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Architectes et artisans, valoriser des savoirs-faire
from L'expérimentation échelle 1:1 comme outil de conception I mémoire architecture I Marine Raguénès
B. Architectes et artisans, valoriser des savoirs-faire
39 PALLASMAA Juhani, La main qui pense, Actes Sud, 2013, p 61.
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40 SENNETT Richard, «Ce que sait la main, la culture de l’artisanat», ed. Albin Michel, 2008, p 159. La relation précédemment expliquée entre les architectes et la matière évoque la capacité des architectes à manipuler eux-mêmes la matière. Néanmoins, c’est très rarement l’intégralité du projet qui est pensé et construit par les architectes. S’ils sont porteurs de savoirs théoriques et les artisans de savoir faire, comment l’expérimentation échelle 1:1 comme outil de conception met-elle en relation les architectes et les artisans ? Au sens large, les expérimentations parfois singulières des architectes valorisent-elles un savoir faire artisanal spécifique?
« Aujourd’hui, l’architecte avisé se doit de tisser des liens personnels avec le monde de l’art et de l’artisanat, de manière à ce que sa pensée intellectualisée renoue avec les sources de la vraie connaissance: le monde réel de la matérialité et de la gravité, ainsi que l’intelligence sensorielle et incarnée de ces phénomènes physiques. » 39
Le métier d’architecte engage des échanges avec de nombreux corps de métier, dont ceux de la construction avec un large panel d’artisanat. Comme l’énonce J.Pallasmaa, il est important d’être lié à ces métiers, à la fois dans les connaissances et dans les échanges. L’architecte a besoin des savoirs faire de l’artisan pour concrétiser ses idées, ici l’auteur évoque une dissociation des deux. Si le métier d’architecte est aussi théorique que technique, alors il serait nécessaire pour les architectes d’enrichir leurs connaissances techniques par les métiers des arts et de l’artisanat. Cette relation avec les artisans permet d’ancrer le projet dans le réel, avec la matière et les savoirs faire disponibles sur un territoire donné.
« L’artisan est l’emblème de tous ceux qui ont besoin de la possibilité d’hésiter (…) de faire des erreurs. » 32
Par ces études de cas ici ciblées sur Png architectes et Studiolada, il serra intéressant de comprendre leurs relations aux savoirs faire d’un territoire en Isère et dans les Vosges, en lien avec leurs expérimentations matérielles. Dans la première étude de cas, les architectes ne sont pas originaires du territoire tandis que dans le second l’équipe de Studioloda connaît bien le territoire dans ses qualités paysagères et artisanales.
FIG 11. L’encyclopédie de Diderot, outils de maçonnerie et de marbrerie, édition 1751-1780.
41 MARTINETTI Grishka, PNG Architectes, entretient réalisé par Marine Raguénès.
42 DEPLAZES Andrea, Construire l’architecture du matériau brut à l’edifice, Birkhäuser, 2008.
43 MARTINETTI Grishka, PNG Architectes, entretient réalisé par Marine Raguénès.
Savoirs faire oubliés
L’équipe de l’atelier PNG s’intéresse dès le début de leurs projets aux matières présentes sur le territoire, aux lieux de fabrication et aux savoirs faire des artisans et des entreprises. Avant les premières esquisses de projet les trois associés tentent de comprendre les capacités des matières présentes et leurs lieux d’extraction et de transformation. Ce travail passe par la visite des scieries, des briqueteries afin de comprendre leurs manières de faire.
« Aller voir les gens qui font, parce que ces gens-là, c’est avec eux que vous allez faire de l’architecture. » 41 Les propos de G.Martinetti semblent assez justes et en cohérence avec la précédente citation de J.Pallasmaa qui évoque la relation affaiblie entre les architectes et les métiers techniques artisanaux.
« Montrer combien l’expression architecturale d’un édifice dépend de la façon dont on le construit » 42
L’architecte doit savoir se tenir informé des méthodologies et des savoirs faire à proximité de son site et de son futur chantier, dans le but de valoriser des connaissances techniques et matérielles adaptées à un milieu donné. Afin d’illustrer ces propos nous étudierons le processus de conception des trois associés de l'atelier PNG architecture sur le projet en marché public du pôle administratif et culturel à Saint-Barthélémy des Séchiliennes en Isère.
Les architectes observent dans un premier temps les types de bâtis présents dans le village et leurs caractéristiques architecturales vernaculaire. Les toitures du village, auparavant faites en éternit, ont la particularité d’avoir un motif losangé. La question de l’ornementation liée à ce motif répétitif et symbolique du lieu, guide les premières réflexions, sans pour autant imiter cette
mise en œuvre en toiture. « Tout de suite, une matière vient, par rapport aux lieux, à la matérialité des bâtiments autour, aux matières disponibles autour de nous, on fait une synthèse. » 43 À partir de ce premier constat les trois associés souhaitent questionner ce motif dans le projet de pôle culturel, en le détournant de son statut actuel en couverture pour l’insérer dans l’épaisseur du bâtiment, c’està-dire dans le soubassement. La proposition est donc de réintroduire le motif losangé, la symbolique de la matière définissant des savoirs faire anciens spécifiques à un territoire et l’identité architectonique du village. De fait, ce n’est pas au travers de murs préfabriqués choisis dans un catalogue qu’ils pouvaient répondre à leur concept architectural, mais par des expérimentations du béton afin d'obtenir la texture souhaitée.
FIG 12. Expérimentations échelle 1:1 avec deux types de maillages, PNG architectes.
44 MARTINETTI Grishka, PNG Architectes, entretient réalisé par Marine Raguénès.
45 idem Démarre ensuite les premières expérimentations béton des murs matricés par les trois architectes dans le jardin de l’un des associés. Ils achètent et récupèrent des grilles de différentes matières, tailles de maillages et textures. Les essais se multiplient avec chacune des grilles, positionnées différemment, avec parfois un feutre entre-elles, afin que le motif persiste après le décoffrage.
Ce choix d’expérimenter eux-mêmes, c’est-à-dire de faire artisanalement du béton avec leurs savoirs d’architectes, est aussi une conséquence de l’entreprise béton en charge du projet ayant avouée son incapacité à réaliser la proposition
des architectes. « Aller voir les entreprises, s’inviter chez eux, si elle fait bien son travail elle vous laissera rentrer chez elle. Il y a une nécessité que les architectes se rapprochent des ouvriers. » 44
L’étape des prototypes est pour les architectes une nécessité, une manière de confirmer leurs idées dessinées, et cela avant le chantier du projet. Grâce à ces essais de matière, ils ont pu vérifier et confirmer certaines de leurs hypothèses techniques. Quelques-une des expérimentations sont des échecs, la grille à fissuré ou le motif n’est pas resté intact. Néanmoins, elles ont appuyés leurs réflexions vers d’autre méthodes de mises en œuvre ou d’autres grilles plus résistantes, pour un résultat encore différent et plus en lien avec la réalité constructive. L’un des essais a très bien réussi et satisfait les trois associés, c’est ce prototype qui servira comme appuie aux échanges entre les architectes et l’artisan béton. L’entreprise est assez vite convaincue du résultat, les architectes expliquent alors aux artisans leurs méthodologies, comment ils ont positionnés les grilles et les autres techniques employées. Avec cette première approche par la matière, les architectes prouvent aussi leur investissement dans le projet et leur profond respect pour le travail manuel des artisans. « Vous prenez un risque et
vous vous mettez dans une situation inconfortable, ce n’est pas votre métier (…) vous obtenez de la part du chef de chantier et de tous les ouvriers un respect, ça c’est instantané. » 45
Par la suite, c’est le chef de chantier qui a proposé des solutions pour affiner le résultat des murs matricés, avec une technique peu utilisée qui est le coffrage forain. C’est un processus de fabrication sur site, ils coulent les murs de béton à l’horizontale, cela permet que le parement qui est au contact du sol soit le plus net possible et que le béton soit bien vibré. Par ces deux images ont comprend bien les essais des architectes face aux essais plus concrets réalisés par l’entreprise. Les deux sont étroitement liés pour répondre aux attentes.
FIG 13. (gauche) Résultat des murs matricés sur le chantier, PNG architectes.
FIG 14. (droite) Expérimentation échelle 1:1 par les architectes, PNG architectes.
« Vous ne savez pas comment faire, mais nous, on va vous montrer comment faire et que vous savez faire, vous avez tout ce qu’il faut pour le faire donc on va le faire. » 46
46 MARTINETTI Grishka, PNG Architectes, entretient réalisé par Marine Raguénès.
FIG 15. Résultat des murs matricés sur le chantier, PNG architectes.
Dans cet exemple, les architectes ont montré leurs capacités de faire et ont su prouver leurs concepts de manière concrète. Les artisans se sont largement emparés du processus, c’est aussi une fierté pour eux de réaliser ce chantier, m’a confié G. Martinetti. Les artisans ont montré leurs capacités et leurs savoirs faire, aujourd’hui, souvent limités à des processus simples. « Là, je me
rends compte que je fais un chantier singulier. » a expliqué le chef de chantier du projet ici présenté.
On comprend alors qu’il en est aussi du ressort des architectes de valoriser le travail des artisans, et cela passe par la qualité des dessins, les échanges entre les corps de métier et parfois, les démonstrations physiques, matériels. En effet, les expérimentations échelle 1:1 se sont révélées, ici, comme un très bon outil de communication auprès des entreprises. En prouvant la faisabilité de la mise en œuvre l’entreprise s’est engagée dans le projet et s’est sentie valorisée.
Suite à de nombreuses discussions avec divers architectes, il semblerait que ce type de chantier reste une exception. Comme nous avons pu le constater suite à cette étude de cas détaillée, le processus de conception des architectes de png reste assez marginal. Ils sont eux-même conscients de leurs méthodologies de travail singulières, en contraste avec leurs confrères. Les projets restent de tailles modestes, comme nous avons pu le constater avec l’étude de cas précédente de l'atelier Ciguë architectes.
Ainsi le rôle de l’architecte semble assez déterminant, dans le choix de la matière et de la mise en œuvre au travers du processus de projet. Par son dessin, il détermine les matériaux employés et par conséquent les artisans pour les mettre en œuvre. Le dessin du projet ne doit pas toujours se figer avant la la rencontre avec les entreprises, c’est aussi ce dialogue qui finalise le dessin ou encore les expérimentations. En se limitant à des matériaux de catalogue standardisés, l’architecte tend à limiter les savoirs faire des artisans et parfois ceux des petites entreprises locales. Il faut aussi comprendre que le contexte économique de notre société entre largement en compte pour les architectes et pour les entreprises de construction. Pour conclure, l’expérimentation échelle 1:1 à été un appui de conception mais aussi de discussions dans ce projet. Néanmoins son usage ne reste pas indispensable, il doit pouvoir s’adapter selon les attentes esthétiques et techniques du projet et selon les acteurs impliqués dans le projet.
47 AUBERTIN Christophe, Studiolada, entretient réalisé par Marine Raguénès.
(re)valoriser une matière
Le travail présenté ici tente de prouver la richesse des expérimentations de mise en œuvre avec une matière locale par les architectes pour valoriser des fillières locales dans l’architecture contemporaine. Studiolada est un collectif, regroupant six architectes indépendants en société unipersonnelle. La majorité de leurs projet se situent sur le territoire des Vosges, ils s’interrogent énormément sur les ressources de leur territoire en valorisant des filières locales. L’équipe de Studiolada est aussi lauréate des AJAP 2014 et à reçu plusieurs prix pour leurs différents projets. Grâce à leur société civile de moyen commune aux six associés, ils peuvent diviser les frais et embaucher leurs salariés, qui peuvent ensuite travailler pour chacun des associés. Néanmoins, ce n’est pas une entité pour travailler en son nom, elle ne peut pas répondre à un appel d’offres. Ce système un peu particulier permet à chacun de travailler à son rythme sur des sujets différents, plus ou moins rentables sans avoir à rendre des comptes aux autres. Le collectif répond tout de même à une éthique et une culture commune entre les associés.
Dans leur méthodologie de travail et leur processus de conception, ils travaillent énormément en maquette, afin de s’approcher au mieux de la concrétisation spatiale et son implantation dans le site. Christophe Aubertin, que j’ai pu interroger, avoue ne pas nécessairement faire des prototypes échelle 1:1 dès l’étape conceptuelle, mais tente de répondre aux détails de mise en œuvre par des dessins très détaillés. Pour leur projet d’ephad à Vaucouleurs ils se sont confronté à un processus expérimental dans le but de valoriser une matière locale, représentative du territoire vosgiens, la pierre de Meuse des savonnières.
Les architectes souhaitent donc valoriser cette matière locale en l’utilisant comme revêtement de façade. À l’image des pierres agrafées sur un mur en béton, ils souhaitent expérimenter ce principe avec de fins blocs de pierre dans une ossature en bois. Cette proposition est déjà expérimentale et n’a jamais été réalisée de manière contemporaine, c’est-à-dire liée aux contraintes économiques et techniques. La capacité des architectes à inventer et expérimenter est une dimension importante, à laquelle l’équipe de Studiolada tente
de répondre. « L’ingénieur va peut-être aller à la performance technique (...) et nous architectes comme on balaye toujours plein de champs ; culturels, écologiques, techniques, financier, on peut proposer des choses qui s’inscrivent dans des champs plus large. C’est la capacité des architectes à innover. » 47
FIG 16. (gauche) Façade plaques de pierre sur des montants en bois, Studiolada.
FIG 17. (droite) Assemblage plaques de pierre sur des montants en bois, Studiolada.
FIG 18. Axonométrie coupée de l’assemblage plaques de pierre sur des montants en bois, Studiolada.
52 AUBERTIN Christophe, Studiolada, article façade bois. « Nous cherchons à poursuivre la recherche sur ce procédé en remplaçant cette pierre par d’autres plaques minérales. Par exemple d’autres pierres régionales : granit, grés rose, Jaumont, ou encore la terre cuite, voire des parements industriels. » 52
L’expérimentation se distingue de l’innovation, par ses capacités à tester des méthodologies, des mises en œuvre, et des matières, en étant conscient d’un résultat sans garanties. C’est aussi faire l’expérience de nouveau processus, vers la construction d’une vison contemporaine attachée à son contexte économique, écologique et social. Il est aussi important de savoir évaluer ces expérimentations, les comparer entre elles, et les inscrire dans leur milieu, sinon elles se résument à des essais insignifiants. L’expérimentation peut être une des méthodes pour les architectes d’innover et de questionner les pratiques du métier d’architectes.
« On peut estimer que l’architecte occupe une position clé, lui permettant de comprendre les bouleversements en cours et de les mesurer au regard de la tradition de son métier. Il est à la fois acteur et façonneur du milieu habité, et par conséquent, de la pensée contemporaine. » 48
Dans la mise en œuvre singulière de ces plaques de pierre sur des montants en bois, le processus semble faisable pour les architectes. Néanmoins, c’est le bureau de contrôle qui estime à son tour sa difficulté de concrétisation. Suite à des recherches auprès de spécialistes façades, le processus est inexistant et ne semble pas répondre à certaines normes de résistance. Un Atex est alors demandé par le bureau de contrôle au début de la phase "projet" (PRO). C’est évidement une difficulté supplémentaire pour les architectes, nous verrons dans un second temps les lieux dédiés aux expérimentations en France. C’est pourtant très important pour eux de développer ce processus qui valorise une nouvelle mise en œuvre avec une pierre locale, représentative d’un savoir-faire territoriale.
Dans les premières expérimentations constructives, les architectes ont rencontré certaines difficultés auprès du fournisseur de pierre. Les discussions étaient plutôt conflictuelles, il s’est très peu intéressé à la proposition expérimentale des architectes qui mettait en avant ses ressources et celle d’une filière locale, la pierre de Meuse. L’aspect expérimental de cette mise en œuvre de la pierre n’a pas intéressé l’entreprise, ils ont difficilement accepté de fournir des échantillons aux architectes pour leurs prototypes. Le projet reste de taille modeste, l’entreprise raisonnait dans une logique financière plutôt qu'avec la volonté de soutenir la recherche des architectes. Suite aux expérimentations faites au CRITT les plaques de pierre initialement de trois centimètres ont augmenté à quatre centimètres, l’entreprise a menacé les architectes de quitter le projet s’ils n’acceptaient pas un avenant.
48 EHRLICH Volker, Le Philotope Ma(t)ierre(s),
49 AUBERTIN Christophe, Studiolada, entretient réalisé par Marine Raguénès.
50 idem
51 ELIET Denis, LEHMANN Laurent, exposition matière à construire, 2011. Les relations entre les architectes et les entreprises sont parfois conflictuelles, un respect mutuel entre les corps de métier semble nécessaire. Néanmoins, au cours du projet le charpentier à été très compréhensif, il a réalisé et suivi
les trois prototypes. « J’essaye de saisir cette passion chez les artisans, quand c’est possible et il y a des gens autour qui commence à le faire et à aimer ça, c’est bien. » 49
Ce processus de mise en œuvre expérimentale a suscité un grand intérêt pour les architectes de Studiolada, pour le développer jusqu’au bout. Leurs efforts sont récompensés par le prix construction bois régional et le maître d’ouvrage
est fier de ces expérimentations. « Ça valait le coup parce que ça créé des projets exemplaires, ça participe à une évolution et ici une valorisation des filières courtes et locales. » 43 De plus, l’équipe de Studiolada est fière de partager ses recherches et ses expériences auprès d’autres architectes, qui souhaitent comme eux expérimenter.
« Chaque matériau, lorsqu’il est approvisionné sur le chantier, a déjà vécu une longue histoire de transformations successives. Ce processus complexe, artisanal ou industriel, répond à des règles précises (...) ces règles déterminent le possible» 44
Cela invite les architectes à prendre conscience de la valeur des matières mise en œuvre dans leur projet, et l’importance de comprendre ces processus de transformations parfois ancestraux. En saisissant ces processus de fabrications initiaux, et parfois en lien avec un territoire donné, le projet architectural serra d’autant plus ancré dans le réel et ses ressources.
Ce projet ici présenté n’a pas explicitement utilisé l’expérimentation échelle 1:1 comme un outil de conception, suite aux hypothèses de définition de la conception, expliquées en introduction. Ici, l’expérimentation échelle 1:1 n’est donc pas à l’égal du dessin architectural, mais vient en continuité et confirmer un dessin au travers d’une première concrétisation expérimentale. Cette étude de cas questionne davantage l’expérimentation au sens large plutôt que celle à l’échelle réelle. Les expérimentations matérielles sont pour les architectes un processus à la marge comparé aux pratiques communes contemporaines. Elles émergent dans le domaine architectural, certaines expositions récentes confirment l’intérêt des architectes pour ces expérimentations matérielles. « Les terres du Grand Paris » de Joly et Loiret présenté récemment ou celle sur les matières végétales au Pavillon de l’Arsenal sont des exemples intéressants. Ces événements culturels ouvrent le champ des possibles pour les architectes et par les architectes.
FIG 19. Ephad de Vaucouleurs, Studiolada.
53 PIANO Renzo, « La désobéissance de l’architecte », 2004.
54 SENNETT Richard, «Ce que sait la main, la culture de l’artisanat», ed. Albin Michel, 2008.
Savoirs faire et technologies
Dans cette première partie, les études de cas présentées proposent des expérimentations échelle 1:1 basées sur des savoirs-faire artisanaux, c’est-à-dire liés à la main de l’homme. Certains ont expérimentés eux même tel que l’atelier Ciguë ou png architectes avant la phase travaux. Les projets étudiés restent de taille modeste, ne nécessitant pas de nouvelles technologiques numériques spécifique. L’usage du BIM n’est pas non plus mentionné dans leurs projets. Il est intéressant de comprendre le rapport entretenu entre les expérimentations échelle 1:1 et l’usage de nouvelles technologies, de manière succincte. L’expérimentation échelle réelle implique, par définition, un rapport au concret et un rapport à la matière par le toucher, comme expliqué précédemment. Alors, les nouvelles technologies liées à la construction sont-elles un frein pour l’expérimentation ? Les architectes peuvent-ils garder la même relation aux expérimentations matérielles par le biais de nouveaux outils technologiques innovants ? Ces questionnements assez larges tentent de comprendre la place des outils numériques dans le processus de conception architectural.
L’architecte Renzo Piano, par son parcours singulier, à su choisir ses outils de conception les plus adaptés pour synthétiser ses idées de manière concrète.
« Je pense que l’architecte doit avant tout concevoir ses propres instruments de travail, maîtriser sa technique et s’imposer une discipline (…) » 53 Les outils nécessaires au processus de conception architectural semblent propre à chaque architecte. Ils sont liés à plusieurs facteurs ; les expériences professionnelles, le milieu dans lequel s’inscrit le projet, les acteurs impliqués, les attentes de la maîtrise d’ouvrage et enfin l’identité architecturale propre à chaque architecte. Ainsi, l’usage de nouvelles méthodologies moins traditionnelles peut aussi être bénéfique dans le déroulement d’un projet ou pour certaines expérimentations. Son usage doit pouvoir être raisonné, comme le précise Richard Sennett où il s’interroge sur l’équilibre à adopter dans l’usage d’outils numériques, ici
appelé machine intelligente. « Reste qu’il est fait un mauvais usage de la machine quand celui-ci empêche les gens d’apprendre par la répétition. La machine intelligente peut séparer la compréhension par l’esprit humain de l’apprentissage répétitif, instructif et interactif. Quand cela se produit, les pouvoirs conceptuels en pâtissent. » 54
Par exemple, le projet de la Maison des Plantes de Ricola en Suisse, dessiné par Herzog & De Meuron, le pisé est au cœur d’expérimentations innovantes. La construction est géré par l’artisan/architecte Martin Rauch, ils ont adapté
une mise en œuvre ancestrale, le pisé, avec des technologies et des savoirs faire contemporains. Le projet mesure onze mètres de haut et les façades en terre sont auto porteuse, une proposition marginale pour une construction en terre crue. Le pisé est traditionnellement fabriqué sur place à l’aide de banche, la terre est ajoutée par strate, ici, c’est des blocs de pisé préfabriqués en atelier, puis assemblés sur le chantier. Ils sont créés à la manière de brique pesant plus de cinq tonnes et fabriqués à la chaîne dans un hangar. Ce processus expérimental à pour but de répondre à des attentes économiques et temporelles exigées par la maîtrise d’ouvrage, en lien avec notre société actuelle. À travers ce projet, il semble intéressant de noter sa valeur écologique, il est construit avec la terre du site et celles disponibles à proximité. Il y a une réelle volonté de questionner et d’expérimenter un processus artisanal, avec des artisans qualifiés, réalisé avec des procédés industriels de préfabrications accélérant le temps de chantier. Certaines machines spécifiques ont aussi été nécessaires pour permettre ce processus singulier, dans un projet d’une telle envergure.
Ainsi, un équilibre doit s’opérer entre des savoirs-faire artisanaux et des savoirfaire numériques. Le travail d’un artisan qualifié n’est plus toujours adapté à la demande, dans le domaine architecturale, face à une logique de croissance
économique de notre société. « Les abus de la CAO le prouvent : quand la tête et la main sont dissociées, c’est la tête qui souffre. » 48
À l’ère du numérique, l’architecte doit-il aussi adapter ses outils de conception aux besoins actuels ? La pratique de l’expérimentation échelle 1:1 comme outil de conception peut aussi bien être pratiquée de manière manuelle que numérique. Néanmoins, le rapport sensoriel à la matière sera moins concret, la main n’est plus au centre de l’expérimentation, c’est la possibilité d’expérimenter qui est conserver avec les capacités répétitives et innovantes des ma-
chines. « La complexité extraordinaire de la main, de ses gestes, et de ses relations avec le corps, en particulier avec le cerveau fait que le plus modeste des outils manuels est aussi un outil du corps. » 56
Les outils manuels semblent indissociables de la pensée conceptuelle pour J.Pallasmaa ; la main, le corps et le cerveau son fusionnels. Nous pourrions questionner la capacité de certains outils numériques, comme la réalité virtuelle, à remplacer le travail singulier manuel. Il réside dans le travail manuel artisanal, la qualité du défaut. C’est-à-dire l’imperfection offrant la singularité de l’objet. Ce schéma n’est pas applicable à des outils numériques programmés, qu’ils exécutent.
55 SENNETT Richard, «Ce que sait la main, la culture de l’artisanat», ed. Albin Michel, 2008, p 64.
56 PALLASMAA Juhani, La main qui pense, Actes Sud, 2013.
FIG 20. Image d’atelier, exposition «matière à construire», photographie Pierre Yves Brunaud, 2011.
Faire avec pour mieux faire
« Vous commencez par faire une esquisse, puis un dessin, puis un modèle, puis vous passez à la réalité - vous allez sur place -, puis vous reprenez le dessin. Vous instaurez une sorte de circularité entre le dessin et la construction, et inversement. » 50
Les études de cas présentées ont chacune une relation différente aux expérimentations échelle 1:1. L’agence PNG et Cigue ont un processus assez circulaire, comme l’explique Renzo Piano. Il soulève l’importance pour les architectes des aller-retour entre les concepts imaginés en dessin sur papier et les réalisations concrètes ancrées dans le réel du processus de construction. Les deux sont complémentaires, la conception et la concrétisation, dans le processus de projet. Ces étapes s’entrecroisent et se répètent tout au long du projet. L’expérimentation échelle 1:1 utilisée comme outil de conception ne remplace pas les autres outils plus communs, mais vient s’additionner à eux.
L’équipe de PNG architectes à trouvé ses outils de conception et de fabrication pour aboutir à ses idées architecturales, les expérimentations échelle 1:1. L’atelier Cigue raisonne de la même manière avec un processus de conception réalisation. Ils accordent une attention particulière aux caractéristiques physique de la matière. Leurs expérimentations au sein de leur atelier, permettent de confirmer des intuitions au regard d’une matière et d’en questionner de nouvelles en les manipulant. Les architectes s’impliquent dans le processus de fabrication, ils sont déjà dans des réflexions constructives de mise en œuvre singulière en lien avec leurs concepts. Par le biais des expérimentations échelle 1:1, ils ouvrent le dialogue avec les entreprises afin d’avoir un résultat le plus en lien avec leurs idées initiales. De plus, en étant vite impliqué dans un rapport matériel, le savoirs-faire des architectes se développe, leurs dessins sont eux aussi plus ancrés dans la réalité constructive.
« On ne pourrait vraiment pas faire autrement (…) c’est naturellement notre manière de faire. » 51 Ce processus singulier d’expérimentation à l’échelle 1:1 de réflexions architecturales reflète l’identité de ces architectes.
57 PIANO Renzo, Cité dans Edward ROBBINS, Why architects draw, Cambridge, Mass., MIT press, 1994, p.126.
58 MARTINETTI Grishka, PNG Architectes, entretient réalisé par Marine Raguénès.