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Avant-propos
Manuela Ferreira Pinto
Secrétaire générale de l’Asdifle
La thématique de la 55e rencontre de l’ASDIFLE a été inspirée par le rapport d’information « La Francophonie : action culturelle, éducative et économique », déposé par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale (22 janvier 2014) et dont Pouria Amirshahi est le rapporteur. Ce rapport, un des plus remarqués de ces dernières années, décortique les politiques publiques en faveur du français et l’état de la francophonie. Pouria Amirshahi y présente un état des lieux précis et sans concession de la situation du français dans le monde et en France et y fait des propositions originales pour une « géopolitique de la Francophonie » dont s’est largement inspiré le rapport ATTALI remis au président de la République en août 2014.
Acteurs éducatifs dans la mondialisation, les professionnels de l’enseignement du français langue étrangère et langue seconde sont amenés à évoluer dans des cadres en constantes et permanentes mutations et à rencontrer les problématiques décrites et analysées dans ce rapport. Il nous a donc semblé utile de mettre en dialogue les constats et les propositions de ce rapport avec les réalités et les idées des hommes et des femmes qui composent la communauté mondiale des professionnels de l’enseignement du français.
Alors que depuis quelques années, les nouvelles technologies représentent l’innovation dans l’esprit de tous, ce rapport parlementaire nous donne l’occasion de montrer que d’autres facteurs participent des mutations présentes et à venir de l’enseignement du français dans le contexte de la mondialisation telles que les politiques en faveur du plurilinguisme, les enjeux de la scolarisation universelle et de la qualité de l’enseignement, la mobilité des personnes (étudiants, professionnels, réfugiés), mais aussi la place de plus en plus forte de l’économie dans les politiques éducatives et linguistiques qui modifient les conditions de travail et le statut des enseignants.
Parmi les principales propositions contenues dans le rapport, on trouvera le soutien à « la scolarisation des enfants et leur maintien dans le système scolaire le plus tard possible ». Cette proposition concerne d’abord l’Afrique francophone qui porte grâce à son dynamisme démographique, l’avenir de la Francophonie. On y montre que « l’argument démographique souvent utilisé pour faire des projections optimistes de locuteurs francophones est donc tout aussi potentiellement un destructeur de francophonie. La cause en est souvent la détérioration des systèmes d’éducation
et d’enseignement supérieur, qui n’arrivent pas à absorber la cohorte de nouveaux élèves et étudiants ». En effet, le français ne se maintiendra en Afrique francophone que si les États améliorent la qualité de l’éducation notamment en pensant l’enseignement du français et EN français dans le respect des langues nationales et en articulation avec ces langues. L’aide bilatérale française (Agence française de développement) et multilatérale francophone en matière d’éducation a été mobilisée pour répondre aux objectifs du millénaire définis dans le programme « Éducation pour tous ». Après cette phase de massification qui a surtout permis de construire des écoles, les États s’inquiètent de la qualité de l’éducation. Le rapport remis au parlement alerte les parlementaires sur les conséquences de la baisse des moyens dédiés aux politiques de coopération éducatives et linguistiques (suppression des postes d’attachés de coopération éducative et de coopération pour le français, manque de formation de ces agents), l’émiettement des compétences au sein de plusieurs établissements et agences de l’état (Institut français, CIEP, AFD…) et enfin le transfert en cours de compétences vers les Alliances françaises et les Instituts français.
Dans ce contexte, le rapport propose de traiter comme enjeu prioritaire la question de la formation et du renouvellement des professeurs de français dans le monde, d’assurer la mise à disposition d’outils pédagogiques, au contenu adapté aux contextes locaux, de valoriser le patrimoine littéraire francophone dans sa diversité, d’expérimenter plus largement les matériels innovants et de mettre en place des programmes de français professionnels ou spécifiques en direction des adultes. Les certifications sont présentées dans le rapport comme un axe fort à développer puisqu’elles génèrent des ressources financières utiles à la coopération linguistique et stimulent l’apprentissage de la langue. Enfin, fait rarissime, les normes sont citées comme un instrument d’influence tout comme les dispositifs d’assurance de la qualité de l’offre de cours, instruments d’accompagnement de la mobilité entrante vers la France.
Le rapport remis au parlement avance des propositions pour soutenir un enseignement de qualité du français et EN français et donc rééquilibrer les politiques en faveur du français dans les systèmes éducatifs après la période « Soft power » qui arrimait ces politiques à l’action culturelle et qui s’est notamment concrétisée avec la création de l’Institut français en 2010. De plus, de nombreuses propositions détaillées et chiffrées figurent dans le document pour donner une nouvelle impulsion aux actions de l’OIF en faveur de l’enseignement du français. En effet après la phase d’élargissement de ses membres en cours (Arménie, Grèce, Albanie, Cap Vert…), on propose de constituer un premier cercle francophone au sein de l’Organisation pour permettre de relever les enjeux d’une scolarité de qualité en français et d’éviter d’émietter les moyens financiers dans l’éducation. Pour les auteurs du rapport, la place de la francophonie est à penser « en France même », en interrogeant la place de l’anglais, en montrant « la richesse francophone » à la société civile, chefs d’entre-
prises, chercheurs et élus, en constituant des réseaux et « en mettant en mouvement des communautés d’intérêt ». Les auteurs du rapport montrent que « le contexte actuel est porteur d’un possible renouveau pour la francophonie… ou de son effacement progressif », que « la Francophonie sera populaire ou ne sera pas », qu’elle doit être une « Francophonie de solidarité et de conquête » et que l’éducation comme lieu de construction d’une appartenance culturelle francophone en est la priorité.
Toutes ces questions sont inscrites dans l’histoire de l’Asdifle. Les politiques linguistiques, le rapport entre langue et éducation, la place de la recherche universitaire et sa mise en réseau, l’interculturel, le plurilinguisme, la formation des enseignants sont au cœur des réflexions des membres fondateurs et des membres actifs de l’association. Les évolutions décrites dans le rapport interrogent les enseignants jusque dans la classe puisque les programmes, les outils de travail, le rôle et le statut social et institutionnel de l’enseignant de français changent au rythme des mutations sociales, économiques et politiques et engagent les professionnels à innover, à chercher de nouvelles voies pédagogiques et à changer de posture.
Avec cette 55e rencontre intitulée Français langue étrangère et mondialisation, il s’agit de rétablir au sein de l’association un espace de dialogue entre acteurs politiques et acteurs de terrain en s’appuyant sur les conclusions de ce rapport parlementaire et en interrogeant particulièrement la « mise en œuvre des politiques publiques en faveur du français », « les enjeux liés à la mobilité étudiante et professionnelle », « la dimension interculturelle de l’enseignement/apprentissage du français ».