Incremental Housing, an evolutive building strategy.

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l’habitat

incrĂŠmental une stratĂŠgie de construction progressive du logement



Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville Mémoire de Fin d’Etudes

L’Habitat Incrémental, une stratégie de construction progressive du logement.

Marion GOUGES travail dirigé par Kerim SALOM dans le cadre du séminaire Habitats Tempérés conduit par les enseignants Gaëlle BRETON Jean-François RENAUD et Laëtitia OVERNEY soutenance le 9 septembre 2016 à l’ENSAPB en présence des architectes invités Jean Harari et David Elalouf


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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB


Remerciements

Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce mémoire. Merci au corps enseignant représenté par les professeurs Gaëlle Breton, Jean-François Renaud, Kerim Salom et Laëtitia Overney, pour avoir suivi mon travail avec intérêt et enthousiasme, mais également pour m’avoir fait confiance durant tout le processus de recherches. Je remercie tout particulièrement Kerim Salom pour son implication et la qualité de ses remarques qui m’ont permis d’approfondir la réflexion. Merci également à mes amis et à ma famille sans qui ce mémoire ne serait pas le même. Par leur soutien, leur enthousiasme et la pertinence de leurs remarques, ils ont su m’épauler et enrichir ce mémoire*.

* Merci à ma mère Sylvie, pour son soutien sans faille et pour la qualité de ses relectures “pinailleuses” de grande perfectionniste; Merci à mon père Michel, à mon frère Pierre, ainsi qu’à tous les membres de ma famille pour avoir fait si bien semblant de se passionner pour l’habitat incrémental. Merci à l’équipe de la Mare, notamment à Clélia et à Célia pour avoir placé la barre d’exigence très haut et pour m’avoir soutenue jour après jour dans ce travail de longue haleine en partageant leurs expériences respectives. Merci à Lambert pour ses relectures attentives et enthousiastes et pour la qualité de ses remarques de lecteur professionnel. Merci à Will pour les longues discussions sur les répercussions d’un tel habitat sur une ville occidentale. Obrigada Mário pelos teus conselhos e a tua ajuda de pirata. Gracias Antonio por tus críticas pertinentes que me ayudaron a buscar las preguntas más pertinentes.

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Structure

Remerciements

p.5

Chronologie

p.68

Introduction

p.8

Conclusion p.154 Bibliographie

p.166

Annexes p.170

partie 1

l’incrémentalisme appliqué à l’habitat 1. Qu’est-ce que l’incrémentalisme? p. 16 a. La “Science de la Débrouillardise”, l’incrémentalisme selon C. Lindblom. b. Souplesse du rôle de l’architecte sur la question du logement : The Use of Levels, ou la théorie de l’échelonnement des actions. c. Habitat incrémental, un choix sémantique.

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2. Changement de paradigme architectural, un nouvel équilibre entre professionnels et usagers. p. 24

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a. L’habitant, présent dans les phases de conception et de réalisation. b. Open-Buildings, la flexibilité dans le logement collectif. c. L’incrémentalisme, un type d’habitat?

3. Loger le plus grand nombre à très bas coût, genèse de l’expérience incrémentale.

a. Opérations Site-and-Services de la Banque Mondiale b. The Grassroots Housing Project, Christopher Alexander c. PREVI, l’exception péruvienne. d. Elemental, héritiers d’un contexte chilien. e. Mise en place du prototype de la Quinta Monroy

p. 38


partie 2

l’incrémentalisme, une démarche architecturale 1. Explication de la chronologie et du choix du corpus

a. Projets dans le cadre du PREVI b. Projets de l’agence Elemental

2. Quels sont les dispositifs architecturaux qui définissent un habitat incrémental?

p. 82

a. Définition d’un noyau élémentaire b. Mise en place des éléments structurels c. Présence indispensable d’espaces libres

3. Répartition des rôles entre architecte et habitant

p. 70

p. 98

a. Une architecture auto-explicative. b. L’auto-construction dans l’habitat incrémental, une nécessité?

partie 3

l’incrémentalisme, une stratégie urbaine 1. Densifier sans altérer les qualités urbaines.

a. b. c.

p. 114

Stratégie foncière Résoudre les problèmes liés au surpeuplement. Faible Hauteur Haute Densité (FHHD).

2. L’habitat, un support économique.

p. 126

a. “Half of a good house”, explication de la méthode Elemental. b. Systèmes de microfinancement et notion de propriété. c. Diversification des usages, “hipercasa”. 3. Recherche de diversité dans le tissu urbain p.138

a. Porosité de façade, relation de l’habitat à l’espace public. b. Esthétique controversée du “laisser-se-faire”, Lucien Kroll. c. Equilibre fragile entre compositions exubérante et monotone. d. Perspectives d’un schéma urbain exclusivement incrémental.

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introduction

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Le 13 janvier 2016, à la surprise générale des journalistes1, le Pritzker Price fut décerné à l’architecte chilien Alejandro Aravena. Souvent comparé au “Nobel de l’Architecture”, le prix récompense chaque année un architecte pour l’ensemble de son oeuvre. L’attribution du titre au jeune architecte est essentiellement due au travail de l’agence Elemental dont il est membre fondateur et qu’il dirige depuis quinze ans. C’est notamment à travers les projets de logements sociaux que le groupe se distingue en proposant une méthode présentée comme étant inédite et innovante : l’habitat incrémental2.

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Alejandro Aravena fonde sa réflexion sur des chiffres alarmants: selon lui, parmi les trois milliards de personnes qui peuplent aujourd’hui les villes, plus d’un tiers vit sous le seuil de pauvreté et la croissance exponentielle des villes contemporaines laisse à prévoir la multiplication de ce chiffre par deux d’ici quinze ans. La vitesse, l’échelle et l’insuffisance des moyens (notamment financiers) de la part des familles comme des gouvernements, sont sans précédent, et se traduisent par la prolifération des bidonvilles dans les périphéries de certaines grandes métropoles. En partant de ce fait concret dont il est témoin dans son propre pays, l’architecte met en place une équation qui pourrait être résolue par la construction d’une ville d’un million d’habitants par semaine. Face à ce problème complexe, il tente de simplifier la réponse ; plutôt que de réduire la taille des logements par manque de moyens, pourquoi ne pas construire uniquement : “la moitié d’une bonne maison”? Cependant, derrière ce slogan aux allures simples, se cache une stratégie architecturale complexe, touchant de nombreux domaines. Cette étude aura donc pour objectif d’analyser et d’expliquer en détail les mécanismes qui régissent l’application d’une approche incrémentale à l’architecture, dans le cadre du logement notamment. 1. Les pronostics se portaient alors sur les architectes David Chipperfield, Dominique Perrault ou encore Santiago Calatrava - source: www.lemoniteur.fr 2. cf. Annexe 1 - ABC de la Vivienda Incremental


Malgré la récente médiatisation des réalisations de l’agence Elemental, une définition et une analyse architecturale précises concernant l’habitat incrémental font défaut. La désormais célèbre “demi-maison” souffre d’un silence radio dans la presse comme dans les recherches universitaires en France. L’incrémentalisme ne fait pas encore partie du vocabulaire architectural français, et l’ambition majeure de ce mémoire sera de l’y introduire à travers la proposition d’une définition de l’habitat incrémental. Dérivé du latin incrementum signifiant “accroissement”, l’incrémentalisme est une notion beaucoup plus courante dans d’autres langues comme l’anglais ou l’espagnol. Se référant à “un ajout par palier, petit à petit, afin d’être certain que chaque valeur ajoutée apporte une amélioration sans créer de dysfonctionnement.”3, ce changement graduel, étape par étape s’applique à tous les aspects de la vie quotidienne. Cependant, l’incrémentalisme est une notion qui reste marginale et méconnue en France. L’absence de ce terme dans notre vocabulaire courant rend difficile son assimilation dans des champs professionnels tels que l’architecture. Présent notamment dans le domaine de l’informatique, il s’agit autrement dit de la croissance progressive d’un système dans le temps. Appliqué à l’architecture, l’incrémentalisme se manifeste ainsi par la conception d’un bâtiment capable d’être agrandi progressivement dans le temps, à travers une succession d’étapes. Un bâtiment ou, par extrapolation, une ville. En théorie, suivant la définition énoncée précédemment, l’incrémentalisme est une notion qui pourrait s’appliquer à n’importe quel système, que ce soit en architecture ou dans d’autres domaines comme l’informatique ou encore l’économie. Néanmoins, le thème de cette étude se concentre sur l’incrémentalisme dans l’habitat et nous ne ferons que très peu référence aux applications de cette stratégie dans d’autres disciplines ou dans d’autres programmes architecturaux. En plus de ce travail analytique, la finalité de ce mémoire se retrouve également dans la recherche du contexte historique dans lequel s’inscrivent les projets récents de l’agence Elemental. Car même si ces derniers ne citent que très peu leurs prédécesseurs, l’incrémentalisme n’est pas une notion nouvelle en architecture.

3. définition extraite du dictionnaire numérique L’internaute http://www.linternaute.com

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L’habitat est alors considéré comme un processus, capable d’être modifié et étendu dans le temps en fonction des besoins et des moyens de l’habitant. Ce n’est plus une oeuvre d’art figée, mais un éternel chantier qui réconcilie l’architecture formelle et informelle dans un même système architectural (informel ne signifiant pas “sans forme” mais faisant référence à une architecture autoconstruite et non planifiée). En effet, comme l’illustre le concept de “demi-maison” de l’agence Elemental, l’habitant est associé à la conception et à la réalisation de son propre logement. Plutôt que de raser les bidonvilles, les architectes chiliens défendent que le savoirfaire constructif des populations vivant en situation précaire peut être valorisé et introduit dans la fabrique du logement. La considération des bidonvilles comme pouvant faire partie, paradoxalement, de la solution dans la lutte contre le mal logement, apparaît dès les années 1960 à travers les écrits de l’architecte britannique John Turner. Ses ouvrages Freedom to Build et Housing by People4 publiés au milieu des années 1970 amènent un regard nouveau sur l’auto-construction. Ce courant de pensée architecturale se matérialisera par ailleurs lors de l’exposition Architecture without Architects : a Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture présentée en 1964 au MoMA à NewYork. L’acceptation des bidonvilles comme faisant partie intégrante d’un nouvel urbanisme, génère de nombreuses expériences en matière de logement social dans lesquelles l’auto-construction est mise en avant. Cependant, dans un contexte urbain dense, l’autoconstruction seule ne suffit plus et l’habitat incrémental est une solution capable d’hybrider l’architecture et l’auto-construction. Comment expliquer la réapparition de ces considérations, quarante ans plus tard ? Existe-t-il une continuité historique entre les premières expériences d’habitat progressif et celles de l’agence Elemental ?

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Afin de comprendre en quoi l’habitat incrémental se distingue d’autres modèles de logements, il convient d’étudier les dispositifs architecturaux mis en place dans les différents projets constituant le corpus. Le choix sera fait de ne porter aucune restriction quant à l’emplacement géographique ou l’époque de construction des projets étudiés. En effet, le nombre d’expériences de logements incrémentaux à travers le monde étant relativement limité, il sera 4. TURNER John. Freedom to Build: Dweller Control of the Housing Process. The Macmillan Company. 1973. p.228. Anglais. TURNER John. Housing by People : Towards Autonomy in Building Environment (Ideas in Progress. Marion Boyars Publishers Ltd 2ème édition. 1976. p.162 (Collection Open Forum) Anglais. Exposition “Architecture without Architects : a Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture” présentée au Museum of Modern Art (MoMA) en 1964 à New-York. Commissaire d’exposition : Bernard Rudofsky


possible d’analyser et d’étudier un grand nombre de propositions. Ce large éventail de projets permettra d’avoir une vision précise de ce qu’est l’habitat incrémental. D’après le slogan accrocheur d’une “moitié de bonne maison”, l’architecte ne livrerait qu’une demi-maison, laissant l’habitant la compléter par la suite. Mais cette formule étrange pose plusieurs questions. Tout d’abord, dans la définition d’une bonne maison. Les critères sont-ils identiques selon les époques, les cultures et les classes socio-économiques pour lesquelles le logement est conçu ? Quels sont les standards en termes de confort et de qualité de vie visés dans la fabrique du logement ? Par ailleurs, si l’architecte ne conçoit effectivement que la moitié du logement, de quelle moitié s’agit-il ? La nature de cette moitié, qui servira de support par la suite pour les extensions du logement, est-elle toujours la même selon les projets? Enfin, si Alejandro Aravena définit l’habitat incrémental comme étant la conception d’une “moitié de maison”, cette proportion du partage des rôles entre l’habitant et l’architecte est elle systématique ? Puisque l’habitat implique une collaboration entre l’architecte et l’habitant, la conception d’un habitat incrémental se limite-t-elle à la stricte définition de la moitié du logement ? L’incrémentalisme ne se résume pas à laisser un habitat incomplet, soutient Aravena pour qui “l’incrémentalisme doit être dessiné”. La suite du mémoire se concentrera par conséquent sur l’analyse des dispositifs architecturaux permettant de concevoir un habitat incrémental. A travers l’étude des rôles respectifs du professionnel et de l’usager et des stratégies adoptées dans chacun des projets, les caractéristiques communes pourront émerger et participer ainsi à la définition d’une telle modalité d’habitat.

Ces différents schémas et façons d’incrémenter ont des répercussions sur l’environnement urbain. En effet, comme explicité par Alejandro Aravena, le recours à l’habitat incrémental aujourd’hui résulte avant tout de problématiques urbaines urgentes. Il ne s’agit pas seulement de permettre l’extension du logement mais de prendre conscience de ses répercussions sur l’environnement proche. La dimension urbaine sera donc placée au cœur de la définition. L’explosion démographique à la périphérie des grandes métropoles crée des conditions urbaines extrêmes jusqu’alors inédites. La prolifération de l’habitat informel pose des problèmes d’assainissement, de densité, de sécurité et de ségrégation spatiale car une telle quantité de logements non-planifiés et illégaux ne peut pas être intégrée au bon fonctionnement de la ville. 11


Formaliser l’informel, tel est le défi que propose de relever l’habitat incrémental. La dimension économique est essentielle dans la mise en place d’une telle forme d’habitat. Le logement se définit par la somme de services fournis à l’habitant, il n’est plus un objet fini mais devient une plateforme ouverte, en constante mutation. L’architecture est ainsi perçue comme un processus capable d’accroître la valeur d’un bien avec le temps et se transforme ainsi en un véritable outil économique. La maison n’est pas considérée uniquement comme un nouvel objet spatial mais devient une somme de valeurs et d’objectifs. L’architecture peut-elle participer à résoudre le problème du mal logement ? Peut-elle contribuer à l’intégration des classes les plus pauvres de la population urbaine à un système économique et donner ainsi accès à une meilleure qualité de vie ? à l’heure actuelle, la recherche sur l’habitat incrémental est en plein essor. La communauté universitaire internationale, dans sa recherche de solutions face à l’accélération du processus d’urbanisme informel dans les pays émergents5, multiplie les conférences et les articles sur le sujet. Ce mémoire s’inscrit donc dans une démarche globale, permettant d’appréhender les enjeux qu’implique le recours à une stratégie incrémentale dans le logement.

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Remarques

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- Le manque de documentation en français sur le sujet implique que la grande majorité des documents sur lesquels s’appuie cette recherche ne sont disponibles uniquement qu’en anglais ou en espagnol. - Les citations seront retranscrites dans la langue originale. Du fait de l’absence de traduction française officielle, des propositions seront faites par l’auteur en notes de bas de page, accompagnées de la mention T.d.A. “Traduction de l’Auteur” qui avertira le lecteur. - L’absence de référence dans les légendes de certaines illustrations ou schémas indiquera qu’ils ont été produits par l’auteur. - Afin de mettre en avant certains aspects et de conserver une unité graphique tout au long du mémoire, certains documents originaux seront légèrement altérés. - Le code graphique employé sera simplifié à l’usage de deux couleurs afin de faciliter la lecture et la compréhension, en permettant de dissocier l’action de l’architecte (noir) et celle de l’habitant (rouge).

5. Par pays émergents, nous incluerons les Pays en Développement, les Pays Moins Avancés, ainsi que les Nouveaux Pays Industrialisés.


« A house is not an act or a series of acts; it is not an object but an experience; it is not a commodity to be bought and sold but an activity essential to life.(...) In this proposal we are putting forward an entirely new concept in the field of housing, which covers financing, design, social structure, principles of ownership, and rate of growth. In place of houses that are completed before anyone knows who will live in them and are then sold as complete products, we propose a process in which the owner is intimately involved in the evolutionary design and construction of his own house. » 1 C. Alexander, 1973

6.“Une maison n’est pas une action ou une série d’actions; ce n’est pas un objet mais une expérience; ce n’est pas un bien pouvant être acheté et vendu mais une activité essentielle à la vie. (...) Dans cette proposition, nous mettons en avant un concept totalement nouveau dans le champ du logement, recouvrant le financement, la conception, la structure sociale, les principes de propriété, et le taux de croissance. Au lieu de maisons qui soient complétées avant que quiconque ne vivent dedans et qui sont vendues en tant que produits finis, nous proposons un processus dans lequel le propriétaire est intimement lié à la conception et à la construction évolutives de sa propre maison. En remplacement des taux bancaires élevés et d’hypothèques ruineuses, nous proposons un système qui, avec un apport initial très faible, recycle le capital qu’il génère pour commencer de plus en plus de maisons, sans prêts bancaires”. T.d.A.

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PARTIE 1 l’incrémentalisme appliqué à l’habitat

schéma d’évolution d’une maison incrémentale dans le cadre du projet urbain Aranya (Inde) 1974 © Balkashrina Doshi


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1. Qu’est-ce que l’incrémentalisme?

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Présente essentiellement dans le domaine de l’informatique, la notion d’incrémentalisme est encore peu courante en France. Egalement défini dans le domaine des sciences politiques en tant que système progressif de prise de décisions, l’incrémentalisme est la mise en place d’une succession d’étapes de faible ampleur. En évaluant à la fois les objectifs et les moyens, cette approche constitue une stratégie intéressante dans l’application à un système complexe. L’application de l’incrémentalisme dans l’habitat induit alors la décomposition préalable d’un système en différents composants, afin de le simplifier et de permettre la répartition des actions entre les acteurs. La difficulté d’unité sémantique rend difficile son appropriation dans des domaines professionnels comme l’architecture. Comment définir l’incrémentalisme ? Quelles sont ses applications dans la conception du logement ? Pourquoi utilise-t-on le terme d’habitat incrémental? Ce premier chapitre aura pour objectif de fournir une définition générale de l’incrémentalisme et introduira son application au logement.


incrémentalisme 7 : “L'incrémentalisme est une méthode de travail consistant en l'ajout à un projet de plusieurs petits changements (souvent non planifiés) à la place de quelques grands sauts planifiés. Wikipédia illustre par exemple ce concept, en construisant une encyclopédie petit à petit, par des ajouts continuels.” incrementalism 9 : “(noun) Belief in or advocacy of change by degrees; gradualism.” incrémental 8: “adj. Qui travaille par incréments, ou par comptage d’impulsions.” incremental 9 : “(adjective) 1. Relating to or denoting an increase or addition, especially one of a series on a fixed scale:“incremental changes to the current system the incremental cost of sending additional newsletters” 1.1. Mathematics. Denoting a small positive or negative change in a variable quantity or function.” incrément 8 : “n.m. En informatique, quantité constante ajoutée à la valeur d’une variable à chaque exécution d’une instruction, généralement répétitive, d’un programme.” incrementar 10 : “vb. aumentar (dar mayor extension)”

7. Encyclopédie collective Wikipédia : https://fr.wikipedia.org 8. Dictionnaire Larousse de la langue française : http://www.larousse.fr 9. Oxford Dictionary : http://www.oxforddictionaries.com 10. Real Académia Espanola : http://www.rae.es

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1. a. La «Science de la Débrouillardise», la stabilité d’un processus progressif en réponse à un système décisionnel rationnel absolu Professeur d’Economie à l’Université de Yale, Charles Lindblom introduit le terme d’incrémentalisme en 1959, à travers la parution de son article « The Science of Muddling Through » (La Science de la Débrouillardise11). Cette méthode de prise de décision propose une alternative à un système décisionnel centralisé et rationnel. En analysant les intentions et les résultats de façon simultanée, cette méthode se résume à un avancement par petits paliers successifs. Lindblom le nomme successive limited comparisions et illustre ainsi un avancement à tâtons, conduisant à une stabilité certaine et à une gestion sûre de données nombreuses et complexes.

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Il distingue ainsi deux méthodes de prise de décisions à travers la métaphore de l’arbre. D’une part la méthode dite « des racines » (rationnelle) cherche à construire le processus dans son intégralité, en partant des fondements basiques. L’élaboration du système s’appuie sur une base théorique, résultant des expériences passées (fig.1). D’autre part, la méthode dite « des branches » (incrémentale), se place dans une logique d’accumulation des données à partir d’un système préexistant (fig.2). Diminuant le temps accordé au retour à la racine du problème, cette démarche permet de se focaliser sur le temps présent afin d’apporter des améliorations de façon plus précise et plus rapide. Les décisions sont effectuées par une ‘succession de comparaisons limitées’ partant des faits existants tout en évitant l’incertitude d’un rapport trop théorique à l’objet traité. Cette analyse empirique permet ainsi de définir des objectifs à atteindre, adéquats aux problèmes rencontrés sur le terrain.

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Appliqué aussi bien dans un contexte économique que politique, ce système proactif devient d’autant plus pertinent car il offre une sécurité élevée. L’incrémentalisme est alors perçu comme une solution sage, satisfaisante car raisonnable. L’incrémentalisme n’écarte aucune piste de résolution du problème donné. Ce procédé lent et graduel donne l’opportunité au décideur de tester plusieurs solutions, évitant ainsi de schématiser un ensemble de paramètres complexes. La sécurité apportée par la filiation de réponses de faible ampleur remplace la prise de risque inconsidérée d’une décision unique. Une méthode rationnelle exclut nécessairement un ensemble de données de façon plus ou moins arbitraire tandis que le modèle


“ L'incrémentalisme suggère finalement qu'une succession de petites décisions, chacune limitée dans sa portée, permet de réduire significativement les incertitudes liées à chaque décision publique. Les décisions marginales sont en effet moins susceptibles de produire des échecs lourds d'une action publique que les décisions majeures, introduisant des changements substantiels d'un seul mouvement.” 12 A. Jönsson, 2010 de l’incrémentalisme engendre un objet résultant d’ajustements mutuels entre un maximum de paramètres. La succession de ces étapes imperceptibles est certes, moins spectaculaire, mais supporte cependant des changements considérables tout en réduisant les risques d’échecs.. Le temps devient une composante majeure dans cet assemblage progressif qui s’établit à partir d’une chronologie d’expériences. Ancré dans le présent, l’incrémentalisme n’omet cependant pas l’avenir car le projet est compris dans son ensemble dès le départ, constituant une ligne de conduite à tenir durant l’ensemble du processus.

fig.1 méthode des racines

fig.2 méthode des branches

Face à un système aussi complexe qu’est la ville, il est évident que les décideurs n’ont pas les toutes les compétences nécessaires pour traiter l’ensemble des données présentes dans le système. La croissance sans précédent des ensembles urbains contemporains remet l’incrémentalisme au coeur des réflexions. La transposition de ces concepts aux domaines de l’architecture et de l’urbanisme devient alors pertinente, dans un contexte où les gouvernements et professionnels se trouvent dépassés par une conjoncture trop complexe. Pour employer un vocabulaire plus contemporain, adopter une stratégie incrémentale en architecture revient à se positionner contre des méthodes top-down en privilégiant une approche bottomup dans laquelle les changements s’effectuent selon la réalité du terrain et non par le biais de grandes décisions prises en amont.

11. Selon la traduction de l’architecte belge Lucien Kroll 12. Le travail s’axant sur la notion d’incrémentalisme appliquée à l’architecture, une définition plus précise d’un incrémentalisme concernant les sciences politiques peut être consulté dans l’article d’A. Jönsson (voire bibliographie en fin d’ouvrage)

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1. b. Souplesse du rôle de l’architecte sur la question du logement : The Use of Levels, ou la théorie de l’échelonnement des actions.

L’architecte néerlandais John Habraken, à la tête du groupe de recherche architecturale S.A.R. (Stichting Architecten Research), met en place une théorie visant à réformer les méthodes traditionnelles de construction du logement : la stratégie de l’OpenBuilding. Proposée dès les années 1960, cette approche consiste en l’acceptation de l’intervention des usagers dans la définition et dans le dessin même de leur habitat. Ce changement de paradigme intervient avec la prise de conscience que l’environnement bâti est en perpétuelle mutation, intégrant des modifications minimes de façon continue ; sa recherche se concentre alors sur la création d’un système constructif plus flexible, permettant d’accueillir ces transformations sur le long terme. Son objectif est de développer un outil de projet pour la construction d’une réponse adéquate à chaque situation. Il redéfinit ainsi le rôle de l’architecte.

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«The distinction of levels, as they operate in the real world, allows us to organize our work in a more sophisticated way. We no longer need to seek a similar solution for all purposes, but we can find the best approach in each case. (...) The concept of levels therefore provides a planning tool that we can use to deal with the growing complexity of our task.» 13 J. Habraken, 1988

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Dans son article The Use of Levels, écrit en 1988, l’architecte pose la question de la responsabilité de chaque acteur impliqué dans le projet de logement, et propose une séparation des échelles d’action de façon à ce que toutes puissent être modifiées simultanément sans pour autant altérer les autres. A partir du constat de l’urgence de loger dans de bonnes conditions un nombre de personnes toujours plus grand, il défend la nécessité d’un partenariat entre architecture formelle et informelle, entre champs professionnels et citoyens. Dans le même esprit que la méthode de l’incrémentalisme définie par Charles Lindblom, sa théorie des “niveaux” opte pour une division des tâches face à un système complexe. L’incrémentalisme requérant un temps long de stratification, tout ne peut être établit dès le stade initial. La séparation des rôles s’effectue alors entre deux acteurs principaux : le corps professionnel d’une part (temps court), et l’usager d’autre part (temps long). La dimension temporelle occupa un rôle important dans le développement de ce modèle. En séparant l’étape conceptuelle de l’étape vécue d’un bâtiment,


Habraken questionne ainsi le seuil d’action de l’architecte.

fig.1 méthode traditionnelle

fig.2 auto-construction

fig.3 support / infill (structure / remplissage) schémas montrant la séparation du logement en “niveaux” répartis différemment entre professionnels et usagers © J. Habraken

Le logement est alors décomposé en plusieurs niveaux: le tracé urbain (urban street, ce sont les réseaux de voirie), le tissu urbain (tissue, ce sont les îlots), la construction (building), le remplissage (infill) et les meubles (furniture). Il étudie différents modèles d’habitat selon l’implication des acteurs professionnels et des usagers. Les trois diagrammes présentés ci-contre reflètent différentes stratégies de séparation des tâches entre professionnels et usagers. Le premier illustre un système classique dans lequel le bâtiment est livré « prêt à l’usage » (fig.1); le second au contraire, représente un système résultant entièrement de l’auto-construction, le professionnel n’agit pas sur la maison mais se cantonne à dessiner l’environnement urbain (fig.2). Enfin, John Habraken présente une alternative: le schéma support/infill (structure/remplissage) dans lequel le corps professionnel fournit la structure du bâtiment et laisse à l’habitant la responsabilité de la compléter (fig.3). Le système constructif gagne ainsi en efficacité: le corps professionnel (architectes, ingénieurs, urbanistes…) se concentre sur la production de l’infrastructure en ayant recours à l’industrialisation à grande échelle tandis que le remplissage est laissé à la charge de l’usager, suivant une logique d’action à échelle réduite et individualisée. Cette méthode permet l’introduction de l’auto-construction dans le logement en proposant un degré élevé de flexibilité dans la structure initiale. Sans jamais parler d’incrémentalisme, il en énonce cependant les principes, considérant l’habitat comme un processus non figé et flexible, où architectes et habitants se complètent afin de créer une réponse sophistiquée et satisfaisante face à des situations urbaines toujours plus complexes du fait de la croissance sans précédents de nos villes contemporaines. La perception du projet comme une entité capable de se modifier et de s’améliorer dans le temps constitue un premier pas dans la considération de l’habitat comme un processus capable d’évoluer dans le temps.

13. “La distinction des niveaux, tels qu’ils se font dans la réalité, nous permet d’organiser notre travail d’une manière plus sophistiquée. Nous n’avons plus besoin de chercher une solution similaire pour toutes les situations, mais nous pouvons trouver la meilleure approche dans chaque cas. (...) Le concept des niveaux représente alors un outil de planification que nous pouvons utiliser pour appréhender la complexité croissante de notre tâche” T.d.A.

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1. c. Habitat incrémental, un choix sémantique. L’une des difficultés majeures rencontrées lors de cette recherche fut de rassembler les données sur l’habitat incrémental. Le terme “incrémental” est essentiellement utilisé en informatique pour désigner un ajout progressif de valeurs. Un habitat construit progressivement, par extensions successives dans le temps peut donc être qualifié “d’incrémental”. Cependant, cette notion est également présente sous de nombreuses appellations, selon les périodes étudiées et les langues utilisées, rendant particulièrement difficile le recueil des données sur le sujet. Une part non négligeable du travail de recherche consista donc à établir la liste la plus exhaustive possible des termes pouvant s’apparenter à l’incrémentalisme dans le logement, afin de pouvoir rassembler le plus grand nombre d’expériences et de projets architecturaux. Comme évoqué précédemment, l’incrémentalisme n’est pas une notion courante dans le vocabulaire français. Le choix du terme “habitat incrémental” provient de la volonté de reprendre l’unique mot présent en français pour décrire cette approche architecturale: l’incrémentalisme, découvert par l’architecte belge Lucien Kroll dès 1965 14. Inspiré des travaux de l’économiste Charles Lindblom évoqué précédemment, l’architecte belge définit ainsi cette approche architecturale :

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« L'incrémentalisme ne veut décider de chaque étape qu'au moment où il l'aborde et pendant son cours : à chaque étape, il regarde en arrière. Il refuse de décider trop tôt les étapes suivantes ni surtout la totalité de l'opération sans la soumettre aux évènements de chaque phase. Ainsi la fin n'est pas définie dès le début. » L. Kroll, 2009

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Les recherches les plus récentes menées sur ce sujet s’harmonisent en employant le terme Incremental Housing. Un regain d’intérêt croissant est visible depuis les dix dernières années, et le nombre de documents, d’études ou encore de conférences se multiplient. L’emploi de la formule Incremental Housing fait alors l’unanimité dans les cercles universitaires anglophones. Le département d’architecture SiGUS du Massachussets Institute of Technology (MIT) a d’ailleurs entrepris de centraliser les données 14. Dans une interview donnée à la revue suisse d’architecture TRACES, Lucien Kroll confie à Laurence Castany que le terme d’incrémentalisme serait venu à travers des recherches personnelles sur l’Advocacy Planning à New-York en 1965. Le terme anglais ‘incremental’ avait attiré son attention. https://www.espazium.ch/lucien-kroll-architecteincremental


à travers la mise en place du blog intitulé Incremental Housing. Crée en 2010, il rassemble, sous forme d’articles, les expériences pouvant s’apparenter à une stratégie incrémentale et rend visible la création d’un réseau d’universités partenaires à travers le monde (dont la France ne fait pas partie) démontrant la nécessité de la mise en commun d’une recherche universitaire. Cependant, ce n’est que très récemment, avec l’annonce de la remise du Prix Pritzker15 2016 au jeune architecte chilien Alejandro Aravena, que nous assistons à une forte médiatisation des projets d’habitat incrémental. En effet, il est l’un des fondateurs de l’agence Elemental, valorisée et récompensée pour ses propositions concernant le logement social au Chili en utilisant une stratégie architecturale qu’il nomme: Vivienda Incremental. L’incrémentalisme est une notion commune dans les vocabulaires anglais et espagnol, ce qui a permis une grande couverture médiatique du sujet durant les derniers mois. L’absence ou la rareté de ce terme dans le vocabulaire français a certainement contribué à ralentir sa diffusion dans le milieu professionnel et universitaire16. A la formule “logement incrémental” présentée entre guillemets par la revue AMC, il sera préféré le terme “d’habitat incrémental” qui prend plus en compte l’environnement urbain dans lequel s’insèrent les logements :

« El termino Vivienda se refiere no solo a un lugar donde habitar, sino que incluye una gama de facilidades que junto con una casa son necesarios para un entorno de vida sano. Estas incluyen el abastecimiento de agua y de energía, el saneamiento, el drenaje, y el acceso a las redes de transporte. (…) La Vivienda, en relación al tema del Dia Mundial del HABITAT, incluye esta conexión entre el hogar y el entorno construido de los asentamientos humanos.” 17 E. Haramoto, 1995 L’ambition de ce mémoire est de participer à la diffusion d’une approche architecturale encore peu connue en France. En préférant l’emploi de la formule “habitat incrémental” à celle, plus générale d’habitat progressif, la volonté est d’interpeller le lecteur en employant un terme qui ne s’appliquait pas jusqu’alors au champ de l’architecture. 15. Souvent considéré comme l’équivalent du Prix Nobel en architecture. 16. A ce jour, la grande majorité des articles de la presse architecturale française (aussi caustiques qu’ils soient) concernant la remise du Prix Pritzker 2016, ne fait pas allusion à la notion d’incrémentalisme. 17. “Le terme ‘habitat’ se réfère non seulement à un lieu où habiter mais inclut également une série de services qui, ensemble avec la maison, indispensable à une qualité de vie saine. Ces services incluent l’alimentation en eau et en énergie, l’assainissement, le drainage et l’accès aux réseaux de transport. (...) L’habitat, selon le thème du Jour Mondial de l’Habitat, comprend cette relation entre le foyer et l’environnement construit de l’environnement urbain.” T.d.A.

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2. Changement de paradigme architectural, un nouvel équilibre entre professionnels et usagers.

l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

L’architecture incrémentale implique une répartition des rôles entre l’habitant et l’architecte. Cette volonté de donner plus de pouvoir à l’usager naît des préoccupations sociales qui apparaissent dans les années 1970 avec l’avènement d’un mouvement participatif en architecture. Différentes approches voient alors le jour, proposant des degrés différents d’implication de l’habitant dans le processus de conception et de réalisation de son propre logement. L’auto-construction est peu à peu acceptée dans l’architecture dite “formelle”, donnant lieu à de nouvelles expérimentations dans l’habitat. Cette recherche pour une architecture plus flexible s’applique d’ailleurs à plusieurs sortes de logements, de la maison individuelle au logement collectif. Mais l’incrémentalisme représente-t-il pour autant un type d’habitat à part entière ?

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Un dialogue inédit s’établit entre les acteurs du projet : l’architecte laisse de plus en plus de place aux solutions proposées par l’habitant lui-même, redéfinissant ainsi un équilibre entre professionnels et usagers.


2. a. L’habitant, présent dans les phases de conception et de réalisation de son propre logement. Nombreux sont les architectes de la fin des années 1960 et du début des années 1970 qui critiquent les solutions mises en place par le Mouvement Moderne concernant le logement. La standardisation des unités d’habitat est poussée à l’extrême, engendrant des quartiers impersonnels et inappropriables que sont les Grands Ensembles. Les ségrégations spatiale et sociale ainsi que le manque “d’humanité” de ce type de constructions entraînèrent une réaction forte de la part de certains professionnels. Comme souligné par le professeur B. Bergdoll, la tendance est à l’individualisation, la personnalisation de l’habitat pour sortir de l’abstraction de l’individu générée par les projets modernistes. Conscients des limites du rôle du professionnel dans la définition du logement, les architectes introduisent alors peu à peu l’idée d’une collaboration avec l’usager. La recherche d’une architecture riche et foisonnante permettrait de retrouver les qualités d’un tissu urbain aseptisé par les standards. Tandis que le Mouvement Moderne revendiquait une forte paternité de l’oeuvre (d’art) finale, certains architectes des années 1960 et 1970 prônent une co-conception en partenariat direct avec les usagers. Le bâtiment n’est alors plus considéré comme un objet sacré mais plutôt comme une oeuvre collaborative, reflet des nécessités d’un habitant “réel” (en opposition à l’habitant “idéal” ou standard défini par les Modernes). L’acceptation d’un tel partenariat se traduit sous plusieurs formes suivant le degré d’implication du futur habitant dans la définition de son logement. Le point commun étant la volonté évidente de donner plus de parole au futur usager. Trois grandes familles se distinguent: - l’auto-construction : l’architecte s’efface et n’intervient que peu dans les phases de conception et de réalisation du logement; - la participation : l’habitant est inclu dans le processus de conception initiale par le biais d’ateliers participatifs; - la flexibilité : l’architecte livre un logement capable d’être modifié dans le temps selon les besoins de l’habitant. Ces trois modes opératoires apparaissent simultanément en réaction aux réalisations du Mouvement Moderne; nous tenterons de les expliquer succintement afin de comprendre comment s’introduit la réflexion incrémentale dans l’Histoire de l’Architecture.

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L’auto-construction

l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

Les travaux de l’architecte britannique John Turner marquent un tournant décisif dans l’Histoire de l’Architecture dès les années 1960. Après avoir passé huit ans à étudier les bidonvilles du Pérou (barriadas), il formule les premières théories mettant en avant l’auto-construction dans le logement. Son travail d’analyse et ses théories influencent un grand nombre d’opérations de reconstruction et d’amélioration des bidonvilles à travers le monde. Ces années de formation le conduisent à penser que l’habitat ne peut être mieux conçu que par les habitants eux-mêmes. Témoin de l’ingéniosité présente dans les constructions informelles, il propose un renversement de paradigme radical: l’architecte n’a pas de rôle à jouer dans la définition du logement de masse. L’apprentissage s’effectuerait donc à l’envers: les architectes et professionnels devraient tirer des leçons constructives et fonctionnelles des bidonvilles et non l’inverse. Les solutions apportées par une planification centralisée ne sont, selon lui, jamais satisfaisantes voire lourdes de conséquences sur les populations concernées. L’analyse et la compréhension des mécanismes de croissance des villes informelles devraient permettre aux gouvernements de proposer des solutions de logements plus adéquates. Revendiquant la liberté de construire, ou “Freedom to Build” (pour reprendre la formule du titre d’un de ses ouvrages), John Turner présente une vision extrêmement radicale et inédite. Il met en avant les connaissances et le savoir-faire des habitants en matière de conception et de réalisation de leurs propres logements en dénigrant le manque de qualité des opérations issues de planifications centralisées.

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Sa vision radicale selon laquelle l’architecte n’a aucun rôle à jouer dans la conception du logement va largement influencer les architectes du monde entier. Ce nouveau regard sur les capacités constructives des usagers se cristallisera lors de l’exposition Architecture Without Architects18 supervisée par Bernard Rudofsky au MoMA à New-York en 1964. Le regard des professionnels se tourne alors vers une architecture vernaculaire et populaire, loin des modèles d’auteurs. L’exposition, alors controversée, marque un tournant dans la pratique de l’architecture, et ce, encore aujourd’hui. Ses nombreux écrits impliqueront un changement de paradigme 18. Exposition “Architecture without Architects : a Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture” présentée au Museum of Modern Art (MoMA) en 1964 à New-York. Commissaire d’exposition : Bernard Rudofsky


chez les architectes. L’auto-construction n’est alors plus considérée comme détériorant une oeuvre d’art architecturale mais est au contraire comprise comme une réelle dynamique projectuelle. Sur les pas de John Turner, une réflexion se met en place quant au rôle de l’architecte dans le processus d’auto-construction. Des architectes comme Walter Segal ou des collectifs tels que la Community Self Build Agency accompagnent et aident les habitants à construire leur logement. Moins radicaux que leur prédecesseur, ils interviennent en qualité de consultant afin de contrôler le fonctionnement de l’ensemble du projet. Cependant, l’introduction de l’auto-construction dans le logement fut souvent décriée et définie comme naïve. Ainsi, les opérations les plus répandues se résument à une participation à la phase de conception uniquement, l’habitant n’ayant pas accès à la réalisation de son propre logement.

« Critiques of the modernist dream of remaking the world arguably began with demands for more attention to individual needs rather than simply planning for abstract groups, and were soon followed by pressing calls to respond to the ecological and demographic crisis that gained force in the late 1960s ans early 1970s. An aestheticizing critique also emerged as a rallying point beginning in 1964, when Bernard Rudofsky mounted the exhibition Architecture Without Architects at The Museum of Modern Art. (…) This call synthesized a century-old fascination concerning a protomodern vernacular architecture with the critique of the hubris of heroic authorship that so often accompanied the modern movement's vision of the architect. Further, the political and social ferment of the 1960s fueled a growing conviction that the modernization project itself had failed to cope with the ever-growing wealth disparity worldwide or to provide tools for addressing social inequality and injustice. » 19 B. Bergdoll, 2010

19. “Les critiques du rêve moderniste de refaire le monde commencèrent indiscutablement avec la nécessité d’accorder plus d’attention aux besoins individuels plutôt qu’à la simple planification pour des groupes abstraits, et furent très tôt rejointes par des appels pressants de répondre aux crises écologique et démographique qui gagnaient en puissance à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Une critique esthétique émergea également dès 1964, lorsque Bernard Rudofsky présenta l’exposition intitulée Architecture Without Architects au MoMA. (...) Cet appel résume une fascination séculaire pour une architecture vernaculaire proto-moderne alliée à la critique de la démesure d’une paternité héroïque qui accompagnait souvent la vision de l’architecte du Mouvement Moderne. Plus tard, l’effervescence sociale et politique des années 1960 amena peu à peu la conviction que le projet moderniste lui-même avait échoué face à la disparité croissante des richesses mondiales et en ne fournissant pas les outils pour réduire les inégalités et l’injustice sociales.” T.d.A.

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L’HABITAT INCRÉMENTAL - MFE ENSA PB

La participation en architecture

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La participation en architecture naît d’une volonté de la part de l’architecte d’intégrer l’usager dans le processus de conception de son propre habitat. Par le biais d’ateliers pédagogiques ou de discussions avec les habitants, l’architecte accompagne les futurs usagers dans la conception de leurs logements. L’un des architectes européens les plus représentatifs de cette approche participative est Lucien Kroll. Dès les années 1970, il prône une architecture vivante, tenant compte des particularismes individuels. Il se positionne vivement contre la stérilité et la monotonie du Mouvement Moderne en allant jusqu’à proposer une architecture foisonnante, à l’esthétique très controversée à l’époque; et qui l’est d’ailleurs encore aujourd’hui. L’un des symboles de cette architecture issue de la participation est représenté par la résidence étudiante de la Maison Médicale de Louvain (fig.1). Affectueusement surnommé la “Mémé”, ce bâtiment fut conçu en collaboration avec les étudiants par le biais d’ateliers participatifs. Pour faciliter le dialogue entre les acteurs, Lucien Kroll applique la théorie des niveaux avancée par John Habraken et sépare l’édifice en ‘composants’. Il permet ainsi à chaque usager de s’approprier la phase de conception de son propre logement en combinant un certain nombre d’éléments (portes, cloisons, fenêtres...). Dans le processus de participation, l’architecte se place en tant que coordinateur et supervise le projet global. Il oriente et organise les débats entre les habitants de façon plus ou moins prononcée. L’architecture dite ‘participative’ est l’une des méthodes de conception architecturale qui permet une collaboration entre architecte et usagers. Elle ne nécessite pas de la part de l’habitant qu’il réalise son habitat mais qu’il intervienne dans la phase de conception initiale.

fig.1 La “Mémé” résidence étudiante de la Maison Médicale de Louvain, Belgique 1980 © Lucien Kroll


La flexibilité dans le logement La notion de flexibilité dans le logement est la traduction large de la volonté de la part des architectes de donner plus de pouvoir décisionnel aux habitants. Afin de définir au mieux cette approche, il convient de s’appuyer sur le travail des chercheurs britanniques Tatjana Schneider et Jeremy Till, auteurs de l’ouvrage Flexible Housing en 2007.20 L’habitat flexible (ou flexible housing) rassemble toutes les opérations qui impliquent l’habitant dans les décisions de conception et/ou de réalisation de son logement. Cela peut se traduire par une participation dans le processus de la conception initial ou à travers la possibilité d’un changement de ces paramètres initiaux dans le temps. La notion de flexibilité dans l’habitat peut être définie selon deux variables principales: sa capacité à accueillir différents usages et sa capacité à être transformé physiquement dans le temps. Cependant, l’introduction de la flexibilité dans l’habitat requiert de la part de l’usager comme du professionnel (et par conséquent en majeure partie des décideurs politiques) de percevoir le logement comme un investissement à long terme plutôt que d’exiger des résultats immédiats. En effet, les retombées économiques d’une stratégie d’habitat progressif doivent être calculées sur l’ensemble de la durée de vie du logement et selon de nouveaux critères tels que la diminution des déménagements (l’habitat pouvant s’adapter aux besoins de l’occupant au fur et à mesure de leur apparition, il n’est plus nécessaire pour les familles de se déplacer en fonction de l’évolution de leur composition). La flexibilité serait un avantage non négligeable notamment dans le cadre des logements sociaux : les prises de décisions se faisant entre la famille et l’Etat, il en résulterait un allègement considérable des démarches administratives lors des changements dans la composition de la famille. Les notions de flexibilité dans l’habitat, permettant d’augmenter le pouvoir décisionnel des occupants et de répartir les tâches entre professionnels et usagers, sont étudiées à nouveau, ce regain d’intérêt relevant d’une nécessité imposée par un contexte urbain et économique en crise :

« El problema de la vivienda en el mundo se podrá resolver en la medida podamos sumar las políticas publicas coordinadas top-down y la enorme energia individual de la auto-construcción bottom-up. »21 A. Aravena, 2012 20. SCHNEIDER Tatjana et TILL Jeremy. Flexible Housing: opportunities and limits. Architectural Research Quarterly, 9, pp.157-166. 2005. 21. “Le problème du logement dans le monde pourra être résolu lorsque nous pourrons additionner les politiques publiques coordonnées ‘top-down’ et l’énorme énergie individuelle de l’auto-construction ‘bottom-up’”. T.d.A.

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2. b. Open-Building, la flexibilité dans l’habitat collectif

l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

L’incrémentalisme, comme énoncé précédemment, peut s’appliquer à différents types d’habitats. L’application de cette approche architecturale à la maison individuelle ou aux maisons en bande faisant l’objet de recherches plus approfondies dans la suite de ce mémoire, il semblait tout de même nécessaire de présenter succintement les opérations similaires dans le cadre du logement collectif.

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Initiée et formulée par le groupe de recherche en architecture S.A.R. (Stichting Architecten Research) mené par John Habraken entre 1965 et 1975, la notion d’Open-Building rassemble de nombreux projets architecturaux de l’époque. Ici, le concept d’incrémentalisme n’est pas formulé explicitement mais c’est la flexibilité dans l’habitat qui est recherchée. En conservant les principes de séparation des rôles entre l’architecte et l’habitant quant à la conception et/ou à la réalisation de son propre logement, l’architecte néerlandais recherche une application à sa théorie des niveaux (The Use of Levels, voir p.22). Mais la notion d’OpenBuilding est principalement fondée sur l’idée selon laquelle l’environnement urbain est en constante mutation et insiste sur la responsabilité des professionnels dans l’introduction d’une flexibilité nouvelle dans l’habitat22. Les membres du groupe Open-Building (société à but non-lucratif) sont à la recherche de nouvelles méthodes de conception du logement capables d’apporter des réponses dans un contexte urbain dynamique et constamment transformé. Formée dans les années 1980, l’Open-Building Society néerlandaise se ramifie à travers la création de nouveaux groupes de recherche à travers le monde (Royaume-Uni, Etats-Unis, Japon) jusqu’à la constitution en 1996, du pôle permanent CIB W104 présidé par le professeur américain Stephen Kendall. Afin de documenter le développement d’une stratégie d’Open-Building, les architectes membres rassemblent les différentes propositions et projets architecturaux construits à travers le monde. Cependant, l’Open-Building Strategy ne correspond pas forcément à une stratégie incrémentale. En effet, la flexibilité recherchée dans les logements peut être présente sous plusieurs 22. Source : http://www/habraken.org


formes et à plusieurs degrés dans la construction. Ces différentes approches rassemblées sous l’appellation d’Open-Building seront divisées en trois groupes :

1 plan flexible 2 surfaces flexibles 3 enveloppes flexibles répartition des différentes approches d’OpenBuilding en trois catégories qui définissent la répartition des rôles entre l’architecte (noir) et l’habitant (rouge).

fig.1 illustration présentant les possibilités de subdivision des espaces par les habitants par le biais de panneaux de bois © Fællestegnestuen projet Flexibo, 1976

structure

enveloppe surface

cloisons

Le premier groupe rassemble les projets dont la flexibilité se retrouve uniquement en plan. L’enveloppe finale du bâtiment est définie dès la livraison mais l’architecte introduit une certaine modularité à l’intérieur de l’édifice, afin de permettre aux familles de modifier le cloisonnement de leur logement à plusieurs reprises durant la durée d’occupation. La structure, l’enveloppe et les surfaces sont définies par l’architecte dès la livraison, seul le cloisonnement intérieur est à la charge de l’habitant. Le choix de la subdivision et de la partition des pièces du logement peut se limiter au logement lui-même (fig.1) mais peut également s’étendre avec l’annexion de nouvelles unités. Dans ce cas, la surface d’un logement peut augmenter mais induit automatiquement la réduction d’un autre, étant donné que le total de surfaces utiles est prédéfini à l’échelle de l’édifice. L’échange de surfaces au sein d’un même immeuble est illustré par le projet de logements de l’agence suisse ADP à Zurich, dont les plans sont présentés sur la page suivante (fig.2). La conception du bâtiment, avec la présence d’une bande technique comportant les pièces humides du logement (cuisines ou salles de bain) et la non-définition de l’usage des pièces permet aux habitants de composer leur logement suivant leurs besoins (et ceux des voisins par conséquent). Le second groupe correspond aux projets qui permettent à l’habitant d’augmenter la surface de son logement sans intervenir sur la structure ni sur l’enveloppe générale du bâtiment. C’est le cas par exemple du projet de logements extensibles de l’architecte autrichien Anton Schweighofer23 à Berlin présentés page suivante (fig.3). Ici, l’augmentation de la surface du logement est réalisable grâce à la présence anticipée d’une structure primaire de plancher, facilitant la construction d’un éventuel étage, transformant l’appartement en duplex en doublant la surface du logement qui passe d’approximativement 50m2 à 100m2 . L’extension se fait

23. Les projets cités ici ne seront pas présentés en détail au lecteur car ils constituent simplement des projets de références. De plus amples informations sur ces derniers sont néanmoins disponibles sur le site internet http://www.afewthoughts.co.uk sur la question de Flexible Housing et crée par les membres de l’Université de Scheffield en Angleterre.

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verticalement, par ajouts successifs de surface dans un volume prédéfini. La structure et l’enveloppe du bâtiment sont livrées dès le départ tandis que la surface et le cloisonnement sont laissés au soin de l’habitant. Enfin, le troisième groupe rassemble les rares projets qui ne mettent en place que la structure de départ. Livrés sous forme d’une simple ossature, l’enveloppe extérieure (murs et toiture), la surface et le cloisonnement sont entièrement à la charge de l’habitant. C’est le cas par exemple du projet de logements Wohnen Morgen de l’architecte allemand Ottokar Uhl illustré en bas de la page ci-contre (fig.3). L’architecte prévoit une série de portiques en béton armé espacés d’environ cinq mètres l’un de l’autre (de la taille d’une pièce), laissant à l’habitant le choix de la taille et de l’aspect architectural de sa maison. Cependant, cette technique reste minoritaire car la part d’auto-construction est très importante et la bonne réalisation des logements individuels peut influencer la qualité de l’ensemble. Cette technique n’est pas sans rappeler le principe de la maison Dom-Ino présentée par le Corbusier en 1914. Le squelette est identique pour tous les logements et en séparant structure et remplissage, l’architecte permet une grande diversité architecturale pour le vocabulaire des façades d’autant plus possible qu’elles ne sont pas porteuses.

squelette structurel en béton armé la Maison Dom-Ino © Le Corbusier

L’HABITAT INCRÉMENTAL - MFE ENSA PB

L’incrémentalisme appliqué à l’habitat implique la possibilité d’augmenter la surface du logement. Or, la flexibilité dans un programme résidentiel peut se résumer à la simple modification du cloisonnement intérieur. L’incrémentalisme induit la notion de flexibilité mais le contraire n’est pas vérifié.

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“Other terms of reference are used such as “Skeleton-Infill” (Japan, China and Taiwan), “Long-Life Housing” (Korea), “Raw Space Housing” (Finland), and “Free Plan Apartments” (Russia). New examples of housing designed by professionals to be incrementally upgraded in an informal user-controlled process come to light constantly, around the world”24 S. Kendall, 2015

24.”D’autres termes de référence sont utilisés tels que “Squelette-Remplissage” (Japon, Chine et Taïwan), “Habitat à Longue Durée de Vie” (Corée), “Logement de Surface Brute” (Finlande), et “Appartements de Plan-Libre” (Russie). De nouveaux exemples de logements conçus par des professionnels pour être améliorés de façon incrémentale dans un processus de contrôle des constructions informelles, apparaissent constamment dans le monde.” T.d.A.


fig.3 schéma des possibilités de répartition des appartements dans l’immeuble de logements Überbauun, Hellmutstrasse © ADP Architecten, 1991 fig.3 schémas de l’évolution d’un appartement en duplex © Anton Schweighofer fig.4 mise en évidence du système structurel régissant le projet Wohnen Morgen, 1973 © J. S. Bielicki

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2. c. L’incrémentalisme, un type d’habitat? L’incrémentalisme est défini comme un système pouvant s’accroître progressivement dans le temps, par petites étapes successives. C’est une notion qui peut s’appliquer dans différents domaines comme l’économie ou l’informatique où le terme est le plus couramment utilisé, en France notamment. Cependant, une fois appliqué au champ de l’architecture, l’incrémentalisme représente-til pour autant un type d’habitat particulier? Lorsque la notion d’extension dans le logement est évoquée, les premiers exemples qui nous viennent à l’esprit sont liés à l’habitat individuel en auto-construction. La définition de l’incrémentalisme dans l’habitat impliquant une collaboration entre professionnels et habitants, nous écarterons donc immédiatement les exemples de maisons conçues entièrement en auto-construction car le rôle de l’architecte y est quasi inexistant.

l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

L’application d’une stratégie incrémentale dans un schéma de maisons individuelles existe sous l’appellation de core house. La core house est une variante de l’auto-construction, mais assistée par un architecte qui définit le coeur fonctionnel de la maison. La définition littérale correspondrait à une “maison-coeur” dans le sens où la maison se résume à la construction des seules parties essentielles (le coeur).

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Dans le cadre de cette typologie, plusieurs variantes sont observées : 1. seule une unité sanitaire est construite, la construction du logement en tant que tel est entièrement à la charge de l’habitant ; 2. la structure primaire du logement est fournie dès la livraison, l’habitant doit la compléter avec des éléments de remplissage avant qu’elle ne puisse être habitable ; 3. la maison n’est pas terminée mais est constituée d’une unité d’habitation initiale directement aménageable (certains éléments de la structure finale peuvent être bâtis tels que le toit, les murs ou les accès aux futurs étages). Ces trois typologies de départ relèvent bien d’une stratégie incrémentale puisqu’elles pourront (ou devront par nécessité) être agrandies dans le temps. Une core house est définie25 par une 25. NAPIER Mark. “The Origins and Spread of Core Housing” in Core Housing, Enablement and Urban Poverty: The Consolidation Paths of Households Living in Two South African Settlement. PhD Thesis. University of Newcastle upon Tyne. 2002.


schéma de développement par stades d’une core house © NBRI, 1987, présenté dans la thèse de Mark Napier, 2002

incrémentalisme habitat collectif

habitat individuel maisons individuelles

maisons en bande

logement collectif

core houses

incremental housing

flexible housing

Sites-and-Services

PREVI / Elemental

Open-Building

fig. 1 schéma représentant l’application de la notion d’incrémentalisme à différents types d’habitats, précisant pour chaque cas l’appellation correspondante ainsi qu’un exemple de projet bâti

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structure d’habitation incomplète, livrée à un stade minimum de développement. A la différence des maisons conçues en autoconstruction, les unités de départ sont mises en place par des architectes ou par des professionnels de la construction. Cependant, la majeure partie du logement est conçue (et souvent réalisée) par les habitants eux-mêmes. Un grand nombre de core houses furent construites dans le cadre d’opérations de logements de masse26. Cependant, ces opérations ne prennent pas en compte l’environnement urbain dans lequel les logements évoluent et se résument donc à un système relativement restreint.

l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

Comme énoncé précédemment, l’application d’une stratégie incrémentaliste dans un immeuble de logements collectifs se résume bien souvent à la mise en place d’une certaine flexibililté en plan. Les extensions de l’habitat sont limitées à l’enveloppe externe pour des raisons de sécurité structurelle. La supervision des travaux par un architecte est nécessaire et l’amplitude des possibilités d’extensions est considérablement limitée. Les moyens mis en place pour un éventuel chantier sur du logement en hauteur sont également plus complexes et nécessitent une main d’oeuvre qualifiée et un outillage plus sophistiqué.

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La pertinence de l’application d’une stratégie incrémentale dans le cadre du logement semble plus appropriée pour un type d’habitat urbain de faible hauteur : les maisons en bande. En effet, les possibilités d’extensions sont plus nombreuses et variées par rapport aux immeubles de logement collectif, du fait de la faible hauteur du logement26 et l’efficacité en termes de fonctionnement urbain est plus importante que dans un schéma individualiste tel que les core houses. Par ailleurs, tous les articles concernant l’habitat incrémental à proprement parler portent exclusivement sur des types de logements de faible hauteur et correspondant aux densités requises pour un environnement urbain efficace. De plus, les projets architecturaux définis comme incrémentaux par les architectes euxmêmes sont des ensembles urbains composés de maisons en bandes ou groupements de maisons. Les projets répondant à une stratégie de développement incrémental possèdent certaines caractéristiques similaires : une unité d’habitation de base avec des possibilités d’extension et d’amélioration futures. Selon l’architecte et professeur chilien 25. voir Partie 1. 3. Loger le plus grand nombre à bas coût, génèse de l’habitat incrémental 26. voir Partie 3. 2. a. Faible Hauteur Haute Densité (FHHD)


E. Haramoto, ces conditions initiales pourraient former un type d’habitat à part entière, ses variantes étant considérées comme des propositions de projets.

“Dentro de la diversidad de viviendas (conjunto y unidades) que pueden considerase como alternativas de desarrollo progresivo, se pueden señalar algunas características estimadas como comunes que son las siguientes : a) hacen mayor énfasis en el proceso que en el producto final. b) tienen, de todos modos, un punto de partida que puede ser muy variable. c) crecen, progresan, se desarrollan por etapas con activa participación del habitante (comunidad, familia e individuo) de acuerdo a sus necesidades y aspiraciones, limitadas por los recursos de que puedan disponer. d) el orden de las etapas pueden diferir en el tiempo. e) pueden incluir una meta final, pero en muchos casos no están definidas de antemano en forma explicita. » 27 E. Haramoto,1987 Cependant, l’incrémentalisme se rapportant plus à une stratégie projectuelle qu’à un véritable type d’habitat, nous distinguerons trois catégories différentes, chacune d’elles correspondant à l’application d’une stratégie incrémentaliste à un type d’habitat particulier. Le schéma représenté précédemment par la fig.1, représente cette distinction entre le concept général d’incrémentalisme et les types d’habitat auxquels il peut être appliqué. Pour un type de maison individuelle, le terme employé est la core house tandis que pour le logement collectif, nous parlerons d’Open-Building en référence à la définition établie par le groupe S.A.R.. Enfin, l’application à un type de maison en bande est défini par le terme d’habitat incrémental et c’est ce dernier que nous étudierons et analyserons dans la suite de cette étude.

27. “Parmi la diversité des logements (collectifs et individuels) qui peuvent être considérés comme des alternatives de développement progressif, quelques caractéritiques communes peuvent être signalées: a) mettre l’accent sur le processus plus que sur le produit final, b) ils ont, de toutes façons, un point de départ pouvant être très varié, c) ils s’accroissent, progressent, se développent par étapes avec la participation active de l’habitant (communauté, famille et individu) suivant ses besoins et aspirations, limitées par les moyens dont ils peuvent disposer, d) l’ordre des étapes peut varier dans le temps e) ils peuvent inclurent un objectif final, mais dans beaucoup de cas celui-ci n’est pas défini antérieurement sous une forme explicite.” T.d.A.

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l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

3. Loger le plus grand nombre à bas coût, génèse de l’expérience incrémentale.

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L’habitat incrémental naît de la nécessité de loger un grand nombre de personnes en situation précaire aux abords de certaines grandes métropoles. A travers des projets de grande envergure, le logement social de masse introduit peu à peu l’auto-construction dans les solutions proposées. Alejandro Aravena ne cite que très succintement les expériences de ses prédécesseurs ainsi que le cadre historique international et national chilien dans lequel il inscrit ses projets. Cependant, l’action de son agence Elemental est fortement liée au contexte particulier touchant l’évolution des politiques de logement social au Chili. Par ailleurs, la mise en place et la réalisation d’une première opération d’habitats incrémentaux témoignent de l’influence de projets précédents. Ce chapitre retrace l’histoire des expériences en matière d’habitat incrémental à travers le monde afin de répondre aux questions : - d’où provient l’habitat incrémental ? - pourquoi les expériences contemporaines nous parviennent-elles d’Amérique du Sud, et plus particulièrement du Chili ?


3. a. Opérations Sites-and-Services de la Banque Mondiale

Pour comprendre dans quel contexte ressurgit la notion de l’incrémentalisme dans l’habitat aujourd’hui, il est nécessaire d’évoquer les problématiques liées à l’urbanisation des pays en voie de développement. La notion d’un habitat progressif n’est pourtant pas née d’un contexte urbain en crise; comme vu précedemment, elle trouve ses racines en Europe, avec l’apparition de l’évolutivité dans l’habitat dès les années 1930 28 et avec les recherches en matière de participation et de flexibilité dans l’habitat dans les années 198029. Mais parallèlement à cette recherche européenne, l’habitat incrémental se développe principalement en tant que solution à un problème urbain urgent : la pénurie de logements décents pour les populations les plus pauvres. La majeure partie des propositions d’habitat incrémental se situent en effet dans les grandes métropoles des pays en développement, notamment dans les périphéries pauvres, résultant d’initiatives gouvernementales pour résoudre le problème de la prolifération des bidonvilles. La croissance exponentielle des bidonvilles, due notamment à un exode rural massif vers les centres urbains depuis les années 1960, modifie considérablement le rapport à la ville et au logement. Les diverses tentatives d’éradication de ces ensembles informels ayant pour la plupart échoué, les gouvernements et professionnels commencent à considérer le problème comme partie de la solution ; formel et informel entrent alors en dialogue. Informel ne signifie pas ‘sans forme’ mais fait plutôt référence à un développement incontrôlé et illégal, dans lequel l’urgence et la survie prennent le pas sur les 28. D’après A. Lepik dans son ouvrage Radical Cities publié en 2010, la notion d’incrémentalisme apparaît dès 1932 avec la présentation de la Waschende Haus (maison qui grandit): « The idea of an ‘incremental house’ had in fact been proposed as early as 1931, in a competition sponsored by the city of Berlin. A group that included Walter Gropius, Hugo Häring, Egon Eiermann, and others worked up proposals for constructing single houses in stages, as owners could afford them. Some of these were executed and exhibited in the 1932 building exhibition Sonne, Luft und Haus für Alle ! In Berlin, but with the rise of Fascism and the architectes going to exile the idea did not take root. » (L’idée d’une ‘maison incrémentale’ fut en réalité proposée dès 1931, dans un concours commandité par la ville de Berlin. Un groupe incluant Walter Gropius, Hugo Häring, Egon Eiermann, et d’autres, élaborèrent des propositions pour la construction de maisons individuelles par étapes, au fur et à mesure que les propriétaires pouvaient se le permettre. Certaines furent construites et présentées durant l’exposition de 1932 Sonne, Luft und Haus für Alle! à Berlin, mais avec la montée du fascisme et l’exil des architectes, l’idée ne prit jamais racine. T.d.A.) 29. voir paragraphe précédent - Partie 1. 2. “Changement de paradigme architectural”

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qualités urbaines et architecturales. Les régions où le phénomène bidonville prolifère étant, de plus, principalement des zones à risques (séismes, inondations, cyclones...), la somme d’actions individuelles ne suffit plus à assurer la sécurité de l’ensemble. La demande en termes de logements est telle que les gouvernements ne peuvent assumer la prise en charge totale du logement social et les subventions accordées restent bien en-deçà du seuil nécessaire à la production de logements sociaux décents et durables. La mise à disposition de logements sociaux par l’Etat n’étant pas suffisante face à l’ampleur du problème du logement, seule une solution pouvant allier formel et informel semble possible face au manque de ressources disponibles. L’incrémentalisme naît alors du manque de ressources de la part des habitants eux-mêmes ainsi que des gouvernements, incapables de gérer le financement de logements sociaux en quantité requise “suffisante” ; comme le soulignent les architectes et chercheurs chiliens Margarita Greene et Edoardo Rojas dans leur rapport sur la pertinence de l’habitat incrémental pour résoudre la crise du logement en Amérique du Sud.

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« The experience of the last decades confirms that government programs geared to build and finance finished homes directly for low-income households cannot solve the housing problem as a whole, as they offer a limited number of high-quality homes to few families, leaving most poor households without assistance. Even low-standard and low-cost programs, such as sites-and-services, which offer just serviced lots and were created to increase the coverage of government-financed programs, have proven incapable of solving the problems of all families in need. »30 M. Greene & E. Rojas, 2008

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Dès les années 1970, en parallèle aaux réflexions européennes en matière de participation et de flexibilité dans l’habitat, des solutions similaires sont adoptées dans les pays émergents afin de résoudre un problème urgent : la prolifération incontrôlée des bidonvilles. La pénurie de logements pour les populations pauvres entraîne une croissance incontrôlée des centres urbains et les gouvernements cherchent à mettre en place différentes politiques de logements sociaux. Afin de répondre à la demande croissante de logements pour les populations urbaines pauvres dans les grandes métropoles de la planète, la Banque Mondiale met en place dès 1974, un projet de vaste envergure: the Site-and-Services Project. La plupart des familles ciblées étant dans une situation économique précaire,


l’accès à un logement classique (ou ‘formel’) est impossible sans une grande aide de l’Etat. Or, la plupart des pays concernés par cette croissance incontrôlée n’ayant pas assez de ressources pour fournir une quantité suffisante de logements sociaux, les opérations restaient trop ponctuelles face à la demande croissante. En partant du constat que les populations urbaines pauvres sont capables de construire elles-mêmes leurs logements (cf. construction des bidonvilles), la solution proposée par la Banque Mondiale est d’introduire l’auto-construction dans la fabrique du logement social. En effet jusqu’alors, les solutions apportées par les gouvernements étaient soit insuffisantes en termes de quantité de logements, soit trop drastiques lors des destructions de campements illégaux conduisant au déplacement de milliers de familles.31 Le schéma ainsi proposé est ainsi relativement simple : l’action publique se résume à la mise en place des réseaux d’infrastructure urbaine (eau, électricité et assainissement) et à la constitution de lots parcellaires sur des terrains disponibles, suffisamment vastes pour accueillir une grande quantité de personnes.

« The basis of incremental housing is that government does what households cannot effectively do -assemble land and provide trunk infrastructure and servicesand households do what government cannot do efficiently, construct affordable dwellings that meet the priorities and ressources of their occupants. » 32 P. Wakely & E. Riley, 2010

30. “L’expérience des dernières décennies confirme que les programmes gouvernementaux axés sur la construction et le financement de logements complets directement pour les ménages à bas revenus ne peut pas résoudre l’intégralité du problème du logement, puisqu’ils n’offrent qu’un nombre limité de maisons de bonne qualité à quelques familles, laissant les plus pauvres sans assistance. Même les programmes de faible standard et de bas coûts, tels que les opérations sites-and-services, qui n’offrent que le terrain et l’infrastructure urbaine et qui furent crées pour augmenter la couverture des programmes financés par le gouvernement, ont prouvé leur incapacité à résoudre les problèmes de toutes les familles dans le besoin.” T.d.A. 31. GATTONI George. A Case for the Incremental Housing Process in Sites-and-Services Programs And Comments on a New Initiative in Guyana. MIT Incremental Housing Website. Le 7 juillet 2009. Anglais. Disponible sur <http://web.mit.edu/incrementalhousing/ articlesPhotographs/guyanaGeorgeGattoni.html> (consulté le 20 février 2016) 32. “La base de l’habitat incrémental est que le gouvernement fait ce que les ménages ne peuvent effectivement pas faire -rassembler les terrains et fournir l’infrastructure et les services- et les ménages font ce que les gouvernements ne peuvent pas faire efficacement, construire des logements économiques qui coïncident avec les priorités et ressources de leurs habitants.” T.d.A.

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L’intervention proposée par les opérations Site-andServices se résume à fournir aux habitants les paramètres du logement qu’ils ne peuvent réaliser seuls, à savoir l’accès à un terrain et le raccordement aux réseaux urbains. De cette façon, le résultat obtenu à travers un tel processus pourrait être caricaturé comme étant un “bidonville ordonné”, car les gouvernements n’interviennent pas sur la construction même des logements mais mettent l’accent sur la légalisation des situations familiales (les familles sont désormais propriétaires de leur parcelle) et sur le fonctionnement urbain (préoccupation essentiellement sanitaire). L’ampleur de l’opération Site-and-Services est difficile à évaluer dans son ensemble, mais selon un rapport datant de 198733, la Banque Mondiale fut à l’initiative de plus de 1 700 000 logements en seulement dix ans d’existence, dans de nombreux pays tels que le Kenya, l’Inde, le Burkina Faso...

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La construction de l’unité de vie basique prend différentes formes selon les projets, dans certains cas, le noyau basique de la maison est bâti en dur (toilettes et prises de réseaux) mais reste trop élémentaire pour que l’on puisse évoquer une stratégie de core houses (car il s’agit plus d’un travail d’ingénierie). Les projets Site-andServices sont le reflet d’une politique favorisant l’auto-construction à grande échelle. Pour fournir un grand nombre de parcelles aux populations urbaines pauvres, le choix se porte sur des terrains situés en périphéries des centres urbains. De plus, afin de permettre aux habitants de devenir propriétaires de leur logement, les lots fournis sont de superficies restreintes. La stratégie de développement incrémental s’applique ici aussi, la totalité des services est introduite graduellement afin de réduire les coûts initiaux et de mieux subvenir aux besoins futurs.

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Les avantages d’une telle méthode sont principalement économiques et politiques. En enclenchant une action à grande échelle concernant le logement des classes sociales les plus pauvres, les opérations Site-and-Services ont permis de porter un regard nouveau sur l’ampleur de la crise du logement dans les pays en développement. En permettant l’accès à la propriété d’une parcelle, 33. “The World Bank alone, for example, initiated sixty-eight projects through 1984, each benefiting more than 25,000 households on average”. MAYO Stephen K. Et GROSS David J. Sites and Services-and Subsidies: The Economics of Low-Cost Housing in Developing Countries. The World Bank Economic Review [en ligne], Vol.1, N°2. p. 301335. Janvier 1987. Disponible sur <http://www-wds.worldbank.org/external/default/ WDSContentServer/WDSP/IB/2000/06/17/000178830_98101911455159/Rendered/PDF/ multi_page.pdf> (consulté le 17 février 2016)


et le raccordement aux services urbains, elles mettent en place un processus de légalisation et d’amélioration des conditions de vie des populations les plus pauvres. L’intervention d’une organisation extérieure a permis également d’aider les municipalités et les gouvernements locaux à faire face à un problème qu’ils ne pouvaient résoudre seuls. Cependant, les détracteurs de tels projets sont nombreux, et parmi les principaux arguments : la radicalité de la réponse apportée. En délocalisant des populations déjà installées dans un réseau urbain (bien qu’informel) vers des terrains vierges de toutes constructions, l’impact économique sur les ménages est conséquent. De plus, le choix de terrains bon marché en périphérie des villes entraîne la ségrégation de populations se trouvant déjà en situation précaires. La forte dépendance aux politiques locales entraîne également l’instabilité et la fragilité de la mise en place de tels projets requérant un suivi continu dans le temps. De plus, le processus de construction pouvant durer un certain temps, un chantier permanent n’est pas forcément le bienvenu (politiquement parlant). Enfin, les projets Site-and-Services ne prennent pas en compte les politiques d’habitation déjà en place dans les pays ciblés, allant parfois à l’encontre ou freinant des initiatives locales. Le caractère radical de ces projets en fait une opération singulière. Ces interventions de grande ampleur ne fournissant que le minimum aux populations “bénéficiaires”, elles furent cependant critiquées car perçues comme une stratégie politique permettant d’augmenter le nombre de logements sociaux fournis par l’Etat, qui ne prend en compte ni la qualité réelle desdits logements, ni leurs répercussions dans le temps long. Il est par ailleurs difficile d’évaluer le succès des projets Site-and-Services du fait des nombreux désaccords entre agences internationales (représentées ici notamment par la Banque Mondiale) et des politiques municipales changeantes. Il n’existe que peu de documentation disponible car le bon déroulement dépend de nombreux paramètres. Ce qui est certain, c’est que la mise en place des projets Site-and-Services n’a pas bénéficié du suivi nécessaire permettant leur réalisation dans des conditions optimales. Aujourd’hui, en continuité avec les recherches menées dans les années 1980, l’habitat incrémental réapparaît dans la réflexion contemporaine afin de résoudre les problématiques de l’urbanisation massive. 43


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3. b. The Grass Roots Housing Process, Christopher Alexander

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Dans son article “The Grassroots Housing Process”34, l’architecte autrichien Christopher Alexander pose dès 1973, les bases d’une méthode de conception architecturale proche de l’incrémentalisme. Le terme anglais grassroots35 correspond au niveau le plus basique d’une société ou d’une organisation. Son application à l’architecture, et notamment à la question du logement, se réfère à ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui une stratégie bottom-up, c’est-à-dire initiée directement par les habitants euxmêmes. En partant du constat d’une pénurie croissante de logements à bas coût, Christopher Alexander propose une méthode innovante en considérant l’auto-construction comme une solution pour la production rapide d’une grande quantité de logements. Sa réponse architecturale est guidée par le rejet complet du logement de masse (du type Grands Ensembles) jugé stérile et aliénant, et par la lutte contre la surévaluation du prix de l’immobilier. Selon sa propre analyse, le problème ne viendrait pas tant de l’incapacité technique de production de logements en masse que des limites imposées par un système bancaire trop rigide. Les emprunts bancaires étant difficiles à obtenir pour un grand nombre de ménages, sa proposition se base sur leur complète suppression36. En effet, en plus d’être difficiles d’accès, les prêts hypothécaires représentent une somme considérable de la valeur finale du logement. Selon lui, les deux-tiers de la valeur d’une maison sont investis dans les prêts immobiliers, la valeur « réelle » de l’objet maison représentant seulement un tiers du montant. La suppression des relations entre la banque et l’habitant permettrait ainsi à ce dernier d’investir son capital (aussi modeste soit-il) dans un objet de valeur sûre. Le principal avantage recherché à travers le processus grassroots, se trouve au moment de la revente du logement. En évitant toute spéculation et en s’émancipant de la bulle immobilière, la valeur du logement reste constante. L’argent investi par les familles 34. Il est indispensable de préciser que cet article ne fut jamais publié et n’est disponible qu’en ligne sur le propre site de l’architecte, Center for Environmental Structures. La fiabilité de cette source est donc incertaine mais nous nous appuierons tout de même sur cet article car il fut cité par plusieurs auteurs sous sa forme numérique. 35. Selon Oxford Dictionary: “plural noun. The most basic level of an activity or organization. Ordinary people regarded as the main body of an organization’s membership.” 36. En supprimant les prêts hypothécaires à risques, une telle méthode aurait pu permettre par exemple de réduire les conséquences désastreuses de la crise des Subprimes de 2008.


pour la construction et l’extension de leur maison est reversé lors de la vente à hauteur de 90%.37 Le système mis en place par Christopher Alexander est un appel à l’équité dans l’accession à la propriété du logement. Le prix de vente de la maison équivaut à la quasi totalité de la valeur investie durant le processus de construction. Dans la résolution de la crise du logement, le problème doit être posé autrement : il ne s’agit pas de réduire les coûts de construction (1/3 de la valeur) mais de diminuer les coûts liés à l’emprunt bancaire (2/3 de la valeur). La maison ne doit plus être considérée comme une dépense mais comme une entité active permettant la croissance de la famille.

« So long as we view houses as commodities, which can be bought and sold like cars, the processes which will then, inevitably, govern ownership, financing, building, and selling of houses, will make it quite impossible to solve the housing problem.» 38 C. Alexander, 1973 L’objectif principal est donc de modifier la relation de l’habitant au logement en lui permettant de ne plus le considérer comme un objet de consommation mais bien comme un processus permettant l’accumulation de capital et donc une augmentation de sa valeur dans le temps. Ainsi, l’habitant obtient la possibilité d’agrandir son logement par succession d’incréments suivant ses besoins et les moyens financiers dont il dispose.

« In a simple society, people do not borrow money to make their houses: they build what they can afford. When they are young, they have a small hut; gradually, as they grow older, and have children, they are able to make their house larger to keep pace with their needs. » 39 C. Alexander, 1973 Pour modifier le coeur du dispositif financier d’accession à la propritété, l’architecte propose un système complet, allant jusqu’à créer des entités professionnelles nouvelles.

37. Les 10% restant servant à rétribuer le travail du builder, le remboursement de l’apport initial du sponsor (voire éventuellement le rachat du terrain). 38. “Aussi longtemps que nous considèrerons les logements comme des marchandises, qui peuvent être achetés et vendus comme des voitures, les méthodes régissant l’accès à la propriété, le financement, la construction et la vente des maisons, rendront inévitablement impossible la résolution de la crise du logement.” T.d.A. 3. Il est intéressant de noter que les arguments avancés par Christopher Alexander en 1973 sont étrangement similaires à ceux avancés par l’agence Elemental en 2011. “La vivienda social se parece mas a comprar un auto que una casa ; cada dia que pasa, su valor decrece.” A. Aravena, 2011. 39. “Dans une société simple, les gens n’empruntent pas d’argent pour faire leurs maisons: ils construisent ce qu’ils peuvent s’offrir. Quand ils sont jeunes, ils ont une petite cabane; graduellement, en vieillissant, en ayant des enfants, ils sont capables d’augmenter la taille de leur maison pour accompagner leurs besoins” T.d.A.

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En effet, la méthode énoncée par Christopher Alexander introduit un certain nombre d’acteurs aux fonctions très précises (cf. schéma ci-contre). Le projet est initié par une entité ayant un intérêt dans la production de logements (par exemple un gouvernement local ou national), capable de fournir (par donation ou par fiducie) un terrain et un apport financier de départ : le SPONSOR. Afin de faciliter les relations de voisinage et la communication entre les habitants, les logements sont divisés en CLUSTER, chaque cluster rassemble une douzaine de FAMILLES qui forment une société coopérative, à charge de la conception, de la construction et de l’extension de leur propre logement ainsi que des espaces communs. Pour aider à la construction, une troisième entité intervient dans le schéma en qualité de médiateur : le BUILDER. Il supervise les projets en aidant à la conception et à la réalisation, administre l’ensemble et offre un suivi technique continu sur un temps plus long. Chaque famille reverse une mensualité suivant la taille de son logement à un instant T. Cette somme d’argent mise en commun permet de payer les matériaux de construction, l’entretien des parties communes, les honoraires du builder et de rembourser l’apport initial fourni par le sponsor. Le loyer est élevé dans la phase initiale mais diminue considérablement avec le temps, permettant d’encourager une construction lente afin de prévenir toute forme de spéculation sur les extensions. De la même façon, le salaire initial du builder sera plus élevé étant donné sa présence permanente lors des phases de conception et de construction des logements (demandant plus de travail que les phases de diagnostic et d’aide technique ponctuelle pour les extensions).

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Un cluster n’étant autonome qu’à partir de quinze ans d’existence, le rôle de l’architecte en charge du projet requiert une autre perspective : le professionnel intervient en sa qualité de médiateur et d’aide technique. Il n’est ainsi pas nécessairement architecte, l’auteur allant jusqu’à préconiser la création d’une nouvelle entité professionnelle capable d’intervenir sur le plan conceptuel, constructif, social, administratif et financier. Son rôle de médiateur se décompose donc en plusieurs tâches, allant de la mise en place d’ateliers pédagogiques de construction jusqu’à la gestion administrative de la copropriété. Pour un fonctionnement optimal d’un tel système, il semble nécessaire que cette entité professionnelle soit elle-même impliquée personnellement dans l’amélioration et l’extension de l’ensemble. De cette façon, elle intervient en tant qu’habitant modèle, animant les débats et guidant le projet durant toute la durée du processus. Le professionnel obtient alors un tout


SPONSOR

- terrain - apport financier initial

$ 1 acre (environ4000m2)

CLUSTER

- provision de matériaux de construction et d’outils - conception et réalisation des espaces communs

BUILDER

$

$

loyer mensuel

“Pattern Language”

x 12 FAMILLES

- conception, réalisation et extension des maisons

$

‘seed money’

$

nouveaux clusters

$

1. conception (enseignement du Pattern Language) 2. construction (mise en place d’ateliers, approvisionnement en matériel, supervision des projets) 3. management (médiateur au sein de la communauté) 4. diagnostics (suivi continu) 5. administration 6. financement (responsable de la gestion des mensualités)

schéma explicatif du “Grassroots Housing Process” élaboré en 1973 par Christopher Alexander

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nouveau rôle, supposant une multidisciplinarité des tâches et une implication sur le long terme. La création d’un nouveau corps de métier ou la mutation de la profession d’architecte ?

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La création d’un tel système autonome présente cependant de nombreux inconvénients. Bien que ce système puisse théoriquement s’appliquer à tout type de classe sociale, il est néanmoins clair qu’il engendre une forte discrimination, obligeant les familles les plus pauvres à construire leurs logements durant leur temps libre. En effet, la main d’oeuvre n’étant pas comprise dans les mensualités reversées au cluster, l’auto-construction apparaît comme seule solution viable pour les ménages à faibles revenus. Cependant, l’intégration à un cluster résulte d’une volonté de la part des habitants et non d’une obligation. Il s’agit donc principalement de personnes intéressées par la construction de leur propre logement. La charge de travail des habitants est considérable. Bien que la valeur du produit final soit amplement supérieure à celle obtenue dans le cadre d’une construction traditionnelle, il semble difficile de mettre en place un tel schéma de façon à ce que les avantages équivalent ou prévalent sur les inconvénients dûs à un quartier en éternel chantier.

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Les préoccupations en matière de densité urbaine n’étant pas au coeur de la réflexion, le schéma soumis par Christopher Alexander relève principalement de la maison individuelle. Ainsi, l’habitant accède également aux niveaux de la construction de la structure de son logement ainsi que de celui des espaces communs. En laissant la réalisation des espaces communs à la charge des habitants, la méthode Grassroots semble atteindre ses limites. En effet, le dessin des espaces communs arrive tardivement dans le processus étant donné que la priorité des familles se trouvera évidemment dans la construction des maisons individuelles. Le quartier sera ainsi lui-même en chantier continu, puisque les niveaux communs sont également conçus par les habitants. Il semblerait alors préférable de confier la définition d’ensemble du projet et des espaces communs à un architecte, afin de diviser les tâches et de participer à l’amélioration du processus avancé par Christopher Alexander. Ce système repose sur un esprit de communauté nécessaire au bon fonctionnement du processus sur un temps long. Les relations de voisinage sont décuplées par la mise en commun des matériaux de construction, par la grande quantité de réunions et de prises de décisions communes et par les nuisances induites par les différentes


temporalités de chantier. La solidarité entre les familles est alors nécessaire, d’autant plus que le processus lent de construction implique un engagement sur un minimum de quinze ans. La mise en place d’un tel système autonome implique cependant de nombreuses contraintes. La difficulté de mise en place d’un tel schéma, nécessitant une prise de conscience et un suivi sur le long terme, ne fut que très peu mis en pratique et les informations sur le sujet restent malheureusement trop succinctes pour juger de son application dans un contexte pratique.

« In this case, the life history of the house, and its relation to the people who live in it, and pass through it, is entirely different. The house is not produced at one time, and then used, unchanged, for years; it is created gradually, as a direct result of the living which is happening in it and around it. Building takes place in increments, day by day, year by year. The people who live in the house do not borrow money, ever; they spend only what they can afford. The people who live in the house are the ones who design it, as they go. They don’t necessarily build it with their own hands; but they may build parts of it with their own hands, to help the builders. Each house is unique; it is the unique expression of a particular way of life, and of the particular history of all the people who have ever lived in it. Ownership of the house, is not merely a way of making money, or a form of legal control; it is a vehicle for involvement, in the process of creating a suitable, beautiful environment. Above all, to repeat it, there are no banks involved, nor mortgages, because the houses are built at a pace which makes it possible to build them without borrowing money. »40 C. Alexander, 1973

40. “Dans ce cas, l’histoire de la vie de la maison, et sa relation aux personnes qui y vivent ou qui y passent un moment, est complètement différente. La maison n’est pas construite en une seule fois puis habitée et inchangée pendant des années ; elle est créée graduellement, comme le résultat de la vie se déroulant à l’intérieur d’elle et autour d’elle. La construction se fait par incréments, jour après jour, année après année. Les personnes y habitant n’empruntent pas d’argent, jamais; elles dépensent uniquement suivant leurs moyens. Les personnes qui y vivent sont ceux qui la dessinent au fur et à mesure. Les habitants n’ont pas à la construire de leurs propres mains; mais ils peuvent construire certaines parties en aidant les constructeurs. Chaque maison est unique, c’est l’expression unique d’un mode de vie particulier, et de l’histoire particulière de chaque personne qui y habite. L’accès à la propriété de la maison n’est plus un simple moyen de gagner de l’argent, ou une forme de contrôle légal; c’est un moyen de participer au processus de création d’un environnement beau et adéquat. Par dessus tout, j’insiste, aucune banque ou hypothèque n’est impliquée, car les maisons sont construites à un rythme permettant de ne pas emprunter d’argent.” T.d.A.

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3. c. Proyecto Expérimental de Vivienda (PREVI), l’exception péruvienne.

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La recherche sur l’incrémentalisme dans des opérations à grande échelle atteint son paroxysme au Pérou en 1968, avec la création du Proyecto Experimental de Vivienda (PREVI), dans la banlieue de Lima. Jamais une opération de logements sociaux n’a rassemblé autant d’architectes de renom, et des agences venues du monde entier se réunissent alors autour de ce projet. En réaction aux modèles de Grands Ensembles mis en place par les architectes du Mouvement Moderne depuis l’après-guerre, la stratégie adoptée pour ce projet pilote est celle d’un habitat de faible hauteur mais de haute densité. Le cahier des charges propose ainsi à chaque équipe de réfléchir sur un groupement de maisons (cluster) pouvant être agrandies progressivement. En d’autres termes, il leur est demandé de dessiner des quartiers d’habitat incrémental. La suite de cet article se base essentiellement sur un témoignage de Peter Land, publié en 2003 dans l’étude sur le PREVI la plus complète disponible à ce jour 41.

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Dès 1965, le gouvernement péruvien et les Nations Unies font appel à l’architecte et urbaniste Peter Land pour mettre en place ce concours d’architecture international dont l’objectif est d’expérimenter des solutions d’habitat progressif dans le cadre de politiques de logement social. Les conditions politiques étaient alors idéales pour la réalisation d’un projet d’une telle envergure : un gouvernement jeune et progressiste, avec pour président, l’architecte Fernando Belaúnde Terry (lui-même travaillant sur le sujet d’un habitat social avec possibilités d’extensions). Il est nécessaire de le préciser car dès 1968, le gouvernement du pays est renversé par un coup d’état militaire et le PREVI ne pourra pas être complété comme prévu initialement, de nombreux paramètres ayant provoqué l’avortement du projet. Un compromis est finalement trouvé, et seuls 467 des 1500 logements prévus au départ verront finalement le jour. L’ensemble des ambitions du PREVI en font un projet exemplaire qui, malgré les dysfonctionnements politiques et le nonaboutissement de nombreux éléments, a su préserver ses ambitions de départ. 41. LAND Peter. “The Experimental Housing Project (PREVI), Lima: antecedents and ideas”. In GARCIA HUIDOBRO Fernando, TORRES TORRITI Diego et TUGAS Nicolas. ¡El tiempo construye! : el proyecto experimental de vivienda (PREVI) de Lima : génesis y desenlace. Gustavo Gili Barcelona. 2008. 160p. version bilingue espagnol-anglais.


fig.1 (en haut) photo aérienne du quartier PREVI en 1976 © Ministerio de la Vivienda del Peru Instituto de Investigacion y Normalizacion de la Vivienda

fig.2 (en bas) photo satellite du PREVI en 2016 l’évolution et la densification des maisons est visible © GoogleEarth 2016

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Les objectifs du PREVI, consistaient à construire des solutions innovantes pour la résorption des bidonvilles de la périphérie de la capitale : les barriadas. Fortement inspiré des écrits de l’architecte britannique John Turner, le règlement exigeait des participants une réflexion sur la conception de solutions hybrides, capables d’intégrer la construction informelle en la considérant comme partie intégrante du projet de départ. Peter Land énumère ainsi les critères participant au caractère expérimental du projet: 1. la création d’un quartier uniquement composé d’unités de logements de faible hauteur haute densité (low-rise high density) pouvant servir de modèle pour la future expansion de la ville ; 2. la possibilité de croissance et d’amélioration des unités initiales, autrement dit : une stratégie incrémentaliste ; 3. le regroupement des maisons en clusters afin de subdiviser l’espace urbain et de favoriser l’appropriation des quartiers ; 4. la création d’un quartier à échelle humaine entièrement piéton ; 5. l’amélioration de la résistance sismique des bâtiments ; 6. l’introduction d’un plan paysager à l’échelle de l’ensemble. En complément de l’ensemble résidentiel, quelques équipements publics (écoles, bureaux...) furent également inclus au plan d’urbanisme. Le succès rencontré par le PREVI fut notamment dû à la qualité de l’environnement urbain proposé : la hiérarchisation claire du système de voirie permettant aux quartiers d’être essentiellement piétons (les véhicules n’étant autorisés qu’en périphérie du projet) ; l’organisation des projets en clusters divisant l’espace public en placettes et facilitant son appropriation par les habitants.

fig.3 Aujourd’hui, quarante ans après la livraison du projet, il est difficile de distinguer les maisons issues du PREVI, ici, les maisons de Charles Correa (gauche) de celles,auto-construites, de l’autre côté de la rue (droite) © Google Earth 2016


Le choix des participants s’est effectué à travers une pré-sélection d’architectes de renommée internationale provenant du monde entier, afin d’obtenir un éventail de propositions le plus large possible en raison de situations économiques et géographiques variées. Aux treize équipes venues de l’étranger s’ajoutèrent treize équipes péruviennes sélectionnées par le biais d’un concours national. Tous les architectes furent invités à Lima au préalable pour une période d’observation in situ de plus d’une semaine, notamment dans les barriadas, afin d’apporter les solutions les plus pertinentes et les plus appropriées aux modes de vies des populations locales visées. Compte tenu de la qualité des propositions présentées à l’issue du concours, il fut convenu de construire un échantillon d’une vingtaine de maisons pour chaque projet plutôt que de confier l’ensemble des 1500 logements prévus initialement, à deux ou trois architectes seulement. Cette entorse au règlement renforça le caractère exceptionnel de ce projet expérimental. En rassemblant des équipes de nationalités différentes, le PREVI a contribué à hisser la réflexion sur l’habitat incrémental au niveau international (présenté cependant à l’époque sous l’appellation de vivienda progressiva). Certains des participants travaillaient déjà sur la notion de flexibilité dans l’habitat ou dans la construction de façon plus générale. L’équipe française, composée des architectes Georges Candilis et Shadrach Woods, appliquera pour la première fois à l’habitat social leurs idées concernant la flexibilité et l’évolutivité de l’espace42 qu’elle avait notamment développées dans 42. Illustrées notamment dans la construction de la Freie Universität de Berlin en 1963, qui était le résultat d’une super structure modulaire développée par Jean Prouvé, permettant l’évolution et la croissance horizontale des différentes sections de l’université.

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l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

le cadre d’équipements publics. Dans un autre registre, l’architecte indien Charles Correa avait étudié les possibilités d’extensions de l’habitat individuel en amont du concours, mais sa participation au projet PREVI fut un élément déclencheur pour ses recherches personnelles. En effet, il appliquera la notion d’incrémentalisme à l’urbanisme informel dont il était témoin dans son pays, tentant, à travers les mêmes schémas de maisons de faible hauteur disposées en clusters, de poursuivre les recherches sur les bénéfices d’une telle approche architecturale43. En plus de la réalisation d’un certain nombre de projets, ses écrits sur la résorption des bidonvilles dans les métropoles indiennes se basent également sur les enseignements tirés de cette expérience péruvienne. L’impact du PREVI sur les futures constructions de logements au Pérou fut considérable. Inspirés de la stratégie de faible hauteur haute densité, de grands projets d’habitat social virent le jour, bien souvent dirigés par les architectes péruviens ayant participé au PREVI. Cependant, le manque de communication et l’avortement du projet dus aux conditions politiques du pays n’ont pas permis à ce dernier d’être diffusé pour avoir une influence réelle sur l’évolution du logement social dans le monde.

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Le terrain mis à disposition était assez éloigné du centreville. Cependant, depuis la construction du projet dans les années 1970, la ville de Lima s’est considérablement étendue et il est à présent difficile de distinguer le PREVI du reste du tissu urbain (fig.3). En effet, les projets initiaux sont aujourd”hui entièrement recouverts par les extensions faites par les habitants, et le vocabulaire architectural du quartier est indissociable des quartiers alentours réalisés en auto-construction. Les projets de départ ont su ainsi proposer une base capable d’assumer des extensions faites avec les connaissances constructives et les sensibilités locales. La stratégie incrémentale de l’ensemble se traduit dans chaque projet par l’introduction, dans le dessin initial, de la possibilité d’augmenter la taille du logement d’un ou de deux étages par la suite (il sera d’ailleurs demandé aux architectes de prévoir cette extension éventuelle dans le dimensionnement des éléments structurels). La croissance des unités de base est d’ailleurs conditionnée par un développement par phases, selon les besoins et les moyens des habitants. Il sera exigé de chaque architecte qu’il conçoive des 43. Nous reviendrons plus tard sur les propositions de Charles Correa en matière d’urbanisme incrémental (cf. p.124). Parmi les projets incrémentaux évoqués: Hudco Courtyard Housing (Jodhpur, 1986); Incremental Housing (Belapur, 1983).


exemples pour chaque stade de développement des unités, afin de fournir un modèle pour les extensions à venir. Certains aspects primordiaux du projet n’ont malheureusement pas été mis en place. C’est le cas notamment de la deuxième phase du projet qui consistait en l’analyse des extensions faites par les habitants ; cette analyse aurait permis d’observer le fonctionnement d’un “quartier-laboratoire” à échelle 1 : 1. En effet, le projet n’a bénéficié d’aucun suivi architectural ou urbanistique jusqu’à aujourd’hui. Cependant, un regain d’intérêt pour ce projet pilote est visible depuis quelques années, comme en témoigne notamment une analyse détaillée menée par un groupe d’architectes chiliens44. Fernando García-Huidobro, Diego Torres Torriti and Nicolás Tugas, dans le cadre de leur projet de fin d’études à l’Universidad Pontifica de Santiago, publièrent la seule étude architecturale concernant le PREVI. Diego Torres est d’ailleurs architecte associé dans l’agence Elemental depuis 2004. L’essentiel de leur travail se porte sur le relevé des maisons existantes, en retraçant les étapes de modifications du projet original. Cette banque de données n’est malheureusement disponible que pour un nombre réduit de projets, principalement ceux qui furent réalisés par les équipes internationales. La sauvegarde de ce projet pilote qu’est le PREVI représente une mine d’informations considérable pour l’analyse de l’évolution de constructions incrémentales. Avec la réalisation de 24 prototypes différents, ce collage d’échantillons apporte une précieuse diversité dans les possibles applications de l’incrémentalisme en architecture. Le catalogue d’exemples fournit une banque d’informations qui, une fois analysées avant et après incrémentation, offre une quantité de données considérable pour la création de nouveaux modèles éventuels.

« PREVI reaffirmed the concept of the compact house with privacy as the basic building block for a high-density neighbourhood, rather than high-rise apartments »45 P. Land, 2008 44. GARCIA HUIDOBRO Fernando, TORRES TORRITI Diego et TUGAS Nicolas. ¡El tiempo construye! : el proyecto experimental de vivienda (PREVI) de Lima : génesis y 56 desenlace. Gustavo Gili Barcelona. 2008. 160p. version bilingue espagnol-anglais. 45. “PREVI réaffirma le concept qu’une maison privée compacte représentait le type de construction basique pour un quartier de haute densité, plutôt que le logement collectif de grande hauteur.” T.d.A.

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3. d. Elemental, premiers héritiers contemporains des modèles chilien de logement sociaux progressifs. Sans revendiquer explicitement une prise de relais avec les expériences passées, l’agence chilienne Elemental, menée par l’architecte Alejandro Aravena, ne peut nier cependant ses affiliations avec la culture d’expérimentation en matière de logement social présente au Chili depuis des décennies. L’objectif de cet article est de replacer les propositions contemporaines dans leur contexte, en expliquant succintement les différentes étapes qu’a traversées le pays dans la réflexion sur l’habitat progressif dans le logement social.46 Entre 1950 et 1980, le Chili est touché par une importante crise du logement due à une explosion démographique et la rapide augmentation de la population urbaine. A l’époque, près d’une famille sur trois vit en situation précaire. Pour répondre à la demande croissante en matière de logements, le pays met en place une série de politiques d’habitat social, devenant l’un des pionniers en matière de diversité d’expérimentations.

l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

L’architecte et chercheur, Margarita Greene, enseignant désormais à l’Universidad Pontifica de Santiago de Chile, décompose les politiques d’habitat social en cinq phases.

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La première phase est fondée sur la prise de conscience de l’importance de l’auto-construction dans les solutions pour le logement social, un premier pas vers des solutions d’habitat progressif. En réponse au déficit croissant en matière d’hébergement au Chili, la CORVI (Corporacion de la Vivienda), fondée en 1953, rassemble alors une grande variété d’opérations de construction de logements. La plus radicale consiste en une première étape d’erradication des constructions informelles et se fonde principalement sur l’autoconstruction en ne fournissant à l’habitant qu’une unité de vie basique et une limite parcellaire, selon un schéma similaire aux opérations Site-and-Services décrites antérieurement. L’action du gouvernement se résume au “parrainage” des initiatives des habitants, eux-mêmes organisés en communautés destinées à mutualiser leurs moyens. Les 46. La contextualisation historique ici présentée se base sur les travaux de l’architecte chilienne, notamment son rapport : GREENE Margarita. The Progressive Housing Program in Chile 1990-2002. Social Programs Division, Sustainable Development Department. Santiago du Chili. Juillet 2004. Anglais. Disponible sur: <https://publications.iadb.org/ handle/11319/5600> (consulté le 4 mars 2016) ainsi que sur les travaux du professeur chilien Edwin Haramoto.


programmes mis en place se concentrent sur l’allotissement et sur la provision de matériaux ainsi que sur une aide technique permettant de soutenir les dispositifs d’auto-construction. Un peu plus tard, dans les années 1960, l’accent sera mis sur l’erradication des bidonvilles et le déplacement forcé des populations vers les terrains définis par le gouvernement. La seconde phase est le résultat plus clair de la prise de conscience de l’évolutivité dans le logement en tant que solution. Les idées initiées par les opérations CORVI sont reprises ensuite par le gouvernement d’Eduardo Frei Montalva qui comptait résoudre la crise du logement traversée par son pays, notamment dans les zones périurbaines de Santiago, dans le temps limité de son mandat. L’Operación Sitio, qu’il développa, amplifia le processus de construction de logements sociaux à une échelle massive sans précédents. Considérée comme un coup politique plus que comme une réelle opération visant à l’amélioration des conditions de vie des populations les plus pauvres, elle fut largement critiquée pour son caractère primaire. Certaines opérations se résumaient au simple tracé à la craie de la limite parcellaire, elle fut par ailleurs surnommée par ses détracteurs “Operación Tiza” (opération craie). Ces programmes, bien qu’efficaces en matière d’urbanisation à grande échelle, ont été fortement remis en question du fait de la ségrégation socio-spatiale qu’ils engendraient. Les terrains mis à disposition par les municipalités étaient souvent loin du centre, privant ainsi les populations les plus pauvres de l’accès aux opportunités de la ville. Ils furent également critiqués par le gouvernement socialiste de Salvador Allende comme étant discriminatoires, les ménages à bas revenus étant obligés de construire eux-mêmes leurs maisons. La troisième phase se caractérise par l’abandon de programmes gouvernentaux. En effet, sous le régime militaire du dictateur Augusto Pinochet, les campements illégaux sont sévèrement limités et la croissance informelle des périphéries des grandes métropoles est nettement ralentie. Cette période se caractérise par la construction de logements sociaux formels en masse. Cependant, la quantité de places prodiguée restant insuffisante, le phénomène de “duplication des ménages” apparaît puis, l’extrême pauvreté oblige les populations à partager une maison entre plusieurs cellules familiales, et les superficies des habitats diminuent de plus en plus. Le processus d’incrémentation se poursuit donc illégalement et sans l’appui du gouvernement, entraînant des problèmes de surpeuplement. 57


l’habitat incrémental - MFE ENSA Pb

La quatrième phase se concentre sur l’amélioration des campements existants. Face à la prolifération incontrôlée des camps aux abords des grandes métropoles chiliennes, le gouvernement, pris de cours, lance des opérations d’aide à la construction in-situ (apport de matériaux de construction, dessin urbain...). L’accent est porté sur l’amélioration des conditions sanitaires déplorables. Les problèmes de santé liés aux conditions précaires de logement conduisent alors à la formation du Programme d’Amélioration des Quartiers (Programa de Mejoramiento de Barrios - PMB) mis en place dès 1982 : retour sur un schéma d’allotissement connecté aux réseaux d’assainissement, d’eau et d’électricité mais cette fois dans une volonté d’action in situ.

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Enfin, la cinquième et dernière phase, toujours en vigueur aujourd’hui, s’inspire des précédentes en ce sens qu’elle incite à l’amélioration des bidonvilles in situ tout en considérant l’évolutivité du logement comme une stratégie pour initier des solutions de logements innovantes. Sous le gouvernement de Patricio Aylwin Azocar dans les années 1990, de nouvelles solutions apparaissent avec le Programme Chile-Barrio qui promeut le développement de types d’habitat progressif (autrement dit d’habitat incrémental). En complétant les programmes précédents par une réflexion à l’échelle du quartier, cette nouvelle intervention prend en compte la mise en place de services et d’équipements municipaux (santé, écoles, aide juridique et sociale...) et introduit ainsi une qualité supérieure à celle des expériences proposées jusqu’alors. En conséquence des restrictions imposées par le régime militaire, le phénomène de “duplication des ménages” touchant près de 40% des maisons représente le défi majeur auquel se confrontent les politiques d’habitat. La production de logements sociaux est alors centrée sur les ménages les plus pauvres. Plus concrètement, ce programme se développe sous l’appellation de Programa de Vivienda Progresiva (PVP) soit Programme d’Habitat Progressif. Il se réparti en deux étapes: premièrement, suivant les modèles Sites-and-Services, le gouvernement attribue à la famille une parcelle avec un titre de propriété comprenant une unité sanitaire ; la deuxième étape consiste à financer l’ajout d’une ou deux pièces supplémentaires grâce à des subventions de l’Etat. Le financement des logements est alors réparti entre une subvention étatique, un apport personnel de base et un prêt hypothécaire. Cependant, un tel système entraîna l’endettement des familles qui ne pouvaient pas rembourser l’emprunt dans les délais prévus par le gouvernment. Le modèle de financement des maisons

schéma de phasage du PVP © MINVU (Ministère du logement Chilien)


fut alors modifié afin de diminuer l’emprunt et de le supprimer complètement dans la première étape de la construction. En réponse aux problématiques d’endettements des ménages, une nouvelle politique d’habitat donne naissance dès 2002 au programme Vivienda Social Dinamica sin Deuda (VSDsD) soit le “Logement Social Dynamique sans Dette”. L’objectif est de diminuer au maximum les coûts du logement de départ sans en diminuer la qualité. Cela se traduit alors par la construction d’une unité de vie basique minimale devant être complétée par la suite par les familles bénéficiaires. Ce programme prévoit la provision d’un logement initial de 25m2 ayant une capacité d’extension minimum de 50m2 incorporée dans le dessin initial. Il est intéressant de constater que les solutions apportées par l’agence Elemental suivent les cadres d’un programme initié au préalable par le gouvernement chilien. La réflexion sur le logement social et la résorption des bidonvilles par une stratégie d’habitat incrémental est ancrée depuis longtemps dans la culture architecturale chilienne. Les travaux de l’agence chilienne Elemental considérés comme innovants et extrêmement médiatisés aujourd’hui, sont en réalité inscrits dans la continuité logique des programmes de construction des logements sociaux au Chili. Face à une urbanisation sans précédents, ils apportent des solutions en adéquation avec une époque et une demande spécifiques.

« Una primera dificultad esta dada por la envergadura y la velocidad del proceso de urbanización. El problema no es tanto que no hayan recursos para acoger en las ciudades a esta cantidad de gente sino que la escala para la que se debe generar una respuesta es de una magnitud sin precedentes. (…) Para dar respuesta al crecimiento urbano de aquí al 2030, deberíamos ser capaces de construir, solo en los países en vías de desarrollo, una ciudad de 1 million de habitantes por semana con unidades de vivienda de $10.000 dólares, en el mejor de los casos. »47 A. Aravena & A. Iacobelli, 2012

47. “Une première difficulté est donnée par l’envergure et la rapidité du processus d’urbanisation. Le problème n’est pas tant qu’il n’y ait pas de ressources pour accueillir un telle quantité de personnes dans les villes mais que l’échelle de la réponse attendue est d’une amplitude sans précédents. (...) Pour donner une réponse à l’accroissement urbain d’ici à 2030, nous devrions être capables de construire, et ce uniquement dans les pays en voie de développement, une ville de 1 million d’habitants par semaine, moyennant, 10 000 dollars par unité d’habitation, dans le meilleur des cas.” T.d.A.

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3. e. Mise en place d’une méthode, le prototype de la Quinta Monroy

L’HABITAT INCRÉMENTAL - MFE ENSA PB

Fondée en 2000 à Havard par les architectes Alejandro Aravena, Pablo Allard et l’ingénieur Andrés Iacobelli, Elemental naît de la volonté de s’attaquer au problème du logement social au Chili. Ils mirent en place, en tant que professeurs, de nombreux ateliers expérimentaux en collaboration avec les étudiants (comme par exemple la conception d’une habitation à bas coût lors de l’atelier US$ 3,200). Conscients des futurs changements politiques en matière d’habitat social, notamment avec l’arrivée du nouveau programme Vivienda Social Dinamica sin Deuda (VSDsD), ils axèrent leurs travaux universitaires sur la question du logement social au Chili. Les résultats obtenus jusqu’alors ne prenaient pas en compte la croissance urbaine exponentielle dont souffrent les métropoles étudiées (en particulier Santiago). Les architectes, plutôt que de poursuivre la construction de prototypes d’habitat bon marché, se concentrèrent sur la fabrique d’un tissu urbain : le problème n’était plus la conception de logements individuels mais celle de logements collectifs. En partant du principe que l’édification d’immeubles de logements n’était pas envisageable (traumatisme des expériences de type Grands Ensembles), la solution adoptée fut celle d’un type d’habitat de faible hauteur, capable de s’agrandir progressivement dans le temps: el Edificio Paralelo (fig.1). La présentation du concept à plusieurs entités politiques alors en charge du programme Chile-Barrio permit à l’agence Elemental de décrocher une première commande publique : la Quinta Monroy (fig.2,3).

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Au centre de la ville d’Iquique, une centaine de familles occupaient illégalement un terrain depuis plus de trente ans, vivant ainsi “provisoirement” dans un bidonville réalisé avec des matériaux de récupération. Les nouvelles subventions de l’Etat (environ $7,500 par famille) ne suffisant pas à couvrir la construction des nouveaux logements et le prix du terrain, la seule solution était de déplacer la population vers un terrain moins cher mais très éloigné du centre. Après un an d’ajustements du projet théorique initial au cadre règlementaire défini par le programme, le processus de construction fut enclenché. Comme énoncé précédemment, le Chili bénéficie d’une politique d’habitat très développée depuis de nombreuses années. Cependant, l’agence Elemental cible trois points faibles

fig.1 axonométrie schématique de l’Edificio Paralelo de l’agence Elemental


fig.2 (à gauche) le projet dès sa livraison en 2004 (à droite) aspect du projet avec les extensions faites par les habitants en 2008 © Elemental

5m

5m

nombre de familles: 93 superficie du terrain: 5,722m2 superficie bâtie: 3,620m2 densité de population: 657 hab/m2 coût du projet: US$ 750,000

fig.3 axonométrie représentant une succession d’unités de logement de la Quinta Monroy

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auquel elle prétend apporter des solutions: premièrement, le manque d’action envers les populations les plus pauvres; deuxièmement, la mauvaise qualité des constructions et leur rapide détérioration dans le temps et troisièmement, la ségrégation due à l’éloignement des unités d’habitation. La priorité des architectes fut alors de mettre tout en oeuvre pour permettre aux familles de rester sur le même terrain. Pour cela, ils mirent en place une stratégie d’habitat incrémental, permettant de réduire le coût des unités de départ et d’acquérir le terrain. 48

L’HABITAT INCRÉMENTAL - MFE ENSA PB

Les unités de logements proposées sont composées de deux types d’habitat distincts : la maison (fig.4) et le duplex (fig.5), chacun livrés avec la possibilité d’être agrandis par les habitants49. Séparés par ce que les architectes appellent un mur mitoyen horizontal, les deux unités sont autonomes. La structure est constituée par un système poteaux-poutres en béton armé, d’éléments préfabriqués en béton pour le remplissage ou de panneaux en OSB afin de cadrer et de guider les extensions futures. Les cloisons sont d’un matériau et d’une coloration différents de la structure porteuse afin d’aider l’habitant à distinguer les éléments de remplissage pouvant être facilement modifiés.

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Le caractère expérimental du projet permit d’effectuer un grand nombre d’ateliers participatifs en amont et durant la construction afin d’affiner le dessin et de comprendre au mieux les besoins des habitants. De plus, de nombreuses visites et explications du projet facilitèrent l’appropriation des nouveaux logements par la population. Le projet fut livré en 2004, mais le processus d’extension des maisons s’effectue encore aujourd’hui. Dans ce projet pilote, les architectes sont toujours présents et supervisent le projet d’ensemble. Pour faciliter le processus d’amélioration de l’espace collectif, ce dernier est divisé et réparti par petits groupements de maisons grâce à la disposition urbaine. Des espaces plus réduits sont plus facilement appropriables par les habitants, permettant de distribuer les responsabilités et d’assurer le bon fonctionnement de l’ensemble.

48. Les architectes mettant l’accent sur la description précise des projets, toute la documentation concernant le fonctionnement et la construction de la Quinta Monroy est disponible dans leur ouvrage monographique ou téléchargeable gratuitement depuis leur site internet. Les axonométries explicatives présentées ici furent réalisées d’après les plans et coupes diffusés par les architectes. 49. Nous reviendrons sur les mécanismes économiques et fonciers développés par l’agence Elemental un peu plus tard dans ce mémoire.


La maison de plain-pied occupe une parcelle de 9x9m, l’unité d’habitation initiale est un carré de 6x6m et de 2,5m de hauteur, contenant une salle de bain, une cuisine et une pièce à usages multiples (salon, salle-à-manger). La première phase d’extension s’effectue dans l’enveloppe bâtie, seuls le remplissage des murs latéraux et la construction du plancher sont nécessaires (en rouge sur le dessin). La deuxième étape consiste à construire dans l’arrière-jardin (cette phase étant plus délicate car elle peut avoir une incidence sur l’ensoleillement et le bon fonctionnement de l’unité de départ). Chaque logement dispose d’un accès individuel depuis l’espace collectif.

5m

5m

superficie initiale : 36m2 superficie après extension : 70m2

fig.4 isolement d’une maison et perspectives d’extensions (en rouge)

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Afin d’avoir un impact réel sur l’évolution du logement social, la volonté de l’agence Elemental est d’appliquer son modèle dans le plus de cas possibles (socio-économique, géographique, topographique ou climatiques). L’ambition des jeunes architectes est de se placer dans la continuité des grandes expériences historiques en matière de logement social, à savoir la construction des quartiers expérimentaux du Weissenhofsiedlung à Stuttgart en 1927 et du PR.E.VI. à Lima en 196850. Pour cela, ils mettent en place un concours international d’architecture en proposant sept situations géographiques différentes. Architectes et étudiants répondirent massivement avec un nombre total de propositions supérieur à 500. Les sept projets gagnants furent alors considérablement remaniés pour correspondre aux normes chiliennes et réalisés ensuite par les architectes de l’agence Elemental. Malheureusement, les résultats des différentes propositions sont difficiles à consulter, seuls quelques aperçus sont disponibles sur l’ouvrage monographique de l’agence.

L’HABITAT INCRÉMENTAL - MFE ENSA PB

« Their solution was a building type that could both be inhabited right away and allow for significant changes over time. This dynamic approach would allow each family to quickly receive the benefit of a high-quality shelter, which is then expanded over time. (...) The hope is that such a model, in which customization and appreciation is achieved through gradual investment and sweat equity, will lead to a more lasting solution for social housing. » 51A. Lepik, 2010

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Depuis la réalisation de ces projets, l’agence fut engagée pour de nombreux projets dans lesquels elle répéta les schémas mis en place lors des expériences précédentes, permettant d’amplifier l’action sur le logement social à plus grande échelle. En 2010, la méthode Elemental prend un nouvelle envergure: les architectes se voient confier le plan de reconstruction de la ville de Constitución, dévastée la même année par un séisme.

50. Ces deux compétitions marquent des tournants dans l’Histoire de l’architecture car de nombreux architectes à renommée internationale se penchent en même temps sur la question du logement social. Le concours du Waissenhofsiedlung rassemblera les grands noms du Mouvement Moderne tels que Le Corbusier, L. Mies van der Rohe, P. Behrens... 3. Les sept projets gagnants qui furent réalisés sont: Antofogasta, Temuco, Chiguayante, Valdivia, Valparaiso, Copiapo et Renca. 51. “Leur solution était un type de construction qui pouvait à la fois être habitable immédiatement et modifiable significativement dans le temps. Cette approche dynamique permettrait à chaque famille de recevoir rapidement les avantages d’un abri de bonne qualité, qui serait agrandi avec le temps. (...) L’espoir est qu’un tel modèle, dans lequel la personnalisation et l’appréciation est achevée à travers un investissement graduel et à “l’huile de coude”, amènera des solutions durables pour le logement social.” T.d.A.


Le duplex est situé au-dessus de la maison et occupe une surface de 6x6m pour 5m de hauteur. Seule la moitié du volume possible est livrée, soit un volume en double hauteur de 3x6x5m. La disposition verticale du logement permet de fournir dès la livraison, les éléments techniques tels que les salles de bain ou l’accès aux étages. Structurellement, les duplex sont conçus sous forme de ‘C’ dirigé vers l’espace formé entre deux unités séparées de 3m. La première phase d’extension s’effectue ici aussi dans l’enveloppe bâtie avec l’agrandissement du plancher du deuxième niveau. Dans un second temps, l’habitant réalise les extensions en se plaçant dans le vide formé par deux duplex voisins, en s’appuyant sur la structure existante (en rouge). Dans cette configuration, l’habitant doit également construire la couverture.

5m

5m

superficie initiale : 25m2 superficie après extension : 72m2

fig.5 isolement d’un duplex et perspectives d’extensions (en rouge)

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66

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB


PARTIE 2 l’incrémentalisme, une démarche architecturale

croquis représentant une réflexion sur la façon d’incrémenter le logement: EX-pansion vs IM-pansion? © Elemental


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Chronologie

000) 80-2 9 1 R. ( .A. eS p u gro r le a ) sp 98 blé -19 4 m 7 19 e( l a i nd

mis en

29 28

Projets Sites-and-Serv ices,

5

198

0

27 1975

22 23 17 25 18 13 1970 9 19 14 5 20 10 1 15 6 16 11 2 7 12 3 8

ou Pé r

, VI E.

4

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Th

27 28 29 44

O. Uhl - Wohnen Morgen (Autriche) C. Correa - Belapur Housing (Inde) B. Doshi - Aranya Housing (Inde) Incremental Housing Strategy F. Balestra - S. Goransson (Inde)

Mu The S ddl ing cienc C. Thro e of Lin ugh dbl om

Expériences isolées

196

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26

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J. Stirling K. Svenssons H. Esquerra Atelier 5 C. Correa K. Kikutaké A. Van Eyck C. Morales G. Candilis T. Korhonen H. Ohl I. De Ozono C. Alexander M. Alvarino E. Paredes L. Miro J. Gunther B. Samper J Reiser E. Orrego L. Vier F. Vella M. Llanos F. Cooper F. Chaparro J. Crousse

198

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26

Op en Bu pla ild ce ing pa r sr la as Ba se nq ue M o

Projets issus du PREVI


Tip Pro olog E. gres ia de Ha siv D r am o , V es a oto ivi rrol end lo aS o ci a

l

The D e Great ath and Life A o J. Jaco merican Cit f ies bs 199

5

Projets de l’agence ELEMENTAL

Mise en p

0

200

201

33

lace de la méthode

2005

30 31 32 34

35 36 37 38 44 45 39 46 40 41 47 42 43 48 51 49 52 50

0

ELE

5

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201

L, C hil

Edificio Paralelo* Quinta Monroy (Chili) Copiapo (Chili)* Chiguayante (Chili)* Lo Espejo (Chili) Temuco (Chili) Antofogasta (Chili) Pudahuel (Chili) Renca (Chili) Renca III (Chili) Valparaiso (Chili) Prototype (USA)* E-House* Casa Acueducto* Arauco (Chili)* Monterrey (Mexique) Planet of S La Pintana (Chili) lums M. Davis Lo Espejo II (Chili) Barnechea (Chili) Rancagua (Chili) Villa Verde (Chili) Prototipo (Italie)*

i (2 00 4 -... )

Inc an reme to Urba ntal MI meet n Pro Hous T S the ac ing igu Gr tive , s, U ow St N W th C rateg orl halle y d U ng rba es o n F f th oru e N m ex

30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 45 46 47 48 49 50 51 52

a ven Ara dro xan 016 Ale zker 2 Prit

s tie Ci al irk dic Gu Ra Mc J.

t2

0

non-construits * sélectionnés dans le corpus projets référents

69

,


l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

1. Explication de la chronologie et du choix du corpus

70

La chronologie présentée précédemment permet de mettre en avant quelques moments phares dans l’histoire et le développement de l’habitat incrémental. La liste des projets tend à être la plus exhaustive possible et répertorie les expériences en matière d’incrémentalisme dans l’habitat sans tenir compte de la localisation géographique ou de l’époque ; le nombre de propositions relevant de cette approche architecturale étant relativement restreint. Chaque projet fut explicitement décrit par son auteur comme découlant d’une stratégie incrémentale. Le choix d’une frise chronologique circulaire permet de mettre en vis-à-vis les deux périodes les plus marquantes dans le développement de l’incrémentalisme dans l’habitat et d’établir une certaine parenté entre elles (répétition cyclique de l’histoire). La première, est définie par la mise en place du concours architectural PREVI à Lima. Bien que d’une durée limitée dans le temps, cet événement fut très prolifique en matière de variété de projets d’habitats incrémentaux. La deuxième période se caractérise par l’accumulation des projets signés par l’agence chilienne Elemental, menée par l’architecte Alejandro Aravena (Pritzker 2016). Depuis la construction en 2004 de la célèbre Quinta Monroy, Elemental a contribué à la réalisation d’un grand nombre de projets en Amérique du Sud, devenant de ce fait l’agence d’architecture contemporaine la plus productive sur la question. Certes, ces deux périodes restent des événements ponctuels dans l’histoire de l’architecture, mais la quantité de logements fournis est suffisamment conséquente pour obtenir un éventail important de solutions différentes. En complément, quelques expériences isolées ponctuent l’intervalle entre ces deux moments remarquables. Cependant, les architectes se limitent à la réalisation d’un ou de deux projets mais ne poussent pas la réflexion jusqu’à se spécialiser dans l’habitat incrémental, comme ce fut le cas récemment pour l’agence Elemental. Les difficultés de rassemblement des données évoquées dans la partie précédente (1.1.a.) ne nous permettent pas d’assurer l’exhaustivité de la liste des projets présentés ici. Ce travail de collecte des projets d’habitats incrémentaux est d’ailleurs toujours en cours sur le site internet du département architecture SiGUS du Massachussets Institute of Technology (MIT), disponible sur: http://web.mit.edu/incrementalhousing/articlesPhotographs/index.html.


Intégrés à cette chronologie, les écrits significatifs dans l’avancée d’une approche incrémentaliste en architecture sont également mis en avant. Plus ou moins marquants, ils montrent la progression de la réflexion théorique depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Le choix des projets étudiés a été motivé par la volonté d’offrir au lecteur une vision assez large des différentes démarches adoptées pour intégrer une stratégie incrémentale dans un programme d’habitat. Lesdits projets étant relativement simples en matière de conception, ils ne seront présentés que sous forme de schémas afin de clarifier la compréhension et de faciliter la comparaison entre plusieurs propositions. Plutôt que de les analyser individuellement de façon détaillée, ils seront présentés simultanément, de façon à pouvoir considérer un ensemble de propositions. Cet éventail de projets fournit une base pour l’illustration schématique des différents dispositifs présents dans l’habitat incrémental. Ainsi, le choix sera fait de ne pas développer chacune des propositions architecturales mais d’accéder à un panel plus élargi de projets pour comprendre schématiquement les principes généraux de l’application d’une stratégie incrémentale dans le logement. L’observation de la frise chronologique permettra de mettre l’accent sur les deux moments clef distingués précédemment, à savoir le PREVI et les expériences Elemental. En plus d’être les deux moments les plus prolifiques en termes de diversité de propositions architecturales, il est possible d’établir une filiation entre les solutions expérimentales des années 1970 et les solutions contemporaines. Dans un premier temps, les propositions seront étudiées individuellement pour ensuite être rassemblées en deux groupes PREVI et Elemental, afin de permettre la comparaison entre deux stratégies différentes. Quant aux quatre projets issus d’expérimentations individuelles, ils seront inclus dans l’analyse en leur qualité de références pour appuyer ou développer certains points. Les projets de l’agence Elemental seront étudiés à partir des documents fournis par les architectes dans leur ouvrage monographique52ainsi que sur la page internet officielle de l’agence53. 52. ARAVENA Alejandro et IACOBELLI Andrés. Elemental, Incremental Housing and Participatory Design Manual. Hatje Cantz. Berlin. 2012. 512p. Espagnol et Anglais. 53. Disponible sur: <http://www.elementalchile.cl>

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La sélection des projets du PR.E.VI a été quant à elle conditionnée par la documentation disponible. En effet, en dépit de l’importance et de la renommée d’un tel évènement, les analyses architecturales de l’évolution des projets se limitent à un seul ouvrage de référence54 dans lequel seuls 14 des 26 projets sont précisément décrits (en croisant les données avec d’autres articles, le projet des français Candilis et Woods a pu être ajouté à la liste). Le processus de sélection des projets du corpus sur cette liste contenant une cinquantaine de propositions s’est fait progressivement à l’aide d’une grille d’analyse (cf. annexes). Une première étape consista en l’élimination de projets identiques. Cette situation concerne exclusivement les propositions de l’agence Elemental car de nombreux projets sont répétés dans des localisations géographiques différentes tout en conservant les mêmes principes fonctionnels et conceptuels. Cette répétition de solutions architecturales se retrouve jusque dans l’appellation même des projets: Renca, Renca I, Renca II... Dans un second temps, tous les projets ont été analysés individuellement suivant les mêmes critères. Les paramètres choisis résultent de l’observation préalable des différents projets mais se basent principalement sur les schémas mis en place par le professeur chilien Edwin Haramoto 55.

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

Afin d’obtenir un panel représentatif des solutions employées par les différents architectes, les doublons ont été éliminés. Pour chaque paramètre, la proposition la plus exemplaire sera retenue, permettant de passer de vingt-neuf projets à dix-huit (neuf pour le PR.E.VI et neuf pour Elemental). Nous reviendrons plus en détail sur les différents paramètres lors du développement de l’analyse dans la suite de cette seconde partie.

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54. GARCIA HUIDOBRO Fernando, TORRES TORRITI Diego et TUGAS Nicolas. ¡El tiempo construye! : el proyecto experimental de vivienda (PREVI) de Lima : génesis y desenlace – Time Builds! : The Experimental Housing Project (PREVI), Lima : genesis and outcome. Gustavo Gili Barcelona. 2008. 160p. Espagnol et Anglais. 55. HARAMOTO NISHIKIMOTO Edwin, CHIANG MIRANDA Pamela, SEPÚLVEDA Rubén, et KLIWADENKO TREUER Iván. Tipología de desarrollo progresivo. Vivienda social [en ligne] Chile: Instituto de la Vivienda. Facultad de Arquitectura y Urbanismo. Universidad de Chile. 1987. Espagnol. Disponible sur: <http://www.libros.uchile.cl/492> (consulté le 12 février 2016)


1. a. Projets dans le cadre du PREVI

fig.1 J. Stirling

fig.2 K. Svenssons

fig.3 Atelier 5

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fig.4 J. Esquerra

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

fig.5 C. Correa

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fig.6 K. Kikutaké


fig.7 E. Morales

fig.8 A. Van Eyck

fig.9 G. Candilis S. Woods

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1. a. Projets dans le cadre du PREVI

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

A. Projets originaux

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fig.1 J. STIRLING

fig.2 K. SVENSSONS

fig.3 H. ESQUERRA

fig.4 ATELIER 5

fig.5 C. CORREA

fig.6 K. KIKUTAKE

fig.7 A. VAN EYCK

fig.8 C. MORALES

fig.9 G. CANDILIS


B. Projets après incrémentation

fig.1 J. STIRLING

fig.2 K. SVENSSONS

fig.3 H. ESQUERRA

fig.4 ATELIER 5

fig.5 C. CORREA

fig.6 K. KIKUTAKE

fig.7 A. VAN EYCK

fig.8 C. MORALES

fig.9 G. CANDILIS

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1. b. Projets de l’agence ELEMENTAL

fig.1 Quinta Monroy - Iquique, Chili (2004) 93 logements

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fig.2 Copiapo - Non Réalisé (2004) 120 logements /

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fig.3 Chiguayante - Non Réalisé (2004) 150 logements / ONA Arquitectos

fig.4 Antofogasta - Antofogasta, Chili (2008) 95 logements /


fig.5 Renca - Santiago, Chili (2008) 170 logements

fig.6 Villa Verde - Constitucion, Chili (2013) 484 logements

fig.7 Casa Acueducto - Non Réalisé (2004)

fig.8 E-House - Non Réalisé (2004)

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1. b. Projets de l’agence ELEMENTAL

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

A. Projets originaux

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fig.1 QUINTA MONROY Iquique, Chili (2004)

fig.2 COPIAPO Chili

fig.3 CHIGUAYANTE

fig.4 ANTOFOGASTA

fig.5 RENCA

fig.6 VILLA VERDE

fig.7 EDIFICIO PARALELO

fig.8 CASA ACUEDUCTO

fig.9 E-HOUSE


B. Projets après incrémentation

fig.1 QUINTA MONROY Iquique, Chili (2004)

fig.2 COPIAPO Chili

fig.3 CHIGUAYANTE

fig.4 ANTOFOGASTA

fig.5 RENCA

fig.6 VILLA VERDE

fig.7 EDIFICIO PARALELO

fig.8 CASA ACUEDUCTO

fig.9 E-HOUSE

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

2. Quels sont les dispositifs architecturaux qui définissent un habitat incrémental ?

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L’application d’une stratégie incrémentale dans la conception du logement requiert une série de conditions initiales. En décomposant chaque exemple du corpus, la répétition de certains éléments permet de créer des catégories et de rassembler les projets entre eux. Trois conditions générales émergent pour réaliser une architecture « incrémentable » : - la nécessaire division des tâches entre l’architecte et l’habitant. L’architecte ne concevant pas le logement dans sa totalité, des questions se posent : quel est le noyau élémentaire du logement présent dès la livraison, et quelles sont les parties laissées à charge de l’habitant ? - la mise en place d’une aide technique. Le corps professionnel intervient pour donner les clefs de la construction du logement et définir ainsi une base technique de qualité sur laquelle se grefferont les futures extensions. Cette aide permet la prise de relai entre l’architecte et l’habitant afin de s’assurer de la qualité d’un ensemble urbain plus vaste. - l’indispensable présence d’espaces vacants. Afin de créer des opportunités d’extensions, l’architecte a recours à plusieurs stratégies, quelles sont-elles et quelles sont leurs conséquences sur le développement futur du logement? Les projets du corpus seront analysés à travers ces trois axes, de façon à comprendre les dispositifs architecturaux qui les composent.


2. a. Définition d’un noyau élémentaire.

La répartition des rôles attribués à l’architecte et à l’habitant entraîne une réflexion sur la séparation des éléments constitutifs du logement. Les échelons d’actions ou « niveaux » présentés par J. Habraken (voire partie 1, 1.b.) illustrent cette division des tâches. L’architecte et l’habitant n’interviennent pas sur les mêmes éléments du logement. En laissant un habitat non-fini, l’architecte pose la question des priorités : quels éléments sont mis en place dès le début du processus ? Le concept d’un habitat progressif inclut automatiquement la notion d’une cellule de départ. L’unité d’habitation initiale, pour reprendre les mots d’E. Haramoto, doit comprendre plus d’éléments que la simple unité sanitaire de sorte à pourvoir une certaine qualité de vie dès la livraison de l’habitat (contrairement aux opérations radicales Site-and-Services menées par la Banque Mondiale). Afin de comprendre quelles sont les priorités de l’architecte dans l’unité d’habitation initiale, il faut déterminer quelles sont les pièces du logement présentes dès le départ et celles rajoutées a posteriori par l’habitant. L’instauration de la grille d’analyse présentée sur la page suivante, permet d’observer la constitution de l’unité d’habitation initiale pour chacun des projets. Afin de mettre en évidence les différences entre les expériences du PR.E.VI. et celles de l’agence Elemental, il est nécessaire de ramener ces deux temporalités sur un même plan et deux méthodes distinctes sont alors mises en place: - d’une part, le relevé in situ trente ans plus tard des projets du PREVI, présenté dans l’ouvrage El Tiempo Construye!57 permet d’identifier clairement pour chaque modèle, les pièces présentes dans le projet d’origine et les modifications apportées par les habitants (fig.1) ; - d’autre part, la lecture des éléments graphiques (plans et coupes) mis à disposition par l’agence Elemental dans leur ouvrage monographique58, permet d’observer les prévisions d’extensions futures faites en amont par les architectes. Cette seconde approche résulte du manque de recul sur l’évolution des constructions (moins de dix ans). Cependant, compte tenu des contraintes foncières des opérations de logements, leur extension est limitée. Ce qui réduit considérablement la marge d’erreur sur les hypothèses de croissance des logements (fig.2).

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

La grille d’analyse présentée par la suite permet de définir les éléments constitutifs de l’unité d’habitation initiale constamment présents dans chacun des projets analysés. La taille de départ varie entre les projets du PR.E.VI et d’Elemental ; tandis que les schémas d’usage des projets Elemental sont sensiblement réduits au strict minimum, les réalisations du PREVI présentent un nombre plus important de pièces dans l’unité de base. De plus, les surfaces initiales sont en moyenne de 80m2 pour le PREVI contre seulement 40m2 pour Elemental. Les noyaux de base instaurés par les architectes sont les suivants: PR.E.VI. Elemental 1 salle de bain 1 salle de bain 1 cuisine 1 cuisine 1 salon / séjour 1 salon / séjour 2 chambres

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En se plaçant dans des conditions de précarité extrême, le choix des pièces présentes dans les unités de base s’effectue par élimination. Le professeur chilien Edwin Haramoto, définit cette unité de base dès 1987, comme comprenant un noyau sanitaire minimum (salle de bain et cuisine) et un espace à usage multiple. Or, cette définition s’applique toujours aujourd’hui et correspond à l’unité minimale établie par l’agence Elemental dès 2004. Dans la mise en place du prototype de la Quinta Monroy, les membres de l’équipe Elemental guidèrent les ateliers participatifs en ciblant les pièces utilisées par les familles en amont et en proposant une série de choix pragmatiques entre un dispositif et un autre. La notion de priorité entre ici en compte, partant du principe que le montant des subventions de l’Etat ne permette pas d’obtenir la totalité des paramètres d’un seul tenant. La séparation drastique entre les éléments constitutifs des unités de base conduisirent parfois à des questions quelque peu autoritaires: « chauffe-eau ou terrain? » 56. L’architecte, en simplifiant les problèmes de la sorte, se place dans une position délicate de généralisation des usages pouvant conduire à une fausse analyse mais permettant tout de même de définir un noyau de vie basique sur lequel concentrer les efforts architecturaux. Le caractère expérimental du projet PR.E.VI. a permis aux architectes de travailler avec un budget conséquent pour la mise en place de leurs prototypes (financements par le gouvernement 56. “votación:¿calefón o suelo?(porque el dinero no alcanza para ambos)” A. Aravena, 2012 (vote: chauffe-eau ou terrain? (car il n’y a pas assez d’argent pour les deux T.d.A.)


fig. 1 relevé in-situ des modifications apportées par les habitants au terme de trente ans d’occupation; ici, le cas d’un logement signé par l’architecte J. Stirling. © F. Garcia-Huidobro 57

Rez-de-Chaussée

fig.2 prévision, par les architectes, d’aménagement des maisons par les futurs habitants (projet Antofogasta, 2008) © Elemental 58

Premier étage

57. GARCIA HUIDOBRO Fernando, TORRES TORRITI Diego et TUGAS Nicolas. ¡El tiempo construye! : el proyecto experimental de vivienda (PREVI) de Lima : génesis y desenlace – Time Builds! : The Experimental Housing Project (PREVI), Lima : genesis and outcome. Gustavo Gili Barcelona. 2008. 160p. Espagnol et Anglais. 58. ARAVENA Alejandro et IACOBELLI Andrés. Elemental, Incremental Housing and Participatory Design Manual. Hatje Cantz. Berlin. 2012. 512p. Espagnol et Anglais.

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péruvien et les Nations Unies). De cette façon, les unités d’habitation initiales bénéficient d’une superficie plus généreuse et sont de fait directement habitables par les familles (ce qui n’est pas le cas dans les projets Elemental). Cette différence pourrait en partie expliquer l’apparition de nouvelles activités dans la maison matérialisées par la création de commerces ou de bureaux.

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

Cependant, tous les architectes s’accordent pour livrer un noyau de vie basique comprenant a minima une salle de bain et une cuisine, démontrant une réflexion commune sur le raccordement aux réseaux d’eau et d’assainissement, placé en priorité. L’identité conceptuelle de certains projets est d’ailleurs basée sur la définition architecturale de ces pièces humides. Les stratégies mises en place diffèrent selon les cas et nous en retiendrons deux principales: La première (et plus répandue) consiste à définir de façon claire les emplacements des futures pièces humides (fig.3). L’habitant est ainsi guidé dans la conception des extensions via le dessin initial. La deuxième stratégie réside à mettre en place une bande humide (et souvent technique, comprenant les escaliers par exemple) sur laquelle viennent se greffer les extensions futures. La E-House d’Elemental en est un exemple emblématique car ici, seule la bande technique est bâtie (fig.4.a). En poussant cette approche à l’extrême, l’exemple de la Casa Acueducto (fig.5) est frappant: l’habitant se charge ici de la totalité de la construction de son logement. Le professionnel n’intervient alors que dans la mise en place d’une stratégie infrastructurelle reliant tous les logements entre eux et définissant le parcellaire, une démarche radicale, similaire à celle des projets Site-and-Services de la Banque Mondiale.

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Cependant, dans le cas d’un habitat progressif, la perspective d’extension de l’habitat influe sur les standards minimum de confort. Les habitants acceptent plus facilement de voir leur confort diminué grâce à la projection du logement futur. Le stade initial de la maison est un premier pas vers son amélioration et l’aspect inachevé de la maison est alors compris comme une étape de transition.

« The issue of standards is rather relative, flexible and open-ended in the works undertaken by the users or dwellers ; who could accept modest standards at the beginning of occupancy, with a view to possible future upgrading and betterments.»59 A-K. Nasamat & S. Ettouney, 2010 59. “Le problème des standards est plutôt relatif, flexible et infini dans les chantiers entrepris par les usagers ou habitants; qui pourraient accepter des standards modestes au début de l’emménagement, avec la perspective d’une possible amélioration future.” T.d.A.


QUINTA MONROY

K. SVENSSONS

COPIAPO

H. ESQUERRA

CHIGUAYANTE

ATELIER 5

ANTOFOGASTA

C. CORREA

RENCA

M. KIKUTAKE

VILLA VERDE

A. VAN EYCK

EDIFICIO PARALELO

E. MORALES

CASA ACUEDUCTO

G. CANDILIS

E-HOUSE

Pr.E.Vi. graphique représentant les différentes pièces du logement: - livrées dès la phase initiale (en noir) - ajoutées a posteriori par l’habitant (en rouge) afin de donner à voir les unités d’habitation minimum définies par les architectes ainsi que la façon dont les habitants implémentent leur logement.

rce bur eau co m me

sa l le d cui e bain sin e sé j our ch a mb re

rce bur eau co m me

sa l le d cui e bain sin e sé j our ch a mb re

J. STIRLING

ELEMEntaL

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fig.3 Définition claire et superposition des emplacements de pièces humides, facilitant la mise en place de futures salles de bain et cuisines. PREVI - C. Correa

fig.4.a La maison se résume à une bande technique rassembant les pièces humides ainsi que les accès aux futurs étages. E-House - Elemental

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

fig.4.b. Les espaces servants sont également concentrés dans une bande technique. PREVI - Kikutaké

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fig.5 croquis représentant le projet de la Casa Acueducto en rouge, le système de raccordement aux réseaux mis en place par l’architecte pour ‘ordonner’ le quartier constitué de constructions informelles. © Elemental


2. b. Mise en place des éléments structurels.

En analysant simultanément les expériences du PR.E.VI. et celles de l’agence Elemental, la différence en terme de générosité d’espace et en nombre de pièces initiales est nette. A la suite de trente ans de continuelles modifications, les projets du PR.E.VI. constituent une base de données riche pour comprendre globalement quelles sont les extensions effectuées par les habitants. Quels sont alors les moyens mis en place par les architectes pour guider ces futures extensions? La deuxième caractéristique d’un habitat incrémental se trouve dans la mise en place d’éléments structurels servant de base pour les extensions futures du logement. Différentes stratégies peuvent être adoptées par les architectes qui fournissent plus ou moins d’éléments à l’habitant, engendrant ainsi des extensions de natures variées. Le partenariat entre professionnels et usagers dans le cadre d’un logement incrémental se matérialise dans la prise de relais entre l’architecte et l’habitant. Le concepteur laisse les clefs de son ouvrage et doit pour autant être le plus préventif possible. L’habitat étant perçu comme un processus, il est ainsi amené à être modifié et réinterprété avec le temps. La structure initiale doit donc être préparée et conçue pour accueillir toutes sortes d’interprétations afin de prévenir différents scénarii d’extensions possibles. Comme pour les usages des pièces du logement, la notion de priorité entre également en jeu concernant les éléments structurels à mettre en place dès la phase initiale de construction. Les stratégies diffèrent selon les architectes et les projets, et nous les regrouperons en quatre systèmes: le système ouvert (fig.1), le système clos (fig.2), le système couvert (fig.3) et le système fermé (fig.4). Dans l’hypothèse la plus radicale d’un système ouvert (fig.1), seule la structure est présente. Le squelette du bâtiment est à nu, prêt à supporter toute sorte d’usages et d’interprétations. C’est la stratégie adoptée par l’architecte allemand Ottokar Uhl dans son projet Wohnen Morgen (Autriche, 1976). L’habitat est présenté sous la forme d’une superstructure de portiques espacés de 5m dans laquelle viennent s’insérer des éléments préfabriqués, assemblés entre eux par les habitants eux-mêmes suivant leurs besoins et leurs moyens. Rappelant la maison Dom-Ino de Le Corbusier, cette 89


l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

économie architecturale satisfait les esprits les plus théoriques mais reste cependant une solution difficile à mettre en oeuvre lorsqu’il s’agit de loger des personnes, d’autant plus si celles-ci sont en situation de précarité économique puisque toute l’enveloppe reste à définir. A l’inverse, un système totalement fermé (fig.4) dans lequel le clos et le couvert seraient déjà définis semble, au premier abord, contraire à la notion d’incrémentalisme. Or, si l’on s’en tient à la définition qui serait un ajout progressif de surface habitable, il est possible de comptabiliser l’augmentation de la surface de plancher à l’intérieur même de l’enveloppe du logement. Les logements Renca de l’agence Elemental en sont un bon exemple. En effet, le clos couvert est déjà en place ainsi que la structure primaire sur laquelle pourront s’appuyer les futurs planchers.

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L’architecte, en livrant un clos couvert dès la phase initiale, décharge l’habitant de la responsabilité d’entreprendre des travaux trop importants. Dans quelques projets, la stratégie adoptée par l’architecte prend en compte la construction de la toiture, considérée par certains comme étant l’un des éléments les plus complexes à mettre en place par l’habitant (ou plus coûteux). Il en va de même pour l’accès aux étages, facilitant ainsi les extensions qui restent de l’ordre du remplissage et du second-oeuvre. En plus de fournir les murs latéraux, le projet Villa Verde (fig.2) définit la toiture, donnant ainsi un cadre aux extensions futures et une forte identité architecturale au projet d’ensemble. A l’inverse, le projet de Charles Correa pour le PR.E.VI. (fig.3) donne priorité à la construction des murs de façon à fournir la structure nécessaire à l’ajout d’étages supplémentaires, privilégiant ainsi une extension verticale. L’incrémentalisme imposé à des populations en situation économique précaire, oblige les habitants à avoir recours à l’auto-construction ; dans une telle situation, la provision du clos et du couvert peut avoir une influence considérable sur le bon déroulement du processus de construction. Deux stratégies différentes sont adoptées par les architectes du PR.E.VI. et de l’agence Elemental. En effet, les unités de base mises en place par les architectes du PR.E.VI. formant déjà des habitations complètes, l’habitant qui décide d’implémenter sa maison est alors en charge de construire le clos couvert. Ainsi, les extensions sont perçues comme un complément du logement ; une possibilité et non une nécessité. A l’inverse des « demi-maisons » fournies par l’agence Elemental. Ici, le logement est incomplet par définition. La cellule de base du logement ne suffisant pas à loger convenablement


fig.1 l’habitat est livré sous forme de super-structure Wohnen Morgen - F. Kusmisch

fig. 2 la toiture est assurée dès le départ Villa Verde - Elemental

fig.3 le ‘clos’ est assuré PREVI - C. Correa

fig.4 toute l’enveloppe est fournie dès la livraison Renca - Elemental

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

une famille, cette dernière se voit obligée de terminer son logement. D’apparence plus cadrés et laissant moins de place à l’interprétation que les projets mis en place pour le PREVI, les logements Elemental contraignent et cadrent davantage les extensions faites par l’habitant.

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Le passage de relais entre le concepteur et l’habitant est l’une des dimensions les plus délicates dans un projet incrémental. La lisibilité et la compréhension des systèmes constructifs qui composent le logement sont alors indispensables au bon déroulement des extensions futures, et doivent permettre de limiter les dysfonctionnements et les malentendus structurels. Pour assurer cette compréhension, plusieurs techniques peuvent être mises en place : - la différenciation visible entre les éléments porteurs et de cloisonnement, permet à l’habitant de comprendre instantanément où peuvent s’effectuer les extensions (fig.1); la définition de la structure initiale inclut ainsi des parties inamovibles, tels que les éléments structurels; et des parties mobiles, telles que les cloisons qui, suivant le dessin architectural choisi, permettront d’orienter les choix futurs de l’habitant. - une trame régulière suivant les dimensions du marché (fig.1,2); la préfabrication des éléments de structure joue en effet un rôle prépondérant dans la mise en place d’une stratégie incrémentale. En proposant des systèmes régis par les dimensions standard présentes sur le marché de la construction, de préférence manutentionnables, les architectes facilitent la tâche des habitants en permettant une construction non-mécanisée, ne nécessitant pas l’utilisation d’outillage trop complexe. - la mise en relief des éléments structurels; l’architecte laisse les éléments structurels apparents afin d’orienter et de guider les extensions futures. Ainsi, l’architecte néerlandais Aldo Van Eyck dans sa proposition pour le PR.E.VI., conçoit les prémices des murs du deuxième niveau (fig.5) ; tandis que les français Candilis et Woods laissent les poutres apparentes afin de permettre aux habitants de construire la couverture ou un nouveau plancher (fig.7). Pour anticiper au mieux les altérations des projets initiaux, et garantir la pérennité de l’ouvrage, l’architecte a souvent recours au sur-dimensionnement des éléments structurels (fig.6). L’anticipation des modifications futures est également une manière pour l’architecte d’orienter le développement des logements dans le temps et de les inclure ainsi dans un contexte urbain dense.


fig.5 les murs remontent pour appuyer les futures extensions PREVI - A. Van Eyck

fig.6 la structure est plus généreuse pour permettre d’éventuelles surcharges PREVI - H. Esquerra

fig.7 les éléments structurels sont apparents pour faciliter les futures extensions PREVI - G. Candilis

fig.8 des dispositifs architecturaux sont ajoutés à l’avance Incremental Housing Strategy - F. Balestra S. Goransson

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2. c. Présence indispensable d’espaces libres.

Tout aussi importante que la construction des ‘pleins’ la disposition des ‘vides’ est primordiale dans une approche incrémentaliste du logement. En choisissant de ne pas construire à certains endroits, l’architecte guide et oriente les développements futurs du projet, témoignant ainsi d’une vision plus globale, questionnant l’impact sur l’environnement urbain. Dans le cadre de l’habitat incrémental, la perspective de croissance et d’amélioration dans le temps long modifie la perception qu’a l’habitant de son logement. L’habitat est perçu comme un processus et non comme un objet fini, en continuelle modification. Les usagers sont alors contraints de vivre en permanence dans un état de transition. Cependant, la projection dans le futur permet à ces derniers d’accepter un confort limité à la livraison du logement car il ne s’agit pas d’une situation permanente. De cette façon, la dimension minimum de la cellule initiale est compensée par la présence d’espaces vacants ‘à incrémenter’ offrant la possibilité d’étendre le logement et d’atteindre des standards plus élevés avec le temps.

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

« La existencia de un terreno proprio en la vivienda unifamiliar compensa su tamaño mínimo, sirviendo de espacio adicional o como lugar para futuros crecimientos. »60 E. Haramoto, 1995

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Afin de comprendre les différentes stratégies mises en place par les architectes pour guider les processus d’extensions, les propositions architecturales seront réparties en schémas d’expansion découlqnt des quatre systèmes ouvert, clos, couvert et fermé exposés dans la sous-partie précédente. A la différence du principe de core house, s’appliquant essentiellement à la maison individuelle, l’habitat incrémental inclut le contexte urbain alentours. La disposition des espaces libres autour de l’unité d’habitation initiale est ainsi le résultat d’une stratégie de développement à l’échelle du quartier. C’est pour cela que seront exclues les solutions ne définissant aucune limite parcellaire dès le stade de départ, car elles seront considérées comme ne présentant pas de réflexion en termes de densité urbaine et de relation au voisinage. 60. “L’existence d’un terrain propre à la maison individuelle compense sa taille minimale en servant d’espace additionnel ou d’emplacement pour les extensions futures.” T.d.A.


fig.1 les limites de parcelle ne sont pas définies, l’habitant peut étendre son logement dans toutes les directions PREVI - K. Kikutaké

fig.2 toute la parcelle est occupée, l’extension s’effectue verticalement PREVI - H. Esquerra

fig.3 système de patios à remplir PREVI - J. Stirling

fig.4 espaces libérés en façade Chiguayante - Elemental

fig.5 l’extension s’effectue à l’intérieur même de l’enveloppe qui est déjà définie Renca - Elemental

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

L’analyse individuelle de chaque projet présent dans le corpus fait apparaître cinq catégories. La définition de ces groupes s’inspire des travaux effectués par le professeur Edwin Haramoto dans son ouvrage sur l’Habitat Progressif 61 (fig.6).

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Les stratégies d’extension sont variées et ont des impacts urbains et des conséquences différentes sur l’environnement proche. Tout d’abord, lorsque les limites parcellaires ne sont pas définies par l’architecte, comme c’est le cas dans le projet PR.E.VI. de l’équipe japonaise de K. Kikutaké (fig.1), l’habitant est à la charge des extensions du clos couvert. Les extensions du logement sont en premier lieu de nature horizontale car l’augmentation de la superficie du logement se fait à travers de nouvelles constructions sur la parcelle existante. L’emprise foncière du logement s’en trouve modifiée et le cadre règlementaire doit être capable d’autoriser et de contrôler ces extensions. Une plus grande responsabilité est laissée à l’habitant en matière de définition fonctionnelle du logement. En effet, la conception des extensions est peu encadrée et l’habitant doit être capable, ou guidé, pour construire un habitat sain et sûr (ventilation, structure, circulations...). Alors qu’une extension horizontale aborde des problématiques de caractère architectural en conditionnant le fonctionnement spatial ainsi que les qualités en matière d’ensoleillement et de ventilation, une stratégie d’extension verticale pose quant à elle des questions d’ordre structurel. En effet, l’implémentation d’un logement par étages implique la création d’un nouveau clos couvert en superposition à la structure existante. La conception des extensions n’étant pas forcément contrôlée par l’architecte, ce dernier doit pouvoir prévoir différents scénarii et dimensionner la structure initiale de façon à ce qu’elle supporte un ou deux niveaux supplémentaires. Une extension verticale peut être incitée par une occupation totale de la parcelle et la présence d’une toiture terrasse (fig.2), la présence d’éléments structurels (murs, poutres fig.6,7) ou architecturaux (escaliers - fig.7). Mais une telle stratégie implique également des questions relatives au voisinage. En effet, si les maisons s’agrandissent d’un ou plusieurs étages, le paysage urbain s’en trouve considérablement modifié ainsi que les relations entre deux maisons voisines (ensoleillement, proximité).

fig.6 illustrations schématiques des différentes stratégies d’extension dans le logement progressif © E. Haramoto

61. HARAMOTO NISHIKIMOTO Edwin, CHIANG MIRANDA Pamela, SEPÚLVEDA Rubén, et KLIWADENKO TREUER Iván. Tipología de desarrollo progresivo. Vivienda social [en ligne] Chile: Instituto de la Vivienda. Facultad de Arquitectura y Urbanismo. Universidad de Chile. 1987. Espagnol. Disponible sur: <http://www.libros.uchile.cl/492> (consulté le 12 février 2016)


Une troisième stratégie consiste à compléter un périmètre pré-défini à travers le remplissage de patios. Cette approche doit être précisément conçue en amont car une mauvaise interprétation peut engendrer des problèmes en terme de fonctionnement et d’ensoleillement. En mettant en place un patio central, l’architecte britannique James Stirling permet aux usagers de combler les patios annexes afin de gagner de la surface en rez-de-chaussée et de créer un plancher pour un éventuel étage supplémentaire (fig.3). La stratégie adoptée plus communément par l’agence Elemental consiste à combler un volume vertical, autrement dit, de compléter les façades (fig.4). L’extension s’effectue alors latéralement, et l’habitant peut augmenter la surface habitable de chaque niveau. Cette approche résulte de la volonté de l’architecte de fournir le plus d’éléments possible et d’éviter à l’habitant d’entreprendre des travaux trop importants. Ainsi, les escaliers, la toiture et les murs latéraux sont initialement présents, et l’habitant ne peut agir que sur le remplissage et la construction de nouveaux planchers intérieurs. Cette approche permet également de mettre en place un cadre urbain plus restrictif et d’éviter les débordements éventuels sur l’espace public. Enfin, une dernière méthode consiste en une extension à l’intérieur du logement. Dans ce cas, l’habitant peut uniquement construire de nouveaux planchers mais l’écriture urbaine est déjà définie dans le projet architectural initial. Ces différentes stratégies peuvent se combiner, comme c’est le cas pour la majorité des projets PR.E.VI., donnant à l’habitant un éventail plus important de possibilités d’extensions. Allant de l’extension d’une pièce à la construction à l’identique d’un étage complet, la capacité du logement à s’étendre dépend des possibilités créées par le dessin initial de l’architecte ainsi que du cadre règlementaire appliqué dans le quartier. L’avortement du projet expérimental du PR.E.VI. a empêché la mise en place d’un règlement urbain et bien que la plupart des extensions se soient effectuées naturellement et sans conflit, certaines extensions empiètent sur l’espace public, conduisant à des rapports de voisinage conflictuels et à l’altération du schéma urbain. Le choix des stratégies d’extensions effectué par les architectes a permi la multiplication des surfaces habitables par deux ou par trois. A l’inverse, les projets de l’agence Elemental (notamment en ne permettant pas une extension verticale), limitent les extensions par le biais d’un encadrement plus important mais aussi de dimensions foncières extrêmement restreintes.

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

3. Répartition des rôles entre architecte et habitant.

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En développant le concept de “la moitié d’une bonne maison”, l’agence Elemental véhicule l’idée selon laquelle l’architecte serait en charge de 50% de la conception du logement dans le cas d’un habitat incrémental. Cependant, en comparant les surfaces initiales et les surfaces prévues après extension, force est de constater que cette séparation des rôles est loin d’être si équilibrée pour chacune des propositions étudiées dans le corpus. Entre un habitat réalisé en auto-construction et un logement classique dans lequel tout est fourni dès le départ, il est nécessaire d’établir des nuances. De la solution la plus extrême, matérialisée par les opérations de découpage parcellaire Sites-andServices, jusqu’au projet Renca du groupe Elemental limitant l’extension au volume de l’enveloppe initiale ; la part de construction prise en charge par l’habitant est effectivement plus ou moins importante. Le schéma présenté ci-contre classe les propositions en fonction du degré d’implication de l’architecte (ou, à l’inverse, de l’habitant) dans la conception et la réalisation du logement. Il révèle ainsi que la répartition des rôles entre professionnels et usagers correspond rarement au ratio 50/50 présenté par l’agence Elemental mais présente au contraire de nombreuses nuances.


AUTOCONSTRUCTION

architecte

habitant

100% Site-and-Services Core Houses Elemental - Casa Acueducto

architecte

habitant

logement incrémental

0%

25% 75%

Elemental - E-House Elemental - Quinta Monroy (duplex) J. Stirling - PREVI H. Esquerra - PREVI C. Correa - PREVI K. Kikutaké - PREVI A. Van Eyck - PREVI G. Candilis - PREVI

architecte

habitant

50% 50%

Elemental - Quinta Monroy (maison) Elemental - Antofogasta Elemental - Copiapo Elemental - Renca Elemental - Villa Verde Elemental - Edificio Paralelo C. Morales - PREVI Atelier 5 - PREVI Elemental - Chiguayante

architecte

habitant

logement CLASSIQUE

75% 25%

K. Svenssons - PREVI

Open Buildings

architecte

habitant

100% 0%

schéma présentant la répartition de la responsabilité dans la construction du logement entre l’architecte (noir) et l’habitant (rouge) pour chacun des projets du corpus d’étude.

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3. a. Une architecture auto-explicative.

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La mise en place d’une stratégie incrémentale induit de fait que l’architecte laisse une part de la conception et de la réalisation du logement à l’habitant. En laissant le projet aux mains de l’habitant, l’architecte doit pouvoir pallier à tout malentendu structurel pouvant causer de lourds dommages ; il doit donc avoir conscience que chaque détail peut faire l’objet d’interprétations de la part des futurs propriétaires. L’architecte se positionne alors dans une démarche prospective de l’évolution du logement et met en place une série de scénarii d’occupation, qui l’aideront à prévoir un éventail de modifications éventuelles du dessin initial. C’est le cas par exemple de la proposition de James Stirling pour le PR.E.VI. (fig.1). L’architecte britannique projette plusieurs variantes fondées sur une même unité d’habitation initiale, non seulement pour communiquer au jury du concours les intentions projectuelles mais également pour, d’une certaine manière, anticiper les interprétations des futurs usagers. Ces dessins architecturaux et constructifs auraient dû être transmis aux habitants afin de poursuivre convenablement le processus d’extension. Malheureusement, le changement de régime politique ayant fait avorter le projet, ces notices explicatives n’ont pas pû voir le jour. L’architecte urbaniste Peter Land, en charge de la supervision du projet le déplore dans un entretien de 2008:

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“The conversion of the PREVI site office and workshop into an active centre offering practical technical assistance to house owners in maintenance and expansion was not put in place as it was planned. A set of architectural and construction drawings should have been issued to each house buyer at the time of purchase but was not. The drawings would have informed the buyer of the architect’s design intentions for each house type and provided important space and technical guidance for future expansion to maintain integrity and structural continuity, essential for sismic standards.” 62 P. Land, 2008 62. “La conversion du bureau et atelier du PREVI en un centre actif offrant une assistance technique et pratique aux propriétaires dans l’entretien et l’extension ne fut pas mise en place comme c’était prévu. Une série de dessins architecturaux et constructifs auraient dû être transmise à chaque propriétaire au moment de l’achat mais ne le fut pas. Les dessins auraient informé les propriétaires des intentions architecturales de chaque type de maison et auraient représenté un important guide technique et spatial pour les futures extensions, maintenant l’intégrité et la continuité structurelle, essentielles concernant les exigences sismiques.” T.d.A. Peter Land dans : GARCIA HUIDOBRO Fernando, TORRES TORRITI Diego et TUGAS Nicolas. Time Builds! : The Experimental Housing Project (PREVI), Lima : genesis and outcome. Gustavo Gili Barcelona. 2008. 160p. Espagnol et Anglais.


fig.1 scenarii d’évolution du logement © J. Stirling - PREVI

fig.2 mauvaise interprétation structurelle: les panneaux préfabriqués de parement de façade sont utilisés comme éléments d’appui structurel. K. Svenssons - PREVI © Garcia Huidobro, El Tiempo Construye!

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Initialement, les abris de chantier devaient se pérenniser en se transformant en bureaux de contrôle technique en charge du suivi des extensions et des modifications futures. Ces dispositions, pourtant nécessaires dans une telle approche architecturale, n’ayant pas pu être prises, une série d’aberrations constructives et structurelles s’observent à présent dans les logements. Par exemple, les panneaux en béton préfabriqués servant de revêtement de façade dans les logements conçus par K. Svenssons furent interprétés comme des éléments porteurs (fig.2). Les habitants s’appuyèrent sur ces éléments pour ajouter un ou plusieurs étages, engendrant bon nombre de pathologies structurelles par la suite. Ces mauvaises interprétations structurelles auraient pu être évitées car en plus des notices et du bureau de contrôle technique, les moules de coffrage des éléments préfabriqués et l’outillage utilisés pour la construction des prototypes auraient dû être mis à disposition des habitants, mais pour les mêmes raisons, ils furent évacués dès la fin du projet.

“Some houses appear to have not followed sound design and technical principles in their growth, which is against the interest of both the owners and the community. Basic urban planning regulations are desirable to limit expansion and to shape urban growth so that in the long run the built environment is safe, healthy and attractive.”63 P. Land, 2008

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Etonnamment pourtant, la majeure partie des modifications apportées par les habitants au cours du temps, atteste de l’intelligence constructive de ces derniers mais aussi de la clarté des éléments architecturaux livrés au départ. En règle générale, les habitants sont parvenus, sans explication ni notice préalable, à amplifier leurs logements sans rencontrer de problèmes techniques trop importants.

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Lorsque l’auto-construction est, d’une certaine manière, imposée aux habitants (car ils n’ont pas les revenus nécessaires pour faire appel à des professionnels par exemple), l’architecture des logements doit être d’autant plus explicite pour faciliter les extensions faites avec une main d’oeuvre peu ou pas qualifiée. Dans le cas courant d’une amélioration de bidonville, l’architecture formelle doit être capable d’intégrer les techniques et les matériaux déjà connus et maîtrisés par les familles. Ainsi, le processus d’extension sera 63.”Certaines maisons ne semblent pas avoir suivi les principes de conception technique dans leur accroissement, ce qui va à l’encontre de l’intérêt des propriétaires et de la communauté. Un cadre règlementaire basique est préconisé pour limiter l’expansion et donner forme à la croissance urbaine de sorte à fournir sur le long terme, un environnement sûr, sain et attirant.” T.d.A.


plus rapide, étant donné que le professionnel s’adapte aux méthodes constructives déjà en place. Dans une opération in situ, les extensions sont réalisées immédiatement, grâce à la réutilisation des matériaux des constructions informelles précédentes, comme le souligne la chercheuse chilienne Margarita Greene:

« Incremental improvement of the houses. Available evidence indicates that immediately after taking possession of a basic house nucleus, beneficiaries expand it using the precarious materials of their previous dwelling or other, generally recycled, materials that are easy to install. » 64 M. Greene & E. Rojas, 2008 Les capacités constructives de chacun doivent alors être prises en compte afin de mettre en place un important travail d’accompagnement des familles concernées. Le processus participatif enclenché doit être dynamique et rassurant de façon à tirer le maximum du potentiel d’auto-construction des familles. Pour accélérer et faciliter la construction des logements, l’architecte préconise l’utilisation de procédés simples et efficaces, dont la mise en oeuvre ne nécessite pas ou peu d’intervention et de connaissances constructives spécifiques permettant à chacun de concevoir et de réaliser les extensions nécessaires selon les moyens dont il dispose. Les propositions de l’agence Elemental (comme nous l’avons évoqué précédemment), en étant pour la plupart destinées à des populations en situation précaire, nécessitent des méthodes d’auto-construction. L’attention portée à l’accompagnement technique des familles est plus marquée que dans les projets du PR.E.VI. (qui considérait les extensions non pas comme un processus urgent, mais plutôt comme une possibilité d’évolution). L’architecte n’étant pas présent lors des phases d’extension des logements, les projets doivent être les plus clairs possible afin de diminuer les risques structurels et fonctionnels dans le futur. L’architecture est alors perçue comme un cadre plutôt que comme un point de départ:

« Seria deseable que la arquitectura evitase el potencial caos que puede generar la auto-construcción y fuese de alguna manera auto-explicativa, para guiar el proceso de ampliación. »65 A. Aravena & A. Iacobelli, 2012 64. “Améliorations incrémentales des logements. Les preuves disponibles indiquent qu’immédiatement après avoir pris possession d’une unité d’habitation basique, les bénéficiaires l’étendaient en utilisant le matériel précaire de leur logement précédent ou d’autres matériaux, généralement recyclés, faciles à mettre en oeuvre.” T.d.A. 65. “Il serait souhaitable que l’architecture évitât le chaos potentiel que peut engendrer l’auto-construction et fusse, d’une certaine manière, auto-explicative pour guider le processus d’extension.” T.d.A.

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

La construction de la Quinta Monroy s’effectua dans les conditions exceptionnelles que permet son statut de prototype. En effet, afin de prévenir tout dysfonctionnement éventuel dans le processus d’extension des logements, les architectes purent mettre en place une série d’ateliers pédagogiques pendant la phase de chantier, et transmettre ainsi les clefs de la conception architecturale aux habitants eux-mêmes. Les explications faites en amont sur le papier étaient données alors à l’échelle réelle, diminuant ainsi les risques dus à l’incompréhension des systèmes constructifs utilisés dans les bâtiments.

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Les illustrations de la page ci-contre présentent un tout autre projet, supervisé par l’architecte Balkashrina Doshi en 1989 en Inde, dans la province d’Indore. Il fut chargé de la conception du plan urbain de la municipalité d’Aranya qui prévoyait l’arrivée massive de populations rurales vers le centre urbain. Afin d’anticiper la future multiplication du nombre d’habitants, et en réponse au manque de ressources du gouvernement, la maîtrise d’ouvrage opta pour une stratégie de développement incrémental. Dans la continuité des projets Site-and-Services, la majeure partie du dessin urbain se limita à la mise à disposition d’équipements publics et d’un réseau hiérarchisé de voiries. Le terrain est divisé en parcelles, toutes raccordées aux réseaux urbains et comportant une unité sanitaire comme seul élément bâti. Cependant, les ambitions de l’architecte dépassaient les attentes de la maîtrise d’ouvrage en terme de définition des unités d’habitation. Principalement à destination des populations les plus pauvres, l’intégralité des logements ne pouvait pas certes, être édifiée d’un seul tenant en raison de l’insuffisance de subventions étatiques. L’architecte décida alors de mettre en place un catalogue d’éléments de construction et d’ornement, à combiner par la suite, en fonction des besoins et des envies individuelles. Seules 80 maisons-types furent édifiées simultanément au tracé urbain. À vocation démonstrative, ces prototypes à échelle 1:1 servaient d’exemples pour l’utilisation des différents éléments architectoniques prévus par l’architecte (fig.1,2). Malheureusement, plusieurs écrits sur le projet rapportent que les intentions architecturales ne purent pas être mises en place en raison d’un manque de financement des éléments préfabriqués et de l’outillage nécessaires.


fig.1 © B. Doshi

fig.2 (à gauche) définition parcellaire à la manière des projets Site-and-Services. (à droite) vue d’ensemble des 80 maisons-types, construites à titre d’exemples. © Pandya Yatin

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3. b. L’auto-construction dans l’habitat incrémental, une nécessité ?

Contrairement aux idées reçues, l’auto-construction comprise comme l’action directe de l’habitant dans la construction de sa propre maison n’est pas un pré-requis dans une construction incrémentale. En effet, l’augmentation de surface habitable n’implique en aucun cas que les extensions doivent être effectuées par l’habitant lui-même. Un suivi architectural tout au long du processus d’implémentation de la maison peut être envisagé, par l’architecte initiateur du projet ou bien un autre. De plus, dans la plupart des projets analysés, une fois l’habitat livré, de nombreuses extensions furent effectuées en faisant appel à des professionnels de la construction.1

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

« Menos de un 30% de las ampliaciones fueron realizadas por los propietarios ; la mayor parte de ellas, la realizaron profesionales contratados o terceros ajenos al grupo familiar del propietario, lo que indica una incorporacion creciente de mano de obra calificada. »66 A. Aravena & A. Iacobelli, 2012

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L’auto-construction est sans conteste un processus millénaire ayant prouvé son efficacité à travers les âges et ce, jusqu’à présent. L’établissement d’une ville se fait de manière progressive et les tissus urbains issus des constructions vernaculaires visibles aujourd’hui sont le résultat d’un processus lent fait d’ajustements subtils qui s’harmonisent avec le temps. Cependant, la sédimentation des tissus urbains ne peut s’effectuer que sur un temps très long et la croissance précipitée de nos villes contemporaines entrave ce mécanisme. L’auto-construction seule est-elle toujours capable d’apporter des solutions satisfaisantes aujourd’hui ? Les métropoles contemporaines peuvent-elles être entièrement réalisées par les habitants eux-mêmes ? Le principe même de l’incrémentalisme tel qu’évoqué au début de ce mémoire, pourrait correspondre théoriquement à la fabrique de cette ville vernaculaire. Si, effectivement, la ville contemporaine évolue trop rapidement pour permettre une telle sédimentation, l’incrémentalisme appliqué à l’architecture se traduirait par l’accompagnement par des professionnels d’un processus mis en place par les usagers eux-mêmes. L’ampleur inédite du phénomène urbain actuel rend obsolètes les théories 66. “Moins de 30% des extensions furent réalisées par les propriétaires; pour la plupart, les familles engagaient des professionnels ou faisaient appel à des tiers, ce qui indique une incorporation croissante de main d’oeuvre qualifiée.” T.d.A.


de John Turner dans les années 1960 d’après lesquelles seule une architecture sans architectes pourrait créer un contexte urbain de qualité. L’auto-construction seule ne suffit plus dans un contexte contemporain ; une hybridation entre les aptitudes respectives des professionnels et des usagers doit être envisagée.

« Accepting the informal city as a unavoidable feature of the urban condition, and not as a city-in-waiting, is the key lesson that this generation of Latin American architects can offer the world. (…) Urbanism in the informal city has to be smarter than in the past; it needs to be flexible, so that it can handle unplanned change. Inevitably, this involves the participation of the community who live there. »67 J. McGuirk, 2014 L’auto-construction n’étant pas une condition obligatoire dans la réalisation d’un logement incrémental, elle peut néanmoins être contrôlée dès le début par l’architecte. Cependant, l’autoconstruction est bien souvent nécessaire lorsque le dessin initial ne correspond pas ou plus avec les besoins des usagers. Lorsque l’implémentation du logement devient inévitable, l’habitant tente de l’adapter à son propre mode de vie. L’extension des maisons, non planifiée au départ, entraîne alors des dommages considérables dans le projet initial. Pour illustrer cet incrémentalisme non voulu, un des exemples les plus frappants est le cas de l’immeuble « Nids d’abeilles » présenté ci-après (fig.1,2). Construit en 1952 à Casablanca par les architectes français Georges Candilis et Shadrach Woods, le bâtiment originel fut totalement altéré pour mieux servir les besoins des familles. En transformant les patios en pièces supplémentaires, les usagers ont adapté le projet en fonction de leurs modes de vie, au risque de détériorer les qualités spatiales et structurelles du projet de départ. Un dessin plus souple aurait-il permis d’éviter de telles déformations ? Les prémices de l’incrémentalisme dans l’habitat d’après l’historien en architecture allemand Andres Lepik 68dans son ouvrage Radical Cities publié en 2010, la notion d’incrémentalisme serait apparue dès 1932 à travers la présentation de l’exposition Sonne, Luft und Haus für Alle! à Berlin. L’architecte et urbaniste allemand Martin Wagner, commissaire de l’exposition, rassembla les architectes de la Neue Bauen (Nouvelle Architecture) afin de concevoir des 67. “Accepter la ville informelle en tant qu’inévitable paramètre de la condition urbaine, et non pas en tant que ville-en-devenir, est la leçon que cette génération d’architectes d’Amérique Latine peut offrir au monde. (…) L’urbanisme dans la ville informelle doit être plus intelligent que dans le passé ; il doit être flexible, afin de gérer des changements non prévus. Inévitablement, cela implique la participation de la communauté qui y vit.” T.d.A.

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propositions pour la Waschende Haus (soit la “maison-qui-grandit”), un habitat ne comportant que le strict minimum comme réponse à un contexte socio-économique en crise à la sortie de la guerre. Il défend l’idée d’une économie plus souple, accompagnant des processus de construction dynamiques, en lien avec les exigences d’une société moderne.

fig.1 immeubles Seriamis et Nid d’abeille, Candilis et Woods, Casablanca 1954 © S. Newberry

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« The need for a changeable house capable of growing over the years, is rooted in lack of starting capital. However, the « growing-house » is also the result of the unpredictability of how a family and their financial capabilities may develop, the new cultural needs, and the necessity of being able to move house, if the need arises. »69 M. Wagner, 1932

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68. « The idea of an ‘incremental house’ had in fact been proposed as early as 1931, in a competition sponsored by the city of Berlin. A group that included Walter Gropius, Hugo Häring, Egon Eiermann, and others worked up proposals for constructing single houses in stages, as owners could afford them. Some of these were executed and exhibited in the 1932 building exhibition Sonne, Luft un Haus für Alle ! In Berlin, but with the rise of Fascism and the architectes going to exile the idea did not take root. » L’idée d’une ‘maison incrémentale’ fut en réalité proposée dès 1931, dans un concours commandité par la ville de Berlin. Un groupe incluant Walter Gropius, Hugo Häring, Egon Eiermann, et d’autres, élaborèrent des propositions pour la construction de maisons individuelles par étapes, au fur et à mesure que les propriétaires pouvaient se le permettre. Certaines furent construites et présentées durant l’exposition de 1932 Sonne, Luft und Haus für Alle! à Berlin, mais avec la montée du fascisme et l’exil des architectes, l’idée ne prit jamais racine. T.d.A. A. Lepik, 2010 69. “La nécessité d’une maison changeante, capable de grandir avec les années, trouve racine dans le manque de capital initial. De plus, la ‘maison-qui-grandit’ est aussi le résultat de l’inprédictabilité de la façon dont une famille et ses capacités financières peuvent évoluer.” T.d.A.


fig.2 immeubles Seriamis et Nid d’abeille, Candilis et Woods, Casablanca 2013 © J.L. Cohen

Les propositions étant le résultat de processus techniques sophistiqués, l’auto-construction est totalement rejetée car risquant de compromettre le bon fonctionnement du projet originel. Fidèle à ses positions modernistes, l’architecte reste ainsi maître de son œuvre.

« The growing house in its entire technicallity is incompatible with self-help. Yes, it even excludes self-help. » 70 M. Wagner, 1932 Au début des années 1960, en réaction au modernisme qui plaçait l’architecte en souverain, seul responsable du dessin complet de la vie quotidienne de l’homme moderne, on observe un regain d’intérêt pour l’architecture vernaculaire de la part de quelques professionnels, qui remettent ainsi en question leur propre rôle. Ce mouvement se cristallise à travers l’exposition Architecture Without Architects : a Short Introduction to Non-pedigreed Architecture en 1964 au MoMA. Avons-nous réellement besoin des architectes ? Telle est l’implicite question formulée par Bernard Rudofsky, alors commissaire de l’exposition. L’architecte, également écrivain et professeur, était alors connu pour ses expositions controversées, tentant d’ouvrir les perspectives du monde occidental vers des cultures différentes. L’architecture vernaculaire y est en quelque sorte redécouverte et les solutions ancestrales de la construction 70. “La ‘maison-qui-grandit’, dans son entière technicité est incompatible avec l’auto-construction. Oui, elle exclut d’ailleurs l’auto-construction”. T.d.A.

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

commencent à être envisagées comme viables ou tout du moins, comme dignes d’être considérées. Les architectes commencent à étudier les constructions informelles, allant jusqu’à donner naissance à des théories prônant la supériorité des solutions informelles par rapport aux logements ‘formels’ produits à l’aide de professionnels. L’architecte britannique John Turner fut l’un des premiers à soutenir que l’auto-construction seule pouvait apporter des solutions concrètes et efficaces à la question du logement de masse. Après avoir étudié de l’intérieur les bidonvilles de Lima au Pérou (barriadas), l’architecte publie deux ouvrages phares entre 1974 et 1976 : Housing by People et Freedom to Build. Ces deux essais manifestes faisant l’apologie de l’auto-construction face à des solutions gouvernementales jugées inadaptées, auront une grande influence sur toute une génération d’architectes entre les années 1970 et 1980. L’aspect de l’intégration urbaine des logements incrémentaux occupe une place centrale dans la réflexion contemporaine mais oeuvrer en communauté n’est cependant pas un pré-requis. La participation, au même titre que l’autoconstruction, sont autant de moyens pour tenter d’impliquer l’usager dans la perception positive de son logement. Sont-elles pour autant des conditions nécessaires à la mise en place d’une approche incrémentale ?

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Il est important de distinguer tout d’abord deux définitions du terme participation : Premièrement, l’architecture participative telle qu’ établie dans les années 1970, où l’architecte assiste l’habitant dans la conception du projet. Requérant un suivi constant de la part de l’architecte, elle demande beaucoup d’implication et de temps de la part des acteurs. La participation des habitants dans le dessin de leurs futurs logements n’est pas une caractéristique de l’habitat incrémental, mais le recours à un tel procédé de conception est souvent observé lors de la mise en place de projets pilotes. Afin de perfectionner des systèmes expérimentaux, des ateliers sont organisés avec les habitants pour comprendre les besoins spécifiques d’une communauté mais également en tant qu’outil de dialogue entre professionnels et usagers. La mise en place d’ateliers de conception participative à grande échelle représente à elle seule un défi considérable ; la question de la viabilité d’une telle approche est remise en question face à la demande urgente d’un grand nombre de logements. Deuxièmement, la participation au sens de l’inclusion de l’habitant dans le processus de construction du logement. Ainsi valorisé, le processus de construction participe à l’intégration sociale


(communauté) et économique (qualité et amélioration du logement avec le temps) de l’habitant. Selon la théorie des niveaux abordée antérieurement, le savoir-faire de l’habitant et surtout sa capacité à cibler ses propres besoins et à y répondre en font un acteur tout aussi important que l’architecte. Augmenter la part de responsabilité de l’habitant dans l’élaboration de son logement n’est pas une dégradation du rôle de l’architecte mais plutôt une nuance de ce dernier. Dans ce cas, la compétence du professionnel réside dans son habileté à coordonner les implémentations futures sans qu’elles puissent contrarier le bon déroulement du processus à l’échelle urbaine. Le logement incrémental se sert de l’énergie présente dans la volonté et la prise d’initiative de l’habitant pour en tirer parti en tant que force constructive. Cette approche considère l’usager comme un acteur capable de mener à bien l’implémentation de son habitat. Cependant, la participation de l’usager dans le processus de construction de son habitat ne doit pas se limiter aux bénéfices d’une main d’oeuvre bon marché, au risque d’exploiter les classes pauvres de la population. Les futures extensions du logement doivent être explicitées afin de faciliter la tâche de l’usager, et de permettre ainsi à ce dernier de s’approprier le logement plus facilement. La thèse avancée par les architectes utilisant des méthodes de conception ‘à compléter’ est que ni l’auto-construction ni la planification globale seules ne sont des alternatives viables et satisfaisantes à la fabrique de la ville contemporaine. La participation représente un élément clef dans la mise en place des processus d’incrémentalisme mais ne permet pas à elle-seule de garantir la qualité et l’amélioraition du logement. La participation dans l’habitat requiert une organisation et une coordination de la part des habitants mais également des institutions politiques. Comme le soulèvent Margarita Greene et Edoardo Rojas dans leur étude sur l’habitat incrémental :

« Alternatively, incremental housing programmes can stimulate private parties, such as coops or ad hoc community groups, to coordinate the integration of different phases of land and housing nucleus production, supporting such programmes through direct subsidies and micro credit for needy households. This approach is more viable in countries with strong community organizations and well-developed social capital. » 71 M. Greene & E. Rojas, 2008 71. “Alternativement, les programmes d’habitat incrémental peuvent encourager les acteurs privés tels que les coops ou de groupes communautaires ad hoc, afin de coordoner l’assimilation des différentes phases deparcellisation et de production d’unités d’habitations, supportant lesdits programmes à travers des subventions directes et des micro-crédits pour les foyers dans le besoin. Cette approche est plus viable dans des pays où il existe de fortes organisations communautaires et un capital social développé.” T.d.A.

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L’HABITAT INCRÉMENTAL - MFE ENSAPB


PARTIE 3 l’incrémentalisme, une stratégie urbaine

image satellite témoin de l’évolution d’un projet Site-and-Services de la périphérie de Ouagadougou au Burkina Faso en haut de l’image: tissu informel en bas de l’image: projet Site-and-Services © GoogleMaps 2016


1. Densifier sans altérer les qualités urbaines

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

L’expansion urbaine n’est pas une solution satisfaisante en matière d’écologie car elle étend les réseaux de transport et augmente l’emprise des surfaces bâties sur le territoire. Avec un système concentrique, nos villes rassemblent les opportunités au centre et les périphéries restent en marge de l’activité. La densification des métropoles apparaît alors nécessaire pour augmenter leur efficacité de fonctionnement. Cependant, une densité extrême provoquée par la croissance d’un urbanisme informel provoque le surpeuplement et de nombreux problèmes en découlent. La majeure partie des expériences d’habitat incrémental se concentre dans des contextes urbains extrêmement denses. En quoi cette modalité architecturale apporte-t-elle des solutions satisfaisantes en termes de densité dans l’habitat urbain ?

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1. a. Stratégie foncière.

Adopter une stratégie incrémentale dans la conception du logement permet d’orienter et de cadrer l’énergie contenue dans l’auto-construction et la construction informelle. L’architecte guide ainsi le processus d’urbanisation en permettant de produire un tissu urbain suffisament souple pour permettre de suivre l’évolution des situations familiales. Les exigences en matière de densité de population dans les métropoles contemporaines sont aujourd’hui tellement élevées qu’un système entièrement auto-construit est difficile, voire impossible à mettre en place. Une vision globale est alors indispensable pour assurer le bon fonctionnement structurel et sanitaire des ensembles résidentiels. Ainsi s’effectue la répartition des rôles entre l’habitant et l’architec: le corps professionnel se concentre sur la provision d’un cadre urbain de qualité, capable d’absorber les modifications des logements par les habitants euxmêmes. L’architecte Charles Correa, dans ses recherches sur la résorption et l’amélioration des bidonvilles en Inde, défend les qualités présentes dans l’architecture vernaculaire, mais il est conscient qu’un tel système ne peut s’appliquer aujourd’hui et que la mission de l’architecte est de concevoir ce contexte urbain:

« If there ever is a Bill of Rights for housing in the Third World, it would surely have to include – enshrine ! - the following cardinal principles : Incrementality, Incomegeneration, Pluralism, Equity, Malleability, Open-to-sky space, Participation, Disaggregation. The irony is that such housing already exists – in fact, has existed in most societies for hundreds of years. Ingeniously built, in perfect empathy with the environment. In fact, if we examine any of the major concerns of humanists and environmentalists today : balanced eco-systems, re-cycling of waste products, people's participation, appropriate lifestyles, indiferous technology... we find that vernacular architecture has it all. What is missing is the urban context in which these solutions could be viable. That is our real responsibility : to help generate the urban context. » 72 C. Correa, 2000 72. “S’il y avait une Charte de Droits pour le logement dans le Tiers Monde, elle devrait sûrement inclure les principes cardinaux suivant: Incrémentalité, Génération de Revenus, Pluralisme, Egalité, Malléabilité, Espace en plein-air, Participation, Désagrégation. L’irony est qu’un tel logement existe déjà -en réalité, il a existé dans la plupart des sociétés depuis des centaines d’années. Ingénieusement construit, en parfaite empathie avec l’environnement. En effet, si nous examinons toutes les préoccupations majeures des humanistes et des environnementalistes aujourd’hui: des écosystèmes équilibrés, le recyclage des déchets, la participation citoyenne, les modes de vie appropriés, les technologies locales...nous trouvons tout cela dans l’architecture vernaculaire. Ce qui manque est le contexte urbain dans lequel ces solutions pourraient être viables. C’est notre réelle responsabilité: aider à générer le contexte urbain.” T.d.A.

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centre ville d’Iquique

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

La ségrégation socio-spatiale était d’ailleurs l’un des points faibles des opérations d’allotissement du type Site-and-Services mises en place entre 1974 et 1998. En cherchant à donner l’accès à la propriété d’une parcelle à chaque ménage, les gouvernements mettent à disposition des terrains bon marché, souvent situés en périphérie des villes. Les familles ‘bénéficiaires’ se voient donc contraintes de s’éloigner du réseau d’opportunités que représente le centre-ville. Eloigner les populations en situation précaire contribue à renforcer la ségrégation spatiale et la ghettoïsation et diminue ainsi leur qualité de vie au lieu de l’améliorer. L’étalement urbain des périphéries provoqué par ce type d’intervention multiplie les difficultés de fonctionnement des métropoles, notamment en augmentant les temps de parcours entre domicile et lieu de travail. Les questions d’ordre foncier peuvent constituer la base d’une stratégie projectuelle. Ainsi, l’agence chilienne Elemental, développe une stratégie architecturale et urbaine en agissant en priorité sur la localisation des projets. En privilégiant une localisation proche des centre urbains sur le dessin d’une unité architecturale complète, les architectes interviennent directement sur la qualité de vie des habitants.

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centre ville d’Iquique

localisation du projet de logements de la Quinta Monroy par rapport au centre-ville d’Iquique et au site initialement prévu par la municipalité pour reloger les habitants. © Elemental

« Incremental housing strategies provide an opportunity to regulate ongoing informal (illegal) urban development processes and ensure adequate as well as relatively efficient provision for infrastructure and service delivery and rational land use. » 73 P. Wakely & E. Riley, 2010 La mise en place du prototype de la désormais célèbre Quinta Monroy dans la ville d’Iquique au Chili en est un parfait exemple. Ici, en permettant une économie sur le coût de départ de l’habitat, les architectes ont permis à la communauté de rester sur le terrain qu’elles occupaient depuis plus de trente ans. Le programme de relogement mis en place par la municipalité prévoyait 73. “Les stratégies d’habitat incrémental fournissent une opportunité quant à la régulation des actuels processus de développement urbain informels (illégaux) et assurent la provision adéquate bien que relativement efficace de l’infrastructure et des services ainsi qu’un usage foncier rationnel.” T.d.A.


de délocaliser les populations vers un terrain qu’elles seraient, effectivement, capables de payer mais très éloigné du centre-ville. Le profil géographique accidenté de la ville d’Iquique rend cette fracture d’autant plus visible que ledit terrain (Alto Hospicio sur les photos ci-contre) se situe sur le plateau qui domine la baie. En coupant ainsi les habitants de leurs lieux de travail et de vie, les conséquences économiques seraient dramatiques. En diminuant suffisamment le prix des logements, l’équipe d’Elemental permet aux familles de pouvoir acquérir un terrain qu’elles auraient été incapables de s’offrir. Les architectes justifient ainsi la pertinence du recours à l’incrémentalisme dans la conception de ces logements sociaux: au lieu d’éloigner les logements sociaux du centre-ville et de proposer des unités de logement ‘finies’ mais trop petites, la stratégie fut de mettre tout en oeuvre pour conserver le terrain initial, quitte à ne pas pouvoir terminer le logement qui sera implémenté par la suite. Ce n’est pas un hasard si les exemples d’habitat incrémental se concentrent dans les villes informelles. La place est chère aux abords des noyaux urbains où se concentre l’offre de travail. Les populations pauvres se rassemblent sur des terrains libres et les occupent provisoirement en atteignant des densités records. Pouvant atteindre 20 000 hab/km2, soit approximativement l’équivalent de la ville de Paris intra-muros, les exigences en matière de densité à atteindre dans ces zones sont considérablement élevées et impossible à atteindre dans de bonnes conditions sans une supervisation globale de la part de professionnels. Le défi majeur à relever pour les architectes se trouve donc dans l’optimisation des terrains afin de permettre de réduire les inégalités sociales dans les grandes métropoles.

« The problem of housing the vast majority of our urban population is not the one of building technology, it is primarly a matter of optimising densities, of readjusting land-use allocations. »74 C. Correa, 2000

74. “Le problème de loger la grande majorité de notre population urbaine n’est pas celui de la technologie constructive, c’est avant tout une question d’optimisation des densités, de réajustements des usages fonciers.” T.d.A.

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1. b. Résoudre les problèmes liés au surpeuplement.

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

L’absence totale de règlementations urbaines et de services dans les bidonvilles ou les villes informelles engendrent de nombreux problèmes liés principalement au surpeuplement et à l’extrême densité de population. La promiscuité des habitats les rend d’autant plus vulnérables que les terrains occupés illégalement sont souvent situés dans des zones à risques (sismisques notamment). Mêler constructions formelle et informelle dans un même bâtiment peut être source de complications structurelles. Les risques se multiplient avec la proximité des édifices (pouvant parfois partager la même structure) qui sont alors interconnectés. Les malfaçons liées aux extensions peuvent avoir des répercussions importantes sur l’environnement proche du bâtiment. Afin de prévenir les risques liés aux séismes, l’architecte intervient prioritairement sur le squelette du bâtiment. C’est le cas du travail mené par Filipe Balestra et Sara Göransson en Inde concernant la mise au point d’une stratégie de densification de la ville informelle de Pune (fig. 2). Seul le squelette est fournit et trois modèles de logements sont proposés aux habitants en fonction de l’emplacement de la pièce à compléter (fig.3). Les habitants sont ensuite chargés d’implémenter la structure initiale de béton armé avec des éléments de remplissage (cloisons, fenêtres, parement...). Les familles partagent ainsi l’infrastructure, les murs et les gaines techniques. Ce projet pilote est en marche en Inde mais a été conçu pour convenir à des situations similaires.

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Doctorante de l’Université Métropolitaine de Londres, Julia King fait actuellement partie des figures de proue en matière de réflexion sur l’incrémentalisme en architecture. Son cas d’étude se situe en Inde, à Delhi plus particulièrement dans le bidonville de Savda Ghevra, où la croissance progressive des logements est naturellement observée. Les maisons s’aggrandissent dans un processus incrémental, passant du stade de kuccha (temporaire) à celui de pucca (permanente) (fig.1). Différenciées par l’échelon de confort atteint (intégration de sanitaires) ainsi que par les méthodes et matériaux de construction, les maisons se consolident petit à petit jusqu’à atteindre un certain objectif de densification du tissu urbain.

modèle A

modèle B

modèle C fig.3 trois modèles d’infrastructure de logements dans le cadre d’une stratégie incrémentale in situ à Pune en Inde, 2008 © F. Balestra S. Göransson


fig.1 densification naturelle des habitations dans le bidonville de Savda Ghevra (Inde) © J. King

fig. 2 stratégie incrémentale de densification d’un quartier à Pune (Inde) © F. Balestra S. Göransson

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La question des réseaux représente également une démarche architecturale en soi. La définition des réseaux d’eau potable et d’assainissement doit être pensée comme une stratégie urbaine pouvant influencer considérablement la qualité des logements par la suite.

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Outre la radicalité de la Casa Acueducto énoncée précédemment qui se résume à la provision des réseaux, la question des réseaux est au coeur de la réflexion dans le travail de l’agence Elemental. Les projets initiaux sont conçus en prévoyant une augmentation du niveau de vie des habitants et par conséquent d’une exigence supérieure en matière de confort. Le choix est fait de placer les pièces humides en fond de parcelle pour tenir compte des usages locaux, malgré les coûts supplémentaires en matière de canalisations (fig.4).

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La pertinence de la proposition de l’architecte indien Balkashrina Doshi pour le projet urbain de la ville nouvelle d’Aranya réside en partie dans la mise en place d’une stratégie innovante de raccordement aux réseaux de toutes les parcelles. La simple disposition de l’unité sanitaire basique peut modifier considérablement le coût total de l’opération. Un positionnement sur rue facilite la maintenance et l’entretien mais pose des problèmes sociaux sur le fonctionnement interne du logement et vice versa. L’architecte crée alors des porosités dans le tissu urbain et rassemble les unités sanitaires autour d’un petit espace commun donnant directement sur les voies d’accès principales (fig.4). Ce nouveau système sanitaire permet non seulement d’améliorer la configuration de l’espace urbain mais aussi d’économiser au profit de la mise en place d’autres éléments architecturaux En plaçant la question des réseaux au coeur du projet, l’architecte transforme une variable technique en une réelle stratégie projectuelle car en diminuant le linéaire de canalisations, l’économie réalisée sur le coût global de l’opération peut être réinjectée dans d’autres aspects de l’intervention.

1.

2. fig.4 1. typologie commune économique en linéaire de canalisations 2. typologie Elemental se plaçant dans une démarche prospective en vue d’atteindre un standard plus élevé. © Elemental

« La provisión de infraestructura básica (agua potable, alcantarillado) debe entenderse como uno de los factores de urbanización que inciden directamente en la calidad residencial de los asentamientos humanos de menores ingresos. » 75 E. Haramoto, 1987

75. “La provision de l’infrastructure basique (eau potable, tout-à-l’égoût) doit être comprise comme un des facteurs d’urbanisation qui agissent directement sur la qualité résidentielle des établissements humains à bas revenus.” T.d.A.


fig.5 (en haut) dessin représentant plus en détail le système de raccordement aux réseaux grâce au regroupement des unités sanitaires basiques; un espace commun est crée, lequel est ici utilisé pour loger un commerce de proximité © B. Doshi (en bas) illustration schématique du système innovant de raccordement aux réseaux d’eau et de tout-à-l’égoût; le tissu urbain est perforé afin de faciliter la maintenance tout en restant en adéquation avec les modes de vie locaux © B. Doshi

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

Définir les limites de l’expansion des logements est nécessaire au bon fonctionnement du système dans le temps long. La définition claire des limites du projet peut par exemple éviter tout empiètement sur l’espace public partagé.

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Certains architectes extrapolent la question de l’incrémentalisme à une plus grande échelle comme l’architecte indien Charles Correa qui propose une méthode de planification urbaine remplaçant le classique masterplan par une multitude d’actions successives tenant compte des étapes antérieures et de celles à venir (fig.7). L’architecte opte alors pour une géométrie fractale, répétant le motif de l’espace commun à plusieurs échelles. L’organisation concentrique des entités permet de les imbriquer à la manière de poupées gigognes dans un système plus grand. Les maisons sont organisées autour d’un espace commun carré, tous ces espaces communs sont à leur tour disposés pour former un espace public de dimension majeure, et ainsi de suite à l’échelle de la ville. Ce système permet de hiérarchiser les fonctions urbaines dans un espace infini, la structure pouvant être répétée à grande échelle tout en conservant les qualités spatiales d’un espace urbain organisé, en répartissant les rôles sans créer de dysfonctionnement ni de ségrégation spatiale. Ce système d’urbanisme à croissance progressive s’est maintenu au stade théorique et ne trouve qu’un application réduite dans le singulier projet surnommé Artists’ Village. L’intérêt de cette approche urbaine réside dans le fait que l’emplacement des espaces publics soit défini dès le début, donnant ainsi une vision globale du projet sans pour autant lui imposer la rigidité de la forme. Ce type d’urbanisme fonctionne dans le cadre d’un projet résidentiel à grande échelle avec des services de proximité quotidienne. On peut néanmoins poser la question de la viabilité de ce modèle à l’échelle d’une ville complète. Charles Correa reprend le schéma présenté par Christopher Alexander, en réintégrant l’idée de cluster (ou de petites communautés). Le processus d’extension par incréments s’applique donc à des maisons individuelles. La répartition parcellaire est définie en amont, mais l’architecte indien présente certaines solutions concernant la densification de l’ensemble, notamment en réglant les problèmes de mitoyenneté via le cahier des charges qui interdit la création d’ouvertures donnant sur le terrain voisin. Le dessin initial comporte d’ailleurs des murs aveugles pour orienter les extensions sans gêner le voisinage (fig.7).


fig.7 évolution urbaine sous forme d’un développement fractal Incremental Housing in Belapur (Inde) © C. Correa

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1. c. Faible Hauteur Haute Densité (FHHD)

Les écrits de l’américaine Jane Jacobs dans les années 1960 sur un urbanisme à échelle humaine eurent un impact considérable sur la construction des logements par la suite. En faisant prévaloir les typologies de maisons en bandes par rapport aux barres d’immeubles des Grands Ensembles, les architectes prennent position et se placent contre les politiques de grandes opérations immobilières. Il ne s’agit pas pour autant de répéter les schémas dévastateurs d’étalement pavillonaire mais bien de mettre en avant des typologies capables de fournir de bons résultats en termes de densité urbaine tout en conservant des dimensions raisonnables.

“But the 1960’s were different. There was Jane Jacobs and her wonderfully perceptive analysis of the crucial advantages of the dense low-rise neighborhoods (...) And LRHD has other advantages as well. It is incremental. Individual units can be provided with options to grow - something quite impossible in high-rise construction. Then again, it is renewable (...). And also it is malleable -it is much more easier for families to make it their own. (...) Isn’t it time we looked at PREVI again? Time we re-examinated the decisive advantages of LRHD housing?” 76 CORREA Charles. Low Rise High Density

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J.

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76.“Mais les années 1960 étaient différentes. Il y avait Jane Jacobs et sa merveilleuse et perspicace analyse des avantages indéniables des quartiers à faible hauteur et haute densité. (...) Et la FHHD présente d’autres avantages. Elle est incrémentale. Les unités individuelles peuvent être livrées avec la possibilité de s’agrandir -chose quasi impossible dans les constructions de grande hauteur. Une fois de plus, c’est renouvelable. (...) Et également malléable -il est plus simple pour les familles de se l’approprier. (...) Ne serait-il pas temps que nous regardions à nouveau le PREVI? Temps que nous réévaluions les avantages décisifs du logement FHHD?” T.d.A.


Fermement défendue par Peter Land, l’urbaniste britannique en charge du développement du PREVI, cette approche semble la plus appropriée dans la mise en place d’un schéma incrémentaliste. Les modifications individuelles sont facilitées par la faible hauteur qui permet d’atteindre aisément toutes les composantes du projet en rendant accessible la totalité de la construction sans avoir recours à un outillage lourd. La définition de l’espace urbain qui s’en suit est alors affinée, constamment transformée en fonction des besoins et des circonstances grâce à une réduction de l’échelle de planification. En diminuant l’échelle de la construction, les moyens employés pour le chantier sont également modifiés. La production en masse de logement par un nombre limité d’entreprises est alors remplacée par une multitude d’opérations de taille plus modeste, favorisant le recours à un panel plus large de sociétés de construction. On entre alors dans une logique de cas par cas, générant plus d’emplois avec moins de moyens techniques, permettant ainsi de rallier le processus de fabrication du logement à son usager, facilitant ainsi l’introduction de l’auto-construction. Un processus incrémental se traduit de fait par un chantier sans fin, beaucoup plus complexe à mettre en place dans des immeubles, les rythmes d’extensions variant avec les individus. De plus, les moyens constructifs nécessaires à ces modifications mais également les connaissances techniques requièrent une vision de projet plus globale et le suivi professionnel des chantiers devient une obligation.

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comparaison schématique du nombre d’étages (initial et après extensions) atteint par les différents exemples d’habitat incrémental du corpus et confrontation avec une opération type Grands Ensembles contemporaine du PREVI : le Conjunto Habitacional San Felipe à Lima. sur la page de gauche, les projets du PR.E.VI. sur la page de droite, les projets de l’agence Elemental

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2. L’habitat, support économique : création d’emplois et génération de revenus.

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L’architecture incrémentale naît de considérations économiques. Le manque de ressources suffisantes des familles comme des gouvernements ne permettant pas de résoudre les problèmes d’accès au logement, l’habitat se transforme en un support économique. En ne construisant qu’une partie du logement, l’architecte parvient à en diminuer considérablement le prix d’achat. La maison devient alors un bien monnayable car elle acquiert de la valeur dans le temps, à travers l’augmentation des surfaces habitables. L’application d’une stratégie incrémentale dans le cadre du logement va de pair avec la mise en place de mécanismes financiers plus souples, pouvant s’adapter à un processus d’évolution discontinue. Par ailleurs, l’ajout de pièces supplémentaires à l’unité d’habitation de départ peut représenter une opportunité pour changer la destination de certaines parties du logement et passer d’un usage exclusivement résidentiel à un usage commercial par exemple.

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2. a. “Half of a good house” explication de la méthode Elemental.

Témoins de l’urgence de loger un nombre inédit de personnes dans les villes des pays en développement, les architectes de l’agence chilienne Elemental tentent d’apporter une réponse pragmatique et efficace dans un marché qui n’intéresse que trop peu de professionnels de la construction dans leur pays. L’objectif étant de mettre en place une méthode pouvant être répétée à grande échelle, permettant l’amélioration des conditions de vie des populations urbaines les plus pauvres. Les méthodes de travail de l’agence sont d’ailleurs clairement expliquées et décrites à travers la publication d’ouvrages monographiques et, de façon moins conventionnelle, à travers la diffusion des plans et documents techniques de certains projets, téléchargeables gratuitement depuis leur site internet. Cette volonté de communication, au-delà de permettre une grande médiatisation des réalisations de l’agence, permet également d’ouvrir la recherche sur la résolution d’une question urbaine urgente à laquelle de plus en plus d’architectes s’intéressent. La réponse architecturale et la mise en place d’une “méthode” Elemental, découlent d’une demande forte présente sur le marché: l’énorme quantité de logements nécessaire au développement des villes du Chili. La production colossale de logements à bas coût constitue alors pour l’agence Elemental un véritable défi architectural mais surtout stratégique. Ils ne prétendent pas traiter la question du logement social pour des raisons éthiques ou humanitaires, mais pour des raisons plus pragmatiques: l’offre en matière de logements sociaux de qualité étant bien inférieure à une demande toujours plus importante.

« Por otra parte, queríamos ampliar el espectro de razones por las cuales ocuparse de vivienda social, siempre demasiado guiada por motivaciones meramente éticas, morales y/o humanitarias. (…) Hacer arquitectura de calidad con recursos mínimos es quizás la mas dificil de las preguntas a las que nos enfrentamos como profesionales. Hacer una arquitectura elemental es un asunto de mérito intelectual, que requiere capacidad y experiencia profesionales, inteligencia practica del mas alto nivel ; calidad mas que caridad profesional. » 77A. Aravena, 2012 77. “D’autre part, nous voulions amplifier le spectre des raisons pour lesquelles s’occuper du logement social, souvent guidé par des motivations pseudo-éthiques, morales et/ou humanitaires. (...) Faire de l’architecture de qualité avec un minimum de ressources est certainement la question la plus difficile à laquelle nous nous confrontons en tant que professionnels. Faire une architecture élémentaire est un sujet de mérite intellectuel, qui requiert capacité et expérience professionnelles, intelligence pratique au plus haut niveau; qualité plus que charité professionnelle.” T.d.A.

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l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

L’Etat manque de ressources pour la construction de logements sociaux et va donc chercher la valeur foncière la plus faible pour réaliser ces projets. Il en résulte un éloignement des centres villes des terrains mis à disposition et/ou une taille réduite des logements proposés (fig.1). Afin de relever ces défis, les architectes insistent tout d’abord sur un emplacement des logements au plus près du centre-ville dans le but de garantir la valeur de la maison une fois celle-ci terminée. En évitant l’éloignement, les familles les plus pauvres sont intégrées au réseau d’opportunités que représentent les villes. Le gouvernement ne pourra apporter de solutions efficaces en terme de logements sociaux qu’en considérant les trois critères exposés dans le schéma ci-contre (fig. 2). En effet, outre le fait de permettre une insertion dans un tissu urbain proche du centre, la restriction de la hauteur des logements permet de supprimer les coûts additionnels de maintenance des espaces communs (notamment dans le cas d’immeubles collectifs: ascenseurs,couloirs...), rendant chaque habitant responsable de son espace individuel.

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Pour l’Etat chilien, la production de logements sociaux représente une perte d’argent considérable car la valeur du logement social, à l’inverse de tout autre type de logement en accession à la propriété, décroît avec le temps. En reprenant les arguments avancés par Christopher Alexander en 1973, l’agence Elemental compare l’achat d’un logement social à celui d’une voiture: la maison n’est pas considérée comme un investissement dans un bien durable mais comme l’achat d’un produit de consommation. Dans un schéma classique, l’habitant s’engage sur un emprunt auprès des banques pour acquérir un objet dont la valeur diminue avec le temps. D’après les études menées par les membres d’Elemental, l’argent public donné sous forme de subventions aux familles pourrait être utilisé de façon à générer un petit capital pour leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie. La maison est alors considérée comme un outil économique, capable d’être valorisée avec le temps.

“Si ello ocurriese, y la vivienda se comportase como una inversion mas que como un gasto social, entonces estaríamos hablando de una herramienta para superar la pobreza y no solo de un techo para proteger de la intemperie. » 78 A. Aravena & A. Iacobelli, 2012

78. “Si cela arrivait, et que l’habitat se comportait comme un investissement plutôt qu’une dépense sociale, alors nous pourrions parler d’un outil pour surmonter la pauvreté et non plus d’un simple toit pour se protéger des intempéries.” T.d.A.


fig.1 schématisation du principe d’action de l’agence Elemental © Elemental

Le logement social doit résoudre la question suivante: faible hauteur, haute densité

sans SURPEUPLEMENT

avec une possibilité d’ EXTENSION

fig.2 traduction du schéma illustrant les principes fondamentaux du logement social selon Elemental © Elemental

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Le slogan de l’agence “half of a good house”, définit de manière simplifiée leur stratégie. Selon eux, une famille de classe moyenne nécessite en moyenne une maison de 80m2 pour vivre convenablement. Or, les subventions accordées par l’Etat ne permettent de construire que 40m2. Au lieu de construire un logement deux fois plus petit, l’agence Elemental décide de considérer cette surface comme “la moitié d’une bonne maison” (fig.1). En proposant de livrer la moitié d’un bon logement, l’agence Elemental défend l’idée d’un habitat progressif, capable de générer une plus-value dans le temps grâce aux extensions successives réalisées par les habitants. Ainsi, les sommes investies par l’Etat chilien, parce qu’elles sont valorisées, représentent un capital pour le bénéficiaire pouvant servir de point de départ à une demande de crédit (pour l’achat d’un commerce par exemple). Plutôt que de considérer le logement social comme une entité à part, cette méthode le place sur le marché immobilier classique. La maison n’est plus une simple dépense mais devient un tremplin pour accéder à un standard de vie plus élevé.

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« The opportunity to improve the quality and efficiency of the incremental housing process with reduced public ressources, but leveraging the ressources spontaneously mobilized by households and communities, makes this process an urgent public policy concern. Efficient incremental housing programs can have a significantly positive impact on the quality of life of the population. »79 M. Greene & E. Rojas, 2008

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Une fois l’habitat compris non plus comme un objet mais comme un système, la question de la ‘qualité’ finale du logement fut alors posée différemment. Le point de départ des architectes fut de proposer un logement social, capable de prendre de la valeur avec le temps à travers la conception d’un habitat progressif, résultat d’une succession d’extensions. En ne construisant qu’une partie du logement, le coût initial de celui-ci diminue considérablement. Le recours à une stratégie incrémentale dans le logement entraîne une perception différente quant au coût de ce dernier. En effet, la solution n’est pas de réduire les coûts mais de les répartir sur un temps plus long afin d’éviter les emprunts non remboursables sans

79. “L’opportunité d’amélioration des qualité et de l’efficacité des processus d’habitat incrémental avec des ressources publiques limitées, mais en levant les fonds spontanément mobilisés par les ménages et les communautés, transforme ce processus en une préoccupation politique urgente. Des programmes d’habitat incrémental efficaces peuvent avoir un impact positif significatif sur la qualité de vie des populations.” T.d.A.


pour autant diminuer la valeur finale de la maison. Les architectes et chercheurs égyptiens Abdel-Kader Nasamat et Sayed Ettouney l’expliquent d’ailleurs ainsi:

« Understanding the dynamics of the development process and adopting the concept of change ; simply implies that any dwelling should be phase-developed. Hence ; in dealing with the cost issue, it would be more appropriate to consider the concept of 'Phasing the Cost' instead of 'Lowering the Cost'. (...) In other words, phasing the cost allows reaching affordable housing units without lowering the standards and downgrading the environments of low cost housing ; hence turning low-cost to a potential rather than a constraint. » 80 A-K. Nasamat & S. Ettouney, 2010 Destinés à des populations aux revenus faibles, les logements peuvent s’agrandir dans le temps afin de permettre à tous d’accéder aux standards de la classe moyenne plus ou moins rapidement selon les capacités économiques de chacun. Cependant, le manque de recul vis à vis des expériences Elemental ne permet pas de confirmer cette théorie, mais le succès rencontré par les logements du PREVI plus de 40 ans après leur construction en termes d’amélioration des conditions de vie et d’ascension de l’échelle sociale permet de confirmer la pertinence d’une telle approche dans le logement social.

« From this process perspective, incremental housing can be described as an inverted version of the formal process of building and financing a house. In the formal process, the complete features of the house are available to the owners from the first day of occupancy, financed by the long amortization period of a mortgage loan while the house is in use. In constrast, in the incremental construction process, the house is acquired with only the most basic features and is upgraded later, at a pace based on the financing capacities of the families, through their savings, micro loans of self-help, which implies waiting until the final stage to obtain the completely finished house. »81 M. Greene & E. Rojas, 2008 80. “Comprendre les dynamiques du processus de développement et adopter le concept de changement; implique simplement que tout logement devrait se développer par étapes. Par conséquent, en se penchant sur le problème du coût, il serait plus approprié de considérer le concept de “Phaser le Coût” plutôt que de “Diminuer le Coût (...) En d’autres termes, le phasage des coûts permet d’atteindre des unités d’habitation abordables sans diminuer les standards ni l’environnement du logement à bas coût; et d’ainsi transformer la construction économique en un potentiel plutôt qu’une contrainte.” 81. “Depuis cette perpective de processus, l’habitat incrémental peut être décrit comme une version inversée du processus formel de la construction et du financement d’une maison. Dans le processus formel, les propriétaires disposent des paramètres complets de la maison dès l’emménagement., financés par la longue période d’amortisation du prêt hypothécaire durant la période d’occupation de la maison. Au contraire, dans le processus de construction incrémentale, la maison est acquise avec les paramètres de départ les plus basiques et est améliorée ensuite, à mesure des capacités financières des familles, à travers leurs économies, des micro-prêts ou en auto-construction, ce qui impliaue d’attendre jusqu’à l’étape finale pour obtenir une maison complètement finie.” T.d.A.

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2. b. Systèmes de microfinancement et notion de propriété.

Les réflexions sur le fonctionnement d’une stratégie incrémentaliste dans l’habitat nécessite la mise en place de structures financières correspondantes. En effet, en sortant du schéma classique d’accession à la propriété du logement, l’adéquation avec les mécanismes déjà en place n’est pas évidente. Sans pour autant suivre l’exemple extrême de l’architecte britannique Christopher Alexander et proposer la création d’un système entièrement nouveau, il semble nécessaire pour l’architecte de mener une réflexion sur le montage économique et financier des futurs logements.

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En partant du constat que les populations les plus pauvres ne pouvaient pas bénéficier de l’accès à un emprunt bancaire en raison de l’instabilité de leurs revenus, et que cette réalité touchait un nombre croissant de personnes, l’économiste bangladais Muhammad Yunus a mis en place la notion de micro-crédits et de la micro-finance. Prix Nobel de la Paix en 2006, il est surnommé ‘le banquier des pauvres’. Concernant les classes les plus pauvres de la population, ces deux outils vont de pair en permettant un échelonnement des paiements dans le temps. Grâce à la possibilité d’emprunt de petites sommes sur des temporalités courtes, les classes pauvres de la population accèdent graduellement à des standards plus élevés car elles peuvent désormais entreprendre de petits projets et atteindre une certaine stabilité économique.

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« As a solution, poor people find their own ways to build and improve their houses incrementally as need arises. This process of house building may take years to complete. As incremental building demands incremental financing, so housing microfinance emanates as a solution in many Latin American countries, and has begun to develop in Asia. »82 F. Tariq, 2012 Les méthodes de construction des populations les plus pauvres sont naturellement incrémentales ; apparaissant au fur et à mesure des besoins et des moyens. La précarité économique de ces 82. “ Les populations pauvres construisent par leur propres moyens et améliorent leurs maisons incrémentalement, à mesure que les besoins apparaissent. Ce processus de construction de l’habitat peut prendre des années avant d’être terminé. Puisque la construction incrémentale requiert un financement incrémental, la microfinance appliquée au logement est vue comme une solution dans de nombreux pays d’Amérique Latine, et a même commencé à se développer en Asie.”


personnes rendant l’accès au logement d’autant plus difficile et la perspective d’amélioration de la situation restant très faible, le microcrédit semble être une solution adéquate pour permettre la mise en place d’un habitat incrémental. Un financement approprié pourrait accélérer et faciliter le processus de construction progressive. Le logement informel étant peu à peu légalisé, il en va de même avec les systèmes financiers qui le régissent. En replaçant les investissements aussi modestes soient-ils, dans les systèmes légaux, cela permet d’inclure les classes pauvres de la population dans un marché qui leur était inaccessible jusqu’alors. L’un des objectifs premiers du microfinancement est d’assurer un maximum de sécurité pour les ménages à revenus précaires. La suppression des prêts hypothécaires à risques (ceuxlà même ayant entraîné la crise des Subprimes), et la possibilité d’effectuer des prêts à montant réduits, permettant une croissance lente mais certaine. La méthode Elemental, bien que n’incluant pas directement le micro-crédit, encourage fortement son utilisation. L’auto-construction est intégrée à l’équation financière du logement social (fig.1). Ainsi que cela apparaît dans le schéma, le risque d’insolvabilité face à un emprunt trop important est largement réduit et remplacé par l’auto-construction ; l’incrémentalisme introduit donc de nouvelles variables économiques dans le processus d’acquisition d’une maison.

« It appears that there is a natural complementarity between incremental construction and microfinance. The need of the time is to integrate this process with efficient, safe and aesthetically acceptable architectural house designs. For these pre-designed houses the costs involved in material and labor can be financed by micro loans and credit facilities offered by building material suppliers. In this way poor people can build incrementally designed, safe homes. »83 F. Tariq, 2012

fig.1 intégration de l’auto-construction dans l’équation financière du logement social au Chili © Elemental 83. “Une complémentarité naturelle entre la construction incrémentale et la microfinance semble évidente. Les nécessités du moment est d’intégrer ce processus grâce à une conception architecturale de maisons efficaces, sûres et esthétiquement acceptables. Pour ces maisons préconçues, les coûts des matériaux et de la main d’oeuvre peuvent être financés grâce à des micro-crédits et facilités par les fournisseurs de matériaux de construction. De cette façon, la population pauvre peut construire et concevoir incrémentalement. des maisons sûres.” T.d.A.

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2. c. Diversification des usages, “hipercasa”

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Grâce au recours à des micro-crédits, les populations les plus pauvres peuvent accéder à un capital de départ et initier un processus de stabilisation économique. La maison n’est plus seulement un bien mais devient un processus permettant à la famille d’améliorer ses conditions de vie. En plus de la valeur de la maison elle-même, elle peut devenir le support d’activités génératrices de revenus. Comme énoncé dès le début de ce mémoire, la maison incrémentale est, par définition, une maison qui grandit. L’objectif de la mise en place d’une telle stratégie est d’atteindre progressivement une surface habitable plus importante. Le nombre de pièces augmente en fonction des nécessités de la famille. Selon les études du professeur et architecte Edwin Haramoto84, les étapes du développement de la maison dépendent de nombreux paramètres propres à chaque famille: la stabilité de l’emploi et des revenus, la vitesse de croissance de la famille, la présence d’espaces à usage locatif ou commercial. Il est donc difficile d’établir une chronologie précise du développement d’un habitat incrémental mais il est néanmoins possible d’en distinguer les grandes étapes85.

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Comme le montre le diagramme ci-contre (fig.1), le schéma de l’évolution d’une cellule familiale dans un habitat incrémental se divise en trois phases: Premièrement, l’unité d’habitation initiale s’agrandit selon les besoins (croissance de la structure familiale) et les moyens de la famille (accumulation progressive de capital, micro-crédits...). Durant cette première étape, les modifications du logement sont nombreuses et relativement rapides, la maison est en chantier, dans état de transition. Le projet architectural initial conditionne considérablement les extensions faites par l’habitant. Deuxièmement, la structure familiale se stabilise, les modifications du logement se font plus ponctuelles, souvent de l’ordre de la maintenance ou de l’amélioration de certains espaces. L’habitat atteint sa taille quasi définitive. 84. HARAMOTO NISHIKIMOTO Edwin, CHIANG MIRANDA Pamela, SEPÚLVEDA Rubén, et KLIWADENKO TREUER Iván. Tipología de desarrollo progresivo. Vivienda social [en ligne] Chile: Instituto de la Vivienda. Facultad de Arquitectura y Urbanismo. Universidad de Chile. 1987. Espagnol. Disponible sur: <http://www.libros.uchile.cl/492> 85. la mise en place de ce graphique fut inspirée à la fois des retours d’expériences de l’agence Elemental, les écrits du professeur Edwin Haramoto mais également du rapport de F. Garcia Huidobro sur le PREVI (voire bibliographie en fin d’ouvrage) 86. Soit “super maison” selon l’expression utilisée dans l’ouvrage GARCIA HUIDOBRO Fernando, TORRES TORRITI Diego et TUGAS Nicolas. Time Builds! : The Experimental Housing Project (PREVI), Lima : genesis and outcome. Gustavo Gili Barcelona. 2008.


Enfin, une troisième phase apparaît lorsque la structure familiale se modifie, étape souvent caractérisée par le départ et l’indépendance des enfants du ménage. Les surfaces ajoutées durant tout le processus d’extension ne sont plus utilisées et les familles doivent trouver un nouvel usage pour les espaces créés. La maison se transforme alors en “hipercasa”86 par l’introduction de nouvelles utilisations des espaces alors vacants. En permettant la multiplication des surfaces habitables, l’architecte introduit une nouvelle variable: celle de la diversification des usages dans le logement. Les familles bénéficiaires ne pouvant pas assumer l’entretien d’un logement de trop grande taille, celuici se transforme et devient le support de nouvelles possibilités. Ce renouvellement peut prendre plusieurs formes, dont les plus courantes sont la transformation de certaines pièces en commerces ou en appartements à louer. Le même phénomène de “duplication des ménages” observé au Chili dans les années 1970, sous le régime militaire2, se répète cette fois dans des structures et un environnement préparés et légalisés. L’habitat est partagé entre plusieurs ménages, souvent par le biais de la location de certaines parties du logement et se transforme ainsi en maison multi familiale (casa multifamiliar). Cette structure familiale permet de générer une économie domestique, primordiale pour les familles à revenus faibles. Le partage des biens ou encore la garde des enfants participent à la formation d’un esprit de communauté qui permet de consolider les liens sociaux. m2

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Après plus de trente ans, les extensions des projets PREVI par les habitants leur ont permis de multiplier la superficie de leur logement par deux ou par trois par rapport à l’unité d’habitation initiale. Le fonctionnement de la maison se complexifie avec le temps, à travers la cohabitation de plusieurs familles mais également par l’introduction de fonctions complémentaires à l’usage résidentiel. Les familles entreprennent des petits commerces en convertissant les pièces supplémentaires en bureaux ou en petits magasins (fig.1). La flexibilité d’usage permise par une modalité incrémentale entraîne une diversification du tissu urbain dans le temps. Une zone à usage exclusivement résidentiel peut, dans une temporalité longue, se modifier et inclure petit à petit une multitude de services participant ainsi au développement du quartier. La prise de conscience de la part des architectes du processus dynamique d’extensions des logements en commerces ou en appartements à louer, peut influencer la conception initiale des projets architecturaux. Par exemple en privilégiant une possible autonomie des unités d’habitations ou en facilitant une éventuelle séparation des espaces privés et commerciaux futurs. Antérieurement au début du concours, les architectes du projet PREVI furent invités à étudier les modes de vie existants dans les barriadas (bidonvilles) de Lima, afin de mettre en place des propositions en adéquation avec les habitudes locales. Sur le même principe, l’architecte indien Balkashrina Doshi a mené une étude préalable à la réalisation du projet de logements Aranya (p.106-107) en concentrant son étude sur l’observation et l’analyse des usages de l’espace public. La grande majorité des maisons disposent d’un seuil commercial qui établit la transition entre l’espace public de la rue et l’espace privé de l’habitat. Les maisons sont disposées en retrait par rapport à la rue : ainsi, l’activité commerciale est bien distincte de la sphère privée (fig. 2). Dans le cadre d’un habitat incrémental, la désignation de l’usage des pièces ne peut être établie précisémment en avance. Le logement ayant vocation à être considérablement modifié, il est difficile d’assigner un usage strict aux différents espaces de la maison. Le professeur chilien Edwin Haramoto propose ainsi d’accentuer la distinction des espaces à caractère privé de ceux à caractère public, de façon à offrir plus de possibilités et de flexibilité aux familles. La question du seuil et de la relation à la rue fait donc partie des préoccupations architecturales principales dans le cadre d’une stratégie incrémentaliste.


fig.1 exemple de transformation du rez-de-chaussée d’une maison PREVI en petit commerce. © image tirée du documentaire “PREVI: Proyecto Experimental de Vivienda, 45 anos después” réalisé par l’université de Woodbury en 2013 Disponible sur: <https://www.youtube.com/watch?v=1R8t-uPqMOw>

fig.2 études préalables à la conception du projet urbain d’Aranya pour comprendre la relation à la rue et aux espaces publics dans le cadre de bidonvilles le logement se poursuit au dehors du seuil de la maison en créant une transition lente entre espace privé et public. © B. Doshi

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3. Recherche de diversité dans le tissu urbain

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La volonté des architectes de combiner les conceptions formelles et informelles au sein d’un même logement témoigne d’un parti pris architectural fort. En résulte un langage architectural particulier et controversé, défendu par certains comme l’expression positive d’une diversité et condamné par d’autres pour son aspect cahotique et désordonné. L’architecte est alors en charge de contrôler le développement des unités de logements afin de prévoir l’évolution de l’aspect architectural du quartier dans le temps. L’appropriation de l’espace public ainsi que l’introduction de nouvelles fonctions (commerciales notamment) dans le tissu urbain, participent à l’élaboration d’un quartier vivant, enrichi par la confiance mutuelle établie entre professionnels et usagers. Dans le dessin du projet de départ, les transformations peuvent être anticipées de façon à proposer différentes stratégies projectuelles conduisant à une grande variété de situations urbaines.

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3. a. Porosité de façade, relation de l’habitat à l’espace public. En laissant la construction inachevée, l’architecte permet l’introduction plus ou moins importante d’éléments projetés par l’habitant lui-même. Le contrôle de l’objet architectural final n’est donc que partiel mais les choix de composition effectués par les architectes participent à définir la relation du logement avec son espace urbain proche. Les figures présentées sur les pages suivantes illustrent les différents degrés de contrôle du dessin de façade. La part laissée à l’habitant devient alors un parti pris projectuel, témoin d’une volonté esthétique ou programmatique. En effet, l’image de l’ensemble urbain dépend fortement du dessin architectural initial car dans le choix d’une stratégie de conception de la façade urbaine, l’architecte laisser une place différente à l’expression individuelle des habitants. Dans les projets étudiés, les règlementations concernant l’aspect architectural des extensions sont inexistantes. Les usagers agrandissent donc leurs maisons suivant leurs goûts personnels et leurs moyens financiers. Les limites parcellaires sont l’interface entre l’espace public et l’espace privé du logement. Des seuils commerciaux assurent parfois cette transition, agrémentant l’espace urbain alentours de nouveaux usages. C’est le cas du projet PREVI de l’architecte japonais K. Kikutaké (fig.3) qui, en se plaçant en retrait de trois mètres par rapport à la rue, propose un dessin de façade souple. Cette non-définition de l’espace urbain enrichit l’espace public de nouveaux usages mais peut également engendrer des dysfonctionnements sévères si les extensions ne sont pas contrôlées et empiètent sur les espaces collectifs. Afin de maîtriser un dessin architectural résultant d’un partage entre professionnels et usagers, des règlementations urbaines d’ordre esthétique pourraient permettre d’harmoniser l’aspect architectural de l’ensemble.

« La fachada de las viviendas tiene una importancia en cuanto a dar una definición a la imagen urbana, otorgando una base para futuros mejoramientos del conjunto habitacional, siendo un factor cada vez mas apreciado en la calidad futura de un asentamiento. »87 E. Haramoto, 1995 87. “La façade des logements est importante dans la définition de l’image urbaine, en définissant une base pour les améliorations futures de l’ensemble résidentiel, elle devient un facteur toujours plus apprécié dans la qualité urbaine.” T.d.A.

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fig.1 Proposition de J. Stirling PREVI © F. Garcia-Huidobro D. Torres Torriti N. Tugas

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fig.2 Quita Monroy, avant et après incrémentation © Cristobal Palma

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fig.3 Proposition Kikutaké Miro PREVI © F. Garcia-Huidobro D. Torres Torriti N. Tugas


1. La façade en rez-de-chaussée est entièrement conçue par l’architecte dès la livraison du projet. Cette approche permet de conserver un vocabulaire de façade sur rue uniforme, de façon à préserver une certaine cohérence urbaine. Cependant, le manque de souplesse du dessin architectural initial n’incite pas les habitants à investir l’espace public environnant. fig.1 projet PREVI J. Stirling

2. La façade est rythmée par l’alternance de parties bâties et d’espaces vides comblés ensuite par l’habitant. Ce jeu de pleins et de vides est mis en place par l’architecte de façon à ‘encadrer’ les modifications apportées par les usagers. Ces dernières sont alors entièrement libres, c’est-à-dire que l’architecte n’intervient pas sur l’aspect esthétique des extensions car la répétition d’un même module permet de générer une cohérence à l’échelle de l’ensemble urbain. fig.1 Quinta Monroy Elemental

fig.1 projet PREVI K. Kikutaké

3. La façade est entièrement à la charge de l’habitant. L’unité d’habitation initiale est placée en retrait par rapport à l’alignement de la rue de façon à générer plusieurs situations en fonction des interprétations faites par l’habitant. Le front urbain est souple, permettant d’introduire des fonctions nouvelles (commerces...) sur le seuil des maisons (cf. études B.Doshi p.141). Cependant, une telle configuration peut entraîner une sensation de désordre à l’échelle du quartier, car elle peut être assimilée aux constructions des bidonvilles.

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3. b. Esthétique controversée du “laisser-se-faire”, l’approche architecturale de Lucien Kroll. Dans les années 1970, en réaction à la rigidité des ouvrages architecturaux du Mouvement Moderne88, quelques architectes défendent le droit de l’habitant à participer à la conception de son propre logement. Se définissant comme incrémentaliste depuis toujours, l’architecte belge Lucien Kroll prône une esthétique urbaine foisonnante. Cette prise de position idéologique défend l’expression dynamique de l’architecture: une ode à la diversité contre l’uniformité. En s’émancipant des contraintes économiques pouvant régir des projets comme le PR.E.VI. ou ceux de l’agence Elemental, Lucien Kroll concentre sa réflexion autour de l’idée théorique de personnalisation du logement. En réponse à l’uniformisation d’un urbanisme de masse de type Grand Ensemble, l’architecte propose une vision décomplexée de l’architecture-objet alors désacralisée. L’habitant introduit sa “patte” en modifiant son logement selon ses propres goûts.

« C’est un processus en progression qui libère : il s’agit de redémocratiser l’acte de bâtir (…) ces processus et cette technique pourraient alors produire à travers la construction une image de jeu démocratique des personnalités plutôt que celle d’un système profitable ou d’un autoritarisme caritatif. »89 KROLL Lucien, 2012

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«Un tissu urbain vivant, ‘spongieux’, dépassant le seuil de l’objet isolé et homogène, du ‘bibelot’ et permettant de provoquer des relations réciproques avec l’entourage. » KROLL Lucien, extrait de “la Zone Molle” ouvrage destiné aux étudiants de médecine à la livraison de la Mémé en 1964

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Fervent défenseur de la diversité dans l’expression architecturale, Lucien Kroll se place en marge des courants européens, son travail soulevant bien des controverses esthétiques. Ce savant mélange d’auto-construction et d’industrialisation produit une esthétique singulière en termes d’architecture et attise les polémiques. Cependant, pour l’architecte, l’industrialisation n’est pas une contrainte mais peut au contraire participer à une écriture plurielle. La décomposition des éléments de remplissage d’un projet en ‘composants’ et leur assemblage standardisé permettent à l’habitant de les combiner selon ses envies. 88. cf. Partie 1. 1. c. Changement de paradigme en architecture 89. Exposition “Ordres et Désordres” à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine de Paris durant l’Eté 2015 “Une Architecture Habitée” au Lieu Unique à Nantes, Automne 2013


Volontairement cahotiques et désordonnées, ces constructions provocantes nous amènent à nous questionner sur nos propres attendus esthétiques en matière d’habitat. En considérant l’habitat comme un processus en perpétuelle modification, l’architecte s’efface; du moins en apparence. Souvent marginalisé de par son architecture, Lucien Kroll fait partie des premiers professionnels à considérer l’usager en tant que concepteur potentiel de son propre logement. Cependant, depuis quelques années, on observe un regain d’intérêt pour cette architecture atypique. Publié dans plusieurs articles et ouvrages dont notamment ceux de Patrick Bouchain, ou exposé lors de rétrospectives1, le travail de Lucien Kroll est remis au goût du jour. Ce retour tardif serait-il motivé par la valeur historique que prennent désormais ces expériences uniques ou, dans une approche plus optimiste, cela pourrait-il traduire un nouvelle considération du partage des rôles entre architectes et habitants? Serions-nous capables d’accepter plus de souplesse dans le dessin architectural de nos villes européennes aujourd’hui?

“Deux politiques d’habitat étaient possibles: l’une est celle de l’autorité maternante dont les spécialistes calculent les besoins, fabriquent des objets à habiter, rationnels, confortables, hygiéniques, et renforcent la division industrielle des rôles et le désintérêt des étudiants; l’autre est participative, pluraliste, elle englobe chaque interlocuteur comme une personne et non comme une fonction, elle suppose une compréhension, une pédagogie, un échange des responsabilités, un partage des rôles. Elle est contagieuse par avance; en vue d’accueillir les décisions des habitants, elle doit rester mobile, ouverte, transformable, et amorcer la créativité sans la contraindre.” KROLL Lucien, 1964 Woondrecht Admiraalsplein, logements incrémentaux à Dordrecht (Pays-Bas) © Ateliers Kroll

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La personnalisation à outrance des logements naît d’une volonté d’expression d’une individualité mais peut également être perçue comme l’expression d’une culture commune ou d’une tradition constructive vernaculaire. En introduisant l’auto-construction dans le dessin initial, la conception d’un habitat incrémental doit autant que possible prendre en compte les spécificités culturelles présente dans chaque endroit afin de fournir les prémices d’un logement capable d’être assimilé rapidement par ses occupants.

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« ...el habitante se manifiesta de multiples maneras modificando las soluciones originales demostrando su identidad y siguiendo patrones de orden significativo mas que los puramente funcionales a pesar de los recursos escasos. Parecería entonces fundamental evitar trabajar con prototipos simplificados de núcleos familiares que dan origen a estándares de diseño, aplicados indiscriminadamente por los arquitectos en soluciones masivas y tratar de llegar a un mayor nivel de comprensión de los requerimientos reales de los habitantes y sus diversos modos de vida, subculturas y aspiraciones. » 90 E. Haramoto, 1987

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Le lâcher-prise de la part de l’architecte sur son ouvrage final permet de créer des situations inattendues ou imprévisibles. En effet, les extensions effectuées par les habitants ne sont pas nécessairement liées à la pure fonctionnalité qui pourrait guider le dessin architectural du logement social. La complexité des structures familiales ainsi que la spécificité des modes de vie de chaque famille entraînent des solutions différentes dans chaque cas. Là où avaient échoué les propositions de standardisation extrême de l’habitat (définition d’un habitant-type que l’on retrouve dans les opérations de logement collectif à grande échelle - Grands Ensembles par exemple), les expériences d’habitat incrémental introduisent la possibilité d’une grande diversité de cas. L’architecte, en ne contrôlant pas tous les paramètres du logement final, laisse place à des interprétations différentes, reflets de modes de vie réels. L’habitat peut ainsi fonctionner comme un laboratoire d’étude pour les professionnels de la construction, qui peuvent, à l’instar des architectes du PREVI dans les barriadas de Lima, apprendre tout autant des solutions architecturales réalisées par les habitants euxmêmes.

« La diversité entraîne la créativité, la répétition l'anesthésie. » L. Kroll, 1979 90.“...l’habitant se manifeste de nombreuses façons en modifiant les solutions originales en démontrant son identité et en suivant des schémas plus significatifs que ceux purement fonctionnels, et ce malgré l’absence de ressources. Il semblerait ainsi fondamental d’éviter de travailler à l’aide de prototypes de cellules familiales simplifiés donnant naissance à des standards, appliqués indistinctement par les architectes pour des solutions massives, et d’essayer au contraire d’atteindre un niveau plus grand de compréhension des exigences réelles des habitants et de leurs divers modes de vie, cultures et aspirations.”


3. c. Equilibre fragile entre diversité exubérante et composition monotone. Certaines opérations d’habitat incrémental sont réalisées dans un contexte d’extrême pauvreté. Afin de résoudre les problématiques engendrées par la construction de bidonvilles, les extensions construites par les habitants eux-mêmes sont encadrées grâce au dessin architectural. Face aux contraintes économiques lourdes impliquées par une action ciblée sur le logement social pour les populations urbaines les plus pauvres, l’agence Elemental défend le parti pris d’un dessin urbain monotone. Conscients qu’un urbanisme mêlant architecture formelle et informelle puisse engendrer une image cahotique, le choix se porte sur une composition répétitive, capable d’apporter un motif et un rythme architectural et de contrôler ainsi l’aspect général du projet.

« No podíamos (ni queríamos) controlar la manera en que se hicieran las ampliaciones, pero si podíamos dividirlas y enmarcarlas. El edificio paralelo fue diseñado como una estructura « porosa », un soporte para las ampliaciones improvisadas. En este sentido, era muy importante que los componentes de este « edificio inicial » estuvieran estratégicamente colocados en las aristas de los lotes, para poder controlar así la calidad del frente urbano futuro. »91 A. Aravena & A. Iacobelli, 2012 Cette solution architecturale de répétition d’une unité d’habitation peut être élégante dans le cadre d’opérations de petite taille comme pour la Quinta Monroy en 2004, avec la construction de 93 unités. Cependant, la nécéssité de loger un grand nombre de personnes devient si urgente que les opérations de construction de logements sociaux prennent de plus en plus d’ampleur à mesure que le modèle Elemental est diffusé. A la suite du séisme dévastateur de 2010, la municipalité de Constitucion fit appel à l’agence chilienne pour la réalisation du nouveau plan urbain de la ville, étendant la reproduction des unités à une échelle sans précédents (fig.2) Complétée en 2016, cette opération ne nous permet pas cependant d’avoir le recul nécessaire pour juger de son évolution future. Suivant le même schéma d’alternance entre parties construites et parties laissées à l’habitant, le projet Lo Espejo (fig.1) a suivi un chemin différent. Un concours de circonstances a permis 91.“Nous ne pouvions (ni ne voulions) contrôler la manière selon laquelle les extensions se feraient mais nous pouvions les diviser et les encadrer. (...) Dans ce sens, il était très important que les composants de ce ‘bâtiment initial’ soient disposés stratégiquement sur les arêtes des parcelles, pour pouvoir ainsi contrôler la qualité de la future façade urbaine.” T.d.A.

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aux habitants de bénéficier d’une subvention supplémentaire pour l’implémentation de leurs logements. La municipalité prit donc en charge la construction des parties manquantes, en amont de la livraison, en répétant une solution unique à toutes les maisons. Un tel projet, prévu pour s’implémenter lentement dans le temps perd considérablement de sa qualité architecturale en étant complété dès la livraison. Le manque de diversité et l’aspect figé des logements pose la question de la limite de cet urbanisme itératif.

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Les imperfections du logement final en terme de conception et de réalisation sont plus facilement acceptables du fait que les habitants se sentent eux-mêmes responsables de leur logement. L’auto-construction intervient ainsi également comme moyen pour l’architecte de se détacher du dessin final. L’habitant est plus conscient du processus de réalisation et des difficultés rencontrées lors de la construction de son propre logement. A l’inverse, une forme de fierté émane des projets auto-construits. L’habitant se sent naturellement plus impliqué dans la construction et la conception mais également plus responsable de l’état et de l’amélioration de son logement car c’est sa propre image sociale qui est en jeu à travers l’image de l’habitat.

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Afin de ne pas produire un champ monotone de maisons individuelles répétitives et d’apporter une qualité architecturale et urbaine, l’architecte intègre de la souplesse dans son dessin. La rigidité des systèmes de préfabrication est alors contrebalancée par la personnalisation des édifices livrés bruts. Cependant, la fragilité d’un tel dessin peut entraîner le renversement des bonnes intentions de départ. La répétition du schéma à très grande échelle ou un achèvement anticipé du processus semble appauvrir le projet et le transformer en une solution simpliste.


fig.1 (en haut) remplissage anticipé des vides du projet de logements Lo Espejo à Santiago (Chili) fig.2 (en bas) vue de l’opération Villa Verde pour la reconstruction de la ville de Constitucion (Chili) © Elemental

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3. d. Perspectives d’un schéma urbain exclusivement incrémental. L’acceptation à grande échelle de la personnalisation du logement et de l’expression de l’individualité des habitants, sans considérer ces paramètres comme détériorant la qualité de l’ensemble urbain, pourrait permettre d’envisager la diffusion d’un schéma d’habitat incrémental à grande échelle.

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Parallèlement aux expérimentations construites par l’Etat chilien, le milieu universitaire est également prolifique sur la question de l’incrémentalisme. A travers les écrits d’Edwin Haramoto, professeur à l’Universidad Pontifica de Santiago de Chile, se développe la notion de Vivienda Progresiva (logement progressif). Il met en place une série de schémas se basant sur les expériences précédentes en matière d’urbanisme évolutif pour proposer par la suite son propre modèle théorique.

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En réaction aux projets Site-and-Services, il défend l’idée qu’une opération architecturale à caractère incrémental ou capable de progresser dans le temps, doit bénéficier d’un minimum d’éléments urbains pour lui permettre de fonctionner correctement. En effet, en ne fournissant que le tracé parcellaire et le raccordement aux réseaux, le contexte urbain proposé reste relativement pauvre. Afin d’accélérer et de contrôler un processus progressif d’urbanisation, le cadre doit être suffisamment explicite et complet pour permettre d’anticiper et de gérer la bonne marche du projet à grande échelle. Comme soulevé précédemment dans l’analyse de la proposition de l’architecte Christopher Alexander (cf. The Grassroots Housing Project pp. 44-49), le double effort à fournir de la part des habitants pour la réalisation simultanée du logement et des espaces collectifs, freine considérablement le processus incrémental. Le dessin urbain est, pour Edwin Haramoto, essentiel à la bonne marche d’une stratégie incrémentaliste. En effet, contrairement aux théories avancées par l’architecte britannique, il défend l’idée selon laquelle les habitants devraient être uniquement responsables des transformations, améliorations et maintenance de leur environnement proche. En aucun cas le dessin urbain ne doit être effectué par les usagers eux-mêmes. Les éléments de départ doivent être présents en quantité suffisante pour donner des pistes aux dessins urbains futurs car en donnant trop de responsabilité conceptuelle à l’habitant, la probabilité pour que le dessin final soit de qualité médiocre augemente car la précision et le soin portés à la


définition des espaces communs ne sera pas prioritaire. Afin de permettre le bon fonctionnement des aires urbaines, le nombre de logements doit être divisé par quartiers. Cependant, un nombre trop faible de logements ne peut engendrer le dynamisme nécessaire à la mise en place d’espaces communs ou de solutions urbaines. Edwin Haramoto travaillera donc uniquement sur des agroupements de maisons, afin de procurer le dynamisme nécessaire sans la dépersonnalisation engendrée par des ensembles trop grands. Dans un premier temps, l’implication dans la vie de quartier est réduite et passe en second plan par rapport à l’extension et la croissance de la cellule familiale. Selon E. Haramoto, les expériences passées en matière de logement progressif sont insuffisantes du fait qu’elles n’incluent pas ou peu le dessin des espaces urbains. L’intégration urbaine des ensembles est souvent omise. Si l’ensemble de logements est trop grand, l’espace public de dimensions généreuses rend difficile son appropriation par les habitants car le niveau de planification requis est trop important. A l’inverse, un ensemble urbain de taille trop réduite empêchera tout développement d’espaces communs, la marge de manoeuvre et d’interprétation étant trop limitée. La taille raisonnable d’un ensemble urbain à caractère incrémental doit, selon lui, comprendre 350 à 400 familles afin de permettre les relations de voisinage tant formelles qu’informelles. Ces dimensions permettent d’inclure un équipement de proximité dont le rôle principal s’axerait autour de la gestion dudit ensemble.

« Los conjuntos habitacionales muy grandes que se acercan a las mil viviendas o mas, hacen perder el sentido de identidad a sus habitantes, haciendo difícil los compromisos y acuerdos comunes y su efectiva participación en organizaciones comunitarias. Los muy chicos no dejan de ser mas que agrupación de viviendas, sin la debida provision de espacios libres y para equipamientos comunitarios, por lo que su calidad presente y futura dependerá de lo que ocurra o se haga en el entorno urbano donde se insertan. En los conjuntos habitacionales, especialmente de tamaño intermedio, debe existir una adecuada distribución de espacios destinados a areas de edificación de viviendas, vialidad y estacionamientos, areas verdes y espacios destinados a equipamiento comunitario. » 92 E. Haramoto, 1995 92. “Les ensembles résidentiels très grands, avoisinant les mille logements ou plus, font perdre le sens d’identité à leurs habitants, rendant dificiles les compromis et accords communs et la participation effective en organisations communautaires. Les ensembles trop modestes ne peuvent sortir du statut de groupements de maisons, sans la nécessaire provision d’espaces libres pour des équipements communautaires, puisque leur qualité présente et future dépend de ce qui de développera dans l’environnement urbain dans lequel ils s’insèrent. Dans les ensembles résidentiels, en particulier de taille intermédiaire, il doit exister une distribution adéquate d’espaces destinés à des zones d’édification de logements, à la voirie et aux stationnements, aux espaces verts et aux espaces dédiés aux équipements communautaires.” T.d.A.

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Les schémas urbains prospectifs présentés ci-contre (fig.1,2,3) sont le résultat d’une recherche typologique complète sur la notion d’habitat progressif. Sous forme de catalogue, le professeur Edwin Haramoto passe en revue un grand nombre de possibilités en allant de l’échelle du territoire à celle de la cellule d’habitation. L’échantillon étudié ici permet d’observer l’influence des extensions futures sur les espaces publics (axes principaux de circulation), semi-publics (espace collectif partagé et chemins d’accès secondaires) et privés (coeur d’ilôt). Le cas d’étude présenté se réfère à une unité vécinale d’une trentaine de maisons unifamiliales avec parcelles individuelles, composée de familles au niveau de revenus uniforme. Les logements sont conçus de telle sorte qu’ils puissent être agrandis dans le temps, et permettent d’atteindre progressivement un niveau supérieur de qualité résidentielle. La superficie finale optimale de chaque logement avoisine les 70m2 (on se situe alors dans un modèle similaire à celui mis en place récemment par l’agence Elemental). Les maisons initiales sont conçues pour abriter une famille, et les extensions futures sont vouées à suivre son évolution vers une structure multifamiliale. En ne travaillant que sur une typologie de maisons en bandes, Edwin Haramoto étudie deux variables: les maisons jumelées et les maisons continues. Comme dans un schéma urbain classique, les densités d’édifications sont plus élevées en bordure de voie principale (deux à trois niveaux) qu’en coeur d’ilôt (un niveau).

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La traduction pratique des “niveaux” définis par J. Habraken se fait à travers une hiérarchisation précise de l’ensemble architectural et une définition claire des rôles de chacun des acteurs sur la transformation et l’amélioration des espaces publics (gouvernement), semi-public (communauté), semi-privé (voisinage proche) et privé (familles). La lecture clarifiée de ces espaces permet de faciliter son appropriation par les habitants. Le dessin de chacun des niveaux devra prendre en compte les entités en charge de leur conception, réalisation et amélioration. Ses réflexions sur l’impact d’une approche incrémentale du logement à l’échelle urbaine sont des outils précieux pour aider l’architecte à anticiper les différents schémas d’évolution et leur influence sur l’image d’un quartier sur une période plus longue. La variété des scénarii urbains présentés ici rend vraisemblable l’extension du concept de l’incrémentalisme à l’échelle plus grande d’un quartier, voire d’une ville.


fig.1 toutes les limites de parcelles sont “souples” les façades sont ainsi intégralement dessinées par l’habitant. ©E. Haramoto

fig.2 Alternance de bâti et d’espaces libres ©E. Haramoto

fig.3 Les façades sur rues sont définies le coeur d’ilôt reste souple © E. Haramoto

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Simulation de l’évolution d’un quartier incrémental d’après les dessins d’Edwin Haramoto.

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Conclusion Au terme de cette étude sur l’incrémentalisme, l’analyse de cette stratégie architecturale qui a été menée tout au long de ce mémoire permet désormais de proposer une définition de l’habitat incrémental :

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Logement livré non-fini mais dont l’extension maximale est encadrée dès le départ par des dispositifs architecturaux afin de préserver le cadre urbain dans lequel s’inscrit l’habitat. Les rôles sont répartis entre les acteurs : l’architecte prend en charge le dessin des parties requérant une connaissance spécifique, à savoir le noyau technique et le dessin de l’environnement urbain. L’habitant est, quant à lui, responsable de l’implémentation de son logement qui se fait de façon progressive dans le temps, en fonction de ses propres besoins et des ressources disponibles.

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Cette définition résulte de la recherche menée pour comprendre les caractéristiques d’une modalité architecturale jusqu’alors peu connue dans le milieu universitaire et professionnel français. Uniquement diffusé à travers les publications récentes concernant les projets de l’agence chilienne Elemental (notamment depuis la désignation de son fondateur Alejandro Aravena, comme lauréat du Pritzker Price 2016), l’habitat incrémental fait cependant l’objet d’études et d’expérimentations architecturales depuis quelques décennies déjà. L’objet de ce travail de recherche était de retracer les origines et les différentes notions pouvant se rapporter à l’habitat incrémental, afin de comprendre et de définir une stratégie architecturale pouvant se révéler pertinente pour faire face aux problématiques rencontrées par certaines villes contemporaines.


Afin de définir au mieux l’habitat incrémental, le choix fut porté sur l’étude d’un nombre relativement important de projets afin d’en extraire les caractéristiques communes. En ne tenant pas compte du contexte géographique ni de l’époque dans le choix de ces derniers, l’éventail des propositions étudiées fut élargi au maximum. Toutes les expériences en matière d’habitat incrémental furent replacées dans un contexte historique, grâce à une frise chronologique permettant de mettre en lumière les différents moments clefs dans la mise en place de cette stratégie architecturale. L’observation de cette chronologie met en relief deux périodes qui furent particulièrement prolifiques en matière d’expérimentation architecturale : il s’agit du Proyecto Experimental de Vivienda (PREVI) et des nombreux projets plus récents de l’agence chilienne Elemental. La première est le résultat d’un concours international d’architecture mis en place au Pérou entre 1968 et 1973, tandis que la seconde, plus récente, débute en 2004 avec la réalisation de la Quinta Monroy au Chili, et se poursuit encore aujourd’hui avec la construction de nombreux logements sociaux suivant un développement incrémental. L’analyse architecturale présentée dans ce travail de recherche s’est donc appuyée sur l’étude de dix-huit projets (neuf propositions pour chaque période) qui ont été analysés individuellement ou bien rassemblés sous les deux groupes PREVI et Elemental pour permettre la comparaison entre ces deux moments phares. Cependant, afin de ne pas restreindre l’étude à ces projets, d’autres expériences architecturales ont été analysées de façon ponctuelle et développées dans certains chapitres spécifiques. En étudiant sur un même plan des expériences contemporaines et d’autres plus anciennes, ce mémoire s’est attelé à centraliser un grand nombre de données sur le sujet. Les trois parties composant ce mémoire ont permis, d’abord, de de révéler un contexte historique foisonnant, prouvant que les expériences contemporaines ne sont pas le fruit d’une idée totalement innovante mais bien d’une inscription dans une recherche et une dynamique de réflexion internationale ; ensuite, de définir l’habitat incrémental à travers un certain nombre de caractéristiques principales, pouvant être déclinées suivant une grande variété de dispositifs architecturaux; enfin, de montrer que l’application d’une stratégie incrémentale rend compte d’une préoccupation urbaine importante. 155


L’habitat n’est plus un objet mais un système ouvert, dans lequel les compétences des professionnels et des usagers s’associent. Ce partenariat entre acteurs résulte d’une volonté de l’architecte d’intégrer l’habitant dans le processus de conception et de construction de son propre logement. Les modifications d’un habitat incrémental sont donc fortement liées au processus d’évolution des personnes qui l’occupent, car les paramètres qui le constituent sont flexibles et transformables dans le temps. Si le logement peut s’adapter aux besoins changeants d’une famille, cette dernière n’a pas la nécessité de déménager dans une structure plus adaptée. Une forme de stabilité et de sédentarité apparaît, permettant aux ménages les plus précaires de construire et de consolider les liens sociaux et/ou professionnels établis dans l’environnement proche. L’incrémentalisme représente alors un processus lent, évoluant petit à petit selon les nécessités de l’habitant. Il se définit par l’accroissement d’un système par petites étapes successives. C’est donc une croissance et une augmentation progressive qui s’effectue de façon discontinue, en fonction de certains paramètres (dans le cas de l’architecture incrémentale, il s’agit en particulier des besoins et des moyens de la famille).

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L’introduction de l’habitant dans le processus de construction du logement permet de combiner les architectures formelles et informelles et d’accélérer ainsi la mise à disposition de logements dans les contextes urbains les plus extrêmes. En effet, face à la prolifération des bidonvilles aux abords des villes, certains architectes considèrent que l’énergie contenue dans l’autoconstruction de ces derniers peut et doit être intégrée à l’équation du logement social. La croissance graduelle du logement est alors envisagée afin de proposer des solutions efficaces à un problème urbain contemporain.

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Cependant, la réflexion sur le recours à une stratégie incrémentale dans l’habitat prend racine assez tôt, et l’explication du contexte historique dans lequel s’inscrivent les opérations les plus récentes permet de comprendre les enjeux soulevés par la mise en place de cet habitat. En réaction à la standardisation du logement de masse et aux opérations de Grands Ensembles proposées par le Mouvement Moderne, quelques architectes traduisent une volonté de laisser plus de place à l’habitant dans la définition de son propre logement. En résulte la recherche d’une architecture à échelle humaine, plus souple, permettant aux permettant aux habitants de personnaliser leur logement pour mieux se l’approprier.


La réflexion sur l’intégration de l’habitant en tant qu’acteur majeur dans la réalisation du logement ira jusqu’à la suppression totale du rôle de l’architecte. Dans les années 1960, l’architecte britannique John Turner prônait une architecture entièrement autoconstruite, mettant en avant les capacités constructives des habitants, alors sous-estimées par le corps professionnel. Néanmoins, les problématiques engendrées à l’heure actuelle par la croissance incontrôlée des bidonvilles dans le monde prouvent que l’autoconstruction seule est dépassée par un contexte urbain à la croissance sans précédent. Les théories de John Turner semblent alors obsolètes et insuffisantes pour résoudre le mal logement, mais leur influence se retrouve dans la mise en place de projets de logements sociaux à grande échelle. Entre 1968 et 1973, dans la banlieue de Lima au Pérou, un projet expérimental de grande ampleur est mis en place : le PREVI (Proyecto Experimental de Vivienda). Ce projet pilote est le résultat d’un concours international qui rassemble un nombre exceptionnel d’échantillons d’habitats incrémentaux. Le phénomène de croissance exponentielle des bidonvilles est courant dans les pays d’Amérique du Sud. La réflexion menée par le gouvernement péruvien à travers le PREVI trouve notamment son pendant au Chili. En effet, les politiques publiques du pays concernant le logement social sont enclines à l’expérimentation. Depuis les années 1950, les programmes de logements se succèdent en mettant l’accent sur l’utilisation et le développement de solutions d’habitat progressif. Le Programa de Vivienda Dinamica, en place depuis les années 1990, est le dernier projet en lice. Dix ans après sa publication, il fut remplacé par une variante : Vivienda Social Dinamica sin Deuda (2002), afin de tenir compte de nouvelles préoccupations concernant le logement social. C’est dans la lignée de ce contexte historique exceptionnel qu’apparaissent les opérations récentes d’habitat incrémental, menées par l’agence chilienne Elemental. La formation commune à l’Universidad Pontifica de Santiago des membres fondateurs de l’agence Elemental, laisse envisager que ces derniers étaient conscients des évolutions en matière de réflexion sur le logement social au Chili mais également en Amérique du Sud. De plus, l’un des membres de l’agence a participé à la seule étude publiée à ce jour concernant l’évolution du PREVI, introduisant une connaissance supplémentaire dans le domaine de l’habitat incrémental. Faisant désormais partie

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du Ministère du Logement à la maîtrise d’ouvrage, le bras droit d’Elemental, Andrés Iacobelli a sûrement son rôle à jouer dans la multiplication des projets construits et des commandes publiques. De plus, le professeur Edwin Haramoto exerçait au même moment dans l’université rivale de Santiago du Chili et avait déjà publié ses recherches sur l’habitat progressif dès 1987. Ainsi, les deux mouvements importants dans l’histoire de l’incrémentalisme, notamment du point de vue du nombre de propositions construites sont d’une part, le PREVI dans les années 1970 et plus récemment, depuis 2004, les projets d’habitat de l’agence Elemental. L’analyse des dispositifs architecturaux résulte donc de l’étude d’une vingtaine de projets répartis entre ces deux approches. Un habitat ne peut être qualifié d’incrémental que par la présence de trois conditions. D’une part, la mise en place d’une unité d’habitation initiale, qui constitue le coeur du logement et le point de départ des futures extensions ; c’est là que se détermine la répartition des rôles entre professionnels et usagers. La composition et les fonctions de cette unité varient grandement selon les projets, mais tous possèdent a minima les pièces suivantes : une salle de bain, une cuisine et une pièce à usage non défini (il a été interessant de noter que les approches architecturales du PREVI et de l’agence Elemental proposent cependant des variantes non négligeables en terme de confort et de qualité de vie). D’autre part, chaque projet présenté est le résultat d’une somme de dispositifs architecturaux variés ; l’analyse individuelle des projets permet d’établir des catégories en focntion de plusieurs variables: - l’éventuel clos-couvert dès le départ, faisant varier alors la nature des éléments pouvant être modifiés ou ajoutés par l’habitant (enveloppe, toiture, murs, cloisons); - le support structurel sur lequel s’appuient les extensions futures, guidant ainsi l’évolution du projet; - l’implantation des projets sur la parcelle, définissant ainsi différents schémas d’extensions (verticales, horizontales, dans les patios...) Tous ces paramètres engendrent des réactions différentes de la part des familles puisque l’extension du logement suit différents schémas induits plus ou moins par les dispositions du projet de départ. L’ajout des pièces et l’attribution de leurs fonction dépend ainsi des possibilités offertes par le dessin architectural mais aussi et surtout des aspirations individuelles des habitants qui modèlent leur habitat selon leurs besoins, leur mode de vie ou encore leur culture.


L’analyse individuelle des projets du corpus a permis d’établir une comparaison entre les expériences du PREVI de celles de l’agence Elemental, et ce malgré l’écart temporel qui sépare les deux approches. La réalisation des propositions ne correspond pas à la même demande. En effet, le caractère exceptionnel du PREVI ne répond pas au même contexte que celui dans lequel évoluent les projets Elemental. La notion de priorité et les aspirations projectuelles diffèrent alors entre les deux stratégies. Les moyens économiques qui régissent les deux stratégies ne sont pas comparables. Dans un cas, il s’agit d’un projet unique, à vocation de prototype et dans l’autre, il s’agit d’un ensemble de réponses urgentes à une situation économique en crise. Des expériences Elemental, seul le projet pilote de la Quinta Monroy pourrait être rapproché des conditions de la mise en place du PREVI. Il s’agit en effet de la première commande en matière d’habitat incrémental de l’agence, bénéficiant ainsi de l’attention nécessaire à une recherche expérimentale. L’inventivité et la diversité des propositions présentées dans le cadre du PREVI ne se retrouvent pas dans les projets de l’agence Elemental, qui décline une même méthode sous différentes formes. La répétition d’un tel schéma est-elle le fruit d’une volonté conceptuelle de la part de l’architecte ou est-elle subie face à un contexte budgétaire trop restreint ? Il est vrai que la conjoncture internationale actuelle est bien différente de celle qui existait à l’époque du PREVI. Aujourd’hui, la nécessité d’impliquer l’habitant dans la conception et la réalisation de son logement relève en effet, davantage d’une nécessité économique que d’une revendication conceptuelle. Construit sur les traces de l’architecture participative des années 1970, l’habitat incrémental n’en reprend cependant pas les grands principes : l’habitant n’est consulté que lors de la mise en place de prototypes mais cette consultation n’est pas nécessaire pour l’élaboration d’un projet, la participation de l’habitant s’effectuant après la livraison. Celle-ci se retrouve essentiellement dans les phases de conception et de réalisation des extensions une fois le logement livré. Le pari entre usagers et professionnels établi dans l’habitat incrémental s’apparente donc plus à de la coopération qu’à de la participation. Dans le domaine de l’architecture participative aussi, les approches du PREVI et de l’agence Elemental divergent. 159


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En effet, dans les logements du PREVI, l’unité d’habitation initiale est directement habitable par les futurs propriétaires. La nécessité d’expansion n’est donc pas présente dès le moment de la livraison. Le caractère optionnel de l’augmentation du logement peut expliquer d’ailleurs le choix de certains dispositifs architecturaux, la plupart des extensions observées se faisant verticalement, par la construction d’un ou plusieurs étages supplémentaires. Cette première solution pose des questions structurelles et de fonctionnement. L’habitant est alors en charge de l’expansion du clos couvert et touche ainsi au squelette structurel et au bon fonctionnement du logement. Ces modifications impliquent des coûts relativement élevés et s’adressent à une population capable de construire elle-même ou ayant les moyens de faire appel à des professionnels de la construction. La stratégie adoptée par l’agence Elemental est quant à elle, conditionnée par les conditions économiques des familles bénéficiaires. Le recours à l’incrémentalisme étant dû essentiellement à une insuffisance de moyens financiers, l’unité d’habitation initiale est réduite au strict minimum. Les familles ont donc la nécessité d’étendre leur logement dès le moment de sa livraison. Les solutions proposées par l’agence Elemental sont donc pensées afin de faciliter le plus possible la construction des extensions futures et d’accélérer l’amélioration des conditions de vie des habitants. Afin de garantir une certaine qualité architecturale de l’ensemble, l’agence met en place des dispositifs permettant de guider l’auto-construction (toitures, éléments structurels...)

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Les relevés de l’existant du projet PREVI, plus de trente ans après, montrent témoignent que les maisons « d’auteurs » sont ensevelies dans un tissu urbain complètement renouvelé. Plus cadrée, l’approche de l’agence Elemental est d’inclure les extensions dans un volume prédéfini. La capacité d’expansion de l’enveloppe du logement n’entre alors pas dans la définition de l’habitat puisque la possibilité d’agrandissement de la surface du logement peut s’effectuer également à l’intérieur des limites de celui-ci. L’incrémentalisme est une notion qui peut s’appliquer à tout type d’habitat. Cependant, la maison en bande est le type qui paraît le plus approprié à l’application d’une démarche incrémentale. La faible hauteur des logements permet de faciliter la réalisation des extensions sans nécessairement avoir recours à une main d’oeuvre qualifiée ou à un outillage trop complexe, par rapport à des logements


collectifs en immeuble par exemple. Par ailleurs, l’appellation “habitat incrémental” dans les écrits universitaires consultés fait exclusivement référence à son application à des maisons en bande dans un contexte urbain dense. La constitution progressive d’un capital représente également l’un des avantages de cette stratégie projectuelle. En effet, en livrant un logement non-fini, l’architecte parvient à diminuer le prix d’achat de la maison et permet ainsi à des populations pauvres de devenir propriétaires de leurs logements sans s’engager dans des emprunts bancaires qu’ils ne pourront pas forcément rembourser. En agrandissant progressivement les surfaces habitables selon les besoins et les moyens des familles, la valeur du logement augmente avec le temps. La croissance de l’unité d’habitation initiale pouvant également permettre de diversifier l’utilisation de la maison (en transformant certaines pièces en commerces, en bureaux ou en pièces à louer), l’habitant s’appuie sur le logement pour générer de nouveaux revenus. L’introduction d’une variable économique peut ainsi permettre d’améliorer les conditions de vie des populations à travers l’architecture. L’application la plus courante de l’incrémentalisme se trouve d’ailleurs dans le cadre du logement social, dans la recherche de la résorption des bidonvilles notamment. Afin de résoudre les problématiques liées à ce type d’habitat provisoire et illégal, le recours à l’incrémentalisme semble pertinent, notamment du fait de sa capacité à combiner architectures formelle et informelle Les questions d’extrême densité et de surpeuplement sont abordées avec la planification des structures urbaines en amont (par des entités gouvernementales par exemple) à savoir, a minima, l’allottissement, la définition des voiries et le raccordement aux réseaux. L’Etat ne s’engage alors qu’à fournir des logements incomplets, que l’habitant sera chargé d’agrandir par la suite. La planification anticipée d’un développement futur assure un certain standard pour les habitations ainsi qu’une qualité dans le dessin des espaces communs. En facilitant l’accès à un niveau de vie plus élevé, l’architecture est un tremplin pour l’intégration progressive des populations pauvres dans le réseau d’activités que forme la ville. Dans le cadre de logements sociaux, la question du statut de l’habitat se pose. En effet, l’augmentation de la plus-value du logement avec le temps n’est possible que dans le cas où l’habitant est effectivement propriétaire de son logement. L’accès à la propriété

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semble être une des conditions de la mise en place d’un habitat incrémental. Cependant, les politiques concernant le logement social diffèrent selon les pays; et si la mise à disposition de logements sociaux en France relève essentiellement du parc locatif, ce n’est pas forcément le cas dans d’autres contextes. En effet, dans des pays comme le Pérou ou le Chili, les politiques de logement social s’axent principalement sur la mise à disposition de subventions d’aide à l’achat d’une maison individuelle. La notion de propriété fait alors partie des mécanismes de mise en place du logement social, permettant ainsi d’y appliquer efficacement une stratégie incrémentale. L’accès à la propriété de logements individuels permet également d’en faciliter le processus d’extension. Chaque famille évoluant suivant un rythme qui lui est propre, l’absence d’intermédiaires (propriétaire, Etat), permet d’accélérer les procédures et d’augmenter l’efficacité du processus de densification des logements.

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Mais l’habitat incrémental, de par sa capacité à accepter un grand nombre de petites modifications dans le temps, est par essence un éternel chantier. Appliqué à l’échelle d’un quartier, cette stratégie projectuelle peut vite s’avérer difficile à supporter pour les habitants. Il est cependant possible d’imaginer la mise en place d’une période de travaux afin de concentrer et d’harmoniser les travaux au sein du quartier. La mise en place d’une stratégie incrémentale à l’échelle d’un quartier implique de nombreuses conditions pour permettre que l’évolution individuelle des maisons n’altère pas la qualité de l’ensemble.

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Une construction inachevée implique un dessin urbain particulier, en constante évolution. L’acceptation de la part des habitants des modifications permanentes subies par leur environnement est alors nécessaire dans la mise en place d’une stratégie incrémentale. Le partenariat entre professionnels et usagers implique que le vocabulaire architectural de l’ensemble du quartier ne soit pas défini dès le début du processus. Les différents dispositifs architecturaux choisis dans chacun des projets entraînent des situations diverses concernant le rapport de l’habitat avec la rue. En effet, suivant le degré d’action de l’habitant dans la définition de la façade, le vocabulaire de l’ensemble urbain peut changer. Les maisons du PREVI revêtent, par exemple, une diversité d’usages qui enrichissent considérablement le tissu urbain mais doivent également faire face à une détérioration des parties communes du fait d’extensions individuelles non contrôlées.


L’agence Elemental quant à elle opte pour une solution auto-explicative, une architecture simple aux dimensions standard, facilement appropriable et modifiable. Plus raisonnée en matière de sécurité structurelle et technique, cette approche laisse cependant peu de place à l’expression des habitants comme en témoignent certains projets dont l’enveloppe est définie à l’avance dans son intégralité (projet Renca). Le propriétaire de la maison n’a de marge de manœuvre qu’à l’intérieur de son logement, laissant la définition du tissu urbain aux architectes. Encore une fois, il est nécessaire de rappeler que nous n’avons pas le recul nécessaire pour connaître les tournures que prendront ces différents projets sur une temporalité plus longue. Les caractéristiques architecturales d’un quartier incrémental pourraient également être définies à travers l’application d’un cadre règlementaire, capable de cadrer et de contrôler les extensions individuelles de façon à harmoniser le développement de l’ensemble urbain. La maturation d’un projet d’habitat incrémental peut être définie par la saturation du système. En s’inscrivant dans un contexte urbain dense, les possibilités d’extension du logement sont limitées pour conserver une qualité architecturale et urbaine. La question qui apparaît alors est celle de la transmission d’un tel habitat. Arrivé à terme, l’habitat est le résultat d’une série de transformations faites par les habitants en fonction de leurs propres aspirations. Or, une telle personnalisation peut-elle poser problème à l’heure de la vente du logement ? Cette question reste en suspens car à l’heure actuelle, les expériences d’habitat incrémental sont encore trop récentes pour pouvoir étudier le phénomène de transmission des maisons. Dans le cadre du PREVI, il est ainsi possible d’imaginer que la transition entre propriétaires et futurs acquéreurs se fera naturellement, étant donné que l’auto-construction est monnaie courante dans la capitale péruvienne. L’habitat incrémental, une fois arrivé à saturation est alors replacé sur le marché immobilier classique puisque les possibilités d’accroissement sont alors quasi nulles. Sa valeur finale est alors théoriquement supérieure à la valeur d’achat puisque le nombre de pièce et la surface habitable totale du logement peuvent avoir doublé, voire triplé. Certes, l’incrémentalisme réside en l’accroissement progressif d’un système par une succession de petites étapes. Cependant, serait-il envisageable de considérer le processus à l’envers ? La rétraction des surfaces pourrait permettre d’introduire

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une nouvelle flexibilité dans le logement qui évoluerait alors en suivant exactement les variations de la structure familiale de ses occupants. Un tel schéma permettrait aux ménages d’adapter leur logement à leurs capacités, en prenant en compte non seulement les périodes de croissance mais également de décroissance de la composition de la cellule familiale. Plus subtil qu’une simple extension de véranda dans un lotissement pavillonaire, l’habitat incrémental tel que défini à travers cette étude, rend compte d’une préoccupation urbaine importante. Le développement de cette modalité d’habitat répond d’ailleurs à une problématique urbaine bien précise : l’essor exponentiel des bidonvilles. A travers l’utilisation de mécanismes et dispositifs projectuels, les architectes tentent de formaliser l’informel en introduisant les possibilités d’extensions au dessin d’origine. Plus ou moins guidées, ces transformations enrichissent le tissu urbain ou du moins le complexifient en lui apportant de nouvelles caractéristiques que celles proposées par le dessin initial de l’architecte.

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Au terme de cette étude, beaucoup de questions restent encore en suspens mais le sujet de l’incrémentalisme en architecture fut traité de la manière la plus exhaustive possible. Aujourd’hui méconnue en France, cette approche architecturale mérite d’être étudiée. Ne serait-ce que pour comprendre les enjeux architecturaux qui régissent les villes des pays en développement ou bien encore pour en appliquer certains principes par analogie dans nos propres métropoles occidentales.

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Annexes

l’habitat incrémental - MFE ENSAPB

1- Charte de l’habitat incrémental selon l’agence ELEMENTAL Disponible sur : www.elemental.cl

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2- Grille d’analyse personnelle pour l’étude des projets du corpus

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