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Les pionnières de la Faculté de droit

Les diplômées de la Faculté de droit de l’Université de Montréal doivent depuis quelques décennies bousculer certaines traditions pour occuper des postes qui sont habituellement réservés à des juristes masculins.

Par Me Jean Hétu, Ad. E., professeur émérite

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Le défi est encore plus grand pour les diplômées qui font partie des groupes minoritaires. Même au XXIe siècle, les diplômées en droit doivent fracasser des plafonds de verre afin de créer des précédents dont vont pouvoir profiter par la suite d’autres consœurs. Ce constat n’est pas unique au Québec mais se retrouve ailleurs au pays et même aux États ­Unis. À titre d’illustration récente, soulignons au mois d’avril 2022 la confirmation historique de la juge Ketanji Brown Jackson à la Cour suprême des États­Unis. Elle est la première Afro ­Américaine à occuper un tel poste après 232 ans et 115 nominations. Notons que sur les 115 juges ayant siégé jusqu’ici à ce tribunal, il n’y a eu que cinq femmes. Il est de plus navrant de constater que, même si la juge Jackson était diplômée de Harvard avec un parcours impressionnant, des sénateurs

[1915] 47 C.S. 131). En confirmant ce jugement, la Cour d’appel exprima de plus l’opinion que le genre masculin utilisé dans la Loi sur le Barreau repoussait l’idée d’appliquer cette loi aux deux sexes (Dame Langstaff c. The Bar of the Province of Quebec, [1916] 25 B.R. 11). Cette prise de position n’empêcha pas Marie Léocadie Juliette Gauthier, née le 3 septembre 1903, d’oser s’inscrire, en septembre 1925, à la Faculté de droit grâce à l’intervention de son oncle, soit M gr Georges Gauthier, premier recteur de l’Université de Montréal en 1920 qui valorisait la scolarisation des femmes. Juliette Gauthier obtint une licence en droit le 24 mai 1928 et non simplement un baccalauréat en droit réservé aux étudiants plus faibles. Elle venait de créer un précédent, et ce, entre autres vingt­ cinq ans avant la Harvard Law du Parti républicain se sont livrés à un triste spectacle en attaquant faussement sa réputation de juriste, et ce, simplement pour des raisons politiques. Fort heureusement, nous n’avons pas au Canada un tel processus de nomination des membres de la magistrature.

La Faculté de droit de l’Université de Montréal a été fondée en 1878 comme une succursale de l’Université Laval et a commencé à délivrer des diplômes dès l’année suivante à sept étudiants. Très rapidement, ses diplômés vont connaître un rayonnement exceptionnel autant dans le domaine juridique que dans la société en général. Toutefois, pendant cinquante ans, les études en droit seront réservées à des étudiants de sexe masculin. Rappelons qu’il avait été jugé en 1915 par la Cour supérieure qu’admettre une femme à la profession d’avocat allait à l’encontre de l’ordre public et des bonnes mœurs (Dame Langstaff c. The Bar of the Province of Quebec,

School. Ajoutons qu’elle épousa en 1936 Walter Richard Fleming, d’origine australienne, et que sur le certificat de mariage, il est écrit en réponse à la question portant sur l’occupation de la mariée : « à la maison »! Elle décéda le 25 mai 1960 à l’âge de 56 ans et fut inhumée dans le cimetière Notre ­Dame ­ des ­Neiges. Il fallut cependant patienter encore quelques années avant que la Faculté fasse preuve de plus d’ouverture à l’égard de celles qui voulaient poursuivre des études en droit.

Il faudra attendre l’année 1931 pour voir une deuxième femme s’inscrire à la Faculté de droit. Il s’agit d’Henriette Bourque qui va obtenir en 1933 une licence en droit avec grande distinction en se classant première de sa promotion et en remportant presque tous les prix attribués par la Faculté. Si on a déjà présenté les femmes comme faisant partie du « sexe faible », elle démontra de façon éclatante que l’expression ne pouvait pas s’appliquer dans le domaine juridique et confirma que les femmes avaient leur place à la Faculté. Elle créa un autre précédent en devenant la première femme à œuvrer comme avocate au ministère de la Justice du Canada en 1939, poste qu’elle occupera jusqu’en 1949. Une plaque installée sur la rue Wellington à Ottawa, près de l’édifice du ministère de la Justice, le rappelle. Née en 1903, elle décède en 1997.

Malgré ces précédents, la présence des femmes à la Faculté sera « très discrète » pendant des années. La troisième femme à obtenir un diplôme de la Faculté est Marcelle Hémond (LL. B.) en décembre 1936. La quatrième est Suzanne Raymond, licenciée avec distinction au mois de mai 1939. Ces deux diplômées vont également créer un précédent en faisant partie des quatre premières femmes à devenir avocates et à faire partie du Barreau du Québec en 1942.

En 1945, trois femmes sont diplômées de la Faculté de droit : Pauline Cazelais (LL. L., avec distinction), Marie­Paule Laurin (LL. B.) et Mignonne Legault (LL. B.). Ajoutons que Pauline Cazelais crée un précédent en devenant la première femme d’origine canadienne à obtenir un doctorat en droit en 1949. Pour la période qui s’étend de 1946 à 1950 inclusivement, nous dénombrons seulement neuf diplômées, dont Lilian Balangero (LL. L. 1947), première femme d’origine italienne diplômée de la Faculté ainsi que Yvette Dussault-Mailloux (LL. B. 1950), première femme juge d’un tribunal au Québec en 1964, soit la Cour de bien ­ être social. Pendant la période qui s’échelonne de 1951 à 1959 inclusivement, cabinet Ogilvy Renault. Elle a également créé la Fondation québécoise pour la sécurité et le bien­être des animaux.

◆ Monique Perreault-Dubreuil (LL. L. 1953) : première femme nommée, le 10 octobre 1978, juge à la Cour des sessions de la paix à Montréal (devenue la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec).

◆ Juliette Barcelo (LL. L. 1955, avec distinction) : première femme secrétaire générale de l’Université de Montréal de 1972 à 1980. Une bourse à la Faculté porte son nom.

◆ Micheline Corbeil-Laramée (LL. L. 1956, avec distinction) : première femme juge de la Cour municipale de Montréal (1982­1992), devenue ensuite juge de la Cour du Québec (1992­2008).

◆ Luce Patenaude (LL. L. 1956, avec grande distinction) : professeure à la Faculté, première femme « Protecteur du citoyen » en 1976.

◆ Claire Barrette (LL. L. 1956, avec distinction) : première femme à plaider devant la Cour des assises criminelles à Montréal en 1958; en 1962, première femme à présider l’Association du Jeune Barreau de Montréal; les diplômées sont encore très peu nombreuses, car nous n’en avons dénombré que 33. Toutefois, elles s’imposent comme étudiantes en terminant parfois premières de leur promotion; c’est le cas en 1957 de Madeleine Caron et d’Isabelle Lafontaine qui deviendront licenciées avec grande distinction. D’autres vont jouer éventuellement un rôle important comme juristes; notons les noms suivants :

◆ Réjane Laberge-Colas (LL. L. 1951, avec distinction) : nommée juge de la Cour supérieure du Québec le 20 février 1969, elle est la première femme nommée juge à une cour supérieure de justice au Canada et dans le Commonwealth britannique; présidente fondatrice de la Fédération des femmes du Québec (1966 ­1967).

◆ Joan Clark (LL. L. 1953, avec grande distinction) : première femme nommée Fellow de l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada et première femme à présider cette association. Première femme associée senior au sein du première chargée de cours à enseigner le droit criminel aux universités de Montréal (dès 1962) et McGill.

◆ Andrée Lajoie (LL. L. 1956, avec grande distinction) : première femme directrice du CRDP en 1976.

◆ Alice Desjardins (LL. L. 1957, avec distinction) : première femme à enseigner à temps plein dans une faculté de droit au Canada en 1961, soit à l’Université de Montréal; première Québécoise à obtenir une maîtrise en droit de l’Université Harvard; première femme nommée en 1987 à la Cour d’appel fédérale, puis juge à la Cour d’appel des cours martiales du Canada en 1998.

◆ Bérengère Gaudet (LL. L. 1959) : assermentée le 11 octobre 1960, elle est la première femme à exercer le notariat au Québec, suivie en 1963 de Paule MacKay (LL. L. 1962) et de Rita Legault (LL. B. 1962). Elle est aussi la première femme secrétaire générale de l’Université Concordia en 1988. ➤

◆ Juliette Gauthier (LL. L. 1928) : première femme diplômée de la Faculté de droit en 1928.

◆ Henriette Bourque (LL. L. 1933, avec grande distinction) : première femme à travailler comme avocate au ministère de la Justice du Canada en 1939.

◆ Marcelle Hémond (LL. B. 1936) : une des quatre premières femmes admises au Barreau du Québec en 1942.

◆ Suzanne Raymond (LL. L. 1939, avec distinction) : une des quatre premières femmes admises au Barreau du Québec en 1942.

◆ Pauline Cazelais (LL. L. 1945, avec grande distinction) : première femme d’origine canadienne à obtenir un doctorat en droit en 1949.

◆ Andrée Lajoie (LL. L. 1956, avec grande distinction) : première femme directrice du Centre de recherche en droit public (CRDP) en 1976.

◆ Bérengère Gaudet (LL. L. 1959) : première femme à pratiquer le notariat au Québec en 1960.

◆ Lyse Lemieux (LL. L. 1961) : première femme juge en chef de la Cour supérieure en 1996.

◆ Louise Mailhot (LL. L. 1964) : première femme nommée à la Cour d’appel du Québec à Montréal en 1987.

◆ Michèle Rivet (LL. L. 1964, avec distinction) : première juge-présidente du Tribunal des droits de la personne du Québec en 1990.

◆ Huguette St-Louis (LL. L. 1968) : première femme juge en chef de la Cour du Québec en 1996.

◆ Pierrette Rayle (LL. L. 1969, avec grande distinction) : première femme à occuper le poste de bâtonnière du Barreau de Montréal en 1992.

◆ Hélène Dumont (LL. L. 1970, LL. M. 1973) : première femme doyenne de la Faculté de droit de l’Université de Montréal en 1988.

◆ Louise Harel (LL. B. 1977) : première femme présidente de l’Assemblée nationale du Québec en 2002.

Au début des années 1970, les femmes inscrites à la Faculté de droit sont plus nombreuses, bien qu’elles ne représentent qu’environ 15 % des diplômés. Dans les années 1980, la présence des étudiantes va s’accentuer et nous avons évalué qu’en 1982, les femmes constituaient la moitié des diplômés de la Faculté, soit 151 sur 302. Aujourd’hui, environ les deux tiers des étudiants en droit sont des femmes et cette tendance se maintient depuis plusieurs années.

Afin d’inspirer les étudiantes et de leur faire prendre conscience du chemin parcouru par celles qui les ont précédées, nous avons lancé l’initiative de souligner le rôle de pionnières joué par certaines diplômées en droit. Avec la collaboration de la P re Julie Biron et l’appui de la doyenne France Houle, nous avons créé le « Mur des pionnières »(encadré ci ­ haut) pour rappeler certains précédents réalisés encore récemment par nos anciennes étudiantes. Y apparaissent ainsi les photos d’une vingtaine d’étudiantes, diplômées avant 2021, qui ont créé des précédents dans le milieu juridique ou à la Faculté de droit.

Ce « Mur des pionnières » vient compléter les photos d’autres grandes pionnières qui sont exposées depuis quelques années dans le couloir de la Faculté. Ce sont des diplômées qui ont connu une carrière exceptionnelle et qui peuvent servir de modèles pour nos étudiantes. Certaines ont déjà été mentionnées plus haut, notamment Alice Desjardins et Réjane Laberge-Colas. À ces deux noms s’ajoutent ceux de :

◆ Annick Murphy (LL. L. 1979) : première femme à occuper le poste de directrice des poursuites criminelles et pénales (DPCP) en 2015.

◆ Guylène Beaugé (LL. B. 1984) : première femme noire nommée juge à la Cour supérieure du Québec en 2007.

◆ Éliane B. Perreault (LL. B. 1984) : première femme présidente de l’Association des étudiant(e)s en droit (AED) en 1983.

◆ Sonia LeBel (LL. B. 1990) : première diplômée de la Faculté nommée ministre de la Justice du Québec en 2018.

◆ Geneviève Bernatchez (LL. B. 1991) : première femme juge-avocat général des Forces armées canadiennes en 2017.

◆ Yolande James (LL. B. 2000) : première femme noire à devenir ministre du gouvernement du Québec en 2007.

◆ Louise Arbour (LL. L. 1970, avec distinction) : première diplômée nommée juge à la Cour suprême du Canada (1999 ­2004); haut­ commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (2004 ­2008); lauréate du prix international Tang 2016 dans la catégorie « État de droit ».

◆ Marie Deschamps (LL. L. 1974) : juge puînée de la Cour suprême du Canada de 2002 à 2012.

◆ Juanita Westmoreland-Traoré (LL. L. 1966, avec distinction) : première diplômée en droit de la communauté noire et première professeure noire de la Faculté en 1972; première personne noire à accéder à la magistrature au Québec, soit à la Cour du Québec, en 1999.

Beaucoup d’autres femmes participent aujourd’hui de façon très active au rayonnement exceptionnel que connaît la Faculté de droit depuis sa fondation, non seulement dans le milieu juridique mais également dans d’autres sphères de la société. Somme toute, notre objectif vise simplement à rappeler que certaines diplômées ont été des pionnières qui ont marqué l’histoire de notre faculté. ◆

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