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Introduction
1. Formule employée par René DUBOS (agronome, biologiste et écologue français), lors du premier sommet sur l’environnement en 1972, qui résume l’esprit du développement durable.
2. Jean Marc Huygen, Réemploi et artisanat, Matière Grise, Choppin J., Delon N., éd. du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p.153 Nos ressources naturelles, qu’elles soient matérielles ou énergétiques s’épuisent. On pourrait se résigner à cet état de fait et marcher irrémédiablement vers la pénurie. Il semble plus pertinent de se réjouir d’avoir tant à inventer, d’être acteur de cette mutation nécessaire. Les années 70 ont vu naître cette prise de conscience globale concernant les limites des ressources terrestres. Néanmoins, malgré des actions et évolutions ponctuelles, on ne remarque que peu de changements dans notre modèle de production : extraction / production / consommation / rejets (déchets). Nous pouvons ajouter, entre chaque maillon de cette chaîne d’utilisation de ressources, le coût énergétique des transports de matière, puis de produits, puis de déchets.
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Même s’il est difficile de changer un modèle bien (trop) ancré dans nos diverses industries, il est aujourd’hui primordial, voire vital pour les générations futures, d’opérer à des changements de pratique dans le but d’économiser les ressources, de limiter les déplacements de matière et de produits finis et de diminuer le recyclage en faveur d’un réemploi. Ces modifications doivent s’inscrire dans un plan de développement durable de nos territoires, avec la notion d’efforts locaux pour servir un but planétaire. Il s’agit de « penser global, agir local » 1
, c’est à dire prendre des mesures à petite échelle en questionnant notre rapport à la matière et aux ressources tout en mettant en valeur nos déchets en exploitant leurs potentialités constructives. Au delà de cette notion de « durabilité », le « penser global » relève davantage de la soutenabilité : « on ne pourra réduire l’exploitation des ressources non renouvelables de la planète, la dégradation de l’environnement naturel et celle des sociétés humaines que par leur prise en compte conjointe » 2 .
A petite échelle, parlons du recyclage des déchets ménagers. Il est aujourd’hui très répandu en France et la majeure partie des gens, qu’ils soient convaincus ou non de son bien-fondé, ont adopté le tri sélectif. C’est une pratique qui s’est en quelque sorte ancrée dans l’inconscient collectif et qui fonctionne très bien. On pourrait cependant se demander si elle ne fonctionne pas « trop bien », ou plutôt trop systématiquement. En effet, le recours au recyclage est devenu tellement habituel et les techniques étant de plus en plus efficaces que le recyclage est devenu, plus qu’un réflexe, un automatisme. On jette nos bouteilles d’eau pour en racheter de nouvelles, on jette nos papiers plutôt que de s’en servir comme brouillons ou supports à dessin pour les enfants.
Le recyclage n’est-il pas devenu une excuse pour acheter du neuf avec bonne
conscience ? La question du gâchis se pose de moins en moins car ce qu’on recycle n’est pas perdu, il est transformé pour resservir ensuite. En réalité, on s’aperçoit que le recyclage coûte cher en transport, en transformation, puis de nouveau en transport et que de nombreux produits pourraient être réemployés plutôt que considérés comme des déchets à transformer. Le recyclage, tel qu’on le pratique aujourd’hui, peut déresponsabiliser. Quand on parle de recyclage on pense aux objets issus du recyclage comme de nouvelles bouteilles d’eau, des vêtements ou encore des fauteuils roulants. Mais on ne pense pas à toute l’énergie déployée pour en arriver là : entre la collecte, le traitement des déchets, l’incinération, l’enfouissement et tous les transports nécessaires, on arrive à une quantité phénoménale de moyens énergétiques, humains, matériels et techniques.
L’idée n’est pas ici de remettre en question le bien fondé du recyclage, sa légitimité n’est plus à prouver, mais n’existe-il pas une autre façon de considérer les déchets ? Un objet ou produit fini qu’on a utilisé n’est pas forcément un déchet à jeter. Il faudrait réemployer ce produit si possible sans transformation, tout du moins avec un circuit court et de faibles transformations. Ainsi, on économiserait de la matière, de l’énergie, du temps.
Serait-il envisageable de concevoir un réemploi intégrant également la dégradation du matériau réemployé ? Pourrait-on imaginer créer un paysage urbain, friches ou parcs, « en décomposition » ? On utilise aujourd’hui le béton comme matériau de finition en lui prêtant un intérêt tout particulier, peut être pourrait-on traiter le grava de béton comme une composante d’un parc qui s’éroderait comme s’érode la roche.
« Réemployer est l’acte par lequel on donne un nouvel usage à un objet existant tombé en désuétude, qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu» 3
. Autrement dit le réemploi est une alternative à l’enfouissement, à l’incinération et au recyclage. Le travail de ce mémoire distingue le réemploi du recyclage en ce qu’il n’implique pas de transformation profonde des matériaux. Le réemploi vise à conserver les propriétés des matériaux récupérés.
Avant d’aborder des problématiques quelques précisions terminologiques s’imposent :
Déchet : matériau non utilisé ou non utilisable dans sa destination première 3. Jean Marc HUYGEN, La poubelle et L’architecte, Vers le réemploi des matériaux, Actes Sud, Arles, 2008, p.11
4. Agence française De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie
5. Le Syctom du Loire Béconnais est depuis 2010 dans une démarche de prévention des déchets. Dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, le Syctom a donc décidé de réduire la production de déchets de 7% en 5 ans. Afin d’y parvenir, le Syctom a mis en place un plan d’actions afin de sensibiliser les usagers à consommer autrement. http://optigede.ademe. fr/fiche/mise-en-placede-la-filiere-reemploi
6. Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction, rapport final, avril 2016. Étude réalisée pour le compte de l’ADEME par RDC Environment, éco BTP et I Care & Consult
Matériau de récupération : matériau issu de déconstruction dont on ne connaît pas la nouvelle destination Matériau de réemploi : matériau issu de déconstruction destiné à être intégré dans un nouvel ouvrage
Bien que la pratique du réemploi existe depuis des millénaires (utiliser des pierres issues d’une déconstruction pour construire un nouvel édifice) il est aujourd’hui nécessaire de systématiser cette pratique dans les filières du bâtiment et de la construction. Depuis une dizaine d’années, plusieurs personnes, collectifs ou associations remettent au premier plan la question des problématiques liées au cycle de vie des matériaux et au réemploi. Citons notamment J-M Huygen, Encore Heureux et l’association Bellastock en France mais également Rotor en Belgique ou Superuse Studio aux PaysBas. Les questions d’économie circulaire et des déchets dans les filières de la construction se sont ainsi développées depuis une décennie et les acteurs de ces questionnements participent à un renouveau de la pratique architecturale.
Des initiatives se créent autour du réemploi dans les déchetteries avec des partenariats entre Emmaüs, l’ADEME 4
et les collectivités adhérentes 5. Elles sont axées sur la récupération de mobiliers ou d’objets du quotidien permettant ainsi de donner une seconde vie à ces objets récupérés. Il existe cependant très peu de filières tournées vers la récupération de matériaux issus du bâtiment destinés à être réemployés dans les métiers de la construction.
Bien que la réutilisation de matériaux de réemploi soit sujette à de nombreux freins tels que des problèmes techniques aussi bien que des problèmes d’évaluation 6
, il devient nécessaire de comprendre ces matériaux afin de les réutiliser au mieux dans la construction. La particularité des matériaux issus de la déconstruction est qu’il faut connaître leur disponibilité. Pour que la pratique du réemploi se développe réellement et devienne efficiente à une échelle nationale, il est nécessaire, voir indispensable, de développer une filière spécifique à ces matériaux et de déployer toute une gamme de métiers spécialisés.
Selon l’Agence française De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, le secteur du BTP à un fort impact sur la production du déchet. Pour l’année 2010, environ 260 millions de tonnes ont été enregistrées pour ce secteur ce qui représente 40% de la production totale de déchets en France. En ce qui concerne le secteur du bâtiment, il représente à lui
FIGURE 1 37 millions de Tonnes, c’est la part des déchets ciblée pour le réemploi. chiffre : ADEME 2010
Enfouissement
Incinération
Centre de tri
Réemploi - Réutilisation 1
3
31
690
FIGURE 2 Nombre d’équvalent Temps Plein pour 10 000 T de déchets traités source : ORDIF, Observatoire des ressourceries
7. ADEME, Fiche technique Déchet du Bâtiment, 2016
8. Franck Stassi, Collecte des déchets de chantier: les recycleurs en embuscade, usinenouvelle.com. seul 39 millions de tonnes qui sont réparties en 3 catégories (déchet inertes, déchet non dangereux, déchet dangereux) 7 . L’ADEME estime également la consommation du secteur du bâtiment à 44% de la consommation énergétique totale française. Ainsi, en tant que premier pôle de consommation d’énergie en France et second pôle de production de déchets, l’architecture à un rôle majeur à jouer face à cet enjeu mondial et nécessite de se développer pour aller contre cette tendance.
En ce qui concerne les filières du BTP, il existe des lois et des directives qui incitent ou obligent les entreprises à avoir une gestion des déchets efficiente. C’est le cas de la directive européenne relative aux déchets qui vise un objectif de 70% des déchets de construction et de déconstruction devant être recyclés d’ici à 2020. Afin d’aboutir à ce résultat certaines solutions sont proposées, d’autres sont à imaginer.
L’article 21 quater du projet de loi sur la transition énergétique oblige, à compter du 1er janvier 2017, chaque distributeur de matériaux de construction à «s’organiser pour reprendre, sur ses sites de distribution ou à proximité de ceux-ci, les déchets issus des mêmes types de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels qu’il vend». Or, seuls 2% à 3% des points de vente se sont aujourd’hui engagés 8 . Il existe donc déjà un cadre légal ayant pour but de diminuer la production de déchet, mais il s’agit d’avantage d’une valorisation du recyclage et non du réemploi, c’est à dire considérer un produit qui ne semble plus utile non comme un déchet à recycler en matière première puis en produit, mais comme une ressource déjà transformée, quasiment prête à l’emploi.
Une telle démarche présente des enjeux environnementaux certes mais également la nécessité de déployer des moyens logistiques et financiers importants. Ne serait-il donc pas plus judicieux d’améliorer une filière déjà existante avec des entreprises expérimentées ? Se pose alors la question de ce qu’il serait raisonnable de faire afin de déployer ce système de réemploi par de grands groupes? Ces groupes pourraient réutiliser les réseaux en place, adapter les emplois, former les gens à un nouveau système de réemploi. C’est à dire s’engager dans l’amélioration d’une filière déjà existante. Selon Géraud Spire, président de la Fédération du négoce de bois et des matériaux de construction, « les négoces ne sont pas faits pour s’occuper du traitement de déchets ! Il faut donner une solution viable à tout artisan afin qu’il puisse trouver une solution pour ses déchets de chantier dans un périmètre donné. Il
faudrait par ailleurs passer d’une approche par point de vente à une approche en réseau, en partenariat avec des sociétés spécialisées » 9 .
En première partie de cette étude nous proposons d’expliquer de quels matériaux de réemploi il peut s’agir, en quels lieux ils peuvent être récupérés (« gisements ») et quelle méthodologie de collecte il est possible de mettre en place.
La deuxième partie aborde l’intégration architecturale des matériaux de réemploi. Un premier chapitre est consacré aux objectifs, à la manière de les atteindre, aux acteurs concernés ainsi qu’à l’intégrération de la dimension humaine. Le concept et la démarche d’ensemblage sont ensuite développés. Cette démarche suppose une réflexion préalable, impose de connaître les matériaux et de mobiliser des compétences. 9. Propos recueilli par Franck Stassi pour Usine Nouvelle lors d’une table ronde sur la gestion des déchets du BTP, 24 juin 2015.