© MCM (Dad éditions) - Mars 2017 B.P. 82 - 2078 La Marsa - Tunisie e-mail : contact@mcmcommunication.tn Première édition - ISBN 978-9938-936-01-8 Conception graphique et mise en page : MCM Dad éditions est une marque de MCM
Lotfi Mansour
Le tourisme est mort,
vive le tourisme !
« Ô humains ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. » Coran, Sourate des Appartements (Al-Hujurât)
« Je crois que les touristes sont très utiles en ce monde moderne. Il est difficile de détester les personnes que l’on connaît. » John Steinbeck
« Je veux qu’il y ait plus de touristes… Je veux que les Etats-Unis soient la première destination touristique au monde. » Barack Obama, janvier 2012
« Le tourisme est une mine d’or absolue qui n’a pas été suffisamment exploitée. On a cru que ce secteur marchait tout seul. C’est faux ! » Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères en charge du Tourisme, octobre 2014
Introduction A
u moment où les grandes puissances se disputent le titre de « première destination touristique mondiale » et où se crée le T20 réunissant les ministres en charge du tourisme dans les pays du G20, la Tunisie, elle, semble douter de ce secteur. Depuis plus de vingt ans, le tourisme tunisien est victime de la mollesse d’une politique menée sous le prétexte qu’« on a assez fait pour le tourisme » ; comme si on pouvait avoir « assez » des emplois, « assez » des devises, « assez » des débouchés créés par le tourisme pour l’agriculture, l’artisanat et d’autres secteurs de l’économie. Cependant, après cinq années de turbulences où le tourisme tunisien a été soumis à plusieurs reprises au plus sévère des « crash tests » (attentats à répétition, campagnes de dénigrement…), il nous étonne par sa résilience qu’on ne soupçonnait guère. « Touché mais pas coulé », pourrait-on dire d’un secteur qui n’était pourtant pas au mieux de sa forme avant 2011. En effet, il a montré
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des signes d’essoufflement dès la fin des années 90 et a souffert de l’indécision des pouvoirs publics. L’instabilité vécue par le pays depuis 2011 a agi comme un révélateur de défaillances anciennes ; des défaillances vite oubliées par un appareil administratif voué à l’acclamation des augmentations – toutes relatives – des arrivées internationales. Qu’on en juge : - une croissance en berne : la croissance des entrées des non-résidents est passée de 7,2% par an en moyenne durant la décennie 1980-90 à 4,7% durant la décennie suivante, puis à 3,3% entre 2001 et 2010. Entre 2011 et 2015, ce taux était de -7% ; - une durée de séjour en constante diminution : de 10 jours en moyenne dans les années 70, elle tombe à 6 jours dans les années 90 pour se stabiliser à 5 jours dans les années 2000. A partir de 2009, la durée moyenne décroît en dessous de 5 jours, traduisant une perte de l’attractivité de la destination et entrainant une stagnation de ses recettes ; - une gouvernance inadaptée qui a été diagnostiquée dès 2001 par le rapport de la Banque Mondiale*. Celui-ci appelait, sans suite de notre part, à une réforme des structures administratives et professionnelles ; - des coûts d’investissement qui ont quadruplé : le coût (de construction) au lit pour un 4 étoiles, qui était de 23 000 dinars en 1986, est passé à 50 000 dinars en 1995 et il est aujourd’hui à plus de 80 000 dinars ;
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- des coûts d’exploitation en constante augmentation. Au dernier classement des destinations selon la compétitivité du secteur du tourisme, réalisé par le Forum Economique Mondial de Davos, la Tunisie est parmi les 20 pays soumis à la plus lourde pression fiscale. Le total des divers impôts et taxes représentait en moyenne, en 2015, 62,4% des profits d’une entreprise. L’incidence cumulée de ces facteurs a abouti à une triple détérioration : celle de la rentabilité des entreprises touristiques, celle des performances du secteur (recettes, emplois…) et celle de l’image de la destination. Le report de l’accord sur l’Open Sky décidé au début des années 2000, par exemple, privait la destination du nouveau gisement de croissance du tourisme mondial que sont devenus les « courts séjours », sans espoir de compenser cette perte par une croissance vigoureuse des « forfaits classiques ». Autre exemple, l’absence d’un Compte Satellite du Tourisme (CST), préconisé depuis 2002 par l’étude de la Banque Mondiale, a empêché les décideurs et les investisseurs de prendre la mesure du poids réel du secteur dans l’économie tunisienne. Alors que nous admettions que l’impact direct du tourisme était de 5% du PIB, la Banque Mondiale écrivait en 2002 : « Il ne semble pas a priori exagéré d’affirmer que la valeur ajoutée du secteur du tourisme [en Tunisie] se situe en réalité aux environs de 10% du PIB ». Son impact indirect d’alors était certainement autour de 20%. (*) « Stratégie de développement touristique en Tunisie », Banque mondiale, UP Management, KPMG THL Consulting, JC Consultants, juin 2002
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Introduction
Une telle « dévalorisation » du secteur n’a-t-elle pas « facilité » son dénigrement ? N’a-t-elle pas joué un rôle dans le calcul du risque pour l’octroi des crédits bancaires aux entreprises du secteur ? Dans un sens, les cinq années de crise aiguë que nous venons de vivre ont signé la mort de cette manière de faire le tourisme ; la mort des politiques de « croissance molle » basées sur une conception réductrice du tourisme. Ces cinq dernières années signent aussi la mort d’une manière de soutenir le secteur et de gérer l’image de la destination ; une gestion qui nous place au 133e rang mondial sur 141 pays selon le dernier rapport du Forum Economique Mondial publié début 2015. Ce livre est né d’un double constat : - en résistant, le tourisme tunisien, bien qu’il soit bridé par les uns et dénigré par les autres, a montré sa viabilité et, en creux, son apport pour le pays ainsi que sa complémentarité avec les autres secteurs économiques. La crise laitière en est un des exemples ; - sans un changement de cap dans sa gestion, le tourisme tunisien est voué à un recul certain. C’est en tout cas le scénario prévu par le World Travel & Tourism Council (WTTC) qui, sur la base d’une hypothèse de croissance de 2,1% pour la contribution du secteur au PIB, prédit que le tourisme tunisien n’atteindra pas en 2026 ses performances de 2010. Ne pas relancer ce secteur sur la base d’un objectif de croissance au moins égal à celui de
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ses concurrents directs, c’est laisser dépérir un pan entier de l’économie tunisienne qui représentait près de 20% de nos exportations de biens et services (en 2005) et plus de 15% du PIB national selon le World Travel & Tourism Council (7,4% en contribution directe et 15,2% en contribution globale en 2014). Dans le monde, le secteur représente un emploi sur onze et 10% du PIB. Ne pas en faire une priorité nationale, c’est non seulement renoncer à l’énorme gisement de croissance et d’emplois qu’est le tourisme, mais condamner le tourisme tunisien à une régression certaine. Notre conviction est que nous pouvons démentir le scénario du WTTC. L’ambition de ce livre est de montrer l’intérêt que nous avons à reprendre en main notre tourisme, une reprise en main qui passerait par : - une meilleure mesure de l’impact économique du secteur et l’adoption rapide du Compte Satellite du Tourisme ; - un objectif de croissance plus ambitieux ; - un nouveau pacte de gouvernance du secteur pour une amélioration de sa compétitivité.
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Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Chapitre 1 : Voyage en statistiques, ou la
myopie des décideurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.1/ En attendant le CST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 1.1.a/ Emplois directs : du simple au double . . . . . . . . . . 16 1.1.b/ Une demande réelle de 10 millions de visiteurs. . . 16 1.1.c/ Des recettes amputées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.2/ Impact indirect et induit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Conclusion 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Eclairage : Impact indirect, tout dépend des politiques d’accompagnement (Deux questions au Pr François Vellas) . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Chapitre 2 : Comment fait-on moins de tourisme avec plus de touristes ? . . . . . . . . . . 25 Encadré : Low-cost, courts séjours et développement du trafic. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Conclusion 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Eclairage : Open Sky, le Maroc va bien, merci ! . . . . 34
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Chapitre 3 : La croissance, seule option pour le tourisme tunisien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 3.1/ Un scénario pour 2026 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 3.2/ La compétitivité, source de croissance . . . . . . . 44 3.3/ La compétitivité de la Tunisie au plus bas . . . . .48 Conclusion 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Eclairages : Hymne à la croissance . . . . . . . . . . . . . . . 54 Vous avez dit essoufflement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Chapitre 4 : Un nouveau pacte de gouvernance du secteur pour une amélioration de sa compétitivité . . . . . . . . . . 57 4.1/ Renforcer l’engagement de l’Etat . . . . . . . . . . . . 60 4.2/ Opérer une restructuration pour un nouveau modèle de gouvernance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .62 Encadré : « Laissez-nous nous prendre en charge » (interview de Mohamed Belajouza) . . . . . . . . . . . . . . 64
4.3/ Remettre l’attractivité de la destination et des régions au cœur de l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .66 4.3.a/ L’attractivité : Quoi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 4.3.b/ L’attractivité : Comment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 - Développer la visibilité de l’offre culturelle . . . . . . . . 69 Encadré : Une richesse patrimoniale laissée à l’arrière-plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 - Développer les marques-régions . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Encadré : Les contrats de destination . . . . . . . . . . . . 73 - Développer les filières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
4.4/ S’engager dans le e-tourisme . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Encadré : « France.fr », les leçons à tirer d’un portail mis en sommeil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
Conclusion 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .83 à 97
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