PROJETS D’ARCHITECTURE ONIRIQUE, CONCEPTION ET RÔLE DES ESPACES ONIRIQUES
2
AVANT PROPOS Le travail du réalisateur Wes Anderson a été une découverte manquante au cours de mes études d’architecture. Une révélation esthétique à travers ses films dans un premier temps, puis une fascination pour l’univers dont ils sont issus. Mon intérêt concernait à la fois ses productions finies et leur processus de conception. Instinctivement, je les reliais au monde de l’architecture. J’ai donc profité de mes études pour approfondir cette intuition sur le lien qui reliait Wes Anderson à l’architecture. Au fur et à mesure des mes recherches, mon attention s’est déplacée sur la raison de mon affection pour son œuvre en tant qu’étudiante en architecture, au delà des goûts, et pour ce qu’elle avait à apporter à l’architecture. C’est de cette manière que la notion d’onirisme a émergé, me poussant à approfondir le concept et l’intérêt de m’architecture onirique.
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AVANT PROPOS
1
INTRODUCTION
5
PREMIERE PARTIE : ARCHITECTURE(S) ONIRIQUE(S)
8
1.1 EMPLOIS ET DÉFINITIONS DE L’EXPRESSION
9
1.1.1 Principe des « maisons oniriques » : déceler l’onirisme
9
1.1.2 Architecture émotionnelle : concevoir l’architecture onirisme
11
1.1.3 Notion de poésie en architecture
15
1.2 RÉFÉRENCES ET MARQUEURS ONIRIQUES
21
1.2.1 Marqueurs oniriques de programme
21
1.2.2 Marqueurs oniriques de site
27
1.2.3 Marqueurs oniriques de forme
34
DEUXIÈME PARTIE : PROCESSUS DE CONCEPTION ONIRIQUE 2.1 LE POUVOIR ONIRIQUE DE LA NARRATION
39 40
2.1.1 Premières théorisations remarquables sur la narration en architecture
40
2.1.2 Alimenter et enrichir le récit : des outils spécifiques
43
2.1.3 Redéfinir le champ de l’architecture et ses limites
45
2.2 REPRÉSENTER L’ARCHITECTURE ONIRIQUE
49
2.2.1 Appropriation des outils classiques de représentation
49
2.2.2 Émergence d’outils alternatifs ; représentation et présentation
66
2.2.3 Construction facultative, superflue
71
CONCLUSION
77
BIBLIOGRAPHIE
79
ANNEXES
82
INTRODUCTION La rédaction il y a deux ans d’un rapport d’étude intitulé « Les films de Wes Anderson : des projets d’architecture ? » a laissé plusieurs questions en suspens. Ce travail a été comme une introduction. Il a permis d’établir un parallèle entre la pratique du projet architectural et le travail du réalisateur ; mais aussi entre les professions d’architecte et de réalisateur de manière plus générale. Ce rapport d’étude a également soulevé divers sujets de réflexion sur ces liens. Notamment sur la nature de l’œuvre de Wes Anderson, et sa valeur en architecture. Aussi j’ai décidé d’approfondir le sujet par cet axe dans le cadre de cet exercice de mémoire. Wesley Wales Anderson est un réalisateur texan remarqué pour son style, tant visuel que narratif, qui permet de reconnaître rapidement ses films. Il compte neuf longs métrages à son actif, ainsi qu’une dizaine de films publicitaires. Chacun de ces films constitue un projet très élaboré, issu d’un processus de création méticuleux. La narration occupe bien évidemment un rôle central. Les thématiques des films gravitent autour de sujets récurrents, alliant faits historiques et de société, et réflexions existentielles des protagonistes. La localisation, elle, change du tout au tout d’une œuvre à l’autre. La photographie, l’esthétique et les atmosphères sont également mises en place avec soin à travers chacun des outils qu’offre le cinéma. Le réalisateur applique une méthode-signature à ses projets pour un résultat qui laisse quasiment systématiquement l’impression d’une réalité parallèle. C’est sur cette distance à la réalité que se porte mon intérêt, sur l’onirisme commun à ces films aux ambiances et sujets pourtant chaque fois uniques. Comme pour l’architecture, il est question de création d’espaces et de projets, mais teintés d’un onirisme propre à l’univers du réalisateur. Il exploite tous les moyens cinématographiques à sa disposition pour créer ses atmosphères qui lui permettent de rapporter ses récits. C’est en se les appropriant qu’il forge film après film son propre style. En effet, si chacun d’entre eux développe une identité esthétique et narrative unique, ainsi qu’une esthétique propre ; tous flirtent pourtant avec la réalité à la manière Anderson. Chaque film devient alors un microcosme-Anderson, un monde autonome « en réduction (…) formant une entité »1, mais appartenant à l’univers Anderson.
1
Définition du mot « Microcosme », CNRTL, consulté le 26.11.2018
5
Sur chacune des planètes de ce système, la distance à la réalité est précise, et chacune puise juste assez dans les codes de la réalité pour s’en distancer imperceptiblement,
mais
sûrement.
Les
films
de
Wes
Anderson
sont
suffisamment emprunt du style propre au réalisateur pour se distinguer et être clairement identifiables, suffisamment réels pour raconter une histoire et garder naturellement l’attention du spectateur. Le réalisateur apporte une juste dose d’irréalité pour donner l’illusion minimum et nécessaire de réalité. Cela s’apparente à la notion de suspension volontaire d’incrédulité2, développée au XIXe siècle par le poète britannique Samuel Taylor Coleridge. Il s’agit de donner du crédit au surréalisme, pour permettre au spectateur, lecteur, ou auditeur de suivre le récit sans remettre en question cette réalité altérée. Définir cette limite floue avec le réel permet l’ambivalence d’une production relativement irréelle à laquelle on croit, comme c’est le cas des rêves : une « suite d’images, de représentations qui traversent l’esprit, avec la caractéristique d’une conscience illusoire telle que l’on est conscient de son rêve, sans être conscient que l’on rêve »3. La suspension volontaire d’incrédulité peut donc être directement reliée à la notion d’onirisme, que l’on peut définir de plusieurs manières dans le monde du cinéma. Premièrement, pour parler de scènes qui sont effectivement issues des rêves d’un personnage, et dont les incidences ne prennent pas effet dans la réalité du film (qu’elle soit réaliste ou non, il est indiqué ou sous-entendu dans le film que la scène est rêvée). Deuxièmement, pour qualifier des scènes dont l’atmosphère s’apparente au monde des rêves. Des scènes qui laissent donc planer un doute plus ou moins grand sur leur appartenance à la réalité. Il peut s’agir d’une ambiance surréaliste ou évanescente, ou encore de faits, de lieux, d’actions ou de dialogues qui se distancent de la réalité, sans pour autant qu’il ne s’agisse d’un rêve : « qui semble appartenir au domaine du rêve (par son caractère d’irréalité, d’étrangeté, de poésie, etc.» 4 . Dans le cas de l’œuvre cinématographique de Wes Anderson, c’est particulièrement cette deuxième définition de l’onirisme qui nous intéresse, autrement dit l’impression d’onirisme que dégagent les espaces qu’il conçoit. En architecture, l’onirisme ne dispose pas d’une définition aussi clairement identifiable que pour le cinéma. Feindre ou détourner la réalité ne peut se manifester de la même manière, aussi pour parler d’onirisme en architecture dans le cadre de ce mémoire, on parlera de projets oniriques. En effet, le terme
2
« it was agreed, that my endeavours should be directed to persons and characters
supernatural, or at least romantic; yet so as to transfer from our inward nature a human interest and a semblance of truth sufficient to procure for these shadows of imagination that willing suspension of disbelief for the moment, which constitutes poetic faith », COLERIDGE, Samuel Taylor. Bibliographia Literia, 1817 3
Définition du mot « Rêve », CNRTL, consulté le 18.10.2018
4
Définition du mot « Onirique », CNRTL, consulté le 01.10.2018
6
de « projet d’architecture » est plus adéquat : il permet de décrire aussi bien le processus de conception et de réalisation, que l’ouvrage terminé. En cela, il est plus approprié si l’on considère les différentes façons dont l’onirisme peut se manifester en architecture. Il devient nécessaire d’inclure non seulement les ouvrages construits, mais aussi les projets qui restent à l’état de projet, sous différentes formes, sans pour autant devenir des édifices. Car ces projets disposent d’une plus grande marge potentielle d’irréalité que leurs homologues construits, qui répondent inévitablement à des règles minimums (physique et gravité, économie et budget, contexte culture et société, etc.) qui réduisent les possibilités d’onirisme.
Ce mémoire, qui fait suite au rapport d’étude « Les films de Wes Anderson : des projets d’architecture ? », s’intéresse au travail effectué par le réalisateur, afin de déterminer s’il peut constituer une méthodologie pour concevoir des espaces oniriques. Au-delà de la notion plus large d’espace onirique, il convient de définir ce que peuvent être l’architecture onirique et le projet onirique. Il s’agit dans un premier temps d’examiner comment ce terme a été employé jusqu’ici pour parler d’architecture, et de confronter cette utilisation avec le sens qu’il prend dans ce mémoire. Puis l’analyse de références alors considérées comme oniriques permettra de déterminer des marqueurs oniriques, qui permettront d’identifier l’onirisme en architecture. La partie processus du projet sera aussi examinée du point de vue de l’onirisme pour déterminer des acteurs ; mais aussi des méthodes, telles que l’exploitation ou la contribution du récit ou l’appropriation des modes de représentation. Puis ce mémoire traitera la notion d’espace onirique à travers le travail de Wes Anderson. À la fois par son processus de conception qui présente des similitudes avec celui de l’architecte ; mais aussi par le produit de ce travail et donc les espaces oniriques qu’il crée dans ses projets cinématographiques. Il s’agira enfin de faire émerger une méthodologie pour la conception d’espace, tels que l’on peut les définir à la suite de ce mémoire grâce aux manifestations de l’onirisme décelé en architecture et à la démonstration qu’en fait Wes Anderson. La méthode qui en résulte sera testée et appliquée au cours du Projet de Fin d’Études pour compléter l’étude théorique de ce sujet par la pratique.
7
PREMIÈRE PARTIE : ARCHITECTURE(S) ONIRIQUE(S) Avant d’étudier les espaces oniriques conçus par Wes Anderson, il est nécessaire d’introduire la notion d’architecture onirique. Il s’agira de confronter l’emploi qui est fait de cette expression dans des ouvrages, pour lui donner une définition propre au propos de ce mémoire. Le contenu de ces écrits permet de donner une première impression de ce que peut être « l’architecture onirique ». Une fois cette base théorique établie, elle sera affinée grâce à des références de projets oniriques, analysés selon de nouveaux critères que j’appellerai marqueurs oniriques. Puis, après la théorisation de l’architecture onirique, l’étude de ses références et la définition de critères pour la reconnaître, c’est enfin le processus de conception de l’architecture onirique qui sera étudié.
8
1.1 E M P L O IS E T D E F IN IT IO N S D E L ’ E X P R E S S IO N La formule complète « architecture onirique » n’est que très peu utilisée jusqu’alors
dans
les
livres
d’architecture.
Son
usage
principal
est
essentiellement descriptif et subjectif, notamment dans la presse. C’est par exemple le terme choisit pour décrire l’architecte chinois Ma Yansong, qualifié d’« architecte onirique » 5 par un journaliste de Le Monde. Par ailleurs, il reconnaît lui même « Parfois, je pense que l’idée peut émerger d’un rêve ». Ou encore dans un tout autre contexte pour qualifier6 le travail de Jean-François Rauzier, qui réinvente un Paris onirique par des photocollages numérique exposés en 2017 lors du Mois de la Photographie du Grand Paris. L’artiste explique « il s’agit d’appréhender le réel sous toutes ses facettes, temporelles comme spatiales, pour réinventer un monde onirique ». Si l’emploi de la formule « architecture onirique » dans des ouvrages d’architecture, on retrouve cependant quelques écrits remarquables qui théorisent des variantes de l’expression.
1.1.1 P R I N C I P E D E S « M A I S O N S O N I R I Q U E S » : D E C E L E R L ’ O N I R I S M E C’est le cas du principe de « maisons oniriques » (traduit de l’allemand « traumhaus » par Georges Teyssot7) développé par le philosophe et historien d’art allemand Walter Benjamin au XXe siècle. Le terme « maison » dans « maisons oniriques » signifie lieu qui recueille le rêve, et non maison au sens littéral du terme. L’œuvre de Benjamin traite beaucoup de la valeur philosophique des rêves8. Il applique l’onirisme à l’architecture en considérant le puissant potentiel onirique de l’espace intérieur, d’où le terme de maison onirique. Georges Teyssot dit, à propos du travail de Walter Benjamin sur les
5
EDELMANN, Frédéric, Ma Yansong, architecte onirique, Le Monde, 20 juillet 2014,
Source :
https://www.lemonde.fr/festival/article/2014/07/30/ma-yansong-architecte-
onirique_4464465_4415198.html, consulté le 3 Novembre 2018. 6
CHEVALIER, Florence, Un Paris onirique à La Chapelle, Actu.fr, 19 avril 2017,
https://actu.fr/ile-de-france/clairefontaine-en-yvelines_78164/un-paris-onirique-a-lachapelle_12697337.html, consulté le 3 novembre 2018. 7
TEYSSOT, Georges. Walter Benjamin : Les maisons oniriques, Éditions Hermann, coll.
« Hermann Philosophie », 2013, 174 pages. 8
BENJAMIN, Walter. Image de pensée, C. Bourgeois, 1998, 257 pages. Traduit de
l’allemand par POIRIER, Jean-François. Titre original : Denkbilder BENJAMIN, Walter. Rêves, Édition de Burkhardt Lindner, coll. « Le promeneur, Gallimard », 2009, 168 pages. Traduit de l’allemand par DAVID, Christophe.
9
maisons oniriques, qu’il s’agit « d’oniromancie à l’envers9 ». Il procède à une dissection du contenu « fantasmagorique » de ces espaces pour définir le principe de maison onirique et former un inventaire du contenu de la maison onirique type. Ce phénomène de constat d’onirisme sur des espaces peut s’appliquer sur l’effet produit par les espaces conçus par Wes Anderson, tout particulièrement lorsque Benjamin insiste sur la valeur de l’accumulation d’objets dans un intérieur, le principe de collections, très employé par Anderson. L’accumulation multiplie les narrations et en crée de nouvelles à partir de leur confrontation unique. La collection créée un lien présent avec le passé, et en cela génère de l’irréel dans le réel, ou au contraire donne du une valeur de réalisme au passé. Walter Benjamin développe également une théorie10 sur les seuils qui séparent le monde onirique de celui du réveil, qui induit un fort pouvoir narratif et onirique sur les espaces-seuils (les lieux de passages). Il puise cette correspondance entre rêve et architecture du mouvement du Surréaliste, en établissant la présente distinction : alors que le Surréalisme tend à dissocier le monde onirique et irréel du domaine de la réalité, Benjamin cherche à déceler les manifestations oniriques irrationnelles dans la réalité quotidienne banale.11 Il applique l’expérience onirique à la réalité, la rapprochant de celle des seuils et donc des lieux de passage, qui deviennent une possible incarnation, une allégorie potentielle du rêve. Or, appliquer ainsi l’expérience du rêve au monde réel, c’est rendre publique, et donc collective cette expérience originellement personnelle. Georges Teyssot explique, à propos de la théorie de Walter Benjamin : « Il ne s’agit pas d’une interprétation psychologique. La vision du rêve apparaît plutôt comme une expérience physique, et même physiologique, que ce soit celle du promeneur, de la passante, du badaud, du flâneur, du travailleur, du voyageur ; mais aussi celle de l’auditeur et du spectateur ».12
9
Benjamin part de choses existantes et bien réelles telles que des atmosphères, des
lieux ou des endroits ; et décèle en quoi ceux-ci sont teintés d’irréalisme et créent un « paysage onirique », irrationnel. 10
BENJAMIN, Walter. Paris, capitale du XIXe siècle, Le livre des passages, Les Éditions
du Cerf, 2006, 976 pages. 11
TEYSSOT, Georges. Fantasmagories du mobilier, Walter Benjamin : Les maisons
oniriques, Éditions Hermann, coll. « Hermann Philosophie », 2013, Chapitre II, pages 53111.
URL :
https://archicree.com/actualites/interieurs-fantasmagorie-choses-georges-
teyssot/#_ednref60. Consulté le 30.11.2018 12
TEYSSOT, Georges, « Traumhaus : l’intérieur comme métaphore des sentiments »,
dans Spielraum : Walter Benjamin et l’architecture, sous la direction de Libero Andreotti, Paris, Éditions de La Villette, 2009 à paraître. Cité par DÉOTTE, Jean Louis, « Walter Benjamin et l’inconscient constructif de Sigfried Giedion », Images Re-vues, Hors-série 2, 2010. URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/330. Consulté le 30.11.2018
10
1.1.2 A R C H I T E C T U R E ONIRISME
E M O T I O N N E L L E : C O N C E V O I R L ’ A R C H I T E C T U R E
La définition la plus proche de l’expression « architecture onirique » telle que cette étude l’entend figure dans l’ouvrage « Architecture émotionnelle » Matière à penser13, un ouvrage collectif paru en 2010 et réalisé sous la direction de Paul Ardenne, un historien de l’art français. Dans ce livre figure une partie nommée « Une architecture onirique ? » rédigée par l’architecte d’intérieur suisse Jorge Cañete, et qui donne une définition de ce que représente l’architecture onirique. Il introduit l’expression par son antinomie (similaire à celle que l’on retrouve dans l’expression « architecture émotionnelle ») : elle confronte l’architecture, l’art concret de la construction d’édifices, et le domaine du rêve qui renvoie à la fiction, l’hallucination, l’évanescence. Deux notions si opposées que les associer constitue un véritable enjeu. Il prône ensuite l’intérêt fondamental à réconcilier ces deux extrêmes. Il cite des exemples picturaux surréalistes qui représentent des architectures où les notions d’intérieur et d’extérieur se fondent et se confondent. À travers ces exemples, il illustre déjà une notion développée plus tard dans ce mémoire : celle d’une architecture onirique dont les modes de représentation évoluent et qui n’est pas nécessairement construite. Il évoque aussi la fascination humaine ancestrale pour le rêve et le fantastique appliqués à la réalité, que l’on retrouve dans l’art de toutes époques et de tout lieux, et qui se manifestent successivement à travers des artistes remarquables ou même des mouvements artistiques entiers. Il érige Hans Vredeman de Vries, un peintre et architecte néerlandais du XVIe siècle en figure de l’architecture onirique puisqu’il imagine des espaces étranges, très décalés pour l’époque, dénués de vies, où intérieur et extérieur se succèdent ; le tout avec une rigueur géométrique. L’auteur entend qu’il est très aisé de projeter des rêves dans les dessins d’architecture de Vredeman di Vries ; il y flotte une atmosphère où l’on retrouve des éléments architecturaux connus, mais qui s’éloigne un peu de la réalité par leur aspect « scènes vides », elles semblent être le décor de multiples scénarios. Cañete parle aussi d’onirisme architectural lorsque les peintres, du XVIIe au XVIIIe siècle, se fascinant pour l’antiquité, représentent une antiquité rêvée, loin des préoccupations de précision historique. Il cite notamment le courant de védutisme vénitien du XVIIIe siècle, qui consiste à la représentation de paysages
13
ARDENNE, Paul. Architecture émotionnelle matière à penser, Lormont (Gironde) : La
Muette, 2010.
11
urbains 14 . Il aborde aussi le sujet de la mise en perspective onirique de l’architecture par la peinture, citant les « perspectives poétiques » d’Hubert Robert, un artiste français du XVIIIe siècle. Dans ces peintures, l’onirisme figure dans les vues choisies et leurs différents plans, la lumière, les couleurs, les choix des cieux, et plus généralement dans l’atmosphère évanescente qui s’en dégage. Il continue d’illustrer son propos chronologiquement en citant De Chirico, peintre italien fondateur du mouvement de la peinture métaphysique (en italien « pittura metafisica », mouvement qui tend à représenter les choses audelà de leur réalité physique), comme emblème du XXe siècle, et qui met l’accent sur la valeur onirique des vides et des ombres. Parmi artistes qu’il cite à titre de références, Paul Delvaux, un peintre belge postimpressionniste, expressionniste puis surréaliste du XXe siècle. Il est l’un de ceux qui illustre le mieux la définition que ce mémoire tend à donner à l’expression d’une architecture onirique : en effet ses œuvres, comme c’est le cas des films de Wes Anderson, représentent des scènes presque probables. L’observateur n’identifie pas tout de suite leur caractère irréel, car ses scènes dégage une certaine crédibilité qui lui permet d’envisager l’histoire qu’elles racontent. C’est cette forme d’onirisme, cet équilibre fragile entre réel et irréel dont il est question dans ce mémoire. L’existence d’une ambiguïté sur le caractère réel d’une scène, d’une architecture, en opposition à quelque chose d’ostensiblement réel ou irréel. Paul Delvaux est notamment l’auteur d’une série de peintures sur les trains et les gares (Fig. 1, 2 et 3) qui illustrent un type de représentation onirique possible de la ville et de l’architecture. La poésie qui se dégage est aussi due à l’imaginaire qui flotte sur les toiles, relativement libre d’interprétation, bien que le peintre y représente indéniablement son propre récit (beaucoup de détail, personnages avec des agissements qui ne sont pas clairement définis, présence d’objets ou de situations insolites au milieu d’un décor urbain réaliste, scènes d’actions non définies sur le point de se dérouler). L’architecture
onirique
est
l’expression
d’une
recherche
viscérale
d’un
éloignement de la réalité, dans un domaine aussi concret et élémentaire que représente l’architecture, un art qui naît d’un besoin humain de se sédentariser, de s’abriter, d’habiter et de cohabiter. Cañete rapproche cette recherche à une forme de recherche du bonheur. Il y voit une mise à l’épreuve de l’intelligence cartésienne par le biais de l’injection de poésie dans la pratique architecturale.
14
En italien « veduta », qui signifie ce qui est vu, et donc ce qui est mis en perspective
12
Figure 1 : DELVAUX, Paul. Train du Soir. Huile sur bois, 110 x 170, 1957 © Paul Delvaux Foundation — SABAM. URL : https://www.fine-arts-museum.be/fr/la-collection/pauldelvaux-train-du-soir.
Figure 2 : DELVAUX, Paul. Le train bleu or la rue aux tramways. Huile sur toile, 122 x 244, 1946. URL : http://www.artnet.com/artists/paul-delvaux/le-train-bleu-or-la-rue-auxtramways-hkk8wKQSh7PUK5DO1nBFhQ2.
Figure 3 : DELVAUX, Paul. Le Viaduc. Huile sur toile, 100,3 x 130.8, 1957 © Foundation Paul Delvaux, SABAM. URL : https://www.museothyssen.org/en/collection/artists/delvauxpaul/viaduct.
13
La définition de Jorge Cañete de l’architecture onirique propose différents repères, références, et éléments distinctifs. Il s’agit maintenant contextualiser cette partie en la rattachant au reste de l’ouvrage dont elle est issue. Il résulte du travail collectif de plusieurs auteurs, autour du large thème de l’architecture émotionnelle. Le livre est introduit par Paul Ardenne et Barbara Polla par une citation de Le Corbusier « La construction, c’est pour faire tenir. L’architecture, c’est pour émouvoir »15. Mais tout le livre n’est pas axé sur la valeur des projets d’architecture non construite. Elle est juste étudiée, tout comme est étudiée l’architecture construite, car chacune dispose de raisons d’être considérée comme émotionnelle. De nombreux paradoxes comme celui-ci sont relevés au cours de cet ouvrage, qui cherche à établir un argumentaire que l’on pourrait qualifier d’arborescent : il est développé sur le plus d’axes possibles pour
considérer
l’étendue
de
l’architecture
émotionnelle.
Ce
qui
est
particulièrement pertinent dans le cadre de ce mémoire, puisqu’il est question de comprendre les différentes manifestations de l’architecture onirique, leurs enjeux et leurs rôles. Les auteurs mentionnent le caractère contemporain des préoccupations
concernant
l’architecture
émotionnelle.
La
transmission
d’émotions ne doit pas être considéré uniquement comme un « bonus » de l’architecture, et peut intégrer les caractéristiques primordiales du projet : ils y voient une évolution à la recherche d’esthétisme. Cela est également l’un des principes que ce mémoire cherche à attacher à l’architecture onirique : l’ajout de composantes oniriques dans le projet est un acte conscient de celui qui le conçoit. L’onirisme n’est pas seulement une donnée subjective perçu ou non par un observateur, mais une composante importante du projet. La sensibilité, la recherche d’émotions succède à cette recherche ancestrale de la beauté en architecture, tant chez ceux qui la conçoivent (architectes) que ceux qui l’utilisent (usagers). Ces émotions sont brièvement cataloguées, il apparaît alors qu’étymologiquement rien n’indique qu’elles doivent être uniquement positives. Or la notion même d’émotion et leur caractère positif ou négatif recèlent quelque chose de subjectif : l’émotion n’est pas la même pour chacun, en tant qu’elle est liée à la culture et la psychologie de chacun. Au sujet de la subjectivité de l’architecture émotionnelle, les auteurs Jean-Louis Genard et Judith le Maire précisent qu’une architecture ne peut être universellement émotionnelle, l’émotion n’étant pas induite par l’architecture elle-même, mais par la perception de chacun de celle-ci. Les émotions ne sont donc pas littéralement intrinsèques à l’architecture, mais dépendent du contexte du rapport de chaque individu avec l’architecture. C’est le cas par exemples des espaces et architectures oniriques conçus par Wes Anderson. Ostensiblement teinté de poésie, ils disposent d’une esthétique marquée qui ne touchera pas nécessairement un large public. Certains de ses films seront des échecs commerciaux, comme
15
Cité page 13 dans l’ouvrage de ARDENNE, Paul. Architecture émotionnelle matière à
penser, Lormont (Gironde) : La Muette, 2010.
14
c’est le cas de « The Life Aquatic with Steve Zissou », l’un des long-métrages les plus excentrique du réalisateur, réalisé en 2004 et dont le budget élevé excède les recettes16. Cependant si l’on peut avoir le désir de produire une architecture émotionnelle, c’est qu’il existe des moyens de se rapprocher, malgré la subjectivité des émotions, d’une architecture capable d’en susciter. En témoignent également des films plus récents du réalisateur, comme le « The Grand Budapest Hotel » en 2014, notamment salué unanimement par le public et la critique pour ses qualités esthétiques. Ce film fut l’objet d’un travail méticuleux autour de la conception de nombreux espaces oniriques, dont l’hôtel qui
représente
presque
un
protagoniste.
Les
auteurs
« Architecture
émotionnelle » expliquent cela par exemple par la génération d’admiration pour des prouesses techniques, sociales ou environnementales, qui permet un genre d’objectivité de l’émotion. Ou encore la génération de surprise : une architecture surprenante a bien plus de probabilités d’émouvoir qu’une architecture qui imite. Cependant l’imitation si elle ne génère par de surprise se rattache à l’idée plaisante de nostalgie, ce que Jean-Louis Genard et Judith le Maire qualifient de « douceur de l’habitude »17. Cette nostalgie fait fonctionner selon moi un tout autre type d’émotion qui n’est pas à écarter dans la recherche d’une architecture onirique, puisque le rêve puise dans les souvenirs et la mémoire. Il s’agit notamment de l’une des composantes récurrentes des espaces et architectures oniriques conçus par Wes Anderson. Son équipe et lui s’inspirent de lieux existants ou ayant existés, étudient l’histoire des villes et des architectures pour fonder le récit des films et concevoir une nouvelle architecture au service de ce récit. Il en résulte alors des espaces oniriques conçus de toutes pièces mais teintés de l’imaginaire d’autres lieux ayant existés, choisis pour les références communes historiques qu’ils peuvent diffuser à un public, comme c’est le cas de l’hôtel à chacun de ces états dans « The Grand Budapest Hotel ». Se distancer de la réalité signifie par définition d’en garder une partie. La valeur de la nostalgie dans l’architecture onirique n’est donc pas à écarter, même lorsque l’on reconnaît l’intérêt et la valeur onirique émotionnelle de la surprise.
1.1.3 N O T I O N D E P O E S I E E N A R C H I T E C T U R E Si la définition de l’expression « architecture onirique » peut varier d’un propos à l’autre, sa traduction en anglais est également délicate. La traduction
16
50 000 000 $ de budget, pour 34 808 403 $ de recettes. Résultats de « Life Aquatic
with
Steve
Zissou »
au
Box-Office.
Source :
https://www.boxofficemojo.com/movies/?id=lifeaquatic.htm. Consulté le 13.01.2019. 17
Cité page 23 dans l’ouvrage de ARDENNE, Paul. Architecture émotionnelle matière à
penser, Lormont (Gironde) : La Muette, 2010.
15
littérale « oneirism » n’est pas employée pour décrire une situation proche du rêve. En fonction du sens recherché, ce sont les termes « dreamlike » ou « fantasy » qui sont utilisés. Aussi, il n’existe pas de référence anglo-saxonne de l’expression « architecture onirique » littéralement. Mais l’onirisme en architecture, comme démontré jusqu’ici dans ce mémoire, consiste en l’injection d’irréel et de sensibilité à la discipline. Aussi on peut rattacher à cette expression la notion de poésie ou « poetry ». Il sera ici question de deux textes, « Architecture and the Poetry of Space »18 de Louis Hammer en 1981, et « La Poétique de l’Espace »19 de Gaston Bachelard en 1961. Chacun de ces deux écrits dispose d’une visée différente qui sera explicitée séparément.
Le premier est cité car il diffuse la notion de « poésie de l’espace », bien que l’auteur la théorise d’une manière différente de l’onirisme architectural dont il est question ici. En effet, le propos de cet article est très précis, il s’agit d’une théorie complète20 sur l’espace vécu et habité, basée sur l’évolution de l’espace du jeu après le passage à l’âge adulte, combiné à l’état de rêve (qu’il soit éveillé ou endormi), le tout articulé autour de la notion de « chez soi »21. Selon l’auteur, il s’agirait pour chaque individu d’étendre l’espace de jeu (qui permet dès le plus jeune âge d’inventer de l’espace et de s’y immerger) et celui du rêve (espaces vécus modifiés et réinventés lors du sommeil) à son « chez soi » (qui constitue un abri et un cadre de vie, sur lequel on dispose d’un pouvoir modificatif, et qui conditionne et abrite nos actions quotidiennes, dont l’état de rêve) et par extensions à la vie quotidienne vécue. Hammer explique que la vie est conditionnée par le temps et l’espace, et que l’aménagement de ce dernier permet la perception du temps dans la vie quotidienne par les actions et activités de notre société. Donc l’architecture, par ce raisonnement conditionne nos vies bien au-delà de la réponse qu’elle apporte à nos besoins et aux fonctions qu’on lui attribue. L’architecture devient la métaphore de l’expérience. Or l’appréciation de cette architecture, toujours selon lui, ne dépend pas de la contemplation de ces structures figées, mais de la perception de ces structures stables qui accueille la dynamique du corps. Et la poétique de l’espace réside
18
HAMMER, Louis. Architecture and the Poetry of Space.Louis Hammer, Journal of
Aesthetics and Art Criticism. 19
BACHELARD, Gaston. La Poétique de l’Espace, PUF, 1957. 228 pages.
20
HAMMER, Louis. Architecture and the Poetry of Space.Louis Hammer, Journal of
Aesthetics and Art Criticism. 21
Traduction libre de « home », HAMMER, Louis. Architecture and the Poetry of Space,
Journal of Aesthetics and Art Criticism, 1981.
16
selon lui dans ce pouvoir de perception, qui donne à chacun un pouvoir créatif lui permettant d’étendre ce qu’il applique à son « chez soi » au-delà de celui-ci. Car même lorsque le « chez soi » ne nous appartient pas, il est toujours possible de le façonner, jusqu’à ce que soit presque effacée la limite entre nous et lui : « La perception est la conscience du poème de l’espace »22. Il exprime ensuite la liberté que ce principe induit pour modifier l’environnement qui nous entoure, ainsi que l’importance de l’aménagement de l’espace à toutes les échelles : de celle de l’abri à celle de l’urbanisme et l’organisation des villes. Selon lui, l’architecture et l’urbanisme doivent, en plus de répondre à leurs fonctions, contribuer positivement au développement de soi et permettre à leurs usagers de libérer leur propre poésie de l’espace. Cette liberté devient une qualité que chacun peut expérimenter. Ce raisonnement permet, dans le cadre de ce mémoire, d’attribuer petit à petit un véritable rôle à la poésie et au rêve en architecture. Un rôle qui diffère de la notion d’habiter que l’on attribue tout d’abord à l’architecture, et qui touche davantage au bien-être. L’onirisme en architecture peut constituer une source d’inspiration, de libération, et développement personnel des individus, concepteurs ou utilisateurs. Il achève son article sur une comparaison profonde entre notre environnement et un écran de cinéma : « Nous avons ainsi acquis une perspective inhabituelle. Nous avons créé le paysage en tant que cinéma. En circulant dans des véhicules rapides, nous participons à un affichage cinématique ne nécessitant ni film, ni projecteur, ni écran. Il devient nécessaire de le remarquer si nous voulons y réfléchir, mais cela nous apparaît systématiquement, même lorsque nous ne reconnaissons pas son apparence. Il est formé dans le langage de rêve éveillé de la vie immergée du jeu. C’est ironique devant l’opportunité réelle que nous offre la nature en tant que cinéma. Nous avons transformé le médium en un tas terne que nous retrouvons dans d’autres médias. Mais il n’est pas nécessaire que ce soit le cas. Tant la poésie de l’espace que la nature cinématographique des formes d’art qui peuvent être présentes dans les mouvements quotidiens de la vie, soutenus par le rêve submergé que notre être joue contre les structures à la dureté de l’activité ordinaire. »23
22
Traduction libre de « perception […] is the consciouness of the poem of space »,
HAMMER, Louis. Architecture and the Poetry of Space, Journal of Aesthetics and Art Criticism, 1981. 23
Traduction libre de « By this means we have gained an unusual perspective. We have
created the landscape as cinema. Passing in fast-moving vehicles we participate in a cinematic display that requires no film, projector, screen, or theater. It does require us to notice it if we wish to reflect upon it, but it is appearing to us all the time, even when we do not acknowledge its appearance. It is formed in the waking dream language of the submerged life of play.
17
De plus, si toute la théorie précise de Louis Hammer diffère de l’architecture onirique étudiée dans ce mémoire, la notion essentielle de perception, elle, subsiste. Il est de plus question d’un rapprochement entre le cinéma et l’environnement aménagé et vécu par les hommes. Si on le considère dans l’autre sens (c’est-à-dire du cinéma au monde réel, et non l’inverse comme le fait Louis Hammer), cela permet d’appuyer l’idée que le cinéma est capable de créer des espaces-temps proches du vécu, capables de l’inspirer (voir de le modifier) a posteriori, et dotés d’un potentiel de singularité dont l’humanité s’est privée, toujours selon Hammer. Cela permet d’étendre l’intérêt de l’onirisme en architecture évoqué précédemment au monde du cinéma, où celle-ci n’est pourtant
que
représentée,
et
non
construite.
La
dématérialisation
de
l’architecture onirique de la prive pas de son intérêt pour la société, et c’est ce dont Hammer nous permet de prendre conscience dans le cadre de ce mémoire. Gaston Bachelard (1884 – 1962) est un philosophe français dont les recherches se sont concentrées sur la poésie et le temps, mais aussi les sciences : il cherche notamment à théoriser scientifiquement ces deux notions. En 1958, il écrit « La Poétique de l’Espace », et approfondi ensuite la thématique de la poésie dans « La Poétique des Rêves » en 1960. Dans son ouvrage « La Poétique de l’Espace » 24 , Gaston Bachelard étudie la poésie, en tant qu’art littéraire et en tant « phénoménologie de l’âme »25. Il étudie donc la poésie qui traite de l’espace au sens large, et pour cela il hiérarchise son ouvrage : dans ce livre, on retrouve la notion primordiale de la maison là où Hammer utilise le terme « home ». Bachelard utilise davantage la maison comme lieu à plusieurs pièces et espaces de différentes échelles, que comme le « chez soi » théâtre des actions de chaque individu de Hammer. Néanmoins, la notion est essentielle dans son propos : il part de celle de la maison, point de départ essentiel, jusqu’à l’intérieur de nous-mêmes, l’intimité de chaque individu. Il effectue pour cela une décomposition des espaces (les coffres, les armoires, les coins, la miniature, le dedans et le dehors, etc.). La visée de son texte est elle aussi très précise et philosophique, et lui permet de déceler de grands principes de la poésie.
This is ironic in the face of the genuine opportunity which nature as cinema offers us. We have turned the medium into the dull sameness tat we find in others mass media. But it needs not to be so. Both the poetry of space and the cinema nature of art forms which may be present in the every day movements of life, sustained by the submerged dreaming which our being plays off against the hard-edged structures of ordinary activity. », HAMMER, Louis. Architecture and the Poetry of Space, Journal of Aesthetics and Art Criticism, 1981. 24
BACHELARD, Gaston. La Poétique de l’Espace, PUF, 1957. 228 pages.
25
« la poésie est, plutôt qu'une phénoménologie de l'esprit, une phénoménologie de
l'âme », page 11. BACHELARD Gaston. La Poétique de l’Espace, PUF, 1957. 228 pages.
18
Cependant, outre celle de la maison, diverses des notions qui émergent de son étude peuvent être utilisées dans le cadre de ce mémoire. C’est le cas de la notion de perception, évoquée déjà par Hammer mais de manière moins centrale, et d’imaginaire. Selon Bachelard, l’imagination est primordiale. Elle arrive avant même la pensée, et communique quelque chose d’immédiat, de très intime chez son observateur, qui peut différer totalement des intentions de son auteur26. Il insiste sur le pouvoir de l’imaginaire qui frappe un individu de manière sensible, avant même que celui-ci n’interprète ou ne psychanalyse ses émotions. Comme une explication préalable des émotions suscitées par l’architecture émotionnelle dans l’ouvrage dirigé par Paul Ardenne. Ce caractère immédiat et sensible, Bachelard l’appelle phénoménologie de l’imaginaire. On peut donc la décrire comme l’effet de la perception sensible immédiate d’une image, un phénomène que l’on peut associer à l’architecture émotionnelle, et par extension à l’architecture onirique. L’architecture onirique au sens où l’entend ce mémoire est une architecture étudiée par son concepteur pour transmettre des émotions ou un message sensible, par le biais d’un distancement à la réalité. Ce message peut-être inconscient et perçu différemment par chacun. Il fait appel à des références qui peuvent avoir un écho différent : selon l’individu qui l’observe, sa personnalité, sa sensibilité et donc sa perception. Cette architecture est représentée d’une manière qui sert ce propos, d’où l’altération de la réalité. Bachelard étudie cette idée : il cherche à situer la poésie, à trouver sa place entre imaginaire et réalité. Une posture compliquée, puisque la poésie dans sa sensibilité et son immédiateté revêt un aspect irréel, mais son étude et son analyse devraient tendre vers un processus scientifique, réel, et donc dénué de sensibilité. C’est ainsi que Gaston Bachelard aborde la thématique de la rêverie. L’inconscient et les rêves sont des notions qu’il étudie non seulement dans « La Poétique de l’Espace » et « La Poétique des rêves », mais aussi dans de nombreux écrits antérieurs. Ces études sont des clefs de compréhension de la position qu’il décide d’adopter en tant que philosophe des sciences. Il prône un nouvel esprit scientifique qui interdit tout positionnement sur des questions que les scientifiques ne comprennent pas, au profit d’un approfondissement de ces questionnements27. Ainsi plutôt que de rejeter le domaine du sensible, il l’associe
26
« Le poète ne me confère pas le passé de son image et cependant son image prend
tout de suite racine en moi. La communicabilité́ d'une image singulière est un fait de grande signification ontologique. » Page 8. BACHELARD Gaston. La Poétique de l’Espace, PUF, 1957. 228 pages. 27
« L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne
comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui
19
aux phénomènes des rêves, et étudie ces derniers. Cette approche lui permet d’introduire ce qu’il appelle « le nouvel esprit scientifique ». Selon lui, les rêveries (éveillées où lors du sommeil) sont le point de départ de la création d’artistes, une source d’inspiration première, intarissable. Un monde fécond qui tend par le biais de l’art à être extériorisé du reste de l’univers, jusqu’à l’inconscient de chacun, endroit le plus profond et intime où l’imaginaire puisse faire effet. Bachelard étudie alors la résonnance des mots de la poésie littéraire jusqu’à notre inconscient, là où ce mémoire se concentre davantage sur l’incidence de l’architecture onirique par ses modes de représentations. Bachelard prône cependant une séparation évidente entre réel et irréel28, qui rappelle l’introduction du paragraphe de Jorge Cañete, à propos du paradoxe des expressions « architecture onirique » et « architecture émotionnelle », qui relève la difficulté d’associer deux notions opposées, le concret et la sensibilité. Ce mémoire tend à faire une démonstration de leur rencontre en architecture, et de la qualifier. Mais ce n’est qu’à son achèvement qu’il sera possible de déterminer si le réel et l’irréel se mêlent pour former l’architecture onirique, ou si les deux notions demeurent nécessairement dissociées. Ainsi que l’architecture onirique est parfaitement réelle puisque cette architecture existe par sa construction, sa présentation ou sa représentation ; ou bien qu’à l’inverse l’architecture ne peut être considérée comme onirique si elle est réelle, et donc que l’architecture onirique n’existe qu’à l’état de projet. C’est a priori une définition plus nuancée qui résultera de ce mémoire. On retiendra la notion d’expérience sensible et immédiate de Benjamin Walter et de Gaston Bachelard ; une dématérialisation possible comme l’évoque Louis Hammer dans sa métaphore avec le cinéma ; une notion de perception primordiale, et possiblement subjective prônée par chacun des auteur, mais dont on peut limiter la subjectivité selon Jean-Louis Genard et Judith le Maire. L’architecture onirique est une forme d’architecture qui suscite des mécanismes sensibles et différents de l’architecture qui ne l’est pas. Elle dispose également d’enjeux différents, son onirisme ne dépend pas que de la perception de chacun : elle naît d’actes conscients de la part de ceux qui la conçoive, qui font son onirisme.
donne la marque du véritable esprit scientifique. » Page 16, BACHELARD, Gaston. La Formation de l'esprit scientifique, Librairie philosophique J. Vrin, 1938, 256 pages. 28
« Il faut donc accepter une véritable rupture entre la connaissance sensible et la
connaissance scientifique » BACHELARD, Gaston. L'Air et les Songes, Librairie José Corti, 1943. 239 pages.
20
1.2 R E F E R E N C E S E T M A R Q U E U R S O N IR IQ U E S L’inventaire des références théoriques au sujet de l’architecture onirique aura permet d’identifier l’état de l’emploi de l’expression et de ses variantes, ainsi que les différentes définitions qui lui sont rattachées. Ainsi il devient possible d’amorcer une nouvelle définition de ce que peut être l’architecture onirique, propre à ce mémoire et inspirée de ces lectures. Pour cela, il s’agit maintenant d’étudier ses manifestations directement dans le domaine de l’architecture. Il a été démontré précédemment que l’architecture onirique tend, par définition, à être subjective. En effet, des intentions au cours de sa conception à sa perception, jusqu’à son interprétation, plusieurs filtres de subjectivité sont traversés. Il peut s’agir de l’idée ou de l’idéal placés derrière les intentions du concepteur, ou encore de la sensibilité, du vécu, des références et des conditions de perception de l’observateur du projet onirique. Mais il semble malgré cette subjectivité que l’on peut déterminer des attributs récurrents de l’architecture onirique, qui permettent de l’identifier, de la décrire, ou de lui dessiner une silhouette plus précise. Pour cela j’utiliserai un système que j’ai appelé marqueurs oniriques. Après un premier référencement intuitif de projets architecturaux oniriques, j’ai cherché à déterminer ce qui rendait ces projets émotionnels, touchants, sensibles aux yeux de différents groupes et communautés, par un travail d’analyse relativement descriptif. Puis j’ai mis ce travail en perspectives avec la définition émergente d’architecture onirique (entre fondements des premières allusions des écrits théoriques précédents, et définition propre à la direction du mémoire), pour obtenir alors une classification par angle du projet. On peut distinguer ainsi des marqueurs oniriques qui font référence au programme, au site, ou à la forme. S’en suit donc un référencement d’architectures oniriques suivant cette classification. Des projets sont choisis pour les illustrer individuellement, mais un projet architectural peut tout à fait disposer de plusieurs marqueurs oniriques différents.
1.2.1 M A R Q U E U R S O N I R I Q U E S D E P R O G R A M M E Les premiers marqueurs oniriques répertoriés sont ceux qui font référence au programme. Il peut signifier la fonction d’un bâtiment, et plus précisément la programmation architecturale décrit (et dimensionne si nécessaire) les différents besoins d’un futur bâtiment. Cela peut aller jusqu’aux exigences précises, quantitatives et qualitatives, que requière le bâtiment. Dans le cadre de cette étude, il s’agira de citer des types de projets dont l’onirisme dépend du programme, au sens de la destination d’un bâtiment : des projets et lieux spirituels, de culte ; où plusieurs mécanismes se croisent pour générer une forme d’onirisme. 21
C’est
tout
d’abord
la
religion
qui
intervient
et
génère
des
besoins
programmatiques qui tendent vers l’onirisme. Le sujet est déjà très étudié, il existe notamment de nombreux ouvrages qui traite de l’art et de la religion ou de la beauté du sacré, dans les domaines de l’art et de l’architecture. La difficulté majeure de tels sujets est la subjectivité et l’étendue large des définitions de chacun de ces termes. Pour étudier les rapports qu’il entretiennent entre eux malgré l’épaisseur de ces sujets, l’auteur James Alfred Martin suggère 29 de statuer d’abord sur la nature plus précise du lien étudié, afin d’être en mesure de décrire avec plus de pertinence chacun des terme selon l’angle de l’étude. Il constate, dans le cadre de son étude, que dans la pensée occidentale mais aussi orientale (il décompose son étude géographiquement), la beauté, la vérité et le bien étaient recherchés car considérés comme idéaux de l’humanité. Ces idéaux se sont manifestés à travers l’idée d’une sainteté de la beauté30. Il est donc question d’une théorie sur le dialogue entre esthétique et religion, un lien et une recherche qui donna naissance à de nombreux ouvrages d’art et d’architecture, aussi bien de manière ancestrale que de nos jours. Son travail se concentre donc sur le rôle de l’esthétique de la religion. Il existe donc une recherche perpétuelle d’une esthétique de la religion, qui se veut « belle » dans la mesure où elle cherche à rejoindre des idéaux d’excellence associée au divin, à la sainteté. Le lieu de culte est par défaut un lieu de recueillement, de prière, de spiritualité. C’est un programme architectural qui se concentre énormément sur l’atmosphère, par le biais de l’acoustique et de la lumière. Il s’agit de projets d’architecture qui doivent être adaptés au silence nécessaire pour se recueillir, mais qui doivent aussi permettre d’accueillir des cérémonies religieuses le cas échéant. Architecturalement, il existe de nombreuses manières de transformer ces données programmatiques, notamment selon la culture, le lieu et bien évidemment la religion. Mais une fibre commune relie ces lieux au-delà de leur apparence architecturale : le culte et la spiritualité. Ce sont ces notions qui portent initialement un très fort potentiel onirique, exacerbé par leur transcription architecturale, quelle qu’elle soit. Le culte, la religion, ou la spiritualité, sont des valeurs qui côtoient le divin, l’irréel, l’invisible ; mais tout en se manifestant très ostensiblement dans la société, de ses débuts à nos jours. Elle occupe une place forte, et est certainement le phénomène le plus largement étendu de croyance en l’inconnu, d’acceptation de l’invisible. Tout comme l’onirisme qui se distance de la réalité tout en s’y rattachant. Son caractère ancestral, la valeur de transmission de génération en génération, l’appartenance à un groupe, à une culture ; sont autant d’attributs très forts qui gravitent autour de la notion de religion. Que l’on soit croyant ou non, ces attributs génèrent une sorte de fascination, de respect, admis communément. Ils sont accompagnés d’un 29
MARTIN, James Alfred. Beauty and Holiness: The Dialogue Between Aesthetics and
Religion. Princeton University Press, 2014 (Édition originale : 1990). 234 pages. 30
« holiness of beauty »
22
imaginaire riche, flottant, onirique. D’où le marqueur onirique de programme : les lieux de cultes disposent d’une sorte d’aura, que l’architecture permet de matérialiser de plusieurs manières qui diffusent cet onirisme. Il peut donc s’agir aussi bien de lieux de cultes traditionnels, historiques et très ornementés, que minimalistes et contemporains. Chacune de ces catégories se ressemble autant qu’elles s’opposent. Si le traitement architectural et le résultat visuel sont très différents, chacune aspire à refléter la présence d’une entité divine dans le projet architectural, dont le résultat peut être également être qualifié d’onirique pour différentes raisons. Dans le premier cas, celui d’une architecture de culte traditionnelle, il n’est ici pas nécessaire d’appuyer le raisonnement sur les différentes positions géographiques ou religions, ni donc de traditions ; mais plutôt de l’aborder sous l’angle de la comparaison d’intentions architecturales et de l’effet onirique produit sur les usagers. La lumière et la matérialité sont évidemment mises à l’honneur. La mosquée Shah-Cheragh (Fig. 4) frappe par sa richesse ornementale. La multitude de détails, de matériaux, de formes et de couleurs qui accrochent l’œil, appliquée à un édifice imposant, produit un effet unique et envoûtant, qui absorbe l’attention et la sollicite de toute part. La spiritualité de ces lieux émane de la concentration de chaque reflet et de chaque motif. De tels édifices ne connaissent pas de concurrents hors du domaine religieux, car ils répondent à certains codes spirituels. Les notions de richesse et de féérie des effets produits rendent ces architectures oniriques d’une manière presque plus « évidente », que les lieux de cultes minimalistes, car plus ostentatoires, plus rares à observer. Pourtant, la mosquée Shah-Cheraagh est appelée la Mosquée de Lumière, à l’image de l’église de la Lumière de Tadao Ando (Fig. 5). Une expression identique pour deux lieux aux styles architecturaux opposés. Pour ces lieux de cultes minimalistes, ressentir une émotion liée à l’architecture peut nécessiter des clefs de lectures spécifiques, telles qu’une connaissance, une culture, ou même une sensibilité architecturale pour ce type d’ouvrage. Le caractère extraordinaire de l’architecture de ces mosquées asiatiques les exempte de ces clefs de compréhension supplémentaires, le fait d’être éblouissantes se suffit à lui-même. Cela rend leur onirisme plus accessible puisque leur esthétique est plus idyllique : elles renvoient à un imaginaire précieux, luxueux et rare que l’on rattache aisément à celui des rêves, de merveilleux.
23
Figure 4 : Mausolée et mosquée de Shah-Cheragh, Chiraz, Iran, XIIe. Source : Chambre 237 : https://www.chambre237.com/la-mosquee-de-lumiere-de-shah-cheraghen-iran/.
Les lieux de culte minimalistes marquent quant à eux par une extrême épuration à la limite de l’irréel, digne décor d’un rêve. Le minimaliste architectural permet une certaine quiétude à ses usagers. Il n’est pas systématique pour un lieu de culte de rechercher cette épuration qui tend à s’étendre de l’architecture jusqu’aux fidèles. L’évolution des mentalités permet une transition de lieux de cultes riches et fastueux, chargés de détails et recouverts de symboles et d’arts précieux, jusqu’à des lieux comme l’église de la Lumière réalisée en 1989 par l’architecte Tadao Ando à Osaka, au Japon. Cette église très étudiée illustre ce minimalisme architectural religieux et, dans le cadre de ce mémoire, son pouvoir onirique sur l’homme. Ce projet est la démonstration d’une architecture très étudiée, sans excès, qui touche pour la maîtrise fine des paramètres de l’architecture, tels que la matérialité, la géométrie, la lumière, ou la définition des espaces. L’absence d’ornements potentiellement superflus et la simplicité géométrique permettent de se concentrer sans distraction de l’esprit, sur soimême et sur sa foi. L’utilisation du béton banché pour toutes ses qualités architectoniques (structurelles, résistante aux intempéries, brut en revêtement intérieur et extérieur, poli pour sa capacité à réfléchir la lumière elle-même travaillée par une interruption de la matière) donne au bâtiment une forme de majesté qui n’a pourtant rien à voir avec l’accumulation ou l’exposition de richesse. La complexité invisible qui donne au bâtiment sa force perceptible est l’un des aspects de l’architecture qui fascine, qui la rend onirique. L’église SaintMoritz à Augsburg (Fig. 6) en Allemagne rénovée par l’architecte John Pawson 24
illustre également la restitution par le minimalisme d’une atmosphère sacrée et propice à la prière. L’architecte reste minimal dans la géométrie, l’emploi des couleurs et des matériaux. Cela donne à l’ouvrage total sa majestuosité : les murs blancs sont éclairés par des vitrages incolores, doublés d’une fine couche de 5 mm d’onyx qui leur donne un aspect opalescent très onirique, autel et sol en pierre calcaire beige du Portugal, et bois sombre pour les sièges ou encore le châssis de l’orgue. Calepinage, ouvertures et mobilier naissent de formes élémentaires telles que le cercle ou le rectangle. Cette église rénovée est comme un témoin de l’adaptation d’un style de lieu de culte ancien à un nouveau vocabulaire architectural et de nouveaux codes de conception. Les valeurs d’autrefois sont donc traduites dans ce nouveau langage, de telle sorte que l’on puisse lire l’histoire du bâtiment, ainsi que son renouvellement. Dans ces deux cas, le traitement de la lumière est essentiel car celle-ci est rattachée à l’image d’une divinité. L’enjeu de l’église St Moritz est la restitution contemporaine d’un lieu dévasté par des incendies et bombardements, il s’agit de baigner le lieu de lumière comme le faisait l’édifice à l’époque. Chez Tadao Ando, la lumière est traitée de manière nouvelle, comme une réadaptation architecturale et bétonnée du filtre de lumière que constitue un vitrail. Ici, l’onirisme opère par l’émotion sacrée et extrêmement épurée qu’inspirent ces lieux par leur architecture, laissant libre cours à l’imagination.
Chacun de ces lieux de cultes est une réflexion et une réponse architecturale sur le cadre de prière, sur la manifestation d’un dieu. Chacun à sa manière traite quantitativement et qualitativement la lumière, la matérialité ou encore la disposition des espaces. Le programme du lieu de culte, dans la mesure où il est soigneusement conçu dans les moindres détails, peut donc constituer un espace onirique, quelle que soit la nature de ce détail. Au-delà de l’architecture qui le représente, c’est par son programme que s’émane premièrement l’onirisme du lieu de culte. Il laisse à l’esprit humain la possibilité de développer un imaginaire riche, personnel, de l’ordre du divin flirtant avec la réalité : comme c’est le cas du phénomène de rêves.
25
Figure 5 : Tadao Ando, Church of the Light, Ibaraki, Osaka, Japon, 1989, Photographe: © Copyright Richard Pare, Source: https://fr.phaidon.com/agenda/architecture/articles/2017/september/13/happy-birthdaytadao-ando/
Figure 6 : Photo de l’Église St Moritz, John Pawson, Augsburg, Allemagne, 2013. Photographie : Hufton + Crow. Source : https://www.dezeen.com/2013/07/31/st-moritzchurch-by-john-pawson/
26
1.2.2 M A R Q U E U R S O N I R I Q U E S D E S I T E Le second marqueur onirique est le site, élément déterminant de l’architecture. Dans le cadre de ce mémoire sur l’architecture onirique, ce marqueur fait également écho avec les notions de récit, de contexte, de décor ; et fait donc écho au cinéma, qui sera étudié ensuite. Concernant l’architecture implantée dans un cadre exceptionnel, le mécanisme qui suscite la sensation d’onirisme est ressenti immédiatement : c’est le pouvoir instantané et sensible de l’image développé par Gaston Bachelard31, explicité précédemment dans ce mémoire. Dans le cadre d’architecture implantée sur des sites urbains historiques ou dans des lieux naturels extrêmes et exceptionnels, l’impression d’onirisme ressentie par celui qui observe est due à un phénomène d’association d’idées et de références stockées dans la mémoire, le vécu personnel.
Nous étudierons ici principalement le cas d’architectures implantées dans des sites naturels d’exception, pour expliquer ce ressenti plus en profondeur. Les monastères Xuankongsi en Chine (Fig. 7) et Takstang au Bhoutan (Fig. 8) sont des exemples possibles : ils illustrent le cas où plusieurs marqueurs oniriques interviennent sur une architecture. Leur programme de lieu de culte leur confère une aura onirique développée dans la partie précédente. Vieux de près de 1500 ans pour le premier et de 400 pour le deuxième, ils sont les témoins architecturaux d’histoires spirituelles et de légendes. L’Histoire dont ces édifices sont témoins, doublée de l’imaginaire qui se développe autour des légendes font d’eux des lieux prisés à la fois pour le pèlerinage et pour le tourisme, deux notions très éloignées qui se rejoignent pourtant fréquemment en architecture, comme l’explique Alphonse Dupront dans l’article « Tourismes et pèlerinage »32. L’auteur parle du rapprochement des itinéraires touristiques de masse à ceux des pèlerinages ancestraux. Il y décèle une recherche contemporaine collective de spiritualité, mais détournée de son but originel par la recherche simultanée de bien-être. Or si les raisons des visites de ses lieux évoluent, leur spiritualité demeure. L’ambivalence de lieux à la fois historiques et légendaire, dont la fréquentation se maintient dans le temps mais évolue, se rattache directement à la notion de limite avec la réalité de l’onirisme. Une part de vérité incontestable et noble, alimentée de légendes qui entretiennent un imaginaire. L’imaginaire qui se développe autour de cet édifice a posteriori, mais aussi à sa conception, rend
31
BACHELARD Gaston. La Poétique de l’Espace, PUF, 1957. 228 pages.
32
DUPRONT Alphonse. Tourisme et pèlerinage. Communications, n°10, 1967. Vacances
et
tourisme.
pp.
97-121.
Source :
http://www.persee.fr/doc/comm_0588-
8018_1967_num_10_1_1145
27
son architecture onirique et introduit la notion de récit en architecture, qui sera développée ultérieurement. Le premier temple est construit en Chine, à même une falaise, à 75 mètres au-dessus du sol. La majorité de sa structure en chêne est dissimulée dans la roche où elle s’implante, et il figure en 2010 sur la liste des dix bâtiments les plus précaires au monde selon le Time magazine33. Cette prouesse technique ancestrale directement liée au site et doublée d’architecture sensible suscite la fascination. L’architecture qui résiste aux forces que l’on peut appeler « supérieures » telles que la gravité, la dégradation des éléments, ou encore la nature génère une admiration chez celui qui l’observe. C’est la force invisible de la performance. Le contraste important entre cette force invisible et la poésie des lieux fait l’onirisme de telles architectures.
33
BRENHOUSE, Hillary, 9 Juin 2010, « Xuan Kong Si, Shanxi Province, China ». Top 10
Precarious Buildings. Time.com. Consulté le 2 Novembre 2018.
28
Figure 7 : Photo du monastère suspendu Xuankongsi, Datong, province du Shanxi, Chine, 491. Source : https://shanxi.chinadaily.com.cn/datong/201109/28/content_13855528.htm
Figure 8 : Photo du monastère Takstang, dit Tiger’s Nest, vallée de Paro, Bhoutan, 1692. Source : https://www.reddit.com/r/castles/comments/8aq092/tigers_nest_paro_taktsang_paro_valle y_bhutan/
29
Les exemples qui suivent sont quant à eux exempts de spiritualité, afin d’identifier un autre rôle que peut prendre le site dans l’architecture onirique. Cependant ici aussi les marqueurs de site et de programme sont liés. Il s’agit d’une part de lieux de séjours liés à la détente : l’Omnia Hotel (Fig. 9), lieu de détente et hôtel cinq étoiles ; situé en Suisse dans le Valais, à Zermatt, conçu par l’architecte américain Ali Tayar en 2006 ; et le Palace Impérial (Fig. 10), hôtel quatre étoiles et casino construit par l’architecte Louis Ruphy en 1913, au bord du lac d’Annecy, France. La lecture de l’onirisme de ces lieux opère en plusieurs étapes, on remarque tout d’abord le site naturel d’exception, qui constitue un décor rare et hors du commun pour ces architectures. Puis à la recherche de l’onirisme, on remarque qu’il s’agit en fait de programmes architecturaux liés à la détente et au luxe, d’où leur situation géographique privilégiée. Leur standing dépend donc des sites naturels exceptionnels où ils sont implantés. L’onirisme et l’existence de tels projets architecturaux découlent donc du site où ils se trouvent. Ils prouvent que la spiritualité n’est pas obligatoire pour donner un sens onirique aux projets d’architecture situés dans un cadre idyllique. En effet, le luxe de ces bâtiments renvoi à la notion de bien-être, d’excellence, d’inaccessibilité et de rareté, des notions qui se rapprochent de l’onirisme dans le sens du rêve comme objectif à atteindre. Peuvent également être inclus dans cette catégorie les lieux de cures, qui se rapprochent géographiquement de sources thermales (et plus généralement de sites naturels comme les littoraux ou les massifs montagneux) et qui sont donc liées eux aussi au bien-être et à la santé, comme c’est le cas des Thermes de Vals, un complexe hôtelier thermal qui fit le succès de son architecte Peter Zumthor, construit entre 1993 à 1996 à Vals, également en Suisse. Enfin, le dernier exemple non spirituel est celui des anciennes demeures ou résidences secondaires nobles et bourgeoises situées en périphéries des villes, comme c’est le cas des différents châteaux aux alentours de Paris (Châteaux de Chantilly, Fontainebleau, Versailles, Malmaison, Monte-Cristo, Vincennes, etc.) L’exemple par excellence qui illustre l’onirisme par le site et l’architecture est celui des châteaux de Bavière en Allemagne, qu’a fait construire Ludwig II Von Bayern (Louis II de Bavière en français, surnommé le roi-poète) dans la seconde moitié du XIXe siècle. Situés dans les Alpes bavaroises, ces châteaux sont les résultats de l’excentricité romantique de leur commanditaire. Véritables architectures-lieux oniriques, ils sont — à l’instar des temples asiatiques, mais sans notion de religion — riches d’une histoire mêlée aux légendes qui gravitent autour de cette figure qu’était alors le roi de Bavière. Atteint d’une forme d’autisme 34 , il était alors considéré comme fou. Cette maladie eut pour conséquence de l’éloigner du monde réel dans lequel il vivait, pour se retirer
34
ADÈS, Jean, Louis II de Bavière : de la réalité à l'idéalisation romantique, Geigy, 1984
30
peu à peu dans la réalité alternative qu’il s’était créée — notamment avec ses châteaux – inspirée des légendes qui le fascinait. L’image choisie pour illustrer ces châteaux et l’imaginaire qui les entoure est celle du célèbre Château de Neuschwanstein (Fig. 11) situé à Fussen, construit 1869 à 1886. Cet ouvrage inachevé est un excellent exemple d’architecture à haut potentiel onirique car il connaît une grande postérité : c’est à dire que sa valeur onirique traverse les époque, elle est comme intemporelle. Au-delà de la mémoire bavaroise, des légendes qui circulent sur le roi Louis II, et du presque million et demi de visiteurs annuel 35 depuis sa reconversion en musée, le château inspira Walt Disney. D’abord modèle pour les châteaux de ses contes adaptés, il devient la marque de fabrique de Disney en apparaissant sur les différents logotypes de la firme36 ; faisant de lui une l’icône des récits fantastiques de la fabrique de récit et de rêves que représente Walt Disney.
35
« Neuschwanstein – Massentourismus » (Tourisme de masse) Source : zum.de.
Consulté le 3 Novembre 2018. 36
WRIGHT, Alex. The Imagineers, The Magic Kingdom At Walt Disney World : AN
Imagineer’s-Eye Tour, Disney Editions, 2005. 128 pages.
31
Figure 9 : Hotel Omnia, Zermatt, Suisse, 2006, Architecte : Ali Tayar, Photographe © Christian Grund. Source : https://www.schweizer-illustrierte.ch/lifestyle/reisen/die-skioscars-switzerlands-best-boutique-hotel-the-omnia-zermatt
Figure 10 : Vue aérienne de l’Imperial Palace et du lac, Annecy, France, 1913, Louis Ruphy. Source : https://www.hotel-imperial-palace.com
32
Figure 11 : Photo du château de Neuschwanstein, Fussen, Allemagne, Architectes : Eduard Riedel, 1869 — 1886. Photographe : Lian Duan, Source : https://www.flickr.com/photos/uofdenver/5860229938/in/photostream/.
En conclusion des marqueurs oniriques de site, ce n’est pas directement l’évidente majestuosité d’un site naturel qui fascine et qui crée l’onirisme, soit la stimulation d’un imaginaire entre réel et irréel. Bien que l’impression d’onirisme soit évidente et immédiate chez l’observateur, c’est un mécanisme en plusieurs étapes. Cette impression s’explique davantage par la raison de l’implantation d’une architecture dans de tels sites, que par le site lui-même (bien qu’il soit la composante principale de ce phénomène). C’est la relation entre l’architecture et le site qui crée l’onirisme : le récit unique qui rattache cette architecture à ce site en particulier, doublé du résultat esthétique de l’implantation physique sur ce site. Ce marqueur onirique de site signifie le lieu où se situe une architecture, qu’il s’agisse d’un paysage onirique, d’un site historique ou remarquable.
33
1.2.3 M A R Q U E U R S O N I R I Q U E S D E F O R M E Les marqueurs oniriques de forme regroupent les projets architecturaux qui puisent leur onirisme dans leur apparence. De la même manière que pour les autres projets et donc les autres marqueurs, le mécanisme de perception onirique fonctionne selon les références de chacun, le rattachement d’une vision architecturale à d’autres images que l’architecture. Il peut s’agir à la fois de projets à l’esthétique surprenante, car ils résultent d’innovations techniques de formes et de matière, issues de conception numérique, ou encore de projets aux techniques plus traditionnelles, mais à l’apparence organique, comme les projets de l’architecte catalan Antonio Gaudí au XIXe siècle. Cela inclut également les projets invraisemblables par la prouesse technique qu’il représente à l’époque de leur construction. Ou encore des projets frappant par leurs dimensions : on compte ici les projets monumentaux, souvent idéologiques ou révolutionnaires, auquel cas c’est au récit qu’ils portent que l’on doit leur monumentalisme. Quel que soit le moyen, chacune des catégories de sujets citées se réfère à la surprise, et donc à l’innovation. C’est le propos tenu par Jean-Louis Genard et Judith le Maire 37 , qui affirme qu’une architecture qui surprend détient un potentiel émotionnel dont l’architecture qui imite est privée. Si l’on suit ce raisonnement, la poésie et l’onirisme naissent de l’émotion, l’émotion de la surprise, et la surprise de l’innovation. Poésie et onirisme seraient donc issus, à travers plusieurs filtres, de l’innovation. Pour approfondir cela, cette partie traite des marqueurs oniriques de forme liés à l’innovation. Ce sujet soulève des problématiques contemporaines : par exemple, il questionne sur la place de l’outil numérique dans la conception architecturale, et donc plus profondément la maîtrise des intentions. En effet, la génération de formes
si
exubérantes
par
ordinateur
peut-elle
avoir
été
conçue
et
intellectualisée premièrement par un cerveau humain, sans recours à l’expérimentation physique et manuelle de celles-ci ? La démocratisation d’un tel outil interroge également sur la place de la créativité, et donc des expérimentations physiques, réelle. L’accès à l’outil numérique ainsi facilité rend accessible la production de telles formes, et donc d’une telle architecture, à n’importe qui : c’est à dire étends cette possibilité au-delà du domaine des architectes, des créatifs, des concepteurs d’espace. La génération d’espaces complexe est à la portée de chacun, inutile alors d’exercer son esprit à la perception et à la représentation de l’espace. Cette évolution de l’approche de l’espace se manifeste jusqu’à la formation d’architecte : lors de mon cursus universitaire, les cours de géométrie descriptive et de représentation (disciplines traditionnellement enseignées à l’école) ont été supprimés. Leur nécessité est
37
P. 23 ARDENNE, Paul. Architecture émotionnelle matière à penser, Lormont (Gironde) :
La Muette, 2010.
34
remise en question par l’outil numérique et ses logiciels de modélisations 3D qui se rependent dans la production architecturale. Il devient possible de concevoir directement
en
trois
dimensions.
Deux
écoles
se
distinguent
alors :
l’intellectualisation de l’espace par sa représentation en deux dimensions au moins dans un premier temps, où l’exploitation des possibilités numérique par l’expérimentation de l’espace en trois dimensions par génération et modification de volume et de matière. Il résulte plus naturellement de ce second processus des bâtiments qui portent esthétiquement la marque de ce recours numérique. L’onirisme, en tant qu’il parle d’une limite trouble avec la réalité, peut très intelligiblement qualifier de tels ouvrages architecturaux. Cette catégorie connaît des acteurs principaux, des architectes qui en ont acquis une maîtrise poussée de cette méthode de conception et qui en ont fait leur marque de fabrique. C’est le cas de l’architecte Frank Gehry et de son agence Frank Gehry and Partners ou encore de l’agence MVRDV. Les projets précédents serviront de base, et permettront d’analyser plus finement ce qui rend ces architectures oniriques. Il existe deux angles d’entrés pour traiter ce sujet : considérer ces ouvrages comme de l’architecture et qualifier ce qui les en éloigne, ou bien à l’inverse considérer ces ouvrages comme des entités artistiques ou oniriques et constater ce qui permet de les rattacher à l’architecture et de les identifier en tant que tels. En considérant qu’ils s’agissent bel et bien de bâtiments, les notions d’éléments architecturaux déterminés tels que les murs, les étages et les toitures s’effacent, et évoluent pour un amoncellement de plans de toutes natures chez Frank Gehry (Fig. 12), ou bien se fondent entre eux dans la bibliothèque de Tianjin de MVRDV (Fig. 13). Bien avant cette architecture contemporaine indéniablement assistée par ordinateur, l’architecte espagnol Antonio Gaudi cité précédemment traitait ce sujet de disparition de l’indépendance de ces éléments, pour des espaces qu’il souhaitait construire différemment. On lui doit également un très prolifique travail de recherche d’effets et « d’états » de l’architecture plus organique, qui donnent à ses bâtiments un aspect déformé, organique. Mais il puisait quant à lui ces références dans le répertoire infini des formes de la nature, animales et végétales, qu’il étudiait au préalable et qui l’inspiraient dans sa conception architecturale. On retrouve cette impression de déformation dans l’architecture contemporaine, comme l’effet de l’exercice physique d’une pression ou d’une torsion de la matière a une très grande échelle que cela soit chez Frank Gehry ou MVRDV, mais générée d’une autre manière, plus numérique. Le processus change : l’architecture conçue de lignes et de courbes évolue vers une architecture de surfaces et de volumes modifiables. Ces opérations s’identifient comme une déformation de l’architecture, et donc de la matière qui la compose. Or la déformation de ce que l’on connaît, c’est précisément l’un des principes de l’onirisme : la distorsion de la réalité.
35
F I G U R E 1 2 : HOTEL MARQUES DE RISCAL, ARCHITECTE : FRANK GEHRY, 2007, LA RIOJA, ESPAGNE. PHOTOGRAPHE : JEREMIE BLOG. SOURCE : HTTP://JEREMIE.BLOG
F I G U R E 1 3 : TIANJIN BINHAI LIBRARY, 2017. ARCHITECTE : MVRDV + TIANJIN URBAN PLANNING AND DESIGN INSTITUTE, PHOTOGRAPHIE: OSSIP VAN. SOURCE : MVRDV.NL
36
Les marqueurs oniriques de forme peuvent aussi passer par l’innovation à travers la matérialité. L’innovation technologique en architecture permet la création de nouvelles matières. Ces matériaux et leurs nouvelles techniques d’application ouvrent de nouvelles possibilités architecturales, en générant par exemple des enveloppes de bâtiments qui disposent d’une toute nouvelle esthétique. L’observateur qui ne connaît pas cette matérialité la rattache intuitivement à tout autre élément de son imaginaire qui lui est semblable. L’exemple utilisé ici est celui du People’s Pavillon de Overtreders W et du Bureau SLA (Fig. 14). Ce bâtiment fut réalisé en 2017 à Eindhoven aux Pays-Bas entièrement à partir d’éléments et de matériaux empruntés, à l’exception des tuiles qui font sa couverture. Celles-ci sont constituées de déchets plastiques recyclés. Pour éviter d’obtenir une couleur grise et uniforme, les déchets ont été triés pour créer des coloris de tuiles. Impossible à identifier, car très novateur et peu répandu, ce procédé génère une façade qui évoque les écailles, la carapace. C’est une forme d’onirisme que l’on doit à notre capacité et au besoin de l’esprit d’identifier ce qu’il voit, et de le rattacher à ce qu’il connaît. L’esprit de l’observateur accuse dans un premier temps la surprise, et cherche tout de suite après à faire une association d’idées avec ce qui lui est familier. C’est une fois de plus une démonstration du pouvoir immédiat et poétique de l’image et de l’imaginaire de Gaston Bachelard38.
Figure 14 : Visuel du People’s Pavillion, Architectes : Overtreders W + Bureau SLA, Eindhoven, Pays Bas, 2017. Source : Dezeen.
38
BACHELARD Gaston. La Poétique de l’Espace, PUF, 1957. 228 pages.
37
Si l’on considère les rêves comme une déformation de la réalité, ces ouvrages sont de parfaits prototypes d’architectures oniriques, il s’agirait même des exemples les plus littéraux qui soient. Ils altèrent la notion d’architecture au sens commun, tout comme les rêves altèrent la réalité : ils sont juste assez réalistes pour être identifiés, et assez différents pour sortir du commun et stimuler l’imaginaire. Ces projets empruntent des codes du réel dans une quantité suffisante, puis les détournent. Cela étant dit, l’innovation n’est pas seule créatrice d’onirisme et de poésie. Les valeurs de la nostalgie et du souvenir, qui se trouvent à l’opposer de l’innovation sur l’échelle du temps, disposent-elles aussi d’une forte capacité onirique. La valeur des souvenirs, à travers le filtre de la mémoire et des émotions, constitue également une potentielle déformation de la réalité. Ces notions seront quant à elles étudiées plus tard à travers l’œuvre et le travail de Wes Anderson.
Chaque marqueur est une entrée onirique différente possible dans le projet, et permet également a posteriori une classification des projets oniriques. Trois types de marqueurs oniriques ont été développés ici, mais il en existe d’autres. Ce mémoire semble par exemple mettre en avant que le seuil, la collection, où encore la nostalgie pourrait être eux aussi d’autres marqueurs d’onirisme. Mais malgré les différents angles de vue qu’ils représentent, chacun de ces marqueurs permet de déclencher un processus qui faire fonctionner l’imagination à travers les références et la sensibilité de chacun. Ils sont donc autant de manières différentes de communiquer une histoire chez chaque observateur. Ce récit est unique pour chaque projet et chaque observateur : il est en fait le fruit de la transmission et de la modification du récit du concepteur du projet, par le biais du prisme de perception de son observateur. Ce qui nous amène donc à réfléchir au processus qui permet de concevoir des architectures oniriques.
38
DEUXIÈME PARTIE : PROCESSUS DE CONCEPTION ONIRIQUE
S’il est vrai que l’on peut déceler l’onirisme de l’architecture en analysant son effet à travers le filtre de la perception, l’onirisme peut intégrer l’architecture dès sa conception. Par ailleurs l’emploi du terme « projet d’architecture » englobe la totalité du processus de conception, de sa genèse à la potentielle livraison d’un bâtiment. Cette partie concerne les premières phases du projet, le processus créatif de la conception d’espaces oniriques. Les processus étudiés ici sont contemporains : la valeur onirique des édifices traditionnels est considérée, mais sa conception n’est pas étudiée. Ce mémoire tend à développer
une
méthodologie
pour
concevoir
des
projets
oniriques
« actuellement », un mécanisme différent de celui qui rend un projet onirique à posteriori, pour sa valeur nostalgique par exemple. Il s’agit ici d’étudier des procédés appliqués consciemment au cours du processus de conception d’espaces, et qui sont capable de génèrer de l’onirisme dans le projet.
39
2.1 L E P O U V O IR O N IR IQ U E D E L A N A R R A T IO N En décomposant les « étapes » du processus de projet, on constate rapidement le rôle essentiel et parfois insidieux que prend le récit. La narration s’infiltre dès le début du processus de projet chez les architectes oniriques, et peut évoluer tout au long de celui-ci. Les intentions et la narration injectées lors de la conception sont filtrées par la perception de chaque observateur et donc interprétées différemment, c’est ce que démontre la première partie de ce mémoire. Cette seconde partie se concentre donc sur ces premières intentions narratives oniriques intégrées par celui qui conçoit le projet.
2.1.1 P R E M I E R E S T H E O R I S A T I O N S R E M A R Q U A B L E S S U R L A N A R R A T I O N E N ARCHITECTURE Il est inévitable d’entamer par l’œuvre de Le Corbusier. Derrière sa production très prolifique d’architecture innovante se trouve une très grande quantité de réflexions théoriques et de principes sur l’architecture. Inspirés de la culture pluridisciplinaire acquise le long de sa formation et de sa carrière, ces réflexions se manifestent sous la forme d’études architecturales qui ne sont dans un premier temps pas construites. C’est le cas par exemple du plan Voisin pour la ville de Paris en 1925, ou encore de ses études sur la concentration urbaine dans les années 30, qui concernent aussi bien Rio au Brésil, que Moscou en Russie ou que Genève en Suisse. Le Corbusier endosse tour à tour les rôles de théoricien et de praticien. Il parvient à appliquer ses principes à des architectures construites, ce qui permet d’en évaluer l’efficacité réelle. À titre d’exemple, le cas de la « promenade architecturale ». Il s’agit d’un principe développé par Le Corbusier qui guidera sa production de projets architecturaux et urbanistiques. Cette expression vient remplacer et enrichir celle de « circulation » qu’il utilisait et expérimentait déjà auparavant. En parlant de la Villa Savoye à Poissy, il emploie l’expression pour la première fois, en 1928 : « une véritable promenade architecturale, offrant des aspects constamment variés, inattendus, parfois étonnants »39. La promenade architecturale décrit le cheminement de l’observateur à travers l’espace construit, il en résulte une série de séquences filtrées par le regard de l’observateur et ordonnées à mesure que celui-ci évolue dans un projet. Il s’agit d’un système de déambulation qui régit
39
Premier emploi de l’expression par le Corbusier, BOESIGER, Willy, Le Corbusier –
Œuvre complète Volume 2, 1929-1934, Zurich, Les Editions d’Architecture, 1995, p. 24
40
alors hiérarchiquement les éléments qui forment l’architecture, selon leurs incidences sur la progression de l’observateur. Le Corbusier la résume à trois principes : l’évènement de l’entrée qui par tous les moyens architecturaux doit pousser l’observateur à la curiosité et donc à poursuivre sa déambulation dans le bâtiment ; l’accumulation de nombreux points de vue différents tout au long de la promenade ; et enfin la conservation d’un rattachement à l’unité architecturale pour tous ces fragments et évènements de la promenade. Le récit réside alors dans l’étude de l’architecture sous l’angle de la promenade vécue par l’observateur, et dans la promenade elle-même. L’architecture devient une histoire à vivre, un espace-temps. Si à première vue cette promenade architecturale parle de parcours, une lecture plus fine de son œuvre permet de voir en quoi il s’agit d’une démonstration de ses convictions et des principes pour lesquels il œuvre tout au long de sa carrière, notamment le fait qu’il considère l’architecture comme une forme d’initiation40. Pour Le Corbusier, le récit est à la fois le support des idéaux et des idéologies de l’architecte, et moteur de la conception de son architecture. Le récit devient l’intermédiaire entre les intentions de l’architecte et la manifestation de celle-ci. De plus, la manière dont il construit ce récit, régie par des actions séquencées, évoque la manière dont le récit peut être développé sous forme cinématographique. Mais le cinéma comme support du récit et de la représentation de l’espace sera abordé ultérieurement. C’est aussi le récit qui guide les architectes français Paul Virilio (essayiste et urbaniste) et Claude Parent (architecte et professeur) dans leur création de la « fonction oblique » en 1964, exprimée à travers des recherches, des projets d’architectes, un livre-manifeste et une exposition41. Ceux-ci sont les fruits de recherches menés par les deux hommes sur l’abolition de la réflexion architecturale dictée par les plans horizontaux et verticaux, pour laisser place à la diagonale et à l’oblique (Fig. 15), synonyme de vie, de mouvement, d’expérimentation réelle de l’espace. Ces plans inclinés peuvent ensuite évoluer librement dans les trois dimensions, à l’échelle de villes comme à celle de l’architecture qui se confondent alors. Il s’agit d’espaces qui se vivent et se ressentent, grâce au dynamisme de l’oblique que le corps humain ressent (contrairement aux plans horizontaux ou verticaux qui, selon eux, n’ont que des effets négatifs, et compartimente une architecture qu’il rêve fluide). Extrait du récit de Claude Parent, 2017 « la perpendiculaire me gêne, parce qu’elle crée obstacle. L’architecture ne doit plus générer des enfermements, avec des murs, toujours des murs, mais au contraire rétablir la continuité, respecter la fluidité. Il
40
La toile de fond complexe de la « promenade architecturale » est développée en
détails par Flora Samuel dans son livre : SAMUEL, Flora, Le Corbusier and the Architectural Promenade, Walter de Gruyter GmbH, 2010, 223 pages. 41
PARENT, Claude, Vivre à l’Oblique, 1970, et exposition Vivre à l’Oblique.
41
ne faut plus contourner les bâtiments, mais passer par-dessus, se réapproprier les toitures. Faire des collines plutôt que des murs »42 . Un discours narratif, idéologique et onirique, qui manifeste une volonté de dépasser la réalité dans la création d’espace à travers le récit.
Figure 15 : Le Transversal, Claude Parent, exposition « L’œuvre construite, l’œuvre graphique », mai 2010, Cité de l’architecture et du patrimoine. Source : https://www.exporevue.com/magazine/fr/index_claude_parent.html
42
Entretien de Claude parent pour le JDD, Claude Parent : ‘’Il faut révolutionner
l’architecture’’,
15
janvier
2017,
consulté
le
3
Novembre
2018,
https://www.lejdd.fr/Societe/Claude-Parent-Il-faut-revolutionner-l-architecture-1651063099215
42
2.1.2 A L I M E N T E R E T E N R I C H I R L E R E C I T : D E S O U T I L S S P E C I F I Q U E S Le néerlandais Rem Koolhaas travaille lui aussi beaucoup sur la notion de narration. Il commence sa carrière comme journaliste et comme scénariste avant de devenir architecte et théoricien de l’architecture. Il explique le caractère intentionnel de ce cheminement par sa volonté de construire en tant qu’écrivain
le
terrain
sur lequel il travaillerait éventuellement en
tant
43
qu’architecte. Il fonde l’OMA (The Office for Metropolitan Architecture) en 1975. En 1990, l’agence se scinde en deux ; l’OMA continue de concevoir des projets d’architecture, tandis que la seconde structure AMO, s’oriente davantage vers la recherche, l’exploration, et les nouveaux médias qui émergeaient alors. Koolhaas se fait remarquer par des concours et par ses livres qui deviennent des succès (S, M, L, XL en 1995, Delirious New York en 1978, ou Junkspace en 2001), et remporte successivement les Prix de l’Équerre d’Argent et le Pritzker. Il devient une personnalité influente, et se sert de cette influence pour diffuser ses idées : sa critique de la société attire la controverse sans pour autant contrecarrer ses idéaux. À travers ses théories et son œuvre, l’architecte adopte une position très critique envers la société moderne. Il se crée avant même d’exercer en tant qu’architecte un récit en imaginant des scénarios théoriques, satiriques, mais aussi poétiques. En témoigne le projet « Exodus, or the Voluntary Prisoners of Architecture » (Fig. 16, 17), en (français Exodus, ou les Prisonniers Volontaires de l’Architecture) produit en 1972 par Rem Koolhaas, Elia Zenghelis, Madelon Vriesendorp, et Zoe Zenghelis dans le cadre de leur thèse finale à l’Architectural Association School of Architecture de Londres ; et exposé au MoMa à New York. Il s’agit d’une série de 18 collages, mélangés au dessin et à l’aquarelle. Le titre du projet fait référence à Berlin-Ouest, que le groupe considère comme une prison grande échelle, encerclée d’un mur, où les prisonniers se réfugient volontairement. Scène après scène, leur récit se déroule : la création d’un mur, le désir renforcé d’évasion, jusqu’à la solutionexemple apportée par Rem et ses collègues, appliquée et testée sur la ville de Londres. Une architecture-bande (ils l’appellent « the Strip ») complètement idéaliste, imperméabilisée par deux murs dans la longueur, mais qui absorbe pourtant peu à peu la ville de Londres, pour traiter ses nouveaux réfugiés avec luxe. Le groupe propose une narration littéraire complète autour du projet de cette méga-architecture fictive et de la nouvelle société qui s’y développe, impeccable, perpétuellement renouvelée par elle-même, éradiquant un à un tous les maux de l’humanité : un récit pour une métropole du futur.
43
« I wanted to construct – as a writer – a terrain where I could eventually work as an
architect », Koolhass, Rem, entretien avec Cynthia Davidson « Rem Koolhaas : Why I wrote Delirious New York and other textual strategies », ANY n°0, mai 1993
43
Cette œuvre témoigne à la fois de ses idées, de son engagement, mais aussi de son passé d’écrivain et de scénariste, ces collages manifestant la place que prend le récit dans son processus de création. Autant d’outils et de technique que l’architecte met en œuvre pour donner vie à son récit, le communiquer au plus proche de ses intentions. Il se donne ainsi les moyens de restituer ses idées oniriques à sa propre manière, en dehors des conventions architecturales classiques. De telles productions remettent en question l’étendue du domaine de l’architecture, notamment dans le cadre de l’architecture onirique.
Figure 16 : Exodus, or the Voluntary Prisoners of Architecture, The Baths, project, 1972. MoMA Collection © 2013 Rem Koolhaas.
44
Figure 17 : Exodus, or the Voluntary Prisoners of Architecture, The Strip, project, 1972. MoMA Collection © 2013 Rem Koolhaas.
2.1.3 R E D E F I N I R L E C H A M P D E L ’ A R C H I T E C T U R E E T S E S L I M I T E S L’architecte franco-suisse Bernard Tschumi a également travaillé sur la question du récit. Théoricien de l’architecture très prolifique, il mène plusieurs études, publie plusieurs essais et enseigne successivement à l’Architectural Association à Londres, ou encore à l’Université de Princeton, pour finir à la Graduate School of Architecture, à New York. Tschumi parle de « contamination d’une discipline à une autre »44. Il expérimente lui-même beaucoup la question, à travers par exemple ses Screenplays (en français « scénarios ») en 1976 (Fig. 18, 19). Ces compositions sont des recherches graphiques et conceptuelles, des « hypothèses ». Elles se concentrent d’une part sur les liens entretenus entre ce que Tschumi appelle les « évènements » (et qui correspondent au programme architectural) et les espaces architecturaux ; et d’autre part sur le principe de séquences en tant qu’élément perturbateur, modificatif. Il se sert
44
Enregistrement de le l’évènement
Paroles à l’architecture, Bernard Tschumi,
Architecture/Cinéma/Littérature, 23 mai 2014, Centre George Pompidou, Paris. Source : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cjGzaa/rdLk7AA
45
alors d’images tirées de films pour faire office d’action et générer une incidence sur ses expériences, plutôt que d’imaginer de toute pièce une action fictive et observer ce qu’elle permet de créer. Le cinéma constitue pour lui une source très appropriée et intarissable pour ses expériences et pour l’architecture en général. Ces expérimentations et son intérêt pour ce que le cinéma a à apporter à l’architecture illustrent son rapport général à la notion de récit. Le récit apporte des éléments modificatifs, qui ont une incidence sur l’architecture, et qui permettent de produire. C’est une composante de la conception. Tschumi se retrouve également très tôt dans les « notations » du cinéaste russe Sergueï Eisenstein (Fig. 20). Dans ces petits documents graphiques très complets, plusieurs composantes se recroisent : l’image, l’action, la musique, les mouvements de la caméra… Toute cette mécanique du film, l’image visible, l’espace de l’écran, tous représentés en même temps : cette simultanéité qui fascine Tschumi. Il indique 45 que tout cela ne figure pas dans les plans les coupes ni les élévations : ces modes de représentation ne correspondent qu’à une vision très fragmentaire de ce qui se passe dans l’architecture. Il poursuit ses expérimentations proches du story-board dans The Manhattan Transcripts, de 1976 à 1981, et affirme « L’architecture ne se résume pas à l’espace et à la forme, elle englobe aussi la question de l’évènement, de l’action, et de ce qui se passe dans l’espace »46. Les Manhattan Transcripts (Fig. 21) se basent sur des photos pour créer les évènements réels, desquels découlent des interprétations architecturales de la réalité. Il cherche ici à retranscrire quelque chose qui ne figure pas selon lui dans la représentation classique de l’architecture, à savoir la relation entre les espaces et leur utilisation. Il parle de confrontations improbables, qu’il créé de toute pièce en imaginant des ponts entre des notions et des disciplines qu’il considère comme étroitement proches et éminemment liées, mais entre lesquelles il n’est pas d’usage de créer des passerelles. Il en ressort une production riche et inédite. Intégrer le récit à son processus lui permet une production et une étude non conventionnelle, pour laquelle il n’emprunte à l’architecture au sens commun du terme que très peu de choses. Il développe une définition très personnelle de l’architecture à travers ses recherches, et ce sont ces mêmes recherches qui lui permettent de la communiquer. Il cherche grâce au récit à s’émanciper des idées préconçues de l’architecture, pour la représenter au mieux telle qu’il l’entend. Son recours au récit est presque cinématographique.
45
Enregistrement de le l’évènement
Paroles à l’architecture, Bernard Tschumi,
Architecture/Cinéma/Littérature, 23 mai 2014, Centre George Pompidou, Paris. Source : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cjGzaa/rdLk7AA 46
Source : tschumi.com, consulté le 3 Novembre 2018
46
Figure 18 : Bernard Tschumi. Screenplay no. 3 © Bernard Tschumi Architects, 1978
Figure 19 : Bernard Tschumi. Screenplay no. 5 © Bernard Tschumi Architects, 1978
Figure 20 : Notations de Sergueï Eisenstein pour le film pour Alexandre Nevski, 1938, Source : https://docplayer.fr/44039057-3-mises-en-scene-decoupage-ii-cinemaperception-et-representation-de-l-architecture-industrielle-en-europe-de-l-est-epflenonce-theorique.html
47
Figure 21 : Bernard Tschumi. Manhattan Transcripts, London : Academy Press 1994
Concevoir un projet d’architecture à partir de la narration et du récit est donc un moyen pour générer de l’architecture onirique, et même de l’architecture rêvée. En effet, ce récit supporte des idéaux qui sont poussés à leurs extrêmes, et exprimés de manière unique et adaptée sr mesure. Si les procédés de chacun pour aborder leurs propres récits diffèrent, il existe tout de même des points communs entre ces architectes du récit. Dans un premier temps, beaucoup d’études, de théorisation et d’expérimentations de projets, sans nécessairement aboutir à une construction. Cela peut être parce que la représentation de ces projets se suffit à elle même, parce qu’il s’agit d’études en cours qui prendront forme de bâtiment(s) lors de leur aboutissement. Ou bien cela peut-être parce qu’il s’agit de projets qui ne sont pas constructibles : soit parce que cela est techniquement impensable, soit parce qu’il ne s’agit pas de projet à nature proprement architectural au sens commun du terme. Mais ces architectes adeptes de la narration ont aussi en commun le recours à divers médiums pour communiquer leurs idées nouvelles. Il peut d’agir de modes de représentation classiques de l’architecture, alternatifs, détournés, artistiques, décalés, novateurs, ou encore hybrides. L’émergence de nouvelles approches induit naturellement l’évolution des moyens de les représenter.
48
2.2 R E P R E S E N T E R L ’ A R C H IT E C T U R E O N IR IQ U E Ce chapitre aborde et analyse les modes de représentations de l’architecture onirique, qui peuvent être dérivés des modes de représentations classiques, empruntés à d’autres disciplines artistiques, hybrides, ou même inventés. Considérer l’architecture onirique comme une catégorie d’espaces particuliers et sensibles, c’est admettre qu’elle nécessite des supports adéquats qui peuvent différer de projets d’architecture standard.
2.2.1 A P P R O P R I A T I O N D E S O U T I L S C L A S S I Q U E S D E R E P R E S E N T A T I O N L’architecture onirique se représente et se présente. Les moyens de la représenter deviennent essentiels, centraux, tout comme les moyens de la présenter. La première possibilité pour concevoir de l’architecture onirique est de s’approprier les modes de représentation classiques de l’architecture. Dans la mesure où ils peuvent, pour leur nature propre, exprimer les idées d’un architecte par la décomposition en plans d’un bâtiment, ils peuvent de la même manière décrire par fragments les principes de l’architecture onirique. La représentation de l’architecture est historiquement permise par des modes de figuration graphiques axés sur la fragmentation 47 de l’architecture, sur des techniques géométrales graphiques codifiées et standardisées, ainsi qu’une mise à l’échelle du projet. Un travail de l’ordre de la dissection, qui permet de décrire un bâtiment et de le communiquer par différentes entrées telles que le plan, la coupe ou l’élévation. Cette notion de dissection est corrélée à la découpe de quelque chose de fini, pour l’étudier et l’analyser partie par partie, et semble alors être une antinomie lorsqu’elle est appliquée au processus de conception, notamment la conception d’un projet architectural qui nécessite de travailler l’espace et donc tous ces fragments de manière simultanée. Ces modes semblent limiter le désir de l’architecte de traiter et de maîtriser le projet dans son entièreté, chose que l’on pourrait par exemple attribuer au travail graphique en deux dimensions en opposition au travail en trois dimensions qui s’apparente directement à la création d’espace en combinant tous les angles d’intervention. Mais fragmenter l’espace n’est pas nécessairement perçu comme un principe réducteur et subit. Il peut aussi être considéré comme un traitement au cas par cas des différentes problématiques de l’architecture. Frank Lloyd Wright affirme par exemple que le croquis perspectif ne peut pas être une entrée
47
ESTEVEZ, Daniel, « Représentation dissensuelle en architecture », Entrelacs, 13 | 2017,
mis
en
ligne
le
28
février
2017,
consulté
le
14
novembre
2018.
URL
http://journals.openedition.org/entrelacs/2016
49
:
dans le projet et à laquelle se plie le plan48. Selon lui, le plan prédomine dans la conception en tant qu’il est nécessaire pour régler des problématiques propres au projet d’architecture (comme le programme, le dimensionnement des espaces, ou encore la circulation et l’articulation des espaces entre eux). Il considère alors les façades comme l’expression de la solution du plan. À chaque mode de figuration graphique, on peut alors affecter une problématique à traiter, un sujet de réflexion propre, et un angle de perception. C’est ce qu’exprime Charles Blanc, théoricien et historien du XIXe siècle et ancien professeur et directeur des Beaux-Arts, de façon imagée lorsqu’il écrit49 « À ces trois termes : convenance, solidité, beauté, correspondent trois opérations de l’architecture ; le plan, la coupe, l’élévation » et « À ces trois mots, le plan, la coupe, l’élévation, trois genres de dessin par lesquels l’architecte se rend compte à lui-même des divers aspects de son édifice futur, sous trois dimensions, hauteur, largueur et profondeur ». Ainsi l’usage au cas par cas ou simultané de ces éléments pour concevoir l’architecture peut être un choix fondé, et l’architecte n’y est pas nécessairement assujetti, particulièrement dans la mesure où la conception tridimensionnelle s’est démocratisée. La maîtrise d’un projet architectural ne dépendrait donc pas de sa conception en trois dimensions, bien que la figuration tridimensionnelle d’un projet dispose de l’avantage d’être immédiatement compréhensible spatialement par tout un chacun. Il convient donc dans un premier de temps de passer en revue ces différents modes de représentation classiques utilisés pour l’architecture ; c’est en intégrant leurs valeurs propres d’expression que l’on peut comprendre comment ils peuvent être détournés grâce aux informations permettent de communiquer, et utilisés pour représenter l’architecture onirique.
48
WRIGHT, Frank Lloyd, « In the cause of architecture », 1908
49
BLANC, Charles, « Grammaire des arts du dessin », Beaux-Arts de Paris Éditions, 1889
50
Le plan Le plan est une représentation graphique géométrale d’un bâtiment en vue
de
dessus
et
issu
d’une
section
horizontale
d’un
bâtiment,
conventionnellement à un mètre du sol. Sur ce document figurent les murs sectionnés et les ouvertures (portes et fenêtres). Des conventions de dessin permettent de représenter chacun des éléments qui le composent de manière codifiée (éléments coupés pochés, éléments situés au-dessus du plan de coup en pointillés). Le plan est le principal moyen de communication en architecture, sa valeur varie selon son type et son échelle : le plan de masse a un cadrage élargi, et donc subit une forte réduction d’échelle. Il permet de montrer l’emprise du projet dans son contexte. Le plan d’étage peut quant à lui être représenté à plusieurs échelles selon l’information qu’il doit transmettre (par exemple, le mobilier figurera sur un plan à l’échelle 1:100, parfois au 1/200 et jamais au 1/500 : l’échelle rendrait le mobilier trop petit et illisible, sa présence polluerait). La non-représentation et donc l’absence sur un document graphique d’éléments pourtant existants dans le projet, mais jugés à certaines échelles comme polluant (comme par exemple ici le mobilier, ou le détail des menuiseries sur les ouvertures, etc.) permet alors la mise en valeur d’autres éléments, d’où le recours à plusieurs échelles u bien le choix de celles-ci en fonction du projet. Le plan traite de circulation (l’exemple des plans d’évacuation exprime comment le plan est la manière la plus appropriée pour faire appréhender à chacun la notion de circulation) distribution, de plein et de vide, de surface et d’emprise des différents espaces et des relations entre eux. Il exprime aussi le bâtiment d’une manière un peu omnisciente, en tant qu’il est une représentation complète que l’on ne peut expérimenter physiquement dans un bâtiment, la vision donnant plus une vision d’un plan vertical des bâtiments alors que le plan est une section horizontale. Le théoricien allemand de l’art et du cinéma Rudolf Arnheim explique cette sorte d’omnipotence du plan « Une projection horizontale, quelles que soient ses limites, possède une complétude dont aucune section verticale ne peut se prévaloir. Bien que le plan ne fournisse pas d’information sur la superstructure, il couvre l’étendue totale de l’espace dans lequel l’homme se déplace. Il retrace l’histoire complète de la façon dont le bâtiment s’insère dans le monde environnant et comment on peut y entrer, le traverser et l’occuper. Il énumère les accès et les barrières […] L’espace représenté sur un plan est intégral dans la mesure où la troisième dimension absente n’est pas perçue comme manquant au tableau. […] Une élévation ne possède jamais cette complétude. Alors que le plan, comme une carte, peut être vu sous tous les angles »50.
50
ARNHEIM, Rudolf, « Dynamique de la forme architecturale », Éditions Mardaga, 1986,
284 pages.
51
Exemple d’appropriation onirique : Le caractère si prédominant du plan dans la représentation architecturale fait de lui un élément presque incontournable de la conception architecturale, ce qui laisse un large choix sur ses appropriations oniriques. L’exemple choisi pour illustrer l’appropriation onirique du plan est très corrélé
à
cette
notion
d’omniscience
et
de
contexte,
il
s’agit
des
plans/diagrammes d’Archizoom Associati (Fig. 22, 23), pour le projet utopique « No stop city » datant de 1970-1971. L’agence de design italienne y développe un principe de structure résidentielle continue qui va à l’encontre de la fragmentation immobilière. La représentation en plan leur permet d’appliquer à ce principe théoriquement infini une grille dont la régularité est perceptible par l’horizontalité du plan. Il permet aussi de représenter l’extension de ce système tramé jusqu’aux limites physiques des terres constructibles. Le choix des échelles est donc très important pour faire apparaître ce quadrillage de manière évidente, tout en le confrontant à son contexte. Ici, la codification standard du mode de représentation du plan est respectée pour exprimer un projet qui lui n’est pas standard, et lui donner la quantité de réalité nécessaire à sa compréhension et sa communication. Cela rejoint le principe de suspension volontaire de crédulité évoqué précédemment : injecter une dose suffisante de réalité à un projet pour permettre à celui qui l’observe de l’appréhender naturellement.
Figure 22 : Plan du projet « No stop city », Archizoom Associati, 1970-71. Source: Domus 494, mars 1971.
52
Figure 23 : Plan du projet « No stop city », Archizoom Associati, 1970-71. Source : Domus 494, mars 1971.
53
La coupe
La coupe, contrairement au plan, est issue de la section d’un bâtiment par un plan vertical, identique donc à celui de la vision. Un projet architectural s’accompagne rarement d’une seule coupe, et sa situation dépend des informations qu’il est nécessaire de communiquer, notamment les relations entre les étages ou les proportions par rapport au contexte. Selon les proportions du bâtiment, une coupe peut être longitudinale si elle sectionne le bâtiment dans le sens de son côté long, ou transversal si elle le sectionne dans le sens de son côté court. Une coupe dispose d’un vrai rôle de révélation à autrui de ce qui est dissimulé ; Charles Blanc disait « la coupe représente le bâtiment comme si l’architecte, pour nous en montrer l’intérieur, avait enlevé une des façades » et « La coupe concerne les agencements secrets de la construction ; elle montre l’épaisseur des murs, la force des voûtes, l’ajustement des charpentes […] elle représente ce que le spectateur ne verra jamais et ce que l’architecte ne voit luimême qu’avec les yeux de sa pensée »51. Il est question ici d’un savoir-faire technique de la représentation architecturale, d’un choix stratégique de l’architecte pour décrire son projet, et d’une réelle dissection d’un bâtiment selon la partie à l’étude. Cela témoigne également de l’aspect technique de la coupe, très liée à l’architecture. Si l’aspect technique d’un plan est indéniable, celui-ci est beaucoup plus présent dans la vie quotidienne et compréhensible par tout un chacun, voire l’exemple plus haut du plan d’évacuation, les plans d’accès de musée ou d’université, ou même des cartes et autres plans d’orientation. Exemple d’appropriation onirique : L’exemple choisi est celui de Dyodon (Fig. 24), l’architecture pneumatique expérimentale de Jean-Paul Jungmann, en tant qu’elle illustre l’idée de dévoiler l’intérieur d’un projet en retirant la façade, mais aussi des relations entre les différents niveaux du projet, primordial dans ce projet onirique et utopique. Charles Blanc le souligne dans le même ouvrage quand il dit à propos de la coupe « Elle montre l’aspect qu’il (l’édifice) offrira audedans […] de sorte que la coupe peut être considérée, sous ce rapport, comme une élévation intérieure ». Il est aussi question d’un autre aspect que la coupe permet d’exprimer et qui ici est particulier, à savoir la structure révélée.
51
BLANC, Charles, « Grammaire des arts du dessin », Beaux-Arts de Paris Éditions, 1889
54
Figure 24 : Façade puis coupe diamétrale du projet pneumatique expérimental Dyodon de Jean-Paul Jungmann, impression gélatine violette coloriée à l’aquarelle sur papier, Éléments d’un diplôme d’architecture à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2e version, Crédit photographique : © Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, Musée national d’art moderne/Centre de création industrielle/Dist. RMN-GP © Adagp, Paris, URL : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/c7p9dpr/r9jRxrk
L’élévation, la façade
L’élévation, comme la coupe, est une représentation verticale d’un édifice, mais sans plan de coupe. Elle représente en fait les façades d’un bâtiment, son enveloppe extérieure. En tant qu’elle est issue d’un plan vertical qui ne coupe que la ligne de terre, elle est très proche de la vision humaine. Le fait qu’elle représente l’extérieur du bâtiment permet également à l’architecte de montrer comment s’intègre visuellement le bâtiment dans son contexte. Toujours selon Charles Blanc, il s’agit du document qui permet à l’architecte d’exprimer la beauté de son projet, mais son discours est liée à la beauté telle qu’il la définit, avec des composantes esthétiques inévitables, tandis que le propos de ce mémoire statut davantage sur la subjectivité de la beauté, et se penche plutôt sur les caractéristiques des bâtiments qui exercent un effet onirique sur leurs visiteurs. Aussi, concernant les élévations, elles disposent d’un caractère très accessible. En effet, en tant qu’elles retranscrivent orthogonalement la vue extérieure des bâtiments, elles correspondent à ce que l’on côtoie le plus de l’architecture dans la vie quotidienne. L’élévation est un langage très familier, moins technique que ceux de la coupe ou du plan qui sectionne les bâtiments. L’élévation a donc un fort pouvoir évocateur pour chacun ; ses codes (portes, fenêtres, revêtements, enseignes toiture, géométrie, etc.) et la diversité de leurs typologies (style, couleurs, matérialités, localisation, etc.) sont très narratifs. Ils font référence à beaucoup de souvenirs et d’imaginaires différents. 55
Exemple d’appropriation onirique : Pour illustrer ce propos, il ne s’agira donc non pas de dessins d’élévations d’architectes, mais plutôt d’une collection de photographies qui parlent du récit porté par les façades (Fig. 25). Le phénomène Accidentally Wes Anderson (en français accidentellement Wes Anderson) se comporte d’une page Instagram et d’un site internet. C’est un projet collaboratif qui consiste à la récolte et la publication de clichés en tout genre, collectés dans le monde entier, qui évoque le style de Wes Anderson. Évidemment, toutes ces photographies, en tant qu’elles se réfèrent à l’univers cinématographique du réalisateur, sont très narratives. L’orthogonalité s’y trouvant également omniprésente, rend les photographies de ces façades semblables à des élévations. L’intérêt d’évoquer ce phénomène ici est la quantité importante de façades parmi les photographies publiées par la page Accidentally Wes Anderson, et la diversité stylistique de celle-ci. Une fois de plus, l’onirisme se manifeste non pas entre les limites rigoureuses d’un style architectural ou d’une esthétique bien déterminée, mais précisément dans la diversité de ces façades et leur capacité à chacune de raconter une histoire teintée de poésie, de fantaisie, ce qui a la capacité de les rendre plus irréelles. On remarque que l’on peut appliquer aux façades ci-dessous les marqueurs oniriques de l’architecture précédemment évoqués, auxquels s’ajoute le fait qu’ils aient été rassemblés par de nombreuses personnes différentes, la communauté Accidentally Wes Anderson compte actuellement plus de 500 000 abonnés et plus de 500 photographies publiées depuis sa création, en juin 2017. Il s’agit d’une appropriation de ce mode d’expression architectural en dehors du domaine de l’architecture. Le fait qu’il s’agisse de photographies et non de document d’élévations supprime essentiellement l’orthogonalité, mais pas l’expression de la façade architecturale : « L’élévation est dite perspective quand elle représente le bâtiment à la fois de face et de côté, par le moyen de lignes obliques qui font apparaître ce raccourci, conformément, cette fois, à l’action visuelle. C’est ce que les Grecs appelaient scénographie, parce que les décorateurs de la scène lui prêtent une profondeur feinte en y peignant les objets en perspective »52 ici, les photos sont toutes prises le plus frontalement possible, mais la perspective créée peut être créée par la différence de plans des éléments qui font le bâtiment.
52
BLANC, Charles, « Grammaire des arts du dessin », Beaux-Arts de Paris Éditions, 1889
56
Figures 25 : SĂŠrie de publications de la page Instagram Accidentallywesanderson, URL : https://www.instagram.com/accidentallywesanderson/
57
La perspective et l’axonométrie Toutes deux sont des modes de représentation qui permettent de dessiner des vues d’un projet architectural en trois dimensions. Les déclinaisons sont infinies, puisqu’il peut s’agir de vues intérieures, extérieures, ou même des deux dans le cas d’une axonométrie coupée : le dessin en perspective d’un bâtiment sectionné par un plan horizontal ou vertical. Il peut s’agir d’une projection et perspective avec un point de fuite (qui donne de la profondeur au dessin et qui se rapproche le plus de la vision), ou encore axonométrique (sans point de fuite, et les lignes de profondeurs de même direction sont toutes parallèles). Ces vues complémentaires aux autres dessins d’architecture mis à l’échelle sont presque essentielles à la communication d’un projet, elles permettent de sentir l’ambiance d’un projet architectural, de s’y projeter. Aujourd’hui, de telles perspectives peuvent être générées par ordinateur d’après une maquette numérique, avec un rendu très réaliste. Elles sont très demandées dans le monde de l’architecture, car elles permettent de se représenter un projet, il s’agit certainement du mode de représentation de l’architecture le plus accessible. Les axonométries sont également très utilisées pour les schémas architecturaux : elles permettent de montrer les circulations, l’organisation, les usages, la morphologie, l’intégration dans son contexte d’un projet. Les axonométries éclatées (c’est-à-dire où l’on éloigne les composants les uns des autres pour représenter leur imbrication) peuvent aussi apporter énormément d’information sur un projet : sur sa structure, la compréhension de son enveloppe, ou encore l’imbrication des différents volumes entre eux. Ces documents ont donc une forte valeur explicative, qu’elle soit technique ou sensible, ainsi qu’une large portée. Exemple d’appropriation onirique : Leur appropriation onirique est presque illimitée par leur nature : c’est un effet un mode de représentation et d’expression très libre et très créative, presque picturale pour la perspective. On peut néanmoins citer le collage, qui est une alternative moins rigoureuse en ce qui concerne les proportions, de précision, de géométrie. Ce phénomène, pourtant issu d’une méthode très ancienne dans le monde de l’art et presque intemporelle, puisque très fortement appropriable, connaît néanmoins un remarquable effet de mode en architecture, tout particulièrement de nos jours (Mies Van der Rohe, Rem Koolhaas, ou encore de plus jeunes agences bruxelloises comme OFFICE KGDVS ou encore Dogma). Un style de collage en particulier est très employé, un style naïf, très expressif, où les à-plats côtoient la matérialité, où l’échelle et la profondeur sont suggestives et suggérées par divers objets. Ce style peut être associé à l’agence d’architecture portugaise FALA. En effet, l’agence intègre le collage au cœur de son processus de création, et produit une collection de collages inscrits dans un cadre carré où le point de fuite se trouve au centre (Fig. 26, 27, 28). Sans ombre, et avec une combinaison de couleurs, de matérialité, d’objets, de végétation et de 58
personnages, le studio enrichit ses collages de nombreuses références artistiques, jusqu’à devenir eux-mêmes une référence contemporaine du collage en architecture. Ces collages sont de véritables œuvres-récits oniriques à part entière : « Les images s’autonomisent et n’ont plus de comptes à rendre au réel » 53 . Ahmed Belkhodja, l’un des trois associés, parle d’une « attitude sceptique vis-à-vis des images photo-réalistes et ce qu’elles apportent vraiment au projet (…) le collage permet de travailler efficacement une ébauche là ou le photoréalisme est trompeur ». Selon lui, l’intérêt de ces collages est aussi de donner les usages d’espaces conçus : c’est le récit qui prime. Il explique que l’agence a commencé par participer à des concours ouverts avec très peu de chance de gagner, mais avec la volonté qui l’image survit. Puis cette méthode de travail a pris une place plus importante, qui selon Belkhodja tend à maintenir l’intérêt de l’architecture à rester onirique. Il conclut son entretien avec le magasine en ligne « Chroniques d’architecture » en affirmant « Je crois que le réel est souvent surestimé en architecture ».
53
LUQUAIN, Amélie, « Collage de FALA, où l’art de faire parler les images », Chroniques
d’architecture, 2 octobre 2018, consulté le 17 novembre 2018, URL : https://chroniquesarchitecture.com/collages-fala-images/
59
Figure 26 : Collage pour un Centre Culturel, Bamiyan, Afghanistan, 2015, © FALA, URL : http://www.falaatelier.com/
60
Figure 27 : Collage pour le Migrant Museum, Porto, Portugal, 2017, © FALA, URL : http://www.falaatelier.com/
61
Figure 28 : Collage pour une maison avec jardin, Portugal, 2017, © FALA, URL : http://www.falaatelier.com/
La maquette
Le sujet de la maquette est si riche qu’une étude complète pourrait lui être consacrée. Elle relève plusieurs notions : la représentation tridimensionnelle, la facilité de compréhension pour chacun (Lévi Strauss dit du modèle réduit qu’« il constitue une véritable expérience sur l’objet »54, en tant qu’il est fabriqué, mais aussi que « la vertu intrinsèque du modèle réduit est qu’il compense la renonciation à des dimensions sensibles par l’acquisition de dimensions intelligibles », il dispose donc d’un fort pouvoir de compréhension concernant ce qu’il représente) ou encore l’affranchissement des normes graphiques de représentation puisqu’il s’agit justement d’un objet. De plus, contrairement aux
54
LÉVI-STRAUSS, Claude. La pensée sauvage. Pari : Plon, 1962.
62
documents évoqués précédemment, il s’agit d’un mode de représentation très complet, qui n’est pas issu d’une dissection comme c’est le cas de la coupe ou du plan : « pour connaître l’objet réel dans sa totalité, nous avons toujours tendance à opérer depuis ses parties. La résistance qu’il nous oppose est surmontée en la divisant. La réduction d’échelle renverse cette situation : plus petite, la totalité de l’objet apparaît moins redoutable ; du fait d’être quantitativement diminuée, elle nous semble qualitativement simplifiée », et « dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties »55. Cette projection tridimensionnelle dispose donc de beaucoup d’intérêt pour la représentation d’un espace architectural, avec une importante capacité à être compris, et donc une grande faculté à communiquer l’architecture. Il existe de plus une distinction entre la maquette d’étude et la maquette dite de rendu, autrement dit la maquette finale. Alors que la maquette de rendu est un moyen de communication du projet fini ou d’une étape du projet, et qu’en cela elle est très complète ; la maquette d’étude intègre davantage le processus de création. Elle est un moyen d’étude préliminaire ou tout au long de la conception comme les croquis. Le diorama est également une forme de maquette par son volume. Initialement, le diorama est un « Tableau ou suite de tableaux de grandes dimensions, en usage surtout au XIXe siècle, qui, diversement éclairé (e), changeait d’aspect, de couleur et de forme, était agrémenté (e) ou non de premiers plans en relief et donnait aux spectateurs l’illusion du mouvement. »56. Aujourd’hui, ce terme peut s’appliquer à diverses représentations d’espaces mis en scène en volume, utilisés par exemple dans les musées comme illustrations explicatives. On peut presque étendre ce terme jusqu’à la réalisation de maquettes coupées et habitées dans le cinéma, comme le fait souvent Wes Anderson (Fig. 29).
55
56
LÉVI-STRAUSS, Claude. La pensée sauvage. Pari : Plon, 1962. Définition du mot « Diorama », CNRTL, consulté le 04.12.2018
63
Figure 29 : Photo de la maquette coupée grandeur nature du Belafonte dans le film « Life Aquatic with Steve Zissou », Wes Anderson, 2004. Source : Portfolio de Mark Friedberg, chef décorateur du film. http://markfriedbergdesign.com/movie.php?group=life_aquatic&title=The+Life+Aquatic&c ount=37
Exemple d’appropriation onirique : Ici, l’exemple d’appropriation se portera donc davantage sur l’intervention de la maquette d’étude au cours du processus. En effet, il n’est plus proprement « nécessaire » d’y avoir recours dans la mesure où il existe de performants moyens numériques de produire des maquettes tout au long de la conception. La maquette d’étude devient alors un choix conscient, une manière créative de travailler. L’agence japonaise SANAA est notamment connue pour sa production importante de maquettes d’études (Fig. 30), ou encore l’agence américaine STEVEN HOLL ARCHITECTS qui se sert des maquettes d’études pour expérimenter la matière directement en trois dimensions, et produit analogiquement des formes et objets oniriques qui lui permette de concevoir une architecture différente (Fig. 31). Il conserve une trace des séquences de ce processus, comme pour la Ex of In House. Si les maquettes montrées ici sont blanc immaculé, Steven Holl expérimente aussi énormément la matérialité des maquettes, à travers le bois, les enduits, ou encore la cire.
64
Figure 30 : Photo de l’atelier maquette de l’agence SANAA, Tokyo, Japon. © Merel Vos, ancien stagiaire chez SANAA. URL : http://cargocollective.com/merelvos/following/merelvos/Working-experience-SANAATokyo
Figure 31 : “Model process sequence” pour la Ex of in house, Rhinebeck, New York, USA, 2016. © Steven Holl Architect, URL: http://www.stevenholl.com/projects/ex-of-inhouse
65
2.2.2 É M E R G E N C E PRESENTATION
D’OUTILS
A L T E R N A T I F S ;
REPRESENTATION
ET
Concernant les limites des moyens de représentation classiques de l’architecture, c’est tout particulièrement la problématique à laquelle s’est heurté Bernard Tschumi, qui exprime même littéralement ce besoin de nouveaux outils de représentations pour exprimer ses théories. Il parle de dépasser le « dictionnaire des idées reçues de l’architecture » 57 , et de s’en libérer pour atteindre une certaine liberté qui permet l’expérimentation. Il prône la perméabilité des champs artistiques entre eux, et l’emprunt des moyens utilisés autre part quand ils permettent d’exprimer mieux une idée. « Je ne suis pas écrivain, je ne suis pas cinéaste. Je m’intéresse beaucoup à comment est fait le cinéma en parallèle avec comment est faite l’architecture »58. En effet, parmi les outils décrits ici comme « alternatifs » utilisés dans l’architecture pour représenter des projets, beaucoup sont empruntés à d’autres disciplines artistiques. Il ne s’agit pas nécessairement d’inventer de toute pièce un outil, mais de trouver le mode de représentation ou de présentation qui corresponde le mieux au projet, qui l’exprime le mieux. En cela, il peut s’agir d’un moyen déjà utilisé autre part, dans une autre discipline artistique ; tout comme il peut s’agir d’un mode hybride. Avant d’aborder ces différents moyens d’expression alternatifs de l’architecture onirique, il convient d’expliquer la légère distinction entre mode de représentation et mode de présentation. Il me semble important de parler également de modes de présentation de l’architecture, car tout mode de présentation n’est pas un mode de représentation, alors qu’il peut s’agir d’un moyen de communiquer l’architecture. Bien qu’il s’agisse de synonymes dans l’usage courant, et qu’un document puisse faire les des deux à la fois, représenter l’architecture, c’est l’exprimer avec un vocabulaire architectural, de l’ordre du plan de la coupe ou même du croquis, il s’agit de la « restitution des traits fondamentaux de quelque chose »59 ; tandis que présenter l’architecture peut être fait de manière plus vaste, par le biais d’un écrit, de paroles, ou même d’un film. Il s’agit de communiquer, de montrer, d’exposer de soumettre au jugement60. Tous deux ont cependant vocation à exprimer l’architecture au sens
57
Enregistrement de le l’évènement
Paroles à l’architecture, Bernard Tschumi,
Architecture/Cinéma/Littérature, 23 mai 2014, Centre George Pompidou, Paris. Source : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cjGzaa/rdLk7AA 58
Enregistrement de le l’évènement
Paroles à l’architecture, Bernard Tschumi,
Architecture/Cinéma/Littérature, 23 mai 2014, Centre George Pompidou, Paris. Source : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cjGzaa/rdLk7AA 59
Définition du mot « Représentation », CNRTL, consulté le 18.11.2018
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Définition du mot « Présentation », CNRTL, consulté le 18.11.2018
66
large, et dans le cas présent à exprimer l’architecture onirique par divers moyens atypiques pour l’architecture. L’architecture onirique nécessite une attention particulière dans sa façon d’être représentée, et dispose d’une prédisposition à être présentée, car elle est le support de récits et d’idées qui ont vocation à être diffusées. Cette partie traite simultanément de présentation et de représentation.
L’écriture, la publication, la littérature
De nombreux architectes-théoriciens ont écrit sur l’architecture et ses idéologies, sa description commentée. Certains architectes, en tant qu’artistes, ressentent le besoin d’exprimer ou d’expliciter par des mots leur vision de l’architecture ou leurs projets. Si c’est souvent une nécessité dans le métier d’architecte de le faire oralement et par écrit, c’est un choix délibéré de publier des ouvrages d’architecture. En témoigne les livres sur l’architecture de Rem Koolhaas en tant qu’écrivain ou plus tard en tant qu’architecte, les manifestes comme la Fonction Oblique de Claude Parent et Paul Virilio, ou encore les magasines comme le fait le groupe Strum pour son projet La Citta intermedia en 1972. L’écriture et la publication sont souvent les médiums d’architectes ou de groupes engagés, choisis pour leur capacité à véhiculer leurs utopies. Mais il peut aussi s’agir de récit et de poésie : l’architecture devient alors l’objet d’une seconde intervention artistique.
Le collage
Évoqué précédemment comme une appropriation de la perspective, le collage est presque un médium à part entière, très pictural et avec une riche histoire artistique derrière lui. Pas de notion de proportions strictes ni réelles, ni même de règles de dessin contrairement à l’axonométrie ou la perspective. Il est d’une liberté redoutable et permet de mélanger les références puisées. Qu’il soit physique ou numérique, sa force expressive demeure. L’ambiguïté des plans fait presque écho aux illustrations asiatiques : sans profondeur ni perspective. Dans les estampes japonaises, si la perspective existe elle est insolite, son point de fuite se trouverait très haut ou n’existe pas. Les surfaces et les sujets deviennent primordiaux dans la composition, tout comme les jeux de parallélisme et d’asymétrie qui, associés aux choix de couleur et de cadrage, donnent vie aux œuvres (Fig. 32). La relation est importante dans la mesure où les sujets de
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réflexions du collage ou de l’estampe sont similaires.61 Influence japoniste ou inspiration, tout dépend du résultat ; le collage est un exercice très libre qui peut porter de nombreux récits. Sa capacité à s’éloigner de la réalité tout en s’y rattachant un peu par quelques sujets en fait un médium onirique parfait, ou les plans se fondent et se confondent comme dans un rêve.
Figure 32 : Kano Chikayasu. Scènes du roman Genji Monogatari. Peinture sur soie, Saint-Louis Art Museum, environ 1850. Source : Katz, J. “Beyond Golden Clouds: Japanese Screens from the Art Institute of Chicago and the Saint Louis Art Museum”, The Art Institute of Chicago, 2009. 168 pages.
61
KITAYAMA, Kenji. « Qu'est-ce que le japonisme ? Le japonisme Était-il une révolution
esthétique ou un commencement de la mondialisation esthétique ? », Études culturelles européennes,
Université
Seijo
Graduate
School
of
Letters,
2010,
URL :
http://www.seijo.ac.jp/graduate/gslit/orig/journal/europe/pdf/seur-29-03.pdf
68
Les notations, le story-board
Les notations sont utilisées par Bernard Tschumi, qui est fasciné par la capacité qu’elles ont de concentrer plusieurs catégories d’informations sur un même document, les confrontant les unes aux autres. Pour consulter ses notations, se référer à la partie consacrée à l’aspiration de Bernard Tschumi à enrichir l’architecture grâce à d’autres champs, notamment le cinéma et en l’occurrence grâce à ce système de notation qu’il emprunte au cinéaste russe Sergueï Eisenstein. À l’image des notations, le story-board met en relation plusieurs informations sur l’architecture. Il la met en scène, et permet donc à celui qui la conçoit d’ajouter des informations narratives et d’usages à son projet. Contrairement à un document classique, mais tout en restant en deux dimensions, le story-board ajoute des données de temporalités à l’espace conçu. Celui-ci devient un espace-temps, l’objet d’une action et d’un récit (Fig. 33). C’est presque un storyboard que décrit Le Corbusier dans sa promenade architecturale évoquée précédemment : c’est la scénarisation de l’architecture dès sa conception.
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Figure 33 : Story-board pour le film sur le « Monumento Continuo » (Superstudio, 1969), publié sur Casabella n.358, Domus, 1971. Source : http://architetturaradicale.blogspot.com
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Le film et la vidéo ; le cinéma
Après la notation, le story-board et le diorama, il est évidemment question de la vidéo, et donc du cinéma. Art à part entière, celui-ci constitue un médium de choix pour représenter et présenter l’architecture. Il lui donne vit d’une façon ultime. Le cinéma permet la présentation en deux dimensions d’espaces très complets en trois dimensions. Chacun des modes de représentations de l’architecture onirique évoqués précédemment peut être appliqué au cinéma, et certains lui sont même propres (comme le story-board ou les notations d’Eisenstein). Le cinéma est l’illustration même de l’intérêt culturel d’une architecture qui n’est pas réellement construite et vécue, mais simplement représentée (par le moyen de modèles 3D, de maquettes, de décors à échelle réelle en studio, ou de prise de vue d’architecture existante) et présentée à un public sous forme de film. Sa vocation initiale, dès sa conception, est alors culturelle et narrative. L’architecture prend part au récit comme objectif premier. Un projet d’architecture onirique conçu pour un film n’est pas un projet inabouti s’il est conçu pour un film et que ce film est réalisé. Pourtant le travail de conception et les modes de représentation de l’architecture sont les mêmes. Le cinéma donne une légitimité, un aboutissement et donc un rôle de choix à l’architecture onirique non construite. C’est cette valeur de l’architecture non construite mise en lumière par le cinéma que nous étudierons ensuite.
2.2.3 C O N S T R U C T I O N F A C U L T A T I V E , S U P E R F L U E Après les avoirs analysés et distingués les uns des autres, il apparaît un point commun à ces projets oniriques : la limite qui les sépare de la réalité. Ils questionnent par leur nature sur leur capacité à être construits, et par extension sur les raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas ou bien ne sont délibérément pas construits. Est-ce physiquement et techniquement constructible ? Est-ce financièrement et socialement envisageable ? Est-ce moralement et éthiquement pensable ? Est-ce pensé pour finir construit ? Un projet onirique, quelle que soit la manière se distance plus ou moins de la réalité : Il peut donc s’agir d’une satire, qui a pour but initial la critique, assistée par l’image, mais pas la réalisation concrète, comme c’est le cas du projet « Exodus, or the Volontary Prisoners of Architecture » de Rem Koolhaas évoqué plus tôt. Il peut s’agir d’un moyen d’expression d’une idée en cours, inscrite dans un processus plus long, comme la Fonction Oblique de Claude Parent et Paul Virilio. L’architecte Ahmed Belkhodja de l’agence portugaise FALA (connu pour ses collages, voir la partie sur l’appropriation des outils classique de représentation) s’exprime d’ailleurs sur ce sujet : « Énormément d’architectures sont connues uniquement
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par leurs images. Boullée est un vrai exemple. Son architecture ne peut exister qu’à travers l’image. Cela instaure un espace où le processus de projet, indépendamment de la réalisation, est au moins aussi important que le produit fini. Pour nous, certains de nos projets non réalisés sont aussi importants que d’autres qui ont été construits. Je crois que le réel est souvent surestimé en architecture »62. Belkhodja exprime ici l’intérêt de l’irréel en citant Louis-Étienne Boullée. Cet exemple témoigne de la postérité d’une architecture non construite à travers son visuel. Les cénotaphes de Louis-Étienne Boullée (Fig 34, 35) sont des espaces oniriques qui ont traversé le temps par la force de leur visuel surréaliste (non pas dans le sens du mouvement artistique, mais qui dépasse le réel), encore plus marquant lorsque l’on considère qu’ils datent du XVIIIe siècle.
62
LUQUAIN, Amélie, « Collage de FALA, où l’art de faire parler les images », Chroniques
d’architecture, 2 octobre 2018, consulté le 17 novembre 2018, URL : https://chroniquesarchitecture.com/collages-fala-images/
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Figure 34 : Coupe du cénotaphe à Newton, Louis-Étienne Boullée, 1784. Source : Archdaily.com https://www.archdaily.com/614908/society-for-atheistic-spirituality-toconstruct-etienne-louis-boullee-s-cenotaph-for-newton/551acd44e58ecea37b000114etienne-louis-boulle
Figure 35 : Coupe du cénotaphe à Newton, Louis-Étienne Boullée, 1784. Source : Archdaily.com https://www.archdaily.com/614908/society-for-atheistic-spirituality-toconstruct-etienne-louis-boullee-s-cenotaph-for-newton/551acd44e58ecea37b000114etienne-louis-boulle
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Dans ce cas, l’architecture onirique n’a pas besoin d’être construite, au contraire : la construire réduit la quantité d’irréel que l’on peut intégrer. La construire limiterait son onirisme, ainsi que sa postérité si l’on considère que celle-ci dépend de la dose d’irréel et d’improbabilité du projet. De plus, voir et évoluer dans un bâtiment ou un lieu le rend tout à fait réel, cette expérience s’éloigne de celle du rêve et évoque davantage des émotions liées à l’architecture. Selon ce raisonnement, elle ne peut pas être construite ou ne se construit pas et ne peut pas se vivre (entendre visiter), sinon le charme onirique n’opère plus. C’est d’autant plus le cas concernant des projets qui ne sont pas physiquement ou techniquement constructibles pour plusieurs raisons. Cela peut être leur envergure, le fait qu’ils interviennent sur des espaces que l’on ne peut modifier. Comme les superstructures qui enjambent les villes ; comme le plan d’urbanisme Voisin de Le Corbusier pour la ville de Paris qui nécessite de raser la capitale au préalable ; ou comme les espaces oniriques basés sur des illusions d’optique ou des trucages conçus par Jean-François Rauzier sous forme de collage numérique de la ville de Paris (Fig. 36).
Figure 36 : Cour de marbre, 2011, Tirage photographique, 180 x 300 cm, crédit photo Jean-François Rauzier. Source : Rauzier, Jean-François, Hyperversailles, Terramare, 2017, 135 pages.
La construction de tels projets est donc non seulement impossible, mais de plus les visiter ferait s’effondrer l’aura d’irréel qui s’en dégage : comme observer l’envers d’un décor de cinéma, ou une anamorphose depuis le mauvais point de vue. Comme si l’onirisme d’un lieu dépendait de sa non-construction.
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Mais alors, pourquoi concevoir un projet d’architecture si celle-ci n’est pas construite ? L’expression « architecture non construite » contient une fois de plus un paradoxe. La projeter consciemment sans intention de la construire, interroge sur la légitimité de l’architecture. Cela peut aussi questionner son processus de conception : émancipation de certaines règles, normes, questions de budget. Mais s’affranchir de ces restrictions, c’est aussi s’émanciper de la réalité, et augmenter les capacités oniriques de l’architecture : comme c’est le cas de l’outil numérique qui permet de ne pas prendre en compte les lois de la physique et de la gravité. L’enjeu onirique diffère, ses limites sont repoussées par la non-construction. Une fois prise en compte ces considérations sur les nouvelles possibilités d’espaces oniriques non construits, revenons à leur finalité.
Un projet d’architecture trouve généralement sa légitimité, sa raison d’être produit et projeté à travers l’objectif final d’être construit. Si celui-ci est projeté pour ne pas être construit, il lui faut une autre raison. Le projet peut rester à l’état d’esquisse et de projet, car l’architecture comme art n’a pas besoin d’autre raison que l’expression artistique pour exister, être produite. C’est un moyen d’expression et de réflexion sensible. Ces œuvres-projets peuvent être classées, exposées. La contribution à la société n’est plus de l’ordre de l’usage, mais de la collection, comme en témoigne l’ouvrage « Visionary Architecture: Unbuilt Works of the Imagination »63 (en français : « L’architecture Visionnaire : Les œuvres non construites de l’imagination »). Dans cet ouvrage, l’auteur explique l’intérêt historique et culturel de ces projets non construits, leur capacité à témoigner de l’imaginaire, des idées des esprits des architectes les plus inspirés et visionnaires de leur époque. Une preuve supplémentaire selon laquelle l’imagination et le pouvoir de l’image dont parle Gaston Bachelard sont essentiels. « Ce trait distinctif de l’humanité — la capacité à anticiper l’avenir — a également engendré une tradition architecturale distinctive : la conception de structures visionnaires n’a jamais été conçue pour la réalité de la brique et du mortier. Chargé d’imagination, brûlant de créativité et nourri de rêves de ce qui pourrait être, elle lui a donné forme, à défaut de lui donner une substance. »64
63
BURDEN, Ernest E. Visionary Architecture: Unbuilt Works of the Imagination. McGraw-
Hill, 2000. 230 pages. 64
Traduction libre, « That distinguishing trait of humanity - the ability to anticipate the
future- has also spawned a distinctive tradition in architecture: the design of visionary structures never intended for brick-and-mortar reality. Charged with imagination, fired with creativity, and fueled by dreams of what could be, gave it form, if not substance. »
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Ernest E Burden explique également comment ces projets offrent la possibilité qu’ils offrent d’observer l’évolution de ce que l’homme considère comme visionnaire selon son temps. Ces projets et leur collecte sont des témoins de l’évolution du monde dans lequel nous vivons, ainsi qu’une source d’inspiration pour les générations à venir. Recueillir ces projets constitue alors presque une étude anthropologique.
« Ce livre vous permet de suivre l’évolution de la vision architecturale, technique, et le concept de l’avenir au fil des ans. Lancées à l’aide d’un rêve ou d’un murmure d’une vision, ces structures n’ont jamais été construites. Beaucoup d’entre eux sont, en fait, impossibles à construire. […] Si elles ne grandissent jamais au-delà de leur forme actuelle, ces images ont joué un rôle dans la définition de ce que nous avons rendu réel. Visionary Architecture leur donne une chance de jouer un rôle plus large et d’inspirer la vision d’aujourd’hui de ce qui nous attend. »65
Mais alors que les collections et expositions ne constituent qu’un recensement, le cinéma permet de concevoir des espaces non construits ayant d’office une raison d’être et d’exister qui n’est pas la construction. Il donne un objectif de projet non construit.
BURDEN, Ernest E. Visionary Architecture: Unbuilt Works of the Imagination. McGraw-Hill, 2000. 230 pages. 65
Traduction libre, « this book allows you to track the development of architectural vision,
technique, and concept of the future across the years. Launched on the wing of a dream or the whisper of a vision, these structures were never actually build. Many of them are, in fact, unbuildable. […] But ever if they never grow beyond their present form, these images have played a role in shaping what we have made real. Visionary Architecture gives them a chance to play a wider role, and to inspire today's vision of what lies ahead. » BURDEN, Ernest E. Visionary Architecture: Unbuilt Works of the Imagination. McGraw-Hill, 2000. 230 pages.
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CONCLUSION L’architecture onirique ne se définit pas seulement par sa subjectivité. Mais si l’émotion et le phénomène de perception sont bien individuels et l’interprétation propre à la sensibilité de chacun, intégrer le rêve en s’éloignant de la réalité est un recours conscient de l’architecte au cours du projet. Cette déformation de la réalité, cette poésie, est complètement libre et illimitée. Ces manifestations sont infinies puisqu’elles peuvent intervenir tant dans le processus de conception que dans le résultat final ou les moyens de le communiquer. De tels projets oniriques peuvent demeurer à l’état de représentations sans pour autant perdre de leur capacité à émouvoir. Une architecture fonctionnelle perd quant à elle son intérêt si elle ne peut pas remplir sa fonction initiale et contractuelle en étant construite. Le projet onirique constitue presque une discipline artistique à part. L’onirisme peut se mesurer de différentes manières, par des indices comme les marqueurs oniriques cités dans ce mémoire : le programme, le site, la forme. Mais comme le laisse apparaître ce mémoire, il existe d’autres de ces marqueurs : la collection, le seuil, la nostalgie, l’Histoire.
Autant
de
marqueurs
que
l’on
retrouve
dans
l’œuvre
cinématographique de Wes Anderson.
Le point de départ de ce mémoire était en effet le cinéma de Wes Anderson pour
la
richesse
de
ses
espaces
oniriques,
consciemment
et
consciencieusement conçus dans une optique que j’avais intuitivement rattaché à de l’onirisme. Son œuvre est la démonstration de la création d’un univers parallèle, faits de microcosmes mi réels mi fictifs, signés esthétiquement par le réalisateur, de la conception au « produits finis » que sont ses films. Il s’agissait également d’un point de départ dans la mesure où ces films et les ouvrages sur l’œuvre de Wes Anderson m’ont poussés à théoriser cette notion d’architecture onirique : à la définir, et à comprendre son intérêt, différent de l’architecture enseignée à l’école. Une amorce de mémoire vouée à se retrouver également à la conclusion de celui-ci, puisque le cinéma tel que Wes Anderson le pratique et le conçoit constitue une manière complète de présenter de l’architecture dans un ordre unique : matérialisée pour sa conception (imaginer les espaces oniriques qui figurent dans le film et les représenter), et dématérialisée dans son rendu final (projection d’un film). Cependant l’évolution de ce mémoire, notamment l’approfondissement nécessaire à la définition de l’architecture onirique, ne m’a pas permis d’aboutir à ce parallèle prévu avec le travail d’Anderson, alors même que celui-ci s’est confirmé au fur et à mesure des mes recherches sur les espaces oniriques. Il s’agit donc d’une étude encore en cours. Elle m’aura permis de définir l’existence d’une approche différente de l’architecture à vocation onirique ; mais aussi d’en définir les intérêts propres qui diffèrent de l’architecture comme discipline enseignée et comme art de bâtir.
77
Figure 37 : Photographie de la maquette de la ville de Megasaki pour le tournage du film Isle of Dog de Wes Anderson. Photographe : Jack Hems. Source : https://www.wonderlandmagazine.com/2018/03/29/isle-of-dogs/
78
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80
Enregistrements :
- Entretien de Claude parent pour le JDD, Claude Parent : ‘’Il faut révolutionner l’architecture’’, 15 janvier 2017, consulté le 3 Novembre 2018, https://www.lejdd.fr/Societe/Claude-Parent-Il-faut-revolutionner-larchitecture-165106-3099215 -
Enregistrement
de
le
Architecture/Cinéma/Littérature,
l’évènement 23
mai
«
Paroles
2014,
à
Centre
l’architecture », George
Bernard
Pompidou,
Paris.
Tschumi, Source :
https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cjGzaa/rdLk7AA
Travaux de recherches :
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School
of
Letters,
2010,
URL :
http://www.seijo.ac.jp/graduate/gslit/orig/journal/europe/pdf/seur-29-03.pdf
Films :
- ANDERSON, Wes (réalisateur). Life Aquatic with Steve Zissou. [DVD]. Touchstone Pictures, American Empirical Pictures, Scott Rudin Productions, 2004, 199 minutes. - ANDERSON, Wes (réalisateur). The Grand Budapest Hotel. [DVD]. Fox Searchlight Pictures, Indian Paintbrush, Studio Babelsberg, 2014, 99 minutes.
Sites :
- CNRTL (Centre National de ressources textuelles et Lexicales), http://www.cnrtl.fr/ - IMDb (Internet Movie Database), http://www.imdb.com/ - Portfolio de Bernard Tschumi Architects, tschumi.com - Portfolio de Mark Friedberg, http://markfriedbergdesign.com/ - Résultats au Box-Office, https://www.boxofficemojo.com/ 81
ANNEXES Table des figures :
Figure 1 : DELVAUX, Paul. Train du Soir. Huile sur bois, 110 x 170, 1957 © Paul Delvaux Foundation — SABAM. URL : https://www.fine-arts-museum.be/fr/la-collection/paul-delvaux-train-du-soir. ............ 13 Figure 2 : DELVAUX, Paul. Le train bleu or la rue aux tramways. Huile sur toile, 122 x 244, 1946. URL : http://www.artnet.com/artists/paul-delvaux/le-train-bleu-or-la-rue-aux-tramwayshkk8wKQSh7PUK5DO1nBFhQ2. ........................................................................................................ 13 Figure 3 : DELVAUX, Paul. Le Viaduc. Huile sur toile, 100,3 x 130.8, 1957 © Foundation Paul Delvaux, SABAM. URL : https://www.museothyssen.org/en/collection/artists/delvaux-paul/viaduct. ............... 13 Figure 4 : Mausolée et mosquée de Shah-Cheragh, Chiraz, Iran, XIIe. Source : Chambre 237 : https://www.chambre237.com/la-mosquee-de-lumiere-de-shah-cheragh-en-iran/. .......................... 24 Figure 5 : Tadao Ando, Church of the Light, Ibaraki, Osaka, Japon, 1989, Photographe: © Copyright Richard
Pare,
Source:
https://fr.phaidon.com/agenda/architecture/articles/2017/september/13/happy-birthday-tadao-ando/ ............................................................................................................................................................ 26 Figure 6 : Photo de l’Église St Moritz, John Pawson, Augsburg, Allemagne, 2013. Photographie : Hufton + Crow. Source : https://www.dezeen.com/2013/07/31/st-moritz-church-by-john-pawson/ .............. 26 Figure 7 : Photo du monastère suspendu Xuankongsi, Datong, province du Shanxi, Chine, 491. Source : https://shanxi.chinadaily.com.cn/datong/2011-09/28/content_13855528.htm ..................... 29 Figure 8 : Photo du monastère Takstang, dit Tiger’s Nest, vallée de Paro, Bhoutan, 1692. Source : https://www.reddit.com/r/castles/comments/8aq092/tigers_nest_paro_taktsang_paro_valley_bhutan/ ............................................................................................................................................................ 29 Figure 9 : Hotel Omnia, Zermatt, Suisse, 2006, Architecte : Ali Tayar, Photographe © Christian Grund. Source :
https://www.schweizer-illustrierte.ch/lifestyle/reisen/die-ski-oscars-switzerlands-best-
boutique-hotel-the-omnia-zermatt ....................................................................................................... 32 Figure 10 : Vue aérienne de l’Imperial Palace et du lac, Annecy, France, 1913, Louis Ruphy. Source : https://www.hotel-imperial-palace.com ............................................................................................... 32 Figure 11 : Photo du château de Neuschwanstein, Fussen, Allemagne, Architectes : Eduard Riedel, 1869
—
1886.
Photographe :
Lian
Duan,
Source :
https://www.flickr.com/photos/uofdenver/5860229938/in/photostream/. ............................................ 33 F I G U R E 1 2 : HOTEL MARQUES DE RISCAL, ARCHITECTE : FRANK GEHRY, 2007, LA RIOJA, E S P A G N E . P H O T O G R A P H E : J E R E M I E B L O G . S O U R C E : H T T P : / / J E R E M I E . B L O G ....................... 36
82
F I G U R E 1 3 : TIANJIN BINHAI LIBRARY, 2017. ARCHITECTE : MVRDV + TIANJIN URBAN P L A N N I N G A N D D E S I G N I N S T I T U T E , P H O T O G R A P H I E : O S S I P V A N . S O U R C E : M V R D V . N L ..... 36 Figure 14 : Visuel du People’s Pavillion, Architectes : Overtreders W + Bureau SLA, Eindhoven, Pays Bas, 2017. Source : Dezeen. .............................................................................................................. 37 Figure 15 : Le Transversal, Claude Parent, exposition « L’œuvre construite, l’œuvre graphique », mai 2010,
Cité
de
l’architecture
et
du
patrimoine.
Source :
https://www.exporevue.com/magazine/fr/index_claude_parent.html ................................................. 42 Figure 16 : Exodus, or the Voluntary Prisoners of Architecture, The Baths, project, 1972. MoMA Collection © 2013 Rem Koolhaas. ...................................................................................................... 44 Figure 17 : Exodus, or the Voluntary Prisoners of Architecture, The Strip, project, 1972. MoMA Collection © 2013 Rem Koolhaas. ...................................................................................................... 45 Figure 18 : Bernard Tschumi. Screenplay no. 3 © Bernard Tschumi Architects, 1978 .......................... 47 Figure 19 : Bernard Tschumi. Screenplay no. 5 © Bernard Tschumi Architects, 1978 .......................... 47 Figure 20 : Notations de Sergueï Eisenstein pour le film pour Alexandre Nevski, 1938, Source : https://docplayer.fr/44039057-3-mises-en-scene-decoupage-ii-cinema-perception-etrepresentation-de-l-architecture-industrielle-en-europe-de-l-est-epfl-enonce-theorique.html ........... 47 Figure 21 : Bernard Tschumi. Manhattan Transcripts, London : Academy Press 1994 .......................... 48 Figure 22 : Plan du projet « No stop city », Archizoom Associati, 1970-71. Source: Domus 494, mars 1971. ................................................................................................................................................... 52 Figure 23 : Plan du projet « No stop city », Archizoom Associati, 1970-71. Source : Domus 494, mars 1971. ................................................................................................................................................... 53 Figure 24 : Façade puis coupe diamétrale du projet pneumatique expérimental Dyodon de Jean-Paul Jungmann, impression gélatine violette coloriée à l’aquarelle sur papier, Éléments d’un diplôme d’architecture à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2e version, Crédit photographique : © Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, Musée national d’art moderne/Centre de création industrielle/Dist.
RMN-GP
©
Adagp,
Paris,
URL :
https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/c7p9dpr/r9jRxrk .......................................................... 55 Figures 25 : Série de publications de la page Instagram Accidentallywesanderson, URL : https://www.instagram.com/accidentallywesanderson/ ...................................................................... 57 Figure 26 : Collage pour un Centre Culturel, Bamiyan, Afghanistan, 2015, © FALA, URL : http://www.falaatelier.com/ .................................................................................................................. 60 Figure
27 :
Collage
pour
le
Migrant
Museum,
Porto,
Portugal,
2017,
©
FALA,
URL :
http://www.falaatelier.com/ .................................................................................................................. 61 Figure
28 :
Collage
pour
une
maison
avec
jardin,
Portugal,
2017,
©
FALA,
URL :
http://www.falaatelier.com/ .................................................................................................................. 62
83
Figure 29 : Photo de la maquette coupée grandeur nature du Belafonte dans le film « Life Aquatic with Steve Zissou », Wes Anderson, 2004. Source : Portfolio de Mark Friedberg, chef décorateur du film. http://markfriedbergdesign.com/movie.php?group=life_aquatic&title=The+Life+Aquatic&count=37 ............................................................................................................................................................ 64 Figure 30 : Photo de l’atelier maquette de l’agence SANAA, Tokyo, Japon. © Merel Vos, ancien stagiaire
chez
SANAA.
URL :
http://cargocollective.com/merelvos/following/merelvos/Working-
experience-SANAA-Tokyo .................................................................................................................. 65 Figure 31 : “Model process sequence” pour la Ex of in house, Rhinebeck, New York, USA, 2016. © Steven Holl Architect, URL: http://www.stevenholl.com/projects/ex-of-in-house ................................ 65 Figure 32 : Kano Chikayasu. Scènes du roman Genji Monogatari. Peinture sur soie, Saint-Louis Art Museum, environ 1850. Source : Katz, J. “Beyond Golden Clouds: Japanese Screens from the Art Institute of Chicago and the Saint Louis Art Museum”, The Art Institute of Chicago, 2009. 168 pages. ............................................................................................................................................................ 68 Figure 33 : Story-board pour le film sur le « Monumento Continuo » (Superstudio, 1969), publié sur Casabella n.358, Domus, 1971. Source : http://architetturaradicale.blogspot.com ........................... 70 Figure 34 : Coupe du cénotaphe à Newton, Louis-Étienne Boullée, 1784. Source : Archdaily.com https://www.archdaily.com/614908/society-for-atheistic-spirituality-to-construct-etienne-louisboullee-s-cenotaph-for-newton/551acd44e58ecea37b000114-etienne-louis-boulle ......................... 73 Figure 35 : Coupe du cénotaphe à Newton, Louis-Étienne Boullée, 1784. Source : Archdaily.com https://www.archdaily.com/614908/society-for-atheistic-spirituality-to-construct-etienne-louisboullee-s-cenotaph-for-newton/551acd44e58ecea37b000114-etienne-louis-boulle ......................... 73 Figure 36 : Cour de marbre, 2011, Tirage photographique, 180 x 300 cm, crédit photo Jean-François Rauzier. Source : Rauzier, Jean-François, Hyperversailles, Terramare, 2017, 135 pages. ............... 74 Figure 37 : Photographie de la maquette de la ville de Megasaki pour le tournage du film Isle of Dog de
Wes
Anderson.
Photographe :
Jack
Hems.
Source :
https://www.wonderlandmagazine.com/2018/03/29/isle-of-dogs/ ...................................................... 78
84