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Chapitre 1 Obectifs et enjeux

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Introduction

Introduction

CHAPITRE 1 // Objectifs et enjeux

Ilya une dizaine d’année, le réemploi n’en étaitqu’a ses balbutiements. Il s’agit aujourd’hui de développer de nouveaux savoirs et savoir-faire qui soient spécifiques au réemploi et permettent d’élaborer des méthodes intégrant le réemploi dans un projet d’architecture. Parallèlement à la collecte des matériaux de réemploi se met en place une réflexion sur la manière de les assembler pour que le bâtiment ait un sens nouveau. C’est ce que nous appelons l’intégration architecturale.

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Quels en sont les objectifs, comment les atteindre, quels acteurs et quelles compétences faut-il mobiliser ?

1.1 / OBJECTIFS ET ENJEUX D’UNE PRATIQUE DU RÉEMPLOI DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION

Le réemploi de matériaux issus de la construction offre des opportunités intéressantes : dynamisation d’une économie locale, diminution de la production de déchets, diminution des impacts environnementaux. Cependant, comme déjà évoqué en première partie de ce mémoire, le réemploi fait face à de nombreux obstacles. Des freins économiques d’une part car si le coût de la matière est diminué, celui de la main-d’œuvre augmente de façon significative. Un frein culturel d’autre part : une vision négative du réemploi liée au temporaire, à l’urgence et à la notion de déchet et de l’aspect usé, ancien des matériaux récupérés. Comment éviter cette impression de minoration qualitative de certains usagers ? Il semble que reconnaître un élément réemployé ne soit pas problématique si la nouveauté et la cohérence globale prédominent.

Réemployer des matériaux est une chose, faire de l’architecture à partir de matériaux récupérés en est une autre. Faire de l’architecture ce n’est pas seulement faire en sorte qu’un édifice tienne debout, c’est aussi prendre en compte l’environnement de la construction future, créer des espaces en fonction des usages et pour les usagers. Faire de l’architecture c’est maîtriser l’ensemble de ces paramètres dans le but de concevoir puis construire un bâtiment. Le réemploi ne doit pas être la finalité d’une architecture de réemploi, c’est un moyen, un processus de conception et de mise en œuvre. L’objectif de ce mémoire n’est pas de promouvoir la pratique du réemploi mais de voir comment faire de l’architecture avec des matériaux de récupération et ce que cela implique dans le processus de conception architecturale.

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connaissances matériaux sensibilisation PROJET FIGURE 13 Projet d’architecture classique - Organisation verticale document MMZ

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FIGURE 14 Projet d’architecture de réemploi - Organisation horizontale document MMZ

Est-il possible, au-delà des constructions manifestes de réemploi, de faire de l’architecture avec ces matériaux ? Comment (re)donner de la valeur, du sens à ces matériaux aux yeux des usagers? Dans quelle mesure la pratique du réemploi peut-elle devenir une pratique courante ?

1.2 / QUELS ACTEURS SONT IMPLIQUÉS ?

D’une manière générale et simplifiée, les acteurs d’un projet sont : le maître d’ouvrage (privée ou public), le maître d’œuvre, bureaux d’études, artisans, et éventuellement les usagers lorsque le projet implique une consultation publique (cf. figure 13 page précédente).

Il semble important que cette organisation verticale laisse place à une « hiérarchie horizontale » de tous les acteurs. II s’agit en effet d’impliquer tous les acteurs d’un projet dès la conception afin que chacun s’empare de la démarche, donne du sens à ce qu’il exécute et s’implique complètement dans cette nouvelle conception. Cela signifie que le concepteur doit associer à la démarche non seulement les hommes mais aussi mettre en exergue leurs savoir-faire professionnels. En fonction de ses compétences, chacun a une part de responsabilité dans la finalité du projet et peut apporter un éclairage différent, une approche spécifique et complémentaire (cf. figure 12 page précédente). En effet, chaque acteur impliqué dans un projet a des compétences spécifiques, l’enjeu est bien sûr d’en tirer le meilleur potentiel en leur accordant de l’intérêt et un rôle précis. Par ailleurs, dans la mesure où le réemploi tend à devenir une pratique courante, le rôle des architectes concepteurs est important. Car, comme nous l’avons vu dans la première partie et en comparaison avec des produits neufs, le choix des matériaux devient une étape particulièrement importante, qui demande une expertise spécifique, une vue d’ensemble sur le projet et une bonne connaissance des matériaux et de leur disponibilités. D’où l’importance pour l’architecte de savoir s’entourer des personnes présentant des compétences spécifiques et de les impliquer dans un projet aussi bien dans la construction que la conception.

Lorsqu’il conçoit en partant d’un objet de réemploi dont il détourne l’usage, l’architecte trouve des combinaisons nouvelles qui rendent fertile le projet. L’innovation se trouve dans la conjonction du partage de savoirs et de savoir-faire, et des interactions générées par cette mise en commun.

Pour opérer ces détournements de matière, l’architecte a parfois besoin de réquisitionner le savoir-faire spécifique d’artisans. Le réemploi les rassemble autour de l’expérimentation de la matière. Cela a été le cas pour le réaménagement d’un restaurant par l’agence d’architecture NA Architecture 23 (cf figure 15 page suivante). Le mobilier a été réalisé en planches récupérées de différentes essences et dimensions, provenant de l’agglomération Grenobloise (bardage, lames de terrasse, etc.). Au-delà de la démarche économique et écologique du réemploi, ce procédé a permis de valoriser les savoir-faire de l’artisan, en limitant le coût des fournitures et en augmentant le temps de travail de la matière. Pour les deux architectes de l’agence, l’architecture est la rencontre entre « le regard subjectif d’une approche sensible, [que porte l’architecte,] et le regard objectif de la technique des artisans ouvriers » 24 .

1.3 / DÉPASSER LES FREINS AU RÉEMPLOI

Réglementation

Le réemploi est trop souvent confronté aux normes et aux règles (assurances, décennales, sanitaires, bureau de contrôle…) des marchés publics. Proposer des matériaux de réemploi reste délicat au regard de la législation. Les recherches, notamment initiées par Rotor et Bellastock, se poursuivent afin de combler un vide juridique. D’où l’intérêt de recourir à un juriste pour répondre au mieux aux exigences. Bien que l’alternative à la démolition ait fait ses preuves, on ne peut contraindre les acteurs de la construction à l’intégrer dans leurs projets. Rotor a édité un document intitulé Objectif réemploi. Pistes d’action pour développer le secteur du réemploi des éléments de construction en Région de Bruxelles-Capitale, qui, bien qu’à destination des acteurs de la construction en Belgique, s’adresse indirectement à tous les acteurs intéressés par le développement de telles filières : concepteurs, entrepreneurs, maîtres de l’ouvrage, administrations publiques, décideurs politiques, législateurs, revendeurs de matériaux, entrepreneurs en démolition… Il ambitionne de dresser un portrait inspirant de la place que pourraient prendre les pratiques de réemploi dans le secteur de la construction.

Le Système Économie de la construction « L’absence de synergie entre chantier se retrouve à plusieurs niveaux : quantitatif, géographique et temporel. Il est intéressant de réaliser une évaluation économique des procédés développés dans la recherche afin de rendre lisible la répartition de la valeur économique générer par le réemploi 23. Agence Grenobloise fondée en 2014 par Sébastien FABIANI et Mehtab SHEICK BADORDINE.

24. Propos recueilli lors de la journée d’étude « Récupérer / Réemployer / Réinventer » du 05 avril 2017 au sein de l’ENSA de Clermont-Ferrand.

FIGURE 15 en haut: Diversité de matériaux récupérés en bas: Échange entre Mehtab SHEICK BADORDINE (NA Architecture) et Thibaut DEFRANCE le menuisier Source NA architecture

sur tous les (nouveaux) acteurs de la filière. Ainsi, celle-ci pourra se voir consolider et l’écoulement entre l’offre et la demande facilité » 25 .

Les freins économiques sont principalement liés à l’adéquation aléatoire entre l’offre et la demande. En effet, nous avons déjà évoqué la nécessité de connaître la disponibilité des matériaux pouvant être récupérés et réemployés. En admettant que la demande de ces matériaux augmente, il deviendrait alors nécessaire de disposer d’un répertoire de ces offres de matériaux. C’est ce qu’ont pressenti Rotor et Superuse Studio qui ont mis en place des plateformes (respectivement www.opalis.be et wwws.oogstaart. nl) qui répertorient les matériaux de récupération sous forme de carte. Une autre méthode consiste à prélever ces matériaux directement à la source. À l’image de Bellastock qui considère les bâtiments comme un gisement et qui récupère ses matériaux de la démolition des anciens magasins Printemps pour construire et expérimenter au sein de l’Actlab. Si ces deux méthodes permettent de faciliter la récupération de matériaux issus de la construction et ainsi de faire des économies sur l’achat de matériaux neufs, un autre paramètre, également lié à l’économie, rentre en compte. Il s’agit du temps.

Temps Construire avec des matériaux de réemploi prend du temps. Il faut en effet identifier les gisements, identifier les matériaux puis les acheminer et les stocker. Si, comme le dit l’adage, « le temps c’est de l’argent » ne serait-il pas temps de penser autrement ? Ne pourrait-on pas envisager ce temps comme une ressource ? Une ressource de connaissance, une ressource d’inspiration ? On pourrait par exemple envisager le temps de stockage comme étant aussi un temps d’usage où l’on pourrait expérimenter, communiquer et sensibiliser sur les matériaux de réemploi. Il est également raisonnable de penser que la filière du réemploi va se développer et ainsi réduire considérablement cette phase de collecte de matériaux.

1.4/ INTÉGRER LA DIMENSION HUMAINE

Le réemploi doit être une véritable prise de position du concepteur. L’esthétique du réemploi, au-delà de l’aspect plastique d’un matériau, propose une autre dimension de lecture. Par le biais de l’ensemblage, le réemploi révèle la mémoire. Il permet une mise en valeur, voire la sauvegarde, d’un patrimoine. Épargner un matériau de la décharge, c’est lui permettre de 25. Bellastock, REPAR 2 Favoriser le réemploi en accompagnant les prescripteurs, p.5

continuer à s’exprimer par les traces et les usures dont il témoigne, il reflète les usages passés et donne à lire l’activité humaine dont il est imprégné. Cette pratique de l’architecture du réemploi implique une attitude volontaire pour mettre en oeuvre et véhiculer la richesse matérielle offerte par le réemploi des matériaux. Elle permet un autre regard sur la société, son patrimoine historique et humain.

La récupération de matériaux de construction implique une conception différente. Cela crée une rupture définitive avec la conception ex-nihilo. Elle ajoute au contexte de paysage et de site de l’architecture invivo, un nouveau paramètre au cœur des bâtiments, au cœur de la matière : le matériau existant. On considère le matériau comme vecteur créatif qui n’est pas du tout dans une esthétique de la poubelle ou du déchet. Le matériau rajoute donc une dimension sensible et créative. Ne serait-ce pas là une des manières pour que le réemploi ne soit plus perçu comme une minoration qualitative mais constitue une plus-value reconnaissable ?

Cette dimension sensible permettrait donc de conserver par fragments savamment orchestrés la mémoire d’un quartier, d’une ville. Pour la villa Welpeloo, l’agence Superuse Studio s’est servie du prétexte d’une explosion d’un site industriel pour en sublimer les débris au sein d’une construction nouvelle. Si les objets collectés n’étaient pas ceux de l’explosion, ils y faisaient néanmoins référence. Cette action de réemploi répare en assumant une cicatrice plutôt que par l’application d’un pansement. Le réemploi permet ainsi une sauvegarde de la mémoire locale, il met en valeur le patrimoine tout en réinventant l’architecture. À une tout autre échelle on peut évoquer le musée d’Histoire de Ningbo par l’architecte chinois Wang Shu. Une partie du bâtiment a été réalisée à partir de brique, de pierres et de tuiles recyclées conférant à l’ensemble un caractère unique mêlant modernité et passé architecturals. C’est en retrouvant les matériaux du passé dans les nouvelles constructions que l’architecture devient le reflet du bagage culturel et constructif des générations précédentes tout en économisant les ressources de la terre.

Considérant l’importance des ressources humaines au même titre que les gisements de matériaux évoqués en première partie de ce mémoire, le réemploi apporte une dimension de transmission de savoir -faire. En effet, par leurs savoir-faire technique et leur connaissance du site, de la région et des matériaux (matière), les artisans sont une ressource locale. L’implication

de ces acteurs participe à donner du sens à ce type d’architecture. Le réemploi redonnerait aux matériaux une valeur de transmission d’un savoir-faire technique au service d’une dimension plus sensible portée par l’architecture de réemploi.

Les savoir-faire liés à la connaissance des matériaux à réemployer, sont générateurs de synergie humaine. De fait, ce type de conception lie le maître d’ouvrage, le maître d’oeuvre et l’artisan. Sans la volonté des uns et les compétences des autres, ce type de projet ne peut voir le jour. Si une filière de réemploi peut, en tant que ressource, soutenir un projet d’architecture de réemploi, ce sont bien les compétences et la maîtrise de savoir-faire technique qui apportent la cohérence à l’ensemble, que l’on peut alors qualifier d’ensemblage .

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