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SOCIÉTÉ LES MAHORAIS ONT LA GORGE SÈCHE

Cette semaine, les autorités locales ont décidé de restreindre encore la consommation d’eau après le ramadan, alors que les deux coupures hebdomadaires étaient déjà indignes pour un pays tel que la France. Ainsi que pour la population mahoraise, qui doit (sur)vivre en s’adaptant à ce manque d’eau pour le moins handicapant.

« Il faut choisir entre le champagne pour quelquesuns et l’eau potable pour tous » , déclamait en son temps le leader burkinabé Thomas Sankara. De l’autre côté du continent africain, les Mahorais se passeraient bien volontiers de bulles. Alors que l’île au lagon est frappée depuis plusieurs années par des coupures – prévues ou intempestives – et que ses habitants doivent déjà s’y adapter, de nouvelles restrictions ont été décidées cette semaine, à cause des très faibles niveaux des retenues collinaires de Dzoumogné et Combani. Zabibou, mère de deux enfants habitant à Koungou et travaillant à Kawéni, essaie tant bien que mal de s’en sortir.

« Les politiciens n’ont pas de coupures, c’est injuste

« Je me lève à cinq heures pour préparer les enfants, explique la jeune femme. Pour les laver, j’ai dû acheter un gros récipient pour faire des réserves, et pour que mon mari et moi puissions prendre des douches, sans oublier l'utilisation des toilettes ! » En plus de cet énorme seau, la petite famille dispose d’un second récipient, plus petit, destiné à la cuisine. « Je renouvelle l’eau à chaque fois qu’elle est disponible, afin d'avoir de l'eau propre pour faire à manger, continue Zabibou. Je sais que ça contribue à l'accélération de l'épuisement de l'eau, mais le fait de savoir qu'une coupure peut survenir à n'importe quel moment, ça me pousse à faire des réserves. » par exemple, « ne comprend pas pourquoi le Département investit de l'argent dans des projets qui pourraient attendre plutôt que sur la problématique de l'eau, ne construit pas d’usine de dessalement, de retenues collinaires, de barrages là où il pleut beaucoup » . Attendus de pied ferme, ces grands projets ont en effet pris du retard. Il y a quelques mois, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) alertait pourtant les parlementaires – la députée Estelle Youssouffa et le sénateur Thani Mohamed Soilihi étaient présents – sur la nécessité de construire des infrastructures de production et la troisième retenue collinaire dans les plus brefs délais, ainsi qu’une seconde usine de dessalement en 2023. Pour rappel, la première du genre, en Petite-Terre, n’atteint qu’un niveau médiocre de production, et nécessite des investissements non négligeables pour la remettre à niveau.

Malgré ces dispositions, la mère de famille reconnaît que « l'hygiène n'est pas au maximum, comme il faut faire attention à la quantité qu'on utilise » . Excédée comme beaucoup d’autres résidents de l’île, elle déplore que la classe moyenne paie pour les autres : « Je comprends que certains quartiers défavorisés n’aient pas de coupure, mais pourquoi alourdir encore les nôtres ? J’ai aussi entendu que les politiciens n’ont pas de coupures, c’est injuste ! » . Il y a tout juste un an, Françoise Fournial, directrice de la Mahoraise des Eaux, nous avouait que fournir de l’eau aux Mahorais était « sportif » . « On n’a pas le droit d’arrêter, à aucun moment, on n’a pas le droit à l’erreur » , déclarait-elle, consciente de courir après la courbe démographique exponentielle du territoire.

Car pour la mère de famille, c’est clair, « mieux vaut avoir de l'eau que de l'électricité » « Avec l'eau on mange, sans eau non » , conclut-elle, prenant l’exemple de celles et ceux vivant dans le bidonville de Kawéni : « ils n'ont pas d'électricité mais se débrouillent pour avoir de l'eau » . Zabibou, comme beaucoup d’autres, se tourne donc également vers l’eau en bouteille. Mais celle-ci n’est déjà pas accessible à tous, étant donné son prix. De plus, les packs d’eau subissent régulièrement des hausses spectaculaires suivant la demande de la population, comme en 2022, lorsque les taux préoccupants de manganèse dans l’eau du robinet poussaient les ménages mahorais à remplir leurs caddies de bouteilles.

Vers une nouvelle hausse des packs d’eau ?

Et, selon Daniel Zaïdani, conseiller départemental de Pamandzi et de l’opposition, les choses pourraient empirer. « Dans le cadre de l’Oudinot du pouvoir d’achat et du dispositif BQP+ [Bouclier qualité prix, NDLR], les représentants de la grande distribution signataires de cet accord s’étaient engagés à maintenir les prix de certains produits jusqu'en mars 2023 uniquement » , rappelle-t-il dans un communiqué. L’ancien président du Conseil général explique également que « l’octroi de mer sur les bouteilles d’eau est actuellement à 0% et passera à 5% à partir du 24 mai prochain […]. Cela entraînera très probablement une nouvelle hausse du prix de l’eau ». Fixée par le Conseil départemental, cette hausse de l’octroi de mer pourrait être freinée par la préfecture de Mayotte, qui envisage de « contrôler le prix de l’eau potable en bouteille », toujours selon Daniel Zaïdani, afin de prendre la suite du BQP+ et d’éviter une trop forte hausse du prix des packs d’eau, dans le contexte inflationniste et de pénuries d’eau que Mayotte ne connaît que trop bien.

Seulement, aucune excuse n’est valable pour les citoyens mahorais, qui voient leur droit fondamental à l’eau émaillé de ces manques chroniques. Zabibou,

Jéromine Doux

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