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L’EDITO Après l’été vient la rentrée, et comme l’ont dit des plus grands avant nous “le changement, c’est maintenant !”. Nouvelle mouture donc pour le webzine qui vous propose un axe plus englobant ; une jolie manière cryptique de parler de nos ambitions. Notre objectif ? Traiter l’actualité autrement. Moins de critiques, et plus de dossiers et portraits en lien avec ce qui se déroule dans le monde du 7ème art. Le webzine continue de discuter le contemporain mais en l’inscrivant dans un paysage plus large, une pensée plus axée sur les acteurs et les actrices du cinéma ; dans le sens de celles et ceux qui en font plus que du divertissement. Celles et ceux qui en font un art, quoi. Mais trêve de belles paroles ! Désolé… On a ciné.
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Captain Jim
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LE SOMMAIRE 6. Joaquin Phoenix : un caméléon 74. récapitulafiff (34e fiff de namur) humain 78. interview fabrice de welz 12. Retour sur ça chapitre 1 84. interview gabriel d’almeida freitas 16. Stephen King au cinéma 90. interview vero craztborn 26. rétro mike flanagan 96. S Craig Zahler : vers un nouvel 34. rambo : était-ce sa guerre ? hollywood plus réaliste et brutal ? 44. rétro : les films dans l’espace 104. rétro na hong-jin et Park chanwook 56. Retour sur la saga terminator 70 : analyse de séquence : phantom thread
Rédactrice en chef/mise en page : Margaux Maekelberg Rédacteurs : Aubin Bouillé, Thierry de Pinsun, Vincent Pelisse, Mehdi Tessier, Baptiste Andre, Captain Jim, Laim Debruel, SN, Pravine Barady.
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JOAQUIN PHOENIX :
UN CAMÉLÉON INHUM Lorsque l’on parle de transformations au cinéma, on pense d’abord à des acteurs comme Christian Bale (« The Machinist ») qui perdent ou gagnent du poids pour leurs rôles, en alternant des caractéristiques physiques comme Hillary Swank et Charlize Theron, ou bien en profitant du maquillage et des costumes comme Johnny Depp… Les modifications sont nombreuses, mais il ne faut pas oublier de parler du caméléon humain, de l’homme à la décennie parfaite et son visage changeant film après film, comme pour incarner de manière intégrale le personnage de sa vie à chaque instant : Joaquin Phoenix. Pravine Barady
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MAIN
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Prête à tout (1995) Acteur dévoué mais également engagé, une star est née le 28 octobre 1974 à Porto Rico au sein d’une famille d’acteurs (Rain, Liberty, Summer et River). C’est seulement à l’âge de 3 ans qu’il rejoint les Etats-Unis et y fait ses débuts en tant qu’acteur à la télévision aux côtés de Liberty et River, que ce soit dans des séries ou des téléfilms. Il faudra qu’il attende ses 10 ans pour enfin avoir des rôles au cinéma : « Cap sur les étoiles » (1986), « Russkies » (1987), « Portrait craché d’une famille modèle » (1989). Il est remarqué pour son interprétation dans « Prête à tout » (1995) de Gus van Sant où il donne la réplique à Nicole Kidman. Il enchaîne par la suite « Les Années Rebelles » (1997) avec Liv Tyler & Billy Crudup, « U-Turn » (1997) avec Claire Danes, « Loin du paradis » (1998), « Clay Pigeons » (1998) et « 8 millimètres » (1999) où il joue un abbé en compagnie de Nicolas Cage et James Gandolfini.
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C’est véritablement dans les années 2000 qu’il explose pour devenir petit à petit un des meilleurs acteurs de sa génération. Cette évolution croissante passe d’abord par l’enchaînement des rôles auprès de réalisateurs de renoms : Ridley Scott (grâce à lequel il obtient une nomination à l’Oscar du meilleur second rôle dans « Gladiator » en 2000) , James Gray (« The Yards » en 2000, « La nous nuit nous appartient » en 2007, « Two Lovers » en 2008 et “ The Immigrant“ en 2013), Night Shyamalan (« Signes » en 2002, « Le Village » en 2004), Thomas Vinterberg (« It’s All About Love » en 2003). Il se diversifie également pour doubler le seul personnage d’animation qu’il doublera de sa carrière, celui de Kenai dans « Frères des ours » (2003). Sa masterclass des années 2000 revient sans équivoque à l’impressionnante performance en tant que Johnny Cash dans « Walk the line » (2005) de James Mangold (Golden Globe du meilleur acteur, nomination à l’Oscar du meilleur acteur) : en plus d’adopter les mimiques de l’artiste, il chante et apprend à jouer de la guitare pour ce rôle.
Nous arrivons aujourd’hui au terme de la décennie 2010, et s’il y a bien un acteur à retenir : c’est Joaquin Phoenix. En plus de jouer des rôles diversifiés, il s’exprime dans des films pour la majorité marquants et représentatifs de la qualité du cinéma moderne. Pour lui, la performance est totale et il le prouve dans le documenteur « I’m Still Here » (2010) où il prétend pendant des années mettre un terme à sa carrière cinématographique pour s’attaquer à une vie de rappeur, ce qui donne un film hilarant et impressionnant pour la puissance du mensonge. Il va accentuer la psyché de ses personnages en étant dirigé par Paul Thomas Anderson où il livre deux des meilleures performances de la décennie dans « The Master » (2012) et l’exigeant « Inherent Vice » (2014). Encore plus impressionnant, il change totalement de visage pour jouer Theodore dans le film de sciencefiction romantique « Her » (2013) où il partage la vedette avec un casting féminin cinq étoiles (Rooney Mara, Amy Adams, Scarlett Johansson et Olivia Wilde). Après une palette de grands réalisateurs qui veulent absolument tourner avec lui, c’est Woody Allen qui rassemble Joaquin Phoenix et Emma Stone dans « L’Homme irrationnel ».
Walk the line (2005)
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QUELQUES FILMS À RETENIR
a beautiful day (2017)
marie madeleine (2018)
- Prête à tout (1995)
En 2017, il obtient le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour le film « A Beautiful Day » (2017) de Lynne Ramsay. Le seul véritable déchet de sa décennie revient à « Marie Madeleine » (2018), où il joue Jésus dans un film oubliable et répétitif. Pour bien conclure cette décennie, il retrouve Gus van Sant pour jouer le dessinateur handicapé et alcoolique John Callahan dans « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot » (2018), avant de tourner avec le français Jacques Audiard dans « Les Frères Sisters » (2018) aux côtés de John C.Reilly, Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed. Enfin, il succède à Cesar Romero, Jack Nicholson, Heath Ledger et Jared Leto dans le film « Joker » (2019) de Todd Phillips, une performance éblouissante, fragile et une transformation physique bluffante de 25kg.
- The yards (2000) - Gladiator (2000) - Signes (2001) - Le village (2004) - Walk the line (2005) - La nuit nous appartient (2007) - Two lovers (2008) - The Master (2012) - Her (2013) - Inherent Vice (2014) - L’Homme irrationnel (2015) - A beautfiful day (2017) - Les Frères sisters (2018) - don’t worry, he won’t get far on foot (2018) - Joker (2019)
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he won’t get far on foot (2018)
joker (2019)
Au fur et à mesure que sa carrière avance, Joaquin Phoenix s’impose comme étant un des meilleurs acteurs qui soient par la diversité de ses rôles, sa capacité à s’adonner totalement à un personnage quitte à en souffrir mentalement et physiquement, et à changer de visage en effaçant intégralement son nom pour donner vie à des personnages complexes et emphatiques. Sans oublier son tempérament fort (lié à l’abus des journalistes suite à la mort par overdose de son frère River) lors des interviews, son désintérêt de la promotion d’un film, et le manque de confiance en soi qu’il a malgré son talent inépuisé et inépuisable. Caractère engagé, il est végan depuis son enfance et ne se vêt d’aucun produit d’origine animale. Il est porte-parole de l’association PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) et prend parti lors de manifestations. Joaquin Phoenix est un acteur engagé, un caméléon inhumain dans sa capacité à livrer des performances humaines.
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RETOUR S 12
SUR ÇA CHAPITRE 1 13
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Les adaptations de Stephen King sont légion et ce n’est pas rien de le dire. Il faut également admettre que dans cette liste, on a eu droit à un certain nombre d’échecs cuisants mais également à des réussites souvent resplendissantes. C’est dans cette catégorie que nous placerons ce premier volet de « Ça », malgré une production des plus compliquées, voyant le départ de Cary Fukunaga derrière la caméra et Will Poulter devant. L’arrivée d’Andy Muschetti au poste de réalisateur s’avère pourtant dans une certaine logique par rapport aux écrits de King, son « Mama » ne dissimulant jamais une amertume permanente finissant par exploser lors de son final. Dès lors, il n’est guère étonnant que l’ouverture du film se place parmi les scènes les plus cruelles du cinéma américain populaire de ces dernières années, instaurant directement un ton fort et une mortalité qui accompagne nos protagonistes sans que leur âge ne leur permette un certain réconfort. Dans son style visuel, Muschietti convoque aussi bien le King que le modèle Spielberg, les deux partageant un regard vibrant sur la figure enfantine, n’hésitant pas à jouer coup sur coup d’un aspect merveilleux à une menace cauchemardesque, replaçant le film dans une forme de conte plus que dans l’horreur anticipée par certains. Il est en ce sens bien aidé par son chef opérateur Chung Chung-hoon, qui reprendra le même regard poétique sur la violence tel qu’il a su l’appréhender dans son travail pour Park Chan-wook. C’est ce regard fort qui distingue le film de Muschietti, celui-ci usant de son sujet pour dresser au mieux le portrait de ces adolescents subissant une violence qu’on pourrait qualifier d’institutionnalisée au vu de sa manière de se répéter de façon cyclique sur une jeunesse victime de l’aveuglement d’adultes plus proches de prédateurs que de personnes de réconfort. Il suffit de constater la trajectoire dramatique de Bev, observée avec une concupiscence malaisante, jeune fille obligée de devenir femme par la société et dont ce passage est transformé en peur puissante lors d’une scène à l’imagerie passionnante. Son écriture, ainsi que celle d’un groupe aux enjeux plus ou moins homogènes, participe au succès du film. Conte violent et tragique sur le besoin de se confronter à nos peurs d’enfants, « Ça Chapitre 1 » est d’une grande qualité, s’inscrivant dans la lignée de ces œuvres captant la terreur de notre jeunesse dans un monde où l’on nous oblige à devenir adultes trop rapidement. Si sa suite s’avérera plus maladroite dans son écriture, cela ne nous empêche guère de prendre toujours autant de plaisir à retrouver nos Ratés préférés.
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Liam Debruel
STEPHEN KING AU CINÉMA Avec presque cinquante films, Stephen King est l’auteur de roman le plus adapté au cinéma. La dernière adaptation sur grand écran en date est la suite de “Shining”, intitulée “Docteur Sleep”, sortie le 30 octobre. Cet artiste emblématique de la littérature, de l’épouvante, et plus largement de la pop culture est omniprésent, ce qui nous a donné envie de faire un top 5 (subjectif) des meilleures adaptations de la littérature de Stephen King. Aubin Bouillé
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THE DEAD ZONE (1983) QUAND DAVID CRONENBER RENCONTRE L’OEUVRE DE 18
Pas forcément le bouquin le plus célèbre de Stephen King, ni même l’adaptation cinématographique la plus connue non plus. Pourtant, en 1984, le cinéaste imposant David Cronenberg se lance dans l’adaptation de “Dead Zone”, roman publié en 1979. En France il fait son apparition en 1983 sous le titre “L’Accident”. Porté par Christopher Walken, l’histoire est basée sur la vie du psychologue Peter Hurkos, qui a déclaré avoir acquis des pouvoirs de divination après être tombé d’une échelle et s’être violemment cogné la tête. Quelque part entre le thriller, le fantastique et empruntant quelques codes à l’épouvante, “Dead Zone” mélange les genres. Film à ambiance passionnant, c’est le premier film américain de David Cronenberg qui se fait connaître aux yeux du monde. Un long métrage passionnant, qui réserve des visions fantasmagoriques dans une atmosphère oppressante. La présence du tueur plane sans arrêt au-dessus du long métrage, dans un climat étouffant. Tout en simplicité, le cinéaste crée une histoire lancinante électrisante. Un concept salvateur, parfaitement exploité, sans esbroufe artificielle.
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LES ÉVADÉS (1994) – UN FILM DE LÉGENDE À la base, “Rita Hayworth et la Rédemption” de Shawshank est une longue nouvelle sortie en 1982. Un classique instantané adapté en 2h20 par Frank Darabont en 1995. Le long métrage prend des libertés sur le livre, mais permet à Tim Robbins et Morgan Freeman d’incarner certainement l’une de leur meilleure prestation. “Les Evadés” est le premier long métrage de Frank Darabont, qui avait déjà adapté en 1983 une nouvelle de Stephen King intitulée ”The Woman in the room” en court métrage. Cette adaptation est devenue un classique important du septième art, surtout dans le cœur des spectateurs. Le cinéaste en offre une vision extrêmement touchante, pleine d’humanité. Nommé à de nombreuses reprises aux Oscar, il repartira pourtant bredouille, mais bénéficie d’une place de choix dans la conscience cinéphile populaire. Un classique indémodable, captivant encore des années après.
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LA LIGNE VERTE (1999) – FRANK DARABONT DE RETOUR DANS LE MILIEU CARCÉRAL En 2000, le réalisateur de “Les Évadés” retourne dans le milieu carcéral pour adapter “La Ligne Verte”. Il s’agit à la base d’un roman-feuilleton fantastique édité en six épisodes en 1996. Comme son prédécesseur, “La Ligne Verte” est un classique au panthéon des spectateurs, mais a été boudé par la presse et les Oscars. Frank Darabont n’aura donc rien récolté de ses deux immenses classiques de sa carrière. Des films pourtant extrêmement appréciés par le public. Réunissant un casting imposant composé de Tom Hanks, le regretté Michael Clarke Duncan, Sam Rockwell ou encore James Cromwell, “La Ligne Verte” est un classique indémodable, une aventure humaine de plus de 3h, aujourd’hui terriblement culte. Comme pour “Les Évadés”, il ne s’agit pas tant d’une histoire sur le milieu carcéral, mais d’une histoire dans le milieu carcéral. Si le cinéaste y dénonce la peine de mort, son film est avant tout une histoire sur ses personnages, tous passionnants, tous ambigus.
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SHINING (1980) – L’ADAPTATION DÉTESTÉE PAR STEPHEN KING Nous y voilà. En 1980, Stanley Kubrick adapte le “Shining” de Stephen King (1977). Porté par Jack Nicholson, le long métrage est un monstre sacré du cinéma. Le genre de film inévitable dans une culture cinématographique. Un classique indémodable, terrifiant, passionnant. La vision artistique d’un cinéaste aliéné et libre. “Shining” a bien des histoires, et on conseille vivement “Room 237”, le documentaire de Rodney Ascher, qui tente de mettre en lumière la vision crépusculaire d’un cinéaste inatteignable. Apparitions fantastiques, hallucinations, meurtres, violence, le tout orchestré par une musique toujours magnifique et une photographie parfaite, “Shining” est une œuvre profonde et insondable. Une tension dingue
règne sur cet hôtel, et les visions artistiques sont sublimes. Pourtant, Stephen King déteste cette adaptation pour son manque de fidélité à son œuvre. Stanley Kubrick a pris de nombreuses libertés avec le roman, notamment dans sa conclusion. Le film a totalement éclipsé la vision du romancier, a tel point que ce dernier, énervé, a écrit et produit sa propre adaptation de “Shining”. En 1997 sort “Shining : Les Couloirs de la Peur”, réalisé par Mick Garris. Stephen King, tellement agacé, a écrit le scénario et produit sa propre adaptation pour concurrencer le chef d’œuvre de Kubrick. Bien sûr, cela ne suffit pas à oublier la première adaptation. Encore aujourd’hui, Stephen King déteste la version de Kubrick.
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ÇA (2017) – L’INATTENDUE SURPRISE DE 2017 Stephen King ne cessera jamais d’alimenter le cinéma fantastique et horrifique tant ses œuvres planent sur la conscience populaire. Pour les véritables fans il y a toujours la série ‘‘Castle Rock’’ qui mélange différentes histoires de l’écrivain. Une liste composée de 48 films, issus de réalisateurs variés. Stephen King semble en tout cas attirer les réalisateurs d’œuvres horrifiques tels que George. A Romero à deux reprises, et John Carpenter. Une littérature qui a attiré les plus grands, que ce soit Brian De Palma, ou Frank Darabont à trois reprises. Depuis 1976 ses écrits sont dérivés au cinéma sans interruption. Il est également omniprésent sur le petit écran avec énormément de séries et de téléfilms adaptés de ses livres. Quelques remakes aussi, à l’image de “Carrie” revenu en 2013, pour le pire cette fois. Stephen King est souvent très exigeant avec les œuvres adaptées de ses romans. Il réalise lui-même “Maximum Overdrive” en 1986 ainsi que sa propre adaptation de “Shining”, très déçu par la vision de Kubrick. Enfin, on l’a récemment vu jouer le rôle d’un inquiétant antiquaire dans “Ça Chapitre 2”.
Il y a déjà eu une version téléfilm en 1990. Adaptation relativement respectée pour reprendre la terrible histoire de Pennywise racontée en 1987 par Stephen King. Mais l’adaptation la plus réussie demeure celle de Andy Muschietti, sortie en septembre 2017. Le cinéaste italien offre un traitement intelligent entre horreur pure et une approche relativement grand public. Un remake efficace qui marque de par une scène d’ouverture ultra violente. Un nouveau clown est né et c’est une figure démoniaque charismatique. Grippe-Sous est dépoussiéré et devient une image pop. Certains effets de mise en scène valent le détour mais c’est surtout cette figure du clown qui marque le plus grâce à un maquillage excellent, une utilisation du monstre intelligente et surtout une prestation inoubliable de Bill Skarsgard.
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LES ADAPTATIONS DE KING AU CINÉMA - Carrie au bal du diable de Brian De Palma (1976) - Shining de Stanley Kubrick (1980) - Creepshow de George A. Romero (1982) - Cujo de Lewis Teague (1983) - Dead Zone de David Cronenberg (1983) - Christine de John Carpenter (1983) - Les Démons du Maïs de Fritz Kiersch (1984) - Charlie de Mark L. Lester (1984) - Cat’s Eye de Lewis Teague (1985) - Peur Bleue de Silver Bullet (1985) - Maximum Overdrive de Stephen King (1986) - Stand by Me de Rob Reiner (1986) - Creepshow 2 de Michael Gornick (1987)
- Dolores Claiborn’ de Taylor Hackford (1995) - La Peau sur les Os de Tom Holland (1996) - Les Ailes de la Nuit de Mark Pavia (1997) - Un élève Doué de Bryan Singer (1998) - La Ligne Verte de Frank Darabont (1999) - Cœurs perdus en Atlantide de Scott Hicks (2001) - Dreamcatcher de Lawrence Kasdan (2003) - Fenêtre Secrète de David Koepp (2004) - Riding the Bullet de Mick Garris (2004) - Chambre 1408 de Mikael Hafström (2007) - The Mist de Frank Darabont (2007) - La Cadillac de Dolan de Jeff Beesley (2009) - Everything’s Eventual de J.P Scott (2009) - Willa de Christopher Birk (2012) - Carrie, la Vengeance de Kimberly Peirce (2013)
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- Running Man de Paul Michael Glaser (1987) - Simetierre de Mary Lambert (1989) - Darkside : Les Contes de la nuit noire de John Harrison (1990) - La créature du cimetière de Ralph S. Singleton (1990) - Misery de Rob Reiner (1990) - La Nuit Déchirée de Mick Garris (1992) - La Part des Ténèbres de George A. Romero (1993) - Le Bazaar de l’épouvante de Fraser Clarke Heston (1993) - Les Evadés de Frank Darabon (1994) - The Mangle’ de Tobe Hooper (1995)
- Couple Modèle de Peter Askin (2014) - Mercy de Peter Cornwell (2014) - Cell Phone de Tod Williams (2016) - La Tour Sombre de Nikolaj Arcel (2017) - It de Andrés Muschietti (2017) - Jessie de Mike Flanagan (2017) - 1922 de Zak Hilditch (2017) - The Doctor’s Case de James Douglas et Leonard Pearl (2018) - Simetierre de Kevin Kölsch et Dennis Widmyer (2019) - It Chapitre 2 de Andrés Muschietti (2019) - In the tall Grass de Vincenzo Natali (2019) - Doctor Sleep de Mike Flanagan 2019
RÉTRO MIKE FLANAGAN 26
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OCULUS (2013) “Oculus” fait partie de ces nombreux titres de genre directement sortis en France en vidéo, ne permettant pas de donner pleine puissance à son récit sur grand écran. Dès lors, il n’est guère étonnant que le Belge du groupe se permette de revenir sur l’un des meilleurs films fantastiques de ces dernières années.
pense à une amorce de retrouvailles basculant dans le malaise par un changement d’axe au détour d’une réplique et d’un affrontement idéologique qui, s’il ne dispose pas de l’issue la plus surprenante, traite d’un questionnement sur une institutionnalisation de la gestion de drames et de la sourde oreille que peuvent prêter certains endroits et spécialistes censés Les personnes, au fait de la filmographie de Mike aider leurs patients et finissant par les affecter par leur Flanagan, feront directement le rapprochement entre rationalisme. L’horreur du film, bien que graduelle, ce long-métrage et sa fabuleuse série « The Hauting of reste omniprésente et joue par des idées aussi Hill House » par le biais du traumatisme familial qui nombreuses que passionnantes, que ce soit un set traverse les années, répercutant aussi bien passé et up pay off ou bien ces caméras, vectrices de la réalité présent. Le plus bel exemple de comparaison reste ce des événements sans tomber dans la vague de found superbe sixième épisode avec qui “Oculus” partage les footage. mêmes intentions narratives et le même jeu de miroir entre ses temporalités, jusqu’à opposer la souffrance Bref, s’il semble d’une certaine simplicité, “Oculus” des personnages à des âges divers dans une même offre diverses pistes narratives et visuelles pour séquence. De quoi rappeler l’implication dramatique offrir un vrai moment de frousse réussi, annonçant que porte le réalisateur pour ses personnages. définitivement que Mike Flanagan allait s’avérer un des réalisateurs à suivre dans le cinéma de genre Pourtant, c’est le miroir du film qui semble contrôler contemporain… la mise en scène du long-métrage par les diverses manipulations qui seront prises durant sa durée. On Liam Debruel
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BEFORE I WAKE (2016) Il est dramatique qu’un tel film ait connu une distribution aussi compliquée car - et tant pis si cela sonne trop direct - “Before I Wake” est un grand film, aussi modeste que puissant. Le drame parental initial est d’un tragique tellement intime qu’il instaure de suite une désolation qui touche à en faire saigner le cœur. Cette perte de la part du couple va être le principal moteur émotionnel du film avec celui du jeune garçon incarné avec sensibilité par Jacob Tremblay. Cette douleur s’amorce rapidement et ne nous lâche plus au fil d’un récit usant de son argument fantastique pour mieux traiter de destins marqués par le deuil et cherchant le réconfort à tout prix. Dès lors, il n’est guère étonnant que les instants plus horrifiques se font rares et à mille lieues des jump scares facile du tout venant de la production horrifique grand public. Si l’horreur fonctionne, c’est qu’elle véhicule un drame qui n’est jamais mis de côté. Cette volonté de traiter au mieux de ses personnages et de leurs tournants affectifs passe par une écriture affective
et un casting particulièrement remarquable. Néanmoins, il serait honteux de ne pas mettre en avant le talent de Mike Flanagan derrière la caméra pour exhorter les sentiments sous-jacents de son récit, que ce soit la première apparition furtive de la menace du film ou bien le traitement final de celle-ci. Il y a dans sa réalisation quelque chose à fleur de peau, une maturité qui ne se moque ni du spectateur ni des personnages, dont il est dur de ne pas être déchiré par leurs contradictions et une résolution bouleversante à souhait. Car oui, “Before I Wake” bouleverse en touchant juste dans son rapport empathique et sa gestion émotionnellement chargée. On pourrait même se demander si cette œuvre injustement mal distribuée ne serait pas le long-métrage le plus remarquable de son réalisateur…
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Liam Debruel
PAS UN BRUIT (2016) 2016 fût une année assez productive pour Mike Flanagan, avec 3 films sortis dans l’année. Ce métrage, distribué directement sur Netflix est un huis-clos, racontant l’histoire de Maddie, une écrivaine sourde et muette qui subira l’attaque d’un homme masqué et sadique durant la nuit. Le problème étant qu’en plus de son handicap, elle habite seule dans une maison au fond des bois. Pas pratique pour s’échapper ou appeler à l’aide.
tout simplement. Alors qu’au départ, son masque et son mutisme pouvait rappeler Michael Myers ou Jason Voorhees, là on est tout de suite « rassurés » par son apparence humaine et sa psychologie plus définie. Il aurait été préférable de lui faire garder son masque le plus longtemps possible pour laisser planer un côté mystérieux et imprévisible, plutôt que de dévoiler un côté plus humain, et faillible, qu’il faudra simplement berner.
Le concept est plutôt intéressant, et Mike Flanagan maîtrise assez bien sa caméra et utilise le son astucieusement, mais quelque chose ne fonctionne pas complètement. Si le tout est relativement bien exécuté, on peine à frissonner réellement. Sauf au début, quand le tueur fait son apparition. Cela peut s’expliquer par le fait que très rapidement, il enlève son masque et se met à parler de nombreuses fois. Si son sadisme perdure, on est en revanche beaucoup moins effrayés puisqu’en dévoilant son apparence et en dialoguant régulièrement, on est face à un humain,
Malgré une obscurité qui fait parfois défaut à la lisibilité des scènes, Mike Flanagan fait preuve de suffisamment de maîtrise visuelle, sonore et de ludisme dans l’utilisation des lieux pour garder le spectateur en haleine. Cependant, le concept n’est pas assez bien exploité pour réellement être terrifiant, le film restant assez convenu finalement. Vincent Pelisse
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OUIJA : LES ORIGINES (2016) Ce film préfigure déjà le travail de Mike Flanagan sur la série « The Haunting ». L’ambiance rétro, la photographie très lumineuse (même chef opérateur), et les mêmes mouvements de caméra étaient déjà à l’œuvre dans ce film. L’histoire se déroule en 1967, où Alice, veuve et mère de deux filles, pratique des séances de spiritisme truquées pour arnaquer ses clients. Souhaitant développer davantage son numéro de faux médium, elle achètera un jeu Ouija, mais elle se rendra vite compte que la communication avec les esprits est bien réelle… D’un postulat simple, Flanagan en fait un terrain de jeux horrifique très convaincant. Si certains effets ont déjà été vus ailleurs, ils sont exécutés de manière efficace et couplés avec d’autres idées visuelles intéressantes. Si le deuxième acte peut paraître un peu mécanique en enchaînant plusieurs
effets horrifiques, c’est avant tout pour installer une atmosphère angoissante et un crescendo constant. On sait que ça va mal tourner, mais les images parviennent à marquer l’esprit et à faire frissonner. Le cinéaste utilise très peu de jump scares, et toujours d’une façon assez inattendue. Le troisième acte mêle l’horreur et la vie personnelle des personnages de façon assez intéressante, pour un final qui change de la plupart des films du genre aujourd’hui. Sans être non plus un grand film, Mike Flanagan réussit à installer une atmosphère terrifiante et use de sa caméra avec brio. Une jolie surprise. Vincent Pelisse
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THE HAUNTING OF HILL HOUSE (2018) Distribuée sur Netflix, cette série désormais anthologique après l’annonce d’une saison 2, est une proposition très intéressante. La première saison, baptisée « The Haunting of Hill House » raconte l’histoire d’une famille brisée par l’affreux et incompréhensible souvenir de la nuit où leur mère est morte dans leur maison de Hill House. S’inspirant du livre « La Maison Hantée » de Shirley Jackson, mais aussi du film adapté de 1963 « La Maison du Diable » (The Haunting en VO) de Robert Wise, notamment dans le décor du film, la série va pourtant se centrer sur autre chose dans l’intrigue que l’horreur pure. Bien sûr, on a droit à quelques séquences ou moments horrifiques aussi effrayants que brillants visuellement, mais Mike Flanagan resserre l’intrigue sur le drame qui ronge cette famille. Il prend le temps de développer chacun des personnages à partir de cette nuit terrible qui a défini le restant de leurs vies. Leur traumatisme se manifeste d’une manière propre à chacun, et bénéfice d’un traitement très délicat et émouvant. C’est ce qui fait une des forces de la série, proposer un drame choral, fort en émotions et faisant la part belle à chacun de ses personnages, tout en faisant graviter l’horreur autour des liens familiaux. La narration est également parfaitement calibrée grâce au montage, faisant des allers retours entre le passé
et le présent, permettant à l’histoire de se dévoiler de manière dévastatrice (le twist de l’épisode est un sommet dramatique et horrifique). Bien évidemment, Mike Flanagan, showrunner, mais aussi scénariste, producteur, et monteur de la série, a évidemment réalisé tous les épisodes, et on le remercie pour ça. La réalisation est un véritable tour de force avec de nombreuses démonstrations techniques impeccables servant au mieux l’intrigue. Le sommet visuel de la série est probablement l’épisode 6, composé de 5 plans séquences (entre 8 et 15 minutes chacun), permettant un crescendo de tension et d’émotions avec cette famille, enfermée dans une morgue et avec leurs souvenirs. La maîtrise de sa réalisation passe aussi beaucoup par la maîtrise des décors, regorgeant d’idées narratives et visuelles, permettant à l’intrigue d’être d’autant plus riche. Fort de ce succès, la saison 2, qui se basera sur le livre « La Tour d’écrou » d’Henry James, que Jack Clayton avait adapté en 1961 avec « Les Innocents », sera des plus attendues. Nommée « The Haunting of Bly Manor », cette saison sera à nouveau entièrement développée et supervisée par Flanagan, pour une sortie prévue en 2020. Vincent Pelisse
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JESSIE (2017) Projet casse gueule que ce “Jessie”. En effet, le roman de Stephen King imposait une sensation de surplace permanente ainsi que des thématiques pesantes qui nécessitaient du doigté et de la maîtrise pour pouvoir pleinement exploser sur écran. Pourtant, Flanagan y arrive de manière admirable.
aura droit par ailleurs résonne encore plus fort par la sobriété apparente à laquelle nous aura habitués Flanagan auparavant, parvenant néanmoins à instiller avec efficacité une ambiance trouble ne reniant jamais sa morbidité.
La réussite du film passe également par une Cela passe d’abord par un choix de cadrage simple interprétation de qualité, en particulier de Carla mais d’une efficacité passionnante. Pour illustrer le Gugino dans le rôle titre, obligée de subir durant postulat initial (le chemin de croix de l’héroïne coincée le tournage la douleur de son personnage et qui tout le récit), le metteur en scène joue de sa pièce parvient à tirer de la difficulté de cette situation une centrale et de sa nature lumineuse, presque ouverte prestation émouvante et puissante, en particulier lors en contradiction avec la situation du personnage. de ses confrontations avec ses « monstres » et son soi Les choix de champ sont pertinents car ils enferment la poussant à croire en elle. L’actrice y est remarquable également Jessie dans un dilemme moral, l’obligeant et porte beaucoup sur la grande qualité d’une des à se confronter aussi bien à un drame traumatisant meilleures adaptations de Stephen King. qu’à des figures patriarcales qui veulent justement Car en effet, comment parler autrement d’un tel l’emprisonner dans une forme d’affaiblissement long-métrage, reprenant tout ce qui faisait la force résonnant de manière sociétale avec le traitement et la modernité du roman pour mieux interroger le sexiste de notre propre environnement. Pourtant, spectateur tout en créant suspense aussi fort ? De quoi le film joue d’une subtilité qui sied à sa narration, rassurer sur les capacités du metteur en scène pour notamment par un flash-back qui, sans tomber dans le son passage à un autre projet encore plus compliqué graveleux facile, ne dissimule pas la nature choquante avec « Docteur Sleep »… de sa nature. L’explosion graphique à laquelle on Liam Debruel
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RAMBO :
ÉTAIT-CE SA GUERR 34
RE ?
Entre 1983 et 2018, ce sont cinq films Rambo, tous portés par Sylvester Stallone, qui ont envahi les salles de cinéma. À la fois discours politique intelligent sur l’armée et les soldats, et navets en puissance, la saga Rambo a connu des hauts et des bas. Puisque Rambo : Last Blood est sorti en cette fin d’année, Désolé j’ai Ciné vous propose de revenir sur l’intégralité de la saga Rambo, pour le meilleur et pour le pire. On ne le sait pas forcément mais la franchise est adaptée d’un roman canadien éponyme de David Morrell, publié en 1972. Aubin Bouillé 35
RAMBO : FIRST BLOOD ET PREMIER SUCCÈS
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Auréolé de son succès sur les trois premiers Rocky fin des années 1970, Sylvester Stallone était voué à devenir une icône du cinéma d’action américain. Et Rambo était le parfait tremplin pour appuyer cette ascension. Nous sommes en mars 1983, et le tout premier opus de la saga Rambo sort dans les salles. Réalisé par Ted Kotcheff, ce premier épisode est voué à devenir un classique du genre, et une référence en matière de cinéma d’action. Intitulé “First Blood”, le long métrage raconte comment John Rambo, un ancien combattant de la guerre du Viêt-nam, doit se réadapter à la vie sociale après l’enfer qu’il a vécu. Alors qu’il débarque dans une petite ville isolée, il se fait pourchasser par les autorités locales pour vagabondage. Débute une histoire plus intelligente qu’il n’y paraît. “Rambo : First Blood” est un film d’action parfaitement maîtrisé qui met en scène Sylvester Stallone dans l’un de ses deux rôles les plus cultes. Outre des scènes d’action plutôt sanglantes pour l’époque, ce qui n’avait pas fait l’unanimité, Rambo est un constat d’échec du gouvernement américain. La guerre du Viêt-nam se conclue en 1975, et s’affiche comme une débâcle économique et sociale totale dans l’histoire des États-Unis. Un conflit long et absurde, qui a sacrifié de nombreux soldats dans les deux camps. Sylvester Stallone et Ted Kotcheff décident de se concentrer la dessus. Parce que si Sly apparaît comme une brute un peu stupide dont la seule ligne de dialogue restera : « c’était pas ma guerre », le sujet social du long métrage est beaucoup plus pertinent qu’il veut le laisser paraître. Le scénario dépeint une Amérique fatiguée, qui porte des stigmates marqués d’une guerre sans lendemain. Sylvester Stallone incarne un héros national dont l’équilibre mental est resté dans la forêt du Viêt-nam. Dépassé, désolé, détruit psychologiquement, First Blood traite du syndrome post-traumatique, et dresse le portrait d’un soldat pour qui la guerre ne s’est jamais arrêtée et qui voit le monde qui l’entoure comme un danger permanent. La faute n’est pas placée sur lui mais bien sur une administration qui délaisse ses soldats, les barde de médailles en guise de salut, et les renvoie dans la nature sans soutien psychologique et financier. Ted Kotcheff pointe du doigt un gouvernement qui n’encadre pas les combattons qu’il a utilisé sciemment, comme des pions sans intérêt, ni avenir. Avec sa représentation négative des forces de l’ordre, ce premier Rambo pointe du doigt l’incapacité des puissants à faire leur devoir de citoyen, et plus largement d’être humain. Il met en exergue l’utilisation abusive des guerriers du Viêt-nam, et leur abandon post-conflit. Alors certes, Rambo n’est pas non plus une thèse détaillée du sujet, demeurant avant tout un film d’action musclé, mais il n’empêche qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact du long métrage, et sa pertinence historique.
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Grâce au succès total du premier film, plus de 125 millions de dollars rapportés au box office mondial pour un budget de 15 millions, une suite est évidemment mise en chantier. En 1985, George Pan Cosmatos met en scène la suite des aventures de Rambo. Tandis que le héros purge une peine pour ses méfaits du premier opus, il est sorti de sa tranquillité pour être ramené sur le front. Le revoilà plongé au cœur du Viet-nam pour une mission de secours. “Rambo II” fait office de rétropédalage. Fini le discours social sur la réalité d’une nation, Rambo redevient une machine de guerre, et n’apprend visiblement pas de ses erreurs puisqu’il repart servir un gouvernement qui l’a trahi. Cette suite, beaucoup plus patriotique, marque un changement de point de vue, le discours est différent. Même si l’administration est une cona***, toi, soldat, tu te dois de servir ton pays, tu te dois de servir les États-Unis, car la toute puissante nation sait ce qu’elle fait. Rambo en bon patriote s’exécute en bon petit soldat. Heureusement certains restes du premier opus parviennent encore à subsister. Notamment la conclusion qui met en scène la rébellion du soldat, représentation du peuple, contre son supérieur, métaphore du gouvernement. Rambo se soulève face à autant d’injustice pour remettre les compteurs à zéro. Malheureusement, le coup fatidique s’écrase dans le vide, comme un aveu d’impuissance ou d’allégeance face au système américain. Au-delà de tout ceci, “Rambo II” est un film d’action redondant, qui essouffle le spectateur jusqu’à l’os devant tant de répétition, et de péripéties ennuyeuses. Un combat
interminable, allégorie d’un homme face à son psychisme et ses souvenirs traumatisants. Enfin, le choix de mettre des ennemis russes dans l’équation peut s’assimiler à de la propagande patriotique, consécutif de l’époque dans laquelle est tournée le film : en pleine guerre froide. Mais ce “Rambo II” a rapporté le double de son prédécesseur au box-office, officialisant ainsi un troisième épisode. En 1988, Rambo change encore de réalisateur. Cette fois c’est Peter MacDonald qui est choisi pour mettre en scène les tribulations de ce fameux Rambo. Le voilà cette fois parachuté en Afghanistan pour récupérer son ami, le colonel Trautman. Il n’y a pas grand-chose à ajouter à ce troisième opus, qui s’inscrit comme le pire épisode de la franchise Rambo. Même si cette fois le héros refuse de retourner au front au premier coup, ce qui peut se traduire comme un refus d’écouter sa nation, il se voit obligé de changer d’avis par amitié. Objet propagandiste contre les belligérants de l’Amérique, ce Rambo III est surtout un film interminable, où les séquences d’action s’enchaînent de manière ultra répétitive. On s’ennuie ferme, et le film rapporte à peine plus que le premier film. Pour un budget de 63 millions de dollars, le long métrage en rapporte un peu plus de 189 millions, ce qui entérine quelque peu la franchise. Reste une photographie plus agréable que ses prédécesseurs, plus esthétique, ainsi qu’une séquence dans la grotte relativement culte.
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RAMBO II ET III :
C’EST LÀ QUE COMMENCE LA DESCENTE AUX ENFER
JOHN RAMBO : EFFET ROCKY BALBOA ? 40
En 2006, Sylvester Stallone relance la saga Rocky avec un nouvel opus, humblement intitulé “Rocky Balboa”. Contre toute attente, ce retour est une réussite. L’acteur dépeint un personnage touchant, sur la fin de sa carrière, qui tente une dernière fois de faire quelque chose qui compte. Un retour aux sources mélioratif, qui lui donne envie de faire la même chose avec Rambo. En 2008 sort “John Rambo”, réalisé par Sylvester Stallone lui-même. L’acteur/réalisateur veut clairement reproduire le succès de Rocky Balboa, reprenant même l’idée du titre : simplement le nom et prénom du personnage. Alors que Rambo s’est retiré dans le nord de la Thaïlande où il vit une retraite solidaire, il ne peut résister à l’idée d’aider un groupe humanitaire à remonter la rivière pour secourir un camp de réfugiés. Ce retour n’atteint jamais la profondeur de son homologue boxeur, et ne vaut finalement pas grand-chose en terme de discours. Mais cette conclusion (apparente) de la saga est plutôt honnête. La résurrection du personnage reste crédible, interprété par un Stallone vieillissant, plus sensible et plus crédible. Taciturne, charismatique et taiseux, il reprend parfaitement la représentation iconique de son personnage. C’est comme revoir un vieil ami après de si longues années. Sa rédemption a quelque chose de presque émouvant, autant pour le personnage que pour l’acteur, le temps d’une conclusion logique, qui ramène le personnage chez lui, et vient ainsi boucler la boucle. C’est aussi pour ses scènes d’action musclées que le film vaut le détour. Filmé comme une série B décomplexée, Stallone n’hésite pas à aller un peu plus loin dans la violence et le réalisme gore qu’elle provoque. C’est sympathique et divertissant comme un fast-food.
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En 2019, Sylvester Stallone ranime encore une fois Rambo. Trop nostalgique pour laisser le personnage mourir en paix, il décide de le ramener encore une fois à la vie en bon docteur Frankenstein. Cette fois, il vit sa retraite joyeuse et entourée de ses proches (pour de vrai cette fois), mais lorsque sa fille adoptive est kidnappée par un cartel mexicain il est obligé de reprendre les armes. Puisque le fléau actuel de l’administration Trump est l’immigration, notamment mexicaine, Sylvester Stallone saute sur le sujet pour en faire les grands méchants de son film. Tandis qu’il confie la réalisation à Adrian Grunberg, David Morrell, le créateur du personnage, se déresponsabilise totalement du résultat final, agacé même de voir son nom affiché sur le générique de début. C’est vrai que ce “Last Blood” n’a plus grand-chose à voir avec Rambo. Sylvester Stallone ressort une fois de plus la rengaine du soldat fatigué, désabusé, hanté par son passé. Avec ses yeux de biche il tente d’installer une ambiance nostalgique et émotive gênante agrémentée de dialogues inutiles et patho. La première partie qui se rapproche d’un mauvais “Taken” ennuie malgré quelques petites prises de risques scénaristiques. Heureusement vient la seconde partie, une conclusion extrêmement musclée. Une série B violente, qui se laisse aller à cœur joie aux effusions de sang, aux têtes coupées et au cœur arraché. On ne s’attendait vraiment pas à trouver des propositions de violences aussi radicales, aussi gores, et finalement plutôt bien matérialisées. Une conclusion en forme de plaisir coupable pour les amateurs d’action, et de bonne dose d’adrénaline. Mais finalement, Sylvester Stallone aurait mieux fait de conclure sa franchise sur John Rambo, plutôt que de nous servir un épilogue dégoulinant de bons sentiments, moralisateur et totalement périmé. Et en plus il parle d’en faire un sixième. Il serait peut-être temps de laisser Rambo tranquille. Après tout, c’était pas sa guerre !
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RÉTRO LES FILMS DANS L’ESPACE
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Parler de l’Espace chez Tarkovski c’est un peu comme parler du Soleil, un jour du mois de décembre, à Lille. Cela revient donc à parler de ce qui est absent. De ce qu’on ne voit pas et qui pourtant n’en demeure pas moins présent, juste là, derrière ce couvercle immense et lourd de nuages noirs.
de se souvenir la définition Freudienne : la possibilité de surmonter une angoisse, la mise en scène d’un désir refoulé). Nous comprenons rapidement, que la culpabilité que ressent Kris par rapport à la mort de sa femme, est à l’origine de son apparition, supposée lui permettre de réparer/surmonter son erreur, son remord. Cependant, la fine ligne du Bien que l’action centrale de «Solaris» se déroule dans phantasme comme production de la planète et de l’espace, Tarkovski (en poète de la Terre) ne se consacre l’esprit de Kris, s’évanouit lorsque Hari (la femme) nullement à traiter des problématiques existentielles se met à se souvenir. (Notons d’ailleurs que ses dont pourrait faire l’objet un tel « lieu ». A vrai dire, souvenirs lui viennent en contemplant les tableaux l’espace comme lieu n’intéresse tout simplement pas de Bruegel l’Ancien, signifiant justement la fonction Tarkovski. Ainsi, Solaris apparaît d’emblée comme un « Humanisante » qu’attribue Tarkovski à l’Art). La objet particulier, tout autant original que perturbant, Mémoire est la matrice humaine par excellence. Sans du domaine de la science-fiction. Solaris se veut une Mémoire, pas de Civilisation. Sans Mémoire, pas d’Art œuvre introspective, refusant tout caractère épique, ni de Progrès. Ajoutons même que la Mémoire c’est le infiniment plus attentive aux êtres et à leurs rapports fondement du médium cinématographique. Qu’Hari au monde. L’espace n’est qu’un prétexte narratif dont se souvienne signifie qu’elle est devenue humaine. se sert Tarkovski pour célébrer l’Humanité et la Terre. La planète Solaris ne crée donc pas seulement des Notons à cela, que les 40 premières minutes du film fantômes mais des êtres humains. Elle est donc une se déroulant sur Terre ont été inventées par Tarkovski et planète miroir de la Terre. Car, nous y revenons enfin, n’existent pas dans le roman de Stanislas Lem, duquel c’est la Terre et la Vie dont veut nous parler Tarkovski. Il il est l’adaptation. Ainsi, il est facile de voir combien n’y qu’à constater les divers artefacts dont regorge la Tarkovski, même dans l’espace, même à des millions station orbitale : un buste de Socrate, des livres (dont de kilomètres du système solaire, demeure fidèle à ses la fameuse scène de la lecture du Don Quichotte), les préoccupations thématiques : la Vie et le mystère du tableaux sur les saisons peints par Bruegel L’Ancien ; Temps au travers du médium cinématographique. ainsi que la musique de Bach en fond sonore. Cette nostalgie de la Terre, de la Nature mirifique dans Présentée sous la forme de diverses surimpressions laquelle l’Homme s’incorpore (scène première du de vagues, la planète Solaris -aussi appelée L’Océanfilm avec Kris se lavant les mains dans une mare) agit (semblable à l’étendue originelle de la mythologie sur le film constamment jusqu’à la scène finale du Égyptienne, de laquelle naît la Vie) est une image Retour au Lieu. Le Lieu privilégié chez Tarkovski c’est la originelle, incorporant à elle seule : le Mouvement, Datcha russe au milieu de la nature : l’alliance entre l’Espace et le Temps (d’une certaine façon toute la la Famille (personnifié par le Père ici) et la Nature/ métaphysique de l’objet cinématographique). Cette Dieu. Kris retournera donc dans la maison familiale planète, nous montre le cinéaste Russe, est capable et dans une dernière image hautement poétique, de donner vie à nos phantasmes (dont il est impératif s’agenouillera devant le père qui le serrera contre lui
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SOLARIS (1972) alors que la caméra omnisciente s’élèvera jusque dans les nuées. La quête de l’Homme doit donc être de trouver cette paix intérieure symbolisée par les deux éléments cités ci-dessus. L’espace Tarkovskien n’existe que pour mettre en relief, de façon plus poussée, la nécessité de cette quête. Outre, il faut aussi noter que la planète Solaris (et par extension la solitude spatiale) aide à poser les bases d’une réflexion sur l’imaginaire et le réel. En effet, d’abord conçu sous le mode de l’hallucination, le personnage de Hari prouvera posséder des caractéristiques qui la rendent réelle à nos yeux (cf : la scène du souvenir). Est-ce à dire qu’elle est plus qu’un simple fantôme ? À quel moment l’imagination que nous avons d’une chose devient la chose ellemême ? C’est-à-dire : quand est-ce que l’imaginaire devient réalité ? Un passage de Solaris nous met sur la voie : l’évocation du Don Quichotte. Car comme nous le dit Sancho : dans le rêve, réalité et imaginaire ne sont plus séparés de façon si dichotomique. Réalité
et imaginaire se lovent l’un dans l’autre. Se nouent. Se métamorphosent constamment. Solaris est ce rêve incroyable, lent, dérangeant. Et par cette disposition à se faire ressentir comme d’un rêve, Solaris est aussi hautement cinématographique car il joue avec la sensation du temps vécu, la manière dont la mémoire vient s’étirer en de longues scènes « souvenirs », les hallucinations de Kris qui fragmentent la cohérence spatio-temporelle (par exemple : la scène aux six Hari déambulant dans la même pièce au même moment. D’ailleurs sans rappeler la scène finale de 2001 dans laquelle l’astronaute se regarde se multiplier et vieillir). Avec ce chef d’œuvre (dont il est difficile de résumer la portée en quelques lignes), Tarkovski réussit un film dans l’Espace qui parle de la Terre, de notre Terre à nous. Tarkovski, en astronaute nostalgique, opte pour un retour à la Maison Parentale (symbole) par le biais de l’imaginaire qui par voie cinématographique devient souvenir et qui n’est en réalité rien d’autre qu’un rêve. SN
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En 1979, le encore relativement méconnu Ridley Scott, frappe un grand coup dans l’univers du septième art. Le jeune cinéaste entre dans la légende en réalisant une des œuvres de science fiction la plus emblématique de l’histoire du cinéma. Porté par un casting composé de Tom Skerritt, le regretté John Hurt et évidemment de Sigourney Weaver dans son plus grand rôle, “Alien, le huitième passager” est un savoureux mélange de science fiction et d’épouvante. ”Alien le huitième passager ”est devenu un classique intemporel, une œuvre fédératrice de la science-fiction horrifique. Alien a posé les fondements du genre : une ambiance lente et oppressante, un calme linéaire et hypnotisant, des personnages forts confrontés à leurs pires craintes et une esthétique métallique percutante. Alien est un classique indémodable qui a choqué une génération entière de par son épouvante omniprésente, une approche implicite et une réalisation suggestive. Une réussite qui doit beaucoup à sa réalisation. Ridley Scott vient du milieu de la pub, et a donc une vision très esthétique de l’image. Tout juste sorti de l’excellent “Les Duellistes”, il propose aux producteurs de faire un « Les Dents de la Mer dans l’espace ». Un concept qui capte l’attention des financiers, et plus tard, celui du public. Alien repose toute son ambiance sur une réalisation calme, lente, créant une tension de tous les instants. Ridley Scott, comme son collègue Steven Spielberg dans “Jaws”, choisit de ne pas montrer la créature dans la première partie. Le réalisateur préfère jouer avec les nerfs des spectateurs plutôt que de lui en mettre plein la vue. Le danger devient invisible, caché dans les tréfonds des couloirs sombres d’un vaisseau spatiale devenu culte. C’est cette approche non spectaculaire qui donne tous ses frissons à Alien, à l’image d’une première partie sous forme d’exploration encore, quarante ans après,
toujours aussi sublime. Ridley Scott offre une texture d’image renversante, une photographie superbe, magnifiée par des décors somptueux et un jeu de lumière saisissant. Les adjectifs mélioratifs sont légions pour qualifier “Alien, le huitième passager”. C’est cette mise en scène qui donne toute sa profondeur à Alien, mais aussi son style unique, agrémenté d’une mythologie recherchée. Un univers mystique, à la fois intriguant et révulsant, qui doit beaucoup au Xénomorphe, la créature la plus mythique de toute l’histoire du cinéma. Avec Hans Ruidi Giger, le concepteur de la créature, Ridley Scott a créé un monstre du cinéma, une créature pseudo-humanoïde fascinante issue des pires cauchemars infantiles, possédant des capacités inestimables, une défense indestructible et une résistance à toute épreuve. Ce monstre est dorénavant ancré dans la conscience populaire, et s’inscrit comme étendard de la pop culture. Au delà d’un style extrêmement personnel, c’est également les nombreuses références sexuelles de la créature qui donnent toute sa profondeur à ce personnage. Avec des images inconscientes, mais choquantes, Ridley Scott veut distiller un malaise constant. Il utilise des images sexuelles presque subliminales pour déranger l’inconscient du spectateur. L’Alien se retrouve donc avec un crâne qui fait directement référence à un appareil génital masculin, le facehugger s’inspire évidemment d’un vagin, tandis que l’androïde Ash a un sang qui rappelle fortement du sperme. Bref, vous avez compris l’idée. Avec ce procédé, Ridley Scott signe un film unique, où l’inquiétude et le dégoût font partis inhérente du métrage. Enfin, c’est toute la mythologie qui est présentée dans “Alien, le huitième passager” qui marquera les esprits. Outre le superbe Xénomorphe, à la fois envoûtant et dégoutant, Ridley Scott met en place une intrigue qui restera secrète pendant presque quarante ans.
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ALIEN, LE HUITIÈME PASSAGER (1979) Certains éléments resteront sans réponse jusqu’au millions de dollars, le film en rapporte plus de 105 bancal “Prometheus”, comme l’identité du pilote millions à travers le monde. Un succès suffisant pour mort dans un vaisseau d’origine inconnu, comme la mise en chantier de trois suites jusqu’en 1997 avec la naissance de l’Alien, etc... Pendant plus de trente “Alien, la résurrection”, puis deux crossovers face aux ans, le cinéaste a gardé secret des éléments centraux Predator, avant de revenir dans les années 2010 avec de son univers, apportant une forte part de mystère “Prometheus”, puis” Alien : Covenant”, le dernier en au premier Alien. Enfin, outre l’introduction de date. l’intelligence artificielle relativement bien traitée, c’est évidemment la présence de Sigourney Weaver qui Alien est certainement un des plus grands films finit de placer Alien au panthéon du cinéma. Ellen d’horreur de tous les temps. Par son rythme parfait, Ripley est une héroïne terriblement emblématique, son esthétique dark, le design de l’Alien qui atteint une figure féminine forte, indépendante, qui casse la la perfection, tout droit sorti d’un cauchemar sexuel discrimination habituelle qui habite le Hollywood des et malsain, l’œuvre de Ridley Scott est fédératrice. Un années 1970. Avec une héroïne comme protagoniste, métrage immense, une pépite de la science fiction Ridley Scott brises les clichés, les codes, en confrontant moderne, anxiogène et fascinante, intrigante et une femme à la mort, et plaçant surtout une actrice oppressante. Dans l’espace personne ne vous entend pour porter un blockbuster à plusieurs millions de crier. dollars. La suite on la connaît, pour un budget de 11 Aubin Bouillé
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MAGNETIC ROSE (1995)
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Nous sommes en 2092. A bord du vaisseau spatial « Corona », des éboueurs de l’espace se débarrassent des déchets laissés dans le vide intersidéral. Leur mission finie, ils s’apprêtent à rentrer à leur station quand ils reçoivent un étrange message de détresse, sur fond d’air d’opéra. Le règlement stipule que tout SOS doit nécessiter une intervention. Le « Corona » se dirige donc vers le signal qui provient d’une région qu’ils nomment « le cimetière de l’espace », jonché de vaisseaux abandonnés et autres débris. Avant de parler du film, revenons sur l’origine du projet. Magnetic Rose, réalisé par Koji Morimoto est le premier épisode d’une anthologie sortie en 1995, Memories, composée de trois moyens métrages. Le film est supervisé par Katsuhiro Otomo que l’on retrouve à la réalisation du troisième épisode. Chaque fragment est tiré de son manga Kanojo no Omoide (Ses souvenirs) cependant, Magnetic Rose est le seul épisode qu’il n’a pas écrit. Le script a été confié au regretté Satoshi Kon, qui s’est précédemment illustré dans le manga mais connaîtra le succès avec son premier film Perfect Blue, qui sortira deux ans plus tard. Les influences de ‘‘Magnetic Rose’’ sont nombreuses. On pourrait citer Alien, 2001 l’Odyssée de l’espace ou encore Solaris mais Satoshi Kon conjugue ces films pour y injecter ses obsessions, la patte onirique du cinéaste transpirant par tous les pores des celluloïds. Tout au long des 44 minutes du moyen métrage, la frontière entre la réalité et la fiction devient de plus en plus poreuse. En quelques minutes, le quotidien des éboueurs de l’espace est décrit avec une justesse quasi naturaliste, entre sorties extra-véhiculaires de routine et demande d’heures supplémentaires de la part des supérieurs en cols blancs. La sensation de réalisme est appuyée par une mise en scène inspirée de Koji Morimoto qui compose ses plans sans se soucier de la notion de haut et de bas pour accentuer l’effet d’apesanteur. Puis dans
les entrailles du vaisseau à la dérive, on plonge en un seul plan dans la fantasmagorie la plus complète avec la découverte de ce décor baroque tout droit sortie du 19ème siècle, le tout opérant un anachronisme saisissant. L’exploration de cet endroit étrangement terrestre et la présence d’apparitions fugaces font penser à des lieux hantés, mais le fantastique redouté laisse peu à peu la place à des réels éléments de science-fiction. Les deux astronautes déambulent littéralement dans les souvenirs d’un passé lointain, s’égarant dans les dédales d’hologrammes et faisant douter le spectateur sur ce qui est réel ou non. Dans ce maelstrom complexe qui fait perdre complètement pied, la mémoire sera gage de rédemption ou de perte. Eva, la cantatrice du vaisseau en détresse, tente de retrouver son amour perdu en envoyant des SOS tel un chant de sirène envoûtant les marins qui viennent à sa rescousse. Son palais a été créé afin de rester figé dans le temps, pour attendre dans un présent infini le retour de l’être aimé, refusant de faire son deuil et laissant une plaie constamment ouverte. Dans le passé, point de salut, et c’est sans doute pour cela que les souvenirs des instants passés avec sa fille, symbole d’un futur radieux, sauveront l’astronaute Heintz, de tomber dans le piège d’Eva et ainsi l’empêcher de devenir un autre « fantôme » hantant le vaisseau. ‘‘Magnetic Rose’’ est une œuvre phénoménale et déroutante, une véritable expérience sublimée par une musique mélancolique entre jazz et choeurs d’opéra. Ce palais mental perdu au milieu de l’espace joue avec nos sens pendant trois quarts d’heures pour aboutir à une réflexion sur la mémoire, les souvenirs et leurs conséquences sur nos vies dans un magnifique écrin de science-fiction.
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Mehdi Tessier
S
’il y a quelque chose de passionnant dans le décor spatial, c’est que sa grandeur nous confronte au concept de la solitude de manière écrasante. Comment ne pas se questionner sur notre situation sociale ou globale quand on contemple l’infini qui s’étend devant nos yeux ou la petitesse de notre planète bleue ? Tout cela, et bien plus, se retrouve dans le premier passage de Duncan Jones derrière la caméra. Sam Bell travaille depuis presque trois ans sur la surface lunaire pour récupérer un minerai permettant de résoudre la crise énergétique sur Terre. Mais alors qu’il va bientôt rentrer chez lui, il subit un accident qui va complètement le bouleverser… Pour un premier long-métrage, Duncan Jones ne se donne pas une tâche aisée, charriant plusieurs thématiques tout en se confrontant à un décor à la puissance cinématographique certes indéniable mais pouvant tomber dans le factice faute de technique dans le visuel. Pas de souci dans ce cas car, malgré un budget de 5 millions de dollars, jamais nous ne nous retrouvons à remettre en question le réalisme du paysage lunaire, ni même d’ailleurs le trouble dont souffre le héros. Cela passe d’abord par un Sam Rockwell déchirant dans un rôle qui nécessite une double confrontation et donc à la difficulté accrue. Mais la réussite de sa prestation, sans enlever à l’acteur l’honneur d’une interprétation particulièrement réussie, est également à remettre au crédit d’un scénario particulièrement passionnant. C’est ainsi que cette solitude lunaire brisée par cette découverte stupéfiante relève d’une dépression, un burnout même causé par une industrialisation transformant l’ouvrier en simple outil interchangeable. Cette critique à charge d’une forme de capitalisme destructeur socialement (que l’on retrouvera en sous-texte de « Mute ») nourrit une œuvre à l’ancrage émotionnel particulièrement fort. La Lune exacerbe des émotions destructrices menant à un anéantissement personnel mais provoqué par l’écrasement du décor. C’est dans cette pesance et cette détresse humaine que « Moon » nous provoque une explosion sentimentale, questionnement puissant à la modestie apparente dissimulant sa richesse narrative. Ou quand la surface lunaire se voit sublimée par des déchirements universels et des contestations sociétales dans un premier long-métrage.
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Liam Debruel
MOON (2009)
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FIRST MAN (2018) Après l’immense succès de « La La Land » en 2017 et l’excellent « Whiplash » en 2014, Damien Chazelle revient, à nouveau avec Ryan Gosling, pour un biopic sur Neil Armstrong et son épopée lunaire. Après 2 films centrés sur la musique, cela semblait être une véritable sortie de sa zone de confort. Dans une histoire représentant un des plus grands accomplissements américains par un de leurs plus célèbre héros, Chazelle choisit l’approche inverse, centrée sur l’humain derrière l’exploit. Dès la scène d’ouverture, où Armstrong tente de sortir de l’atmosphère, on est placé en immersion totale, à l’aide d’une caméra en vue subjective, ou de plans serrés sur le casque de Neil, rendant compte de la tension provoquée par cet exercice. Cette immersion est davantage renforcée par un travail sonore extrêmement riche, permettant de percevoir le moindre bruissement de ferraille provenant de l’appareil. Cela provoque immédiatement un sentiment d’insécurité, d’être avec
le personnage dans une boîte métallique, prête à se démanteler en plein vol à tout moment. « First Man » est une véritable expérience de cinéma, immersive, mais aussi émouvante. En effet, le cinéaste se concentre véritablement sur le voyage intérieur de Neil, derrière cette épopée grandiose. En partant du décès de sa petite fille (fait marquant de sa vie mais étonnement peu connu du public), on se place directement en empathie pour ce père, qui essaye de garder la face en public, et de se concentrer sur son travail, alors qu’une partie de lui s’est éteinte brutalement. Tout le film est hanté par la mort, à commencer par sa fille, mais aussi par celles de tous les pilotes de la NASA, qui auront permis à cette mission de se concrétiser. En effet, si le talent de pilote de Neil en fait évidemment
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un excellent candidat pour Apollo 11, son parcours est marqué par la mort des gens qui l’entourent. Ce voyage porte tout le poids du deuil des amis de Neil, mais aussi et surtout celui de sa fille. L’enjeu pour Armstrong est de ne pas se laisser abattre par la tristesse, et de continuer à avancer, faire en sorte que ces morts ne soient pas vaines, et d’enfin se libérer de leur emprise. Ce qui nous offre une séquence sur la Lune aussi sublime visuellement qu’elle est bouleversante.
parfait et livre un morceau de bravoure absolument saisissant. Damien Chazelle sort complètement de sa zone de confort mais réussi son pari avec brio, pour livrer une épopée humaine bouleversante, une autre vision d’un des événements les plus marquants de l’histoire, avec un homme gardant les yeux rivés vers les étoiles pour faire le deuil de sa fille.
Le film bénéficie également d’une bande-son signée Vincent Pelisse Justin Hurwitz (le fidèle compositeur de Chazelle), épousant l’intime à coups de notes très douces à la harpe, et d’autres titres plus épiques comme « The Landing », accompagnant l’alunissage. Cette séquence est d’ailleurs une des plus impressionnantes du cinéma Hollywoodien ces dernières années. L’équilibre entre la mise en scène, le montage et la musique est juste
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s
@simche
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Retour sur la saga Terminator
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TERMINATOR (1985) : NAISSANCE D’UN MYTHE Tout commence par un cauchemar, de ceux qui enflamment aussi bien l’esprit que la rétine. Un squelette tout de métal sort des flammes, une menace qui semble si irréelle mais pourtant si tangible, du moins dans l’esprit torturé de James Cameron. C’est en effet lors d’une de ses nuits agitées, affamé et en rage de son renvoi de « Piranhas 2 » que le jeune homme imagine la créature qui influencera autant sa carrière que le cinéma d’action. Ainsi, d’un songe embrumé par la peur de sa situation, James Cameron a sorti l’un des films les plus reconnaissables des années 80 et il faut bien dire qu’il est pour beaucoup responsable de cette réussite. Il y a dans sa mise en scène la captation d’une ville transformée en labyrinthe quasi futuriste, décor d’un jeu du chat et de la souris passionnant. Cette esthétique particulière, cette façon de filmer la ville comme un autre monde apporte à la fascination éprouvée encore à ce jour devant le film. Il y a également à dire sur la solidité du casting. Si le duo principal, Linda Hamilton et Michael Biehn, ont une alchimie donnant corps à leurs personnages, c’est bien Arnold Schwarzenegger qui explose l’écran avec son aura mécanique purement à propos. Comment ne pas être terrifiant par son regard de chasseur, perpétuellement en quête de sa proie, par son phrasé sec et par sa brutalité impossible à stopper ? En donnant corps au cauchemar de Cameron, Schwarzenegger en fera de même pour ceux de nombreuses personnes ayant découvert le film, qu’importe leur âge ou leur génération. Bref, comment dresser en quelques lignes la puissance de ce premier Terminator, là où ces quelques images suffisent à provoquer une fascination intemporelle, notamment par la maîtrise totale de ce jeune réalisateur appelé à marquer le cinéma américain grand public de son empreinte ? On peut encore se poser la question tant il existe des analyses décortiquant avec passion et pertinence ce monument du cinéma d’action américain. Nous nous contenterons de souligner que ce premier « Terminator » rappelle qu’il suffit d’un tant soi peu de talent et d’implication dans son domaine pour créer une œuvre à l’influence toujours aussi puissante sur l’art en général. Liam Debruel
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TE RE RMI FO NA NT TO EE R T S 2, L UB E J LIM A
S’il était évident, au vu du succès du film qu’une suite allait voir le jour, le défi n’en était alors que plus grand. Il s’agissait de trouver un procédé, tant narrativement que techniquement, pour réussir à nous faire vivre une nouvelle expérience intense de cinéma sans trahir l’aura de son prédécesseur. James Cameron n’a pas lésiné sur sa volonté de grand spectacle, et compte bien mettre à contribution le moindre dollar du budget conséquent qui lui est alloué (94 M face à 6 M pour le premier, que l’on verra à l’écran à chaque seconde). Mais avant de se lancer dans un pamphlet dithyrambique sur ce qui est encore à ce jour une des plus grandes prouesses fuite qu’elle a vécue va décider de prendre les armes d’effets spéciaux de l’histoire du cinéma, c’est sur le pour s’attaquer à la source de son destin funeste, une scénario que ce second opus vient à se démarquer. manière pour James Cameron de nous dire clairement que l’on ne va pas réitérer la même histoire. Les bases En apparence, le schéma peut sembler assez similaire, deviennent alors des repères pour rattraper un univers destiné à placer le spectateur dans un certain confort que l’on connaît, afin de mieux nous lancer dans une avant de lui faire perdre tous ses repères. Deux nouvelle facette d’un univers qui ne manque pas de protagonistes arrivent du futur, avec les mêmes ressorts richesse. Narrativement, “Terminator 2” est une prouesse et, en apparence, les mêmes archétypes, et on peut en cela qu’il est généreux de rebondissements, et ne alors dessiner dans nos têtes le schéma que va prendre s’assoit jamais sur ses acquis. le film, une nouvelle course-poursuite avec pour cible cette fois-ci le fils de celle pourchassée dans le premier Mais c’est avant tout par son constat technique que le épisode. Un premier quart avec lequel James Cameron film se démarque, et s’offre une place immédiate au s’amuse à jouer avec les acquis, brouillant peu à peu les panthéon des oeuvres fortes, qui marquent et définissent pistes quant à ce qui nous semble établi, pour mieux un point d’influence du cinéma moderne. Choisissant nous prendre à revers lorsque l’on commence à se que l’antagoniste du film serait une machine à l’alliage conforter dans une sensation de redite. Le film explose, métallique liquide, le département des effets spéciaux et transforme sa fuite pour la survie en quête initiatique, peut alors jouer avec la technologie naissante du qui réinitialise peu à peu ses symboles. morphing, que Cameron avait déjà utilisé lors d’”Abyss”, son précédent film. Le Terminator peut alors passer à Nous faire retrouver Linda Hamilton, toujours aussi travers les structures, modeler son corps pour générer impressionnante, n’est alors pas anodin. Si Edward des armes blanches, et se voir doter d’autres aspects Furlong en John Connor semblait être au centre du qui servent allègrement les scènes d’action du métrage, conflit, c’est lorsque sa mère apparaît, et que le film ré- originales à souhait. La ville de jour apparaît comme iconise son héroïne, que l’histoire choisit sa direction. moins crépusculaire, plus grandiose aussi, et peut Elle qui connaît déjà les conséquences de la simple servir des séquences plus généreuses, symboliques du
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budget permettant de plus grandes libertés. Surtout, l’objectif est de constamment s’éloigner de l’ambiance du premier volet pour renforcer l’expérience, que chaque film se démarque par son authenticité et son caractère unique. Pari allégrement réussi. Des remasterisations en tous genres ont foisonné depuis la sortie du film en 91, et malgré tout, on peut regarder la version cinéma de “Terminator 2” et ressentir le même frisson. Le film a incroyablement bien vieilli, et met encore à l’amende nombre de films modernes. Du scénario au défi visuel, tout est aligné pour créer un bijou du septième art, qui surpasse son aîné sans lui faire la moindre ombre. Thierry de Pinsun
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TERMINATOR 3, LE SOULÈVEMENT DES MACHINES (2003): QUAND LES ROIS DE LA SAGA PARTENT.... Alors quand l’annonce d’un troisième volet s’amorce, fait qui suit une logique implacable, les doutes s’éveillent. “Terminator 2”, qui avait clôt avec soin l’histoire, ne laissait que peu de place à une suite, et il n’y avait qu’une piste logique à suivre pour pouvoir reprendre le récit. Que l’on se rassure, “Terminator 3” fait ce choix scénaristique.
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Ancré dans un fatalisme certain, le film se base sur un simple postulat : l’apocalypse est inévitable. Au même titre que la mort, elle est un fait acté, que chaque entreprise humaine ne fera que retarder. C’est donc à l’aube du déclenchement de cet ultimatum inéluctable que le récit prend place, mené cette fois par John Connor, supposé devenir le guerrier que sa mère a préparé à la décadence du monde. Ce troisième projet a donc compris quels sont les enjeux à aborder, notamment pour ancrer son propos dans la politique d’anticipation, et la frayeur technologique. Pourtant, comme on le sait, il n’a pas reçu les retours espérés, et est considéré comme l’épisode de tous les excès, ayant fait tomber la saga dans le ridicule qu’on lui connaît aujourd’hui. Qu’est-ce qui a fait flancher un projet pourtant parti sous de bonnes augures ?
les événements sans jamais en prendre le dessus, et manquant clairement de charisme face à ce que l’on a vu de lui enfant. Les scénaristes souhaitant que l’intégralité du film repose sur les épaules de Schwarzenegger, ils offrent un caractère fonction à la véritable icône de diptyque antérieur, balançant par-dessus l’épaule un beau glaviot à la face de ses instigateurs. Nick Stahl se retrouve à jouer ce qu’il peut avec le peu qu’on lui offre, et n’intéresse personne, autant son réalisateur que ses spectateurs, à l’instar de tout autre personnage, que ce soit celui interprété par Claire Danes, que l’on ne retient que comme étant «la copine de John Connor», mais aussi de la nouvelle antagoniste, qui n’a que peu de place. Alors sans scénario, ou du moins une trame qui ne met aucunement en valeur la justesse des thèmes envisagés, et sans personnages, qu’est-ce qui peut sauver ce “Terminator 3” de l’impasse vers laquelle il court ? Le seul atout restant, vu que nous sommes face à une saga d’action, reste un grand spectacle. Sauf que Jonathan Mostow n’est pas James Cameron, et que le budget, une fois retiré le cachet exorbitant de Schwarzenegger, est équivalent à celui de “Terminator 2” dans une industrie où tout coûte plus cher. Inutile de s’attendre à des miracles, le film est plat, peu centré sur son action, et au-delà de deux-trois scènes qui sont agréables à regarder, tout pêche. Une oeuvre fade, aussi désincarnée que ces combats entre robots où l’humain a totalement disparu de l’équation, et où la caméra préfère s’attarder sur les formes de Kristinna Loken, clairement castée pour ça, que de soigner sa mise en scène, soit le peu qu’elle aurait pu avoir pour elle. Devant le désastre, un box office correct mais clairement en deçà des attentes et le rejet évident des fans, on était en droit de penser que la saga allait s’arrêter là, que Terminator resterait aux yeux de tous un dyptique mythique auquel il ne faut plus toucher. Et pourtant…
C’est le manque à l’appel qui va déterminer le point de départ de chaque tare. Après une pré-production pourtant engagée, James Cameron se retire du projet, laissant la place à Jonathan Mostow, yes-man complaisant connu alors pour U-571, et qui commettra par la suite d’autres métrages oubliables (“Clones”, navrant de nullité). Au scénario, c’est John D.Brancato et Michael Ferris - si dans leur travail se trouve “The Game”, de David Fincher, il côtoie d’autres projets tels que “Catwoman”, et les autres films de Mostow - qui se retrouvent à devoir sauver le bébé du naufrage, avec le peu d’éléments restants. Car l’absence de Cameron n’est que l’unique départ faisant fondre en sueur les producteurs. Si Schwarzenegger est de la partie, moyennant un gros chèque et sans grande implication, Linda Hamilton ne veut pas reprendre son rôle dans ses conditions, et les soucis liés au caractère imprévisible d’Edward Furlong l’évince rapidement de la partie. Que faire sans les atouts majeurs de la saga ? Exit Sarah Connor, et place à Nick Stahl pour camper son fils John. Si l’on peut comprendre l’évolution du personnage, n’ayant pas grandi dans le climat de paranoïa total de sa mère et, face au caractère «éradiqué» de la menace, rangé loin de toute violence, il est difficile d’accepter un personnage tout à coup pleurnichard, subissant
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Thierry de Pinsun
Pourtant, la saga se dote d’un nouveau volet, attendu comme une renaissance par un titre aussi subtil que la mise en scène de McG. Désormais, le public se voit confronté à la guerre contre les machines, celle que beaucoup auront développée dans leur imagination par les quelques instants où celle-ci se sera présentée dans les volets précédents. Fini l’espoir d’un futur pouvant être modifié : place au chaos meurtrier esquissé avec assez de force pour être déjà tangible aux yeux des fans. Le choix de McG, responsable des deux adaptations de « Charlie’s Angels » sur grand écran, ne prêtait guère à sourire et l’espoir d’un bon film s’évanouissait déjà pour certains. Étrangement, sans donner de véritable coup de génie à son long-métrage, le réalisateur arrive à lui conférer une certaine solidité, une recherche d’œuvre guerrière qui parvient à transformer ce volet en meilleur film de la part de son metteur en scène (qui a dit facile ?). On s’attache par contre plus au scénario et aux idées que celui-ci charrie qu’à sa gestion par un casting que l’on peut qualifier de compliqué, à l’image d’un Christian Bale renfrogné en John Connor. Son interprétation du charismatique leader de la résistance, homme à abattre absolument, se trouve un peu trop ancrée dans un jeu peu subtil, plaçant son personnage dans une forme presque caricaturale de soldat bourrin. Et pourtant, on pourrait arguer que cette direction face à un personnage à l’humanité affectée par ses retouches robotiques amène à une forme d’interrogation par rapport à ce qui pourrait définir l’humain. Mais peut-être serait-ce prêter trop d’intentions à un film censé renouveler la saga et ramener le public vers celle-ci ? On peut le dire au vu de la gestion narrative globale du récit mais pourtant, il y a quelque chose d’assez plaisant qui se dégage du visionnage du film, pas génial mais loin d’atteindre le niveau de purge qu’on aurait pu imaginer au vu des annonces initiales. Renaissance, sans en être une, se permet même d’agrandir le bestiaire robotique avec quelques réussites qui rendent sa découverte assez amusante, même si peu indispensable. Ce film n’est pas à la mesure du diptyque incontournable de James Cameron ? Certes, mais là n’est pas son ambition. Au moins pourra-ton dire qu’il y avait une envie de satisfaire les fans avec assez de séquences d’action et d’idées (pas toutes bien amenées) pour rendre le résultat efficace et se voulant respectueux de son univers. Bref, loin du crachat que balancera Taylor quelques années plus tard au visage de la licence…
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Liam Debruel
TERMINATOR RENAISSANCE (2009) : L’OVNI INTÉRESSANT
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TERMINATOR GENISYS (2015) : LE FILM DE TROP
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Alors que “Terminator 3” et “Terminator Renaissance” ne sont pas des opus très appréciés par les fans, les studios décident de remettre un nouvel épisode sur les rails. “Terminator : Genisys” voit donc le jour dans nos salles de cinéma le 1er juillet 2015. Ce cinquième épisode est consécutif d’une mode peu appréciable à Hollywood : les remakes des classiques des années 1980. Forcément, un film comme Terminator n’y coupe pas. Mais cette détestable version accumule tous les poncifs du genre de cette gangrène hollywoodienne synonyme d’un manque cruel de renouvellement.
pas. Cette Sarah Connor n’est jamais convaincante et le retournement de John Connor n’est jamais crédible.
C’est finalement le mort d’ordre de cet énième opus : la crédibilité. Le scénario trop paresseux ne laisse aucune chance au film pour convaincre et le retour d’Arnold Schwarzenegger n’y change rien. C’est même un aveu de faiblesse, représentatif de ces retours en arrière d’Hollywood. Une sorte d’attrape-couillon, servant Déjà, donner la réalisation à Alan Taylor, n’est pas simplement à pêcher le public nostalgique d’une ère forcément le choix le plus intelligent. Ce cinéaste, qui révolue. Ramener ce personnage culte pour si peu est vient du monde des séries, a déjà piétiné l’univers déroutant, et extrêmement décevant. Marvel en réalisant “Thor : Le Monde des Ténèbres”, l’un des pires épisodes du Marvel Cinematic Universe. Tout juste divertissant grâce à quelques passages emplis Ensuite, les producteurs ne savaient pas vraiment d’auto-dérision, “Terminator Genisys” se rapproche plus quoi faire de ce film. Est-ce une suite classique ? Un à une série B à gros budget qu’à un véritable film issu remake ? Ou un reboot ? Et bien, finalement, c’est un de la franchise Terminator. Un pastiche paresseux des peu des trois à la fois. “Terminator Genisys” ne sait pas précédents opus, jouant malencontreusement avec les réellement sur quel pied danser, et se retrouve à faire lieux, les personnages et les références des premiers un best-off des grands moments de la saga. opus de James Cameron. “Terminator Genisys” est donc le représentant d’un cinéma qui préfère faire étalage Paradoxalement, parfois, Alan Taylor et ses scénaristes des bonnes choses de jadis, plutôt que de proposer cherchent à mettre un énorme coup de pied dans la un contenu novateur et recherché. Un cinéma qui fourmilière en changeant totalement le passé de la joue avec la nostalgie du spectateur, et son manque mythologie Terminator. Sarah Connor se retrouve d’exigence, se reposant uniquement sur une marque, rajeunie, interprétée par la non-talentueuse Emilia un titre, en l’occurrence l’appellation Terminator. Clarke, tandis que John Connor est plus âgé sous Heureusement, pour ce cinquième opus, le public n’a les traits de Jason Clarke. Après tout pourquoi pas, pas été totalement dupe, puisque avec un budget de si il y a bien un sujet qui se prête aux changements 155 millions de dollars, le film n’en a rapporté « que temporels, c’est bien Terminator. Mais le public n’y croit » 440 millions à travers le monde. Une certaine idée de l’échec financier dans l’univers des blockbusters hollywoodiens. Aubin Bouillé
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Voilà la bonne idée des producteurs : effacer purement et simplement les épisodes 3, 4 et 5 de la saga Terminator. Ces trois films ne sont plus canon, et “Terminator : Dark Fate” reprend après les événements du second. A la manière de Halloween récemment, la saga décide de repartir sur de bonnes bases en se déresponsabilisant des épisodes précédents. Cette fois, Tim Miller, le réalisateur du premier Deadpool, s’occupe de la mise en scène. Mais l’intérêt premier de ce nouvel opus se repose évidemment sur les retours de Linda Hamilton et Arnold Schwarzenegger dans leur rôle culte. Tim Miller surprend d’abord, en offrant une scène d’introduction assez courageuse, où il change une fois de plus l’avenir avec un habile retour dans le temps. S’en suit toute une première partie de haute volée, où le cinéaste propose des séquences d’action renversantes. La première confrontation avec le grand antagoniste est impressionnante de maîtrise. Une mise en situation parfaitement dosée, qui permet de placer le spectateur au cœur de l’action, mais également dans un univers qu’il connaît bien. Le retour de Linda Hamilton est parfait, simple et efficace. C’est également une proposition féministe assez bien gérée. Sans jamais tomber dans le forcing, Dark Fate met en scène des personnages féminins forts, réalistes, sans être clichés. Un girl power légitime emmené par Mackenzie Davis, très performante. Bref un début en grande pompe, qui malheureusement ne tient par sur la durée. Contre toute attente c’est à partir du moment où Schwarzy revient que le long métrage commence à sombrer. Mettre en scène le terrible T-800 avec une famille, en short, et passionné de décorations intérieures n’était peut-être pas la meilleure des idées. Même si le personnage subit une évolution logique, elle est très mal amenée, tombant dans un cliché poussif désagréable. Le spectateur commence à s’ennuyer face à des dialogues en manque cruel d’inspiration. Puis vient un climax final interminable, emmené par une bouillie numérique insipide. Tim Miller n’arrive pas à conclure son film et s’empêtre dans un récit qui s’étire jusqu’à l’asphyxie. Le cinéaste choisit de réaliser des scènes d’action redondantes, qui finissent pas éreinter le public. Bref, “Terminator : Dark Fate” c’est un peu la routine quoi.
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Aubin Bouillé
TERMINATOR : DARK FATE (2019) : RETOUR AUX SOURCES
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l’analyse de séquence
Phanto
om Thread 2017 71
Beaucoup d’encre a déjà coulé sur le dernier film en date de Paul Thomas Anderson: Phantom Thread (2017). À la fois sur la performance des deux acteurs principaux (Vicky Krieps et Daniel Day-Lewis) mais aussi sur la maîtrise (perfectionniste jusqu’au moindre détail, créant un ensemble parfois “trop” parfait) de son réalisateur. Nous voulons revenir avec vous sur une séquence qui nous a particulièrement touché : la scène de la rencontre entre les deux protagonistes.
Aucun contexte, quel qu’il soit, n’est nécessaire pour apprécier pleinement ces cinq minutes de cinéma. Le spectateur découvrant cette scène n’a besoin que de ses yeux et de ses oreilles pour jouir du spectacle intimiste qui s’offre à lui. En quelques minutes, Paul Thomas Anderson construit et établit le socle des relations qu’entretiendront ses deux personnages. Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis) s’élance à toute vitesse sur les routes embrumées de la campagne anglaise. Le visage fermé, sa délicatesse s’exprime par une gestuelle précise et douce en opposition à la jeune serveuse du Victoria Hotel qui se presse et trébuche. Les regards et les sourires échangés entre eux instaure dès lors un sentiment nouveau : celui de la curiosité, de l’intérêt, amoureux peut être, affectif certainement. L’attente semble interminable avant qu’ils ne s’échangent autre chose que des regards, on se languit, comme Reynolds, de les entendre parler. Vient le moment tant attendu, qui ne déçoit pas : “What would you like to order
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?”. Phrase de politesse dans un cadre professionnel mais qui prend tout son sens dans la réponse de Woodcock. Une commande longue et exigeante qui souligne l’appétit (tant au sens propre que figuré) et le désir de ne pas s’arrêter pour ne pas voir s’échapper vers les cuisines cette jeune femme sortie de nulle part. C’est par l’attention que répond Alma (Vicky Krieps), et une écoute (l’amour rend aveugle, pas sourd) que l’on dénote dans son regard, qui n’est plus fuyant. Outre l’atmosphère idyllique que construit Paul Thomas Anderson, c’est dans les rapports de plans que se joue une autre histoire. Une histoire de force et d’amour. Tout au long de la séquence, le cadre choisi par P.T.A est signifiant. La valeur des échelles entre les personnages et le décor et entre eux-mêmes joue sur leur personnalité. Ainsi, inconsciemment, Reynolds nous paraît imposant dans sa délicatesse : lorsqu’il s’extirpe de sa voiture, l’église du village au loin n’est pas plus grande que lui. Le choix de varier entre plan moyen et gros plan lors de la commande du petit
déjeuner place Alma au même niveau que Reynolds alors qu’elle semble pourtant plus timide.Tout deux sont charmés par l’autre. Et lorsque Reynolds se décide à l’inviter à sortir, les deux protagonistes sont, pour la première fois, réunis dans le même cadre. C’est dans ces choix-là que réside la force de la séquence : des cadres signifiants et un sous-texte révélateur. On est alors fasciné et hypnotisé par ce qui se déroule sous nos yeux. C’est cet amour naissant que l’on nous montre sans pour autant nous le rendre évident. C’est dans la finesse et la simplicité d’une commande de petit déjeuner que Paul Thomas Anderson nous donne une définition de l’amour. Que le film plaise ou non, c’est une autre histoire. Mais cette séquence se suffit à elle-même et c’est ce qui en fait pour nous une scène magnifique. En espérant vous avoir donné envie de visionner ces cinq minutes là, et à défaut de découvrir ou de revoir le film. Baptiste Andre
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RécapitulaFIFF : un r édition du Festival I Francophone de Nam 74
retour sur la 34ème International du Film mur 75
C’est une habitude ancrée dans le patrimoine cinématographique belge et même francophone : le FIFF s’est clôturé sur une trente-quatrième édition qu’on a couvert le temps de découvrir plusieurs films orientés étrangement par l’amour et ses variations. Le questionnement sentimental est ainsi fort dans « Chambre 212 », dernier film de Christophe Honoré où une femme se retrouve à questionner sa situation maritale dans une chambre d’hôtel, accompagnée d’une version jeune de son mari et le premier amour de celui-ci. C’est un véritable voyage intime sans déplacement qu’invoque Honoré avec une certaine malice mais également un envoûtement prenant. On repense ainsi à ce travelling arrière aérien dans une rue enneigée, confrontant Chiara Mastroianni et Benjamin Biolay (tous deux parfaits) à leurs doutes sur leur relation. On en sort passionnément touché, la grâce de la mise en scène d’Honoré donnant une force poétique qui nous rend léger, au contraire de « Roubaix, une lumière ». Non pas que le film de Desplechin soit lourd, bien au contraire, mais son intrigue ploie de manière pesante, aussi bien sur les spectateurs que sur ses personnages, profitant tous dans leur incarnation d’un très bon casting. Le réalisateur offre une chronique sociale usant du quotidien des policiers pour mieux dresser un portrait de sa ville, sans fard mais sans honte. Quelque chose que ne devrait pas ressentir Antoine de Bary pour son premier film « Mes jours de gloire », suivant un Peter Pan moderne incarné par un Vincent Lacoste décidément habitué à ce genre de rôle. On aurait espéré plus de malice dans la mise en scène ou dans la gestion du scénario qui arrive à fonctionner dans sa dernière partie sans réellement parvenir à incarner pleinement toute la frustration de la vingtaine alors qu’il parvient à toucher cela par instants. L’incarnation totale de l’amour se fera avec « Adoration », nouveau film de Fabrice Du Welz. Balançons directement : même s’il ne sortira en France que début 2020, on peut déjà parler d’œuvre de l’année tant tout se vit à l’écran, comme si le cœur de celui-ci était tangible, autant que les prestations de ses jeunes acteurs justement récompensés. Si l’on ajoute à ça la photographie de Manu Dacosse, la poésie de l’écriture (tragique Poelvoorde) et la puissance de la mise en scène de Du Welz, on arrive à peine à résumer en quoi « Adoration » est l’une des plus belles incarnations que le sentiment amoureux aura connu sur grand écran au 21ème siècle. Après une telle folie, on risquerait de diminuer « Camille », portrait d’une photojournaliste décédée en couvrant le conflit en Centrafrique. Pourtant, le film de Boris Lojkine fonctionne, notamment porté par la prestation de Nina Meurisse dans la peau du rôle-titre. Par contre, on se pose encore des questions sur « La Longue Marche », dont la nature purement mortuaire alourdit les deux heures de visionnage d’une certaine pesance morale qui aura laissé certains de côté par les vaet-vient temporels du récit. On peut néanmoins s’accorder sur la nature particulière du film, transformant l’intrigue funèbre en un voyage qui marque. D’où le bonheur de continuer avec le merveilleux « Matthias et Maxime » où Xavier Dolan use de son style pour narrer une histoire d’amour et d’amitié mais également des portraits d’une jeunesse en perte de repères émotionnels. On sort de la séance avec le cœur qui bat la chamade, transporté par la beauté formelle et narrative d’un récit incarné à souhait par deux acteurs réjouissants, dont Dolan lui-même. Réjouissant également découvrir le premier long-métrage de Vero Cratzborn, passée par les courts-métrages (certains diffusés au FIFF) ainsi que par le documentaire. On sent toute son implication dans « La forêt de mon père » où elle cadre le débarquement de la folie dans la normalité avec une justesse qui émeut autant que son casting. C’est cette simplicité apparente, qui nous bouscule émotionnellement, et parvient grâce à ce premier long à nous donner envie de découvrir ce que fera ensuite sa réalisatrice. Car avec un film autant rempli d’amour pour son personnage, on risque de sortir encore ému de son prochain opus… Liam Debruel
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@dailymars
Fabrice Du Welz 78
Il y a 10 ans de différence entre Calvaire et fait. Après, je ne veux pas interpréter mon propre film, Alléluia et 5 ans entre ce dernier et Adoration. j’ai essayé de témoigner très modestement mais avec Comment cette « Trilogie des Ardennes » a-t- une ambition artistique totale du regard de cet enfant. elle évolué ? Par rapport à l’enfance, cela m’a beaucoup Elle a évolué comme moi je pense. J’ai eu peut-être rappelé la Belle et la Bête de Jean Cocteau et le besoin de passer par certaines choses pour évoluer. film en général me fait penser au conte. Est-ce En fait, Adoration est un film dans lequel je me réfugie que c’était quelque chose qui était voulu dès le moins derrière certaines afféteries de caméra ou un départ ? sens du grotesque. J’essaie d’être profondément moimême et de laisser libre cours à ma pudeur. Enfin, Il y avait une dimension de conte, il y en a toujours j’essaie d’exploser ma propre pudeur et de parler d’un une dans ce que j’imaginais car je savais qu’il ne serait sujet qui me touche énormément sans filtre et sans pas uniquement naturaliste. Je savais que le film allait filet. Alors, l’idée de la trilogie, je l’ai lancée comme une s’ancrer dans un naturalisme au début mais un qui était boutade à un moment donné. Je ne sais pas si ça va intemporel. Cet hôpital du début, on ne sait pas très être une trilogie, une quadrilogie ou un décalogue. Je bien où on est mais c’est une constante dans mes films. n’en sais rien car mon prochain film a aussi une Gloria On travaille dans une épure pour que les films aient une et se tourne dans les Ardennes mais en tout cas, c’est chance de bien vieillir et ne soient pas dépassés par la un sujet qui est permanent, l’idée d’un amour fou. Ici, propre technologie et surtout le réalisme actuel qui est d’autant plus car c’est l’idée d’un amour fou qui tend à mon sens complètement idiot. Mais je savais que ce naturalisme allait basculer dans une autre dimension vers un absolu. qui touche aux contes ou à l’esprit du conte. Justement, qu’est-ce qui te fascine autant dans Par rapport aux choix photographiques avec la folie provoquée par l’Amour ? Manu Dacosse, comment avez-vous travaillé Je ne vois que ça autour de moi. Je ne vois que cela, notamment le rapport à la pellicule ? Il des gens qui sont fous d’amour, ivres d’amour, en y a 5 ans, le grain était hyper granuleux sur quête d’amour insensé, en quête d’existence, de Alléluia alors qu’il y a ici quelque chose de reconnaissance. L’Amour à mon avis ne peut être que différent, sachant que la pellicule est revenue profond… En fait, la question que je pose dans ce à la mode. film, et peut-être que je ne sais pas y répondre, est « Est-ce que le véritable Amour, l’Amour absolu, ne peut La pellicule reviendra à la mode, c’est comme le vinyle. pas se trouver dans une forme de folie ? ». C’est pour Les gens vont s’apercevoir qu’on s’est bien fait entuber ça que les grands Mystiques m’intéressent autant : ils avec le numérique. On voit la différence quand même, trouvent dans le mysticisme, dans la quête d’absolu, enfin je la vois entre un rouge pellicule et le rouge le véritable Amour. Mais c’est une question et je n’en numérique, qui est bien moins intéressant que le sais rien. Ici, à un moment donné, le gamin, qui est un premier. Manu et moi, on commence à bien se connaître. ange bousculé dans ses propres convictions, dans sa En fait, c’est un trio avec Manu Demeulemeester, qui propre intégrité physique, mentale et morale, il ne sait est directeur artistique et chef déco. Donc, j’ai un grand pas comment réagir face à cette fille qu’il aime. Est-ce travail de repérages en amont. Une fois qu’ils sont faits, qu’il doit l’amener à l’hôpital pour la soigner ? Non, il je discute sur les volumes avec Manu Demeulemeester décide de l’aimer, d’être contaminé par son amour et de et on travaille dessus ainsi que sur les matières. basculer dans une forme d’absolu et de mysticisme en Comment travailler sur ce qui est brillant et accrocher
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la lumière car je travaille avec très peu de lumière sur le plateau. Et une fois qu’on a imaginé quelque chose, Dacosse vient, on travaille avec lui, on va sur les lieux, les deux Manu discutent ensemble et voient comment ils peuvent travailler. Moi, je fais cela avec une charge de manière domotique, c’est-à-dire que je travaille avec une source et qu’il faut la justifier. C’est fondamental pour moi cette justification. Et une fois qu’ils discutent et trouvent un terrain d’entente, ils se complètent l’un l’autre, ce qui me permet de travailler à 360 degrés. C’est important car je veux pouvoir utiliser le décor à 360. Après, ce sont des choix de décors qui sont très importants et après, pour le grain par exemple, il y a l’histoire de la fumée : il y a un peu de fumée qui accroche ou pas certains décors. Le 16 d’Alléluia, on le voulait très très granuleux, presque dégueulasse quoi. Après, je trouve la photo du film remarquable. Ici, on voulait toucher presque au 35, même si on n’avait pas les moyens de travailler avec. C’est toujours un travail énorme en amont. Très souvent, les jeunes qui travaillent aujourd’hui en numérique ne l’exposent pas, ils tournent flat et c’est en étalonnage qu’ils commencent à faire des masques, des trucs pour donner un style à leur image, ce que je trouve aberrant. Je crois que le cinéma, c’est sur le plateau, c’est le regard du metteur en scène. C’est comme ça que ça fonctionne, c’est comme ça que ça a toujours fonctionné et je ne comprends pas ce que branlent les mecs à travailler comme ça. Après, ce n’est que mon avis, ce n’est pas la loi, juste mon avis. C’est donc un travail en collaboration auquel j’ajoute forcément les costumes. Une fois qu’on a les décors, on travaille les costumes, leur colorimétrie avec une grande attention sur les couleurs primaires. Nos références cinématographiques se trouvaient ici dans le cinéma polonais des années 80 aux russes des années 60. Il y avait donc ici une volonté de faire ressortir les couleurs primaires dans une grande simplicité : le rouge, le bleu, le vert. C’est un travail de passerelle entre les
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décors, les costumes, la photo. Tout le monde doit communiquer. Dans la plupart des productions, tout est compartimenté et les décors découvrent les costumes le premier jour de tournage. Cela me paraît complètement aberrant. Il y a quelque chose dans le regard de l’enfance, la découverte de la violence, la mort, la sexualité que je ne trouve plus dans une plus large production francophone, voire mondiale. En ce sens, comment as-tu géré tes deux interprètes principaux, sur le plateau ainsi que dans leur écriture avant sélection ? Assez bien, c’est-à-dire que je suis un tempérament sur un plateau. Je les ai choisis tous les deux et à partir de ce moment, je dois jouer avec eux, ce qu’ils sont eux, leur personnalité. Je les regarde beaucoup et j’essaie d’apprendre d’eux énormément avant de m’en nourrir. Après, j’essaie d’avoir leur confiance sur le plateau et une fois que je l’ai de manière totale, on travaille ensemble. C’est encore une fois un travail de collaboration : ce sont des gamins que j’aime profondément, ils sont proches de mes enfants et de moi. L’idée, c’était d’être en osmose. J’étais très exigeant avec eux, je les poussais loin mais ils comprenaient car ce ne sont pas des crétins mais des artistes. Ils voient bien où ils étaient et ce qu’ils allaient chercher même de manière intuitive. On se poussait chacun de notre côté. J’ai énormément poussé Fantine, il y avait même des moments où elle basculait dans l’hystérie, mais elle savait que j’étais là pour la
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récupérer tout le temps. Après, ma seule consigne était d’utiliser quelque chose en amont, même avant le début de la journée, même dans les coups de mou, je leur disais « votre seule responsabilité, c’est votre personnage. Le reste, je m’en occupe. Vous, soyez responsables de votre personnage. Je serai toujours là pour vous récupérer mais si vous avez des doutes, pensez à votre personnage, à son parcours ». Bref, ça s’est fait assez naturellement, de façon assez simple. Ça a été un tournage très heureux, c’est mon tournage le plus heureux justement. Il y a 20 ans, tu sortais ton court-métrage « Quand on est amoureux, c’est merveilleux ». Qu’est-ce que tu dirais à ton toi d’il y a 20 ans ? Entoure-toi. Travaille avec tes amis. Chaque fois que je n’ai pas travaillé avec des amis, c’était compliqué. Garde cette passion, cette énergie mais entoure-toi, travaille avec les tiens car je pense que c’est ce que j’ai appris en 20 ans : faire le beau aux États-Unis, on en sort meurtri. Ils nous volent quelque chose de nous. Aujourd’hui, je suis déterminé à travailler sur ma filmographie et de manière totale. Cela ne veut pas dire que je ne vais pas me planter mais je veux travailler à mes films.
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Comment t’es-tu retrouvé sur Matthias et Maxime ? En fait, Xavier est un ami de longue date, on se connaît depuis presque 7 ans maintenant. Je sais qu’il a voulu écrire un film sur l’amitié et voulait créer quelque chose plus proche d’une bande d’amis. Il m’a donc vu dans le rôle de Matthias, Pierre Luc Fonck ou Antoine Pilon, chaque acteur a été dessiné dès l’écriture pour son personnage. J’étais à Bali à ce momentlà sur un projet télé. Il m’a écrit qu’il avait un rôle qu’il pensait pour moi. Je croyais que le personnage me ressemblait dans la vie mais en fait, pas du tout. Quand je suis revenu de Bali, on a pris un déjeuner ensemble et il a voulu absolument m’offrir le rôle que j’ai accepté. J’ai trouvé ça beau ainsi qu’une belle confiance que Xavier m’a donnée. Justement, comment est-il en tant que réalisateur ? J’ai travaillé avec beaucoup de réalisateurs dans ma vie et il est l’un des plus passionnés, comme si c’était un enfant, comme si c’était son premier et son dernier film à chaque fois. Je l’avais vu travailler sur « Ma vie avec John F. Donovan », j’avais été le voir et c’est un grand passionné qui prend du temps. Il a beaucoup de chapeaux car il décide aussi des costumes, de la direction artistique, de chaque chose qui est placée sur le plateau, il est au montage, il choisit les musiques, … C’est un gars énormément passionné qui, parce que c’est un acteur aussi, sait comment nous diriger sans utiliser de phrases vides. « Joue plus pur ! » Oui mais c’est quoi, jouer pur ? Il te met des bons termes pour bien te comprendre, il te met en confiance et il sait exactement ce qu’est le rôle d’un comédien. Tu joues avec et il te donne tout car il joue aussi dans ce film. Il donne beaucoup mais il aime aussi les propositions et il est humble dans son travail. C’était donc une expérience magnifique de travailler avec un être aussi complet artistiquement. Tu parlais d’amitié, de groupe de potes. Le film est très prenant sur ce point car on croit les connaître depuis des années alors que cela ne fait que quelques minutes. Comment cela a été travaillé sur le plateau, pour former en tant qu’acteurs ce groupe uni ? Il y a eu deux volets. D’abord, l’écrit : on a eu des séances de lecture ensemble, on avait le scénario et on savait où on allait, ce qu’on faisait donc c’était simple quand on répétait car on sentait les énergies. Il écrit tellement bien, de manière tellement claire qu’on sait comment interpréter les lignes. Dans le film, on voit une synergie qu’on n’a pas eu besoin de créer vu qu’on est des amis dans la vie. Les personnages sont loin de nous mais l’énergie est la même. Quand on joue à la Boulette, c’est similaire à nos parties : on s’engueule autant même si ça ne finit jamais comme dans le film. On est tous aussi compétitifs, à vouloir que les règles soient claires. Il y a 5 jours, on a joué à la Boulette chez Xavier et on voyait dès le début qu’on mettait des règles claires et quand quelque chose se passe, on met pause et on
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réexplique à tout le monde pour être sûr. On sait que ça peut monter en émotions, ce n’est pas une question de compétitif, je ne me souviens même plus qui a gagné mais on veut que chaque point gagné soit vraiment gagné. L’énergie reste la même, même dans les soupers ou ailleurs puis on se taquine. C’est ça qui est beau aussi dans ce film-là : quand on s’insulte, on le fait par une vivacité d’esprit, des choses qu’on sait qui ne vont pas vraiment blesser. C’est « je te taquine et j’espère que tu vas avoir une belle répartie pour me relancer » donc Xavier a écrit en fonction de cela. Quand on tournait, c’était intéressant car on tournait avec des amis, avec une passion, une confiance de l’autre. Cela a été ultra plaisant à tourner. Est-ce qu’il y a des choses que tu as amenées toi directement par des propositions ou… non ? Ma question avait une fin mais elle a disparu… Non mais je comprends ! Oui en fait, Xavier et moi avions fait une lecture de groupe avec le gang mais j’ai eu aussi des lectures individuelles avec lui pour le texte : est-ce que ce personnage doit réellement dire ça ? Le moment où il m’a envoyé le scénario final, on ne jouait plus avec. Il y avait deux volets à Matthias, le moment avant le baiser et celui après. Je pense que cette partie a eu une préparation beaucoup plus solitaire. C’était le fait de se mentir à soi-même pour mentir aux autres. C’est la pire chose car si je veux te mentir dans la vie, je vais te mentir puis je vais te faire parler le moinspossible. C’est ce que je cherchais : me mentir assez pour que quand je mens, je suis le plus neutre possible. Mais comme le public connaît toutes les scènes et les émotions autour, comme on a accès
à toute la direction narrative, je peux mentir en tant que personnage mais le public sait que je mens, que je ressens des sentiments. Tu vois la scène où je suis dans le bureau d’avocat ? Xavier m’avait dit « on dirait qu’il parle que tu as encore le temps de changer et d’évoluer, j’aimerais plus le ressentir ». Je lui ai dit que justement, si ça m’arrivait, je resterais très neutre, impassible, comme si cela ne m’affectait pas. Il m’a dit « Tu as raison, Go, allons-y » et c’était la cinquième prise, qui est restée dans le film. Il n’y a pas juste une neutralité dans le niveau, on sent que tout ça le blesse mais qu’il veut le cacher le plus possible. Il y a plein de scènes comme ça où, oui, il y avait de la préparation en amont mais assez en avance pour vivre le moment le jour du tournage, les moments de silence, de malaise, d’inconfort, de remise en question et de confrontation face aux autres. Comment bien approcher le personnage pour avoir une évolution, pour qu’il ne soit pas confortable, plus agressif et immature avec les autres personnages ? Justement, tu parles de tout cela, c’est un récit d’amitié, d’amour, … Comment tout cela te touche ? En fait, ça me trouble mais dans le bon sens. Je trouve ça beau car l’amour devrait être la plus belle émotion, celle dont on parle encore pendant des siècles dans les pièces de théâtre, dans les films, … Ici, c’est l’amour entre deux hommes qui sont surpris par l’amour. C’est ça qui est beau : être surpris par l’amour, avoir le cœur qui va plus vite que la pensée, que le corps. Ce sentiment-là anime notre corps. L’histoire devient compliquée car Matthias la rend compliquée mais en même temps, s’il l’avait acceptée, le film se
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serait terminé après 35 minutes. Il a voulu se poser des questions et ne pas accepter qui il est réellement. Ça l’a remis en question car il s’est dit « Et si ? Et si tout cet amour-là est possible ? Et si je pouvais ? Et si j’en avais envie ? » Mais sa vie est tellement rangée qu’il ne s’est jamais posé la question. Cela le trouble car ce n’est pas ça qu’il voulait vivre, qu’il avait prévu. Et parfois, trop prévoir les trucs, c’est passer à côté de ce que l’on veut. Justement, y a-t-il une scène qui t’a marqué un souvenir plus fort ? Toutes les scènes ensemble en bande, c’était assez fort avec le plaisir qu’on a pris à tourner, le plaisir à se donner à fond et ça se voit. Ce sont des belles scènes à jouer, j’ai vraiment trippé. Pour moi, la scène la plus forte, c’est celle tournée en 65 mm où on est dans le fameux garage/ entrepôt/salle d’atelier. Cette journée, on a tourné la scène en 6 minutes alors qu’elle dure 3, 4 minutes à l’écran. Il y avait un abandon, quelque chose de très sincère et prenant, une belle liberté. C’est une scène que j’ai aimé tourner, je la trouve pure. C’est une belle confiance entre des amis, j’aurais pu la tourner avec Pierre Luc Fonck et il y aurait la même sensibilité car on est des amis. Il y a une confiance entre les deux, c’est une belle scène et il y avait quelque chose de mythique à tourner en 65 mm avec la grosse caméra et cette lumière qui est belle. On a laissé la scène vivre et je trouvais ça fun de se laisser aller.
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Qu’est-ce que tu penses d’un festival comme celui de Namur, permettant de découvrir des films francophones différents ? Je trouve ça bien, il y a plein de festivals du genre à Montréal, avec des films et des courts-métrages. En tant que québécois, on défend notre langue française beaucoup plus que les français car on est entourés d’anglophones et on s’est battus pour notre langue. On a des lois pour la loi française, la loi 101 la défendant. On se bat aussi dans un petit milieu. On est 8 millions au Québec et quand on tourne un film, on sait qu’il ne va pas rapporter. On sait qu’il ne va pas aller à l’extérieur donc un festival comme le FIFF peut aider, surtout cette année avec 4 films québécois, ça donne l’opportunité de voyager. Notre film, même s’il est en Amérique, on sait qu’il ne va pas sortir aux États-Unis, même au Canada. C’est très rare les films francophones qui sortent ailleurs au Canada. L’opportunité de pouvoir voyager avec un film, ça se fait avec des festivals comme ça et l’ouverture d’esprit des programmateurs. Je trouve ça beau et fun, aussi dans la manière de rencontrer des gens de culture différente mais avec la même langue. Je suis terriblement content d’être ici. Tu es passé par les web séries, tu en as créé, écrit et produit : qu’est-ce que cela t’a appris ? Je suis aussi passé par les séries télé. Ici, en web série, j’écris beaucoup, j’ai dû faire cinquante jour de tournage ma première année. Ce que j’aime bien ici, c’est qu’on passe plus rapidement à la fin de la production là où c’est plus long pour les films ou les séries télé. Ça peut prendre deux ans pour une série avant même de tourner. Ici, ça fait 6 ans qu’on travaille sur le film. Dans les web séries, j’ai une idée et je la tourne maintenant. C’est un peu ce que fait Xavier : il a une idée, il la tourne, il la produit, il la sort, il passe à une autre idée. C’est exceptionnel dans ce milieu, il n’y a aucune personne qui peut créer autant. C’est ce qu’on retrouve dans les web séries : on crée du contenu rapidement dans l’art. Parfois, il y a des
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thèmes qu’il faut utiliser maintenant, qu’on ne peut pas tourner dans 3 ans. Il y a des événements sociaux ou d’actualité qu’il faut traiter maintenant. C’est ce qui est intéressant : on peut, avec un petit budget et une petite équipe, créer et trouver un diffuseur rapidement. On me parle d’une vidéo que j’ai faite au Québec où je me suis levé le matin, j’ai dit à midi que je tournais et l’après-midi on le montait. C’était fait en une journée et on m’en parle encore. Ça va traverser l’Atlantique en une journée car j’ai décidé de me lever et de le faire. Même pas besoin d’une web série, ça marche avec une webcapsule. Quels sont tes futurs projets ? Là, je tourne une série télé appelée Toute la vie. Ça parle de jeunes filles qui tombent enceintes et doivent continuer à aller à l’école et je suis l’un des intervenants. J’ai aussi un show du nom d’Open Mic, un show de stand up à la télé québécoise et un nouveau projet du nom de 60 animé par Kyan Khojandi. C’est mon concept de 60 humoristes en 60 minutes qu’on a vendu à Canal Plus cette année. Sinon, j’ai d’autres projets télé mais en branle et pas encore confirmé Liam Debruel
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Tu es venue avec ton mood book. Peux-tu en parler plus ? Alors, je suis une grande primate donc j’ai imprimé mon scénario et je travaille comme ça car je trouve qu’on peut garder des traces, tu peux mettre des notes, rajouter des dessins et des photos, pour chaque séquence qui m’inspire. Je vois cela comme du jazz : cela ne reste pas gravé dans le marbre mais ça me donne une inspiration. Et j’écris pour des lieux. Cela me touche que tu viennes de Charleroi car je suis tombée amoureuse de ce lieu à Montigny-le-Tilleul. Je l’ai découvert en 2016 car je cherchais un immeuble à côté d’une forêt boisée et Marc Bossart du bureau d’accueil de tournage du Hainaut connaissait ce lieu et m’a envoyé des photos. Je me suis dit « Il faut que j’y aille » et quand j’y vais, le gardien me dit « Il y a un toit au-dessus, est-ce que vous voulez le voir ? ». Je n’avais pas du tout écrit dans le scénario pour voir le toit et du coup, je te montre mes photos de repérage. Sur le toit. Donc du coup, je découvre cet endroit et là, je me dis « wouaw ! ». Cela faisait écho au fait que le film traite d’enfermement, ce que ça voulait dire de sauver quelqu’un, ça parle de la liberté, … Cela convient dans le rapport de Tina avec son père, on suit son premier basculement dans la psychose et elle ne comprend pas cet enfermement car son père est quelqu’un de très libre lui ayant enseigné la liberté. Il dit « La forêt n’est à personne, tout est à nous ». J’ai été touchée par la question de manière personnelle. Si tu veux, la manière dont on parle de la folie, au sens plus intime, cela interroge notre société et quelque part, il a raison. Mon père m’a appris une grande idée de la liberté. Je suis arrivée dans ce lieu et on est monté sur les toits. C’est un vestige de lieu collectif avec des grillages et il y a une histoire. C’était important pour moi de dire qu’il y avait ce lieu qui existait et puis, une fois sur le toit, on voit cette mer d’arbres et je me dis « OK, je réécris ». Ça m’inspire et tout ça est venu par après : l’oiseau, le repère, monter sur le toit, …
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Vero C
Cratzborn Tu parlais de liberté et justement, il y a cette opposition dans ton film entre cette forêt, lieu d’épanouissement des personnages, et d’autres lieux plus resserrés comme la clinique, le supermarché, … Je ne sais pas si j’arrive à m’exprimer correctement… C’est intéressant ce que tu dis car la forêt est aussi pour moi l’endroit où les enfants sont perdus comme dans le Petit Poucet et a donc les deux côtés. Mais il y a cette proximité de la nature qui est importante. On a tourné dans un vrai hôpital. J’ai fait des films avec des soignés, des soignants, une comédie musicale et deux comédies. J’ai tourné dans des institutions sur d’autres sujets que la psychiatrie parce que je pense que les cancéreux ne veulent pas uniquement parler de cancer et ça m’a permis d’entrer autrement dans l’institution car j’y étais venue avant en tant que fille rendant visite à mon père. Du coup, on a eu la chance de pouvoir tourner à l’hôpital de Bayonne dans le
nord. On a tourné là-bas car l’hôpital avait besoin qu’on raconte la réalité d’aujourd’hui. Bien sûr, c’est du point de vue de Gina mais il y a aussi une forme de réalité, un lieu de soin, de travail. Tu me diras si tu as ressenti l’humanité des gens qui travaillent même s’ils ne peuvent pas faire grand-chose. Ce ne sont pas des grands méchants. Justement, je trouve qu’il y a une spontanéité dans le jeu des acteurs. Comment les as-tu dirigés pour que cela soit aussi spontané et empathique ? Déjà, j’ai rencontré Ludivine alors que je l’entendais chanter à un concert. Je l’ai attendue après pour lui parler et on s’est revues le lendemain. On s’est vues comme des personnes et Ludivine a apporté beaucoup de choses. Alban m’a dit oui très vite aussi. Léonie, qui joue le rôle de Gina, sur qui le film repose, je me répète mais celui-ci repose vraiment sur ses
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épaules. Elle venait tout juste d’avoir 16 ans, ce qui nous arrangeait par rapport aux autorisations mais on avait fait, grâce à l’aide de la Fédération WallonieBruxelles et l’aide au développement, un espèce de précasting de filles entre 12 et 14 ans, sachant que ça prendrait du temps de réunir le financement. Donc je connaissais Léonie, je ne savais pas si c’était elle ou pas, mais je l’avais déjà rencontrée. Pour Ludivine et Alban, ça fait 2 ans et demi qu’on se connaît et ils n’ont jamais lâché le projet. On a eu donc l’occasion de se faire confiance mutuellement et de travailler de manière très diverse. Je me suis beaucoup investie, vu que je n’ai pas fait d’école de cinéma, dans des recherches personnelles sur la direction d’acteur. J’ai travaillé avec une personne qui propose une direction d’acteur sur la physicalité, c’est-à-dire les qualités de mouvement. Par exemple, toi qui est là, si tu serres ton poing très fort… (Note du rédacteur : je le fais ^^). Voilà et maintenant, tu ne souris pas et tu baisses la tête s’il te plaît. Tu vas donner une impression sans atteindre mon intérieur, sans dire « Allez, remue ta merde ». Ça, c’est une manière de travailler qui devient
un jeu quand tu travailles avec des enfants. Il y avait cette idée de cocréation du personnage, qu’est-ce que l’acteur donne au personnage. J’ai beaucoup aimé ça. On a donc pu travailler dans des sortes de laboratoires de recherche avec Alban, Léonie et Carl qui joue le rôle de l’amoureux, Nico qui représente pour moi les mecs qui, je ne sais pas si tu es d’accord…. Pour moi, les mecs ont une sorte de pulsion par le regard alors que moi, personnellement, c’est par le toucher que le désir naît et j’ai l’impression que pour les mecs, cela passe plus par le regard. Je me permets de dire que je suis d’accord. Pour les enfants qui étaient plus petits, c’était des vrais personnages. On n’avait pas de coach car on n’avait pas les possibilités financières mais on a eu des rencontres avec les enfants, c’est-à-dire que je pouvais leur parler directement, on a construit le personnage et on a travaillé en se connaissant bien. En amont du tournage, on avait notre partition et on est allés un peu à gauche, à droite. Pour Ludivine, on
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a énormément parlé du personnage, de cette force qu’elle a. C’est une femme d’aujourd’hui, qui aime son mari. J’avais envie de parler de l’amour aussi. Il y a plein de films qui parlent de cette maladie psychique et je suis touchée par ça dans mon intimité. J’avais envie de parler d’une famille qui s’aime, ce qui est le cas de ma famille, et pas de gens qui ont des stigmates. Je pense que ça peut arriver à n’importe qui et c’est pour ça que ça fait peur. Dans mon film, cette maladie psychique est traitée dans le domaine de l’intime, du point de vue d’une adolescente, du point de vue d’un parcours, d’une opposition, d’un déni. Ça veut dire grandir. Qu’est-ce que je lâche ? Qu’est-ce que j’espère ? Et comment je peux vivre seule ? Je peux décider de vivre pour moi et pas pour les autres. C’est tout un trajet qu’on fait parce que quand on aime, en tout cas de cet amour résistant que Gina a pour son père, je dirais aussi pour sa famille entière, ça se construit comme une colonne vertébrale et c’est difficile de lâcher ça. J’avais envie de parler de ça et je ne sais pas si ça répond à ta question.
Non, c’est bien et ça me donne envie de passer à une autre question. Je trouve ça intéressant dans les choix de tes cadres la manière dont la folie rentre dans la normalité et là encore, j’utilise le mot empathie car on en a toujours pour eux, on ressent l’amour qu’ils se portent, que tu portes pour eux comme les interprètes, … Là, j’ai l’impression que c’est moi qui perds mes mots mais comment as-tu fait ces choix au niveau de la mise en scène ? On a dû faire des choix pendant le tournage vu qu’on n’avait pas beaucoup de jours, même si on a eu du temps. On avait deux caméras, une partie du temps. Il y avait la caméra principale tenue par le directeur de la photo et la caméra B, qui était là quand même sur une vingtaine de jours. Cela me permettait d’avoir ces deux regards et d’accueillir les premières réactions. Je travaille dans une forme de picturalité, je te montre si tu veux (montre le mood book). Je vais te montrer par exemple quand ils rentrent à la maison, c’est clairement un plan flippé, c’est ce que j’expliquais
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aussi. Je prends des références et les décale ailleurs. Ici, avant le retour à la maison, c’est John Constable. Ça veut dire qu’on a beaucoup de ciel et tout en bas le paysage. Je travaille dans ce style là et après on accueille ce qui peut venir de la proposition des uns et des autres. Parfois, ça peut devenir très improvisé. Pour le départ en vacances par exemple, il y avait Saskia, la petite qui jouait Nora, qui jouait tout le temps avec la machine à laver en panne qui symbolise le cerveau en panne du père. Je me suis dit qu’on pouvait en faire quelque chose. Il y a donc cette envie de pictural et en même temps le moyen d’accueillir les propositions. C’est donc un va-et-vient entre les deux. Et puis, c’est mon premier film. Il y a des choses où je suis hyper contente et d’autres où je recherche en faisant autrement. C’est un travail d’équipe et de collaboration. Si j’ai bien noté, ton premier passage date de 2005 pour ton court-métrage Week-end. Et avant ça, j’avais été membre du jury des jeunes il y a 20 ans ! Ah oui ! On va quand même parler avec le court-métrage, qui était il y a 14 ans. Comment décrirais-tu ton évolution ? J’ai appris beaucoup de choses à chaque court-métrage. J’ai créé des liens très forts avec les équipes. C’est important de travailler avec des personnes et en même temps d’accueillir d’autres personnes. J’apprends encore maintenant et en 14 ans, on travaille, on a des enfants, la vie nous happe et j’ai encore plein d’histoires à raconter pour des lieux. J’ai déjà des petites idées pour un lieu en particulier dans les Fagnes, assez proche de l’endroit où j’ai grandi. Je ne sais pas si ça répond bien. Ça répond parfaitement. Liam Debruel
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Dans les cercles cinéphiles, on entend son nom résonner régulièrement. « Traîné sur le bitume », le troisième film de S. Craig Zahler, a fait l’effet d’un véritable raz-de-marée pour ceux qui ont pu poser leurs yeux dessus. Nombreux sont ceux qui hurlent au scandale quant à la sortie VOD de l’œuvre, qui de l’avis général aurait mérité une sortie en salle. Mais qui est S. Craig Zahler ? Si le réalisateur fait sensation, il n’en est qu’à son troisième méfait, mais tout le monde semble unanime quant à la qualité de chacun de ses métrages. Affilié à des projets obscurs (il est le scénariste de l’excellent dernier volet de la saga « Puppet Master », aussi culte qu’elle n’est connue que par les fanatiques du genre), plongeons-nous dans ses trois propositions radicales, fleurons d’un film de genre bien marqué. Thierry de Pinsun
Lionsgate/RLJE Films/Ringer illustration
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S. Craig Zahler : vers un nouvel hollywood plus rĂŠaliste et brutal ?
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BONE TOM CLASSIQ Pour son premier long métrage, S. Craig Zahler ne choisit pas la facilité. Le western est un genre exigeant, de par ses codes assez précis, mais aussi de par le fait qu’il est un genre ayant eu un immense âge d’or, et de très nombreuses déclinaisons. Difficile d’exister dans un horizon aussi riche, et nombre de westerns actuels sonnent la redite, aussi peu nombreux soient-ils. Si des exceptions parviennent à nous contredire, force est de constater que le western n’est clairement plus un genre en vogue, et qu’il est difficile d’ajouter un nouveau canon à un style qui a déjà dit énormément. La solution qu’a trouvée le réalisateur ? Mêler les déboires de l’Est américain à un film d’horreur cannibale. Le carcan de l’horreur n’est au final que sur le papier, le film empruntant ses codes avant tout au western. Il n’utilise son postulat original que pour sortir des clichés. L’ouverture du film pose rapidement les bases : deux hors-la-loi en fuite profanent par leur présence
un cimetière indien. L’un est tué, l’autre parvient à s’échapper. Il se fait ensuite arrêté par le Shérif Franklin Hunt (Kurt Russell) qui, après l’avoir blessé, le remet aux mains de Samatha O’Dwyer (Lili Simmons), censée panser ses blessures. Laps de temps suffisant pour que les autochtones débarquent et enlèvent le prisonnier et la pauvre Samantha, juste présente au moment où il ne fallait pas. Une caravane se forme alors au village, composée du Shérif, son adjoint Chicory (Richard Jenkins), Arthur, l’époux de madame O’Dwyer (Patrick Wilson), et John Brooder, un dandy du coin ancien soupirant de la même Samantha (Matthew Fox). Comme beaucoup de westerns donc, on suit avant tout une épopée humaine. Avant de rejoindre leur sort – funeste ou pas -, les compères doivent traverser une partie du pays, l’occasion de jouer avec le caractère désertique de l’Amérique au milieu du 19ème siècle et ses paysages incandescents. Si le travail est fait de
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MAHAWK (2015) : RENCONTRE ENTRE LE QUE AMÉRICAIN ET L’HORREUR HUMAINE ce côté-là, on sent que ce n’est pas ce qui intéresse Zahler. Préférant jouer avec les caractères de ses personnages, et leur vision d’un monde vieillissant qui se prépare à entrer dans l’ère moderne, il soigne avant tout ses dialogues, offrant à chaque comédien de grands moments d’échange. Que ce soient les visions modernes ou archaïques, on comprend le parcours de chaque protagoniste, ses implications, et même les raisons qui peuvent le pousser à accompagner une telle aventure déclarée comme perdue d’avance. Avançant vers l’inconnu, les quatre compagnons vont avoir l’occasion de se connaître, de se souder par des rebondissements habiles, mais aussi de se confronter pour au final s’éloigner de par leur mentalité trop peu compatible.
devoir réfléchir à sa place, sa volonté de continuer, et apprendre à se surpasser pour affirmer cette dernière. Le dernier acte se veut alors beaucoup plus violent, nous tire de la réflexion pour nous ramener dans la réalité, une réalité brutale face à la terreur humaine. On plonge dans le film de genre, celui qui n’est pas avare en effet crasseux qui marquent la rétine, et si tout se finit assez vite, on sort comblé de l’expérience. En choisissant le western comme toile de fond, S. Craig Zahler pose des bases certaines : il peut alors étirer son intrigue, nous confondre quant à l’endroit que nous allons découvrir, pour nous impliquer plus encore lorsque le film explose. On comprend alors pourquoi le réalisateur a été repéré dès son premier long, qui annonce du bon pour la suite.
La tribu cannibale, au final, n’est qu’une manière de confronter les personnages à leur propre mortalité. Conscients qu’ils filent vers l’échafaud, chacun d’eux va
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SECTION 99 (2017) : LA CRIMINALITÉ, CERCLE VICIEUX ET PIÈGE IMPITOYABLE
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On change immédiatement de genre avec Section 99. Si l’imagerie froide et crasseuse de Zahler est là, il s’agit cette fois-ci d’un contexte contemporain et carcéral. Nous suivons Bradley Thomas (Vince Vaughn), ancien boxeur au quotidien incertain. Il vient de perdre son travail, apprend que sa femme Lauren (Jennifer Carpenter) le trompe, et si le couple décide de se laisser une seconde chance, c’est à la condition de décisions drastiques pour redresser la barre financièrement. Lui qui a été le complice de larcins divers reprend contact avec un ami trafiquant de drogues, et devient sa mule. Tout se passe pour le mieux, et le quotidien semble sous les meilleures augures. Mais un mauvais choix va faire tourner court un deal mal engagé, et Bradley se retrouve en prison. Alors que l’on n’a pas encore atteint le point d’ancrage de la narration principale, l’introduction nous met déjà dans une ambiance froide, où tout le monde agit pour sa survie. Si le couple Lauren/Bradley semble aller pour le mieux, on sent que leur passé trouble les hante, et qu’ils sont juste heureux de ne pas en payer certaines conséquences. La prison ne leur semble même pas un obstacle, et on devine que ce passé a dû être bien plus lourd à surmonter. Grâce à une mise en scène et des dialogues habilement construits, Zahler nous dévoile ses personnages sans avoir à nous les raconter. Une fois passées les portes de la prison, Bradley reçoit la visite d’un homme de main (Udo Kier, habitué des films de genre, et dont la collaboration avec Zahler s’étend également sur Puppet Master et Traîné sur le bitume) qui lui annonce ce qui va devenir le fil rouge du métrage : sa femme a été enlevée, et pour qu’elle soit sauvée, Bradley doit tuer un homme situé dans une autre prison, de haute sécurité.
La narration va alors s’effectuer en niveaux, chaque affrontement permettant de passer à l’étape supérieure. Bradley doit jouer de violences de plus en plus ignobles pour être premièrement transféré dans la prison de haute sécurité, puis dans le quartier d’isolation de la même enceinte. De provocations entre prisonniers à attaques directes envers les gardes, il doit passer pour le plus dangereux possible, tout en tentant de garder un soupçon d’humanité malgré la conviction qu’il doit abandonner tout ce qui fait de lui un homme sain pour arriver à ses fins. Il devient alors un réceptacle, une âme creuse destinée à un but qui ne fait qu’avancer dans ce sens. Massif à souhait, Vince Vaughn est impressionnant dans le rôle, qui lui permet par ailleurs de sortir des ressorts comiques dans lesquels il a été trop souvent affilié. Il incarne à la perfection un homme brisé, vide de tout éclat, et cette froideur qui nous fascine peine également à nous accrocher. Le film se voulant désincarné au possible, il n’y a que peu d’éléments, si ce n’est la quête principale, qui nous attachent aux personnages. Condamnés à subir autant que Bradley, la volonté du film de nous faire vivre un parcours glacial dans les tréfonds de l’inhumanité est une franche réussite. On en ressort mitigé, mais le ressenti et la réflexion autour de ce qu’évoque le métrage semble le sentiment exact. On retrouve le goût certain de Zahler pour la violence très graphique, notamment sur l’écrasement de têtes que l’on avait déjà vu dans Bone Tomahawk et qui ici devient quasi-systématique. Plaisir que de retrouver un Vince Vaughn plus charismatique que jamais, et de le voir à l’affiche du troisième film du réalisateur.
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Affiche qu’il partage avec ce qui est annoncé comme le grand retour de Mel Gibson. Celui-ci se retrouve dans un crépuscule dépressif, et nous semble à deux doigts de sombrer dans la folie furieuse. On y retrouve un émule de son personnage de Martin Riggs, pilier de l’Arme Fatale, avant que les épisodes ne tombent dans l’humoristique. À l’image de Section 99, le film est un enchaînement de mauvais choix. Avant de revenir sur le duo policier principal de l’intrigue, et des deux comédiens pré-cités, la caméra s’attarder sur celui qui va devenir un antagoniste malgré lui. On nous offre un parallèle sur le portrait d’Henry John, fraîchement sorti de prison, qui redécouvre avec sa liberté un chaos plus grand encore. Lui qui pensait avoir suffisamment d’économies pour repartir du bon pied découvre que sa mère a tout dépensé en drogues, contrainte de se prostituer pour assurer loyer et dépenses quotidiennes. Il va alors décider de reprendre une vie criminelle, à l’instar de Bradley Thomas dans Section 99. De larcins toujours agrémentés d’une violence très brutale (et évidemment montrée comme telle), il va s’approcher d’un groupe affairé à un gros braquage. L’arc principal rejoint peu à peu celui d’Henry. Après une arrestation peu conforme aux règles d’éthique, Brett Ridgeman (Gibson) et Anthony Lurasetti (Vaughn) se retrouvent suspendus suite à la divulgation d’une vidéo sur le réseau télévisuel. Rejetés par un système qui fermait gentiment les yeux tant que les méthodes effectuées n’étaient pas exposées au grand jour, nos deux policiers perdent immédiatement toute foi envers ceux pour qui ils ont tout sacrifié, y compris leur sens moral. Ils n’ont alors d’autre recours que de se tourner vers la criminalité. Brett va utiliser un de ses contacts (petit retour d’Udo Kier devant la caméra de Zahler, et toujours un plaisir) pour se renseigner sur le casse qu’Henry John organise, et va convaincre son partenaire de coiffer les braqueurs au poteau, s’attirant à eux le butin désiré. Volonté d’hyper-réalisme, Traîné sur le bitume se refuse constamment au spectaculaire. Quand une prise
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TRAÎNÉ SUR LE (2018) : QUAN N’EXISTE PLUS
E BITUME ND LA VERTU S
d’armes a lieu, point de fusillades jouant avec la mise en scène, juste quelques tirs, des corps démembrés. On retrouve dans cette volonté de coller le plus possible à la réalité l’héritage d’un Heat de Michael Mann. C’est surtout dans ses dialogues que le film s’étend, et dresse un portrait d’une Amérique en proie à tous les vices. Zahler y décrit celle qui ne propose aucune réinsertion pour ces criminels, les abandonnant dans un système punitif ne leur offrant comme unique solution qu’une reproduction des schémas ; mais aussi celle qui encourage ses fonctionnaires, ne serait-ce que par la précarité dans laquelle leur carrière évolue, à se tourner vers la corruption. Ridgeman et Lurasetti ne sont pas juste deux flics blasés à la recherche d’un peu de biff, ce sont avant tout les fruits d’un système hautement imparfait, où la culture capitaliste les pousse à toujours vouloir plus. Une Amérique en proie à ses propres démons, à sa violence sociétaire omniprésente, et qui ici est montrée sans le moindre détour. C’est cependant en voulant nous plonger dans un quotidien détaillé au plus près que Zahler nous perd. Si ces scènes interminables servent la tension, les climax brutaux qui peuvent survenir d’un moment à l’autre, il en résulte un rythme qui peine à maintenir une concentration totale. Tout ce qui est décrit et démontré n’a que peu d’égal, mais la manière peut parfois en être pénible, même si elle renforce les moments forts par le caractère abrupt de leur apparition. Trois films loin d’être parfaits, mais proposant des expériences radicales et inédites. S Craig Zahler ne démérite pas sa réputation, tant ses films sont empreints d’une personnalité forte. Un regard impartial sur la violence, toujours brute et amère, véritable miroir d’une société de plus en plus encline à tomber dans les tréfonds. Pessimiste, le cinéaste reste loin des carcans habituels, et nous apparaît clairement comme un talent à suivre.
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Na Hong Jin, Le misanthrope violent
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Park Chan-Wook, le psychopathe romantique
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C’est dans tous les esprits, et suffisamment bluffant pour le citer une fois encore : « Parasite » de Bong Joon-Ho est un véritable carton hexagonal. L’effet Palme d’Or lui aura donc été bénéfique (chose pas forcément évidente tant certains films du festival n’ont pas forcément eu de rayonnement après leur remise de prix) et va surtout amener une visibilité – du moins, on l’espère – au cinéma coréen dans les années à venir, avec des distributeurs moins frileux. 1,7 million d’entrées en France à l’heure où ces lignes sont écrites, ce qui est clairement un record pour le cinéma coréen. Surtout quand le film proposé, même s’il reste accessible, s’inscrit dans le pur cinéma de genre. C’est cela dit ce que nous connaissons de mieux du cinéma coréen. Pour l’occasion, nous allons nous pencher sur deux représentants du film de genre, Na Hong-Jin et Park Chan-Wook.
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Thierry de Pinsun
Na Hong Jin, Le misanthrope violent
THE CHASER (2008) : LA POURSUITE RÉDEMPTRICE Avec « The Chaser », Na Hong-Jin réinvente le monde du thriller avec une œuvre sans la moindre pitié. Le cinéma coréen, comme on va pouvoir le voir, est réputé pour sa capacité à ne jamais imager ce qu’il veut montrer. Si tant est que l’on soit dans un film de genre assez connoté, horreur, polar, thriller, on est immédiatement emporté dans une spirale où la violence devient graphique. Combinée à la direction d’acteurs typique coréenne, les poussant souvent dans leurs retranchements et pouvant être totalement comparée à du cabotinage sur des films avec nos standards, cette violence participe à l’identité d’un genre auquel nous sommes, finalement, peu habitués. L’histoire est celle de Jung-Ho, ancien flic véreux reconverti en proxénète, qui lors de la disparition d’une de ses gagneuses va mener l’enquête pour la retrouver. Au commissariat, alors qu’il tente d’éprouver ses anciens collègues pour les mêler à ses recherches, il assiste aux aveux d’un homme alors arrêté pour délit mineur. Ce dernier avoue le meurtre de deux femmes, et Jung-Ho, pris dans un accès de rage, se persuade qu’il est face au coupable. Torture, tant physique que psychologique, chasse à l’homme, et surtout énorme course contre la montre par trois portraits haletants. Celui de Jung-Ho, impuissant face à la police qui le laisse face à lui-même faute de preuves, et qui sait qu’il doit agir pour vite pour retrouver la disparue. Celui de
Mi-Jin, la fille séquestrée, qui tente de s’enfuir de sa prison et découvre au fur et à mesure le sort qui risque de lui être réservé. Celui de Yeong-Min, dont l’intrigue annonce dès son départ qu’il est le coupable, qui doit tenter de fuir pour retrouver sa victime et parfaire son œuvre. Chose que l’on remarquera dans le cinéma de Na HongJin, dès l’instant que la spirale débute, il est impossible de décrocher de son siège. Les mains deviennent moites, les ongles acérés s’accrochent à l’accoudoir, et si on se languit d’avoir enfin du répit tant la violence nous accule, on est totalement happé par l’écran, et la gêne ressentie est aussi due à la problématique que pose le film. Ce dernier met en avant une question simple : Quel extrême faut-il atteindre pour réaliser les conséquences de nos excès ? Quelle empathie peuton réellement ressentir pour Jung-Ho, lui qu’on nous présente tel un proxénète sans scrupules, qui ne se sent responsable que parce qu’il a forcé la victime à assouvir une nouvelle bassesse là où cette dernière lui avait déjà mentionné sa volonté d’arrêter son activité dégradante ? La métaphore de ces excès du quotidien qui doivent atteindre leur limite la plus infâme pour que nous les réalisions laisse une impression amère, et nous tend un miroir acerbe. Une personne telle que Jung-Ho méritet-elle la rédemption pour ses actes présents face à ses actes passés ?
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THE MURDERER (2011) : OU QUAND LE MEURTRE EST LA VOIE VERS L’ABSOLUTION Pour avoir des idées de réponses, allons vers un autre film utilisant de manière détournée le sacrifice et la repentance, en se dirigeant vers le second long métrage du monsieur, « The Murderer ». Ici, on suit GuNam, expatrié coréen tentant de survivre au Nord de la Chine en tant que chauffeur de taxi. Criblé de dettes de jeu, il se voit confier par un mafieux local un contrat d’assassinat, moyennant une récompense pécuniaire qui pourrait l’aider à se relever de cette passe trouble. Retour en Corée donc pour exécuter le contrat, l’occasion pour lui de rechercher son épouse, retournée au pays quelques temps auparavant pour trouver elle aussi une solution à leurs déboires, et dont il est sans nouvelles depuis. Gu-Nam va alors se concentrer sur sa mission, repérer sa cible, apprendre son quotidien pour savoir quand attaquer, mais également se perdre dans ses fantasmes, l’esprit embrouillé quant au sort de sa promise qui a peut-être tout simplement refait sa vie sans lui. Le film est donc partagé entre une errance sentimentale, où le personnage est constamment confronté à ses doutes, masquée derrière le filtre du polar et d’une action frénétique qui, à l’instar de « The Chaser », ne laisse aucun moment de répit. Comme on s’en doute, l’assassinat ne se passe pas comme prévu, et Gu-Nam se retrouve rapidement pourchassé. À partir de cet instant, le rythme s’emballe, l’action devient suffocante,
dans une volonté de nous montrer l’incompréhension de notre héros face à la violence qui lui est exigée. Le montage devient alors épileptique : ça coupe de partout, les coups portés sont perçus comme des flashs qui envahissent le champ, et la confusion de Gu-Nam se mêle à la nôtre. Pourtant, dans ce flot de plans en tous genres qui se succèdent à une vitesse folle, tout est limpide. On n’est jamais perdu dans l’espace, et on comprend ce qui se passe. Na Hong-Jin comprend l’action et sait la filmer en utilisant pourtant un montage épileptique. D’un aspect plus simple, le film sortant rarement de ses rails et étant une fuite en avant constante, « The Murderer » s’éloigne de son prédécesseur tout en en conservant ses thématiques. Ainsi, nous y voyons un personnage qui cherche son propre salut en acceptant une chose qui ne peut en aucun cas lui apporter la paix. En nous offrant le portrait d’un homme précaire prêt à tout pour survivre, il nous mène dans un engrenage malsain : on ressent de l’empathie pour un salaud. En deux films, l’humanité que nous décrit Na Hong-Jin est désastreuse, disloquée. Son pessimisme nous ramène à nos propres bas instincts quant à la constatation fatale : s’il nous décrit des personnages que nous sommes contraints de détester, nous sommes hautement divertis, et on en veut encore plus. Le miroir blesse, et lui laisse le champ libre pour l’accusation.
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Na Hong Jin, Le misanthrope violent
Avec « The Strangers », Na Hong-Jin s’éloigne énormément du genre des deux premiers films, en faisant une plongée dans le folklore et le fantastique. Jong-Goo, policier dans une petite bourgade, se retrouve confronté à une enquête sur des meurtres d’une violence intense et dont le caractère étrange le pousse vers des conclusions loin d’être conventionnelles. Face à des éléments qui le dépassent, ses premiers soupçons vont se porter vers un Japonais, installé depuis peu dans le village. Jong-Goo va alors tout faire pour faire partir l’étranger qu’il considère responsable de ses malheurs, sous la simple base d’une xénophobie primaire. On va alors aller vers des moments où il va proférer des menaces directes pour le faire partir, une attaque sur l’animal domestique du Japonais, et des accusations diverses sans fondements, jusqu’à l’extrême. Ce miroir nous renvoie à notre propre xénophobie, qu’elle soit violente ou juste inconsciente, de ses petits réflexes sur stéréotypes qui nous font proférer des insanités légères mais au final, tout aussi toxiques, ici évidemment montrées dans leur travers le plus viral.
mysticisme, Na Hong-Jin se perd dans ses divers récits, et tente de brouiller les pistes jusqu’à devenir brouillon dans sa narration. Les troubles parsèment le récit pour le rendre lourd. Possession, rites chamaniques, mythe du démon, énormément de thématiques qu’il tente d’ancrer dans un réel troublant, pour finalement nous perdre. Nul doute que la tentative est volontaire, mais le ressenti dans la confusion prend trop souvent le pas sur l’appréciation du métrage.
Pourtant, Na Hong-Jin nous régale d’une mise en scène inventive. Toujours surpris, notre regard est régulièrement sollicité pour une approche différente, qui à l’instar de « The Chaser » renouvelle les genres auxquels elle s’attaque. Le film est long et prend le temps de développer ses actes, avec un ton qui change radicalement à chacun d’eux. Il est donc impossible de s’ennuyer, le reste n’étant que sujet à appréciation. En trois films, Na Hong-Jin a réussi à imposer une patte unique, et des tentatives de cinéma fortes, faisant clairement écho et honneur à ses comparses coréens, devenant ainsi un réalisateur à suivre, dont les prochains Si ce message passe, il reste mineur, et plongé dans travaux nous feront, assurément, vibrer. un fouillis bien plus dense, laissant une impression d’incompréhension tout du long. En tentant la carte du
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JOINT SECURITY AREA (2000) : LA POLITIQUE OU L’ART DE LA RACONTER
Avec Park Chan-Wook, on est face à un auteur bien plus connu dans nos contrées, ne serait-ce que par la renommée que l’excellent « Old Boy » lui a apportée à sa sortie. Entre violence, décadence, des genres oscillant entre le conte morbide et le polar noir, sa filmographie est dense, et très intense. Son goût pour les récits alambiqués, où les pistes se brouillent et où chaque rebondissement est imprévisible fait partie de sa signature, comme nous allons le voir dans ce premier film abordé.
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Park Chan-Wook, le psychopathe romantique
« Joint Security Area » est probablement le film le plus « terre-à-terre » de son réalisateur. L’action se situe dans le JSA, la zone démilitarisée séparant les deux Corée, lorsqu’un détachement suisse est dépêché pour enquêter sur un étrange incident impliquant des soldats des deux bords. Un soldat du Sud, déclarant avoir été fait prisonnier, a abattu deux soldats du Nord lors d’un affrontement aux détails flous. On suit donc Sophie Jean, agent suisse d’origine coréenne chargée de décortiquer au travers des différentes entrevues qu’elle va réaliser ce qui a bien pu se passer. On découvre les événements au travers de flashbacks qui prennent de l’ampleur à chaque nouvelle personne interrogée, et les éléments s’imbriquent avec plus de véracité au fur et à mesure que les masques tombent. Si le procédé narratif peut faire penser à « Rashômon », où Akira Kurosawa s’amusait à nous offrir un récit différent d’une action selon les personnes qui en étaient témoins et leur condition sociale, les faits à dévoiler de « Joint Security Area » sont masqués par des personnes souhaitant avant tout que nulle vérité ne soit découverte. Il s’agit donc ici de comprendre l’histoire ayant pu mener à de tels événements que les faits de la tragédie eux-mêmes. Sur les détails de l’histoire, Park Chan-Wook utilise la condition entre les deux Corée, terreau fertile à tout cinéaste de la presqu’île. Engagement politique quant à l’absurdité des relations entre deux faces d’une même nation dont les habitants n’ont aucun droit de communication, et sont régis par des enjeux qui ne les concernent, au final, qu’à peine, il va nous montrer une histoire d’amitié impossible. Ce thème cher aux coréens, on le voit régulièrement et dans différents cadres. On l’a
vu récemment dans le sport, avec « As One », ou dans l’espionnage, avec « The Spy Gone North », pour ne citer qu’eux. Le récit va donc être un amoncellement de flashbacks, détaillés selon le point de vue du narrateur de chaque chapitre. Si le procédé est intelligent, permettant d’ailleurs de répéter plusieurs scènes sans une quelconque impression de lassitude, le scénario reste classique, et au-delà de quelques tours de passepasse ne marque pas immensément les esprits. C’est donc sur un point technique que Park Chan-Wook va réussir à susciter les convoitises des cinéphiles. Le premier exemple que l’on peut citer pour représenter le propos est une tentative de suicide, qui survient au début du film, lorsque le soldat interrogé pour l’assassinat préfère en finir plutôt que de devoir dévoiler son histoire. Lors d’un plan filmé au ralenti, on voit d’abord la défenestration de l’intérieur, avant que la caméra ne virevolte autour du personnage dans un arrondi à 180 degrés, le temps d’aller en extérieur pour monter en zénithal et regarder le pauvre tomber. Une scène que l’on a vu des centaines de fois, mais ici montrée de manière totalement originale. On pourrait la penser voyeuriste, tant il s’agit d’une scène qu’il est amoral d’esthétiser, mais comme on l’a déjà vu, le cinéma coréen a une tendance à aller plus loin dans la violence et le malaise pour nous mettre face à nos limites. Le film est donc parsemé de cette mise en scène particulière, qui relève l’histoire assez convenue. Véritable carte de visite, elle est une preuve que le cinéaste va lui aussi expérimenter, tant dans la manière de raconter son scénario que de le montrer.
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La Trilogie de la vengeance, point d’or Et forcément, quand on s’attaque à la trilogie de la vengeance, parcelle la plus connue de l’auteur , on sait que niveau mise en scène, on va être servi. On va retrouver dans ces trois films des similitudes et thèmes très chers au cinéaste : la vengeance (évidemment), la manipulation – tant pour les personnages que pour le spectateur -, mais aussi l’amour, dans son aspect le plus beau comme le plus malsain.
petite, qu’il n’a pas encore rendue à son père, tombe à Dans un récit volontairement décousu, nous suivons l’eau et meurt noyée. Ryu, sourd-muet vivant avec sa sœur malade. Cette dernière ayant besoin au plus vite d’un greffe de rein, La vengeance est donc à double sens. D’un côté, Ryu Ryu va s’associer à des malfrats censés, moyennant ses va remonter la piste des malfrats lui ayant volé son rein dernières économies, lui procurer l’organe convoité. Le et forcé à partir sur un chemin encore plus sinueux, destin va se retourner contre lui, et Ryu va se réveiller au et de l’autre, Dong-Jin va remonter celle de Ryu pour milieu de nulle part, nu, et un rein volé. Désespéré, et venger la mort de sa fille. Plus les étaux se resserrent, découvrant qu’il est possible d’opérer la greffe par voies plus la violence devient difficile à supporter, sans légales mais moyennant une somme qu’il n’a pas, il va pour autant qu’elle ne soient encline, comme ce sera de nouveau tenter l’impensable : kidnapper un enfant pourtant le cas dans les autres films de la trilogie, à pour exiger une rançon. L’enfant, c’est la fille de Dong- une certaine gratuité visuelle. On pense notamment à Jin, ancien patron de Ryu qui l’avait alors licencié. Et si ce une séquence de torture par électrocution, où le son, dernier paie la rançon de manière quasi-immédiate, ce particulièrement les cris, suffisent à générer le malaise. qui pourrait laisser entrevoir un dénouement « heureux Dans cet amoncellement de scènes choc, on ne sait plus », c’est sans compter sur la sœur de Ryu, qui découvrant où donner de la tête, et surtout, on ne sait pas à quel ce que son frère a manigancé pour elle décide de personnage se rattacher. À l’instar de Na Hong-Jin, Park mettre fin à ses jours. L’ascension de violence n’est pas Chan-Wook fait preuve d’une certaine misanthropie encore amorcée que déjà, les dominos se mettent en quant aux protagonistes qu’il met en scène. Qui est place. La point d’orgue sera le moment où, alors que ce fameux « Monsieur Vengeance » pour lequel nous Ryu va enterrer sa sœur sur les bords d’une rivière, la sommes censés éprouver de la sympathie ? Si le choix se situe entre celui qui, malgré une envie honorable de sauver sa sœur du trépas va condamner un enfant à la mort, et celui qui pour venger la mort de son enfant va aller jusqu’à la torture viscérale, il devient rapidement impossible d’approuver son attachement.
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rgue de la carrière de Park Chan Wook
SYMPATHY FOR MR VENGEANCE (2002) : L’AMORCE GLACIALE (SPOILERS)
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OLD BOY (2003): L’IMPOSSIBILITÉ DE REPRENDRE SON SOUFFLE
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Cette pensée dérangeante, celle qui nous dit qu’il y a toujours deux facettes d’une même personnalité, et que l’on ne peut choisir de racheter quelqu’un si l’on doit prendre en compte toutes ses décisions, tiraille et obsède durant « Old Boy ». Ici, on est pris au piège, enfermé aux côtés de Oh Dae-Su, kidnappé et séquestré durant quinze ans sans aucune raison annoncée. Libéré tout d’un coup sans qu’on en sache plus, on va suivre le parcours d’un homme totalement perdu qui va tenter de remonter les diverses pistes qui s’offrent à lui pour comprendre pourquoi il a subi un tel sort. Et si l’on accepte de suivre ce personnage avec autant d’entrain, c’est que l’on a subi son calvaire. On l’a vu compter les jours dans sa cellule, narrer ses souvenirs pour ne pas perdre la boule, on est littéralement accroché à son destin et prêts à tout accepter pour découvrir la vérité. C’est d’ailleurs à ce moment-là, lorsque les doutes commencent à nous habiter, alors qu’Oh Dae-Su a retrouvé son ravisseur et entame les discussions avec lui, que ce dernier lui pose la problématique qui ne nous avait pas traversé l’esprit : il ne s’agit pas de se demander pourquoi notre héros a été enfermé depuis quinze années, mais pourquoi, tout d’un coup, il a été libéré. Et alors que l’on pensait avoir résolu une bonne partie de l’énigme, les pistes se brouillent à nouveau, on est perdu, désarçonné par un réalisateur qui prend un malin plaisir à nous manipuler. La vengeance que nous suivons en réalité est celle de son antagoniste, et tous les éléments dévoilés sont les exécutions d’un plan
qu’il a imaginé, attendant patiemment de pouvoir jouer ses cartes. Scénaristiquement, « Old Boy » est un puzzle qui joue constamment avec ses pièces, que l’on pense imbriquées avant de réaliser que nous n’allions pas dans la bonne direction. La narration joue constamment avec cette inconnue qui nous taraude, construisant une histoire imprévisible. Elle est également au service d’un visuel riche, avec un auteur qui n’hésite pas à tenter tout ce qu’il peut avec sa caméra. Adapté très librement du manga de Nobuaki Minegishi et Garon Tsuchiya, « Old Boy » va très régulièrement adapter son travail du cadre à l’exercice de la case de bande dessinée. Le passage qui marque tous les esprits reste celui du marteau, où Oh Dae-Su traverse un couloir jonché d’ennemis qu’il élimine un par un afin de se frayer un chemin. Si le passage est filmé dans un plan-séquence constitué d’un travelling latéral, le cadre semble fractionné, délimité par les différentes portes, ce qui donne l’impression justement de passer d’une case à l’autre. Avec une violence très graphique, Park Chan-Wook joue de ces artifices, offrant des gros plans qui rappellent ceux de la bande dessinée, et en profite pour exagérer l’émotion, trouvant souvent sa voix dans l’absurde, le grotesque. En cela, « Old Boy » est une œuvre complète : un bijou de mise en scène toujours inventif, qui n’est cependant pas à mettre entre toutes les mains, et une histoire improbable, de celles que l’on ne découvre que trop peu souvent, qui nous retourne à mesure qu’elle nous met à l’épreuve.
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Dernier volet de la trilogie, « Lady Vengeance » en est également son opus le plus faible. Il n’en reste pas moins une œuvre aux qualités indéniables. Nous suivons Lee GeumJa, condamnée dès son jeune âge à la prison pour le kidnapping et le meurtre d’un enfant. On apprend rapidement son innocence, et s’en suivra une libération qui sera le déclencheur pour la préparation de sa vengeance, elle qui connaît le réel coupable. Le récit se déroule donc en deux parties : la carcérale, où s’enchaînent des scènes de violence qui feraient passer « Orange Is The New Black » pour un soap pour ados, et la libertaire, où les pièces formant le plan de vengeance de Lee Geum-Ja prennent peu à peu forme. Et c’est sûrement là le premier souci que va avoir le métrage : là où l’on a été habitué à de la surprise et des scénarios alambiqués, « Lady Vengeance » reste sur des gros rails et ne les quitte jamais. Le film en est donc plus lisible, mais s’avère assez fade face à l’éloquence de ses prédécesseurs. Park Chan-Wook enchaîne les moments chocs qu’on lui connaît, et essaie d’y apposer une certaine forme de grâce, avec une héroïne pour laquelle il a bien d’animosité que ses précédents personnages. On le voit dans ce que beaucoup considèrent comme le principal défaut du film : le manque d’ambition dans l’exécution de la vengeance. En effet, celle-ci sera simple, calculée mais sans grandes fioritures comme on a pu le voir précédemment. Sans y retirer un aspect malsain, maintenu dans la forme et le caractère « collectif » de cette dernière, il ne s’agit pas d’un plan élaboré destiné à la souffrance mais un réel exutoire, animé par des sentiments qui, s’ils sont extrêmes, peuvent se joindre à un sentiment de compréhension que l’on éprouve face à la situation. Avec sa trilogie, Park Chan-Wook dresse différents portraits, reflets d’une humanité auto-destructrice et d’une cruauté maladive. Malgré le caractère plus posé de « Lady Vengeance », chaque film est un véritable concentré de violence dont on ne ressort pas indemne et sur lesquels il faut aller prévenu. Une panoplie de métrages unique, montrant une fois de plus que le cinéma coréen a une personnalité très particulière. Et après une période aussi prononcée dans sa carrière, on est en droit de se demander ce que le réalisateur va pouvoir proposer pour pouvoir sortir d’une image qui risque de trop le suivre.
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LADY VENGEANCE (2005) : QUAND LA VIOLENCE SE CONJUGUE AU FÉMININ 117
JE SUIS UN CYBORG (2006) : LA COMÉDIE IMPROBABLE Changement radical de ton ! « Je suis un cyborg », et sa proposition plus qu’étrange, va aller s’inscrire dans le cadre d’une comédie visuelle excessivement loufoque. Nous suivons Young-Goon, une jeune femme encline à la folie, qui se persuade qu’elle est une entité robotique. Internée en hôpital psychiatrique, elle va alors lutter par convictions contre sa propre survie : refusant catégoriquement de s’alimenter parce que « les robots ne mangent pas », sa santé décline, et Il-Soon, un autre patient, va tout faire pour la convaincre qu’elle est bien humaine. Park Chan-Wook va jouer avec les codes de la comédie romantique, sans oublier de s’axer vers le drame lorsqu’il s’agit d’aborder les thèmes de la folie, qui sont tout sauf humoristiques. Ainsi, les passages comiques sont avant tout ceux qui se passent dans la tête des patients de l’hôpital, où leur imagination et leurs fantasmes prennent les devants. Dès qu’il s’agit de partir dans le fantasque, il s’en donne à cœur joie, et nous gratifie de séquences plus explosives les unes que les autres. Jouant avec le surjeu constant de ces acteurs pour que le loufoque devienne étouffant, on devient rapidement gêné par ce que l’on voit tant Young-Goon s’enferme dans sa persuasion, ne réalisant plus sa santé déclinante. L’occasion de se demander ce qui fait de nous des humains, et si toutes les choses que nous appliquons au quotidien sont réellement doté d’un certain sens logique. Pour autant, « Je suis un cyborg » reste une curiosité, ancré dans ce que le cinéma asiatique peut proposer de plus fou avec ses particularités propres, ce qui le rend très difficile d’accès. On ne peut blâmer ceux qui peuvent qualifier l’œuvre de beaucoup trop abstraite, voire d’une certaine débilité dont l’humour accentue totalement cet aspect. Une pause intéressante dans la carrière de son auteur, mais qui malheureusement s’oublie vite.
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Park Chan-Wook, le psychopathe romantique
THIRST (2009) : APOGÉE ROMANTIQUE Les cinéastes coréens ont toujours eu une passion non dissimulée pour la culture française. Pour « Parasite », d’ailleurs, Bong Joon-Ho parle de ses nombreuses influences dans le cinéma français, la plus évidente restant « La Cérémonie » de Claude Chabrol. La littérature hexagonale est également un terreau fertile pour Park Chan-Wook puisqu’il décide avec « Thirst » d’adapter librement « Thérèse Raquin », une nouvelle d’Émile Zola. Pour parler de l’amour auto-destructeur, de ces amants qui s’adorent autant qu’ils ne peuvent se supporter au point de décider d’en mourir ensemble pour mener leur passion à l’éternité, il contextualise son histoire en y intégrant le mythe du vampire. Ainsi, nous suivons Sang-Hyun, prêtre catholique qui, suite à une participation volontaire pour tester un antivirus, s’approche doucement de la mort, pour être miraculeusement sauvé par une transfusion sanguine. On va donc assister progressivement à sa tombée dans le vampirisme, le scénario cochant peu à peu les cases du mythe avec un angle légèrement biaisé, offrant un regard neuf et très cynique. L’humour noir est omniprésent, prenant souvent des formes que l’on n’aurait que peu imaginé. On prend pour exemple les passages où, pour ne pas rentrer dans un cercle de violence afin d’assouvir sa soif, et de conserver sa foi, Sang-Hyun choisit d’aller siroter le sang de patients
d’hôpitaux dans le coma. Le mythe du vampire n’étant rien sans son romantisme mélancolique, notre héros va vite s’enticher de Tae-Ju, la fille d’un ami, qu’il va entraîner dans sa démence maladive. C’est alors que les deux faces d’une même légende, totalement contradictoires, vont se mettre en place. D’un côté, nous avons celui qui tente de garder une voie juste, sans violence, et parvient tant bien que mal à calmer ses pulsions les plus primaires. De l’autre, celle qui se découvre de nouvelles envies, un nouveau goût pour la violence et le meurtre sanguinaire, et ne compte pas s’en priver. Rite initiatique, passage quasiment toujours récurrent du film de vampire, où celui qui a offert l’immortalité doit en faire comprendre le prix à la nouvelle venue dans ce monde de trouble, cette attirante malédiction. Forcément, la violence va croître au fur et à mesure que Tae-Ju refuse l’enseignement et s’enferme dans une cruauté sans nom pour étancher sa soif. Park Chan-Wook joue aux amours impossibles, au romantisme désespéré qui parcourt son cinéma de part et d’autre, tant par des aspects cruels (« Mr Vengeance », « Old Boy »), que par d’habiles stratagèmes qui vont leur permettre d’exister.
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MADEMOISELLE (2016) : ABOUTISSEMENT ET PURETÉ ARTISTIQUE Petit aparté aux États-Unis avec « Stoker », malheureusement bien dispensable. Si l’on y reconnaît la patte de Park Chan-Wook, son style est lissé au possible, le rendant bien trop sage face à ses ambitions. Avec des acteurs au jeu bien trop sage et aux antipodes de ce que l’on pourrait exiger d’eux, on retient une photographie impeccable et une histoire correcte, à défaut d’être rapidement oubliée. Le film ne recevra pas d’ailleurs un accueil très convaincant, rentrant au minima de ses frais. Retour en Corée donc, pour « Mademoiselle », qui est non seulement son projet le plus ambitieux, mais aussi le plus abouti. Le film se passe sous l’occupation coréenne, où un escroc reconnu dans les bas-fonds coréens, le « comte Fujiwara », va pour sa prochaine arnaque embaucher une jeune voleuse, Sook-Hee, bilingue coréen/japonais. Le stratagème est simple : mettre Sook-Hee comme domestique au service de Hideko, une héritière japonaise et la convaincre d’épouser Fujiwara, ce dernier ayant l’intention, une fois la tâche accomplie, de faire passer Hideko pour folle et la faire placer afin de pleinement profiter, en temps qu’époux, de son héritage. Évidemment, tout ne va pas se passer comme prévu lorsqu’une passion va naître entre les deux jeunes femmes. De complot en
complot, de machination en machination, l’intrigue prend peu à peu forme à travers le point de vue de chaque protagoniste, pour un récit divisé en plusieurs parties. Park Chan-Wook peut alors jouer avec les aspects de son récit pour y mêler nombre de ses obsessions habituelles. On va y voir la vengeance, la passion, les récits alambiquées où les pistes sont constamment brouillées, et un goût pour le malsain qui se dévoile peu à peu, malgré une certaine retenue. Évidemment, certains passages ont leur lot de malaise, mais sont tout autre face au cinéma auquel nous avons été habitué. Avec sa retranscription exemplaire de l’époque – jusqu’à, en France, une couleur de sous-titres différente selon que le dialogue soit en coréen ou japonais, pour justement expliquer les difficultés linguistiques sous l’occupation -, Park Chan-Wook s’offre un rythme et une esthétique contemplatives, qui dénotent de ses anciens travaux. En divisant son film en chapitres distincts, le réalisateur nous permet d’aborder chaque point de vue, et surtout jouer sur les angles. Certaines scènes peuvent alors être visionnées à nouveau, du point de vue d’un personnage différent, et trouver alors un tout autre sens. C’est avec
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Park Chan-Wook, le psychopathe romantique
ce terrain de jeu basé sur les non-dits et les doubles jeux qu’il va s’amuser à jouer avec nos nerfs, utilisant surtout une panoplie de personnages complexes et très définis. « Mademoiselle » jouit d’une étonnante habileté à constamment se renouveler et nous offre un spectacle à la fois somptueux (le décor, quasi unique, se situe dans une maison qui dévoile de nouvelles pièces chaque fois qu’un pan de l’intrigue se révèle) et le scénario nous prend constamment à revers, nous forçant à rester attentif sans que cela n’altère le plaisir à aucun moment. Il semble que le film ait choqué à cause de quelques scènes de sexe jugées trop « crues », allégations franchement exagérées quand, à l’instar du reste du film, les scènes sont sincères et sans trop de tabous, mais n’approchent à aucun moment le pornographique. « Mademoiselle » est une apothéose. Œuvre mature, elle représente le bilan d’un cinéaste qui a appris à maîtriser toutes ses facettes pour en fournir un bilan complet, addictif. On tombe immédiatement sous le charme d’un film dont on veut découvrir tous les aspects, les détails avec lesquels la caméra joue pour mieux nous entraîner dans sa spirale, une certaine forme de sadisme envers le spectateur, démontré aussi via la psychologie de certains protagonistes. Équilibré,
Mademoiselle pave la voie vers une seconde partie de carrière pour Park Chan-Wook, dont on attend le prochain chapitre avec une certaine impatience. Il faudra pour cela se diriger vers « The Little Drummer Girl », série adaptée de John Le Carré commandée par HBO, dont il a réalisé l’intégralité des épisodes. Seulement deux auteurs ont été abordés dans ce dossier, et la Corée regorge de cinéastes qu’il est intéressant de suivre. Leur cinéma de genre est d’une richesse sans nom car il est mêlé d’audace, et surtout est considéré au pays comme une partie du cinéma populaire, qui n’a aucun mal à se hisser en tête du box office et donc obtient du financement et de la reconnaissance sans peine (ce qui n’est pas une évidence, il n’y a qu’à voir le traitement du cinéma de genre dans l’hexagone pour en comprendre les difficultés de production). Évidemment, leur cinéma contient de nombreuses richesses dans d’autres catégories. On conseille d’ailleurs aux curieux le Festival du Film Coréen se tenant tous les ans aux alentours d’octobre sur les Champs Élysées, proposant une large choix de tous les succès de l’année, et permettant alors de jongler entre les drames sociaux, les comédies romantiques, films de guerre, polar...et ainsi de se plonger dans l’univers cinématographique du pays.
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