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Chapitre 2 Comment ensembler

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Bibliographie

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26. Huygen, JeanMarc, La poubelle et l’architecte, Actes SUD, l’Impensé, 2008.

27. Huygen, Jean-Marc, ibid. p.146

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Une architecture de réemploi certes, mais pas une architecture de bricolage. Même si l’assemblage peut sembler être fait de bric et de broc, il est en fait strictement ingénieux, c’est à dire totalement pensé et structuré. Assembler des éléments de différentes origines, différentes matières, pour faire de l’architecture, est un acte qui demande davantage que des compétences manuelles et des savoir-faire artisanaux. C’est le concept d’ensemblage tel que décrit par Jean-Marc Huygen dans son ouvrage La poubelle et l’Archite 26 .

2.1 / L’ENSEMBLAGE SELON JEAN MARC HUYGEN

Cette démarche nécessite de comprendre chacun des éléments afin de les assembler et d’en faire « un » élément. Il ne s’agit pas seulement de faire en sorte que l’élément final tienne, l’ensemblage raconte une histoire : histoire de chacun des matériaux et l’histoire de leur ensemblage. L’ensemblage c’est l’assemblage sémiotique des matériaux, c’est à dire un assemblage porteur de sens. L’ensemblage porte un sens en tant que tel, en tant qu’objet autonome mais il est également porteur du sens des différents matériaux qui le composent. Ainsi cet ensemblage peut être défini comme « l’interaction entre les différentes informations, la ‘’force d’attirance’’ entre les messages portés par les divers objets (forme, textures, couleurs, histoire des objets et de leur usage obsolète) » 27

. L’autonomie nécessaire de chaque objet, de chaque élément ensemblé, s’obtient par l’organisation des éléments qui le composent. C’est cette organisation que Jean-Marc Huygen appel l’ensemblage et qu’il décline en trois familles (cf figure 16 ce contre) :

L’ensemblage par continuité : trouver dans un matériau ce qui est proche d’un autre matériau L’ensemblage par conjonction : faire appel à un troisième élément qui met en relation les deux premiers L’ensemblage par combinaison : le lien entre les matériaux est une partie de chacun d’eux.

Mais une démarche n’a pas besoin d’être qualifiée d’ensemblage pour en être une application. Par exemple, une des façades du bureau de Bellastock a été réalisée à partir de matériaux issus de plusieurs collectes différentes. Il en résulte un certain patchwork, cependant l’ensemble de ces matériaux sont des dormants de portes ce qui confère une cohérence dans l’assemblage, une cohérence de forme mais également d’usage antérieur des matériaux (cf.

FIGURE 16 Ensemblage par continuité, conjonction ou combinaison Source JM Huygen, La Poubelle et l’architece, p. 150

FIGURE 17 Façade réalisé à partir de dormants de portes source Clément Guillaume, www.clementguillaume.com

FIGURE 18 Espace de travail et de réception. source Rotor - http://rotordb.org/project/2013_LAF

figure 17 ci contre). Cette cohérence se retrouve dans la mise en oeuvre de ces matériaux. En effet, mis à part le bandeau vertical, l’ensemble des dormants de portes a été assemblé verticalement. On peut d’ailleurs se demander si cette différence d’orientation du bardage est due à une volonté de conception de créer du rythme ou bien est-elle dûe à la quantité de matériaux disponibles au moment de la mise en oeuvre. Quoi qu’il en soit, la mise en oeuvre de cette façade illustre bien la notion d’ensemblage et plus particulièrement celle par continuité évoquée par Jean-Marc Huygen.

De même que la table confectionnée par Rotor qui possède son autonomie propre en tant que mobilier mais qui conserve l’autonomie des matériaux qui la composent. On reconnaît l’élément comme étant une table mais, si on y prête attention, on peut remarquer que cette table a été réalisée à partir d’éléments de récupération différents. C’est ce qu’on pourrait nommer un ensemblage par conjonction : c’est la fonction de l’objet ensemblé qui fait le lien entre les matériaux qui composent le plateau et les pieds (cf figure 18 cicontre).

Au-delà de l’aspect technique d’un assemblage, l’ensemblage « est la mise en commun de matières, textures et couleurs diverses pour conduire à un tout harmonieux, de l’ordre de l’esthétique» 28

. Il ne s’agit pas seulement de faire en sorte que l’élément final tienne, l’ensemblage raconte une histoire : l’histoire de chacun des matériaux et l’histoire de leur ensemblage. L’ensemblage c’est l’assemblage sémiotique des matériaux, c’est-à-dire un assemblage porteur de sens. L’ensemblage porte un sens en tant que tel, en tant qu’objet autonome mais il est également porteur du sens des différents matériaux qui le composent. Cet assemblage sémiotique ne serait-il pas le moyen de pallier à l’impression de minoration qualitative à aquelle le réemploi est sujet ? En effet, les objets de seconde main font l’objet d’un engouement certain et ce depuis longtemps. On ne va pas seulement chez le brocanteur ou dans les vide-greniers pour acheter moins cher, on y va également pour acquérir des objets qui ont une histoire. Au-delà de la logique énergétique ou économique, le recours à des matériaux usés affirme, d’un point de vue esthétique, un rapport au temps et un assemblage de matières et de couleurs.

L’ensemblage, par sa capacité à être porteur de sens, ne serait-il pas le moyen d’assembler ces matériaux, d’origines et de composition diverses, de manière noble ? Noble dans le sens ‘au dessus du commun’, qui se distingue par sa qualité, qui manifeste de l’élévation. Autrement dit, ne serait-ce pas le 28. Jean Marc Huygen, Réemploi et artisanat, Matière Grise, Choppin J., Delon N., éd. du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p.156

29. Léa Muller, Rotor ou quand la déconstruction se fait architecture, in www.chroniquesarchitecture.com, 17 janvier 2017 moyen de faire de l’architecture avec des matériaux de réemploi ? D’aller au delà d’un simple assemblage technique ?

2.2 / ENGAGER UNE REFLEXION PRÉALABLE

La conception implique une réflexion préalable sur les matériaux, leur utilisation et leur transformation éventuelle. Mais dans la démarche d’ensemblage il est aussi impératif de prendre en compte l’usage passé, en quelque sorte l’histoire de ces matériaux et d’en conserver la forme initiale au maximum dans un nouvel usage.

Prenons, par exemple, le cas de l’intervention de Rotor. Dans leur démarche de soustraction et recollage des matériaux déjà en place, l’équipe du collectif a conçu un espace de travail et de réception, ainsi qu’un espace cuisine attenant. Les anciens plafonniers de l’auditoire ont été habillés d’un encadrement réalisé à partir des portes d’armoires des bureaux. La table quant à elle a été fabriquée à partir d’éléments de faux plafond qui ont seulement été retournés, repeints et posés sur des pieds fabriqués à l’aide de portes coupefeu. Les réservations des luminaires dans le faux plafond ont été conservées, ce qui confère au produit fini une certaine esthétique portée par les marques de l’usage passé du matériau utilisé. Par ailleurs, on peut tout à fait envisager que ces cavités conservées pourront avoir un nouvel usage comme un passage pour des câbles d’alimentation d’ordinateur ou de luminaire par exemple. Si la pérennité d’un tel assemblage peut poser la question de la conservation de cette table dans les futurs locaux de la Fondation Lafayette ou bien se retrouver sur la plate-forme d’échange de matériaux de Rotor, il n’en reste pas moins que la démarche peut tout à fait être répétée et déclinée. On peut par exemple se référer au constat fait par Rotor qui, s’intéressant à des chantiers de construction postmoderne, a découvert que le bail moyen d’un bureau pour une entreprise était de neuf ans. «Que fait-on de tous ces matériaux, faux plafonds, cloisons et autres, qui au bout de neuf ans ne sont pas obsolètes ?» 29 .

Par contre, le réemploi implique souvent de changer la forme initiale pour s’adapter à la conception, pour s’adapter à son nouvel usage, ce qui peut générer par exemple des surplus de matériaux, ou chutes à réutiliser. Du coup cela implique de savoir ce qu’on va faire de ces nouvelles chutes, pour éviter qu’elle ne deviennent à leur tour des déchets.

FIGURE 19 Dépose minutieuse d’un faux-plafond source Rotor - http://rotordb.org/project/2013_LAF

FIGURE 20 Espace de travail et de réception. source Rotor - http://rotordb.org/project/2013_LAF

30. op. cité, Huygen, Jean-Marc, La poubelle et l’architecte, p. 31 « Principe de réduction des chutes : d’ abord, utiliser le matériau disponible selon sa plus grande dimension ; puis, si elles existent, utiliser les chutes au maximum ; puis seulement envisager le recyclage» 30 .

Modifier le matériau peut impliquer une découpe et engendrer de nouvelles chutes : doit-on anticiper cette étape avec le calepinage ? On étudiera les dimensions à couvrir en fonction de la taille des matériaux disponibles afin que la chute issue de leur découpe soit utilisée ailleurs dans le but d’optimiser la matière. On reste ainsi dans la même logique. On peut citer, parmi d’autres exemples, un des quatre pavillons de l’espace culturel Le Channel à Calais dont la structure a été conçue par Patrick Bouchain : le Pavillon monolithe. L’habillage de ce pavillon a été conçu par une équipe d’étudiants en architecture qui a pris le temps d’étudier le calepinage de chaque tôle qui compose l’édifice afin que chaque chute soit réutilisée ailleurs. Ne pas trouver d’utilisation pour ces chutes c’est produire à nouveau des déchets et la démarche initiale perd en cohérence.

Il en est de même pour la villa Welpeloo et la mise en œuvre de son bardage réalisé à partir des planches de bois d’anciennes bobines électriques. Outre l’exemple d’un ensemblage par continuité induit par l’usage passé de ce matériau ayant une incidence directe sur la dimension du bardage et le rythme qu’il crée sur la façade, cette dernière illustre également l’optimisation des chutes de matière (cf figure 21 ci contre).

Nous avons vue dans la première partie que les matériaux récupérés influençaient fortement la conception et que cela nécessitait de s’adapter aux dits matériaux. Cependant, bien que dans une architecture de réemploi le matériau soit au cœur de la conception, n’oublions pas que le réemploi est un moyen de faire de l’architecture et non un objectif en soi. Une attention particulière est à apporter quant à l’optimisation de la matière afin qu’elle ne devienne pas une obsession et que cela prenne le dessus sur la conception et les intentions architecturales. Il s’agit d’un processus itératif entre l’étude du matériau récupéré, la conception et la mise en œuvre où l’enjeu final est de faire de l’architecture.

Le temps passé à réfléchir à comment mettre en œuvre les matériaux récupérés pour les réemployer dans une construction est autant de temps gagné dans la mise en œuvre et permet une économie de matière et de moyens. Bien que l’optimisation des chutes ne soit pas spécifique au réemploi, l’intérêt

lame entière

lame partielle

demies lames

chute

lame entière

lames partielles

chute

FIGURE 21 Optimisation des chutes de matières dans la conception et la mise en oeuvre photo Allard van der Hoek - document MMZ

31. De l’agence Superuse Studio

32. Ashes Magazine Publication about the projects and design philosophy of Superuse Studio, FELMULLER, Mel, in www.issu.com, juillet 2015, p.3

33. Franck Lloyd Wright, The Language of Organic Architecture, Architectural Forum, XCVIII, 1953, p. 106. de cette démarche est d’être cohérent jusqu’au bout.

2.3 / REMISE EN CAUSE DE LA DISTINCTION ENTRE SAVOIR ET FAIRE

Connaître les matériaux

L’ensemblage requiert une parfaite connaissance des matériaux de réemploi. Ce n’est pas tant le réemploi qui implique diverses compétences dans un projet architectural, n’importe quel projet d’architecture requiert l’intervention de différents corps de métiers, c’est la volonté de faire de l’architecture avec des matériaux de récupération qui implique de meilleures connaissances des matériaux. Pour faire de l’architecture avec du réemploi, il est nécessaire d’avoir plus que des compétences techniques, il faut également des connaissances sur les matériaux. Césare Peeren 31

explique l’importance d’avoir une grande compréhension des dimensions et propriétés fonctionnelles des matériaux de construction disponibles.

La clé étant d’ « écouter le matériau et de travailler avec lui plutôt que contre lui : de nouvelles structures, de nouveaux dessins, et usages émergent alors qu’on ne les aurait pas découverts si l’on avait commencé par dessiner l’idée et essayer de rendre le matériau compatible par la suite » 32 .

Nous savons que l’on dispose de nombreux matériaux en quantité très importante, les architectes n’ont plus à gérer les stocks de matériaux quand ils conçoivent. C’est l’héritage des Modernes qui nous ont appris à industrialiser les choses, à les simplifier, à oublier les ornements. C’était l’époque du rythme et de la systématisation de trames structurelles ou fonctionnelles. On y a gagné en rapidité et en maîtrise des coûts. On affirmait alors la volonté de maîtriser le bâtiment du début à la fin : « la partie est au tout comme le tout est à la partie » 33

. Tout est interdépendant, tout est lié tout en étant autonome.

Cependant, cette profusion de matériaux nous a fait oublier leurs propriétés. On tend à perdre le rapport aux matériaux, à oublier pourquoi on utilisait de la brique, du bois ou de la pierre. Par exemple, quand on veut construire un mur on fait un choix esthétique ou économique, « je préfère le bois car la pierre fait ancien », « j’aime le côté industriel de la brique »

ou bien « le bois est plus cher que le parpaing, non ? ». On se pose moins la question de la pertinence du choix de tel ou tel matériau en fonction de leurs propriétés d’inertie, de conductivité ou d’hygrométrie. Les bâtisseurs Modernes expérimentaient et éprouvaient les matériaux pour tester leur potentialité. Cette « re découverte » ou connaissance des matériaux dans la construction permet d’utiliser au mieux les matériaux et d’optimiser leurs propriétés. Ceci est d’autant plus vrai quand on souhaite construire avec des matériaux de réemploi car on peut ainsi multiplier les opportunités de réemploi. Par exemple, une porte en bois peut être réutilisée comme une porte dans une nouvelle construction ou bien être mise en oeuvre en tant que vêture de la même manière que l’on met en oeuvre du bois en bardage: le matériau bois en effet, a la capacité de gérer l’humidité de l’air et, selon l’essence, possède une certaine résistance à l’eau. C’est surement la raison pour laquelle Superuse Studio et Bellastock ont mis en œuvre du bois sur leur façade.

Il est par ailleurs important de savoir comment le matériau était mis en oeuvre, quelle était sa fonction dans l’édifice. Connaître et comprendre la manière dont était sollicité le matériau récupéré permet de le remettre en œuvre de la meilleure façon. En effet, ce matériau a été éprouvé dans cet usage et a donc déjà prouvé sa résistance mécanique et sa résistance aux éléments.

Les volets récupérés pour la Vegan House à Ho Chi Minh City au Vietnam en sont l’illustration (cf figure 22 page suivante). Ils sont utilisés pour une question esthétique d’une part mais également technique. En effet les persiennes permettent d’empêcher les rayons du soleil de pénétrer dans le bâtiment tout en laissant l’air circuler. Plutôt que d’utiliser ce système uniquement aux fenêtres, les architectes ont mis en œuvre ces volets sur la quasi totalité de la façade ainsi qu’une partie de la toiture. Si l’idée est simple, le résultat illustre l’intelligence de mise en œuvre et d’optimisation des propriétés d’un matériau. Cet ensemblage allie la technicité de mise en œuvre, l’esthétique et la qualité d’usage par l’utilisation d’un simple matériau.

Avec l’ensemblage, on s’oblige à « retrouver » le matériau, à se réapproprier les connaissances des matériaux par le biais de la pratique du réemploi. Non pas en disant qu’on va réinventer l’industrie mais en se servant à nouveau de ce qui a déjà été fabriqué. On se réapproprie les matériaux comme une nouvelle ressource, une matière première secondaire.

FIGURE 22 Vegan House, Block Architects, Ho Chi Minh City, Vietnam, 2014 photo de Quang Tran

Connaître la matière

Nous avons aujourd’hui affaire à de plus en plus de matériaux différents pour un même usage. Nous avons par exemple le choix d’utiliser le bois, la brique, ou bien le plâtre pour faire une cloison. Avant il y avait une raison à l’emploi de tel ou tel matériau mais aujourd’hui, avec l’industrialisation et la standardisation des matériaux de cloisonnement, on ne garde que le côté esthétique, on donne le choix de l’esthétique de notre cloison. Mais du coup on perd le sens de l’emploi de la matière, on se pose moins la question de pourquoi utiliser tel matériau plutôt qu’un autre. Le bois par exemple a des qualités thermiques et hygrométriques car il est peu conducteur et gère très bien le taux d’humidité.

La Réglementation Thermique 2012, visant la diminution de la consommation énergétique des constructions, a engendré la conception de maisons de plus en plus performantes. Cependant, l’un des critères pour y parvenir est l’étanchéité à l’air et cela à donne lieu à des maisons où l’air ne circulait plus (ou mal) naturellement. C’est pourquoi, ce sont vu généraliser les Ventilation Mécanique Contrôlée double flux visant, notamment, à renouveler l’air des logements. Mais la VMC est-elle toujours pertinente ? Certains types de parois on en effet des propriétés perspirantes gérant l’humidité y circulant et qui laissent l’air circuler. Je pense notamment aux murs en pierre ou en pisé. Donc créer une paroi étanche à l’air à l’intérieur de ce type de construction est contradictoire et peut engendrer des problèmes d’humidité dans ces parois. C’est une méconnaissance des matériaux qui a engendré ce genre de phénomènes. Il faut plus de capacités techniques, plus de compétences pour réemployer car il faut savoir comment assembler le matériau de récupération, comment le mettre en oeuvre et où le mettre en oeuvre.

Mobiliser les compétences

« Le travail transdisciplinaire permet de croiser savoirs et savoir-faire. L’architecte doit travailler, en amont, avec l’ingénieur, le créateur textile, l’artiste, le sociologue, le paysagiste… Ensemble, ils peuvent élaborer des dispositifs complexes » 34 .

Les compétences à mobiliser pour réaliser un ensemblage de matériaux de réemploi ne diffèrent pas radicalement d’un travail avec des 34. Intervention de Jean Marc Huygen à l’occasion du cycle de formation Ekopolis «Concevoir et construire durable, du territoire au bâtiment», 4 décembre 2009.

35. Terme emprunté à l’illustration de Benoît Bonnefrite, in Matière Grise, Choppin J., Delon N., éd. du Pavillon de l’Arsenal, 2014,p.21.

36. Paul Chantereau, Conférence du Mois du Réemploi, Réemploi : Matières, Construction, Architecture, Maison de l’Habitat, ClermontFerrand, 23 mars 2017. matériaux neufs. Disons qu’elles doivent intégrer une part de « matière grise». Ainsi, l’artisan ne doit pas seulement maîtriser l’élément finit, il doit aussi maîtriser la matière.

Le plaquiste et le plâtrier 35

Le plâtrier à des compétences sur la matière tandis que la plaquiste à des compétences sur l’assemblage. Il met en oeuvre des panneaux et des matériaux préfabriqués et prêts à l’emploi comme les plaques de plâtre ou les cloisons alvéolaires. Le plâtrier quant à lui fait lui même son plâtre avant de le mettre en œuvre. Il est donc nécessaire qu’il connaisse la matière qu’il utilise pour fabriquer son matériau au mieux et le mettre en œuvre comme il se doit. Le travail du plaquiste et sa légitimité sur certain chantier ne sont pas ici remis en question il s’agit seulement d’une image permettant de parler de connaissance de la matière et des matériaux associés.

La majeure partie des matériaux qui ont servies à la construction du bureau de l’Actlab est issue de la récupération. La construction s’est faite au « coup par coup et tout a été conçue et réalisée de manière artisanale » 36

. Il a donc été nécessaire de faire appel à des savoir-faire particuliers. Cela a été l’occasion de mobiliser les membres de l’association qui sont par ailleurs menuisier, charpentier ou maçon. Par ailleurs, Bellastock accueille de nombreux étudiants en architecture chaque année et cette construction a été l’occasion de faire un chantier école : transmettre les compétences et les connaissances en matière de matériaux de réemploi et de mise en œuvre de ceux-ci.

Toujours avec un souci de pédagogie et de sensibilisation, Actlab est ouvert aux habitants, aux usagers, aux professionnels de l’aménagement et aux artistes, curieux d’appréhender autrement la fabrique de la ville, sans « trou noir » dans l’espace urbain.

Durant la transformation du quartier du Clos Saint Lazare, plusieurs prototypes ont été construits sur cet espace, nommé La fabrique du Clos, à partir de matériaux réutilisés pour créer une continuité entre le passé et le futur de ce quartier. L’objectif principal étant de tisser du lien social entre les habitants et les structures locales (écoles, associations de quartier, régie de quartier) au sein même de ce nouveau lieu de vie. Pour impliquer les habitants du quartier dans le projet et permettre une réelle transmission de compétences, le chantier s’est déroulé conjointement avec 4 artisans

FIGURE 23 Opus incertum et mur en pierre sèche à la Fabrique du Clos photo Bellastock

37. De l’agence Superuse Studio.

de Bellastock, 5 jeunes employés par la régie de quartier du Clos Saint Lazare ainsi que 8 stagiaires en architecture-paysage. La Fabrique du Clos, équipement de chantier expérimental proposé par Bellastock, à l’origine de la conception hybride de chantier dans des sites en transformation, s’ancre dans le projet de Rénovation Urbaine du Clos Saint-Lazare à Stains. À l’échelle du quartier, le projet vise à le désenclaver et à le transformer en profondeur pour le mieux vivre des habitants.

La Fabrique s’implante sur un lieu vacant et hybride depuis la démolition d’une tour. Cette friche sert à la fois de recyclerie pour stocker les matériaux issus de la démolition, d’expérimentations de prototypes en réemploi pour les futurs espaces urbains et bâtiments, de lieux de convivialité pour les habitants (jardin, scène...), de formation (chantier avec des entreprises en insertion). A l’échelle territoriale, ce projet constitue une capsule pour mettre en place une filière de réemploi des matériaux et développer l’attractivité économique du territoire. La recyclerie de chantier constitue un lieu de valorisation de matériaux issus de la démolition du quartier devenus matériaux à construire. Elle est aussi une vitrine démonstrative des opportunités du réemploi. Elle permet de proposer des aménagements publics en conception et construction collectives, avec une maîtrise d’œuvre et d’ouvrage participative, d’intégrer le chantier à la vie du quartier afin de favoriser l’appropriation par tous des futures constructions.

Ces projets illustrent bien l’interaction globale engendrée dans ce type de démarche.

La manipulation de la matière ne serait elle pas une des étapes clés ? Ne permettrait-elle pas de valider ou d’invalider des hypothèse que le porteur de projet à déjà en tête (phase entre collecte et conception, cf figure 12p.43) ? Mais à plus forte raison, le temps d’expérimentation pourrait permettre des découvertes insoupçonnées, en apportant de l’originalité et de l’intérêt. Citons Superuse Studio et la structure en acier issu d’une machine de l’industrie textile utilisée pour la structure de la villa Welpeloo.

La démarche d’une architecture de réemploi s’accompagne ainsi d’une remise en cause de la traditionnelle distinction entre savoir et faire (hiérarchie verticale) où le savoir serait l’apanage de l’architecte et le faire celui des artisans et ouvriers. Rotor et Bellastock, par exemple, architectes et designers, ont su à l’étape expérimentale s’entourer de compétences diverses, travailler et

apprendre des soudeurs, plaquistes, menuisiers, maçons... Ils se consacrent au façonnage in situ de matériaux récupérés plutôt qu’à une maîtrise d’oeuvre pilotée à distance. Césare Peeren 37

explique l’importance d’avoir une grande compréhension des dimensions et propriétés fonctionnelles des matériaux de construction disponibles. La clé étant d’ « écouter le matériau et de travailler avec lui plutôt que contre lui : de nouvelles structures, de nouveaux dessins, et usages émergent alors qu’on ne les aurait pas découverts si l’on avait commencé par dessiner l’idée et essayer de rendre le matériau compatible par la suite» 38

. 38. Paul Chantereau, Conférence du Mois du Réemploi, Réemploi : Matières, Construction, Architecture, Maison de l’Habitat, ClermontFerrand, 23 mars 2017.

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