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Recensions
comprendre la grammaire. une grammaire à l’épreuve de la didactique du FlE. Marie-Armelle Camussi-Ni & Annick Coatéval (2013). Presses Universitaires de Grenoble.
Destiné aux étudiants en formation à l’enseignement et aux enseignants de français (FLM, FLE, FLS), il ne s’agit pas là d’un ouvrage théorique en didactique de la grammaire ni d’une grammaire de référence, mais d’un outil pratique qui ambitionne à la fois de donner à ses lecteurs des « méthodes d’analyse de la langue » et de leur fournir une « démarche didactique » (p. 7). Les auteures partent du constat selon lequel l’enseignant de français a à la fois besoin de connaissances fines du système grammatical de la langue et de méthodes pour transposer ses connaissances linguistiques et métalinguistiques dans la classe.
L’ouvrage, de 275 pages, s’appuie sur une approche inductive de la langue et est organisé selon le découpage suivant : -un avant-propos dans lequel les auteures explicitent leurs objectifs et justifient leur choix d’intitulé ; -un mode d’emploi qui donne quelques recommandations quant à l’utilisation de l’ouvrage ; -une première partie traite de « morphologie » ; -une deuxième partie aborde la « syntaxe : mise en relation des unités » ; -conclusion ; -bibliographie ; -glossaire.
La première partie compte 10 chapitres répartis en 3 grandes parties :
InTROduCTIOn : Des unités morphologiques différentes : l’unité verbale et l’unité nominale -Des obstacles au repérage des unités : l’homophonie et l’environnement phonétique
A. L’unITE vERBALE
-Les partiels de l’unité verbale -Les types de l’unité verbale -Le jeu des morphèmes complémentaires -Le verbe : la conjugaison
B. L’unITE nOMInALE
-Les partiels de l’unité nominale et les types de l’unité nominale -Les valeurs différentielles des déterminants -Les différentes variantes de l’unité nominale -Le genre et le nombre dans l’unité nominale
La deuxième partie aborde en 2 grandes parties et 7 chapitres les éléments suivants :
InTROduCTIOn : la notion de relation syntaxique : la mise en relation de deux unités ou l’adieu à la liberté
A. LES SynTAgMES vERBAux
-Le syntagme sujet -Le syntagme objet -Rupture et syntaxe : la dislocation -Le syntagme impersonnel -Le syntagme circonstant : une apparente absence de contraintes
B. LES SynTAgMES nOMInAux
-Les syntagmes nom + nom -Les syntagmes nom + verbe
Chacun des chapitres s’organise autour de 3 phases. Une première phase, qui s’intitule APPROCHE, est destinée, à partir de propositions ludiques, à enrôler le lecteur et à tester – tout en éveillant sa curiosité ou en réactivant ses connaissances – ses compétences grammaticales. Il s’agit là d’accomplir de petits exercices comme d’analyser des énoncés erronés, résoudre des énigmes, faire des exercices de complétion, observer, faire des comparaisons, qui permettront de se sensibiliser pour entrer dans la lecture de la deuxième phase, celle de la DESCRIPTION. Au cours de celle-ci, les auteures exposent le phénomène linguistique qui est au cœur du chapitre et décrivent explicitement le système morpho-syntaxique du français. Enfin, la dernière phase, celle de la PROGRESSION DIDACTIQUE a pour objectif de fournir aux enseignants des exemples de corpus leur permettant de mettre en place, dans leurs classes, une approche implicite de la grammaire par observations.
L’ouvrage présente une organisation originale et met en œuvre ce qu’il prône : une approche de la grammaire inductive basée sur l’observation de corpus. Les explications qu’il donne sur certains phénomènes morpho-syntaxiques que les enseignants seront susceptibles de travailler dans leurs classes sont explicites et précises. L’apprentienseignant et/ou l’enseignant en poste y trouveront des éléments éclairants pour une meilleure compréhension du système linguistique du français. Ils devront cependant maitriser les démarches d’enseignement de la grammaire afin de pouvoir utiliser les corpus proposés dans la partie progression didactique. Ces corpus ne sont en effet pas intégrés, à proprement parler, dans une phase de « travail sur la langue », et cette partie n’a pas pour objectif d’apporter aux enseignants des cours de grammaire clé en main.
Lucile Cadet (université de Paris 8)
cultures, discours, langues, nouveaux abordages. Chantal Claudel, Patricia Von Münchow, Michele Pordeus Ribeiro, Frédéric Pugnière-Saavedra, Geneviève Tréguer-Felten (dirs), Limoges, Lambert-Lucas, 230 p.
Cultures, discours, langues, nouveaux abordages est un ouvrage collectif présenté par Chantal Claudel, Patricia Von Münchow, Michele Pordeus Ribeiro, Frédéric Pugnière-Saavedra et Geneviève Tréguer-Felten, membres du groupe « Comparaison » du Syled-Cediscor - Centre de recherche sur les discours ordinaires et spécialisés - de l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Il s’attache à présenter quelques approches qui s’intéressent à la dimension culturelle dans la production de discours. Si la notion de culture est au centre des préoccupations des contributeurs, ces derniers ont cependant des objets d’étude différents : appartenant aux divers courants des sciences du langage (l’analyse de discours à la française, la critical discourse analysis, la pragmatique, l’approche interactionniste, l’ethnopragmatique, la didactique des langues étrangères), les auteurs ont des méthodologies qui différent également. C’est un des intérêts de l’ouvrage : rassembler sous une même entrée thématique (la culture dans le discours) divers horizons et diverses perspectives. Il s’agit pour chaque contributeur de présenter son objet de recherche ou d’étude, sa méthodologie, son corpus et les liens qu’il établit entre langue, discours et culture. L’ouvrage rassemble sept contributions organisées en trois parties et se clôt sur une synthèse critique.
La partie théorique et méthodologique s’ouvre sur l’article du groupe « Comparaison » qui dresse un panorama de ses travaux depuis sa création. Situés dans le champ de l’analyse du discours à la française (ADF), leurs travaux s’inscrivent plus précisément dans le cadre de l’analyse de discours contrastive (ADC), dont l’objet est de comparer différentes « cultures discursives », lesquelles sont les « manifestations discursives de représentations sociales circulant dans une communauté ethnolinguistique sur les objets au sens large, d’une part, et sur les discours à tenir sur ces objets, d’autre part » (p. 17). Leur méthodologie est clairement exposée : à la description linguistique à partir de corpus de type écrit appartenant surtout au genre médiatique, succède la démarche interprétative, où il s’agit d’inférer des représentations mentales à partir des indices collectés. Le recours à la pluridisciplinarité semble nécessaire quand il faut relier des représentations sociales aux représentations mentales. Pour déjouer les pièges de l’ethnocentrisme évoqué par les auteurs (aussi abordé plus loin par Christine Béal et Bert Peeters), et pour résoudre le problème méthodologique qui fait qu’on présuppose d’avance ce qu’on est censé définir (que ce soit l’existence d’un genre de discours ou l’existence même d’une communauté ethnolinguistique), le groupe a recours à la notion de « modules langagiers » et à la distinction « émique/étique ». A ces points communs et à ces convergences, s’ajoutent des différences : les approches sont variables selon les objets étudiés et des divergences, légères, demeurent sur certaines définitions et à propos du lien culture-langue, plus particulièrement. Cependant, tous s’accordent sur le fait que c’est davantage dans le discours que s’incarne la notion de culture, bien plus que dans la langue elle-même (ce sur quoi reviendra Jean-Claude Beacco dans la 3ème partie de l’ouvrage).
Cette notion de culture est abordée de façon originale dans le 2ème article. En effet, Philippe d’Iribarne, dont l’objectif est de comprendre la diversité des formes de vie collective et d’en faire l’inventaire, conceptualise la notion de culture sur deux niveaux: un niveau qui correspond à l’existence d’ « images idéales de bonnes et de mauvaises manières de vivre ensemble qui prévalent dans une société » (p. 49) et un niveau qui renvoie à un ensemble de « type de craintes qui la marque » (p. 49). A travers des exemples concrets, l’auteur montre comment les propos tenus par des acteurs sociaux en interaction dans une organisation professionnelle donnent accès à ces deux niveaux de la culture. A partir d’un corpus constitué d’entretiens et de documents écrits, l’auteur procède à la description comparative d’éléments linguistiques mais aussi non-linguistiques pour ensuite construire une image d’ensemble de la culture de la société dans laquelle s’inscrivent les participants. Il pose l’hypothèse qu’une organisation professionnelle aura les mêmes formes que celle de la société dans son ensemble au niveau des conceptions du vivre ensemble. Il pose aussi l’hypothèse qu’« un groupe qui appartient à la même société politique partage la même culture politique » (p. 55). Ici aussi, la démarche interprétative interroge le chercheur : comment relier à une figure d’ensemble des traces s’il faut d’abord constituer cette figure d’ensemble à partir de ces mêmes traces ? Par une démarche dite « d’abduction », dans un mouvement de va-et-vient permanent, le chercheur aura recours à de nouveaux indices qui lui permettront de réajuster constamment l’image qu’il forme ainsi de la culture concernée. Il laisse malgré tout une question sans réponse : la culture conditionne-t-elle la vision du monde et de ses évènements ou conditionne-t-elle la mise en discours du monde et de ses évènements ? Patricia Von Münchow y reviendra dans sa synthèse critique.
Pour terminer cette partie théorique, Christine Béal, dont les travaux s’inscrivent dans le courant de la pragmatique, cherche à montrer comment la culture vient s’incarner dans la communication. Se situant dans le champ de la communication interculturelle (comme Jean-Claude Beacco plus loin), elle vante les mérites d’une approche pluridisciplinaire pour aborder son objet d’étude, qui est la communication interculturelle. En prenant comme exemple l’analyse des dysfonctionnements et des malentendus, lieu privilégié où les valeurs culturelles et les représentations sociales s’incarnent dans le discours, elle montre que, selon l’objectif de recherche que l’on se donne, on utilisera des méthodologies différentes qui emprunteront à la psychologie sociale, à la didactique ou à l’anthropologie culturelle. Cette approche « éclectique », pour reprendre l’expression de Catherine Kerbrat-Orecchioni, apparait nécessaire pour décrire et interpréter le phénomène étudié dans sa totalité.
La deuxième partie de l’ouvrage, plus abordable pour les non-spécialistes, est orientée vers des études de cas. Elle débute avec une contribution de Véronique Traverso. Interactionniste, elle observe la mise en place de spécificités culturelles dans l’interaction. Son corpus, tout à fait fascinant de par sa richesse, est composé de transcriptions de réunions plurilingues en situation professionnelle au cours desquelles il est question de la rénovation des hammams dans le pourtour méditerranéen. Les participants, experts de divers pays, ont recours à plusieurs langues. Ici, l’auteure
montre comment la différenciation culturelle peut être observée dans des pratiques discursives interactionnelles telles que celles de la reformulation, de la traduction et de l’alternance codique. Ces pratiques, qui généralement visent à la coopération et à l’intercompréhension, peuvent aussi amener à brouiller la compréhension et à construire de l’opacité, ce qui se passe dans les deux moments qu’elle analyse. Ne partant pas de l’appartenance culturelle des participants mais des traits culturels qu’ils font jouer dans l’interaction, et ce consciemment ou pas, elle conclut que, si la culture est certainement dans le discours, on peut aussi avancer que la culture se construit dans le discours en interaction, au cours même de l’échange.
Dans une perspective ethnopragmatique, l’article de Bert Peeters pourra faire sourire par son objet d’étude : il étudie la « saillance » linguistique et culturelle de la « râlerie », « comportement symptomatique d’une valeur culturelle française » (p. 117). Son objectif est clair : étudier des comportements communicatifs culturellement et linguistiquement saillants. Sa démarche méthodologique étant celle de l’ethnopragmatique, il présente d’abord une description des outils méthodologiques utilisés, en particulier la MSN (métalangue sémantique naturelle), outil qui s’avère utile pour contourner tout risque d’ethnocentrisme, puis il décrit son corpus. Constitué, comme chez Christine Béal de faits linguistiques et non linguistiques, il est composé de données (faits de langue, phénomènes discursifs, cadres communicatifs), à partir desquelles il infère une valeur culturelle (l’esprit contestataire dans le cas présenté ici) à un comportement communicatif (« la râlerie »). Pour clore son analyse, il chercher à vérifier la pertinence de la valeur culturelle présumée par le recours à d’autres indices, collectés dans d’autres corpus.
La troisième et dernière partie, dédiée aux questions didactiques, intéressera davantage les enseignants. Elle se compose de la contribution de Claire Kramsch, qui situe ses travaux dans le champ de la Critical Discourses Analysis (CDA). A partir de l’étude de la façon dont la conscience historique et politique est enseignée dans deux manuels différents de langue (un manuel allemand pour l’enseignement de la langue allemande et un manuel américain pour l’enseignement de la langue allemande), elle met au jour, à partir d’indices linguistiques, les orientations politiques à l’œuvre dans ces mêmes manuels. Partant des notions de discours et de genres de discours, elle a recours aux outils de la CDA pour analyser le matériel didactique présenté : la notion de fossé interculturel (« intertextual gap ») lui sert à classer les manuels selon qu’ils correspondent plus ou moins au genre « manuel de langue ». Plus le fossé intertextuel est grand, (plus l’écart est faible entre le texte et le modèle), plus on a affaire à une version synchronisée (« synchronization ») des faits historiques, laquelle s’incarne par une décontextualisation et une recatégorisation des faits évoqués et renforce l’idéologie dominante. Le lien entre le discours, qui s’actualise dans les genres de discours « manuels de langue » et la culture, entendue ici au sens de culture politique et idéologique, est démontré par l’auteure. Dans le cadre d’une éducation qui se veut interculturelle dans la plupart de nos sociétés occidentales, elle rappelle que ces aspects sont à prendre en compte dans l’enseignement et l’apprentissage d’une langue étrangère.
C’est cette notion d’éducation interculturelle, et plus précisément de compétence interculturelle, qui est abordée dans le dernier article par Jean-Claude Beacco. Sa contribution est à part : il ne présente ni corpus, ni méthode. Il ne s’agit pas non plus de présenter un objectif de recherche mais plutôt le projet didactique suivant : comment développer une compétence interculturelle dans l’enseignement des langues étrangères, grâce à laquelle tout acteur social pourrait aisément articuler ses appartenances culturelles, ses répertoires langagiers et l’altérité découverte par l’apprentissage d’une nouvelle langue ? Après être revenu sur le lien langue-culture en critiquant les thèses de B.L. Whorf, il introduit la notion de genre de discours et la définit comme bien plus pertinente pour articuler les pratiques langagières et la culture d’une communauté dont elles définissent l’identité. Pointant les limites du CECR sur le sujet abordé, il redéfinit la compétence interculturelle comme étant la « capacité à entrer en contact avec d’autres cultures à partir de postures a priori positives, dans une forme d’empathie systématique canalisée par une vigilance critique fondée sur le respect des droits de l’homme » (p. 169). Le recours à des descripteurs précis s’avère nécessaire pour saisir cette compétence dans sa totalité et l’auteur, après en avoir listé les différentes composantes, propose plusieurs activités ciblées pour les travailler en classe.
Une synthèse critique de Patricia Von Münchow ferme le ban. Après un retour sur le cahier des charges auquel ont répondu plus ou moins les différentes contributions, l’article met en avant les différences (dans les objets d’étude, les objectifs de recherche, les divers courants des sciences du langage, dans les corpus et les méthodologies) mais il souligne aussi la difficulté rencontrée par la quasi-totalité des contributeurs dans la définition de la culture. En effet, rejetant culturalisme et essentialisme, la recherche aujourd’hui tend à situer la notion de culture au niveau de l’individu, au détriment du collectif, ce qui implique une centration sur le sujet. Alors, pour articuler discours et culture, pour « rendre compte du caractère unique de chaque production discursive et l’influence indéniable de facteurs sociaux et politiques » (p. 204), l’auteure propose, à la suite de Teun A. Van Dijk, le recours à la notion de « modèles mentaux » afin de relier le collectif à l’individu : uniques, les productions discursives d’un individu seraient à ramener, non pas à un contexte culturel défini, mais aux représentations mentales que se fait l’individu de ce contexte culturel. Pour Patricia Von Münchow, la prise en compte de ces représentations mentales se révèle nécessaire pour traiter la question des liens entre les langues, les discours et les cultures.
nadia Marzouk (université de Paris 8, M2)
l’intime et l’apprendre – la question des langues vivantes. Marie Berchoud, Blandine Rui et Claire Mallet (2013). Editions Peter Lang, Berne.
Cet ouvrage, édité par Marie Berchoud, Blandine Rui et Claire Mallet (PRES université de Bourgogne et de Franche-Comté) s’ouvre sur une préface de Louis Porcher éclairant le projet mené dans ledit ouvrage. Le volume se déploie ensuite autour d’un tronc commun d’éclairages théoriques avec des déclinaisons complémentaires spécifiques selon les auteurs. Puis viennent les expériences avec des publics divers (migrants, publics FLE et langues vivantes en général…), dans des situations et contextes les plus variés. Ces contextes ne sont jamais oubliés car l’attention à l’individualisation des apprentissages, grand défi de notre temps, ne saurait légitimer l’escamotage du contexte et des conditions d’enseignement / apprentissage, ni des conditions de production de la parole.
Alors, une affaire intime, les langues ? On parle toujours à quelqu’un, et dans des situations, n’est-ce pas. Mais notre langue première apparaît constitutive de notre moi et de notre développement, cependant que les apprentissages ultérieurs nous aident à grandir, à nous développer, nous adapter – ou parfois nous bloquent, et on se demande bien pourquoi. L’intime alors est ce qui, d’un être s’exprime en OUI ou NON, ou à défaut en attitudes qui les manifestent. Sans ce consentement à la découverte d’une langue autre et de sa maison, et à la recomposition de sa propre maison, qui suppose de se sentir concerné, d’en apercevoir la nécessité, un apprentissage de langue quel qu’il soit finira par piétiner à un moment ou à un autre ; à ce moment précis où les menaces de déstabilisation de son être (être-soi et être au monde) seront perçues comme trop dangereuses à affronter. Cela, comment le savons-nous ? Des centaines de milliers d’élèves et d’apprenants de langue étrangère l’expriment lorsqu’ils disent, par exemple « Moi, prononcer ce mot comme ça ? J’ai l’air d’… (une gonzesse, un constipé, un singe, etc.), ça me déforme le visage ! ». Qui d’entre vous, enfant ou adolescent ne s’est jamais posté discrètement devant un miroir pour se voir en train de proférer de l’anglais, du chinois, de l’arabe ? Pour bien faire, il faut pouvoir se sentir exister un tant soit peu en anglais, chinois, ou arabe ; mais comment s’écarter de soi – sa demeure, comment s’y aventurer sans trop de risques ?
Pour se lancer dans cette aventure, il faut au préalable avoir saisi que la découverte, la recomposition et l’agrandissement de sa maison des langues sont la clé de sa propre richesse. Et donc, les auteurs de ce volume montrent pourquoi et comment opérer un nécessaire renversement de paradigme, en vue de favoriser l’émergence, chez l’être qui apprend, de ce mouvement intérieur vers la langue apprise, en relation avec sa langue 1, et en accord avec lui-même, ou à défaut en désaccord amiable assumé. Cela commence par des pratiques engageant tout l’être, voix, corps, intellect et émotions, et parmi elles les pratiques artistiques, d’expression, de jeu qui ne négligent pas le rapport à autrui, mais n’y sacrifient pas pour autant le sujet, au motif de la commu-
nication, de l’efficacité (qui reste à démontrer, d’ailleurs), des règles, instructions et programmes (car ce qui a été institué peut être changé).
Apprendre, cependant, n’est pas seulement fait de mémoire, de mise en contexte, de rencontres et de mises en situations, mais aussi de reformulations au présent via mille et un chemins biologiques, émotionnels et intellectuels, comme le montrent les travaux sur la plasticité cérébrale, qui ont fait l’objet notamment du colloque du printemps 2008 au Collège de France et de volumes ultérieurs (Ansermet & Magistretti, 2010, 2011), et ce qui en émerge porte un nom simple, la singularité (de chaque humain), même si chacun est aussi un humain parmi d’autres. Que pourrait-il manquer alors ? Tout simplement le point de vue et les échos de ceux qui apprennent, ce qu’ils ont de plus singulier, développé dans leur expérience émotionnelle, cognitive et relationnelle : non pas d’abord le quoi ? Mais le comment ? Si chacun est singulier, tous partagent une dynamique en termes d’apprendre. Et il se pourrait bien que les réponses subjectives et parfois convergentes à cette question du comment permettent de faire émerger des thèmes, procédures et relations liant chaque individu aux autres, en matière de représentations, de culture, d’ancrage local et de façons d’être, dans la conjugaison réinterprétée du soi et de l’autre, jusques et y compris dans les procédures et approches développées sur les bases du CECR.... mais dans une active et même créative réappropriation.
On verra ainsi se déployer dans ce volume des réflexions et expériences menées autour de l’enseignement et de l’apprentissage d’une langue non maternelle, ayant pour point commun la prise en compte du sujet apprenant, avec des modalités variées et des explications et références non unanimes. C’est bien ce qui peut arriver de plus fécond dans une telle perspective autour d’intime et apprendre.
Marie Berchoud (université de Bourgogne), Blandine Rui (université de Franche-Comté)
sur le bout de la langue. Louis Porcher (2014). Éditions CLE Internationale, Paris, 108 pp.
Louis Porcher signe ici un ouvrage atypique tant sur la forme que sur le fond, et dont, à priori, il semblerait difficile d’en faire la description. A priori seulement, car si l’on passe avec art et sans visible transition de « Manières de dire » (p. 64), à « Modèles» (p. 66), de « Leçon de football » (p. 57) à « Apparences invisibles» (p. 58), de « Planète FLE» (p. 74) à « Pluralités » (p. 75), ou encore de « Politiques linguistiques» (p. 76) à « Ponctuation» (p 77), ceci n’en est strictement rien. En effet, au delà d’apparences toujours trompeuses, l’ouvrage est parfaitement cohérent et le tout fait sens, à la lumière des travaux du chercheur, de son implication dans le champ de l’enseignement du français comme langue étrangère, mais aussi de ses convictions.
Petit rappel :
Philosophe, sociologue, spécialiste des médias, Louis Porcher est aussi – comme il le fut dans la constitution du champ de l’enseignement du français langue étrangère – un acteur majeur d’une discipline qui peine à trouver sa légitimité dans l’hexagone : l’éducation comparée (L’Éducation comparée : pour aujourd’hui et pour demain. Éditions l’Harmattan, collection « Éducation comparée », Paris, 2009). On se souvient, entre autres, de son engagement précurseur en faveur de l’éducation artistique (Éducation esthétique : luxe ou nécessité, A. Colin, 1973), de l’éducation aux médias (L’École parallèle, Larousse, 1973), de l’éducation diététique (Apprendre à manger, Esf, 1978) ou encore de la place de l’écologie à l’école (Pédagogie de l’environnement, A. Colin, 1975), ceci bien avant que des soi-disant spécialistes autoproclamés ne s’en préoccupent.
Mais Louis Porcher fut aussi le premier à analyser le domaine de l’enseignement du français langue étrangère à partir du concept bourdieusien de « champ », dans un ouvrage qui fit date (Champ de signes, état du français langue étrangère, Crédif/Didier, 1986) et il contribuera, par ses recherches et ses actions, à la construction de la légitimité de ce domaine, mais aussi à son rayonnement. De même, lorsqu’il fut nommé conseiller scientifique du ministère pour le français langue étrangère en 1983, les maquettes des filières de FLE dans nos universités – voir le n° 64 des Études de linguistique appliquée –, ou encore les certifications en français pour étrangers (Delf/Dalf) s’élaboreront sous sa houlette. Le rôle qu’il a joué durant près de vingt ans au Conseil de l’Europe, comme membre du conseil d’administration de l’Alliance française de 1985 à 2000, au Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français (Crédif) ou encore à l’Université, l’influence qu’il a exercée, dans l’intérêt de notre champ, sur les institutions et leur fonctionnement, font que les positions que nous occupons respectivement aujourd’hui, ont été et continuent d’être intimement liées à ses réflexions et à ses actions, qu’on le sache ou pas, qu’on le veuille ou non. Ce qui fait aujourd’hui l’assise de la didactique du FLE est en grande partie le fruit de son héritage.
Aussi, la publication de ses cent premiers « billets d’humeurs », les blogs – très attendus – qu’il publie régulièrement sur le site de l’association de didactique du français langue étrangère (ASDIFLE) dont il fut à l’origine, est un vrai régal pour celles et ceux, qui, de près ou de loin, s’intéressent aux questions d’enseignement, d’éducation, de politique linguistique et éducative, de langage, etc.
L’ouvrage, que les lecteurs pourront lire d’une traite ou au fil des thèmes qu’ils affectionnent et qui les interpellent, s’appréciera, tant par la diversité et la richesse des notions abordées, que par les références à des concepts clefs (capital, culture, stéréotypie…) ou à des auteurs fondamentaux dans les disciplines qui sont les nôtres (Bachelard, Bourdieu, Sartre, Hegel…), ou encore par le ton privilégié par l’auteur dont on connaît le franc-parler.
Cent blogs, soit cent notions qui, de « A » comme « A chacun son bénéfice » (p. 9) à « W » comme « Wes ? » (p. 108), se dévoilent sur cent pages, toutes plus intéressantes les unes que les autres. L’auteur n’a ni perdu ni de sa verve, ni de son acuité, ni de sa pertinence.
L’organisation de ces blogs selon des axes thématiques transversaux eut été une option ; celui de la langue, du champ du Fle, des médias ou encore d’une sociologie appliquée à l’enseignement-apprentissage des langues. Mais c’est finalement le choix qui a consisté à privilégier l’ordre alphabétique de ses billets d’humeur, et non chronologique – comme cela aurait pu être envisagé de prime abord –, qui s’est imposé. Car une telle option autorise en effet leur analyse par écho au flux de l’actualité – qui se congèle instantanément en histoire, selon Cidrolin – (la date de publication de chaque blog a été maintenue entre parenthèses pour permettre au lecteur cette gymnastique), mais aussi un recoupement par axes thématiques, comme ceux évoqués ci-dessus. C’est bien pourquoi j’évoquais en préambule des apparences trompeuses, car tout prend corps à la lecture de ces cents blogs qui se renvoient les uns aux autres, se complètent.
« Salut, ami » (p. 92), ou plutôt à bientôt, car nous espérons bien pouvoir lire la suite de ces magnifiques billets d’humeur qui nous permettent de partager le regard qui est le vôtre sur ces questions essentielles.
Fabrice Barthelemy (université de Franche Comté)
Projet : 10205922 Imprimé en mars 2014 sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery