté par un happy end enthousiasmant, ‘’Newness’’ est un bijou aussi précieux qu’il est d’une finesse rare, un formidable moment de cinéma modeste et enivrant dont on ressort intimement ému et troublé. Sans crier gare, Drake Doremus signe une nouvelle fable puissante sur l’amour moderne, et rien de moins qu’un potentiel nouvel objet de culte... J.C De Drake Doremus. Avec Nicholas Hoult... 1h52

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THE CLOVERFIELD PARADOX Le coup de publicité génial de Netflix pour promouvoir ‘’The Cloverfield Paradox’’ restera sensiblement dans les annales du bon goût, et va instinctivement de pair avec le génie promotionnel de son producteur vedette J.J. Abrams. Et si les premiers films de la franchise se passaient bel et bien sur terre, avec des humains faisant face à une tétanisante invasion extraterrestre, le film de Julius Onah lui s’installe dans l’espace et ressemble in fine bien plus à une odyssée spatiale cauchemardesque façon ‘’Event Horizon’’ du pauvre qu’à un vrai petit morceau de SF ambitieux et intelligent. Si le cadre apocalyptique fait toujours autant mouche dans cette intrigue brouillonne (à la fois sur Terre et dans l’espace, avec une quête énergétique pour pallier à la crise sur la planète bleue) et à la logique facile (tout peut arriver dans l’espace...), ‘’The Cloverfield Paradox’’ n’est jamais vraiment flippant ni même jamais vraiment prenant dans son voyage au bout de l’enfer où le vaisseau Cloverfield Station devient une antichambre démoniaque, à tel point que l’on attend fébrilement tout du long son final pour déceler un minimum de clarté dans ce bazar esthétiquement léché, servant de prequel aux deux précédents métrages et expliquant - mais pas que - les fameuses raisons des événements se déroulant sur terre. Prometteur dans ses premiers balbutiements avant de sensiblement se ramasser la tronche à coups d’incohérences monstres, le film d’Onah dont certains traits rappellent instinctivement une oeuvre phare chère à J.J. Abrams, ‘’Lost’’ (le coeur du film reste ses personnages, plutôt bien croqués malgré quelques clichés évidents, et leur voyage émotionnel), ne vaut dès lors que pour ses nombreuses idées esthétiques plongeant autant dans le déjà-vu (souvent) que dans l’étrangement jouissif (rarement). Porté par un casting all-stars qui se démène comme il peut (David Oyelowo, Gugu Mbatha-Raw, Chris O’Dowd, Ziyi Zhang, Daniel Bruhl, Elizabeth Debicki,..), ‘‘The Cloverfield Paradox’’ n’est pas catastrophique, juste sensiblement poussif, prévisible et décevant là ou l’on espérait voir incarner un opus encore plus réussi que les précédents. J.C De Julius Ohna. Avec Gugu M’Batha Raw... 1h42

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LE TALENT GRETA GERWIG AU NATUREL 40


pOrTrAiT On est tous tombé irrémédiablement amoureux au moins une fois sur grand écran, de la sublime Greta Gerwig, belle plante blonde aussi charmante qu’elle est d’une pureté et d’un naturel férocement attachant. Muse lunaire de Noam Baumbach - son compagnon à la ville -, membre important du mouvement mumblecore (fameuse vague de péloches archi-fauchées au naturalisme radical) tout autant qu’égérie puissante d’un cinéma indépendant US qui n’est plus vraiment le même depuis qu’elle a été révélée aux yeux des cinéphiles dans le grisant ‘’Greenberg’’, l’actrice/scénariste est l’un des talents les plus incontournables du moment - et le mot est faible. Éternelle Frances Ha à nos yeux, la native de Sacramento, qui rêvait

dès l’adolescence de devenir actrice, notamment par amour pour les envolées volubiles et newyorkaise de papy Woody Allen (elle tournera d’ailleurs pour lui dans le peu recommandable ‘’To Rome With Love’’), a su se tailler en une toute petite décennie seulement, une filmographie à en faire pâlir plus d’une (‘’Greenberg’’, ‘’Damzell in Distress’’, ‘’Frances Ha’’, ‘’Eden’’, ‘’Mistress America’’, ‘’20th Century Women’’, ‘’Jackie’’...)

‘’Je n’avais pas l’impression de jouer d’une manière différente, jusqu’à ce qu’on me le dise. Au début, j’ai pensé que je faisais quelque chose de bizarre, qui n’allait pas.’’

Et pour ne pas faire taire son statut de nana douée, là voilà qu’elle se lance ces jours-ci dans le grand bain de la réalisation avec un premier long, Lady Bird, chronique adolescente portée par la toute aussi talentueuse et craquante Saoirse Ronan, déjà auréolé du prix de la Meilleure Comédie aux derniers Golden Globes. En outsider improbable il y a encore quelques semaines, on ne s’avance pas tant que ça en annonçant que les oscars lui tendent presque les bras. Petit bonus : histoire de finir l’année 2018 en beauté, elle usera de son timbre de voix dans le prochain bijou de Wes Anderson - ‘’Isle of Dogs’’ - et retrouvera Mia Hansen-Løve pour son ‘’Bergman Island’’. Incontournable qu’on vous dit…

J.C

Greta Gerwig & Saoirse Ronan

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LE FEU SUR MARGOT ROBBIE LA GLACE 42


pOrTrAiT On ne pas vraiment dire que les terres chaudes australiennes ont été avares avec le septième art mondiale, en nous offrant rien de moins que trois des comédiennes les plus brillantes de ces trois dernières décennies : Nicole Kidman, Cate Blanchett et Naomi Watts. Rien que ça pouvait suffit à notre bonheur de cinéphiles, mais quand on est généreux, on est généreux hein. Et après Isla Fisher ou encore Rose Byrne, le pays des Wallabies nous envoya rien de moins qu’un ange à la beauté incendiaire : Margot Robbie, dont l’arrivée à Hollywood fut aussi tonitruante que férocement... caliente. En femme chaude comme la braise du (très) chanceux Leonardo DiCaprio dans le jouissif ‘’Le Loup de Wall Street’’, l’actrice découverte dans le soap opera australien ‘’Les Voisins’’ et aperçu en second couteau de luxe dans la craquante romcom ‘’Il Était Temps’’ de Simon Curtis, décroche son ticket pour la gloire et se voit instinctivement classée tout en haut de la chaîne alimentaire Hollywoodienne, en potentielle next big thing qui ne demandait qu’à exploser. Et l’explosion viendra vite, très vite pour cette amoureuse du surf et du yoga, avec des premiers rôles chez une Warner qui en fait vite sa petite chouchoute (‘’Diversion’’, ‘’Tarzan’’, ‘’Suicide Squad’’), et quelques passages remarqués sur le circuit indépendant pour faire bien sur le CV (le brillant ‘’Z For

Zachariah’’, ‘’Suite Française’’ ou encore ‘’Whiskey Tango Foxtrott’’. Si le duo Warner/DC lui prévoit déjà au moins trois films dans la peau de la délurée Harley Quinn, et qu’on la retrouvera très bientôt dans le prochain Simon Curtis, ‘’Goodbye Christopher Robin’’ - où elle retrouvera également Domnhall Gleeson -, c’est son premier vrai grand rôle qui fait l’actualité ce mois-ci : ‘‘Moi, Tonya’’, biopic officiel et résolument noir de la sulfureuse patineuse artistique, où l’implication physique de la belle blonde est impressionnant.

‘’Je me suis entraînée pendant quatre mois, cinq jours par semaine, plusieurs heures par jour. J’ai été accueillie dans le monde de souffrances qui coexiste avec celui du patinage artistique, et dont j’ignorais l’existence.’’ 43

Plus que convaincante dans ce qui est - aisément - son plus beau/ imposant rôle à ce jour, l’actrice, dont la hype entourant sa brillante perf ne cesse de grossir, pourrait même prétendre à chiper une statuette dorée de Meilleure Actrice d’ici quelques semaines aux oscars, si la grande Frances McDormand ne venait pas à lui ravir le gros lot au dernier moment - ou Saoirse Ronan comme aux Golden Globes. En tout cas statuette ou non, elle aura au moins su prouver avec force et panache dans sa partition complexe pour le film de Craig Gillepsie, que les grands rôles destinés à la A-list des comédiennes Hollywoodiennes ne lui faisait décemment pas peur, et que son bond dans l’élite n’était in fine qu’une question de temps. Très peu de temps…

J.C


‘‘Pour faire une comparaison culinaire, je dirais que mon cinéma ressemble à ce plat bizarre que l’on retrouve dans chaque menu. Je suis comme les cuisses de grenouilles ou les escargots, je ne conviens pas à tous les palais. Mais ceux qui aiment ça en redemandent à chaque fois.’’

LE MAGICIEN GUILLERMO DEL TORO MEXICAIN 44


pOrTrAiT

Orfèvre génial au coeur au moins aussi imposant que sa passion pour le genre est démesurée, Guillermo Del Toro s’est vite imposé dans la psyché des cinéphiles purs et durs - mais pas que - comme la figure la plus imposante du cinéma fantastique du XXIème siècle. Ancien maquilleur très vite attiré par la réalisation, le bonhomme pointera le bout de son nez dans l’hexagone non pas avec son premier long, ‘’Cronos’’, mais bien le second, ‘’Mimic’’, dont l’expérience douloureuse avec le studio Dimension (remontage, reshoots incohérents... de la pure charcuterie Hollywoodienne), va considérablement façonner la suite de sa carrière, puisqu’il va s’évertuer dès lors à jongler avec les films de majors (‘‘Blade II’’, ‘’Hellboy’’ et sa suite, ‘’Pacific Rim’’, ‘’Crimson Peak’’) menés d’une main de maître (il fera attendre un an à New Line pour diriger ‘’Blade II’’, il imposera au forceps Ron Perlman en vedette du diptyque ‘’Hellboy’’) et les productions plus intimes (‘’L’Échine du Diable’’, ‘’Le Labyrinthe de Pan’’); toujours

‘’Je crois qu’au fond de moi, je sais que je ne ferais que des films fantastiques. Même si je raconte une histoire terre-àterre, je ne peux pas m’empêcher de faire basculer le métrage dans le gothique et le surnaturel.’’

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avec la même véhémence à défendre le giron fantastique. Boulimique de la pellicule à la générosité sans bornes, à tel point que son nom a été associé à une pluie de projets avortés au fil du temps (‘’La Belle et la Bête’’ avec Emma Watson, ‘’Hellboy III’’, ‘‘The Haunted Mansion’’ avec Eddie Murphy, ‘’Le Hobbit’’, ‘’The Witches’’ d’après Roald Dahl, des nouvelles versions de ‘’Pinocchio’’ et ‘’Frankenstein’’, ‘’Les Montagnes Hallucinées’’, ‘’Justice League Dark’’...), amoureux transi des figures tragiques et monstrueuses qui semble enfin autorisé à goûter aux affres de la course aux récompenses cette année (‘’Le Labyrinthe de Pan’’ avait honteusement été boudé en son temps), GDT est de ces cinéastes bénis par la grâce, fascinés par la part d’ombre de l’humanité et dont chaque péloche ténébreuse et mélancolique, est un sommet d’instants inoubliables. Ne change rien, on t’aime Guillermo, vraiment. J.C


BLADE II

LE CHEF-D’OEUVRE INCOMPRIS DE GUILLERMO DEL TORO 46


Alors que la sortie de ‘‘La Forme de l’eau’’ permet à Guillermo del Toro de s’affirmer comme le génie qu’il est, retour sur l’un de ses films les plus mésestimés, à la fois note d’intention de toute sa filmographie et blockbuster expérimental ultra-jouissif.

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autant que les comics, et les beaux-arts autant que « l’inculte ». Mais je ne suis pas prisonnier de ces extrêmes. Je circule librement entre ces paramètres, agissant à ma guise. Je tâche de me présenter tel que je suis, sans excuses ni justifications, avec une absolue passion, une sincérité sans failles.’’

Enfin, pourrait-on dire ! Enfin, Guillermo del Toro a

droit à la reconnaissance qu’il mérite avec le succès critique de ‘’La Forme de l’eau’’, le rendant légitime auprès des institutions qui l’ont longtemps réduit à un néo-Tim Burton peu subtil. Si cet amoureux des monstres a su s’imposer comme l’une des icônes les plus importantes du cinéma fantastique récent, sa sensibilité très éclectique en a souvent décontenancée plus d’un. Un peu à la manière de Steven Spielberg, la filmographie de del Toro est régulièrement divisée en deux camps : d’un côté ses films dits « sérieux », et soi-disant plus personnels, et de l’autre ses blockbusters censés être plus régressifs. Cette dichotomie, au-delà d’être stupide, est révélatrice d’une incompréhension autour de l’auteur, qui est avant tout un savant de l’imaginaire, un chimiste de talent qui crée de nouveaux composés grâce à sa maîtrise des éléments qu’il emploie. Dans le récent livre ‘’Dans l’antre avec les monstres’’, l’artiste y présente sa fameuse maison qu’il a nommée Bleak House, bâtisse qui oscille entre le musée et le cabinet de curiosités, où résident toutes ses collections d’œuvres et d’objets en tout genre. C’est ce goût de la curiosité et du mélange qui permet au cinéaste d’avoir la qualité rare de ne pas hiérarchiser l’art, ce qu’il confirme à travers ses témoignages que dissémine l’ouvrage : ‘’La littérature m’inspire

De cette façon, Guillermo del Toro affirme toujours plus frontalement à chaque film notre besoin de nous réfugier dans l’imaginaire, surtout à une époque où le cinéma populaire désacralise et rationalise des concepts et des univers que l’on pourrait pourtant prendre au sérieux. La méthode du réalisateur consiste à ne pas chercher de révolution formelle ou narrative, mais plutôt de retourner aux origines d’un mythe pour mieux en comprendre les fondements, et ainsi les moderniser sans prendre le risque de les contredire. Mais surtout, il tient à prouver l’universalité des thèmes qu’il aborde en les mixant à des cultures et des sous-cultures diverses. Ainsi, on pourrait qualifier son art de cinéma de la mutation, un cinéma geek qui pose avec candeur une sorte de microscope sur un élément culturel pour constater les conséquences de son interaction avec un autre. Grâce à cette approche, même un film aussi déconsidéré que le génial ‘’Pacific Rim’’, décrit par beaucoup à sa sortie comme un simple Transformers-like, a pu être rapidement réhabilité, et soutenu par des analyses pertinentes se fondant sur l’héritage que del Toro convoque avec jubilation (les kaiju eiga de son enfance). 48


LE LABYRINTHE D’UN IMAGINAIRE FOISONNANT Pour autant, si l’on met de côté ‘’Mimic’’ et son charcutage par les frères Weinstein, que del Toro est le premier à renier, il reste un film qui peine à s’imposer dans sa filmographie : le mégajouissif ‘’Blade II’’. Alors certes, il peut y avoir plusieurs explications à cela. Tout d’abord, il s’agit d’une suite, sous-entendant que la latitude créative du cinéaste s’en retrouverait amoindrie, d’autant plus que le métrage est lui-même adapté d’un comics de la Marvel, sur un chasseur de vampires dont le monde est en grande partie inspiré par les personnages les plus connus du mythe, Dracula en tête. Ensuite, ‘’Blade II’’ peut avoir à première vue des allures de commande opportuniste pour del Toro, qui a accepté le projet peu de temps après l’échec de ‘’Mimic,’’ afin de prouver qu’il pouvait toujours gérer des budgets

importants à une industrie prête à l’ostraciser. Il retient d’ailleurs des leçons de son tournage précédent (il refuse de travailler avec une seconde équipe) et s’autorise de réaliser juste avant le bouleversant ‘‘L’Échine du diable’’. Pour autant, en redécouvrant aujourd’hui le film, il est indéniable que le cinéaste a accompli un travail d’adaptation formidable, mais surtout un véritable surpassement de l’opus original de Stephen Norrington, tout simplement parce qu’il a su se réapproprier le matériau pour le plonger dans ses obsessions et ses influences. Comme nous l’avons dit, ‘’Blade II’’ découle de diverses adaptations du vampire, et del Toro y entreprend ainsi une interrogation sur la mutation du mythe à travers le temps, alors qu’il est lui-même porté sur la question de la mutation. Le personnage principal, campé 49

par le brillamment monolithique Wesley Snipes, en est d’ailleurs un bon exemple, puisqu’il est un être mi-humain mi-vampire, possédant certaines capacités de ces derniers (y compris la soif de sang, qu’il parvient à détourner en s’administrant un sérum qui étanche sa soif) mais sans les faiblesses (à l’ail, aux symboles religieux et à la lumière du jour, ce qui lui vaut le surnom de Diurnambule). Mais la notion de mutation est même plus profondément mise en abîme par le postulat de cette suite, typiquement dans un esprit bigger, better, louder. Cette fois, même les vampires sont menacés par une évolution de l’espèce, encore plus dangereuse, surnommée le Faucheur, et qui peut aussi bien se nourrir des humains que des suceurs de sang, avant que ses victimes ne


rejoignent ses rangs. Un groupe de vampires surentraînés, appelé le Bloodpack, à l’origine formé pour combattre Blade, décide alors de s’associer à lui, non sans méfiance, pour annihiler ce nouvel ennemi commun. Le cinéaste mexicain s’amuse donc clairement à moderniser le mythe, et à montrer de façon théorique l’importance de son accompagnement des évolutions stylistiques d’un art, de son adaptation à une époque précise et de son contact avec de nouvelles esthétiques. Dans le cas présent, ‘’Blade II’’ arrive seulement trois ans après le bouleversement du blockbuster opéré par ‘’Matrix’’, au point que le critique Yannick Dahan le considère à l’époque comme « une hypertrophie à la mode lancée par [le film des Wachowskis] », qui ont imposé au monde un mix de nouvelles influences, de nouvelles

sources d’images et d’esthétiques qui ont eu le devoir de se fondre dans un cinéma plus traditionnel, afin de faire évoluer ce dernier. Et cela tombe bien, puisque del Toro cherche également un renouvellement de la grammaire cinématographique, maintenant que les aventures de Néo ont ouvert la voie à des sous-cultures qui échappent aux studios. Dès sa première scène d’action, fusillade burnée qui lui permet déjà de donner le ton de son film, en plus d’immédiatement iconiser son héros en surhomme badass, ce cher Guillermo impose une mise en scène ostentatoire et grisante, piochant autant dans le look de certains jeux vidéos (notamment Doom) que dans la surréalité des mouvements du cartoon (il cite volontiers sur un plan précis l’influence de BipBip et Coyote) et dans la fluidité du découpage de l’action que permettent la bande-dessinée et

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l’animation japonaise. C’est d’ailleurs sur cette volonté de mouvement perpétuel que del Toro rythme tout son film, mettant ce souhait en valeur par des money-shots de génie, où l’objectif se lance dans des mouvements improbables et des changements d’échelle au sein d’une même prise, grâce à un procédé de caméra libre (la L-cam), qui offre la possibilité de fusionner par le numérique différents plans afin de n’en faire qu’un. Ne serait-ce qu’au travers de cette séquence, ‘’Blade II’’ montre que son créateur ne prend jamais de haut le modèle du blockbuster, et joue au contraire de ses délires de grand enfant pour livrer un pur manège à sensations, efficace par son inventivité et sa quête d’un amusement constamment renouvelé.


L’ÉCHINE DES MYTHES Le film est peut-être ainsi le projet où del Toro affiche le plus son humilité d’artisan pointilleux du cinéma, mêlant avec habileté des codes à priori éloignés pour que l’ensemble ne rétrograde à aucun moment. En cela, tout apprenti réalisateur attaché à la fabrication de l’action devrait se pencher sur le commentaire audio de ‘’Blade II’’, leçon de mise en scène dans laquelle le cinéaste dissèque de son doux accent mexicain l’évolution stylistique de ses séquences, et particulièrement de ses scènes de baston. Chacune se révèle différente de la précédente, dans le but d’offrir au spectateur un plaisir nouveau du début à la fin, facilitant un crescendo émotionnel rendant l’affrontement final entre Blade et Nomak, le leader des Faucheurs, encore plus impactant. Qu’il change de type de chorégraphie martiale, qu’il alterne une réalisation gracieuse digne des actioners hong-kongais et un

découpage plus percutant, ou tout simplement qu’il s’amuse avec l’ouverture du diaphragme, del Toro tient à une variété cinématographique dont la générosité transpire de chaque photogramme, et ce sans jamais paraître boulimique.

sang voué à l’immortalité, et qui le voit comme une malédiction. Guillermo del Toro compatit à son ennui, à ses frustrations qui sont dans sa nature. Le vampire représente d’une certaine façon ces êtres qui ne peuvent résister aux pulsions de leur « sur-moi ».

Il profite des possibilités de l’univers dépeint pour se lâcher, entre son casting de gueules ultracharismatiques (Ron Perlman en tête, toujours fidèle au poste), son humour jouissif et ses saillies gores foraines. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le lexique de la foire est apparu plusieurs fois jusqu’ici, puisqu’il s’agit d’un lieu privilégié pour cultiver des mythes populaires, démarche que le cinéaste revendique ici. ‘’Blade II’’ pose même un regard moderne sur la vampire tout en conservant ses origines. Le rush de l’intrigue semble contraster avec un sentiment de stagnation, celui du suceur de 51

Leurs passions ont le devoir de s’expurger, thématique shakespearienne par excellence qui se traduit par la touchante douleur de son antagoniste, monstre rejeté par sa famille et qui ne supporte pas sa mutation. Ce mal-être du vampire est alors exploité de la meilleure des manières par le réalisateur, qui développe par la même occasion la logique de l’univers décrit par le premier long-métrage. Les monstres se cachent, mais pas dans le traditionnel château transylvain. Ils se retrouvent plutôt dans une étonnante boîte de nuit underground, l’Antre de la souffrance, dans laquelle le tabou


du cannibalisme inhérent à leur figure se mue en un autre tabou, sexuel cette fois, lié à des pratiques sado-masochistes que n’auraient pas reniées ‘’Hellraiser’’. Le vampire a bien pris des atours plus sensuels depuis les romans d’Anne Rice, et del Toro le constate sans pour autant en venir à la dénaturation du mythe que ‘’Underworld’’ et ‘’Twilight’’ choisiront d’adopter. Et c’est peut-être là que ‘’Blade II ‘’est le plus beau : s’il est conduit par une volonté de mutation, autant dans la représentation artistique du monstre que dans celle de ses mœurs, celuici continue de souffrir du même mal-être qui renvoie au nôtre. Mêler le passé au futur et le comique au tragique, là est peut-être la clé du talent de Guillermo del Toro. Les ruptures de ton se succèdent avec une aisance folle, et les contraires s’assemblent pour former un puzzle imparable. Blade II en est sûrement l’un des exemples les plus fascinants, parce que l’un des plus extrêmes dans la filmographie de l’auteur. Il est le symbole d’un cinéma de divertissement que l’on peine à trouver aujourd’hui, à la fois décomplexé et forgé avec attention, et qui n’a pas besoin de pose auto-satisfaite ou de second degré pour légitimer son approche de l’imaginaire. Mais plus encore, il prouve que Guillermo del Toro est autant un grand cinéaste qu’un grand mythologue, qui tient à rappeler que les mythes, et en particulier celui du vampire, n’ont pas d’origines définies, qu’ils se sont construits sur des folklores et des cultures diverses, et que nous ne pouvons les perpétuer qu’en faisant de même, en expérimentant leur mutation avec d’autres motifs ou d’autres formes artistiques. A.D ‘’Blade II’’, réalisé par Guillermo del Toro, avec Wesley Snipes, Norman Reedus, Kris Kristofferson... 2002, 1h57

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CALL ME YOUR NA 54


BY AME

ITALIE, PÊCHES ET PREMIERS ÉMOIS 55


SORTIES DU 28/02

UN CHEF-D’OEUVRE SENSUEL UN CHEF-D’OEUVRE. LUCA GUADAGNINO CRISTALLISE LES ÉMOIS D’UN PREMIER AMOUR, UN AMOUR QUI VA TOUT CHANGER POUR ELIO ET OLIVER. LIBRE ADAPTATION DU ROMAN D’ANDRÉ ACIMAN, ‘’CALL ME BY YOUR NAME’’ EST UN PETIT BIJOU DE SENSUALITÉ QUI DEVRAIT FAIRE DES RAVAGES BIEN QU’IL AI DÉJÀ COMMENCÉ À EN FAIRE DANS BIEN D’AUTRES CÉRÉMONIES - À LA PROCHAINE CÉRÉMONIE DES OSCARS.

Ah le premier amour. Celui qui vous met des papillons dans le ventre, celui qui vous fait sentir vivant, fou, celui qui vous fait regarder votre montre toutes les deux secondes en attendant le prochain rendez-vous. Mais le premier amour c’est aussi les premiers sentiments, les premières hésitations, les premiers questionnements sur sa sexualité. Et c’est ce déferlement d’émotions que va subir le jeune Elio, 17 ans. En vacances avec ses parents dans le nord de l’Italie, sa vie va se retrouver chamboulée à l’arrivée d’un étudiant préparant son doctorat : le charismatique Oliver. Une méfiance qui va se transformer en amitié pour devenir quelque chose de beaucoup plus intime. 56


L’amour à l’état pur Il serait réducteur de qualifier ce film de «simple romance homosexuelle» - même si le film a été salué par la communauté LGBTQ+ et a remporté le GrandPrix Chéries-Chéris 2017 -, parce qu’avant l’arrivée d’Oliver, Elio apprécie la ravissante Marzia interprétée par la frenchie Esther Garrel mais Elio n’y connaît rien à l’amour. Il est hésitant, des hésitations dont il n’hésite pas à faire part à ses parents. Mais

quand Oliver débarque, un jeu du chat et de la souris s’installe petit à petit entre eux. Elio s’éloigne de Marzia pour se rapprocher dangereusement d’Oliver.

au-delà du sexe et de l’orientation sexuelle de chacun. Le tout est de se souvenir de cette marque indélébile que laisse l’amour sur vous.

Une relation amoureuse à remettre dans le contexte puisque toute l’action du film se déroule dans les années 80. Une romance discrète, à l’abri des regards où tout passe par des échanges visuels, des non-dits dont cette scène tout en plan séquence où Elio avoue à demi-mot ses sentiments pour Oliver. Mystery of love entonne Sufjan Stevens qui vient sublimer cette histoire d’amour de sa voix envoutante. Le mystère qu’est l’amour, ses questionnements qu’il engrange… D’ailleurs il faut saluer la BO absolument fabuleuse alternant entre des classiques au piano, des chansons festives et kitsch dignes des années 80 et cette chanson «Words» de F.R David qui résume à elle seule la complexité qu’est l’amour. «Call me by your name» n’est pas une histoire d’amour, c’est l’histoire de l’amour. Le plus pur, le plus viscéral qu’on puisse ressentir puisque c’est le premier.

Une sensualité renversante

Doucement mais sûrement, comme un rayon de soleil d’été venant vous caresser tendrement la peau, Luca Guadagnino nous embarque dans une histoire exacerbant chacune de nos plus profondes émotions pour nous transporter, nous bouleverser. En touchant ainsi la corde sensible qu’est l’amour - sans superflus ni pathos -, le film arrive facilement à toucher un large public allant ainsi 57

Mais ce qui fait basculer ‘‘Call me by your name’’ dans le chefd’oeuvre ce sont les interprétations magistrales d’Armie Hammer (Oliver) et Timothée Chamalet (Elio). Une amitié qui s’est développée avant le tournage du film et qui, d’une façon totalement incroyable, transparait à l’écran d’une manière puissante et dévastatrice. Les échanges de regards, les chamailleries, les balades à vélo, le premier baiser. Jamais un duo n’aura aussi bien fonctionné à l’écran. Jamais dans la précipitation, le réalisateur aime nous faire languir. Tantôt ils s’aiment, tantôt Oliver l’ignore jusqu’à ce moment fatidique où l’été s’achève… Le talent d’Armie Hammer (injustement boudé par la machine Hollywoodienne) s’exprime enfin dans un rôle sur mesure, complexe et vulnérable se complétant ainsi parfaitement avec la révélation qu’est le jeune Timothée Chamalet brillant de justesse et de douceur. Une mention spéciale également aux parents d’Elio (joués par Michael Stuhlbarg et Amira Casar) qui viennent apporter encore plus de douceur au film en prenant le contrepied avec des parents affectifs envers leur


fils et qui le pousse à être celui qu’il veut devenir. A croire que Luca Guadagnino veut nous créer juste une parenthèse totalement magique et dénuée de mauvaises ondes. Tout n’est que sensualité dans ce film, tout en finesse et loin de n’être que du sexe ni de la romance non. Le lieu, la musique, l’atmosphère tout est empreint de cette magnifique sensualité qui se ressent dès les premières minutes du film pour ne plus nous quitter. Les scènes de sexe entre Elio et Oliver sont urgentes, désireuses mais aussi extrêmement pudiques. En imposant volontairement un tempo lent à son film, Luca

Guadagnino veut être certain de marquer le spectateur et c’est ce qui fait le charme du film. La sensualité se retrouve dans chaque recoin de ce film. Jusqu’à cette scène de la pêche qui deviendra forcément mythique et marquera longtemps les esprits. Moment charnière du film, elle exprime sans aucune parole la fougue mais aussi les craintes d’Elio que ce soit envers lui-même ou Oliver.

Mais comment appréhender ce désir lorsqu’on a que 17 ans ? En le vivant totalement, pleinement. Malgré cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes prête à nous achever une fois l’été terminé, on vit avec Elio, on désire, on s’y frotte, on s’y brûle jusqu’à en perdre la raison. C’est ça, ‘’Call me by your name’’ nous fait perdre la raison. Nous fait aimer ses personnages si profondément qu’on en ressort différent.

‘’Call me by your name’’ achève un triptyque entamé avec ‘’Amore’’ en 2010, suivi de ‘’A Bigger Splash’’ l’année dernière. Tous les trois abordent l’amour, le désir comme vecteur mais aussi destructeur.

Le sourire aux lèvres après s’être imprégné de cet été 83 sous le soleil italien mais aussi le coeur en morceaux et pourtant, et pourtant… Le discours du père d’Elio est la lueur d’espoir, ce

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rayon de soleil qui nous manquait tant sous cette épaisse neige hivernale (le temps a passé depuis le départ d’Oliver) pour donner tout son sens au film. «Nous n’avons qu’un corps et qu’un coeur» alors chérissons-les même si parfois c’est dur, même si parfois ça fait mal parce que la seule façon d’avancer dans la vie et de se sentir pleinement vivant et de se faire frapper de plein fouet autant par la joie et la douleur. Et c’est exactement ce que nous inflige Luca Guadagnino avec son film, autant de joie que de douleur… afin d’en ressortir de là plus vivant que jamais. ‘‘Call me by your name’’ relève du chef-d’oeuvre d’une beauté, d’une pureté rare. Un véritable concentré d’amour et de vie. On ne se contente pas de regarder ‘’Call me by your name’’, non on se laisse envoûter, on aime, on souffre, on exulte et vous savez quoi ? On en redemande encore et encore. M.M 59


LE IT-BOY TIMOTHÉE CHALAMET DE 2018 60


pOrTrAiT Encore inconnu au bataillon l’année dernière (malgré ses apparitions dans ‘’Interstellar’’ et la série ‘’Homeland’’ entre 2012 et 2014), Timothée Chalamet est sur le point de devenir le it-boy du grand écran. À seulement 22 ans, le jeune homme à la gueule d’ange peut se targuer d’attirer tous les regards - et au passage la plupart des récompenses pour son rôle d’Elio dans le déjà acclamé ‘’Call Me By Your Name’. En lice pour rafler la statuette dorée du meilleur acteur lors de la prochaine cérémonie des Oscars, le mi-frenchie (de par son père) mi-américain frappe un grand coup en devenant le second plus jeune acteur à être nommé dans cette catégorie et va surtout devoir se frotter aux meilleurs : Gary Oldman, Daniel DayLewis, Daniel Kaluuya et Denzel Washington. Et même si le garçon ne la chope pas cette statuette dorée, le fait de se retrouver au milieu de ces monstres du cinéma nous prouvent qu’il en a sous le pied et qu’on risque de le revoir encore beaucoup. Et pour cause, en France c’est dans ‘’Call me by your name’’ et ‘’Lady Bird’’ (sortis simultanément) le 28 février prochain ainsi que dans ‘’Hostiles’’ - en compagnie de Christian Bale et Rosamund Pike - au mois de mars.

ses armes à la prestigieuse LaGuardia High School of Music & Art où il devient notamment ami avec l’acteur Ansel Elgort. Avant ‘’Interstellar’’ et ‘’Call me by your name’’, le jeune homme fait de timides débuts dans ‘’Men, Women & Children’’ ainsi que dans des films indés (‘’Beyond Lies’’, ‘’One and Two’’ et ‘’Miss Stevens’’). Il a également fait un petit passage à la télé dans le téléfilm ‘’Un mariage de raison’’, ‘’New York Police judiciaire’’ et ‘’Royal Pains’’. Une filmographie maigre en soi et pourtant désormais on ne parle plus que de lui et parfois pas forcément pour les bonnes raisons. Alors que le scandale Woody Allen est de nouveau alimenté par une interview télévisée de sa fille adoptive Mia Farrow dans laquelle elle l’accuse d’attouchements sexuels, c’est son prochain film ‘’A Rainy Day’’ qui est en péril puisque toutes les studios l’abandonnent et le projet risque de ne jamais voir le jour (alors qu’une sortie courant 2018 était prévue). Un scandale que Timothée Chalamet gère avec intelligence en postant une déclaration sur son compte Instagram dans laquelle il annonce reverser l’ensemble de son cachet à plusieurs associations dont Time’s up, le centre LGBT de New York ainsi que le réseau national Rainn de lutte contre l’inceste, le viol et les abus sexuels.

Baignant dans une famille à la fibre artistique, Timothée fait Une

bombe 61

désamorcée

rapidement par le jeune homme qui en plus d’être diplomate possède une innocence contagieuse. Que ce soit dans les talk-show américains, durant les Q&A ou en interview, le garçon reste égal à lui-même avec la spontanéité d’un garçon de 22 ans qui ne réalise pas encore l’engouement autour de sa personne. Une partie de sa personnalité qui contrebalance totalement sa manière d’être totalement terre-à-terre quant au métier d’acteur. Lors d’une récente interview téléphonique avec l’auteur/compositeur. interprète Frank Ocean, le jeune homme de 22 ans confie ses envies d’écrire réaliser tout en restant réaliste.

‘’Je veux faire d’autres choses créatives […] mais surtout écrire et réaliser. Mais il faudra que je sois patient pour ça.’’ Avec un sans-faute depuis le début, Timothée Chalamet a toutes ses chances de le rafler cet Oscar et même si la récompense n’est peut-être pas pour tout de suite, il y a fort à parier que cette belle gueule va se faire rapidement une place de choix dans le paysage cinématographique (si ce n’est déjà fait). M.M


LE MÉSESTIMÉ ARMIE HAMMER D’HOLLYWOOD 62


pOrTrAiT «C’est ton moment». Armie Hammer l’a entendu maintes et maintes fois - et pourtant à juste titre - mais l’acteur de 31 ans n’a jamais encore réussi à transformer l’essai et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais malgré ce manque de reconnaissance flagrant de la part de l’industrie hollywoodienne, le garçon a toujours su choisir ses rôles, sans s’enfermer dans un genre pour finalement entre-apercevoir un peu de reconnaissance pour sa performance dans ‘’Call me by your name’’. Ce qui est assez incroyable avec le personnage est dès qu’on évoque Armie Hammer et sa carrière d’acteur on ne peut s’empêcher de l’associer avec Armand Hammer, son grand-père riche industriel et collectionneur américain. Est-ce que venir d’une famille aisée sous-entend que vous êtes un mauvais acteur désormais ? Un propos un brin réducteur mais qu’il fait toujours bon d’évoquer (comme l’a pu faire une journaliste dans un article de Buzzfeed entraînant par la suite la fermeture du compte Twitter de l’acteur, avant de le ré-ouvrir quelques temps après) histoire de se faire mousser. Il n’empêche que pour parvenir à ses fins, Armie a conjugué scolarité au Pasadena City College ainsi que cours de théâtre à l’UCLA.

dans ‘’Billy : The Early Years’’ mais c’est en 2010 qu’il est enfin sous le feu des projecteurs à l’âge de 24 ans dans «The Social Network’’ de David Fincher dans lequel il tient un double rôle : celui des jumeaux Winklevoss. Cette première incursion remarquée dans le petit monde du cinéma lui permet de collaborer avec de grands noms comme Clint Eastwood dans ‘’J. Edgar’’ où il partage l’affiche avec DiCaprio. On le retrouve l’année suivante dans ‘’BlancheNeige’’ puis arrive 2015. L’année qui aurait du tout changer pour l’acteur. A l’affiche de la nouvelle superproduction de Gore Verbinski ‘’Lone Ranger’’ aux côtés de Johnny Depp, Armie voit ses débuts de grande carrière reconnue s’effondrer aussi vite lorsque le film sort : c’est un échec cuisant aussi critique que commercial alors que le film se tient et s’avère être un blockbuster original, qui tient la route et où l’on voit chaque dollar dépensé à bon escient. Il n’empêche que le film fait perdre près de 200€M de dollars à la firme Disney. L’acteur enchaîne les projets sans jamais réussir à percer que ce soit dans ‘’Agents très spéciaux : Code U.N.C.L.E’’ de Guy Ritchie où il donne la réplique à Henry Cavill en 2015 ou en 2017 où il enchaîne 4 projets : ‘’Nocturnal Animals’’, ‘’The Birth of a nation’’, Après quelques apparitions dans (le totalement sous-estimé) ‘’Free des séries tv, Armie obtient son Fire’’ ou encore le film d’animation premier rôle au cinéma en 2008 ‘’Cars 3’’ où il prête sa voix au 63

nouveau méchant. Et malgré tous ces projets, le bonhomme garde l’image de celui qui a «failli» se faire un nom, un vrai - comme il me mériterait depuis le temps qu’il trime -. Celui qui aurait dû être le Batman de George Miller ( Miller et la Warner avaient comme projet ‘’Justice League Mortal’’ mais à tout juste 19 ans pas sûr que le garçon aurait eu les épaules pour… quoique) va peut-être enfin réussir à transformer l’essai près de 11 ans après ses débuts avec ‘’Call me by your name’’. Acclamé par la critique, le duo qu’il forme avec le tout jeune Timothée Chalamet fait des ravages partout où ils passent et permet à Armie de décrocher sa toute première nomination aux Golden Globes dans la catégorie Meilleur second rôle masculin et enfin une reconnaissance de la part des critiques. Cependant le mari et père de deux enfants (Harper et Ford) ne compte pas se reposer sur ses lauriers et enchaîne aussitôt les nouveaux projets puisqu’il sera accompagné de Dev Patel (‘’Lion’’) pour ‘’Hôtel Mumbai’’, ‘’Sorry to bother you’’ projeté au dernier festival Sundance, ‘’On the basis of sex’’ aux côtés de Felicity Jones, «Freak Shift’’ ainsi qu’un projet de film horrifique dont le nom officiel n’a pas encore été communiqué. Oui Hollywood il serait peut-être de reconnaître le talent du gaillard au bout d’un moment. M.M


JTE LE DIS QUAND MÊME... 64


QUe vous soyez seuls ou accompagnés pour cette st-valentin, l’équipe de ‘‘désolé j’ai ciné !’’ est à vos côtés et à cette occasion elle vous propose ses fIlms romantiques préférés alors venez célébrer l’amour avec nous !

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LE FILM DE SEB

LE SECRET DE BROKEBACK MOUNTAIN Cette sensible love story western narre le destin de deux jeunes cow-boys engagés pendant l’Été 1963 pour garder un troupeau de moutons dans les montagnes du Wyoming, à Brokeback Mountain. Le brillant réalisateur taïwanais Ang Lee adapte la nouvelle ‘’Brokeback Mountain’’ (écrite par Edna Annie Proulx et publiée dans le magazine The New Yorker en 1997), pour nous livrer un délicat et poignant mélodrame. Le cinéaste privilégie une mise en scène élégante, où la caméra caresse les visages et s’infiltre sous la peau pour mieux démasquer le désir et les sentiments à fleur de peau de ces deux hommes prisonniers de leurs conditions sociales et de leurs situations familiales. Le cinéaste dynamite le cliché viril du cow-boy et les codes westerns pour frontalement raconter une histoire d’amour en s’affranchissant d’une simple illustration de « western gay ». N’hésitant pas à illustrer le côté charnel et bestial d’une passion où les corps s’embrassent avec pudeur lors de fougueuses étreintes, et à filmer avec la même discrétion la complicité aux détours des regards ou encore symbolisé par l’utilisation parcimonieuse de mots prononcés, révélant intimement cet « amour interdit ». Ang Lee sublime un émouvant récit sensible inspiré de manière picturale, plongeant ses protagonistes dans une somptueuse photographie faisant la part belle aux décors naturels reflétant les états d’âmes des aimants dont les pôles ne peuvent se détacher malgré la difficulté et les souffrances dues aux dénis et aux compromissions. Le réalisateur sans indécence se tient toujours à bonne distance pour dévoiler aussi le conservatisme américain viscéral, la violence homophobe qui entoure les deux amants, par des séquences où se mêlent les instants de doutes, les élans de violences, les moments de rage et de mensonges envers l’autre. Le metteur en scène ausculte les maux comme un pointilliste dans des scènes de la vie quotidienne démontrant le vide de l’existence et les heurts des cœurs où hommes et femmes souffrent le plus souvent en silence. Une œuvre magnifiquement tragique où ni le pathos et le mièvre n’ont place, accompagnée par une délicieuse partition musicale composée par Gustavo Santaolalla. La réussite manifeste de ce long métrage doit assurément beaucoup à ses interprètes tous émouvants, et portés par la grâce du scénario : Heath Ledger, Jake Gyllenhaal, Michelle Williams et Anne Hathaway. Une romance subtile et déchirante qui nous étreint le cœur à chaque vision, bien au-delà des montagnes...Un courageux plaidoyer contre l’intolérance, une intense histoire d’amour, un chef-d’œuvre intemporel. 66


LE FILM DE CORALIE

MONSIEUR ET MADAME ADELMAN Nommé deux fois aux Césars, ‘’Monsieur et Madame Adelman’’ est le premier film de Nicolas Bedos en tant que réalisateur, et le premier film de Doria Tillier en tant qu’actrice principale. Au delà de l’élégance et de la subtilité de la photographie, de la finesse de la réalisation qui mêle avec aisance et sensibilité une écriture aux influences franco-italienne pleine de tension, d’exigence - à la fois culturelle et littéraire - à un cinéma du mouvement à l’accent américain (sans pour autant présenter un produit commercial) plein de vigueur avec un sens du rythme parfaitement maitrisé, Nicolas Bedos met en scène l’amour d’un couple qui parcourt avec brio les époques. L’amour de la femme mais pas seulement. Retrouvailles éternelles, conquêtes perpétuelles, fusion irréversible : c’est l’amour absolu qui est ici conté, celui de la création qui transcende l’individu. Elle mène l’histoire, il invente à travers elle, ils sont dans une dépendance cruelle et réciproque. Cette dépendance n’empêche pourtant pas le film d’être un hommage à la femme et d’esquisser une multitude de réflexions connexes : l’amour ou le non-amour que les parents ont envers leur enfant, la question de la judaité dans l’écriture et la création artistique, l’universalité du sentiment amoureux... C’est un trop plein. Un trop plein d’émotions et de réflexions. Envie d’imploser, de rire et de pleurer à l’image de ce couple qui traverse les âges pour mieux se séduire, pour mieux se désirer, pour mieux s’aimer. Une création irréversible qui leur échappe et qui nous dépasse. C’est leur roman, c’est notre roman. Un roman où chaque mot est précis, réfléchi sans pour autant paraitre superficiel. C’est un très beau roman, qui se regarde, s’écoute et se ressent. Romantisme et romanesque se confondent pour laisser place à un état d’originalité permanent, où chaque partie pris scénaristique, chaque dialogue, chaque choix de réalisation semblent dire non aux conventions. ‘’Monsieur et Madame Adelman’’ est un film ambitieux et intelligent peut-être surréférencé mais jamais trop exigeant. Léger sans être frivole, brillant sans être prétentieux, émouvant sans être pathétique, profond sans être obscur, ‘’Monsieur et Madame Adelman’’, c’est une intense confusion des sentiments où l’on ne s’ennuie jamais. C’est une fantaisie pleine de malice, d’esprit et de caractère. Intimité des émotions, ironie de la vie et excès humains s’entrelacent dans une grande justesse pour nous permettre de passer du rire aux larmes en moins de deux heures. 67


LE FILM D’AMBRE

MOULIN ROUGE L’histoire se déroule à Paris, dans le vieux Montmartre à la fin du 19ème siècle. Christian, un poète fauché, s’y installe afin d’y trouver l’inspiration pour écrire sur la seule chose qu’il ne connaît pas : l’amour. Il fait la rencontre d’Henri de Toulouse-Lautrec et de sa troupe qui le convainquent d’écrire une pièce de théâtre pour la soumettre au patron du Moulin Rouge. A cette occasion, Christian tombe amoureux de la meneuse de revue principale, Satine, une courtisane déjà convoitée par le Duc désireux d’investir dans le Moulin Rouge. Dans un style qui lui est propre, Baz Luhrmann, nous emmène au cœur de la vie de bohème à travers un long flash-back musical mêlant reprises de chansons, danse, théâtre, magie, cabaret, burlesque, tragédie et bien sûr… amour ! « Un amour qui durera toujours ». Alors vous aimez le romantisme et les boîtes de mouchoirs, c’est le film parfait pour une soirée de Saint Valentin afin de se consoler dans les bras de sa moitié. 68


LE FILM DE MARION

ROMÉO ET JULIETTE L’amour dans le septième art c’est ce qui le fait vivre finalement. Le passionnel, le platonique ou même le romantique, l’amour s’impose sur nos écrans comme une gifle et reste souvent ancré dans nos mémoires, nous laissant rêveur et fasciné. Comment aurais-je pu parler de romance au cinéma, sans évoquer l’histoire d’amour la plus célèbre de l’histoire ? ‘’Roméo et Juliette’’ est certainement l’oeuvre qui a été la plus racontée mais jamais comme Baz Luhrmann. Dans son film, il fait le choix audacieux de moderniser le style mais tout en conservant le texte de base imaginé par Shakespeare et pour ma part c’est un pari réussi. Un mythe littéraire revisité de façon contemporaine, c’était pourtant risqué et ça n’a d’ailleurs pas fait l’unanimité. Pour moi il s’agit là d’un véritable génie artistique démontré par sa mise en scène colorée et délurée, le tout sublimé par une bande originale incroyable so 90’s. Les deux têtes d’affiches sont magnifiques, si bien que l’on se demande si le dramaturge n’avait pas imaginé ces deux minois tant les rôles semblent faits pour eux. Alors oui, les personnages sont grotesques, l’histoire ancienne mélangée au style moderne c’est très surprenant, mais le jeu en vaut la chandelle puisque finalement c’est une véritable leçon de cinéma que de s’approprier une oeuvre, lui donner un coup de jeune mais sans lui manquer de respect. Entre nous, ça vaut également le détour d’admirer le jeune DiCaprio dans la peau de Roméo. L’exemple même du film ovni qui chamboule les codes, qui dérange et qui fascine. Une romance violente, passionnelle et interdite, l’histoire d’amour la plus célèbre de tous les temps dans le plus fou des décors. 69


LE FILM DE JONATHAN

IL ÉTAIT TEMPS Dire que le précieux Richard Curtis est une référence en matière de comédies romantiques est un doux euphémisme, tant le bonhomme s’est évertué à tirer vers le haut le genre depuis près de deux décennies maintenant. ‘’4 Mariages et un Enterrement’’, ‘’Coup de Foudre à Notting Hill’’, ‘’Bridget Jones’’ et sa suite ou encore l’immense ‘’Love Actually’’; on ne compte plus le bonheur sur pellicule qu’aura su nous offrir cet amoureux inconditionnel de l’amour qu’est ce talentueux conteur. Impossible du coup, de passer à côté son troisième long métrage ‘’Il Était Temps’’, romcom délicieuse saupoudrée de surnaturel sauce ‘’Un Jour sans Fin’’ avec comme cerise sur le gâteau, un duo-titre séduisant (la sublime Rachel McAdams et l’excellent Domhnall Gleeson). Le jour de ses 21 ans, le grand dadet rouquin Tim apprend de la bouche de son paternel, que tous les hommes de sa famille possède un étrange et fascinant don : ils peuvent voyager dans le temps et influencer le cours des choses, à la seule condition qu’ils n’aillent que dans les lieux ou les moments qu’ils ont déjà vécues. Loin d’être cupide, le bonhomme voit en ce don le moyen d’enfin pouvoir trouver le grand amour qui le fuit cruellement. Et entre deux dépannages pour ses proches, il rencontrera la belle Mary, et il comprendra de facto qu’il va devoir apprivoiser ses exceptionnelles aptitudes pour pouvoir gouter au bonheur qu’il désire.. Même si Richard Curtis est un habitué à parsemer d’un ton léger - voir un poil niais - ses comédies, ‘’Il Était Temps’’ est pourtant bien loin de la romcom simpliste : comme son titre l’indique, la péloche traite bien plus du temps qui passe et ses répercussions sur de nombreux personnages, que de la relation entre Tim et Mary et le voyage temporel lui-même qui, pour le coup ne sert ici que de simple et original gimmick. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités « répétait sans cesse Oncle Ben à Peter Parker, et c’est face à cette dure réalité que sera confronté Tim durant toute le métrage, un réalisme volontaire (d’ailleurs, Curtis laissera judicieusement le temps à son personnage de se construire, 70


de faire des erreurs, de les accepter et de les corriger, ainsi que de mûrir et grandir) qui tranche littéralement avec le postulat SF et fantastique du départ. Un choix intelligent de la part du cinéaste, qui ne fait pas non plus de l’histoire entre les deux amoureux, une fin en soi (soit totalement l’inverse de ‘’Hors du Temps’’, au pitch pas si éloigné et où figurait déjà McAdams). Authentique, cocasse (surtout dans l’introduction du pouvoir dans la vie de Tim), touchant et même parfois très séduisant visuellement (le charme des fameuses contrées anglaises...), le métrage décolle réellement au moment où le cinéaste s’intéresse à l’amour au sens large du terme, et au moment où il mettra un point d’honneur à souligner les liens familiaux (le duo père/fils est d’ailleurs subliment croqué), pilier de toute vie humaine. Moins banale et émotionnellement très forte, cette seconde partie posera sur pellicule le dilemme de l’inévitabilité du deuil et la cruauté face aux choses qui ne peuvent être influencées, notamment via le prisme du personnage du père, campé avec brio par l’inestimable Bill Nighy. Jolie théorisation sur l’existence triste et bouleversante, mais ne cherchant jamais à tirer de larmes faciles à son spectateur (par contre, il sera bien difficile de ne pas sortir les kleenex avant le générique de fin) grâce à une constante volonté de faire sourire même dans les moments les plus poignants, ‘’About Time’’ roule rarement sur les routes où on l’attend, tout en veillant à toujours combler son public cible : les amateurs de comédies romantiques. Original, drôle, charmant et intelligent, bourré de personnages atypiques comme dans toute bonne comédie british qui se respecte (mention spécial aux géniaux Tom Hollander et Richard Cordery), et porté par un Domhnall Gleeson flamboyant et une Rachel McAdams irrésistiblement à croquer; la bande se termine sur une morale certes loin d’être révolutionnaire, mais fortement attachante et vraie : il faut savoir jouir des petites choses simples de la vie pour réellement être heureux. Carpe Diem quoi, et ‘’Il Était Temps’’ fait indiscutablement partie de ces petites choses à savourer sans retenue. J.C 71


LE FILM D’ANTOINE

LOIN DU PARADIS

Les histoires d’amour impossibles, c’est tout un pan de la Saint-Valentin, un pan qui peut prendre la forme d’un film et nous laisser désemparés dans notre canapé, avec notre vieux pyjama aux motifs ridicules, nos larmes et un pot de glace fondu. Néanmoins, le mélodrame est souvent perçu comme un genre opportuniste, traité par des tâcherons seulement soucieux de faire pleurer la ménagère. C’est une réalité, mais certains cinéastes savent pousser ses codes dans leurs retranchements, et c’est notamment le cas de Todd Haynes, qui bien avant son merveilleux ‘’Carol’’, avait déjà offert une romance à la beauté sans pareil, autour de tabous du milieu de XXème siècle. ‘’Loin du paradis’’ se déroule ainsi au cœur de l’Amérique bourgeoise des années 50, et se concentre sur Cathy Whitaker, campée avec délicatesse par Julianne Moore, femme au foyer modèle dont le mariage explose. Elle trouve alors du réconfort dans la relation qu’elle tisse avec son jardinier noir, ce qui va amener à révéler la méchanceté et l’intolérance de ses proches. Fortement inspiré par le cinéma de Douglas Sirk, Todd Haynes déploie avec ce film une mise en scène volontairement sobre et classieuse, portée par une photographie sublime, dont les couleurs chatoyantes renforcent les sentiments de personnages bridés par un monde terne, une culture censée prôner la liberté de tous mais où être ce que l’on souhaite est bien souvent compromis.’’ Loin du paradis’’ (tout comme ‘’Carol’’) peut donc avoir des résonances plus contemporaines, mais Haynes a la subtilité de ne pas souligner ses connivences, qui éclatent d’elles-mêmes au visage d’un spectateur contraint de constater que les mœurs n’ont pas tant changé en cinquante ans. Des costumes aux décors en passant par les choix de cadres, le long-métrage s’enferme volontiers dans une bulle magique, celle d’une époque fantasmée par le médium cinématographique, pour mieux montrer les limites de cette vision. Mais il a surtout la beauté d’assumer pleinement sa forme de mélo, d’exacerber sa dimension de tragédie moderne bouleversante, et ce parce que son cinéaste y déploie toute sa sensibilité, qu’il met au service de protagonistes attachants, d’êtres dont nous partageons les joies, les doutes et les souffrances, et dont les interactions paraissent d’un naturel confondant, alors même que l’ensemble se montre très écrit, comme au bon vieux temps. ‘’Loin du paradis’’ est ainsi la preuve que le traitement du sentiment amoureux au cinéma nécessite un travail d’orfèvre, une connaissance de la grammaire du septième art par un réalisateur qui doit savoir se livrer, se mettre à nu. Et quand vous en venez à aller chercher un nouveau pot de glace et une boîte de mouchoirs, alors c’est réussi. 72


LE FILM DE VANESSA

ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND Le pari de Michel Gondry, qui réalise là son meilleur film – pour l’instant –, est d’emmener le spectateur dans un monde où il est possible d’effacer de sa mémoire, les souvenirs trop pénibles, et par là même certaines personnes. C’est ce qui arrive à ce pauvre Joel (Jim Carrey, terriblement émouvant dans ce rôle tout en retenue, loin de ceux qu’il a l’habitude de jouer). Il apprend au détour d’une conversation avec des amis que Clementine (Kate Winslet, aussi fantasque qu’attachante) a décidé de supprimer tous les souvenirs la rattachant à lui et à leur histoire. Lui aussi décide alors de l’effacer de sa mémoire. La majeure partie du film se passe pendant que Joel, endormi, est relié à une machine surveillée par plusieurs employés de la société Lacuna. Le spectateur est alors entraîné dans un tourbillon de souvenirs du couple. Le film se déploie dans le labyrinthe du cerveau de Joel, donnant à voir chacune des étapes de sa vie avec Clementine sans ordre précis. L’influence de Charlie Kaufman se ressent tant cette incursion dans les pensées de Joel rappelle celle vécue par le personnage de John Cusack dans un film qu’il a scénarisé : ‘’Dans la peau de John Malkovich’’ de Spike Jonze en 1999. L’une des belles idées de Gondry est de ne pas user de simples flashbacks pour montrer les souvenirs de Joel. Ce dernier tel qu’il est aujourd’hui est directement projeté dans son passé face à une Clementine qui est celle des souvenirs. Ces situations (re)vécues, Joel peut les commenter en direct et dire à la femme qui hante ses souvenirs des choses qu’il n’a peut-être jamais osé lui révéler auparavant. Ecriture et mise en scène se rejoignent alors à un niveau proche de la perfection pour donner à ces scènes une beauté et une force rarement égalées. L’amour emprunte parfois des chemins de traverse et c’est ce qu’il fait avec Joel. Jouant à cachecache dans les replis de sa mémoire, ses souvenirs de Clementine se font de plus en plus vivaces. Pourquoi les effacer ? Les moments vécus à deux valaient le coup, pourquoi tout faire disparaître en raison de quelques difficultés ? Joel, accompagné de la Clementine de ses souvenirs, décide de lutter contre la suppression de cette partie de sa vie. ‘‘Eternal Sunshine of the Spotless Mind’’ est un film plein d’espoir, malgré la douce mélancolie qui l’irrigue : même si l’on pouvait éliminer de notre mémoire ceux qui nous ont fait souffrir, cela relèverait du non-sens. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder Mary, amoureuse du Dr Mierzwiak (Tom Wilkinson), qui a préféré effacer tout souvenir de leur liaison pour repartir à zéro et qui retombe sous son charme. Ou Patrick (Elijah Wood), jeune technicien qui tombe amoureux de Clementine et tente de la séduire en lui faisant revivre les souvenirs heureux de Joel dont il a pris connaissance dans son dossier mais ça ne fonctionne pas. C’est avec Joel que c’est possible. Cela ve dire que nous sommes condamnés à aimer les mêmes personnes, ou le même type de personnes ? Loin d’une condamnation, c’est un message d’acceptation d’autrui, avec ses défauts. Un film initiatique plus que romantique en somme. Poétique et plein d’espoir. Car si Joel et Clementine se retrouvent à Montauk au tout début, ce n’est pas un hasard. Clementine, dans leur dernier souvenir à être effacé, donne rendez-vous à Joel là-bas. Pour se revoir, se (re)connaître et se donner une nouvelle chance. 73


LE FILM DE MATHIEU

THE SHOP AROUND THE CORNER Adaptée d’une pièce de théâtre ‘’La Parfumerie’’ du hongrois Miklos Laszlo, l’histoire nous conte les péripéties de Matuschek et Cie, de M. Matuschek et de ses employés. Klara Novak (sublime Margaret Sullivan) et Alfred Kralik (James Stewart) y travaillent et se supportent comme ils le peuvent. Ils rêvent d’un idéal d’amour que leurs correspondances épistolaires anonymes tendent à leur apporter. Déjà au scénario pour ‘‘La veuve joyeuse’’, c’est Samuel Raphaelson qui se charge avec Lubitsch du travail d’adaptation. De leurs propres mots, le génie comique et l’expression des sentiments proviennent davantage de la pièce plus que de leurs modifications. Il est vrai que le principe de double énonciation propre aux œuvres Vaudevillienne fonctionne particulièrement bien ici. Et pourtant il est indéniable que la « Lubitsch touch » est présente. ‘The Shop Around The Corner’’ est une étude d’un microcosme, celui d’une classe moyenne aux désirs simples, mais universels. Et nous tenons là le premier point de la naissance de la Romcom. Pour faire rêver le spectateur, il faut qu’il puisse y croire. Le cinéaste s’exprima d’ailleurs en ces termes en octobre 1939 : « Nous ne pouvons plus désormais tourner des films dans un espace vide. Nous devons montrer des gens qui vivent dans un monde réel. Autrefois les spectateurs n’avaient pas besoin de se demander quelle vie menaient les personnages d’un film, pour peu que les films soient assez distrayants. Maintenant, ils y réfléchissent. Ils voudraient voir des histoires qui aient quelque chose à voir avec leur propre vie ». Et pour mettre en application ses dires, Lubitsch met en exergue les défauts de ces personnages pour les rendre plus humains, et n’oublie pas de développer l’ensemble de ses personnages secondaires. Jusqu’ici me direz-vous, rien ne justifie ce travail d’adaptation. Et c’est là qu’Ernst Lubitsch déploie tout son génie et assoit le cinéma en tant qu’ouverture des possibles. Il se joue des espaces à l’intérieur d’un quasi-huis clos : de l’extérieur à la boutique, de la boutique à la réserve, de la réserve au bureau, du bureau à la boutique, etc. Une valse qui fait danser chaque personnage pour les entrainer lui et le spectateur dans une dynamique dont le maître à le secret. Conscient des limites du cadre qu’impose le processus cinématographique, il se joue des verticalités comme ressort comique et des limites du cadre. Un ballet burlesque qui ne s’arrête que pour l’étude des sentiments. Nous sommes ici dans un enjeu de plaisir pur propre à la Romcom. Et pourtant bien que la tentation mélodramatique guette au coin de la rue, jamais elle n’ose franchir les portes de Matuschek et Cie. Ernst Lubitsch est un cinéaste à la touche particulière qui jongle habilement entre ses personnages, leur apporte une consistance à travers des dialogues ciselés et une mise en scène brillante qui n’occulte jamais son sens du propos. L’humour y est le remède ultime, fût-il cynique ou noir, l’amour l’horizon des espérances, fût-il naïf ou illusoire. C’est l’art du maître : une répartie dont il n’a pas d’égal, qui s’enchaîne sans répit et qui fait de chaque visionnage un plaisir renouvelé. 74


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SOURIEZ VOUS ÊTES FILMÉS Par Antoine Bouillot

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Jack est en position squat sur la proue du Titanic, el famoso bateau insubmersible le plus submersible ever. Il essaye tant bien que mal de se remettre du râteau précédemment subi. Puis il voit Rose qui arrive avec le sourire le plus niais du cinéma. Jacky rétorque avec un sourire du même acabit. La suite vous la connaissez. Bon, évidemment, Rose fait genre elle vole même si personne n’y croit à part elle, le tout sur un fond de Céline Dion qui fera plaisir aux plus désespérés d’entre nous. Mais vous vous doutez bien que cette scène est plus intelligente que de simples sourire niais sur du Céline Dion, on parle quand même de James Cameron, le mec c’est pas non plus le dernier des cons.

La scène début par un travelling en plongée avec Jack qui observe ce coucher de soleil qui nous offre une couleur orangée des plus sympathiques. Cheveux au vent, il se morfond et est profondément attristé. Cela nous est montré par son regard vide et la couleur orangée qui est très peu présente sur lui comparé à la suite de la scène. Puis Rose arrive en arrière-plan, et sa journée s’illumine. Il se retourne, avec un arrièreplan très éclairé et lui qui est très sombre, encore triste.

Elle tente de se justifier, mais celui-ci la coupe et l’emmène sur la proue. Elle s’élève, Jack derrière la tient, tend ses bras et s’envole. Jack, derrière, la protège, comme une bouée de sauvetage. Il lui demande de fermer les yeux et elle s’exécute. Elle a littéralement une confiance aveugle en lui à ce moment. Il l’aide à tendre ses bras, comme un oiseau qui prend son envol. Puis, vient ce plan mythique, en contre-plongée pour donner de la grandeur à Rose, où elle vole en ouvrant les yeux. On voit petit à petit le coucher de soleil qui scintille de mille feux.

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Dans le plan suivant, on ne voit même plus le bateau : Rose est en train de voler, elle n’est retenue que par Jack. Cependant, durant ce moment d’euphorie, la lumière nous donne déjà un indice sur le futur tragique du bateau et de son équipage. Le soleil n’est même plus orange, il est rouge vif. Ce rouge vif signifiant limpidement le sang, la mort.

Il y a un plan large du bateau qui s’avance vers eux en travelling, qui nous montre la petite taille de Rose par rapport du bateau. Et pourtant, elle semble le diriger, être hautement supérieur. La caméra est comme portée par le vent, les mouvements sont très fluides et rapides. On passe rapidement de la plongée à la contre-plongée. Puis ils se tiennent la main au même moment que le ciel vire au rouge : leur amour tout comme leur destin sont scellés au même moment.

Dans cette scène, Rose est effectivement le personnage principal, c’est sa scène. Puis vient le moment « bisous bisous » parce qu’il en fallait évidemment un. Fondu enchaîné sur l’épave du navire qui nous ramène à la réalité des choses et nous expose de manière très explicite ce que je disais juste avant. James Cameron nous a livré là le drame par excellence. Mais pourquoi cette scène est-elle devenue si culte ? Premièrement, elle est très jolie. Les couleurs dominantes sont très harmonieuses, ça aide. Et puis, cette scène a un truc particulier. C’est une réussite en tout point de vue. Que ce soit la mise en scène, la musique, la photographie, la direction d’acteur, les décors, le montage… tout. Un dernier moment de joie avant l’horreur.

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L’AMOUR DURE TROIS ANS : DU LIVRE AU FILM Regarder ‘’L’Amour dure trois ans’’ (2012) après avoir lu ‘’L’Amour dure trois ans’’ (1997) c’est s’assurer deux heures d’ennui. Pourtant, en soi, le film est une comédie romantique tout à fait honorable voire charmante et délicieuse. Faudraitil alors prendre – comme il est souvent préconisé – chacune de ses oeuvres comme un objet indépendant ? Cela, parait difficile sachant que l’auteur du livre est aussi le réalisateur du film. Dès lors, comment Frederic Beigbeder se réapproprie-t-il son oeuvre littéraire pour l’adapter à l’écran ?

700 000 entrées, score tout à fait raisonnable pour un film bien mené. En effet, ce film réuni tout les éléments d’un bonne comédie romantique: des personnages forts interprétés par des acteurs emblématiques, une trame narrative à la fois efficace et bien montée, une réalisation qui sans être déroutante est porteuse de propositions cinématographiques intéressantes tout en respectant l’oeuvre originel par des dialogues et des passages textuels à la fois sensuels, sexy, profonds et pleins d’humour.

Gaspartd Proust est cynique, non chaland, lâche et maladroit. Ils collent à la peau de leur personnage. Deux personnages antagonistes qui pourtant se rencontrent, se détestent, se fuient et finissent par s’aimer. Il est un écrivain à paillettes, qui manie délicieusement l’ironie non sans rappeler l’auteur de l’oeuvre original. Marc Marronier ne croit plus vraiment en l’amour après son divorce mais il croise la route d’Alice, il tombe amoureux mais elle est en couple. Entre jeux de séduction, jeux de masques, et situations cocasses, Louise Bourgoin est ils se cherchent, s’apprivoisent, ‘‘L’amour dure trois ans’’, comédie pimpante, malicieuse, haute se séduisent et s’aiment. Elle lui romantique qui a fait près de en couleur et pleine de chien. fait de nouveau croire en l’amour, 80


il lui fait de nouveau croire à la passion. L’histoire ne se contente pourtant pas de mettre en scène une romance classique, convenue et un peu niaise mais traduit la valse complexe et surprenante du sentiment amoureux, de sa profondeur mais aussi de sa superficialité. Le film à travers des proposions de réalisation a su conserver cette finesse déjà présente dans le roman sans trop l’élaguer. Ainsi, L’amour dure trois ans, est une comédie romantique d’auteur pourrait-on dire. Elle ne peut se contenter d’être seulement efficace et bien menée. Elle se doit de faire des choix de réalisation qui marquent

l’empreinte de son auteur sans pour autant prendre des risques esthétiques démesurés, pour ne pas compromettre le caractère «populaire» du film et trop déstabiliser le spectateur. Cependant on soulignera la multiplication des plans séquences combinés à un cinéma de mouvement, le mélange d’un cinéma d’auteur et d’un cinéma plus grand public, à l’image de l’oeuvre (littéraire comme cinématographique) qui dispose de plusieurs degrés de lecture, signature de l’oeuvre beigbedérienne dans son ensemble. On notera particulièrement les travellings circulaires marque de chaque baiser ou le travelling du tribunal, qui reprend alors dans le sillage de la tradition resnaise le travelling à valeur éthique. Dès lors, ces choix de réalisation viennent renforcer avec finesse et justesse un texte déjà porteur de beaucoup d’enjeux qui l’a fallu adapter pour l’écran sans le réduire. L’une des forces de cette comédie ce sont les dialogues. Ils ne fonctionnent pas seulement parce qu’ils sont drôles mais parce qu’ils sont taillés au couteau. Beigbeder trousse à ses personnages des phrases incisives, que jamais personne ne dit dans la vie et pourtant à l’échelle de l’économie du film ça fonctionne. Pendant prés d’une heure trente, on vit au rythme des répliques de Marc et d’Alice parfois délicates, souvent cocasses mais toujours mordantes et acérées. Les dialogues parviennent alors à retranscrire le style du roman, 81

non sans conférer une certaine part de littérarité au film. En effet, l’adaptation filmique transpose l’esprit du roman sans trop l’altérer. Le film a su conserver un esprit romanesque, donner du corps à des extraits de l’oeuvre original tout en laissant une place à l’omnipréscence de l’écrivain ne serait-ce que par la reprise du concept de la mise en abîme ou comme lors des clins d’oeil fait au prix de Flore, à Nicolas Rey ou à Bukowski - par les extraits d’interview qui encadrent le film avec finesse et esprit. L’utilisation de la voix off afin de narrer l’histoire, la structure chapitrée du film participe à donner ce caractère littéraire au film tout comme la présence de certaines tirades - tirées directement de l’oeuvre écrite - qui sont exquises. Ainsi, ‘’L’amour dure trois ans’’ est une adaptation réussie bien que sage et classique, sans ajouter un soupçon d’âme à l’oeuvre littéraire - bien qu’il la réactualise - le film respecte l’essence de l’oeuvre. C’est le premier film de Beigbeder (nb: ’’99 francs’’ adapté du livre éponyme fut réalisé par Jan Kounen), peut-être est-il un peu scolaire mais il a su rester grinçant et tendre pour permettre au public de rire et de sourire au rythme des aventures de Marc et Alice, sans pour autant effacer les traits d’esprits et les réflexions sous-jacentes à la problématique de la durée du sentiment amoureux dépeinte avec brio et virtuosité dans le livre.` C.D


TRON : UNE RÉVOLUTION EN AVANCE SUR SON TEMPS majeure - mais célébrée sur le tard -, des références telles que ‘’Terminator’’ ou même ‘’Matrix’’, n’auraient certainement pas eu la chance de voir le jour par la suite. Objet cinéphilique aussi fou et ambitieux que véritablement en avance sur son temps, le métrage doit son existence au génie indéniable de Steven Lisberger, cinéaste féru d’informatique qui n’avait jusqu’alors, pas réellement attiré l’attention des cinéphiles et encore moins du business. Après une expérience douloureuse sur le projet ‘’Animalympics’’, téléfilm Gageons même que, sans la mise animé sur le thème des jeux en production de cette bande SF olympiques de 1980 commandé 82 Dans l’indifférence presque générale, ‘’Tron’’ premier du nom a fêté ses 35 printemps en décembre dernier. Au même titre que le chef-d’oeuvre de Stanley Kubrick ‘’2001, l’Odyssée de l’Espace’’, le métrage est sans l’ombre d’un doute, l’un des films fondateurs de la sciencefiction sur grand écran, une expérience de cinéma unique qui révolutionna considérablement son époque, avant d’incarner un parangon imposant de la culture geek à travers les décennies.

par NBC qui terminera finalement aux oubliettes (l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS poussa le président américain Jimmy Carter à boycotter les J.O. de Moscou, obligeant ainsi NBC à annuler sa couverture médiatique), Lisberger se lancera corps et âme sur ‘’Tron’’ - abréviation du mot « elecTRONic » -, qu’il veut comme un habile mélange entre une animation retro-éclairée et assistée par ordinateur, et des prises de vues en live. Conscient du potentiel énorme que peut avoir son projet tout autant que son éventuel coût élevé, le bonhomme, un temps séduit par l’idée d’un financement


indépendant (il se fera éconduire par plus d’une entreprise informatique), devra pourtant très vite se tourner vers les grosses majors Hollywoodiennes pour mener à bien son fantasme sur pellicule.

Le renouveau de Disney Et, après un court extrait commandé pour tester sa faisabilité (et légitimé son budget énorme pour l’époque, de 17 millions de $), c’est la firme aux grandes oreilles, Disney, qui empoche la mise, elle qui était encore loin d’avoir le statut puissant et férocement influent qu’elle possède aujourd’hui. Malmené par les fours successifs de productions trop enfantines pour pleinement convaincre les spectateurs bien plus tournés vers les canons de l’époque - et premiers blockbusters - tels que les franchises ‘’Superman’’, ‘‘La Guerre des Etoiles’’ ou encore ‘’Rocky’’; le studio de Walt Disney,

considéré comme has-been, cherchera coûte que coûte à fidéliser un public plus adulte qui le repousse continuellement. Clairement en manque d’inspiration, ‘’Tron’’ pouvait non seulement être le projet qui lui permettrait d’enrayer sa longue spirale infernale, mais également incarner le cheval de Troie tant espéré qui la réconcilierait avec le public. Le film suit l’histoire du charismatique et talentueux Flynn, un concepteur de jeux vidéo qui s’est vu voler ses jeux vidéo par son ex-employeur, et qui veut à tout prix récupérer une preuve qui lui ferait valoir ses droits. Avec l’aide d’Alan et de Lora, deux de ses anciens collègues, il infiltre le MCP (Maître Contrôleur Principal), un ordinateur avide de pouvoir à l’intelligence artificielle surdéveloppée. Quand ce dernier découvre que Flynn veut s’infiltrer dans ses circuits, il le téléporte dans un jeu vidéo. Pour s’en évader, Flynn devra compter sur l’aide de Tron, un programme indépendant inventé par Alan… 83

Une innovation unique en son genre Véritable prouesse sur pellicule (pionnier en son genre, il est premier film à utiliser des séquences retravaillées ou conçues par ordinateur, notamment pour concevoir un monde virtuel), le long-métrage de Lisberg n’en fut pas moins un calvaire pour son équipe technique, qui a dû abattre un travail de titans pour mener à un bien le projet (la souris n’existant pas encore, ils ont travaillé de longues heures uniquement avec... le clavier !), faisant appel à pas moins de quatre entreprises d’informatiques différentes pour mettre en images son design exceptionnel : Digital Effects Incorporated (prenant en charge le personnage de Bit), Robert Abel & Associates (prenant en charge le monde électronique, notamment les transitions entre le monde virtuel et le monde


réel), Mathematical Applications Group Incorporated (pour les animations de la première partie de métrage) ainsi que Information International Incorporated (qui elle s’occupe de celles de la seconde partie du film); toutes respectant le merveilleux travail au niveau du design réalisé par Syd Mead, et des costumes signés par le français Jean ‘’Moebius’’ Giraud. Porté par un casting impliqué dominé par le génial Jeff Bridges, le film débarque dans les salles obscures US en juillet 1982, au moment où le sublime ‘’E.T. l’Extraterrestre’’ n’en finit plus de récolter les billets verts et truster la première place du box-office. Sans forcément casser la baraque, ‘’Tron’’ s’avère une affaire plus que rentable pour Disney (qui espérait réellement en faire un blockbuster imposant), incarnant aussi bien un succès d’estime qu’un joli succès critique, les journalistes louant le retour de la firme vers un cinéma plus ambitieux et en phase avec son époque. Reste que l’industrie tout autant que le grand public, semble instinctivement être passé à côté du potentiel énorme du métrage, et de son immense valeur au sein d’un septième art qui ne sera plus jamais vraiment le même.

Une reconnaissance au FIl du temps Ridiculeusement représenté aux Oscars l’année suivante (deux nominations aux Oscars des Meilleurs Costumes et du Meilleur Son, là ou il est totalement snobé pour celui des Meilleurs Effets Spéciaux), le film de Steven Lisberger, qui ne connaîtra pas une carrière flamboyante par la suite (on le retrouvera derrière la série B ‘’Hot Poursuit’’ et le thriller SF ‘’Slipstream’’), trouvera finalement son salut au fil des ans, notamment auprès du public adolescent, qui le considérera à sa juste valeur comme une vraie oeuvre bluffante et avant-gardiste - avec son habile usage de la 3D -, notamment grâce à la montée en puissance aussi bien de l’informatique que du jeu vidéo dans la culture populaire, avec le succès des bornes d’arcade et de titres comme Pacman. Le progrès est en marche sur grand écran, et ‘’Tron’’ 84


y est sensiblement pour beaucoup, comme le prouve la pléthore d’hommage qui lui est rendu depuis (de ‘’South Park’’ aux ‘’Simpsons’’ en passant la série ‘’Chuck’’ ou encore le film ‘’I, Robot’’). Après avoir inspiré une pléthore de cinéastes en herbes au fil des décennies bien que celui-ci résiste, justement, très mal au temps qui passe, Disney, conscient là encore du potentiel commercial du titre, produira en 2011, 29 ans après le film original, une suite improbable intitulée ‘’Tron : L’Héritage’’; second opus transcendant l’esprit même du jeu vidéo pour en faire une expérience de cinéma à part, certes bancal scénaristiquement, mais follement jouissive et fascinante sensoriellement. Suite direct, le film contait 20 après la disparition de Flynn, la quête de son fils Sam, pour le retrouver, après que celui-ci lui est envoyé un message via un vieil ordinateur secret. Tout comme son géniteur, il se retrouve happé dans un monde virtuel - celui de Tron -, un royaume high tech aussi froid qu’obscur et hostile, dénué de toute émotion. Véritable immersion au sein du jeu vidéo - plus encore que l’original -, le film est d’une audace visuelle constante à la fluidité et à la cohérence remarquable, transfiguré par une bande originale excitante signé Daft Punk, et une mise en scène enlevé de Joseph Kosinski. Un pur OFNI comme ‘’Tron’’ premier du nom, dynamique et enrichissant, qui ne fait que renforcer l’aura culte d’un modèle définitivement à part, et incroyablement génial. J.C 85


VIRGIN SUICIDES TANDIS QUE LA GENT FÉMININE BATAILLE CONTRE LE SEXISME AU CINÉMA ET PARTICULIÈREMENT DERRIÈRE LA CAMÉRA, LA PAROLE DES FEMMES À HOLLYWOOD SE LIBÈRE ENFIN DÉNONÇANT LES NOMBREUSES INÉGALITÉS ET INJUSTICES VÉCUES PAR CES DERNIÈRES. CE MOIS-CI, IL ÉTAIT TOUT À FAIT ÉVIDENT POUR NOUS DE METTRE EN VALEUR QUELQUES-UNES DE CES NOMBREUSES RÉALISATRICES TALENTUEUSES POUR METTRE EN LUMIÈRE LEUR ART ET LEUR SENSIBLE EMPREINTE. POUR CE FAIRE, PENCHONS-NOUS SUR L’OEUVRE SOFIA COPPOLA ET SON PREMIER FILM ‘’VIRGIN SUICIDES’’ QUI DÉMONTRE AVEC POIGNE PAR SA GRANDE VIRTUOSITÉ QU’ELLE EST BEL ET BIEN LA FILLE DE SON PÈRE. 86


fIlMs CuLtEs Cette histoire dramatique et énigmatique narre la vie des cinq soeurs Lisbon, aux visages angéliques, de véritables nymphes ensorcelantes vivant dans les années 70. Les parents de cette jolie famille, cloitrés dans des valeurs religieuses et conservatrices sont extrêmement draconiens et stricts quant à la façon qu’ils ont d’éduquer les cinq adolescentes. Après le suicide soudain de la plus jeune, ces derniers vont alors revoir les règles familiales à la hausse et ainsi durcir l’éducation des quatre filles restantes, les privant totalement de vivre à l’extérieur de la maison. Les parents ferment donc inconsciemment à clé et à double tour les portes de cette fameuse prison dorée. C’est ainsi que les soeurs Lisbon vont

sombrer dans une mélancolie dévastatrice, rêvant follement de la vie qu’elles ratent. Malgré l’aide et la solidarité apportée par les petits camarades des quatre jeunes femmes, le dénouement sera fatal. Dès les premières minutes du film, le spectateur est directement averti quant à la tournure de l’histoire par une voix narratrice. Même si le titre suffisamment explicite met déjà en garde sur le contenu de l’oeuvre. Les actions découlent au rythme des souvenirs du narrateur qui raconte la vie des quatre soeurs à travers ses yeux d’adolescent qu’il était à l’époque où il les a côtoyé, ainsi, la vision de l’histoire paraît éthérée, irréelle et sublimée. La photographie grandiose et l’incroyable bande originale

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signée Air rendent ‘’Virgin Suicides’’ totalement inoubliable et unique en son genre. À travers son oeuvre, Sofia Coppola réussit le pari délicat d’évoquer ce sujet extrêmement difficile qu’est le suicide. Elle impose son atmosphère reconnaissable et raconte avec brio cette phase compliquée du passage à l’âge adulte. Pour beaucoup, il s’agit là d’une période dévastatrice dans laquelle il n’est pas toujours évident de savoir qui l’on est et ce que l’on veut, tant la solitude peut parfois prôner sur tout le reste. ‘’Virgin Suicides’’ raconte malheureusement des faits réels mais dénonce également l’éducation trop stricte des familles aux principes rigoureux. Ainsi il est clairement démontré que les punitions démesurées et


les privations de liberté poussent parfois les adolescents solitaires et fragiles à sombrer. Seule éventuelle ombre au tableau; le film se termine comme il a commencé et même si sa fin laisse sans voix, il plane tout de même un doute au-dessus de toute l’histoire, ce qui rend cela malgré tout légèrement frustrant tant les

réponses ne sont pas clairement apportées. Pourtant, malgré les quelques interrogations que peut ressentir le spectateur lors du générique, l’oeuvre atteint ses buts avec une douce noirceur grâce à une manière de narrer impartiale. Coppola ne juge pas et ne ment pas, elle raconte, sans artifices. La première réalisation

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de la jeune cinéaste est une ode à la mort d’une beauté noire, ensorcelante et inoubliable. L’histoire tragique d’une liberté bafouée et de cris de désespoir mit en sourdine. ‘’Virgin Suicides ‘’ est un véritable chef-d’oeuvre hypnotique. Marion Critique


fIlMs CuLtEs

LA LEÇON DE PIANO (1993) Parce que ‘’La Leçon de piano’’ est une merveille de film, emportée par la sublime partition musicale envoûtante de Michael Nyman, musique faisant corps avec l’héroïne, comme le plus éloquent langage de tous ses tourments… Parce que c’est une œuvre romantique sensuelle touchée par la grâce où les décors naturels se mêlent à la libération des corps, une fusion parfaite, un épanouissement magnifique… Parce que c’est un bijou visuel à chaque instant, un régal pour les pupilles à chaque scènes somptueuses, enveloppées dans un écrin photographique de cinéma peu égalé. La caméra de Jane Campion sublime ce tragique drame romanesque tumultueux à travers une mise en scène virtuose et charnelle. La réalisatrice transcende une narration passionnée au milieu des paysages sauvages de la Nouvelle-Zélande accompagnée par des acteurs (Holly Hunter, Harvey Keitel, Sam Neill, Anna Paquin) aux interprétations intenses. Un océan de sentiments passionnés, colère, amour, désir, jalousie, haine, peine, qui fait chavirer l’âme jusqu’à la dernière scène finale libératrice. La cinéaste offre l’une des plus belles palme d’or de l’histoire du Festival de Cannes (et la seule attribuée à une femme réalisatrice), un concentré troublant de désirs et d’émotions. S.B

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LE PROCES DE VIVIANE AMSALEM (2014) Remarquable troisième volet de leur trilogie sur la ‘’contemporaine’’ société israélienne et la place de la femme dans cette région encore régie par les hommes. En forme de satire judiciaire, ‘’Le procès de Viviane Amsalem’’ se décline de manière extrêmement brillante avec une grande intelligence de récit, et réalisé avec une grande précision de compositions de plans et une virtuosité impressionnante. Les réalisateurs optent pour une minutieuse mise en scène épurée en huis clos pour dévoiler une narration lente mais au rythme toujours passionnant, où la révolte et se mêle aux rires par l’absurdité de certaines scènes littéralement ubuesques. Un procès haletant, suffocant, glaçant orchestré par un tribunal rabbinique tragi-comique, et interprété magistralement par tous les acteurs. Cette œuvre salutaire âpre et électrique, de la regrettée et admirable Ronit Elkabetz et de son frère Shlomi s’avère être un nouveau coup de maître, un acte de résistance qui résonnera je l’espère, en faveur du combat de toutes les femmes pour leur liberté, au-delà de tous les murs qui se lamentent ...Hypnotique. Engagé. Fascinant. S.B

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fIlMs CuLtEs

MUSTANG (2015) Magnifique premier long métrage de Deniz Gamze Ergüven (fraîchement diplômée de la FEMIS) une œuvre délicieuse, brillamment écrite (avec l’aide d’Alice Winocour),qui nous faire passer par une palette d’émotions comme seul le cinéma en 90min peut nous faire briller, moment privilégié dans le théâtre de la croisette de voir la naissance d’une cinéaste, de voir 5 sœurs dans ce récit de la Turquie où les jeunes ados sont éprises de liberté par rapport aux conventions ancestrales, s’émanciper et embraser de leur sincérité la pellicule. Un bonheur de film pour l’âme et la rétine, où la réalisatrice avec brio alterne les scènes oppressantes avec des situations d’une drôlerie rafraîchissante, ajoutant une photographie solaire et poétique, on se laisse emporter par la fougue des 5 interprètes, envoûté par la musique de Warren Ellis, comme un écrin de douceur protégeant ces héroïnes des temps modernes, qui regardent à l’horizon pour s’échapper du carcan familiale. Une très belle surprise, un hymne à la liberté, qui a chaviré la presse et m’a fait battre le cœur de manière croissante, Mustang c’est fort, comme porte drapeau d’un cinéma qui s’émancipe, qui roule vers de nouveaux horizons, droit dans le soleil ! S.B

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ANDREÏ ZVIAGUINTSEV À L’OCCASION DE LA SORTIE D’UN MAGNIFIQUE COFFRET DE L’INTÉGRALITÉ DE SES FILMS, COUP DE PROJECTEUR SUR ANDREÏ ZVIAGUINTSEV L’UN DES PLUS TALENTUEUX RÉALISATEURS ACTUELS À TRAVERS SES CINQ LONGSMÉTRAGES. À TRAVERS CETTE ŒUVRE QUI PUISE AUTANT DANS DOSTOÏEVSKI, TARKOVSKI ET BERGMAN, LE BRILLANT RÉALISATEUR AUSCULTE ÂPREMENT LES TOURMENTS DE L’ÂME HUMAINE, ET POINTE DU DOIGT LA DÉCHÉANCE DES VALEURS AU SEIN DE SON PAYS SOUS LE RÈGNE DE POUTINE, AVEC UNE LUCIDITÉ ET UNE PUISSANCE FORMELLE SIDÉRANTE. ANDREÏ ZVIAGUINTSEV IMMENSE CINÉASTE MULTI-RÉCOMPENSÉ (À CANNES NOTAMMENT), S’AVÈRE ÊTRE UN MAGISTRAL FAUTEUR DE TROUBLES DONT L’AMPLEUR DE SES FILMS NE CESSER D’ÉPATER LA PLANÈTE CINÉMA.

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rEtRoSpEcTiVe

FAUTE D’AMOUR (2017) Une fascinante fable sur l’égoïsme des êtres et l’individualisme universel tel pourrait se voir ce nouveau long métrage de l’immense Andreï Zviaguintsev dont le titre ‘’Faute d’Amour’’ ou ‘’Loveless’’ pour l’international sonne déjà comme une sentence… Depuis son apparition sur la cinéphilie mondiale en 2003 avec le poignant ‘‘Le Retour’’ récompensé par un mérité Lion d’Or à la Mostra de Venise, ce cinéaste russe ne cesse d’interroger nos âmes et son pays à travers des œuvres toutes aussi prégnantes et magnifiques chacune. En quatre films cet artiste a déjà constitué une œuvre d’une cohérence et d’une profondeur peu commune. De retour au Festival de Cannes

cette année après avoir remporté le Prix du scénario avec le sidérant ‘’Leviathan’’ (2014), Andreï Zviaguintsev a récolté le Prix du jury, ce qui pour bon nombre de critiques et de fins connaisseurs cinématographiques ressemblaient à un lot de consolation. L’intrigue développe une histoire assez banale, celle d’un couple en instance de divorce, qui décide de vendre l’appartement dans la banlieue de Moscou, et se dispute frontalement pour savoir qui ne gardera pas Aliocha, leur petit garçon de 12ans. Un enfant symbole d’un amour passé, dont pour les deux parents il semble être un fardeau tant ils ne se préoccupent absolument pas de savoir comment il va malgré 93

leurs violentes altercations et auquel ils ne prêtent que peu d’attentions ou simplement pour des réprimandes. Jusqu’au jour où Aliocha disparaît… A partir de ce fait dramatique, le grand cinéaste russe nous offre pas moins de trois requiem : le désamour du couple, la « perte » de leur progéniture et la déchéance morale de la Russie. D’entrée de jeu il compose de véritables tableaux naturalistes en mode ‘’Winter sleep’’ où la nature figée par l’hiver, plans symboliques d’eaux croupissantes et arbres morts, en guise d’introduction nous prédit déjà un peu le programme. L’âpreté des premiers cadrages et le sublime travelling suivant la progression du jeune


garçon rentrant de l’école par la forêt enneigée puis jouant avec un ruban de chantier, convoque le cinéma de AndreÏ Tarkovski, dont il est l’un de ses disciples en l’occurrence particulièrement ‘’L’enfance d’Ivan’’ (1962), empli de tant de plans saisissants avant de faire résonner d’autre œuvres tarkovskiennes plus en amont du film. Fidèle à ses habitudes, sa caméra très précise sculpte les cadres et les décors extérieurs et intérieurs retranscrivant par petites touches impressionnistes le désenchantement total, une société endormie et des individus repliés sur eux-mêmes. Chacun ne cherche pas plus loin que soi. A la manière d’un Ingmar Bergman, où l’auteur cite ‘’Scène de la vie conjugale’’ (1974), la férocité du constat est édifiante à tous les niveaux. Heureusement comme une lumière au milieu de ce voyage au bout de la nuit, des voisins et personnes volontaires bénévolement pour partir à la recherche d’Aliocha, une bouée

de sauvetage dans ce radeau russe qui méduse, palliant ainsi les carences de la société. Et un peu d’humanité surgit malgré tout lorsque les corps s’échauffent au cours d’étreintes alors que l’on voit les deux parents dans leurs nouvelles vies respectives où l’on perçoit déjà les promesses d’un avenir meilleur s’effacer à mesure que l’intrigue se développe.Tout au long de ce drame prenant les fausses allures d’un polar, la mise en scène demeure magistrale, atteignant même une aura spectrale, tant l’absence de l’enfant va devenir le révélateur des chaos intérieurs et le centre de tous les constats. Trois pôles distillés avec la même ampleur, la même acuité et embellis sans cesse par la superbe photo du chef opérateur Mikhal Krichman. Une auscultation des âmes qui laisse derrière nous, le souvenir de ce garçon en détresse qui pleure de la « neige » tant ses parents sont glaçants et nous brise le cœur comme rarement et nous renvoie à l’adolescent 94

de ‘’L’incompris’’ (1966) de Luigi Commencini. Le cinéaste dresse donc un portrait sans concession, parfois clinique pour certains, mais sans jamais tomber dans le jugement moral vis-à-vis des comportements des êtres qu’il filme et incarnés avec conviction et de façon convaincante par Alexey Rozin et Maryana Spivak. La partition musicale inspirée d’Evgueni Galperine rajoute une couche d’émotions supplémentaires avec cette note continue évolutive et le morceau Silouan’s song qui donne la chair de poule. Andreï Zviaguintsev offre une quête éperdue, d’avance, cette société fantôme ne le fait pas et trébuche sur le seuil de l’humanité, où les fenêtres ne sont là que comme des obstacles, parfait d’un monde abasourdi qui n’écoute plus l’autre, des vitres comme des barrières, au lieu d’être une ouverture sur le monde. S.B


rEtRoSpEcTiVe

LEVIATHAN (2014) Cette radicale fresque épique dissèque avec noirceur toutes les grandes institutions russes gangrénées par la corruption à tous les étages. Le cinéaste déploie à chaque plan une mise en scène remarquable de précision. S’appuyant sur son intelligence scénaristique (prix du scénario Festival de Cannes 2014 largement mérité), la beauté de ce long métrage est amplifiée par la virtuosité des cadrages souvent en clairs obscurs et la puissance visuelle évocatrice, à travers une mise en scène absolument phénoménale. Le cinéaste livre un admirable drame passionnel comme support à une peinture dénonciatrice et désespérée de la Russie poutinienne. Cette fable ironique pessimiste parfois même cocasse, s’impose par petites touches, s’immisce au plus profond de vous pour vous terrasser par la richesse des thèmes, l’incarnation épatante de tous les interprètes et son scénario implacable. Du très grand cinéma qui s’impose instantanément comme un futur classique, en nous ramenant avec émotions aux Léviathans du passé dont il ne reste que la carcasse échouée, comme cette Russie dépeinte, défunte par cet exceptionnel conteur... Œuvre massive de l’immense réalisateur Andreï Zviaguintsev à redécouvrir comme une mythologie peu orthodoxe, diaboliquement inoubliable. S.B

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ELENA (2011) Ce sombre drame social épuré raconte le destin d’Elena et Vladimir, un couple de personnes âgées, issu de milieux différents, (la femme venant d’un milieu modeste et le mari d’une classe aisée) dans l’ère postcommuniste. Le metteur en scène opte pour une œuvre plus humble sans renier sa méticulosité formaliste, ses virtuoses plans-séquences captivants, l’élégance de ses mouvements de caméra pour mieux mettre en valeur un scénario machiavélique et ambigu. Ce long métrage résonne comme une pertinente métaphore de la situation économique de la Russie où l’écart de niveau social entre les époux va engendrer une situation qui va modifier inéluctablement les rapports au sein du couple. Une intrigue dostoïevskienne non dénuée de suspens, qui dresse un tableau amer de la société russe, en utilisant les espaces de manière architecturale et signifiante dès le premier plan, comme un oiseau de mauvais augure sur un arbre desséché. Une sourde lutte des classes déclinée avec langueur où le pouvoir de l’argent engendre la perte de toute moralité. Une œuvre cynique portée par l’interprétation magistrale de Nadezhda Markina dont le visage exprime toute l’ambiguïté et la force scénaristique dont la partition musicale entêtant de Philip Glass scelle définitivement le funeste récit. Un thriller social glacial aiguisé comme une lame. Superbe et terrifiant. S.B

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rEtRoSpEcTiVe

LE BANNISSEMENT (2007) Majestueuse fable sur la fatalité dépeignant l’histoire d’un couple, un homme et sa femme qui quitte une ville industrielle avec leurs deux enfants pour s’isoler à la campagne dans la vieille demeure campagnarde de celui-ci. Andreï Zviaguintsev adapte une nouvelle de l’écrivain américain William Saroyan publiée en 1953 pour évoquer le délitement d’une famille. Cette éblouissante tragédie débute comme un thriller avec des vertigineux plans-séquences amenant jusqu’à l’extraction d’une balle dans le bras d’un homme en cavale avant de décliner sa tension vers une œuvre plus contemplative à la violence sourde dans un décor quasi mythologique. Le cinéaste déploie une magistrale mise en scène esthétique précise avec des compositions de plans de fin du monde absolument somptueux. Le réalisateur nourrit son scénario austère, d’hyperboles, de métaphores, d’ellipses au milieu de références bibliques (Eve, la pomme, l’arbre…) où le père va quasiment se prendre pour Dieu. Cette œuvre profonde et puissante convoque le maître spirituel cinématographique Andreï Tarkovski à travers ce récit solennel d’une damnation porté par l’intensité de jeu de Konstantin Lavronenko (prix d’interprétation à Cannes pour ce rôle). Un long métrage sublime, esthétique et cruel servi par une maîtrise formelle époustouflante absolument envoûtante. S.B

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LE RETOUR (2003) Splendide drame familial contant l’histoire de deux adolescents turbulents vivant avec leur mère et leur grand-mère qui vont assister au retour de leur père, absent du foyer conjugal depuis douze ans et dont ils n’avaient qu’une vieille photo en noir et blanc comme souvenir. Pour son premier long-métrage le cinéaste russe Andrei Zviaguintsev s’inscrit dans la tradition de l’orthodoxie. Pour illustrer cette âpre odyssée le cinéaste opte pour une mise en scène naturaliste en plans larges, offre des cadrages minutieux où la superbe photographie piquée sublime la nature pour mieux refléter la notion de danger. La narration mythologique symbolique utilise les quatre éléments (l’eau, la terre, l’air le feu) comme allégorie des tourments intérieurs pour décrire métaphoriquement ce véritable chemin de croix qui ne résout aucun mystère mais qui aura au bout du chemin, comme une traversée du Styx, fait grandir les deux enfants sur cette île sanctuaire. Cette magnifique fable biblique épurée impressionne la pellicule et le spectateur, par sa puissance du récit en boucle scénaristique inéluctable et sa beauté formelle qui fusionnent pour mieux captiver notre âme et nous déchirer le cœur. Splendide. Puissant. Bouleversant. Un coup de maître prometteur. S.B

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JAMAIS 2 SANS 3 : LIAM NEESON DE MANIÈRE TOTALEMENT IMPROBABLE, CE BON VIEUX LIAM NEESON EST PASSÉ DE COMÉDIEN RENOMMÉ DU GIRON DRAMATIQUE À VÉRITABLE TATANEUR DE L’IMPOSSIBLE. UN VÉRITABLE CHARLES BRONSON DU NOUVEAU MILLÉNAIRE À QUI IL NE FAUT NI EMBÊTER SA PROGÉNITURE, NI CHERCHER DES NOISES. ET MÊME S’IL ANNONCE ASSEZ RÉGULIÈREMENT À QUI VEUT L’ENTENDRE, QU’IL EN A FINI AVEC LE CINÉMA D’ACTION, IL NE SE PASSE PAS UNE PIGE SANS QU’UNE SÉRIE B DE LUXE AVEC LUI EN VEDETTE, NE DÉBARQUE DANS NOS SALLES OBSCURES. FRAÎCHEMENT DE RETOUR POUR LA NOUVELLE ANNÉE AVEC UN ÉNIÈME ACTIONNER, ‘’THE PASSENGER’’ QUI MARQUE SA QUATRIÈME COLLABORATION AVEC JAUME COLLET-SERRA, VOICI UNE PETITE PIQÛRE DE RAPPEL SUR LES DERNIÈRES OEUVRES MUSCLÉES VRAIMENT RECOMMANDABLE DU BONHOMME. J.C 100


Parce que sans ‘’Taken’’, la «Neeson Mania» n’aurait sans doute jamais lieu, et le comédien aurait passablement galéré pour offrir un nouveau souffle à sa carrière. En Paul Kersey nouvelle génération, le Liam se la joue papounet guerrier qui sauve sa fi-fille adorée d’un réseau de prostitution en pleine capitale. Brisage d’os, coursepoursuite en Audi et génocide mignon de la mafia serbe, le film de Pierre Morel est un bijou de série B, et de loin le meilleur film estampillé Europa Corp - avec ‘’Le Baiser Mortel du Dragon’’.

TAKEN En âme en deuil à deux doigts du suicide qui se retrouve coincé avec ses collègues dans le Grand Nord suite à un crash d’avion, Neeson se transforme en survivant ultime : taiseux, charismatique, courageux et affrontant la mort les yeux dans les yeux, notamment dans un final où il affronte avec courage un mâle Alpha d’une meute de loups ayant pris en chasse tous les survivants. Impérial sous la caméra de Joe Carnahan, l’acteur émeut aux larmes et se paye son plus beau rôle depuis ‘’La Liste de Schindler’’.

LE TERRITOIRE DES LOUPS

BALLADE ENTRE LES TOMBES 101

Entre deux tataneries solidement calibrées par Jaume Collet-Serra, l’interprète de Rob Roy s’autorise quelques jolis écarts. En ex-flic alcoolique devenu détective des bas fonds de Chicago, Neeson, badass en diable, s’improvise traqueur de tueurs sadiques dans un polar gentiment sombre. Bonus non négligeable : il essaye de se payer le scalpe d’un David ‘’nouveau Hellboy’’ Harbour (‘’Stranger Things’’) particulièrement flippant.


IL ÉTAIT UNE FOIS... RAMBO

PAR JONATHAN CHEVRIER

Si Rocky Balboa est la figure lumineuse et bienveillante de Sylvester Stallone, John Rambo lui, en est inéluctablement sa part d’ombre, barbare mais tout aussi déchirante. Car si le personnage n’est pas né de la plume de Sly mais bien de l’écrivain David Morrell (‘’First Blood’’ publié en 1972), c’est bien l’acteur qui aura façonné l’aura du personnage tel qu’on l’a connaît : une bête de guerre dressée pour tuer, reniée par ses propres créateurs. Véritable inadapté social traqué par les forces de l’ordre à la bavure facile de la petite bourgade de Hope (un espoir d’être comme les autres qui lui sera à jamais refusé) le prenant autant pour un vagabond qu’un symbole abjecte de l’impuissance américaine (l’amère défaite au Vietnam), le héros incarne douloureusement l’incapacité de réadaptation au pays des vétérans du Vietnam, au moins autant que la frustration qu’ils ressentent face à l’incompréhension du rejet dont ils sont continuellement la cible. Rambo est une victime autant du trauma vietnamien que du fascisme de sa mère patrie.

‘‘They drew fIrst blood, not me.’’ Vrai actionner solide doublé d’un drame poignant (le speech final, criant de vérité, en aura ému plus d’un), Rambo, qui trahit volontairement le roman - le personnage meurt à la fin du bouquin -, fera très vite place à une suite, plus burné et simpliste (James Cameron verra la substance de son script, plus tournée vers la technologie, totalement sacrifiée sur l’autel du divertissement musclé), où le héros, revanchard et libéré de prison, s’en va sauver ses compatriotes prisonniers de guerre au Vietnam, répondant favorablement à sa figure paternelle, le colonel Sam Trautman, lui offrant l’ultime chance de sa potentielle rédemption. Plus manichéen et réécrivant maladroitement l’histoire avec un penchant patriotique certains (cette fois, l’Amérique gagne face au double ennemi facite : la Russie et le Vietnam), ‘’Rambo 2 : La Mission’’, immense 102


carton - comme ‘’Rocky IV,’’ sortie à la même période - que la politique reaganienne reprendra honteusement comme porte étendard, n’en dévoile pas moins les mêmes fêlures d’un héros toujours seul contre tous et encore plus contre son gouvernement, qui l’instrumentalise sans le moindre intérêt ni gratitude. « James Cameron est un talent exceptionnel. Mais je pensais que la dimension politique était importante, ainsi qu’on la trouve dans la position de droite de Trautman et de sa némésis Murdock, et qui est contrastée par la neutralité de Rambo, qui s’exprime dans son discours final. « Véritable ‘’expendable’’ aux yeux de son pays comme il le dit à la belle Co-Bao (son seul et expéditif, love interest de la saga), Rambo partira s’exiler en Thaïlande avant de pointer à nouveau le bout de son nez dans le férocement maladroit ‘’Rambo 3’’, totalement à côté de la plaque et de l’actualité dans sa mise en images du conflit afghan (les troupes russes quitteront le pays plusieurs mois avant la sortie du film, rendant son propos totalement caduc), dans lequel le big John est mandaté pour aller sauver son colonel, Sam Trautman. Un bide conséquent en salles - qui fait écho au mal aimé ‘‘Rocky V’’ sortie en même temps -, laissant sur le carreau la bête Rambo pendant près de vingt ans.

‘‘Live for nothing or die for something’’

Peu de temps après avoir fait renaître de ses cendres le boxeur de Philadelphie - Rocky Balboa -, Stallone offrira un ultime baroud d’honneur à son soldat dans ‘‘John Rambo’’, opus barbare et sanglant pointant du bout de la machette l’inaction du monde face au conflit génocidaire birman. Dans un déchaînement de violence amère et spectaculaire, Rambo se fait le bras armé de la justice et remet les pendules à l’heure en assumant cruellement ce qu’il a toujours été : une putain de machine de guerre increvable. Le final, vertigineux, laisse le héros tailler la route ricaine son baluchon sur le dos, après être revenu de plus de trente années d’un voyage au fin fond de l’enfer. Pourvu qu’une hypothétique cinquième aventure, longtemps teasé, ne vienne pas perturber cette conclusion parfaite. Rambo mérite son repos du guerrier, et Sly aussi. 103


INSTANT

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SÉRIES

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BIG LITTLE LIES Focus sur la série ayant triomphée aux derniers Golden Globes avec pas moins de 4 prix. Portée par un casting féminin exceptionnel, la série est repartie avec le prix de la meilleure mini-série. Deux de ses actrices ont raflé des récompenses : Laura Dern, qui incarne une mère de famille dont la petite fille est harcelée à l’école, a été nommée Meilleure actrice dans un second rôle et Nicole Kidman, bouleversante en femme au foyer battue, est allée chercher le prix de la Meilleure actrice. Alexander Skarsgård, qui joue son mari terrifiant et violent, a été récompensé pour sa performance avec le Golden Globe du Meilleur acteur dans un second rôle. D’ailleurs Meryl Streep jouera la mère de ce dernier dans la saison 2. ‘’Big Little Lies’’ défend les femmes et parle de sujets tabous, les violences conjugales et les femmes violées. C’est grâce à deux personnages Madeline Martha Mackenzie (Nicole Kidman) en femme battue et Jane Chapman (Shailene Woodley) en femme violée que l’on découvre leur parcours de vie chaotique. Comment se sortir d’un mari violent alors qu’on a une vie parfaite à l’extérieur ? Comment se rendre compte qu’on est une femme battue alors qu’on a toujours des sentiments pour notre mari ? Tout est la question du personnage de Nicole Kidman qui joue avec délicatesse ce rôle en nous bouleversant à toutes les scènes. Entre amour et violence il n’y a qu’un pas… La série nous interroge également sur la vie des femmes après avoir été violée. C’est tout le sujet du personnage de Shailene Woodley qu’on a vu notamment dans ‘’Divergente’’. Oubliez cette erreur de parcours, car dans cette série son jeu d’actrice est digne des plus grandes. La force de ‘‘Big Little Lies’’ c’est de nous mettre à la place de ces deux personnages, de nous interroger sur ce que peuvent ressentir ces femmes et notamment comprendre pourquoi une femme battue a dû mal à quitter son mari et à prendre conscience de la gravité de la situation. Outre le sujet, la réalisation est exceptionnelle avec une bande son à couper le souffle, des images magnifiées qui nous transportent dans cette petite ville de Monterey où se passe un meurtre au tout début d’épisode. Qui est mort ? Pourquoi ce meurtre ? Qui l’a tué ? C’est tout ce que vous allez découvrir dans ces sept épisodes…. Clemkey 106


9-1-1 Encore une nouvelle série de Ryan Murphy (‘’American Horror/Crime Story’’, ‘’Glee’’, ‘’Feud’’) traitant les urgences du numéro 911. On y découvre la vie des pompiers, des policiers et de ceux qui reçoivent les appels d’urgence. Cette liaison entre les trois est très intéressante et nous permet de constater les intérêts qui diffèrent en fonction des sujets. La force de cette série est le scénario, illimité dans sa forme où nous pouvons voir des urgences passionnantes : bébé coincé dans les canalisations des toilettes, boa étranglant une fille, grand huit en panne… Et oui après avoir vu cette série vous n’irez plus à la fête foraine… Mais Ryan Murphy n’a pas crée une simple série d’urgence, il met en lumière les jeux des acteurs au service de son scénario nous permettant de nous attacher encore plus aux personnages grâce à une distribution 4 étoiles : Angela Basset en policière, femme forte de cette série, Peter Krause en pompier, et Connie Britton réceptionnant les appels. Avec plus de 7 millions de téléspectateurs pour son pilot battant ainsi le retour très attendu mais raté de ‘’X-File’’s, Ryan Murphy tient (encore) un nouveau format à succès sur la Fox, vivement la saison 2 qui est déjà signée! Clemkey

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AMERICAN CRIME STORY : THE ASSASSINATION OF GIANNI VERSACE Décidément 2018 est l’année de Ryan Murphy. Après avoir triomphé avec ‘’American Crime Story : The People Vs OJ Simpson’’, il revient en force avec la saison 2 traitant le meurtre du célèbre couturier Gianni Versace joué par Edgar Ramirez. Le célèbre meurtrier Andrew Cunanan est joué quand à lui par Darren Criss (vu dans ‘’Glee’’). C’est LA révélation de cette série, son jeu d’acteur est exceptionnel, il joue à merveille son rôle de psychopathe. L’autre point fort du casting est Pénelope Cruz ayant réussi à prendre l’accent italien/anglais de Donattella Versace à la perfection. Classe, forte, businness woman et touchante sont les mots pour qualifier son rôle. Outre les performances d’acteurs, la réalisation est exceptionnellement belle et moderne. On entre dans ce monde de la mode, faussement beau, faussement riche rempli d’alcools, de drogue, de sexe… Et surtout on entre dans la tête d’un psychopathe… En attendant la saison 3 traitant l’ouragan Katrina, la saison 2 vous fera vibrer avec son magnifique casting. Clemkey

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ENGRENAGES (S6) ‘’Engrenages’’ s’est toujours donné pour mission d’ausculter la société française sans édulcorer le tableau. Pari une nouvelle fois réussi avec cette sixième saison, attendue par les téléspectateurs depuis presque trois ans. Flanquée d’un nouveau commissaire un peu largué, Herville étant parti dans le 93, l’équipe du capitaine Laure Berthaud est appelée dans le 19e arrondissement : un tronc humain a été retrouvé enseveli sous des encombrants. Si l’identification se fait assez rapidement, la 2e DPJ n’est pas au bout de ses peines. En proie à des difficultés personnelles – Laure a accouché d’une petite fille prématurée encore hospitalisée, Tintin se retrouve dans la tourmente du divorce alors que Gilou a bien du mal à se poser –, les membres de la division sont intimement touchés par l’enquête : la victime est un collègue, officiant dans une grande ville de la banlieue nord. Une grande ville où il s’avère que l’on navigue en eaux troubles. Des policiers, éreintés, lassés d’être pris pour cible, se lancent dans des trafics peu reluisants. La maire achète la paix sociale en pactisant avec des caïds. Les habitants, déconsidérés, essaient de s’en sortir malgré tout. En bref, tout le monde fait ce qu’il peut... quitte à franchir les limites de la légalité. La société décrite par ‘’Engrenages’’ est sombre. Très sombre. A la limite du désespoir. Heureusement, Herville, qui dirige le commissariat de la ville de Seine-Saint-Denis au centre de l’intrigue, est là pour détendre l’atmosphère de ses punchlines sans équivalent. Car ces nouveaux épisodes n’épargnent personne, pas même les personnages principaux suivis – et aimés – depuis une dizaine d’années. Enquêteurs comme juristes, tous sont meurtris personnellement, pour des raisons diverses. Et certains en arrivent à faire de mauvais choix. De Gilou, constamment sur le fil, à Joséphine, avocate sans foi ni loi qui gagne en humanité dans les dernières saisons, en passant par le pourtant toujours très droit juge Roban, les masques tombent. Haletante, cette nouvelle saison est portée par une écriture toujours juste et des comédiens inspirés, qui incarnent à merveille ces personnages aux failles grandissantes. Ancrée dans la société actuelle, ‘’Engrenages’’ est avant tout une histoire humaine, et c’est en cela qu’elle touche irrémédiablement. V.B 109


THE ALIENIST Si la chaîne câblée US TNT n’a pas forcément eu l’habitude d’exciter notre curiosité avec ses productions, forc est d’avouer que le maillon télévisé de la Paramount s’est efforcée de mettre les petits plats dans les grands pour allécher les sériephiles aguerris. Produite par Cary «‘’True Detective’’ Fukunaga, scripté par Hossein ‘’Drive’’ Amini et porté par un casting de talent maousse costaud (Daniel Brühl, Luke Evans, Dakota Fanning, Michael Ironside,...), ‘’The Alienist’’ envoie sacrément du pâté sur le papier, elle qui s’attache à conter la traque macabre d’un tueur d’adolescents dans le New-York de la fin du XIXème siècle, par deux enquêteurs atypiques - un chroniqueur criminel et un spécialiste des maladies mentales. Enquête historique gentiment nichée entre ‘’True Detective’’ et ‘’Sherlock Holmes’’, animée par des pulsations sombres et malsaines aussi captivantes que frissonnantes, ‘’The Alienist’’ se paye un pilote en demi-teinte tant il prend sensiblement son temps pour exposer autant son intrigue lancinante que ses personnages attachants et très vite plaisant à suivre (le cast est impeccable), au sein d’une reconstitution d’époque léchée, d’une Grosse Pomme qui n’a rien a envier aux sordides bas fonds londoniens ou sévissait déjà un certain Jack l’Eventreur. Baroque comme un classique de la Hammer, radicale et sublimé par une atmosphère d’épouvante pesante, le show de Amini a beau être encore un poil dans les starting-blocks, il fait montre déjà d’un potentiel renversant, tout comme son duo vedette - Brühl/Evans - a tout pour être l’un des duos les plus passionnants à suivre de la télé US de ces dernières années. Il en faut peu pour avoir un nouveau hit du genre, après la merveilleuse ‘’Mindhunter’’, très peu... J.C 110


THE CHI BFF atypique et pince-sans-rire du volubile attachant Aziz Ansari dans la merveilleuse ‘’Master of None’’, l’actrice Lena Waithe et sa coolitude assumée, passe à la vitesse supérieure sur le câble US - Showtime en chapeautant rien de moins que sa première série, ‘’The Chi’’, véritable show mumblecore une poignée d’âmes dans une Chicago plus vivante et vibrante que jamais. Portrait choral à forte tendance autobiographique axée sur la communauté afro-américaine du quartier de Chatam, ‘’The Chi’’ se nourrit autant de la bouillante cité du Michigan (filmé avec autant d’amour que la Grosse Pomme sous la houlette d’Ansari avec sa série) que du passé de sa créatrice, dans sa mise en images engagée et appliquée d’une riche mosaïque de personnages finement croqués qu’un événement majeur va (ré)unir - deux meurtres. Sans forcer le trait, chaque héros - uniquement masculins pour le moment - aux parcours et aspirations diverses, sont plaisant à suivre (Kevin et Emmett en tête) et le mélange des genres qui animent l’intrigue (on passe habilement du drame au thriller ou à la romance en une séquence) au ton proche du documentaire, rendent ce serie premiere aussi grisant que prometteur dans sa vision pas forcément originale mais sincère, des quartiers défavorisés US où le quotidien en apparence paisible peut se voir bouleversée du jour au lendemain. Lena Waithe prends le pouls dynamique de ses contemporains pour signer un show à la portée universelle, et si sa démarche n’est pas encore assurée (à la différence du King Spike Lee avec la merveilleuse ‘’She’s Gotta Have It’’), elle est suffisamment entraînante pour faire de ce drama humain et solide, l’une des jolies nouveautés du moment. J.C 111


BLACK LIGHTNING : LE SALUT ENGAGÉ ET GRISANT DU DC-VERSE DE LA CW Force est d’avouer que l’on ne savait pas trop quoi penser de la nouvelle série super-héroïque de la chaine CW, ‘’Black Lightning’’, alors que son univers DCEU perd gentiment mais sûrement notre intérêt au fil des semaines (même la grisante ‘’The Flash’’ peine à capter notre regard). Pourtant, force est de constater que le show est le premier vrai gros pari de la chaîne câblée US, puisqu’il ne sera même pas lié aux autres séries DC Comics, son action se déroulant tout simplement dans un tout autre univers... Pas un petit pari donc, surtout que le personnage

créé en 1977 par Tony Isabella (qui travaillait auparavant sur Luke Cage avant de créer un super héros noir pour DC Comics avec sa propre série) et Trevor Von Eeden, vraiment membre à part entière de la Justice League, n’est pas forcément le plus connu du grand public. Le show s’attache à conter les aventures du directeur du Garfield High School Jefferson Pierce, un super-héros qui a raccroché son costume depuis plusieurs années, mais qui se voit pourtant très vite dans l’obligation de réendosser son identité secrète lorsque sa fille et un de ses élèves se retrouvent en

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danger. Il redeviendra alors Black Lightning, un méta humain qui contrôle les champs électromagnétiques, et qui préserve du crime la ville de Freeland... Transcendant son simple statut de show superhéroïque, ‘’Black Lightning’’ s’impose dès son excellent épisode pilote comme un solide drama familial teinté d’action, dénué de (gros) clichés et férocement ancré dans son époque, tant il traite avec justesse des maux douloureux qui gangrènent l’Amérique sous Trump : les inégalités sociales, le racisme et la violence sous toutes ses formes (les 113

gangs, la police, l’école,...); tout en citant les importants mouvements militants #MeToo et Black Lives Matter. Dans la veine de Luke Cage - en plus profond et prenant -, porté par des personnages plutôt bien croqués et plaisant à suivre (autant Jefferson Pierce que ses deux filles, Anissa et Jennifer, mais aussi Gambi, le sidekick/mentor de Jeff), dont un héros central charismatique et mature (Cress Williams, parfait), pleinement conscient du poids et de la responsabilité d’incarner autant un vigilante qu’un visage communautaire important - ce qui n’est pas le cas dans tous les shows -; le show de Salim Akil, sincère et convaincant, est plus que prometteur - tout comme son vilain, Tobias Whale - et laisse présager que la CW, et plus directement le DCEU, opère enfin un virage social et humain (beaucoup trop rare dans le genre), tout autant qu’un show ne se perdant pas dans d’innombrables longueurs ennuyeuses à coups de romances pâles, ou d’intrigues prétextes à quelques fights plus ou moins bandants. La balle est dans le camp de Salim Akil, mais notre petit doigt nous dit qu’il sait déjà très bien quoi en faire... J.C


ALTERED CARBON, S1 : WELCOME TO BAY CITY Alors que le foutrement attendu ‘’Mute’’ de Duncan Jones, fera décemment l’évènement d’ici la fin du mois sur la plateforme, Netflix continue a voguer amoureusement dans la SF futuriste et - surtout rendant férocement hommage à l’univers de Philip K. Dick, via sa nouvelle série originale, ‘‘Altered Carbon’’, adaptation du roman cyberpunk éponyme de Richard Morgan, qui incarne décemment le premier gros rdv de leur calendrier 2018, après la sympathique ‘’The End of The F***ing World’’. Franchement ambitieuse sur papier, le show dystopique se paye un pitch aussi nébuleux que sincèrement accrocheur : en 2384, il est possible

de tromper la mort, en numérisant sur des puces les pensées, souvenirs et la conscience des gens, avant de les placer à la base de la nuque dans des corps relégués au statut de simple bout de viande interchangeable. Simple et efficace comme une carte SD dans son smartphone (le parallèle est évident), l’immortalité dans sa forme la plus artificielle et sordide qui soit. Le hic c’est que, société futuriste et consumériste oblige, ce genre de privilège n’est permis qu’à ceux qui en ont les moyens, l’éternité ayant comme toute chose, un (très cher) prix. C’est dans ce contexte fantasque où la mort est

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reléguée au passé par la nouvelle technologie, que Takeshi Kovacs, soldat d’élite des Corps Diplomatiques ayant tenté de faire la révolution contre le nouvel ordre mondial 250 ans plus tôt, se voit offrir une renaissance improbable dans un tout nouveau corps. Une seconde chance opérée à la demande d’un milliardaire, Laurens Bancroft, voulant en échange en faire son détective privé perso, pour qu’il découvre les tenants de son propre assassinat... Dans ses bons moments, ‘’Altered Carbon’’ arrive à plus ou moins s’aligner du bout de la pellicule sur les pas de son illustre ainé ‘’Blade Runner’’ (auquel 115

la révérence est tellement marquée que s’en est presque indécent), au sein d’un thriller futuriste enivrant, déstabilisant et sans moral (luxure, violence, etc...), à l’univers proprement fantastique (les effets numériques sont étonnamment léchés), qui aligne les faux-semblants à la pelle (milliardaire vivant plus de 300 ans, un soldat d’élite japonais se retrouvant coincé dans le corps d’un géant suédois mutique) et respecte au pied de la lettre tous les codes du genre science-fictionnel voitures volantes et pistolets badass inclus. Dans ses mauvais moments, le show peine à gentiment capter l’attention et tenir en haleine son auditoire, que ce soit autant par le prisme d’une enquête prétexte et étirée sur la longueur, sur la mort d’un mégalomane répugnant et antipathique (James Purefoy, avec tout le cabotinage qu’on lui connaît), des errances de cop show à peine plus défendable qu’un épisode ‘’Law & Order’’ du pauvre; que dans son manque cruel de substance dans ses sous-textes majeurs passionnant (la lutte des classes, l’homme se prenant pour Dieu et la présence au quotidien de l’intelligence artificielle en tête), là où l’univers établit offre pourtant une multitude de possibilité à explorer. Bourré de faiblesses/facilitées narratives, porté par des personnages souvent croqués à la truelle et interprétés avec autant de finesse (seuls Joel Kinnaman et Chris Conner peuvent se targuer d’être convaincant), tout en étant spectaculaire (les scènes d’action sont solides) et décomplexé (voire même un tantinet gore) et mué par une vraie envie de bien faire franchement louable, ‘’Altered Carbon’’ n’est sans doute pas le hit SF espéré par Netflix, mais n’en est pas moins une première expérience plus qu’encourageante et sincèrement prometteuse. Bestial, artistiquement irréprochable et addictif juste ce qu’il faut, le show mérite son bingewatching intense, mais peinera sûrement plus à marquer dans le temps les esprits des sériephiles endurcis. J.C


sOrTiEs DvD

Le Sens de la Fête d’Olivier Nakache et Eric Toledano (sortie le 07/02)

Kingsman : Le Cercle d’Or de Matthew Vaughn (sortie le 12/02)

Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve (sortie le 14/02)

‘‘ Film choral, Le Sens de la Fête est une attachante et cocasse ode au vivre ensemble doublée d’un regard honnête sur le milieu professionnel. ’’

‘‘ Un poil en deçà du premier opus, Le Cercle d’Or n’en est pas moins une brillante suite qui joue habilement la carte de la démesure et du fun. ’’

‘‘ Blade Runner 2049 ou une odyssée sensorielle glaciale et furieusement immersive, un bijou aussi ludique dans sa forme qu’exigeant dans son fond. ’’

Detroit de Kathryn Bigelow (sortie le 20/02)

Knock de Lorraine Levy (sortie le 20/02)

‘‘ Puissant, révoltant, douloureux, tétanisant... Detroit est un putain de diamant noir. Queen Bigelow est de retour, et elle fait très mal. ’’

‘‘ Exit la charge ironique sur la pratique médicale, Knock version 2017 se perd tout du long dans un sentimentalisme pataud, malgré un Omar Sy impérial. ’’

Zombillénium de Arthur de Pins et Alexis Ducord (sortie le 20/02) ‘‘ Joli grand huit aussi rock et parodique qu’il est délirant et riche en action, Zombillénium est un surprenant petit bijou d’animation. ’’

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Logan Lucky de Steven Soderberg (sortie le 27/02)

Au Revoir La-Haut d’Albert Dupontel (sortie le 28/02)

LEGO Ninjago Le Film de Charlie Bean et Paul Fisher (sortie le 28/02)

‘‘ Ocean’s 11 au pays des rednecks, Logan Lucky est un pur délire Soderberghien, une comédie noire fun, rythmée et désopilante au cast impeccable. ’’

‘‘ Personnel, virtuose & férocement généreux, Au Revoir LàHaut est un sommet de cinéma abouti, touchant et poétique. A.Dupontel à son meilleur. ’’

‘‘ Lego Ninjago, Le Film ou une aventure déjantée, méta et partiellement mignonne mais trop vaine et incroyablement convenu pour convaincre. ’’

The Square de Ruben Östlund (sortie le 28/02) ‘‘ Aussi suffoquant que jubilatoire, The Square est une comédie noire fascinante, un portrait glaçant et ironique de la société contemporaine. ’’

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la page des non-cinéphiles PAR JULIE RAGOT

labyrinthe

Alors qu’ils se baladaient tranquillement à vélo, Elio et Oliver se sont perdus de vue. Viens vite les aider à se retrouver avant que l’été ne touche à sa fin !

Il était une fois dans le cinéma C’est bête comme chou (expression de vieux) : il suffit de relier le film à sa date de sortie dans les cinémas de l’Hexagone. (L’accès à Internet est interdit évidemment, bande de tricheurs).

Coup de foudre à Nothing Hill · · 27 avril 94 Orgueil et préjugés · · 27 décembre 2006 L’Arnacoeur · · 27 juin 2012 Le Journal de Bridget Jones · · 20 aout 2014 La Vie d’Adèle · · 18 aout 99 Quand Harry rencontre Sally · · 15 novembre 89 Quatre mariages et un enterrement · · 9 octobre 2013 The Holiday · · 18 janvier 2006 Un bonheur n’arrive jamais seul · · 17 mars 2010 Nos Etoiles Contraires · · 10 octobre 2001 118


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