
25 minute read
Des lieux dédiés à l’expérimentation
from L'expérimentation échelle 1:1 comme outil de conception I mémoire architecture I Marine Raguénès
B. Des lieux dédiés à l’expérimentation
Comment peut-on développer les expérimentations et en particulier celles à l’échelle 1:1 pour les architectes qui n’ont pas d’atelier dans leurs locaux. Comme énoncé précédemment, les solutions législatives restent encore faibles pour encourager l’expérimentation en architecture. Cette volonté d’expérimentation échelle réelle est aussi un engagement des architectes, illustré par les études de cas dans la première partie. Des lieux dédiés aux expérimentations peuvent aussi engager les architectes à développer ce processus singulier.
Advertisement
Différents lieux se distinguent comme le CSTB dédié aux expérimentations techniques et aux évaluations de processus innovants et les Grand Atelier dédiés aux expérimentations matérielles, en particulier pour les étudiants en école d’architecture. Il est important de questionner la valeur de ces lieux, l’expérimentation échelle réelle demande un investissement temporel, financier et spatial. Grâce à ce type d’établissement, les architectes peuvent aussi partager leurs procédés et leurs savoirs-faire.
77 ZAWISTOWSKI Marie et keith, d’a n°250 ,Design/build Lab, Décembre 2016 «le design/build lab a toujours compté sur la simultanéité du travail de fabrication hors chantier parallèlement à celui sur le chantier, afin de minimiser les retards» 77 Ce principe de design/build lab est ici dédié aux étudiants en école d’architecture, peut-il aussi s’appliquer pour les architectes en exercice ? Le métier d’architecte se renouvelle constamment, en lien avec son environnement et les usagers, l’expérimentation doit pouvoir garder une place importante dans le processus de conception des architectes.
FIG 24. Les Grands Ateliers de l’Isle-d’Abeau.
78 Centre Scientifique et Technique du Bâtiment
79 SENNETT Richard, «Ce que sait la main, la culture de l’artisanat», ed.Albin Michel, 2008, pp 77-113. 80 JARRIGE François, France Culture, « histoire des métiers (1/4), résister à la technique ou la dompter ? Les métiers face aux technologies », 03/06/2019.
81 CNRTL
82 HAAS Hugo, Ciguë architecte, entretient réalisé par Marine Raguénès. 83 Centres Régionaux d'Innovations et de Transfert de Technologies.
Ateliers dans les agences
Parmi les lieux qui tentent de favoriser l’expérimentation et particulièrement celle à l’échelle 1:1, l’atelier semble être un des plus pertinents. Il se décline de plusieurs manières avec des usages différents selon les utilisateurs. À l’inverse du CSTB 78 axé sur les innovations technologiques et les évaluations techniques, l’atelier, au sens large, offre l’expérience de l’expérimentation de manière assez libre, toujours selon les matières disponibles et les savoirs-faire de chacun. Richard Sennett définit l’atelier comme le « foyer de l’artisan » qui
produit un « espace social », « Les ateliers présents et passés ont soudé les gens par des rites de travail (…) » 79 L’atelier, pendant une époque occupait une place importante dans la société, il fut remplacé par des espaces beaucoup plus vastes et mécanisés80 à l’image d’usines. Une seconde définition propose: « Lieu où s’exécutent des travaux ma-
nuels, où se pratiquent des activités manuelles d’art ou de loisirs ; lieu où s’élabore une œuvre. » 81
Aujourd’hui peu d’agences d’architecture peuvent se permettre un atelier de maquettes ou un atelier d’expérimentation dans leurs locaux. Les maquettes de rendu sont parfois faites auprès de professionnels externes comme des artisans ébénistes, pour des maquettes en bois par exemple. Parmi les études de cas présentées, l’agence d’architecture Ciguë possède un atelier d’expérimentation accolé à son bureau. L’équipe d’architectes a démarré en créant une entreprise de menuiserie et cela se reflète aujourd’hui avec la présence de leur atelier. En lien avec ce travail manuel, ils ont créé une mathériauthèque avec des échantillons de leurs différents projets, mais aussi avec des petits objets récupérés, à la manière d’un cabinet de curiosité. Ce travail manuel et sensoriel met en perspective leurs idées développées, cette approche fait aussi la singularité de leur travail, comme développé précédemment. Grâce à cet atelier, ils ont la liberté d’expérimenter de nouveaux processus en lien avec leur conception, c’est pour eux une évidence dans leur travail.
« On a souvent des entreprises qui nous font des super retour sur le niveau de dessin et de détail de notre travail. » 82
Le collectif d’architecte Studiolada, à contrario manque de lieux dédiés à leur volonté d’expérimenter, c’est aussi un financement important de détenir un atelier et du personnel en lien avec ce travail. Ils se sont tournés vers le CRITT83

FIG 25. Atelier maquettes, Agence Renzo Piano, Paris.
FIG 26. Expérimentation échelle 1:1 dans l’espace extérieur de l’agence, Studio Mumbai.

d'Epanil pour finaliser leurs expérimentations, un lieu dédié aux innovations et aux expérimentations. Enfin les architectes de png ne s’attardent pas à des lieux spécifiques, mais tentent leurs expérimentations à la fois dans la cour de leur agence à Paris ou dans le jardin des uns et des autres. C’est aussi pour eux une volonté très forte de faire ces expérimentations échelle 1:1 malgré le manque de lieux dédiés à celle-ci.
Les ateliers d’expérimentation ou les ateliers de maquettes restent néanmoins à la marge dans les agences d’architecture, cela représente un financement très important. Certaines grandes agences en possèdent comme Renzo Piano Building Workshop, Zumthor, Studio Mumbai ou Herzog et de Meuron, elles n'ont pas toutes les mêmes usages du lieu ou du type d’expérimentation. L’atelier de maquette de RPBW à Paris donne sur la rue à la manière d’un commerçant qui donne à voir ce qu’il fabrique. Chaque projet de l’agence passe par cette étape, ils exposent et fabriquent les projets en cours de conception, ce qui appuie encore une fois son engouement pour une conception matérielle et concrète. Le studio Mumbai, en Inde, à aussi dédié un lieu à ses expérimentations matérielles et de mise en œuvre. De nombreuses expérimentations, en lien avec le processus de conception, sont réalisées à l’échelle 1:1 à l’extérieur
de l’agence sur leur grand terrain. « An humain infrastructure of skilled craftsmen and architects who design and build the work directly » 84
Certaines alternatives existent pour tenter de remplacer l’atelier au sein d’une agence et garder le même caractère d’un lieu libre d’expérimentations, ce sont des fablabs. Ces lieux sont souvent en milieu urbain, pour permettre à un grand nombre d’individus de fabriquer, bricoler, expérimenter. A Paris il en existe plusieurs dont le WoMa, Working & Making, c’est une fabrique de quartier ouverte à tous, à la fois pour de petits projets individuels de bricolage comme pour des entreprises qui souhaitent réaliser de petite construction. Ce lieu associatif, financé par la région Ile-de-France, est un espace de travail couplé à un atelier équipé d’outils traditionnels et de machines numériques. Il permet à de jeunes agences d’architecture de profiter d’un lieu de partage et d’expérimentations matérielles. De nombreux espaces similaires tendent à se développer dans les grandes villes, néanmoins leur taille restreint les types d’expérimentations et en particulier celles à l’échelle 1:1 restent difficilement réalisables dans ces lieux. D’autres espaces plus adaptés, de plus grande envergure, permettent aux architectes d’expérimenter par eux-mêmes, nous verrons dans un second temps ces lieux dédiés à l’expérimentation architecturale.
84 JAIN Bijoy, «50 architect’s office», a+u, mars 2011.
85 Amàco.fr
Pouvoir expérimenter la matière
En parallèle aux ateliers individuels de certaines agences d’architecture, il existe des lieux plus grands et plus adaptés aux expérimentations à l’échelle 1:1. Ils permettent aux architectes, ainsi qu’aux étudiants ou aux entreprises, d’expérimenter concrètement leurs pensées architecturales. Les grands ateliers de l’Isle-d’Abeau, situés à proximité de Lyon, ont été conçus pour redonner place à l’expérience constructive dans l’enseignement de l’architecture et aux expérimentations matérielles pour les professionnels de la construction. Il comprend une grande halle permettant des projets plus importants en taille, l’expérimentation échelle réelle y est possible, avec des professionnels qui partagent leurs savoirs-faire.
Dans cet atelier géant, l’expérimentation échelle 1:1 est considérée comme un outil de conception à part entière. Elle permet aux architectes de développer leur créativité à la fois dans le choix des matières, dans leurs mises en œuvres singulières, mais aussi dans le rapport à l’espace et aux dimensions du projet, à contrario du CSTB, où les expérimentations sont davantage liées à une résolution technique. Pour les étudiants, cette entité incite à concrétiser leurs idées, développer l’innovation, et même aller jusqu’à déposer un brevet. C’est ce que souhaite développer l’ENSA de Lyon avec un domaine d’étude « architecture vertueuse ».
« L’atelier matière à construire développe l’acquisition des savoirs liés aux matières à construire et contribue ainsi à une formation des professionnels capables de relever les défis de la construction durable en intégrant toutes les étapes du cycle de vie du bâtiment. » 78
L’entité Amàco, atelier matière à construire, collabore étroitement avec les Grands Ateliers toujours dans une optique liée à la pédagogie de la construction, mais il s’ouvre aussi bien aux chercheurs, aux doctorants, aux enseignants qu’aux professionnels ; artisans, industriels, techniciens, architectes et ingénieurs. Amàco porte un regard sensible sur l’expérience de la matière à la fois sensoriel et scientifique et cela passe par de nombreuses expérimentations. C’est aussi un moyen de médiation pour informer les architectes des recherches effectuées.
Ces lieux, gérés par des entités publiques et des associations, offrent de nombreuses possibilités pour les différents corps de métiers liés au domaine de la construction. En permettant à des individus d’expérimenter dans des conditions optimales, avec des outils adéquats et un savoir-faire particulier, de nouveaux matériaux émergent où les matières biosourcés sont ré-interogées. Parmi celles-ci le béton d’argile, aussi appelé le pisé, est réintroduit dans l’architecture contemporaine Française, en lien avec des laboratoires de recherche comme CRAterre.
Dans l’optique d’une conscience écologique, d’un regard sur les matériaux biosourcés ou sur des processus low-tech, ces lieux permettent un partage de ces savoirs-faire parfois singuliers. L’architecte tend à être mieux informé de la viabilité de certaines matières, dans leur mise en œuvre comme dans leur qualité sensorielle. Il peut alors les valoriser et les expérimenter sur un bâtiment, en accord avec la maîtrise d’ouvrage. Cela donne parfois lieu à des chantiers expérimentaux, à la marge de la production architecturale. Ils questionnent alors l’usage de matériaux non-conventionnels vers un usage plus raisonné de
la matière. « Nous pouvons choisir le bon matériau au bon endroit, et ne plus avoir des bâtiment qui ont mis en œuvre qu’une seule matière » 86 en référence à l’usage excessif du béton en France. Le développement de certaines matières passe donc aussi par les architectes, par leurs concepts et leurs capacités de concrétisation, en lien avec les possibilités d’expérimentations. Ces lieux restent encore limités en France et la démarche de projet liée à la loi MOP ne valorise pas nécessairement ces expérimentations. Enfin, quand les architectes ne sont pas en capacité d’expérimenter ou de réaliser des prototypes eux-mêmes, ce sont souvent les entreprises qui les réalisent dans leurs ateliers. Cela représente aussi un budget important mais les prototypes ne seront faits qu’après l’appel d’offre où la conception du projet est déjà bien avancée.
«Le processus de trouver la bonne forme est plein d’insécurités, de désespoir, de plaisir et de joie et il a besoin de free space pour bouger et réfléchir. Nos modèles – structurels, sculpturaux, atmosphériques, toujours différents (...) ils nous aident à comprendre, à penser et à rêver nous leur faisons tenir la promesse de l’objet que nous cherchons. » 87
Les lieux dédiés aux expérimentations, et au sens large à la recherche appliquée en architecture, sont primordiaux pour le développement de l’architecture contemporaine. C’est un moyen d’expression pour les architectes, comme le soulève Peter Zumthor.
86 MADEC Philippe, interview « brique de terre crue comprimée » pour le projet de pôle culturel à Cornebarieu, amàco, 2018.
87 ZUMTHOR Peter, exposition maquette à la biennale de Venise, 2018.
88 CSTB.fr
89 idem
L’échelle 1:1, résolution technique
Les expérimentations à l’échelle 1:1 sont souvent rapprochées du terme de « prototype », ces premiers échantillons de la construction sont souvent fabriqués par les entreprises et les artisans pour résoudre des détails techniques de mise en œuvre. Tout au long de ce mémoire, nous avons tenté de démontrer que la résolution technique était la seule fonction des prototypes réalisés à l’échelle 1:1. Il sera tout de même intéressant de comprendre cet aspect premier des prototypes, comment sont-ils appliqués dans le processus de certains projets architecturaux ?
En France, il existe certains lieux dédiés aux expérimentations et aux innovations, dans le domaine de la construction nous pourrions citer le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. Le CSTB tente de garantir la qualité et la sécurité des bâtiments grâce à des connaissances scientifiques et techniques spécifiques dans plusieurs domaines. Ce lieu permet donc les essais, l’évaluation et la certification de nouvelles mises en œuvre innovantes. « Le
CSTB a la capacité de mettre en œuvre des essais à l’échelle 1 pour tester l’intégralité des produits au plus réels. Il vérifie l’efficacité des innovations en tenant compte de leur mise en œuvre, de leurs caractéristiques industrielles et de la complexité des phénomènes physique concernés.» 88 Il permet donc aux entreprises et aux maîtres d’œuvres d’expérimenter en lien avec les normes de la construction, à travers diverses procédures telles que l’Appréciation Technique d’Expérimentation, ATEx. « C’est une procédure
d’évaluation technique formulée par un groupe d’experts sur un produit, un procédé ou un équipement ne faisant pas encore l’objet d’un avis technique et dont la mise au point nécessite une utilisation expérimentale sur un ou plusieurs chantiers. » 89
L’équipe de Studiolada, précédemment présentée a dû réaliser un ATEx pour finaliser sa mise en œuvre singulière de façade en plaques de pierre. La réalisation de ce prototype expérimental avait donc été demandée par le bureau de contrôle. Les architectes souhaitaient principalement mettre en valeur une matière locale, la pierre de savonnière, avec le savoir-faire local de l’artisan charpentier. La vocation première des architectes étaient bien d’expérimenter les capacités de la matière plutôt que de créer une innovation technologique plus performante ayant pour but d’être commercialisée. C'est toutefois aussi pour eux une forme d’incitation pour leurs confrères car en partageant leur ATEx, par exemple les futures expérimentations seront moins coûteuses et engageront davantage d’architectes à essayer.
Tout au long de ce mémoire, le travail de Renzo Piano fut largement énoncé, pour ses méthodologies singulières en lien avec les expérimentations, son travail de la matière et les outils nécessaires mis en œuvre dans le processus de projet. Les croquis comme les maquettes sont pour lui des stimulants à l’imagination et reflètent son attachement à la constructibilité de l’architecture. Nous nous intéresserons succinctement à l’un de ses projets où il a créé un prototype échelle 1:1 d'une façade en bloc de verre. Il s’agit de la Maison Hermès à Tokyo, construite entre 2000 et 2006 en deux étapes, la conception du projet s’étale entre 1998 et 2001 pour la première étape seulement. L’une des volontés de Renzo Piano est de créer un immeuble transparent et lumineux à l’image des lanternes japonaises traditionnelles.
Les pré-prototypes et les prototypes échelle 1:1, allant jusqu’à deux étages du projet, répondent aussi à une innovation technologique, le processus de fabrication des blocs de verre est très minutieux ainsi que sa mise en œuvre. L’assemblage de ces pavés de verre permettait de vérifier la résistance des matériaux aux secousses sismiques, la tenue au feu ainsi que l’imperméabilité à l’eau et à l’air de la façade.
« Leur conception puis leur fabrication devaient permettre la validation des choix techniques et structurels de la façade de l’équipe projet. » 90
Pour ce projet il s’agit bien d’un savoir-faire européen qui est mis en valeur, à l’image de la marque Française Hermès. Les briques de verre sont fabriquées à Florence par un savoir-faire ancestral Florentin largement respecté dans le monde entier. Les architectes et le fabricant de pavés de verre, ont réfléchi ensemble à un nouveau processus de fabrication en lien avec les dessins de l’architecte, ne correspondant pas aux standards de la production. De nouveaux moules sont ainsi créés spécialement pour l’édifice, le fabricant est libre de conserver ce nouveau procédé innovant qui enrichit son savoir-faire artisanal, lié à un processus industriel.
« L’atelier persuade clients et entreprises de l’utilité des prototypes, et va jusqu’à en introduire le principe dans les marchés publics pour faciliter l’appel d’offres et la réalisation. Ils seront modifiés sans relâche, jusqu’à la première pré-série qu’une visite à l’usine permettra encore d’ajuster avant le lancement de la production. » 91
90 MARIE Jean-Baptiste, « Architectes et ingénieurs face au projet », ed. La moniteur, 2018.
91 FROMONOT Françoise, « Renzo Piano », L’architecture d’aujourd’hui, n°308, 1996, pp. 27-95.
Ce processus de prototypes se révèle très intéressant dans le rapport entretenu entre les architectes, les ingénieurs et les artisans, les échanges engagent un partage des savoirs et savoirs-faire de chacun selon leurs domaines et leurs expériences respectives. Cette hybridation est donc reflétée par les pré-prototypes et par le travail d’expérimentation échelle 1:1.
Ce projet semble très pertinent dans son processus de fabrication singulier, l’équipe des architectes de Renzo Piano Building Workshop et les ingénieurs ont su proposer des solutions techniques spécifiques en réponse à leur concept initial. La Maison Hermès reflète une volonté de RPBW d’expérimenter, à la fois la matière et les mises en œuvre singulières. L’expérience du pré-prototype échelle 1:1 se partage ici entre outils de conception et résolution technique. C’est en effet un choix conscient pour les architectes de tenter de renforcer l’articulation entre les phases de conception et de réalisation.
92 PIANO Renzo « Renzo Piano building Workshop 1964/1991. In search of balance », cité dans, « Architectes et ingénieurs face au projet », MARIE J.B. ed. La moniteur, 2018. « Un architecte ne doit pas seulement s’occuper de l’objet fini, il doit aussi dessiner les instruments, inventer les outils qui permettront de la réaliser - pour moi, c’est dans le cadre notamment de ce travail sur les prototypes. » 92
Néanmoins, il se détache des précédentes études de cas, dans un premier temps par la taille du projet, par les moyens disponibles liés aux expérimentations et enfin par la renommée de l’architecte. Dans un second temps par son contexte plus industriel, puisque les prototypes ont vocation à être reproduis en série en Italie, pré-assemblés en atelier et ensuite mis en œuvre sur le chantier. Ce projet est la preuve des frontières parfois minces entre conception et fabrication, qui renforce positivement le processus de projet.
En comparaison avec une des études de cas précédente, Png architectes a aussi utilisé les expérimentations à l'échelle 1:1 comme un outil de discussion entre les différents acteurs du projet, mais ce n’était pas un prototype au sens industriel. L’expérimentation béton ne serra pas refaite en série, elle enrichira par contre les savoirs faire de l’entreprise béton. Les deux projets sont tous aussi intéressants dans leur processus singulier d’expérimentation, mais l’équipe de png architectes a su expérimenter par elle même. Bien que marginal, l’expérimentation échelle 1:1 semble un réel outil de conception pour ces architectes.
FIG 27. Prototype échelle 1:1 de la façade en brique de verre, Renzo Piano, Maison Hermès, Tokyo.

FIG 28. Prototype échelle 1:1 de la construction en isolation paille, test de résistance au feu, Sonia Cortesse.


La dernière étude de cas est le travail d’expérimentation échelle 1:1 de l’agence Sonia Cortesse pour un test de résistance au feu. L’agence d’architecture Sonia Cortesse s’intéresse particulièrement à une vision écologique de l’architecture contemporaine. Sa vision environnementaliste se reflète à travers différentes thématiques et particulièrement celles des matériaux biosourcés. Ainsi pour l’un de ses projets elle a souhaité réaliser un bâtiment en isolation paille dans une ossature en bois, pour lequel elle à du réaliser des tests au CSTB. Il s’agit d’un groupe scolaire, en marché public, à Issy-les-Moulineaux, d’environ 5000 m2, débuté en 2009. Elle se considère comme une pionnière de la construc-
tion paille. « c’était très en avance, ça à contribué à la filière paille. À l’époque c’était plutôt des maisons et en auto-construction, le professionnel paille n’était pas créé quand j’ai conçu l’école. » 93 De cette volonté première d’utiliser de la paille dans son bâtiment, elle est rapidement confrontée à certaines normes jamais appliquées dans ce cas de figure. Dès la phase conception, phase avant projet définitif, le bureau de contrôle refuse la mise en œuvre de la paille. Cette proposition n’avait jamais été appliquée avec cette envergure de bâtiment et dans le cadre d’un marché public. Les architectes étaient dans l’obligation de prouver la sécurité de sa mise en œuvre dans l’édifice proposé pour ne pas voir la mise en œuvre refusée.
C’est une réelle volonté pour l’équipe d’architectes de proposer un bâtiment passif en bois et de permettre à la filière paille d’émerger. De plus, leur bureau de contrôle est très conciliant et les aide à soutenir le financement des tests de résistance au feu. C’est un processus très long qui a duré plus d’un an et coûté prés de soixante dix milles euros. La maquette échelle 1:1 est donc réalisé dans le seul but de l’essai au feu dans les locaux du CSTB. L’échantillon du bâtiment est réalisé sur deux étages, il mesure près de cinq mètres de haut. Il est donc volontairement incendié et doit résister à trente minutes de feu. Les experts regardent ensuite la résistance des matériaux au feu et ils mesurent la température. C’est un processus d’évaluation de résistance très formel. Pour l’équipe de Sonia cet essai était purement technique, la conception du projet avait déjà était confirmée précédemment. C’est une expérience très enrichissante, qu’elle souhaite vivement partager, dans le but de nouvelles expérimentations en lien avec des valeurs écologiques.
« Partage de cette expérimentation avec tous les architectes qui le souhaitent, nous l’avons ouvert au public, nous ne faisons pas de l’argent sur ce genre de choses, c’est ouvert à tous. Au contraire, je souhaite que ça se développe. Ce travail est montré à d’autres bureaux de contrôle pour leur prouver la faisabilité. » 94
93 CORTESSE Sonia, entretient réalisé par Marine Raguénès.
94 idem
FIG 29. Echec de l’expérimentation échelle 1:1, PNG architecture, pour le pôle administratif et culturel à Saint-Barthélémy des Séchiliennes en Isère.

Des leviers à l’expérimentation
Cette seconde partie a pu illustrer les études de cas, précédemment expliquées, dans un cadre institutionnel lié aux enjeux de la loi MOP dans le cadre des marchés publics. Il a semblé pertinent de comprendre le cadre législatif qui régit la majorité des projets d’architecture, les étapes de conception et de concrétisation sont bien distinctes et offrent peu de possibilités aux expérimentations au cours de la conception. Au-delà de la volonté de certains architectes d’expérimenter à l’échelle 1:1 et de valoriser certaines matières, nous avons tenté de comprendre les leviers qui engagent, ou non les architectes à expérimenter. La maîtrise d’ouvrage étant un des acteurs clé pour encourager et soutenir les architectes dans ce processus expérimental. Le partage des expérimentations entre les architectes permet aussi d’acculturer les différents acteurs du projet à ce processus d’expérimentation échelle 1:1 encore marginal aujourd’hui.
L’expérimentation échelle réelle demande un investissement temporel et spatial pour lequel peu d’architectes ont des locaux disponibles afin de les réaliser. L’atelier Ciguë, présenté dans la première partie, dispose d’un atelier d’expérimentation accolé à leurs bureaux, indispensable au processus de conception et de fabrication de leurs projets. D’autres lieux proposent pour les expérimentations des espaces, du matériel et des savoirs-faire à la disposition des architectes et des étudiants en école d’architecture, comme les Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau. Ce lieu encourage l’expérience de la matière, avec des activités proposées par l’organisme Amàco.
« Si la difficulté est accrue, les manières d’affirmer une identité sont cependant plus nombreuses et portent sur l’ensemble des relations contractuelles et professionnelles que noue un architecte dans l’exercice de son métier. » 95 L’équipe de l'atelier png architecture a prouvé que les expérimentations échelle 1:1 sont une volonté des architectes, qui par eux même sont capables d'aller expérimenter dans le jardin d’un des architectes. Cet exemple révèle que certaines solutions peuvent être engagées pour faciliter la mise en œuvre de l'échelle 1:1 mais que c’est avant tout lié à une volonté profonde de chaque architecte.
95 CHESNEAU Isabelle, «profession architecte», éditions Eyrolles, 2018.
CONCLUSION
96 PALLASMAA Juhani, La main qui pense, Actes Sud, 2013 Au cours de ces recherches, nous avons questionné le rôle des expérimentations échelle 1:1 dans le processus de conception et comment en tans qu'outil de conception il a pu faire émerger de nouveaux questionnements et parfois en confirmer certain. Pour tenter de répondre aux enjeux des expérimentations échelle 1:1 réalisées au cours du processus conceptuel, nous avons pu étudier différentes études de cas d’architectes. Ils intègrent ces expérimentations au cours de leurs réflexions architecturales tous au long du processus de projet. La matière constitue l'un de leurs premiers choix architectonique, souvent en lien avec les capacités du territoire, les artisans et leurs savoirs-faire.
En effet, ce processus de concrétisation dès la conception a permis aux architectes de s’interroger plus rapidement sur des enjeux matériels. Ils questionnent leurs sens en lien avec la matière qu’ils souhaitent mettre en œuvre. Ce premier échange sensoriel implique très tôt les architectes dans les capacités de celle-ci. Pour les architectes de l’atelier Ciguë, c’est un travail parfois sculptural, les mains se connectent à la matière et expérimentent au grès des sensations et des réactions physiques avec celle-ci, c’est une réaction entre
le cerveau, la main et la matière. « Le travail artisanal requiert une collaboration avec le matériau. Au lieu de lui imposer une idée ou une forme préconçue, l’artisan doit être à l’écoute de la matière. » 96
Les architectes semblent comme les artisans, être à l’écoute de la matière et avoir cette relation sensible et sensorielle avec elle, grâce aux expérimentations matérielles échelle 1:1. Elles enrichissent la réflexion des architectes dans le processus conceptuel, mais ces expérimentations doivent aussi les mettre en lien avec les acteurs en charge de les réaliser. Ce processus n’implique pas nécessairement l’architecte dans la construction du projet. Les expérimentations échelle 1:1, intégrées au processus de conception, peuvent aussi être un outil de communication et de médiation entre les différents acteurs liés au projet. Elles viennent en complément des dessins techniques et permettent d’affiner des mises en œuvre singulières souhaitées par les architectes, qu’ils ont pu eux-mêmes expérimenter. Les entreprises et les artisans sont parfois confrontés à de nouveaux procédés qui tendent à enrichir leurs capacités. De plus, elles permettent d’informer et d’acculturer la maîtrise d’ouvrage sur les pratiques marginales des expérimentations échelle 1:1, c’est aussi une preuve de l’investissement de l’architecte pour le projet. Enfin, en intégrant la concrétisation grâce à ces expérimentations au cours de la conception, le projet serra d’autant plus ancré dans le réel ce qui facilitera le déroulement de la construction. Ce processus singulier peut donc permettre de relier les phases de conceptions et celles de réalisations.
Il faut comprendre que ces expérimentations sont avant tout une volonté des architectes. Chaque architecte développe ses outils et sa méthodologie de projet la plus adaptée à sa vision de l’architecture, de son rapport au contexte, aux usages et aux demandes de la maîtrise d’ouvrage. C’est aussi le symbole d’une identité forte pour certains architectes, ils conservent cette singularité par une pratique « à la marge ». L’expérimentation échelle 1:1 comme outil de conception, doit-elle alors rester marginal et propre à quelques architectes ? Ou être rependue comme La solution dans le processus de conception architectural ?
« Alors que la communauté des architectes est censée présenter une certaine homogénéité sociale, susciter un sentiment d’appartenance et permettre à un jeune diplômé d’être reconnu comme étant un des leurs, on exige de lui qu’il promeuve sa singularité, son originalité et sa différence. Cette tension entre deux principes d’intégration antagonistes met profondément en question l’identité professionnelle des architectes, partagés dans leur ensemble (employeurs et employés) entre un désir de cohésion d’une part et une aspiration à un rapport plus individualisé à leur métier de l’autre. » 97
Malgré les travaux très enrichissants présentés des architectes, l'expérimentation échelle 1:1 n'est pas toujours une aide dans le processus de conception, il reste marginal dans la pratique architecturale en France. En effet, peu d’architectes peuvent se permettre de l’intégrer au cours de la conception, c’est un investissement temporel et économique important. Au regard du processus architectural commun, l'expérimentation échelle 1:1 obtient difficilement sa place comme outil de conception, mais plutôt comme un outil de communication et de confirmation entre les différents acteur en amont du chantier.
Dans l’hypothèse où cette pratique deviendrait commune, sa richesse expérimentale pourrait alors perdre son statut de «pratique à la marge» c'està-dire l’identité singulière des architectes qui la pratiquent et parfois de leurs architectures. Il ne faut pas percevoir cet outil de conception comme une évidence ou une nécessité d’usage pour tous les architectes. La discipline architecturale n’obtiendra jamais de méthode fixe, mais proposera à chaque architecte de révéler et renouveler ses outils de conceptions et de fabrications adaptées au milieu et à la société où s’inscrit l’édifice. L'expérimentation échelle 1:1 tend à appuyer la réflexion de certains architectes plutôt qu'à être un outil de conception indispensable.
97 CHESNEAU Isabelle, «profession architecte», éditions Eyrolles, 2018.
98 JARRIGE François, France Culture, « histoire des métiers (1/4), résister à la technique ou la dompter ? Les métiers face aux technologies », 03/06/2019. « Le monde des métiers de plus en plus séparé entre des experts (concepteur) et des mains d’œuvre (constructeur), se durcit et provoque des crises des métiers. » 98
Ce sujet de recherche a aussi pu soulever des questionnements plus larges sur la pratique du métier d’architecte, le rôle de l’architecte se cantonne parfois à celui de concepteur et hiérarchise les acteurs liés au projet en définissant des concepteurs et des constructeurs. Son rôle dans le processus constructif est parfois moins présent, l’expérimentation échelle 1:1 comme outil de conception peut être une des réponses pour relier le processus conceptuel au processus constructif. Grâce aux expérimentations échelle 1:1 faites par les architectes au cours de leur conception, ils prouvent d'une certaine manière leurs savoirs et savoirs-faire au regard d'un objet concret. Cette proposition de relier la conception et la réalisation semble s’appliquer davantage dans le cadre de projets en marché public régis par le processus de la loi MOP, les étapes sont hiérarchisées et ciblent chacune d’elle une attente précise des différents acteurs.
Par manque d’expérience dans le monde professionnel, il a été parfois difficile de bien comprendre les différentes étapes des projets, les attentes des différents protagoniste pour chacune d'elles et le rôle de chaque acteur dans le but de questionner la place de ces expérimentations. Il aurait été pertinent d’interroger d’autres acteurs tels que les entreprises, les artisans, le bureau d’étude et la maîtrise d’ouvrage, pour les projets étudiés.

FIG 30. Expérimentation du pisé, à Glaise (Auvergne), par Rémi Morisset et Marine Raguénès.