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PRODUIRE UNE ARCHITECTURE PÉRENNE
Les étapes précédentes de mon développement sont là pour traduire l’importance de nos analyses, de nos choix et de notre intelligence architecturale dans l’élaboration d’un projet d’architecture qui prend place au sein d’une société, d’un patrimoine, d’un environnement et d’un climat. Produire de l’architecture impacte non seulement nos modes de vie mais bouleverse aussi totalement l’environnement dans lequel elle s’inscrit. C’est pourquoi j’ai cherché à développer une pensée qui fasse preuve de responsabilité à l’égard de cet environnement afin d’assurer sa durabilité et sa préservation compte tenu des enjeux écologiques actuels. Mais cette pensée architecturale ne doit pas être réduite à une seule conscience environnementale, je suis persuadé qu’il faut aussi penser l’architecture comme la production d’une construction pérenne. En effet il est préférable de miser sur des conceptions qualitatives qui résultent d’une réelle réflexion sur la vie de son bâtiment plutôt que de miser sur une production quantitative et précipitée qui tend à devenir désuète. Le facteur temps est donc à intégrer dans la pensée d’un projet au même titre que le concept, la matérialité, les ambiances ou la mise en œuvre.
Avant mes études d’architecture, j’ai longtemps pensé que la qualité d’une production architecturale provenait de sa valeur esthétique, d’un formalisme ‘‘ bling bling ’’ que l’on retrouve souvent sur les couvertures de magazines par exemple. Mais au fur et à mesure de ma formation, j’ai développé une réflexion beaucoup plus critique et pertinente sur l’ensemble des productions architecturales. C’est à travers l’enseignement de Patrick Thépot sur l’histoire et la critique de l’architecture (S2SH1) et les différents travaux dirigés que j’ai pu mesurer ce qui faisait la véritable valeur d’une architecture. Étudier, lire et comprendre le travail des architectes qui ont marqués les différentes époques m’a permis de comprendre que le bon sens, l’expérience, la réflexion, la passion et le travail sont des valeurs qui doivent exalter notre production. C’est la clé de voûte d’une construction de qualité qui fonctionne et continue à exister malgré le temps qui passe. Mon ambition de privilégier la qualité plutôt que la quantité vient en réaction aux mouvements d’après guerres qui renvoie à une société de consommation qui pousse la population à acheter au-delà de leurs besoins, tandis que les biens sont conçus pour avoir une courte durée de vie, de sorte à renouveler régulièrement la production 7. On retrouve aussi cette conception en architecture par exemple avec la loi Spinetta du 4 janvier 1978 8 qui instaure une garantie décennale et responsabilise les constructeurs à l’égard des maîtres d’ouvrage sur un laps de temps définit sur une durée de 10 ans. Cette loi bienveillante pour le client couvre certains dommages pouvant affecter sa construction pendant 10 ans mais elle a aussi la fâcheuse tendance de brider les constructeurs sur la longévité de leurs édifices. En effet les charges étant abandonnées après ce laps de temps les constructeurs n’ont plus de raisons qui les obligent à générer des édifices qui nécessitent aucunes rénovations durant de très longues années. Je ne conçois pas qu’on puisse livrer des architectures avec une date de péremption qui se dégradent induit des réparations, des rénovations ou parfois des reconstructions. Une telle prise de position est un véritable non-sens envers le maître d’ouvrage et notre planète, c’est un gaspillage économique et environnemental qui peut être évité si l’on raisonne de manière durable.
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A travers tous les enseignements proposés à l’ENSAG, que ce soit pour les cours d’histoire, de sciences humaines et sociales ou de construction, l’analyse et la critique du passé sont les principales sources de connaissances. Ainsi les théories, les courants, les mouvements, les
7 https:// fr.wikipedia.org/ wiki/Obsolescence_ programmée, [Site consulté le 02/05/2019].
8 Loi n° 7812, relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction, du 4 janvier 1978.
9 RABHI Pierre, Vers la sobriété heureuse, 2013, p. 45. savoir-faire, s’expliquent grâce à ces legs, qui a chaque année qui passe témoignent de leurs qualités ou de leurs faiblesses. On peut donc en déduire que la durabilité d’une architecture est un outil essentiel à la transmission d’un héritage. Tout comme l’agriculteur et écrivain Pierre Rabhi, je vois dans la pérennité d’un bâtiment l’occasion de transmettre certaines valeurs auprès des générations futures : « Il ne suffit pas de se demander : ‘‘ Quelle planète laisseronsnous à nos enfants ? ’’ ; il faut également se poser la question : ‘‘ Quels enfants laisserons-nous à notre planète ? ’’ » 9. Il est donc de notre devoir de produire une architecture qui préserve notre environnement et l’avenir des générations futures, mais aussi de produire des édifices qui puissent perdurer pour témoigner de leurs caractères architecturaux et ainsi transmettre un savoir pour ne pas réitérer les erreurs du passé. C’est pour cette raison que je vois dans chaque projet la possibilité de révéler ou de perpétuer certaines idées pour entretenir notre patrimoine et continuer à bonifier la pratique de l’architecture.
Chaque édifice s’inscrit dans un cycle de vie plus ou moins long. C’est l’architecte par la qualité de son architecture et sa volonté d’ancrer sa production dans le temps qui va décider de la durabilité de cette boucle. Il faut alors anticiper et regarder vers l’avenir à chaque étape du projet pour concevoir un édifice qui garde toutes ses qualités au fur et à mesure que le temps passe. La durabilité d’un édifice est un moyen d’éviter la démolition ou la reconstruction de l’édifice, mais c’est aussi un moyen formidable de léguer un héritage architectural aux générations futures. Bien que l’architecture mise en place soit de très bonne qualité, elle ne peut résister indéfiniment et finit inévitablement par décliner, c’est pourquoi son devenir doit être anticipé. Construire durable c’est aussi et surtout anticiper l’avenir de son bâtiment a posteriori en pensant à son évolution et à sa possible requalification.
(fig. 7) Photo du Colisée, Rome, construit à partir de 70 après JC il continue de traverser les siècles. Source : Photo de voyage.